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Liste des coups que j’ai reçus et dont je me souviens

  • Mon père, un jour où je piquais une colère, m’a fessé sur un banc du boulevard Beaumarchais.
  • Mon frère m’a poussé depuis un escalier de granit de notre maison de vacances en Bretagne. Je suis tombé en arrière et me suis ouvert le crâne. Ma mère m’a emmené à l’hôpital de Bénodet et un docteur m’a recousu le cuir chevelu.
  • Mon frère m’a attaché à une chaise dans notre chambre. Je me suis débattu. Je suis tombé la tête la première sur le manteau de la cheminée. Ma mère m’a amené à l’hôpital Trousseau. Un docteur m’a recousu la joue. Il m’a dit que j’étais courageux car je n’ai pas pleuré.
  • À la Tour d’Auvergne, un moniteur de colonie de vacances m’a poussé dans l’herbe, m’a entravé les bras alors que je protestais, et m’a insulté. Je ne sais pas ce que je lui avais fait pour mériter ça. Il était furieux.
  • Dans la cours du lycée Lavoisier, un camarade s’est approché de moi, un couteau à la main. J’ai repoussé sa main, mais je me suis ouvert le poignet sur sa lame. Quand l’infirmière m’a demandé comment c’était arrivé, je lui ai dit que c’était un accident. Ensuite, je suis allé me faire recoudre à l’hôpital Cochin. C’est un étudiant en médecine qui m’a pris en charge. C’était la première fois qu’il faisait des points de suture et j’ai gardé une cicatrice.
  • Devant le Bataclan, une bande de skinheads a essayé de me piquer mon billet pour le concert de Hazel O’Connors. Je les ai menacés avec un pistolet d’alarme mais ils m’ont tabassé. Le médecin qui m’a examiné m’a dit que mon nez n’était pas cassé, mais qu’il fallait me brûler les cornets pour faciliter ma respiration. Quand il a procédé à l’opération, je n’ai pas eu mal grâce à l’anesthésie, mais ça sentait le cochon grillé.
  • Je ne sais pas si je dois écrire dans cette liste que mon dentiste m’a arraché quatre dents de sagesse. Ce n’est pas un mauvais souvenir, j’ai eu un prétexte pour rester au lit à regarder des séries télés pendant trois jours avec un gant de toilette rempli de glace sur la joue.
  • Il me semble, mais je ne suis pas certain de ce souvenir, qu’un ouvrier m’a lancé un coup de pied au cul, rue Bergère, devant l’ancien siège de la BNP. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça.
  • Un CRS m’a écrasé les doigts d’un coup de matraque un soir de manif devant l’entrée des Victoires de la Musique, au théâtre du Châtelet.

J’ai reçu un éclat de grenade de désencerclement sur la cuisse, cours de Vincennes, lors des manifestations contre la loi Travail. Le type à côté de moi a reçu un éclat dans la tempe. Il est tombé d’un bloc. Il est resté dans le coma plusieurs jours.

Mélanome et boxe

Hervé suit notre exploration depuis trois ans. Il a boxé deux ans en boxe loisir au Boxing Beats. Absent depuis la rentrée, il écrit ce texte expliquant cette absence. Aprés avoir été opéré, il semble aujourd'hui sorti d'affaire. Hélas, il ne pourra plus boxer. Voilà le texte qu'il a écrit sur cette expérience.


J’ai appris le 10 septembre 2017 que j’étais atteint d’un mélanome choroïdien cancéreux à l’œil gauche.

Les muscles qui longent la colonne vertébrale se glacent.

Pensée fugace de cet après-midi-là : Est-ce qu’on peut ressentir cette sensation sur scène ? Ce froid ? Dans une pièce de Victor Hugo par exemple, quand un personnage apprend qu’il va mourir ?

En avoir « froid dans le dos », réellement et à plusieurs reprises.

Je me souviens du regard appuyé de l’interne qui m’invite à descendre à l’échographie ; Du sourire embarrassé de l’échographe que je remercie de l’examen ; Des silences un peu trop longs, oui surtout des silences un peu trop longs ; Des phrases : « Il y a une masse ; Il est hypervascularisé ; Vous avez un mélanome ; C’est malin (pour être malin, c’est malin ! Pensais-je) ; Oui, je veux dire : c’est cancéreux ; Je vous ai pris un rendez-vous en urgence à Curie ; Proton thérapie ; un cm et demi, la rétine est complètement décollée ; Enucléation ; Ce service est le meilleur. »

Enucléation.

Il y a un an et demi, pendant une campagne d’information sur les dons d’organes, j’ai dit à Ariane : « Je donne mon accord pour qu’on puisse prélever tous mes organes. Tous, sauf les yeux. Je sais pas pourquoi, mais tous, sauf les yeux. »

Enucléation, difficile à dire, difficile à imaginer.

« Enucléation, 10 octobre 17 », écrit à la main par le professeur Cassoux de l’institut Curie sur une feuille de soins un peu froissée.

Deux semaines. Le temps d’apprendre la nouvelles aux amis, le temps de se sentir bien comme jamais. La mort efface « l’avenir » et donne « le présent ». Cadeau. Ça doit être ça, « être en état de  Grâce ». Se satisfaire d’un rayon de soleil qui chauffe la peau, d’un tour de lac aux Buttes avec Ariane, d’un sourire de ma voisine dans le métro, recevoir la gentillesse, se sentir au monde. C’est chouette.

Et puis cogiter. D’où vient ce mélanome ?

La Boxe ? Et si ce mélanome était dû à la boxe. La première fois que j’ai remarqué qu’un léger voile gênait ma vision, c’était en revenant d’un entrainement au Boxing Beats. Avais-je reçu un coup sur l’œil gauche ? Probablement ! Ce coup avait peut-être provoqué une légère lésion, cette microscopique fêlure de la choroïde aurait provoqué une inflammation, les cellules cancéreuses y auraient fait leur lit pour peu à peu former un mélanome. CQFD.

Le soleil ? Je lis sur internet que les mélanomes choroïdiens sont plus répandus chez les patients ayant les yeux clairs et qu’ils peuvent être provoqués par l’exposition au soleil. J’ai les yeux clairs mais ne m’expose pas souvent au soleil, sauf après avoir nagé dans la mer.

Le Théâtre ? Je me rappelle les lumières de Marc Delamézière pour le spectacle « Mars ». Au début de la représentation, mon visage était très très proches des projecteurs. Ils m’éblouissaient et me brulaient les yeux. Est-ce la cause lointaine de ce mélanome qui me bouffe l’œil ?

Si la boxe me coute un œil, (j’ai envie de me poser la question crûment) est-ce que je regrette les entrainements deux fois par semaine au Boxing beats ? Est-ce que je regrette de m’être inscrit dans ce club à un âge ou tous les boxeurs ont remisé leurs gants depuis longtemps ? Pourquoi j’ai fait ça ? Nous avions vingt ans Eric Da Silva et moi. Nous étions inscrits dans un cours de théâtre et nous y faisions nos premiers pas d’acteur en herbe. En plus du théâtre, Eric pratiquait la boxe, et ne tarissait pas d’éloge sur ce sport, ces yeux s’illuminaient quand il en parlait. Il m’incitait à venir mettre les gants. Il était un peu plus grand que moi et avait, comme moi, de longs bras. « Tu verras » me disait-il « c’est un avantage.  Viens voir au moins. ». La peur l’a emporté sur l’envie. Je n’y suis jamais allé. J’avais peur. Peur de me faire casser le nez, peur de perdre mes dents, peur de l’arcade sourcilière éclatée. Trente cinq ans après, et trop tard, je me suis inscrit au Boxing Beats, enfin.

Si les expositions au soleil m’avaient rendu borgne, est-ce que je regrette ces moments où fatigué par la nage, je me laissais tomber sur ma serviette, essoufflé, mouillé de sel ?

Si les projecteurs, si proches de mes yeux au théâtre Paris-Villette avaient été le point de départ, l’élément fondateur, de ce mélanome, est-ce que je regrette ces représentations ?

Franchement, je n’y arrive pas. Je ne peux me passer du souvenir de ce monologue. Du plaisir, du trac, de la sensation d’être maître du temps. Comme je ne peux renoncer au plaisir d’être face à la mer, fatigué, réchauffé par le soleil et sentir les gouttelettes s’évaporer lentement en laissant sur la peau, sur les poils, des traces de sel.

Sincèrement, si c’était à refaire, sans forfanterie ni figure de style, je me réinscrirais au Boxing beats. Je revivrais ces séances d’entrainement exténuantes, obligeant à repousser ses limites (si rapidement atteintes en ce qui me concerne). Rechercher le beau geste, la belle boxe comme dirait Francky, le mouvement parfait qui part des hanches entrainant jambes et bras. Et avoir enfin un jeu de jambes de danseur, aérien et ancré dans le sol au moment du coup. Et puis les rounds amicaux sur le ring divisé en quatre. Chercher la faille chez l’adversaire, préciser les enchainements : direct du droit crochet du gauche direct du droit, direct du droit direct du droit crochet du gauche, direct du droit direct du gauche déplacement crochet du droit, direct du droit direct du droit direct du droit déplacement crochet du gauche se baisser sur ses jambes uppercut du droit…. Laisser venir, parer un coup, deux coups, laisser l’adversaire se découvrir, relâcher la garde, prendre confiance et instinctivement trouver la faille et placer le coup qui sonne.

Si je regrette quelque chose, c’est d’avoir trop peu nagé jusqu’à l’endroit dangereux, là où on n’entend plus la rumeur de la plage ni celle des vagues, l’endroit où les courants forts commencent à vous entrainer vers le large. Là où les sirènes émettent leurs chants. Aller jusque là-bas. Si je regrette quelque chose, c’est de n’avoir pas suivi Eric jusqu’à sa salle de boxe, il y a trente-cinq ans. Je regrette de n’avoir pas donné assez de coups et de ne pas en avoir assez reçus. D’avoir trop peu regardé d’adversaires en face, œil dans œil. Je regrette de ne pas avoir vraiment combattu, de ne pas savoir donner le coup qui sonne vif et puissant et de ne pas avoir été sonné à mon tour. Est-ce que je peux rester lucide malgré la fatigue et les coups reçus pendant trois rounds ? Je ne saurai jamais. Si je regrette quelque chose c’est le trop peu de boxe, le trop peu de risque, le trop peu de vie.

Mohammed Ali, une grande traversée radiophonique

cet été 2018 France-Culture a consacré une série d'émissions à Ali, the Greatest !

c'est là

Produites par Judith Perignon, ces 10 heures de radio permettent d'entendre des témoignanges inédits sur Ali. Nous découvrons aussi le contexte politique, social, religieux dans lequel s'est déroulé la carrière du plus grand sportif de tous les temps. Les diverses facettes, des plus séduisantes aux plus discutables du champion sont exposées.

Je recommande particulièrement l'émission (ici) consacrée à la conquète de son premier titre de champion du monde sur Sonny Linston, qui permet d'avoir un passionnant éclairage sur l'amitié unissant Ali à Malcolm X, et son assujetissement à Nation of Islam. Comment ce rebelle aura été à la fois si soumis et parfois incompréhensiblement indocile au gouron de cette secte, Elijah Mohammed,  étonnera moins ceux qui connaissent les rapports souvent ambigus entre un sportif et son entraineur, et aussi la discipline incessante qu'exige le sport de haut niveau.

Pour ceux qui veulent revoir le match contre Linston c'est là :

(N'hésitez pas à regarder aussi les longues séquences suivant l'annonce de la victoire d'Ali : elles sont éloquentes quant à ce qu'était l'Amérique  à l'aubes des années 60)

L'auditeur curieux pourra mettre en regard cette série d'émission avec les multiples biographies d'Ali, notamment le trés intéressant "Alias Ali" auquel nous avons consacré un article sur le présent site : ici

 

Ps : Le documentaire sur le troisième combat d'Ali contre Jo Frazier donnera aussi une bonne idée du personnage d'Ali et de ces ombres. il permet aussi de restaurer l'image de l'un de ces plus grand clallenger, Jo Frazier https://www.youtube.com/watch?v=U64K_fZSveU

Mon premier cours au Boxing beats

Je n’en menais pas large.

Drôle d’expression.

J’en menais étroit, donc.

J’ai bien vérifié la liste d’équipement.

Johnny m’a donné ses gants de boxe. Ceux qu’il utilisait avant son accident.

Corine m’a conseillé une boutique spécialisée dans la boxe. Sport 7 à Gambetta.

Dans la boutique, une jeune fille était venue avec sa mère prendre son équipement. Un pack à 40€ pour la boxe française.

Moi, j’ai acheté des éléments dépareillés : un protège-dents, des bandes.

L’après-midi, je suis parti avant la fin de notre réunion de travail à la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile-de-France. Je n’avais pas la tête à argumenter. Je suis rentré chez moi. J’ai préparé mon sac. Sébastien m’avait dit : « Faut pas la ramener. Les autres boxeurs, ils t’observent. Ils sont gentils. Mais ils veulent savoir à qui ils ont affaire. Avant de combattre, on ne peut jamais savoir. On a tous des préjugés. Viens bien en avance pour t’inscrire. Le cours, il commence à l’heure tapante.»

J’ai pris un tee-shirt noir, sans inscription. Des chaussures de sport achetées il y a des années pour une compétition de tai-chi. Un pantalon court en lin vert.

Il faisait beau alors que je pédalais le long du canal.

Quand je suis entré dans la salle, elle était vide.

Je suis monté à l’étage. J’ai croisé Sounil qui discutait avec un autre entraineur. Je l’ai salué, mais il ne m’a pas reconnu. La secrétaire du Boxing beats prenait les inscriptions dans le bureau d’à côté. Je me suis assis devant le bureau. J’ai donné mon certificat médical, un chèque de 180€.

-      « vous voulez qu’on attende la fin du mois pour le tirer ? Vous pouvez payer en plusieurs fois aussi, si c’est plus pratique pour vous ? » m’a proposé la secrétaire.

Je préférais payer d’un coup. Pour ne pas être tenté de revenir en arrière. Pour m’investir, à proprement parler. Commencer la boxe à cinquante-deux ans, c’est un peu ridicule. Alors, il faut que j’assume.

Dans la cour séparant le Boxing beats et les Laboratoire d’Aubervilliers, je consultais mes spams sur mon potable quand Sébastien est arrivé.

Nous sommes retourné dans la salle ensemble. La secrétaire avait descendu son bureau à l’entrée de la salle. Sébastien a rempli ses formalités.

Dans le vestiaire, Sébastien m’a montré comment bander mes mains. Ces bandes blanches sur mes mains, ça me rappelait quand je m’étais brûlé les deux mains avec de l’huile bouillante durant mon adolescence. Un homme à la barbe poivre et sel se confectionnait un magnifique bandage enlaçant ses phalanges, son poignet, son pouce. Je me suis dit que j’allais l’imiter la prochaine fois, et aussi que je n’étais pas le seul vieux. Un couple de très jeunes gens me semblaient eux aussi tombés du nid de la boxe. Des comédiens de la brigade du Théâtre de la Commune. Mignons, gauches et très intimidés eux aussi.

L’échauffement, au Boxing beats comme dans les stages de clowns, c’est un moment où on se dit jusqu’ici tout va bien. On peut se fondre dans la masse. On aime bien quand ça dure. C’est toujours ça de fait.

Quand on a répété les enchainements dans le vide, un garçon avec une barbe pointue, longiligne, tout de noir vêtu comme un diable s’est posté face à moi. Il m’a corrigé et encouragé. Bon, ça ne se présentait pas si mal.

Lors des enchaînements à deux : « droite, gauche, droite, droite » « gauche, droite, retrait, droite » Sébastien et moi nous mîmes en tandem. Le protège-dent au début, je me suis dit que je ne le supporterai pas. J’avais des hauts le cœur avec ce truc dans la bouche. On finit par l’oublier m’a dit Sébastien. Je n’ai pas répondu. C’est difficile de dire quoi que ce soit avec un protège-dent.

La première fois que j’ai vu A*** avec un protège-dent j’avais été étonné de voir comment ça modifiait son visage. Elle qui présente un visage d’ordinaire avenant avait soudain avec ce prognathisme une tête butée, renfrognée, concentrée.

Le casque, je n’en n’avais pas. Sébastien portait le sien. C’est très désagréable, m’a-t-il dit. On se sent enfermé. Ça pue. On entend plus rien. Cela dit avec son casque noir qui s’agitait devant moi, il offrait un objectif réaliste à mes coups. Je savais où viser. Enfin, pour autant que mes coups aient une chance de passer la barrière de ses gants.

Les coups de Sébastien en revanche faisaient mouche. Sur le moment, ça étonne. La douleur, on la sent après. Ça étonne encore plus. Je n’ai pas trouvé ça si humiliant que je craignais, mais je voyais que Sébastien faisait attention.

Lorsque nous avons changé de partenaire, j’ai constaté la même prévention chez mon nouveau partenaire. Au moins au début. Mais de fait, tout le monde prend l’autre en considération quelque soit son niveau. On ne peut pas faire autrement. Les anciens se méfient toujours particulièrement des débutants. Comme on tape n’importe comment quand on est débutant, il peut toujours y avoir des mauvaises surprises.

Le casque offre un certain anonymat. Ce que je voyais de mon partenaire, c’étaient ses yeux et ses poings. Du coup (drôle d’expression aussi !), du coup le style de chacun apparaît. Mon partenaire avait des yeux en amande. Des cheveux très noirs. Il était très ramassé. Il portait des crochets qui contournaient ma garde comme des arabesques.

La garde en boxe me semblait frustre. On monte les deux poings et on laisse l’autre taper dans les gants dressés comme un rempart. Les coudes ramassés devant le foie. On n’accompagne pas le mouvement de l’autre comme j’apprends à faire en tai-chi depuis sept ans. On encaisse.

Enlever le protège-dents – boire – remettre le protège-dents, avec les gants ce n’est pas commode du tout. Remettre le gant gauche avec la main droite déjà gantée aussi, ça demeure une sorte d’Annapurna à gravir pour moi.

Sauter à la corde, je ne sais pas. Je n’ai jamais sauté à la corde de ma vie. L’école où j’allais n’était pas mixte, et la corde à sauter c’était pour les filles. Il faut que j’aille m’acheter une corde à sauter pour apprendre. Je me demande bien où je vais m’entrainer. Dans le jardin où je fais du tai-chi, j’ai un certain prestige auprès des jardiniers avec mon sabre et mon épée. Avec ma corde à sauter, il faudra que je vienne très tôt.

Le cours finit par le gainage. Les abdos. C’est sûr, là encore j’ai du travail. Les pompes, ce n’est pas ma pratique… Les bras au tai-chi, ça travaille très peu.

D’ailleurs mes courbatures aujourd’hui, c’est surtout aux bras. Dans les jambes aussi, mais je sens que ça va disparaître vite.

Bon, ce matin, assis à cette terrasse de café, je ne me sens pas ankylosé, moulu, laminé comme je m’étais senti quinze jours durant après la séance d’initiation à la lutte aux Diables Rouges. Là j’avais eu le sentiment d’être passé dans une essoreuse. Le lendemain, c’étaient les ecchymoses qui étaient douloureuses, quelques jours plus tard les muscles de plus en plus profonds qui me faisaient souffrir et pour finir jusqu’aux os j’avais eu mal.

De retour dans la nuit, sur mon vélo, le long du canal, je me sens heureux de cette soirée. C’est souvent sur mon vélo que je me sens heureux.

Moody

 

  • « Vous devez toujours réagir immédiatement à une série de coups. Même si vous les avez tous parés, vous devez sortir avec un direct, ou un crochet, peu importe. Il ne faut pas donner l’impression aux juges que vous subissez » nous explique Franky.

Nous essayons sur le ring de mettre en application cette instruction. Ce n’est pas si simple que ça.

J’ai remarqué que dans la vie, face à l’agression - qu’elle soit physique ou verbale, n’importe – on demeure médusé. On prend alors le risque de réagir à contretemps, voire contre d’autres que les responsables de l’agression.

Dans la classe de 4° du collège Jean Zay à Bondy où nous étions il y a quelques années en résidence de création,  Moody était le souffre-douleur de ses camarades. Il semblait admis comme un fait acquis que quelque élève qui passât à côté de Moody, se devait de lui donner une tape, une petite claque, une bourrade, lui faire un croc en jambe. Moody ne protestait pas. Il vivait dans son monde, jouait à ses propres jeux, ne prenait jamais la parole, et s’endormait souvent en classe, la tête dans ses bras croisés.

Un jour, au cours de l’atelier de théâtre que j’animais, agacé de voir Moody subir les vexations ordinaires de ses camarades, j’annonçais que désormais, le prochain qui porterait la main sur lui serait viré. Moody, de ce jour, s’essayait à mes côtés durant les sorties.

Un soir, nous accompagnions la classe à une représentation de La Fausse suivante  à la Comédie Française. Nous avions dûment chapitré les jeunes : on enlève sa casquette en entrant dans le théâtre - on ne parle pas durant le spectacle – on ne mange ni ne boit dans la salle.

Moody s’assoit à ma gauche. Assis dans le rang devant nous, une dame accompagnée de deux petites filles modèles, semblables en tout point aux « jumelles » dessinées dans le Figaro Magazine. Ces trois-là promouvaient un mauvais exemple tranquille : elles mangèrent leurs sandwiches en attendant le début du spectacle, burent leur jus de fruit au lever du rideau, et durant le spectacle leur mère leur parlait à l’oreille pour souligner tel ou tel bon passage de la pièce.

Moody n’en n’avait cure. Il semblait intéressé par le spectacle. Il lui échappait parfois de pouffer. Ces rires pouvaient être inopinés, ou en décalage avec les éclats de rire de l’ensemble des spectateurs ; ils témoignaient que Moody passait ce que les critiques du Masque et la Plume appellent « une bonne soirée ».

L’hilarité intermittente de Moody avait pour effet de déclencher systématiquement un lever d’épaule de la dame devant. Le haussement d’épaule demeurant infructueux, elle se tourna au deuxième acte vers Moody pour lui lancer un regard noir et un sifflement vipérin qui ne démontèrent pas mon protégé. Enfin, au troisième acte, elle n’y tint plus et se tournant vers moi, elle me chuchota excédée : « Mais enfin, vous ne pouvez pas lui dire de cesser ? ». Moody n’eut pas besoin de mon truchement, et se tint coi le reste du spectacle, et applaudit sagement les acteurs aux saluts, comme on lui avait recommandé de le faire.

Nous nous levions pour quitter la salle. La dame me toisa ainsi que Moody et lâcha : « La prochaine fois qu’il sortira de sa banlieue, j’espère que vous aurez appris à ce jeune homme à se tenir ». Je fus interloqué par cette agression soudaine. J’aurais eu long à dire à cette dame sur l’éducation qu'elle-même donnait à ses filles, et leur manque de savoir-vivre dans un théâtre. Je ne répondis cependant rien, me donnant comme prétexte à mon silence que je me refusais - scrupule absurde - à entrer dans une polémique entre adultes sur l’éducation devant des enfants.

Le lendemain, dans la salle des profs du collège, je racontais cette scène à Fanette, la professeure principale. Cette dernière me dit :

- « C’est une agression raciste. »

  • « J’aurais du répondre à cette dame ? »
  • « Bien sûr. Tu n’aurais pas dû laisser passer ça. »

Donc, j’avais été lâche.

Quelques mois plus tard, Fanette s’inquiéta de l’apathie de Moody durant les cours. Non, qu’il ne perturbât les cours – la plupart du temps, il dormait, ou demeurait les yeux dans le vague, et sa seule participation se résumait à ses gloussements intempestifs. Elle convoqua donc son père.

  • «  Ah, il me donne bien du souci ce Moody. Vous avez bien fait de me prévenir, Madame. S’il continue à vous embêter, c’est simple : je le renvoie au Sénégal direct. J’ai d’autres enfants au pays qui travailleront mieux que Moody. » lui répondit-il.

Moody finit son année scolaire avec nous. Je lui confiais la mission de filmer en vidéo une scène de danse qui était retransmise en direct sur un écran. Il s’acquitta avec conscience de sa mission, avec un cadrage un peu de guingois.

Deux ans plus tard, je déjeunais avec Fanette. À l’heure de nous séparer, devant la bouche de métro, elle me dit soudain :

  • « Tu te souviens de Moody ? Il est resté en France. Il s’est même trouvé une petite copine. Bon, il semblait s’éveiller. Et il n’a rien trouvé de mieux que de partager sa copine avec ses copains dans une tournante. La fille n’a pas porté plainte. Elle a honte d’abord et ensuite, sa famille ne veut pas d’ennui avec les voisins de la cité. »

Et elle disparut dans le métro.

Ne pas répondre

 

 

Nassim taquine sa sœur Melissa durant le soutien scolaire au Boxing Beats. Tandis qu’elle fait ses devoirs, il lui tape l’arrière du crâne. Melissa semble indifférente à ce harcèlement. Parfois, elle repousse la main de son frère, comme on repousse un moustique.

- « Arrête. » finis-je par dire à Nassim.

Il continue comme s’il ne m’avait pas entendu.

- « Nassim, arrête d’embêter Melissa. »

Nassim continue sans prendre la peine de me regarder.

- « Bon. Nassim, la prochaine fois que tu feras semblant de ne pas m’entendre, je te dirai de sortir. »

Nassim me regarde, ébahi.

Je déteste qu’on ne me réponde pas. Je ne prétends pas être original à cet égard – tout le monde a envie d’être pris en considération : n’assurait-on pas dans les formules de politesse nos correspondants de notre « haute » considération, de notre considération « distinguée » ?

Actuellement, Corine et moi nous astreignons à relancer les directeurs de théâtre auxquels nous avons fait parvenir un dossier concernant le spectacle que nous écrivons à partir de notre expérience au Boxing Beats. La plupart de nos interlocuteurs ne nous répondent jamais. Une simple missive, si elle n’est pas accompagnée de coups de téléphone, a toutes les chances de demeurer lettre morte. Probablement, le pouvoir d’un individu aujourd’hui se mesure à l’absence de réponse qu’il donne à ses solliciteurs. Donc, à nos dossiers, les directeurs de théâtre répondent par un silence marmoréen, quasiment céleste. L’exemple vient de longtemps et de loin. Dieu lui même n’a pas daigné répondre quand son fils lui a demandé : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?

J’essaye de prendre les choses à la plaisanterie, mais quand même, c’est blessant cette absence de réponse.

Si vous prenez le risque un jour de reprocher à un de ces directeurs de théâtre son absence de réponse, lors d’une des multiples occasions que vous avez de les croiser, il se confond d’abord en excuses, peut le cas échéant s’étonner de n’avoir pourtant rien reçu (cette ruse misérable est souvent utilisée), mais surtout va déplacer le débat sur le terrain qui lui est propre et cher : c’est harassant ces sollicitations permanentes auxquelles il ne peut hélas répondre toutes. Mettez-vous à ma place, vous supplie-t-il.

Mais je ne veux pas me mettre à sa place. Je trouve doublement humiliant de n’avoir pas de réponse, et d’être de plus invité à comprendre, voire approuver cette absence de réponse. Si je me mets à sa place, certainement, le plus simple est que je ne lui envoie pas de dossier, et le décharge de ce poids. Cette invitation qui m’est ainsi faite à l’autocensure de ma production artistique me semble extravagante.

Ce que j’aime à la boxe, c’est que personne n’aurait l’idée de vous inviter à vous mettre à sa place. Au contraire. On est invité à faire face à son partenaire durant l’entraînement, à son adversaire durant le combat. Chacun doit tenir sa place pour que le jeu ait lieu. Et sa place suppose d’assumer d’être radicalement séparé de l’autre, pour jouer le jeu du combat.

C’est une brutale lâcheté que de prétendre inviter autrui à prendre par imagination une place que vous n’avez aucune intention de lui abandonner dans les faits. Surtout quand la place en question est une place de pouvoir.

On dirait que tu aimes ça

L’exercice consistait à encaisser des coups. Pendant un round, il fallait esquiver, feinter, se protéger, parer, encaisser les coups de son partenaire sans jamais répliquer. C’est une école de patience, d’humilité, et de lucidité. Il faut faire face. Ne pas baisser les gants. Ne pas interrompre l’exercice sous l’excuse d’un coup qui serait malheureusement – ou trop heureusement – arrivé à destination.

Il me faut résister aussi à la tentation de répondre en profitant des ouvertures que mon partenaire - toujours un peu goguenard – laisse, certain qu’il est de ma passivité.

Avec Sébastien donc, nous intervertissons nos rôles. Après le round où j’ai dû subir ses assauts, Sébastien me lâche :

- « On dirait que tu aimes ça».

Je ne réponds rien.

Je me souviens que Camille après avoir lu le journal de ma pratique de l’exercice de Benjamin Franklin pour devenir vertueux en treize semaines, m’avait lâché d’un ton rogue :

- "C’est un truc de maso, cet exercice ».

Pour le coup, c’est elle qui m’avait blessé avec cette critique – sans doute était-ce son but, de me faire payer les souffrances que notre histoire d’amour occasionnait dans sa vie conjugale.

Bien sûr, l’exercice de la boxe contient une part non négligeable de masochisme. Beaucoup d’exercices requièrent une recherche de la souffrance, ou du moins son acceptation, qui s’avère plus ou moins productrice de jouissance.

« Faites de la souffrance votre compagne » disait Saïd lors d’un entrainement. Les exercices exténuants que s’imposent les boxeurs n’ont de sens que s’ils impriment une violence au corps afin de le contraindre à se tordre, à être forgé dans une morphologie qui le rend apte à recevoir des coups. Gainer ses abdos pour protéger son foie, entraîner le cœur à fournir le sang en quantité lors d’efforts répétés de trois minutes de durée, afin de ne pas tituber hors d’haleine au bout de deux minutes cinquante, ce qui abandonnerait dix secondes à votre adversaire pour vous cadrer et vous adresser un coup décisif.

Habituer le corps à recevoir des coups. À faire face. À ne pas détourner son visage. Ne pas baisser les bras. Ne pas jeter l’éponge. Où est le plaisir là-dedans ? Si c’est la souffrance pure qui est recherchée, pourquoi ne pas aller dans un club sado-maso ? Là aussi l’amateur de souffrance, le gourmet de la torture trouve chaînes, bracelets, cordes, cuirs tendus, tous accessoires en effet présents sur les rings de boxe.

Très vexé, j’avais répondu à Camille, les yeux dans les yeux : 

-« Je ne suis pas maso ».

Elle avait sursauté :

-« Ok, ok. Tu n’es pas maso. »

Aujourd’hui, ma réponse serait plus ambiguë. Oui, les règles du marquis de Queensberry qui régissent la boxe - port des gants, durée du combat, catégorie de poids etc. - régissent la jouissance d’infliger ou de subir la souffrance, et de se réjouir du spectacle de la souffrance d’autrui.

Il me semble pourtant que ce contrat qui lie entre eux les boxeurs, et les relie aussi aux spectateurs du noble art, ne recouvre pas qu’un sado-masochisme honteux.

Où se situe ma jouissance à moi, dans ce commerce entre la souffrance et le plaisir, qui me fait revenir deux fois par semaine au Boxing Beats ?

D’abord, j’éprouve le plaisir de témoigner d’une certaine persévérance, voire de ténacité. Oui, certainement je retire quelque orgueil à avoir persisté dans ma pratique sportive malgré tous les désagréments qu’elle implique : fatigue intense, corrections incessantes de mes professeurs apparemment peu convaincus par mes prestations, promiscuité avec des gens qui ne sont « pas mon genre ».

Ces désagréments peuvent aussi être ressentis tout à l’inverse : agréable sensation de vidange de la tête, sentiment de progresser dans ma maîtrise des mouvements du boxeur, rencontre avec des inconnus.

Non, le plaisir que j’expérimente dans la boxe est une sensation plus profonde, et que je ne soupçonnais pas du tout lorsque j’ai commencé à pratiquer il y a deux ans de ça.

Ma jouissance je la trouve dans la lucidité. Parfois, durant un round, je sens par fulgurance - pas tout le temps, en tous cas jamais trois minutes d’affilée, je me sens des éclairs de lucidité qui me permettent de ne pas être affolé, débordé, submergé par les coups de mon partenaire. Parfois, au sein de cette agression organisée, je parviens à garder la tête froide, un regard clair sur la situation. J’observe la manière de bouger de mon partenaire, ses enchaînements préférés, je note ses points faibles, et parviens à élaborer une tactique qui s’avérera efficace.

Mieux encore : il est des secondes, par illumination, donc par automatisme, où je parviens à saisir l’instant précis de la réplique, et à atteindre mon adversaire par un coup suffisamment précis et percutant pour que ses assauts suivants soient marqués par le sceau de la prudence.

Il n’y a rien de plus gratifiant pour moi qu’un coup en retour bien placé.

Petite violence ordinaire

Caroline me dit : « C’est violent, ça. » Elle hoche la tête : « Ça c’est violent. »

Je viens de lui raconter une anecdote observée lors du cours de soutien au Boxing Beats.

Yacine nous a montré la correction de son devoir de math effectué avec Zoé. 8,5 sur 10 lui a donné son professeur, avec son stylo rouge. Et toujours avec le même Bic écarlate, il a divisé la note en deux : 4,25. Comme il l’explique dans une note lapidaire le devoir pour être aussi bon n’a pu avoir été que copié. « Dommage », conclut le pédagogue de son kalam assassin.

Oui, c’est violent. Nous étions tous d’accord sur ce point au Boxing Beats en nous penchant sur le papier accusateur. Ce qui n’était pas dit, mais apparaissait clairement dans le geste même du correcteur, c’est la conviction profonde que Yacine était incapable de répondre correctement à son exercice. Et que s’il avait été aidé, cela n’avait pu l’être que de manière illicite. La mère, le frère, un cousin de Yacine étaient eux aussi supposé incapables de lui expliquer l’exercice. De cela seul auraient été dignes des parents d’une autre classe sociale, une classe sociale supérieure.

Donc si Yacine obtenait un succès, ce ne pouvait être que le fruit d’une grivèlerie. Un devoir copié sur un camarade plus doué – le professeur accuse nommément l’un d’eux – et payé pour ce faire.

Nous avons donc rédigé une belle missive, sans faute d’orthographe, une lettre de français de souche, pour expliquer au fonctionnaire de l’Éducation nationale que le devoir avait bien été rédigé par Yacine, au cours de soutien du Boxing Beats et sous la supervision des bénévoles que nous sommes. Notre missive, d’une exquise politesse devenait du coup une entreprise de pédagogie à l’intention de notre prof de math de collège de banlieue, pour lui rappeler que les soutiens dont bénéficiaient les sauvageons qu’il était supposé enseigner pouvaient provenir d’une autre source que la reproduction sociale ou la tricherie, une source qu’on appelle la solidarité.

N’empêche. Cette suspicion à l’égard des plus défavorisés, oui, Caroline a raison de le dire, c’est violent. C’est plus violent que n’importe quel coup reçu sur un ring.

C’est une violence sournoise, intériorisée, invisible et quotidienne. A l’opposé exacte de celle, extériorisée, loyale, publique, ritualisée, de la boxe.

Photos de Boxing Paradise

Boxing Paradise Corine montre les enfantspoursite

Regarde les enfants. Ce sont les enfants du soutien scolaire. Tous les mercredi ensemble, vous faisiez des maths, de la physique, des SVT, du français.

Boxing Paradise Herve regarde Safiatoupoursite

Assis dans l’escalier de la mezzanine, tu regardes les jeunes sur le ring. Leurs personnalités fleurissent sous tes yeux. La fille avec un visage comme en gribouillis toujours en pyjama qui se mue en cours d’année en puncheuse calculatrice. Le petit joufflu qui vient parce que son père l’amène, mais qui n’aime décidément pas ça. Les deux copines qui restent une heure dans les vestiaires pour discuter.

Boxing Paradise herve montre spectateurspoursite

J’avouerai aux spectateurs mon trouble face aux combats. Regarder deux hommes se frapper au visage, chercher le K.O., je dirai : c’est beau et dégoûtant.

Boxing Paradise luppercutpoursite

Tu envoies des séries de directs au foie. À force d’insister, Camille finit par se pencher. Tu vois l’ouverture, et bing ! Tu remontes avec un uppercut au menton. Tu recules d’un pas et surprends le regard étonné, presque peiné, de Camille, ses grands yeux embués de larmes. Camille ne s’attendait pas à ça de ta part. Tu as exulté pendant une semaine, le jour où tu as placé ton premier uppercut à Camille !

Boxing Paradise Ta part femininepoursite

Les filles, c’est les premières à l’entraînement. Elles savent qu’elles doivent s’entraîner plus dur que les hommes.

Pourquoi ?

Parce que face à elles, elles auront d’autres filles. Et que sur le ring, les filles elles ne lâchent jamais l’affaire. » Moi, ton ange gardien, je dis ça je dis rien : Ta part féminine, tu l’as trouvée dans la boxe.

Boxing Paradise tu cours aux buttes chaumontpoursite

Tu t’entraînes tous les jours. Tu te dis « Un moment de vérité. En montant sur le ring, je vais connaître un moment de vérité ». Tu cours aux Buttes Chaumont. Tu t’es acheté un podomètre. Tu mesures tes temps intermédiaires. Le nombre de foulées. Ton rythme cardiaque. Toi qui te voulais sans Dieu ni maître, tu t’es trouvé un chronomètre et un podomètre pour gouverner ta vie.

tu prepares ton combatpoursite

Tu ne veux pas monter sur le ring comme un petit quinqua avec son petit bedon moulé dans son maillot. Tu as commencé par te peser chaque semaine. Puis dans les vestiaires, à la fin de chaque entraînement. Les autres boxeurs te demandent : il te reste combien à perdre ? Tu te pèses tous les jours. Tu déjeunes, tu te pèses. Tu pisses, tu te pèses. Tu vas à la selle, tu te pèses. Bref, tu prépares ton combat, tu ne fais plus que ça. Pourquoi ?

emmene moi a 4 cheminspoursite

- « Apprenez-moi la boxe ! Moi aussi je veux me promener dans la foule comme un requin parmi les bancs de petits poissons ! Emmenez-moi à Quatre Chemins ! »

- « Viens bébé ! Quittons ce jardin de bobos !

- « Oh yeah ! Allons éclater la gueule aux djihadistes, aux marchands de sommeil, aux trafiquants de drogues et à la racaille ! »

La journaliste se pâme dans tes bras.

Boxing Paradise carsinomepoursite

« Carcinome hépatocellulaire » J’ai senti mes muscles se glacer Autour de ma colonne vertébrale. Ce n’était pas comme un coup de poing. Là, l’onde de choc s’est enfoncée jusqu’à la plante de mes pieds Et au-dessous encore. Cancer du foie.

Boxing Paradise mille etoilespoursite

Je me souviens de toutes les fois où j’ai pleuré. Ce n’était jamais parce qu’un poing m’avait frappé. Ceux qui m’ont fait pleurer ont toujours agi à distance.

Par un courrier m’annonçant un refus d’ouverture de droit-chômage. Par une main invisible : Celle de l’agent EDF coupant le courant dans notre maison, Sans prévenir, depuis la rue,obligeant ensuite ma mère à quémander dans leurs bureaux un rééchelonnement de sa facture. Oui, la vraie violence, elle se fait toujours à distance, Loin de tout risque de riposte, bien au-delà de la longueur de mon bras.

Mon adversaire, je le connais, à présent. Il est en dedans.

Photos : Pierre Grobois Photos : William Vainqueur

portraits à la boxe loisir

Série de portraits pris à la volée par Stéphane Olry de ses camarades de la Boxe Loisir au Boxing Beats à la fin de la saison 17/18

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Présentation

Le cercle

Un projet de Corine Miretet Stéphane Olry La Revue Éclair

une exploration des clubs de sports de combat en Seine-Saint-Denis
en collaboration avec Sébastien Derrey

Une résidence de création du printemps 2015 à l’automne 2018 du Conseil Départemental de la Seine-Saint-Denis

qui donne lieu à :
une pièce d'actualité consacrée à la lutte avec Les Diables Rouges de Bagnolet
La Tribu des lutteurs
qui a eu lieu du 29 novembre au 16décembre 2016 à La Commune - Aubervilliers
un spectacle inspiré par la pratique du Kick-boxing avec les femmes du club Esprit Libre de Blanc-Mesnil
Mercredi dernier
joué actuellement dans 25 appartements de Seine-Saint-Denis avec le Théâtre de La Poudrerie à Sevran
un troisième volet inspiré par des enfants pratiquant la boxe au Boxing Beats, club de boxe anglaise d'Aubervilliers :
Boxing Paradise
qui sera présenté du 27 septembre au 7 octobre 2018 à la MC93 à Bobigny

 

Postulats

D'un coup direct je lui fendrai la peau

Je lui broierai les os

Que ses amis demeurent donc là

Tous ensemble

Pour l'emporter quand mes bras l'auront vaincu.

Iliade - Homère

 

Nos spectacles sur les sports de combat sont nourris par notre pratique : de la boxe anglaise pour Stéphane Olry, de la boxe pieds-poings pour Corine Miret. De cette pratique nous avons retiré sur les sports de combats les convictions suivantes :

- Il est peu d’instants où on prend autant en considération autrui que durant un combat. Le mépris pour son adversaire ou son partenaire est immédiatement sanctionné. Cette extrême attention pour autrui motive pour l’essentiel notre curiosité pour la pratique des sports de combat.

- Il existe une intelligence, un art, une écriture, une force et une finesse dans l’usage du corps dans le combat à deux. Cette intelligence des corps est précieuse et mérite d’être mise en lumière.

- La violence, l’agressivité, est une des fibres constituant l’être humain. Les sports de combat sont autant d’arts permettant de reconnaître, de connaître, d’apprivoiser, de maîtriser, de détourner, de métamorphoser, de sublimer cette pulsion.

- Le seul lieu où le combat répond à des critères d’égalité entre les combattants, (critères objectifs d’expérience, de poids, de durée de l’affrontement, de règles communes) est le champ clos du ring. Hors du ring, il faut bien le constater, la situation est déloyale, défavorable aux plus faibles, voire organisée pour maintenir cet état d’inégalité.

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- Tout combat est décisif. En ce sens le boxeur montant sur le ring a beaucoup à voir avec le comédien se produisant sur scène. L’un comme l’autre entrent alors dans une zone de vérité.

- Le débat entre ceux qui croient à la richesse du dissensus, et ceux qui croient au consensus ; entre ceux qui croient aux rapports de force et ceux qui les nient ou les refusent ; entre ceux qui se savent violents et ceux qui se sentent pacifiques – notre vocabulaire indique bien où penche notre cœur – ne sera jamais clos. Et c’est tant mieux pour ceux qui se plaisent à raconter des histoires sur un théâtre !

- Il n’y a pas de combat sans spectateur. Au 18° siècle en Angleterre, ce sont les spectateurs qui tenaient la corde du ring. En cas d’intervention de la police, ils lâchaient la corde et, acteurs comme spectateurs se dispersaient.

- Nul ne peut prétendre être indemne devant le spectacle de la violence, même réglée, sur le ring. Mais nul ne peut prétendre être indifférent : fascination et horreur, répulsion et sidération, plaisir et dégoût, enthousiasme et indignation : tous ces mouvements agitent le grand corps social des spectateurs, et traversent chacun dans son intimité.


Trois spectacles

Le mérite se manifeste clairement dans deux cas :

celui du combattant sur un autre combattant, celui du savant sur un autre savant.

Ibn Al Muqqafa – Kalila et Dimna

 

Dans un premier temps,notre enquête dans les clubs sportifs de Seine-Saint-Denis nous a permis de cerner nos centres d’intérêts.

D’abord, nous avons décidé de privilégier les sports de combats où la rencontre entre les combattants est décisive, au détriment des arts dit martiaux où cette rencontre est plus suggestive qu’effective.

Ensuite, nous avons choisi trois sports incarnés par trois clubs de Seine-Saint-Denis : la lutte avec les Diables Rouges à Bagnolet, la boxe anglaise avec le Boxing Beats à Aubervilliers, le Kick Boxing dans un club féminin du Blanc-Mesnil "Esprit libre".

Enfin, nous avons imaginé créer plusieurs spectacles distincts pour rendre compte de notre exploration. En effet, notre pratique nous a montré que d’un point de vue sportif, la lutte d’une part, et les sports de percussion comme la boxe de l'autre, ont des histoires et des pratiques très différentes.

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La Tribu des lutteurs

Aussi, devant la porte de la jeune mariée Enkidu et Gilgamesh s’empoignèrent-ils.

Et se battirent-ils, en pleine rue, sur la grand-place du pays,

si fort que les jambages en étaient ébranlés et que les murs vacillaient.

Épopée de Gilgamesh

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Dans La Tribu des lutteurs, nous montrons un entrainement de lutte, depuis l’échauffement jusqu’aux étirements en passant par l’apprentissage des prises et les séquences de combat. Nous voulons montrer la précision du travail et l’épuisement des corps. Cet entrainement, nous le prenons comme une œuvre en soi, un ready-made, d’une heure et demie environ, en demandant à la vingtaine de lutteurs des Diables Rouges (Club de Lutte de Bagnolet) de venir réellement s’entrainer publiquement chaque soir dans la petite salle de La Commune équipée à cet effet. L’entrainement est indépendant du flux des spectateurs : il commence et termine à l’heure convenue indépendamment du contrôle des billets, de l’entrée et de la sortie des spectateurs.

Il est aussi autonome tant que faire se peut, par rapport à ce qui se déroule théâtralement sur le plateau.

Deux protagonistes apparaissent et prennent la parole sur cette basse continue de l’entrainement.

- La femme sur le banc. Incarnée par Corine Miret elle dit un soliloque épousant par intermittence l’ensemble du spectacle. Son monologue intérieur est celui d’une femme qui, ayant pratiqué la lutte et la danse, se voit soudain, à la suite d’un accident, clouée sur ce banc, réduite au rôle de spectatrice.

Que reste-il d’un mouvement qu’on a fait des milliers de fois quand le corps ne peut plus le réaliser ? Sa place privilégiée sur ce banc lui permet aussi d’exercer un sens aigu de l’observation du quotidien du club et de tenir la chronique intime de cette tribu perdue des lutteurs.

- Un comédien intervient ponctuellement. Il interprète la prosopopée des objets qui constituent le quotidien des lutteurs : la balance (leur premier adversaire), la médaille (une femme ingrate), le maillot. Ces monologues sont au nombre de trois.

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Le spectacle se déroule ainsi, sur cette basse continue de l’entrainement ponctuée de monologues.

En parallèle, nous présentons une conférence inspirée par les fresques du site archéologique de Beni Hassan. Ces fresques datant de 1800 ans avant JC présentent des lutteurs combattant lors de séquences indépendantes les unes des autres. Cette conférence filmée présentée par Aurélie Epron et Guillaume Jomand, chercheurs à l'Université de Lyon 1, sera proposée aux spectateurs avant le spectacle.

Beni Hasanpoursite

Le spectacle dure une heure et demie environ.


Mercredi dernier

Mon métier dans le monde, c’est de le regarder.

Le terrain de sport, c’est un lieu où l’autre, c’est autant que vous-même. A égalité.

Marguerite Duras

 

Corine Miret :

J'ai pratiqué le kick boxing un an durant au club Esprit libre au Blanc Mesnil. C'est un club non mixte, de femmes. Parrallèlement à mes entrainements, j'interviewais les femmes que j'y rencontrais sur leur pratique de la boxe.

Après avoir fait lire les interviews des femmes du club de kickboxing à Stéphane Olry, qui ne les avait – et pour cause – jamais rencontrées, il lui a paru pertinent de centrer l’écriture autour d’une interview spécifique.

Sirine, 29 ans, raconte dans cet entretien sa vie et sa volonté de retrouver le mental qu’elle avait à 19 ans lorsque le monde s’ouvrait à elle et que tout lui semblait possible. Dix ans plus tard, mariée avec trois enfants, elle retrouve soudain, lors d’un cours – celui de mercredi dernier – les mêmes sensations qui furent les siennes lors de sa jeunesse. Elle se sent sortir d’elle-même, objet ravie d’une métamorphose qui, le temps d’une séance de kickboxing, la sublime. Elle entrevoit un au-delà, un autre monde possible à atteindre par le travail du corps, l’entraînement, la sortie de ce que les sportifs appellent la « zone de confort ».

Mercredi dernierest le récit reconstruit, ré-écrit par moi de cette mue, ce possible offert à toutes.

 Neila et Farah Esprit Libre

Le spectacle prend la forme d’Une séance d’initiation à la transformation de soi menée par moi dans des appartements de Seine-Saint-Denis.

Cette séance à laquelle j’invite le cercle des spectateurs à participer dure une cinquantaine de minute.

La séance se déroule dans un appartement que je prend comme il est, pour y disposer les spectateurs. J’installe en quelques minutes le dispositif qui me permet d’animer la séance, c’est à dire un pupitre derrière lequel je me tiens et qui sert aussi à m’éclairer.

Je raconte aux participants ma rencontre avec les femmes de Seine-Saint-Denis. J’expose la nécessité où je me sens de faire connaître les aptitudes aux changements de soi que j’ai perçu chez elles. Je leur propose enfin une prise de conscience de leur corps pendant quelques minutes, que je guide à la voix (comment avez-vous posé vos pieds ? sur quelles parties de votre corps repose votre poids ? etc.).

Ensuite, c’est le cœur de la séance, je lis le récit de Sirine. Le texte est divisé en douze chapitres, entrecoupés d’une antienne chantée : Mercredi dernier, elle y est allée, mercredi dernier c’est arrivé. Je demande aux spectateurs de m'accompagner lors de la dernière chanson. Cette lecture est coupée par mes commentaires improvisés.

Je conclue la séance en proposant aux spectateurs une nouvelle prise de conscience corporelle, pour éveiller les spectateurs à ce qui a pu se passer – ou non – en eux concrètement, physiquement, durant l’écoute du texte. Mes dernières question sont : Avez-vous quitté votre zone de confort ? Êtes-vous disposé à tenter l’expérience de la transformation de vous-même ?DSC08835


Boxing paradise

La raison du plus fort est toujours la meilleure :

Nous l’allons montrer tout à l’heure.

Jean de La Fontaine – Le loup et l’agneau

petitgarcon casquerougepoursite

Stéphane Olry :

Depuis deux ans, je pratique la boxe anglaise au Boxing Beats, club d’Aubervilliers.

Cette pratique de vie est une forme d’écriture. Devenir boxeur est en effet une transformation du corps et du mode de vie, tentative qui serait assez désespérée au vu de mon âge si elle n’avait aussi une visée expérimentale et artistique.

Je photographie et filme régulièrement les entrainements, les compétitions, et la vie quotidienne du club.

J’y anime enfin tous les mercredis un groupe de soutien scolaire suivi par les enfants qui boxent dans le club.

J’accumule ainsi mon matériau d’écriture.

Mon but est de tirer un fil d’écriture entre l’entrée dans la carrière de boxeur, et sa sortie, les enfants et les vieux boxeurs

Boxing Paradise

Dans la fiction que je suis en train d'écrire, la salle de boxe est une métaphore des limbes.

Un ange, gardien de l’au-delà, accueille un boxeur agé à l'orée de la vie et de la mort.  "Je ne voyais pas les choses comme ça", s'étonne le boxeur. L'ange lui répond que le paradis prend la forme de ce qu'on a désiré le plus durant sa vie, conscienment ou non. Dans son cas, c'est un club de boxe. La question qui se pose est  : pourra-t-il ou non rester dans ce paradis? Sera-t-il renvoyé sur Terre? Précipité en enfer ? Sa vie, résumée dans sa courte carrière de boxeur, sera donc examinée pour en décider.

Le spectacle revient donc sur sa découverte de la boxe, et le temps qu'il a passé dans un club de boxe, comme un résumé de toute sa vie.

 Dans la mise en scène de Boxing Paradise, je prends le club de boxe comme décor cinématographique, en créant avec Cécile Saint-Paul (vidéaste) une installation formée d’images tournées dans le club de boxe.

presse Boxing Paradise

Boxing Paradise Herve regarde SafiatoupoursitePresse écrite et audiovisuelle publiée à l'occasion de la création à la MC93 en septembre et octobre 2018


Un reportage de Pascale Sorgues pour le Journal télévisé de France Région 3, à 19h le 2 octobre 2018

 


hottellocritiques de théâtre par véronique hotte Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

https://hottellotheatre.wordpress.com/2018/10/07/boxing-paradise-texte-et-mise-en-scene-de-stephane-olry/ - respond

Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

Stéphane Olry et Corine Miret s’initient aux arts martiaux et aux sports de combat depuis dix ans – la boxe anglaise pour le premier et le Kick Boxing pour la seconde. Boxing Paradise, le dernier spectacle des deux tenants radieux de La Revue Eclair procède de deux années d’immersion au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

Dépaysement urbain et social pour ces artistes qui font œuvre singulière à travers la quête d’un théâtre documentaire, d’autofiction et de réalisation vidéo. Les clubs de sport de la Seine-Saint-Denis, entre le club de lutte des Diables Rouges à Bagnolet pour La Tribu des lutteurset le Boxing Beats à Aubervilliers pour Boxing Paradise, n’ont plus de secrets pour eux, hantés par les sportifs, leurs entraîneurs et coaches.

La passion des concepteurs consiste à pénétrer la connaissance de l’autre, à se pencher – un travail approfondi de réflexion et d’appréciation – sur les sports de combat dans le corps à corps d’une relation, un dialogue éloquent mais non verbal.

La scène significative, physique et mentale, serait la séance d’entraînement de boxe, une succession rythmée d’activités collectives, à la fois sonores et visuelles.

Stéphane Olry et Corine Miret ont assisté de jeunes pugilistes – garçons et filles – qui suivent des séances de soutien scolaire, le mercredi, avant l’entraînement : des collégiens, lycéens, mais aussi des jeunes travailleurs dont la boxe est la vraie vie.

Le club de boxe est un théâtre naturel et cinématographique, et les images vidéo donnent à voir les différentes phases et propositions d’un vif entraînement collectif.

Hervé Falloux, comédien et boxeur, est invité par un ange gardien, Corine Miret, la narratrice présente sur la scène, à attendre la décision qui lui échoit, paradis ou enfer. A la plus grande surprise du candidat, le paradis serait pour lui le club de boxe animé où il s’entraîne depuis trois ans, et l’enfer serait ce club encore, mais déserté.

L’occasion est belle de faire retour sur sa propre vie ; le film auquel le public assiste tout en gardant à proximité le comédien sur le plateau, son ange gardien à ses côtés, présente le sportif courant, sautillant, et tapant punching balls et sacs de frappe.

Un double regard pertinent– belle mise en abyme – puisque le personnage observe lui-même ses compagnons et compagnes d’entraînement, ajustant ses points de vue selon les scènes qui défilent sous ses yeux – le training, la préparation du match, le match, les spectateurs partiaux installés plus haut sur une galerie au-dessus du ring.

La violence – l’agressivité – est profondément ancrée dans toute présence corporelle humaine, et les sports de combat permettent de contrôler et sublimer cette pulsion :

« Nul ne peut prétendre être indemne devant le spectacle de la violence, même réglée sur le ring. Mais nul ne peut prétendre être indifférent : fascination et horreur, répulsion et sidération, plaisir et dégoût, enthousiasme et indignation. »

Ces mouvements agitent le corps social des spectateurs et traversent leur intimité.

Hervé Falloux est à l’image sur l’écran du lointain, et vivant sur la scène. Il raconte la perte paternelle quand il était assez  jeune, mort d’une maladie tue. Aujourd’hui, ses filles l’occupent ; l’une d’elles fait de la boxe, il l’a ainsi suivie dans ce choix. La part féminine de la boxe est évoquée à travers jupe de tulle et sautillements légers.

Nous ne dirons mots de la métamorphose éloquente de l’ange gardien, et nous apprécions la métaphore du Boxing Paradiseici-bas, soit la posture choisie et contrôlée d’un combat à préparer, à mener et à emporter – d’abord, contre soi-même face aux imprévus de la vie et face aux autres, ensuite, dans l’échange et le partage.

Les boxeurs sont des taiseux, tout se passe dans le corps à corps, les yeux dans les yeux ; chacun se retire, abandonne le partenaire, prend un chemin autre, fort de soi.

Hervé Falloux apporte une présence authentique, à la fois humble et vigoureuse, tandis que la digne maîtresse des lieux et ange gardienne articule sa démonstration.

Un spectacle captivant dont les enjeux raffinés touchent à la qualité de l’existence.

Véronique Hotte

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, du 28 septembre au 7 octobre. Théâtre de la Poudrerie Sevran, le monologue Mercredi dernierde Corine Miret, du 12 au 14 octobre 2018, inspiré par les interviews des femmes avec qui elle a pratiqué le Kick Boxing pendant un an au Blanc-Mesnil.


Toute la Culture - Boxing Paradise, le dernier combat de Stéphane Olry & Corine Miret

3 octobre 2018 par Amelie Blaustein Niddam

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Deux metteurs en scène fous d’arts martiaux se prêtent au jeu du symbolique dans la salle Christian Bourgeois de la MC93.

C’est à une forme de théâtre documentaire très singulière que nous invitent, à l’écriture de ce Boxing Paradise, Stéphane Olry & Corine Miret, et, sur le ring,  Hervé Falloux et Corine Miret. La Revue Eclair est une compagnie très particulière qui fait du document une matière théâtrale sans premier degré.

Dans un huis-clos, l’homme attend des résultats. Mais les résultats de quel examen? La réponse arrive vite : son Paradis est un club de boxe. Car elle, et on l’apprend vite également est son ange gardien ! On y croit pas une seconde, elle planque un truc, et on ne vous dira pas quoi ! Son ton de voix, maternel et perché sonne faux. Elle va l’arnaquer, se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Il le saura bien plus tard, tout à la fin des 1H30 de la pièce, après avoir revécu sa vie de boxeur.

La compagnie explore depuis trois ans les clubs de sports de combat en Seine-Saint-Denis. La lutte et le Kick Boxing et, aujourd’hui la boxe. Sur des écrans de fortune, composés de toiles en plastique vertes sont projetées les impressionnantes images des entraînements au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

La rage des boxeurs, garçons et filles, tapant sur des sacs comme sur les autres selon des règles précises est en miroir opposé avec le jeu, ultra lent et calme qui pourtant nous parle d’un combat bien plus extrême.

Un exercice de style qui sait prendre de l’ampleur dans la progression de la pièce, au moment où les mondes fusionnent par l’irruption d’un drôle de boxeur, inerte celui-ci.



Un article de Jean-Pierre Thibaudat en page d’accueil de Médiapart :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/300918/corine-miret-et-stephane-olry-au-paradis-des-boxeurs

 Corine Miret et Stéphane Olry au paradis des boxeurs

Depuis trois ans, Corine Miret et Stéphane Olry fréquentent les clubs de lutte et de boxe de la Seine-Saint-Denis. Dernier volet de leur trilogie, « Boxing paradise », par le biais d’une fiction, nous entraîne au Boxing beat d’Aubervilliers.

Elle était danseuse, un accident a mis en sommeil sa carrière, elle est devenue comédienne. Il écrivait et jouait des spectacles depuis l’âge de dix-huit ans, dans les années 90 il s’est tourné vers la vidéo. Corine Miret et Stéphane Olry se rencontrent alors, et leur trajectoire prend un autre tour.

Kick boxing et boxe anglaise

Ensemble, ils tournent des cartes postales vidéo en Europe et dans le Moyen Orient, fondent la Revue éclair qui n’est pas une revue mais une compagnie, et bientôt ils mènent à bien, main dans la main, des spectacles qui ne ressemblent à rien de répertorié. Par exemple : Nous avons fait un bon voyage,un spectacle fait à partir de cartes postales trouvées ; La Chambre noire à partir d’archives familiales du grand-père d’Olry (officier de cavalerie) ; Treize semaines de vertu à partir d’un chapitre des mémoires de Benjamin Franklin ; Un voyage d’hiver à partir du séjour de Miret dans un village d’Artois où elle se coupe du reste du monde ; Les Arpenteurs, spectacle à épisodes où Olry et Miret entraînent des amis le long du méridien de Paris entre Dunkerque et Barcelone (lire ici) ; Une mariée à Dijon, spectacle éponyme du livre de MKF Fisher autour de la nourriture et de la cuisine (lire ici) ; Tu publieras aussi Henriette à partir d’un amour de Casanova (lire ici). Ils ont un sujet unique : l’aventure humaine, vaste sujet dont ils ne feront jamais le tour. 

Depuis trois ans, ils fréquentent des clubs sportifs du 93 (une action au long cours soutenue par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis). Les lutteurs des Diables rouges, un club de Bagnolet, est à l’origine de La Tribu des lutteurs (lire ici) présenté au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Corine Miret a pratiqué le kick boxing durant un an dans un club de femmes du Blanc-Mesnil ; de là est né Mercredi dernier, un monologue inspiré par les interviews avec des femmes pratiquant ce sport. Il a été présenté au Théâtre de la poudrerie de Sevran et dans des appartements de Seine-Saint-Denis. Enfin, ils viennent de créer Boxing paradise à la MC93, suite à deux ans d’immersion et de pratique pugilistique au Boxing beat d’Aubervilliers, club mixte. Stéphane Olry, tout en suivant les entraînements et en pratiquant la boxe, a filmé la vie du club et les compétitions. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du sociologue Loïc Wacquant resté en immersion durant trois ans dans un club de Chicago (cf. son ouvrage Corps et Ame, carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, éditions Agone). C’est au Boxing beat d’Aubervilliers qu’a été formée Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent aux JO de Rio en 2016.

A partir de ce matériau et de l’expérience d’entraînement qu’il y a menée à un âge respectable, Stéphane Olry a écrit une fiction. Ce que l’on ne voit pas dans Boxing paradise et qu’il n’a pas filmé, c’est le travail mené tous les mercredis pendant deux ans. En complicité avec l’entraîneur du club, Saïd Bennajem, Olry, Miret et des boxeurs bénévoles du club ont donné des cours de soutien scolaire aux jeunes venant suivre les cours de boxe éducative. A cela s’ajoute une enquête entamée il y a un an auprès de tous les jeunes qu’ils ont rencontrés dans les clubs sportifs de Seine-Sait-Denis « sur la violence, ou plutôt sur ce qu’ils ressentent comme violent ». Comment leur pratique sportive (lutte, boxe) « modifie leur regard sur la violence ordinaire, qu’elle soit verbale, institutionnelle, sociale, sexiste, raciste ».

L’attention pour autrui

Tout cela sous-tend et traverse en loucedé Boxing paradise. La fiction, plutôt classique, fait un peu penser à Huis-clos de Sartre : le héros (interprété par Hervé Falloux, vieux complice de la Revue Eclair) qui a un âge semblable à celui de Stéphane Olry, arrive au Paradis. Il est accueilli par l’ange-gardien (Corine Miret) qui doit s’occuper de lui et connaît tout de sa vie. L’ange lui explique qu’au paradis on vit dans le lieu où l’on a voulu vivre toute sa vie et ce lieu, pour ce qui le concerne, c’est une salle d’entraînement de boxe, le héros regrettant de s’être adonné à ce sport sur le tard. La ficelle est un peu grosse mais elle s’affinera au fil des échanges, particulièrement lorsqu’on apprendra le mal contre lequel le personnage a lutté avant d’être vaincu : le cancer. « Le spectacle se tient au bord du ring et de la vie », écrit Stéphane Olry.

Les deux acteurs sont sur le plateau et derrière eux plusieurs écrans nous montrent la vie du club de boxe. L’entraînement, les rings, un match acharné entre deux jeunes boxeuses amateurs. L’acteur figure sur les images de temps en temps. Tenant le rôle de Stéphane Olry, on le voit essayer maladroitement de sauter à la corde. Petit à petit, des accessoires de boxe viennent occuper le plateau. Mais le vrai entraînement filmé et plus encore le combat lors d’une compétition écrasent de leurs uppercuts le semblant du plateau contrairement à ce qui se passait dans La Tribu des lutteurs où l’entraînement mené sur la scène par les lutteurs était la colonne vertébrale du spectacle.

De ces trois années d’expérience, Stéphane Olry et Corine Miret ont tiré différents postulats où scène et ring font la paire. Par exemple : « Il est peu d’instants où on prend autant en considération autrui que durant un combat. Le mépris pour son adversaire ou son partenaire est immédiatement sanctionné. Cette extrême attention pour autrui qui est le moteur de nos créations théâtrales motive pour l’essentiel notre curiosité pour la pratique des sports de combat. » Ou encore : « Tout combat est décisif. En ce sens, le boxeur montant sur le ring a beaucoup à voir avec le comédien se produisant sur scène. L’un comme l’autre entrent alors dans une zone de vérité. »

Boxing paradise, MC93, mar et jeu 19h30, mer 14h30 et 19h30, ven 20h30, sam 18h30, dim 15h30, jusqu’au 7 octobre.

Mercredi dernier, reprise au théâtre de la Poudrerie de Sevran, du 12 au 14 octobre.


Jacquette de Bussac – Limbes-écrits

http://limbesecrits.over-blog.com/2018/10/de-la-boxe-comme-danse-et-inversement.html

 De la boxe comme danse et inversement

Publié le 7 octobre 2018

Dans nos batailles au quotidien, on se bat pour la survie, on se bat surtout et bien souvent, contre /avec soi-même.

En regardant, écoutant le spectacle « Boxing paradise » proposé par La Revue Éclair, je me dis bien sûr ! La boxe et la danse, se taire, s’épuiser, suivre aveuglément un coach, un maître à danser, s’entraîner sans cesse, au point que le club, le studio devient une deuxième maison, une deuxième famille, se droguer aux endomorphines, être seul(e) face à...soi-même, sa peur, sa faiblesse, son désir d’exister, d’être vu, c’est ça…

Cette écoute quasi maniaque du corps, de ses sensations,de son énergie, se peser avant après matin et soir, maîtriser la force, le poids, la fatigue, la douleur...Beaucoup de ces obsessions me rappellent la pratique de la danse. Les boxeurs sont des taiseux semble t il, ils parlent avec leur silence, leurs gestes, leurs corps, comme souvent les danseurs. Longtemps je me suis tue, la muette, l’autiste, tout bien fermé à l’intérieur, ça vous décuple la force physique.

La violence n’est pas dans les corps, ce spectacle très documenté nous le montre bien ; la vraie violence est sociale, on la subit tous les jours dans notre belle société démocratique, pas besoin de discours sociologique en regardant les vidéos filmées durant les séances d’entraînement du club, en voyant ces jeunes filles et jeunes hommes d’Aubervilliers se plier à la discipline du coach, rentrer la tête et protéger son menton, sautiller, trottiner, feinter, esquiver, suer, souffler, recommencer. Et la légèreté ? Oui il y a cette grâce du boxeur dansant, toujours en mouvement, qui échappe, se dérobe, jamais immobile ou c’est la fin du round !

Un beau moment de théâtre, qui m’a laissée un peu sonnée j’avoue, quand soudain la maladie s’invite sur scène, dernier combat à mener, métaphore ultime du désir de vivre, qui clôt ce moment de vérité sur scène.

Boxing paradise texte et mise en scène Stéphane Olry

avec Corine Miret et Hérvé Falloux

MC93 Bobigny

Reading the Fights, the best writing about the most controversial sport, 1988.

Reading the FightsPar Joyce Carol Oates, A.J. Lieling, Norman Mailer, Bill Barich, Gay Talese, Pete Hamill, George Plimpton, Edité par J.C Oates et D. Halphern, Prentice Hall Press.

Comment se fait-il que des êtres rationnels, intelligents et sensibles non seulement supportent mais prennent du plaisir à regarder, et vont jusqu’à adorer, un sport que tant de détracteurs considèrent au mieux dégradant et au pire barbare ? Les croisements des textes agencés par J.C Oates et D. Halphern produisent l’effet d’une conversation à plusieurs voix qui explore les raisons à la fois de l’attraction et de la répulsion que suscite la Boxe.

C’est un recueil d’essais très pertinents et très différents, qui vont de l’examen des réactions diverses que provoque la Boxe chez ses détracteurs sévères comme chez ses fans, aux récits d’événements marquants de son Histoire, en passant par quelques beaux portraits de boxeurs. L’ensemble donne ainsi un large aperçu panoramique des questions soulevées par ce sport.

Le dernier essai est la première version de l'essai « De la Boxe », de J.C. Oates (qui a été republié en français en 2012, voir la note qui lui est consacrée)

On a traduit quelques textes ici :

Lire les combats-Ronald Levao

Distance et étreinte-Daniel Halpern

Violence, violence-Ted Hoagland 

Rencontre sur le parking

Les deux gamins se tenaient devant le parking à vélo. En me voyant attacher ma bicyclette, ils s’approchent.

-      Hé M’sieur, vous allez où, m’sieur ? 

-      Je vais au Boxing beats

-      Vous allez faire des photos ?

-      Non. Je vais au cours de boxe.

-      Mais vous êtes vieux pour faire de la boxe !

-      Tu as quel âge, toi ?

-      J’ai douze ans, m’sieur. Je suis en cinquième. Le petit, il a onze ans. Il est en sixième.

-      Vous faites quoi ici ?

-      On s’est inscrit à la boxe, m’sieur. On va venir le mercredi.

-      Vous avez fait de la boxe déjà ?

-      Non, c’est la première fois.

-      Ça vous fait peur ?

-      Ben on sait pas. C’est de la boxe éducative ils nous ont dit.

-      C’est quoi qui vous fait peur ?

-      On est petit encore. On va peut être recevoir des coups par des plus grands.

-      Tu apprendras à en donner aussi. Et puis à parer. Tu verras, c’est rigolo.

-      Ah, ouais, on va venir mercredi. À bientôt, m’sieur.

Mon problème pour le moment, c’est les crochets. Quand Sébastien ou un autre tente un crochet, il arrive toujours à son but.

Je sais parer les crochets en taï-chi. Je rentre dans la garde et accompagne le mouvement circulaire.

En boxe je ne vois pas. Je ne vois même pas vraiment arriver le coup. Alors je reçois pleins de coups sur les tempes.

Repérages au Boxing Beats 2014 - 2015

Gala du Boxing Beats d’Aubervilliers


Vendredi 25 avril 2014 : Gala du Boxing Beats à l'espace Fraternité d'Aubervillers

affiche gala boxingbeatspoursite

C'est le premier gala de boxe auquel nous assistons. C'est dans un Magic Miror, pas loin du canal de Saint Denis. Comme dans un cabaret nous sommes assis dans des loges où on nous apporte à manger.

À notre table : Agnès Muller (du service sport du Conseil Général du 93, Sylvère Chamoin (chef de service achat au consortium Stade de France), Hassen (prépare Roland-Garros catégorie plus de 50 ans), Véronique Aubert est passée (chargée de communication au théâtre d’Aubervilliers), Bourette (qui fait les costume de la Revue Éclair), Stéphane et moi.

Nous rencontrons : Martial Byl (directeur de la jeunesse et des sports d’Aubervilliers), Said Bennajem(directeur du Boxing Beats)

Entre les séries de combat, nous assistons à un défilés de mode entre les tables,  une démonstration de danses berbère accompagnée par un fanfare marocaine,

À la fin, une chanteuse lyrique chante sur le ring tandis que la salle se vide. Nous sommes une demi-douzaine à nous rapprocher pour l'écouter.

Nous avons assisté à 13 combats (cadets, juniors, seniors et différentes catégories de poids, 10 hommes et 3 femmes).

Pour lors d'un des derniers combats de la soirée, Sarah Ourahmoune, la médaillée olympique remonte sur le ring pour la première fois depuis son arécent accouchement. Plus tard, elle vient saluer notre table, son minuscule bébé dans les bras.


Mardi 20 mai 2014 : Entrainement au Boxing Beats d’Aubervilliers

Par le poing naît l’espoir, par l’espoir naît l’histoire : la devise du club est tagée sur un mur de la salle d'entraînement.

De 18h30 à 20h30 : entrainement des compétiteurs par Sounil Louazani

Nous discutons  avec un autre entraineur : Hamed Herkati en regardant l'entrainement. Il dit avoir fait tous les sports de combat, et que seule la boxe donne cette excitation.

Les compétiteurs s’entrainent tous les jours. Deux filles sont  là (l'une est Juliette de Swarte). Environ 15 garçons s'entraienent aussi. Il faut dix ans pour former un bon boxeur dit Ahmed.

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Je regarde un  jeune junior s’entraîne avec les seniors.

Le cours commence par des courses autour du ring pour l'échauffement. Puis les boxeurs répètent des enchaînements de coups.  Ensuite, une série d'assauts. Et enfin, pompes, gainage, étirements

Une sono joue de la  salsa en permanence.  La sonnerie de la minuterie rythme le cours.


Vendredi 13 juin  : Entrainement Boxe au Boxing Beats d’Aubervilliers

(Par le poing, naît l’espoir, par l’espoir naît l’histoire)

Nous assistons d'abord au cours de boxe éducative des enfants (11 à 15 ans). Il est donné  par Deva Raymond

Nous rencontrons  la présidente, Natacha Lapeyroux qui boxe depuis 2 ans dans ce club et est présidente depuis 1 an. Elle anime par ailleurs un trés intéressant blog sur la boxe féminine. Elle écrit une thèse sur la présentation des femmes dans le sport à la télévision.

La minuterie commence à sonner :  quelques échauffements, des enchaînements de coups (2 direct avant, 1 direct arrière, crochet avant)

« la boxe c’est comme les échecs, c’est de la stratégie », « tu dois pas avoir peur des coups »dit Deva.

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Au début on s'entraine sans gants. Quand on est échauffé, on met les gants et on passe sur le ring.

À la fin ducours Deva propose un parcours dans la salle  : on enchaîne des coups contre trois poteaux,  puis face à l’entraîneur, et enfin sur les sacs.

Les trois garçons pratiquent depuis 1 ou 2 ans. Ils viennent trois fois par semaine. Ils se présentent aux compétitions

Deva les accompagne alors. (le dimanche, la pesée est à 8h et ça finit souvent à 19h)

Deva a arrêté la boxe en 2000. On perd des neuronesdit-il. A son époque,  tout le monde s’entraînait ensemble quelque soit son  niveaux.

L'entraînement des compétiteurs commence à partir de 17h30

C'est Saidqui le dirige.

Sont présents quatre garçons, et deux  filles (Julietteet Natacha).

D'abord, un parcours de renforcement musculaire et cardio : abdos, pompes, pas chassés avec un qui guide et l’autre qui suit, lancers ballons, faire tourner cercle de fonte, élastique aux bras etc

Puis les assauts. La boxe corps à corps me fait penser à la danse

Un miroir est installé comme dans un cours de danse. Il sert pour faire du Shadow boxing, boxer contre son ombre.


Jeudi 15 janvier 2015 : Entrainement au Boxing beats

Entraînement des compétiteurs de 18h30 à 20h30.

Les compétiteurs s’entraînent pour les élimininatoires pour les sélection au 1/8è de finale des championnats de France.  La compétition aura lieu dimanche prochain  à Argenteuil et le week-end  prochain dans un lieu à préciser, (à Saint-Ouen  peut-être?).

Le photographe du journal d’Aubervilliers (Ounil) est là.

Nous regardons les filles s’entraîner par séries de quatre rounds :

-Mayli Nicar contre Yacine

boxeuseSounil pour site

-Juliette de Swarte (Championne de France 2013 en pré-combat sénior) contre Sydney

-Fatima el Kabous (Championne de France 2006 et 2007 en boxe éducative) contre Christelle pendant 2 rounds puis contre Stelly Fergé (Championne de France 2009 boxe éducative) pendant 2 rounds

-Christelle contre Stelly Fergé pendant 2 rounds

Puis Sounil coache un garçon tandis que Sait coache Julien Frégé

Les deux entraineurs ont les pattes d’ours et font faire des enchaînements de coups répétés

Ceux qui ne sont pas sur le ring sautent à la corde, boxent sur les sacs, font des abdos, répètent des enchaînements de coups.

On entend  le bruit métronomique de la corde à sauter, les sonneries de la pendule, les coups sur les sacs, les coups sur l’adversaire, les instructions de l’entraîneur (varie le rythme ! c’est toi qui impose ton rythme, pas l’adversaire ! la boxe c’est trois coups ! ne recule pas ! boxe ! les arbitres seront favorables à celui qui prend l’initiative ! ne lâche pas !)

julien saute cordepoursite

Le boxeur Julien Frégé est comédien. Je l'avais croisé à La Métive en juillet 2010 lorsque je faisais la logistique de Jean-Christophe qui marchait le long du méridien de Paris.


Championnats pré-nationaux de boxe anglaise au Complexe Sportif Jean Jaurés à Argenteuil

J'y vais le samedi après-midi.

J'arrive à 15h, et redépartirai à 17h.

L'entrée coûte cinq  euros.

Le caissier me pose un tampon invisible sur la main que le vigile à l’entrée éclaire avec une lampe qui le fait apparaître.

Deux salles : une salle avec deux rings où on lieu les combats. Dans la seconde  salle les boxeurs s’échauffent, attendent, laissent leurs affaires.

C'est là que sont affichés les tableaux de passage

.tableau des passages pre nationaux 17 janvierpoursite

Une buvette avec des gâteaux fait maison par les membres du club d’Argenteuil.

La salle est petite, il y a deux rangées de chaises qui font face aux deux rings.

Je vois 8 combats sur le ring B. Les combats sont en 3 rounds de 3 minutes. Les combats sont gagnés soit par abandon de l’un des combattants, soit par décision (unanime ou non) des juges. Le speaker annonce les noms des combattants, le club d’où ils viennent, la catégorie de poids, le directeur de combat. Il annonce le nom du vainqueur à la fin.

À chaque fin de pause il dit : « Soigneurs dehors !» (au début j’entendais : "Soigneurs d’Or ! ")

Je regarde combattre Claude Parizy (Enzo). Je  le reverrai la semaine d’après à L’Ile Saint-Denis, sa mère exécute une véritable danse autour du ring quand il boxe. Les coups sont impressionnants.

Je regarde  Julien Frégé du Boxing Beats contre Dylan Coquillat du Ring Giennois. Catégorie moins de 60kg. Julien gagne par décision des juges. Il s’en prend quand même plein la tronche ! en règle générale, ils se prennent pas mal de coup. Mayli Nicar l’encourage pendant tout le mach : « allez Julien !» Elle a une voix incroyable.

Julien Frege avant lannonce de sa victoire 17 janvier 15recadreepoursite

Je quitte avant le combat de Lounis Maouchi (qui gagnera). Ils combattront à nouveau le lendemain : Julien perdra et Lounis gagnera


Samedi 24 et dimanche 25 janvier 2015. Championnats de boxe complexe sportif de l’Ile de Vannes sur l’Ile Saint-Denis

Samedi :

Sébastien y va samedi et dimanche, Stéphane passe le samedi, et moi aussi de 17h à 20h30.

Immense salle d’architecture pure style 70 flamboyant. Les deux rings paraissent paumés dans le lieu. La salle est glacée.

Je croise deux jeunes filles sur la route pour venir, dont une fait de la boxe française dans la banlieue sud. Elles viennent « pour voir ».

Les vigiles sont débordés et finissent par laisser les spectateurs quitter les gradins pour s'agglomérer autour des rings, comme l'impose désormais le plan Vigipirate.

J’arrive pour le combat de Lounis Maouchi (catégorie 69kg), qui boxe bien. Pourtant, les juges donnent son adversaire vainqueur. Said est dépité, Sounil énervé. Personne ne comprend. D’autres combats auront lieu dans l’après-midi qui donneront lieu à des contestations des décisions arbitrales. Un entraineur crie aux juges  : « Vous dégoûtez les jeunes de la boxe ! » Un homme trouve qu’il vaut mieux faire du MMA (parce que la triche est moins possible).

Clément Oppenot du BB (catégorie 91 kg) gagne. (alors que je pensais qu’il ne gagnerait pas) Il n’était pas vraiment dedans. Sounil l’engueulait. Je revois Enzo dont la mère danse autour du ring, tape du pied comme dans un flamenco.

Deux boxeuses ile st denispoursite

Pour les filles :

Je vois les combats de :

Juliette de Swarte du BB(catégorie 48 kg) contre Sabah Ghades. Juliette perd.

Sabah se fait engueuler par son entraineur : « Tu veux pas le gagner ce combat ?, alors pourquoi tu montes sur le ring ? », « tu dors, là, tu dors ? », « réveille-toi ! »

Fatima el Kabouss du BB (catégorie 54 kg) contre Ludivine Lasnier.

Fatima gagne. L’entraineur de Ludivine est furieux, il la fait descendre du ring avant la décision des juges. Said la convaint de remonter sur le ring pour l’annonce de la décision. Le mari de Fatima est là avec leur bébé.

Stelly Fergé du BB (catégorie 57 kg) contre Julie le Galliard. Stelly n’est pas dedans. Sounil est fou : il l’engueule pour lui donner la pêche. Elle recule. J'ai l'impression  que son adversaire a sa mère et son grand-père pour entraineurs.

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Je note les instructions des coaches : « ça fait pas mal les coups ! », « ta garde ! », « monte tes mains ! », « lève ta garde ! », « avance !, « gauche, droite, gauche ! », « trois coups ! », « c’est maintenant ! », « à distance ! », « continue comme ça ! », « tu gagnes avec ton direct, Jeremy ! », « gauche, crochet gauche ! », « t’as que ça à faire j’te dis ! », « garde ta distance ! », « travaille en ligne ! », « bouge, bouge ! », « passe ton bras arrière ! », « avance, avance ! », « en bas, en haut ! », « monte ta garde ! », « vas-y, travaille ! », « impose ta boxe ! », « impose ton style ! », « ton crochet, met-lui ! », « la première, fais mal la première ! », « la laisse pas t’accrocher ! », « attend qu’elle arrive ! », « fais-là reculer ! », « tout de suite, tout de suite ! »,« travaille, travaille, travaille ! »

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Je croise Natacha (la présidente du BB qui arrive juste après le combat de Sounil), les trois entraineurs (Said, Sounil et Hamed), les autres combattants du BB. Un homme qui anime le club photo tous les mardis au BB (David Molina). (l’autre animateur du club photo est Walter, un allemand, buraliste et photographe amateur passionné de sport/ info donnée par Agnès Muller) Un vieux monsieur voûté, l’Équipe sous le bras, avec un beau sourire,qui suit tous les combats et connaît tous les boxeurs du BB. Il me dit qu’il suit le BB ?

Je quitte le lieu après être allée aux toilettes : pas chauffées, sans papier… les sportifs sont dans des conditions assez terribles !)

Dimanche 25 janvier 2015 :

Je vois un nouveau combat de Lounis Maouchi, qu’il remporte haut-la-main.

Fatima el Kabouss perd son combat, alors qu’il me semble qu’elle a dominé le match. La décision est contestée par les entraîneurs. Pendant le combat une arbitre se tourne vers mon coin et demande aux supporters « surveillez votre langage  !». c’est vrai que plus le match avance plus on peut entendre fuser des cris :  « détruis-la ! », « tu la défonces ! »  mais aussi « je t’aime ! »

juges ile st denispoursite

Clément Oppenot du BB gagne aussi. Etonnamment (il n’a pas l’air vraiment concentré, ou d’avoir trop peur, mais il tape fort). Je regarde Fatima au bord du ring,   son visage est bien marqué.

Deux combats sont arrêtés pour blessure (arcade ouverte). Plus tard un entraîneur viendra se plaindre aux juges de ne pas faire assez attention aux boxeurs : s’ils sont blessés ils ne pourront pas combattre la semaine suivante.

Pendant tout leweek-end, j’ai l’impression de croiser une majorité de visages aux nez cassés. Des générations de boxeurs. Des plus jeunes aux plus vieux. Les femmes aussi.

Pendant un autre combat où un boxeur est blessé (alors qu’il vient de remporter les 2 premiers rounds) j’entends les supporters lui crier de monter sa garde et de protéger sa blessure. S’il saigne le combat risque d’être arrêté alors qu’il gagne aux points.

Je suis effrayé par un autre combat où je vois l’un des boxeurs prendre plusieurs coups à la tête. Visiblement groggy, n’arrivant plus à se protéger, il continue à encaisser des coups. Finalement, ’arbitre arrête le combat , ce qu'il aurait du faire beaucoup plus tôt. J’e pose la question à des spectateurs autour de moi (genre anciens boxeurs). Pourquoi l’arrêt est arrivé si tard? J' ai l’impression qu’ils ne comprennent pas ma question, Ils n’ont apparemment  vu qu’un combat normal, ce qui compte c’est que la décision  soit incontestable. Or, elle l'est. Je me sens seul avec mon malaise.

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A la sortie, je me retrouve au beau milieu d’une conversation. J’écoute un homme qui a l’air d’être un entraîneur, parler des « jeunes » arrogants qui se croient sur youtube. « Les jeunes qui sont comme ça, sans garde, les mains en bas et qui te regardent, (il montre) ils te narguent, ils se la jouent, et ils le font bien en plus, t’y croirais, comme ils l’ont vu sur youtube, ils croient que c’est de la boxe, mais ils n’ont rien compris. Unjour ils tombent forcément sur quelqu’un qui sait boxer et alors là ça se passe mal. Dans ma salle, quand un nouveau arrive, je ne lui fais travailler que la garde et les directs pendant deux ans."


Mardi 17 février 2015 : Entraînement au Boxing beats

Nous arrivons vers 18h. Pas grand monde. Sounil est là qui s’entraîne.

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Nous montons  voir Said qui nous accueille radieux. Les filles ont gagné plein de médailles aux Championnats de France à Pontarlier le WE d’avant.Il nous montre l’article du parisien avec la photo de Mayli Nicar, sacré championne de France amateur dans la catégorie 69kg au terme de son sixième combat de boxe anglaise. Mayli est arrivée pour s’entraîner en juin dernier. Elle fait ses études de kiné à Bruxelles, a fait de la boxe thaï et son cousin lui a dit d’aller s’entraîner au Boxing Beats. Elle a c onfiance en Said. Il y a une bonne ambiance au club cette année, émulation et entraide entre les filles.

Sarah Ourahmoune a gagné son neuvième titre dans la catégorie 51kg et Stelly Fergé a perdu en finale dans la catégorie 57kg.

Il nous parle de Christelle Barbot qui vient de Lille et fait le voyage tous les soirs d'entrainement jusqu'à Aubervilliers.

Said est arrivé à ce qu’il voulait depuis 10 ans.Il veut faire maintenant avec les hommes ce qu’ils sont arrivés à faire avec les femmes.

sebastine ecoutepoursite

Said est en train d’organiser les deux galas du Boxing Beats qui auront lieu les 13 mars et 4 avril prochains à l’Espace Fraternité. Il cherche des adversaires pour les filles . Pour l’instant il a 12 combats de prévu. Ils ne feront pas de dîner comme l’année dernière (trop compliqué à organiser)

Certains boxeurs du BB ont des emplois négociés avec des entreprises, la RATP par exemple. Mais personne ne gagne vraiment sa vie en boxant en France actuellement. La différence entre les boxeurs amateurs, c'est qu'ils font beaucoup de combats presque pas dotés. Alors que les  boxeurs professionnels en font moins moins de combat, un peu doté. Mais les gains de la boxe leur donne juste de l'argent de poche, pas de gagner leur vie. Said a été quinze ans boxeur professionnel.

corine ecoutepoursite

Il se pose la question d’organiser les demi-finales et finales des championnats de France l’année prochaine à Aubervilliers. La fédération vend au club pour 12.000 euros le droit d'organiser les deux jours de compétition.  Le club pour demander  des aides de la région et du CG pour payer l'organisation. En 2005, un club devait organiser la finale, s’est désisté au dernier moment, la fédération a appelé Said une semaine avant : « On est dans la merde ». Said leur a dit qu’il n’avait pas d’argent. La fédération lui a dit : "Tu peux mettre combien ?" Said a répondu : "1500 euros pas plus". Ils lui ont laissé le championnat pour 1500€. L’intérêt d’organiser c’est de faire connaitre les boxeurs du club.

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Il parle des démêlés avec la fédération : le prix des licences en loisir (54 euros). Maintenant il peut affilier à une autre fédération qui coûte 25 euros par licence. La FFbBoxe a fait voulu faire un procès au club lorsqu'il a commencé à afflier les boxeurs de Boxing Beats à cette fédération-là. 

En général, il regrette la déconnection des dirigeants de la FFBoxe avec le terrain. Par exemple, Said a proposé à la fédération le programme de boxe éducative dans les écoles primaires. La fédération n’en a pas voulu. Lui,  l’a mis en place sur Aubervilliers. Dans toutes les écoles à partir de 9 ans. Chaque enfant, joue, arbitre, organise. Il y a un grand tournoi à la fin de l’année. C’est mixte. Les filles arbitrent les garçons et inversement. Ensuite, la fédération a voulu récupérer le truc : Said a refusé.

La fédération ne forme pas assez de jeunes arbitres à son sens.

Said a plein d’idées pour la suite : Une grand journée d’éducation à la boxe sportive en plein air sur un stade par exemple.

Je rencontre ensuite David Molina, photographe qui anime l’atelier photo/vidéo/journalisme. Je lui parle du Cercle .

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Nous descendons enfin voir l’entraînement


Gala du Boxing Beats d’Aubervilliers

 Nous voilà de retour, un an plus tard, au Gala du Boxing Beats dans le Magic Mirror d'Aubervilliers.

À présent, nous pouvons mettre des noms sur les visages des boxeurs sur l'affiche.

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Sébastien et Corine

À notre table, nous retrouvons Agnès Muller du service sport de la seine Saint denis, que nous retrouvons régulièremen avec plaisir tors de notre exploration des clubs de sports de combats dans le 93, Pascal Mathieu (son chef), Patrick Chevallier qui veut faire un Webdocumentaire sur la place des femmes dans le sport

Nous rencontrons  Martial Byl (directeur de la jeunesse et des sports d’Aubervilliers) qui vient parler affaires avec Pascal Mathieu. Le sujet qui occupe tout le monde est la candidature de Paris aux jeux Olympiques. Le ring tout neuf a été payé par le CG qui sera remercié plusieurs fois dans la soirée ainsi que les autres partenaires publiques (ville, région) ou privé.

L'an prochain, nous ne retournerons pas au Magic Mirror car la mairie d’Aubervilliers va arrêter de louer ce chapiteau qui sera démonté fin juin. Ça coûte 150.000 euros par an. Les manifestations se feront désormais à l’Embarcadère (le conservatoire en face de La Commune)

Mélanie et Juliette du Boxing Beats font match nul.

Mayli, Enrike  gagnent leur match.

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Durant l'entracte des chorégraphies contemporaines de Indans’cité sont présnetées. Que des filles.  Ça me rappelle les galas des chamois de Pithiviers, le club de danse où j'ai commencé la danse. Mais dans ce gala de boxe, les spectateurs ne sont pas venus voir de la danse contemporaine ! Je les trouve courageuses de monter sur le ring pour danser... Elles dansent bien.

Fatima , ainsi que Julien gagnent.

Lahsen perd.

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Retenir ses coups

Durant les séances de boxe libre, Frankie nous demande avant tout de produire de la belle boxe, de nous protéger, et d’utiliser le répertoire travaillé durant les séquences techniques. Une politesse implicite réclame que les coups soient retenus. On n’est pas supposé se balancer des parpaings, comme on dit, surtout lors d’une rencontre inégale : un débutant contre un avancé, un homme plus lourd contre une femme, un vieux contre un jeune.
Donc, nos échanges de coups sont basés sur l’idéal d’un échange égal entre deux protagonistes. Évidemment, des discussions s’élèvent constamment entre boxeurs sur l’évaluation de la puissance des coups portés à leur adversaire. La discussion peut avoir lieu avant de cogner : « Si tu tapes lourd, je taperai lourd» avait prévenu Audrey quand Sébastien lui avait proposé de boxer avec elle. Mais à la fin de l’échange, c’est plutôt Sébastien qui trouvait qu’Audrey tapait fort. Ce qui ne n’empêchait pas Audrey de protester quand il lui semblait que son adversaire du jour tapait trop fort ; alors qu’il semblait à Sébastien n’avoir haussé sa puissance qu’au niveau de ce qui lui était asséné..
Ça me paraît assez difficile de doser mes coups. Évidemment, je sais quand j’ai vraiment tapé fort ou méchamment. Mais il me semble que seuls les boxeurs expérimentés savent réellement donner une juste mesure à leurs coups. Pour ma part, quand je me confronte à Sébastien, je n’ai que très rarement le sentiment de l’avoir vraiment touché, et je suis convaincu en tout état de cause d’avoir retenu mes coups. Mais lui se plaint des ecchymoses que j’ai laissées sur ses côtes. Durant l’échange, il ne marque ni douleur, ni surprise devant mes coups quand bien même je suis en train de lui bourrer les côtes de coups de poings. Le jeu exige en effet de ne jamais laisser voir à son adversaire qu’on a été affecté par ses coups, ni qu’on est fatigué. Mais du coup comment puis-je savoir si je lui ai ou non fait mal?
Dans la vie, je suis souvent étonné d’être parvenu à faire mal. Autant physiquement que moralement. Corine, avant que nous nous séparions, prétendait que je pouvais avoir parfois des regards, des silences, des interjections qui étaient pour elle comme autant de coups de poignard. Face à cette méchanceté qu’elle m’imputait, je demeurais étonné et stupide.
La compassion n’est pas une vertu réclamée des boxeurs. Au contraire même. Pourtant Marcel Cerdan qui avait mis KO Gustave Humery en un combat de vingt-deux secondes était resté désespéré au chevet de son adversaire plongé plusieurs heures dans le coma. Depuis lors, il vomissait avant ses matches, terrorisé à l’idée non d’être blessé, mais de blesser ou d’estropier son adversaire.
Marcel Cerdan comme tous les boxeurs circonvenait le temps et le lieu de la violence au temps du combat sur le ring.
Lorsqu’on s’affranchit, même par jeu, à cette compartimentation, on s’expose à des malentendus. Ils peuvent être très ridicules comme celui auquel je me suis exposé récemment.
L’autre soir, je montre à Camille le nouveau casque que je me suis acheté. Il est noir, plus léger, et moins oppressant que celui que je portais depuis le début de l’année. Je le revêts et pour contenter sa curiosité, j’invite Camille à taper dessus pour sentir l’effet. Elle s’exécute avec un coup symbolique, tout à fait inoffensif. Par jeu, elle continue, j’esquive cette fois et réponds par un léger crochet qui se pose sur sa tempe. Il me semblait l’avoir à peine touchée, mais elle proteste : tu m’as tapée ! La véhémence de sa protestation me surprend, mais je la comprends, hélas un peu tard. Ce n’est pas que je lui ai fait mal, mais la symbolique du geste, même par jeu, l’a choquée. Personne ne m’a jamais tapée, s’exclame-t-elle. Je suis confus et profondément désolé. Il nous arrive parfois de jouer à parer des attaques comme on en travaille au taï-chi, et comme elle a un très bon niveau dans cet art martial, sa garde est assez impénétrable et ses réactions très rapides. Je m’étonne : mais comment as-tu pu le laisser passer ? – Mais je ne l’attendais pas, dit-elle, je n’avais pas compris que tu allais répondre.
Ce quiproquo a demandé un peu de temps, d’attention et de tendresse, pour que nous parvenions à nous réparer l’outrage, réel, que je lui avais fait assez sottement subir.
Comme dans une conversation, où un mot malheureux, jeté presque sans y penser, peut profondément blesser quelqu’un, il y a donc des mouvements malheureux, qui vont au-delà de leurs intentions, dans la conversation des corps qui jouent à se battre.

 


Rien à voir avec la boxe

Ce matin, mon scanner refusait de fonctionner. Il se coinçait au milieu d’une saisie, et rendait des copies déformées. Les lettres s’allongeaient démesurément au milieu de la page. Les saisies étaient inutilisables.

Je l’ai éteint. Je l’ai rallumé. J’ai téléchargé à nouveau son application. Rien n’y faisait. Il persistait à s’arrêter, à hoqueter, à reprendre inopinément. J’ai tapoté l’engin à l’emplacement où le rouleau du scan se coinçait.

Toujours les mêmes lettres déformées comme des tableaux du Greco.

J’ai abattu mon poing sur son capot. Je le soupçonnais d’obsolescence programmée. J’étais très en colère à cause de son obsolescence programmée. Je l’ai débranché. Je l’ai pris entre mes deux mains. Je l’ai soulevé et je l’ai fracassé contre le parquet. Sa vitre a explosé.

Je suis allé chercher la balayette dans le dressing. J’ai balayé les débris de verre. Je les ai fourrés dans un sac plastique du Franprix. J’ai enfermé la carcasse du scanner dans un sac plastique plus épais du pressing. J’ai récupéré le câble USB, au cas où il pourrait me faire de l’usage.

Je suis descendu dans la cour et j’ai jeté l’ensemble à la poubelle.

Je me pose la question : cette anecdote a-t-elle un lien avec la boxe ?

- Sans doute.

En tout cas, elle prouve que la pratique de la boxe n’apaise en rien mes pulsions destructrices.

Se nourrir

« Surveillez votre alimentation, les gars » nous a exhortés Frankie avant les vacances de Noël. « Mangez des légumes. Des viandes blanches. Pas trop de pain. Aucun twix ou cochonnerie de ce genre. »

Mon alimentation, je la surveille depuis des lustres. Depuis l’âge de vingt-cinq ans précisément. Depuis ce déjeuner dont je me souviens très précisément, où lors d’un tournage, je me suis retrouvé avec un sandwiche merguez-frites à la main. J’ai regardé le sandwich merguez-frites et je me suis dit : non, ce n’est possible, si je mange ce sandwich merguez-frites, là, maintenant, je vais me sentir mal tout l’après-midi, plus mal encore que si je ne mangeais rien. Toute mon énergie va passer à digérer ce sandwich merguez-frites, qui me semblait aussi indigeste que l’éléphant avalé par le boa dans « le Petit Prince ».

C’est à la même époque que j’ai senti qu’une nuit blanche ne se réparait pas, ne se rattrapait pas, en une seule nuit complète de sommeil, mais que je commençais à en traîner les séquelles une semaine durant.

C’est donc à vingt-cinq ans que j’ai senti que j’avais un corps. Avant, j’avais comme une sorte de machine insensible que mon cerveau poussait à ses limites, et qui n’existait que par la méfiance qu’il m’inspirait, puisque je ne le prenais en compte que lorsqu’il me faisait souffrir.

La démographie m’apprend qu’il me reste vingt-cinq ans à vivre. Vingt-cinq ans donc pour m’habituer à l’idée de voir décliner puis disparaître ce corps et donc ce que je suis.

Sébastien et moi échangeons sur les menus qui nous semblent les plus pertinents les jours d’entraînement. Je pensais - influencé certainement par la lecture d’ « Un morceau de steak » de Jack London - que l’idéal était de manger un morceau de filet de bœuf et une salade le jour de l’entraînement. Sébastien, lui, tient pour les pâtes, privilégiant les sucres lents. Tout compte fait, le menu et l’heure idéaux seraient de manger des sushis (combinaison de sucres lents, du riz et de protéines animales du poisson) trois heures avant l’effort (durée du travail de la digestion), c’est-à-dire à 15h.

La fatigue, la nourriture : je reviens sans cesse à cette gestion de l’énergie. Une gestion qui informe, organise ma vie avec la même rigueur que m’imposait l’exercice de treize semaines pour devenir vertueux, inventé par Benjamin Franklin.

La boxe me fait obéir à ce même phantasme de vie réglée, ordonnée, lisible, désirée, qui est le mien depuis mon enfance. Phantasme évidemment impossible de par la nature des évènements, de par mon manque d’une conviction, si ce n’est d’une foi, suffisamment forte pour m’aiguillonner perpétuellement dans la même direction. Ma principale crainte était que j’aurais pu aussi me surprendre à préférer la souffrance de l’aiguillon à l’exaltation de la perspective du sillon à creuser, ce qui eût été très ridicule de la part de quelqu’un d’aussi malin que moi.

Je regrette donc de n’avoir pas commencé à pratiquer le noble art lorsque j’étais jeune. Cet exercice m’eût permis de réserver dans ma vie un espace circonscrit et dédié à mon idéal intime d’ordre, d’abnégation, de sacrifice, d’effort, de discipline. Et d’ouvrir ainsi plus largement les temps restant à la jachère ou plutôt la garenne des mouvements spontanés – à supposer que les mouvements spontanés existent.

Stupeur et tremblement

D’où vient l’expression ? De la bible ? Devant l’apparition de dieu, le prophète ressent-il stupeur et tremblement ?

D’abord la stupeur : suspension, immobilité instable, hébétement, sidération.

Ensuite, le tremblement : la première sensation qui apparaît lorsque l’esprit retourne dans le corps dont il s’était un instant absenté.

Quand, au cours de mon existence, il m’est arrivé de recevoir un coup – un vrai coup, bien porté, un coup qui était allé sans dévier à son but – lors d’une bagarre ou d’un accident, ou sous le coup d’une émotion brutale, quand tout était venu trop vite pour parer, quand je n’avaisi rien vu venir : alors, je souviens avoir ressenti stupeur et tremblement.

Cette stupeur et ce tremblement, ne me donnaient pas la sensation d’un achèvement, d’une conclusion, d’un effondrement, d’un désastre. Cette stupeur et ce tremblement semblaient annoncer quelque chose. Mais quoi ?

À l’instant de la stupeur, je vois des étoiles. J’en vois mille, je ne vois que ça. Sidéré, je suis. Les étoiles sont mon unique panorama. Un panorama assez pauvre. Mais qui prouve que je suis encore conscient de voir quelque chose.

C’est du fond de cet embryon de conscience que nait le tremblement. Ce n’est pas de la peur. Ce n’est pas de la colère. C’est une sensation physique qui s’impose à son tour et remplace les étoiles. Elle nait de l’intérieur. C’est de l’intérieur que je tremble. Les étoiles c’était dehors, le tremblement c’est dedans. Ce tremblement, il n’est ni agréable, ni désagréable. C’est plus tard que saurai dire si ce tremblement est délicieux ou pénible. Car il peut annoncer une grande jouissance, comme une grande peine, et parfois les deux intriqués ensemble. Mon expérience me prouve que le tremblement contient une bonne dose de plaisir quand il est suivi d’un évanouissement. Si je reste conscient, alors le tremblement annonce une douleur à venir, une douleur que je pourrai localiser, et qui contiendra en germe colère et rage.

J’ai vite compris que durant un entrainement, il est impossible de ne recevoir aucun coup. Les milles étoiles sont loin, les coups ne sont pas appuyés. Pourtant, ils arrivent à destination, contrairement au taï-chi où ils sont en quelque sorte simulés. C’est peut-être ça donne leur humilité aux boxeurs et leur orgueil aux maîtres d’art martiaux. Les boxeurs savent qu’ils vont devoir encaisser des coups, les pratiquants d’art martiaux sont persuadés qu’ils pourraient parer chacun des coups.

Les coups, je n’ai pas l’habitude d’en recevoir.

Alors, même si le coup n’est pas appuyé, et bien qu’il vienne de la part d’un camarade bienveillant, quand bien même je ne ressens ni stupeur ni tremblement, je sens monter très fort ces deux émotions : lassitude et indignation.

Mon premier geste, aux premiers cours, était de baisser les bras. Erreur. Car ma garde abaissée laissait à mon partenaire la possibilité de m’en allonger un deuxième.

Je travaille donc à surmonter ce réflexe de petit garçon, à ne pas me tourner vers un cercle de spectateurs imaginaires pour les prendre à témoin de l’injustice qui m’est faite. Voilà un premier mouvement qu’il est stupide ! me dis-je. J’oublie la douleur qui ne nait bizarrement pas tant à l’emplacement de l’impact que plus bas, dans le cou ou la colonne, là où s’arrête la vibration du choc - .

Je me remets en garde. De derrière mes gants serrés, je guette l’instant où je pourrai à mon tour allonger un coup à mon camarade qui vient de me frapper.