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J’ai reçu un compliment de Mirko

Au bout d’un an et demie de pratique de la boxe, voilà que Mirko, l’assistant de Franky notre professeur, me fait un compliment.

Pour être précis, il a partagé ses compliments entre Dany et moi pour l’assaut que nous avions mené ensemble.

- « Bravo, les gars. C’est super ce que vous avez fait ».

- « Il est en progrès le papy » m’a-t-il dit en désignant Dany qui s’éloignait.

Je me suis demandé si Mirko ne se complimentait pas un peu lui-même par la même occasion, puisqu’il donne régulièrement des cours particuliers à Dany. Les compliments sont tellement rares qu’on a du mal à croire en leur sincérité. On se dit : il dit ça pour qu’on ne se décourage pas complètement.

Dany est en effet en progrès : il m’a allongé deux crochets qui ont atterri sur ma mâchoire. De retour à la maison, je trouvais avec plaisir une soupe que j’avais préparée la veille : un aliment parfaitement approprié à mon impossibilité à mâcher consécutive à ces deux coups. Les deux crochets de Dany ont résonné jusqu’à l’accroche des mandibules et dans mon oreille interne qui est restée douloureuse une semaine.

- « Bien fait » avait commenté Mirko après le premier crochet « Ça t’apprendra à ne pas garder ta main droite devant ta joue ». Dany a entendu la critique à moi adressée, et s’est engouffré dans la faille ainsi indiquée. C’est sa récidive sur ma mâchoire qui m’a du coup le plus vexé, prévenu que j’étais.

Dany a bien fait, et c’est bien fait pour moi.

Le compliment fait partie de l’ancestrale pédagogie de la carotte et du bâton qui est d’usage dans un cours de boxe. Le bâton, c’est le quotidien de l’élève boxeur. Loin d’être une métaphore, il se matérialise très concrètement certains soirs entre les mains de Sounil l’entraîneur des amateurs.

- «  Vendredi dernier, on devait demeurer accrochés aux agrès, j’avais lâché pour souffler, paf, je reçois un coup sur les épaules. C’était Sounil avec sa baguette » rigolait hier Dany.

C’est étrange que ça nous fasse rigoler, ces châtiments corporels que nous dénoncerions dans n’importe quelle autre circonstance.

Le compliment, c’est le Graal de l’apprenti boxeur. Dans notre groupe, les compliments individuels sont rares, et quasi inespérés de la part de Franky, notre coach. Hier, dans les vestiaires, deux gars s’extasiaient après le cours :

-«  Franky, il nous a dit : c’est bien ce que vous faites, les gars. Sur la tête de ma mère, mon frère, il l’a dit, à moi et à Samuel, il l’a dit, pas vrai Sam ? »

Et Sam, le regard vers le sol :

- « Ouais. Il l’a dit. »

Le compliment c’est l’onguent sur les ecchymoses.

Jack London Histoires de la boxe

Jack London Histoires de la boxe Ed 10-18

Il ne faut pas commencer ce livre par son début. La première nouvelle « Le jeu du Ring » est un tire larme édifiant où nous découvrons un jeune ouvrier, héros positif d’une classe ouvrière saine, honnête et droite, aux prises avec de méchants capitalistes dépravés sans foi ni loi. La gauche américaine est tellement horripilante dans son appétence pour les bons sentiments qu’on aurait presque envie parfois d’adhérer à la National Riffle Association et de voter pour Jeff Bush.

Ma passion triste à cette lecture fut d’autant plus exacerbée qu’en mon adolescence Jack London avait été un auteur qui m’inspira beaucoup l’envie d’écrire, et de comme lui gagner ma vie en alignant 20.000 signes chaque jour sur un papier blanc.

Je réglais donc mes comptes avec Jack London, la gauche révolutionnaire, et moi-même en envoyant le livre au vingt mille diables, et je l’aurai volontiers brûlé si j’avais eu une cheminée devant moi.

Heureusement, mon appartement est dénué de cheminée, et le livre resta à trainer, couvert de sa couche de trente ans de poussière par terre jusqu’à ce que Maurizio Lazzarato qui passait là se penche, le ramasse et me dise : « Il y une nouvelle de Jack London avec un vieux boxeur qui doit manger une tranche de steak avant un combat qui est formidable ».

Bon, la nouvelle - "une tranche de steak" - pour être aussi mal écrite que l’autre  (on sent combien il est tentant quand on doit fournir 20.000 signes par jour d’accumuler les adjectifs et de répéter une idée quand elle semble bonne au cas où le lecteur ne l’aurait pas saisi la première fois)  n’en n’est pas moins fascinante.

Dans les premières pages, nous découvrons un vieux boxeur, trimardeur sur les quai quand du travail il y en a – mais là il n’en a pas- , mange un maigre déjeuner le jour d’un combat. Ce combat doit lui rapporter les trente dollars dont il a absolument besoin pour payer son loyer et obtenir à nouveau crédit chez l’épicier, et donc nourrir femme et enfant. Là, il est fauché, et l’argent il ne l’a pas pour se payer un steak lui apportant l’apport de protéines nécessaires pour aborder sereinement son combat du soir. L’argent, il ne l’a pas non plus pour payer le tram, et c’est à pieds qu’il se rend à la salle où a lieu le combat, accumulant ainsi une nouvelle fatigue inutile.

Cette économie de l’effort est le sujet même du texte. En effet, le vieux boxeur doit ce soir là décisif pour son économie domestique affronter un jeune et talentueux boxeur qui a semble-t-il des réserves inépuisables d’énergie à prodiguer sur le ring. Ce jeune boxeur est une sorte de fantôme de lui-même. Il se revoit jeune homme arrogant, incapable de comprendre la source des larmes des vieux boxeurs qu’il avait défait : larmes incompréhensibles pour celui qui s’extrait de la misère par ses combats, et n’imagine pas qu’il retournera à la misère à la suite d’un combat futur. La description tactique du combat est magnifique. Toute la question pour le vieux boxeur, est comme pour Ali face à Foreman, de contenir les assauts en espérant que son adversaire finisse par s’épuiser pour alors hasarder une réponse bien placée qui l’étende pour le compte. Il calcule le moindre de ses pas, encaisse avec intelligence, et attend son heure pour enfin à son tour lancer ses coups. Seront-ils suffisants ? C’est ce que lecteur saura en lisant la nouvelle !

Jack London est excellent lorsqu’il écrit les choses telles qu’elles sont, telles qu’il les a connues, dans sa jeunesse de sous prolétaire, pilleur de parcs à huitres, et boxeur d’occasion.

Jack London a une qualité rare pour un écrivain, il aime les corps. Il comprend le langage des corps. Il peut écrire jusqu’à plus soif sur ce sujet. Ainsi fit-il dans ses chroniques précédant le match Jonhson - Jeffries de Reno en juin 1910.

« Car, après avoir sauté à la corde, il se déshabilla et montra quel homme magnifiquement bâti il est de la tête au pieds. Ses jambes sont comme des colonnes – non pas des colonnes torses et noueuses, mais des colonnes aux courbes pures, au contour atténué en harmonie avec le reste du corps. Dans toute l’histoire du ring on n’a probablement pas connu de poids lourd aussi bien et aussi symétriquement proportionné.

Ses cuisses étaient si puissantes qu’elles faisaient inévitablement penser au légendaire guerrier teuton qui par la pression de ses cuisses faisait gémir son cheval sous lui. Il aurait fallu un cheval cuirassé, bardé d’acier pour ne pas gémir sous l’étreinte des cuisses de Jeffries.

Le ventre plat comme celui d’un athlète grec, les muscles de son torse commençaient leur longue et profonde saillie en remontant à partir de la ceinture. Les muscles de son dos jouaient en masses entrecroisées, tandis que ceux des épaules et des biceps jaillissaient en torsades au moindre mouvement des bras. Et il n’y a là que des muscles de la bonne espèce. Ils ne sont pas durs et noueux comme ceux des hommes forts professionnels et des leveurs de poids. Ils ne l’entravent pas dans ses mouvements par leur poids et leur rigidité.

Et c’est là une chose que ne peuvent comprendre les non-initiés. Tandis que ceux qui savent regardaient et exaltaient la parfaite condition de Jeff, quelques un disaient naïvement leur surprise de voir la douceur de ses contours et la couche de graisse qui l’enveloppait. De la graisse, il n’y en a pas une once chez lui. Ces monticules aux doux contours, ces crêtes, ces bourrelets sont du muscle, et de la qualité la plus belle qu’on puisse trouver sur un homme. On pourrait aussi bien dire qu’un chat est gras au prétexte que lorsqu’il est détendu, ses muscles prennent un douceur veloutée. C’est l’expression qui décrirait le mieux l’état dans lequel se trouvent actuellement les muscles de Jeff : une douceur veloutée, splendide et superbe.

Considérez l’un de ces bourrelets de Jeff et surveillez-le. Soudain il bondit et frémit, prend forme et volume, s’anime d’une énergie rapide et débordante, puis se détend de nouveau et reprend sa forme de bourrelet aux doux contours ? Ça, c’est muscle. C’est la chose qui compte. »

À Reno, London écrit avec plaisir et sans peine ses 20.000 signes quotidiens. Il ne se passe rien ? Qu’importe. Tout le monde attend ce premier « match du siècle » entre un boxeur blanc et un noir. Il remarque que ce sont des centaines de journalistes qui sont réunis là. Dix fois plus que pour couvrir le pourtant très décisif conflit militaire entre la Chine et la Russie qui se jouait alors en Mandchourie. Pourquoi se demande-t-il ?

« Pour l’homme qui connaît la vie telle qu’elle est, et les faits tout nus, tels qu’ils sont et non pas la vie telle qu’il suppose qu’elle est ou telle qu’il rêve qu’elle devrait être, il y a quelque chose d’une énorme et fondamentale importance dans l’analyse et de l’intérêt mondial provoqué par ce combat. Pourquoi les hommes se battent-ils ? Question d’argent. Réponse judicieuse, mais elle ne s’applique pas à la question suivante : pourquoi les hommes vont-ils assister à des combats ? Certainement pas pour dépenser de l’argent. Il y a des moyens plus faciles d’arriver à ce résultat sans faire tout ce long trajet pour se rendre au Nevada. Ils ont envie d’assister à des combats à cause du vieux sang rouge d’Adam qui est en eux et qui ne veut pas s’apaiser. C’est phénomène profondément significatif du point de vue humain. Aucun sociologue, aucun moraliste qui laisse ce fait de côté ne peut dresser un horoscope exact de l’humanité »

Bon, qu’est-ce vous voulez que je vous dise ? Jack London, je l’aime comme on aime un vieil ami qu’on voit vieillir plus ou moins bien. On connaît ses défauts, ses qualités, ses ornières, et voilà, on continue à se fréquenter parce que l’amitié c’est la suspension du jugement, une indulgence réciproque qu’on espère ne pas être une complaisance à l’égard de l’autre comme de soi-même.

Jacques Henric - Boxe

Le danger de lire tout ce qui a trait à la boxe – et ça en remplit des rayonnages – c’est de tomber parfois sur des objets aussi farfelus que ce Boxe de Jacques Henric.

L’auteur n’a rien d’un énergumène. Jacques Henric est publié dans les meilleures maisons. Il fut enseignant. C’est un homme sérieux à qui il semble, à la lecture de Boxe,n’être survenu qu’un seul gros problème dans la vie. Un copain d’école, une brute affublée d’une bite à la longueur remarquable, un matin, sur le chemin de retour de l’école, lui a allongé un coup de poing. Jacques Henric n’a pas su se défendre. Il est demeuré comme deux ronds de flanc devant son camarade ricanant, et remâche depuis lors son humiliation.

Voilà un excellent début de livre, voire de carrière de boxeur : c’est parce qu’il n’avait pas su défendre son vélo dérobé par des jeunes malfrats de son quartier que le petit Cassius est devenu Mohammed Ali.

Mais Henric n’est pas devenu boxeur. Il est devenu écrivain, et rien ne l’aurait ramené à ce pugilat avorté, si Tiozzo – l’ancien boxeur devenu organisateur de combat – n’avait souhaité voir Henric écrire le récit d’un improbable combat qu’il voulait monter à Kinshasa pour le retour sur le ring de Jean-Marc Mormeck. Le combat n’a jamais lieu, et Henric demeure à nouveau gros Jean comme devant avec ses cahiers griffonnés de ses conversations avec le boxeur, et les rayonnages de sa bibliothèque couverts d’ouvrages sur la boxe. La meilleure partie de ce livre - à part le leitmotiv du coup de poing primordial - est sans doute dans ses citations de Joyce Carrol Oates, Jack London et autre auteurs si excellents que nous les avons aussi élus pour trouver place dans le présent site !

L’auteur ne s’arrête pas là. Dans le secret de son cabinet, l’écrivain visionne des heures de combats, et finit par s’avouer sa fascination pour le noble art.

Là où l’entreprise du littérateur s’avère vraiment surprenante, c’est que jamais durant toute sa plongée dans le monde pugilistique ne lui vient l’idée d’assister à un vrai combat, ni de pousser la porte d’aucun club de boxe, ni évidemment de chausser ses gants. Sa connaissance de la boxe est une pure connaissance de cabinet, ce qui est assez unique en son genre.

C’est dommage. Avec internet, maintenant, il est très facile de retrouver ses condisciples. Muni d’un peu de science du coup de poing, il aurait pu reprendre mieux armé sa conversation avec le crétin à grande bite.

Le pacifisme de Jacques Henric n’est donc pas un produit de circonstance, mais une conviction profonde ancrée dans une pratique continue d’abstention de la violence et d’étude qui doit être saluée comme telle.

Pour me faire pardonner ces lignes à l’ironie facile, je recopie ci-dessous quelques citations de l’ouvrage de Jacques Henric, et invite le lecteur à aller y voir lui-même plus loin s’il le désire.


« J’ai lu que les Grecs avaient su différencier deux types de violence et avaient deux mots pour désigner les affrontements entre les hommes : le POLEMOS, où tout est permis, tous les moyens sont bons pour vaincre l’adversaire ; et l’AGON, où on peut cogner dur, éventuellement à mort, mais en suivant les règles. »


« Une guerre, la boxe, mais une guerre avec ses lois, avec une éthique. N’en déplaise aux philanthropes anti-boxe pour qui le noble art est une sauvagerie inutile, un sport qui excite les plus bas instincts de l’espèce humaine. Leur hostilité à la boxe est faite de dénégations, d’inhibitions, de refoulements, de résidus de vocations religieuses déviées, d’utopies béates, qui rendent inintelligible une grande partie de l’expérience humaine. »


« Dans le Sud des Etats-Unis, la première victime d’un nouveau mode d’exécution capitale, par le gaz, fut un jeune noir. Quand le gaz commença à se répandre, on entendit un soupir : « Sauve-moi Joe Louis! Sauve-moi Joe Louis ! »


« J’ai lu que les Grecs d’Homère n’avaient pas de mot pour dire corps, pour désigner cet ensemble unifié. Ils disaient bras, jambes, poitrine, tête, jamais corps. Le mot ne serait apparu que pour désigner le cadavre. »

Je me suis acheté un casque

Je me suis acheté un casque. Il est rouge.

Samedi dernier, je suis allé à sport 7 pour me renseigner sur ce sujet. Le gros vendeur avec son tee-shirt vert m’a demandé : « C’est où que vous prenez des cours ? Au Boxing beats… Demandez-leur si c’est vraiment utile. À ce que j’en sais, on tape pas comme des sourds au cours du Boxing beats. C’est pas donné un casque, vous savez ? » 

Un commerçant honnête.

Lundi soir après le cours, donc, j’ai posé la question à Frankie, notre prof. Le casque, il semblait préférer. Je n’ai pas envie de me distinguer. Le lendemain, je suis remonté à Gambetta. Le gros père a souri en me voyant entrer. J’ai choisi un casque qui prend en compte la claustrophobie qui est la mienne. Le casque, il est rouge.

Sébastien m’avait dit. Il faut que tu fasses bouillir ton protège-dents pour l’adapter à ta dentition. Je n’ai pas osé lui demander : bouillir comment ? Comme un œuf à la coque ? Combien de minutes ? Finalement j’ai fait bouillir de l’eau dans ma bouilloire électrique. J’ai rempli un grand bol à petit déjeuner, et j’y ai plongé le protège dents.

Après quelques secondes, je l’ai sorti pour mordre dedans. Il a pris la forme de mes dents. Comme la pomme que mord la Cagliostro dans « Les dents du tigre » de Maurice Leblanc.

Depuis, mon protège dents est nettement plus confortable. Mais de là à poursuivre une conversation avec un protège dents, je n’en suis pas là.

De toute façon au cours de boxe, on discute pas beaucoup, on cogne.

Et moi mon problème c’est de cogner correctement.

Les coups que je reçois ne me font pas vraiment mal. Pour l’instant c’est plutôt des touches. Des indications qui me disent que je suis vulnérable, vraiment vulnérable.

Alors je travaille à remonter ma garde.

Jeter l’éponge

Au gymnase Pouchet où nous étions pour les « Championnats d’Ile de France de boxe amateur », gymnase pas chauffé (comme souvent les gymnases), mais qui offre une bonne visibilité depuis les tribunes (on n’a plus le droit -plan vigie-pirate-renforcé oblige- s’approcher du ring protégé par des barrières Vauban) au gymnase Pouchet donc, ni dans aucune autre compétition, je n’ai vu aucun boxeur jeter l’éponge de lui-même.

D’ailleurs, quand un coach annonce l’abandon de son boxeur, c’est une serviette qu’il lance en fait d’éponge.

Dimanche, un jeune maghrébin (il a levé les deux mains en signe de prière avant son combat) affrontait un jeune portugais (il s’est signé et avait des cheveux drus et peignés en arrière avec de la gomina).

Le portugais – un bon combattant à ce qui se disait dans les travées – semblait avoir fait trop la fête la veille. Il n’était pas à son affaire. Il semblait absent, tous ses mouvements étaient lents, ses coups ne partaient pas, il hésitait, avançait, reculait sans trop de conviction. Il semblait attendre la fin du premier round pour que son entraineur ne le réveille avec de grandes gifles, comme on le voit faire parfois.

Il allait donc vers une défaite bonhomme face à un adversaire plus petit, mais résolu, rapide, tranchant qui lui administrait une dégelée de coups (encore un drôle d’expression!). Et voilà-t-y pas qu’un coup nonchalant du Portugais ouvre l’arcade sourcilière de son adversaire à quelques secondes de la fin du combat. L’arbitre convoque le médecin. C’est une femme en blouse blanche, elle examine l’arcade en reculant sa tête. Dit un mot à l’arbitre, le boxeur lui parle, il la supplie, non, elle confirme à l’arbitre, qui interrompt le combat et donne la victoire au portugais qui n’en revient pas de sa bonne fortune. Le boxeur éliminé supplie l’arbitre de le laisser finir son combat, il éclate en sanglot, l’arbitre secoue la tête, et lève la main du portugais, qui, lucide et bon camarade, désigne aux spectateurs son adversaire comme le vrai vainqueur. Les deux repartiront d’ailleurs, le vainqueur n’en finissant pas de tenter de consoler l’intarissable flot de larmes s’échappant de son adversaire vaincu .

-      Ce n’est pas un jet d’éponge ça. C’est une victoire par abandon sur décision de l’arbitre.

-      Je le concède, je me suis égaré. Mais maintenant que j’ai rédigé ce récit, je le garde : ce serait dommage de gâcher, et puis dans un blog, c’est souvent du tout venant alors je ne vois pas pourquoi je me priverais.

Le jet de l’éponge – de la serviette blanche, donc – ce fut deux combats plus tard.

Le grand escogriffe était dominé sans contestation possible depuis deux rounds. Nous voilà au milieu du troisième et il reçoit d’abord un direct qui le fait reculer du centre du ring jusque dans les cordes, il titube, l’arbitre le compte. Le combat reprend là, et le grand type fait à peine un pas, qu’il reçoit deux crochets qui le jettent au sol. Son coach jette la serviette, et l’arbitre donne la victoire à l’autre.

Il est furieux le grand vaincu. Les yeux lui sortent de la tête. Il jette ses gants au visage de son coach. Il donne des coups de pieds aux pylônes du ring. Il hurle qu’on lui vole son combat. Pourtant, il est bien le seul à protester. Son coach, l’arbitre, les juges, les spectateurs, tout le monde voyait bien qu’il était en train de se transformer punching-ball humain, et personne n’avait envie de voir se prolonger ce combat. Mais, lui qui recevait pourtant les vrais coups, semblait y avoir été moins sensibles que nous protégés, paisibles, à l’extérieur du ring.

« C’est toujours comme ça » me dit Sébastien « ils protestent tous quand leur coach jette l’éponge. Eux, malgré tous les coups qu’ils reçoivent sont dans leur combat ; ils sont persuadés que, sur un contre miraculeux, il parviendront à renverser la situation. »

Des fois, ça dure trop longtemps pourtant. Dans les tribunes, on a envie que ça s’arrête. Que l’arbitre, les juges, les entraineurs, et nous aussi les spectateurs sommes les complices, voire les organisateurs d’un massacre. Organisateur, oui, car sans notre présence à nous spectateurs, le combat n’aurait pas lieu.

A***, boxeuse, un jour que je lui disais que la boxe féminine me semblait plus technique que la boxe masculine m’a envoyé ce lien vers ce combat entre Anne-Sophie Mathis et Holly Holm.

http://www.dailymotion.com/video/xmt4a6_anne-sophie-mathis-vs-holm-holly_sport

Là, c’est sûr que c’est moche, et on se demande pourquoi l’arbitre n’interrompt pas la correction que reçoit Holly Holm.

C’est la même Holly Holm qui a récemment infligé sa première défaite à Ronda Roussey en MMA. Et là, même si cette victoire faisait mal à voir pour les admirateurs de Ronda Roussey, KO au 2° round, elle était tout à fait correcte (comme disent les américains). http://bestinmma.blogspot.fr/2015/11/ronda-rousey-vs-holly-holm-ufc-193.html

Pour ce qui est de Ronda Roussey, j’attends avec impatience l’article que Sébastien, qui est un inconditionnel, nous a promis la concernant pour notre site !

Kateb Yacine Le poète comme un boxeur , Entretiens 1958-1989

Kateb Yacine Le poète comme un boxeur , Entretiens 1958-1989 Ed Le Seuil

Le titre est trompeur. La boxe, Kateb Yacine n’en sait pas grand chose. Ni comme pratiquant, ni comme spectateur. Ce qu’il en sait, c’est à quoi ressemble la figure d’un boxeur dans un quartier populaire, et à laquelle il assimile celle du poète – figure qu’il connaît bien, car pour le coup poète il l’était Kateb Yacine, et des plus grands -.

« J’avais découvert une épicerie stratégique qui me permettait de le voir passer de temps en temps. L’épicier était un homme extraordinaire qui avait fait la Zeitouna à Tunis et qui brulait du désir de savoir. Si bien qu’il était d’une générosité formidable avec tous les jeunes qui allaient à l’école, il nous achetait des cigarettes, je mangeais et je dormais chez lui, et, grâce à lui, mon livre s’est vendu chez les gargotiers, des coiffeurs, des analphabètes même qui me l’ont acheté, par solidarité, comme on aide un boxeur, et finalement, il s’est pas mal vendu. »

Et oui, Kateb Yacine voyait le poète comme un boxeur. Comme le boxeur le poète est issu d’une rue, d’un quartier, d’une ville, d’un groupe et il en devient le porte-parole. Le poète comme le boxeur portent tout le non dit, le non exprimé, l’inoui, la rage, la frustration, les espoirs et les joies du groupe dont il est issu. L’attente qui les précède excède ce qu’ils sont. – le poids symbolique qui repose sur leur épaules est immense, et tout comme il peuvent combler les attentes et bien au-delà, ils peuvent aussi les décevoir, et bien au delà.

« La légende de l’artiste, du poète avec sa petite fleur derrière l’oreille est loin d’être vraie. Souvent, le type qui écrit est quelqu’un qui a des frustrations, des appétits de puissance qu’il ne peut assumer autrement. Parfois, il aurait voulu être flic ou soldat par exemple, mais ne pouvant être ni l’un ni l’autre, il devient écrivain. Il y a donc toute une image mythique de l’artiste. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu‘il ne fallait pas être un écrivain au sens où l’entendent les bourgeois. »

Quoi qu’il en soit, avant le combat, tout le quartier a soin de son champion. On le nourrit. On l’encourage. On le bichonne. On le choit. Longtemps après le combat, le vieux boxeur représente dans la mémoire du quartier la somme résumée de ses espoirs réalisés et de ses échecs.

Ce n’est même pas une métaphore. Kateb Yacine sait bien que le poète n’est pas le boxeur, - Kateb Yacine a trop souvent été exilé loin de l’Algérie « dans la gueule du loup » en France soit durant la guerre d’indépendance, soit à suite de ses démêlées avec le FLN – pour savoir combien il fut par force séparé du peuple algérien. Néanmoins, il savait que quel que soit l’état des choses, le poète devait s’efforcer d’être comme un boxeur pour ceux de son quartier.

Il combattit donc le colonialisme dés son adolescence, puis assez rapidement le pouvoir des nouveaux bourgeois du FLN, et enfin ceux qu’il appelait les arabo-islamistes. Son arme était son verbe : il vola donc le français, langue du maitre pour la retourner contre lui, puis le verbe du peuple, l’arabe dialectal auquel il donna ses lettres de noblesse en écrivant des pièces qu’il jouait dans tous les villages de l’Algérie avant d’être contraint à un nouvel exil.

Kateb Yacine n’a certes jamais été l’ami des gouvernants. « le pouvoir est peuplé de gens essentiellement destructeurs », disait-il : une règle d’or s’appliquant à mon sens à tous les dirigeants militaires et patriarcaux arabes passés, présents et futurs.

Militant, Kateb Yacine ne s’est jamais résolu à cet état de fait. Son œuvre est sans doute une des plus belles anticipations des révolutions du printemps arabe. « En moi, le poète combat le militant et le militant combat le poète ». Cette phrase montre aussi combien Kateb Yacine était loin d’être naïf, et qu’il ne faisait pas partie de ceux qui se réfugient dans le tiède giron du théâtre institutionnel pour y créer une œuvre qui se veut de dénonciation en se drapant dans le slogan bien pratique selon lequel créer ce serait résister.

Et la boxe dans tout cela ? Et bien c’est un rapport au monde, une manière d’écrire qui me semble exemplaire. Oui, j’aimerais bien que pour le spectacle que nous créons sur les sports de combats en Seine Saint Denis être poète comme un boxeur. Est-ce pour m’y encourager que Claire Amchain, attachée de presse de la Commune, et qui connut bien Kateb Ycaine me conseilla ce livre?

L'Afrique à poings nus de Philippe Bordas ed. du Seuil

C’est Hubertus Biermann (Violoncelliste, cycliste, comédien) qui m’avait fait découvrir « Les forcenés » de Philippe Bordas. Une ode consacrée aux icones cycliste du 20° siècle. Déjà là Bordas, jeune photojournaliste se signalait par un fécond manque d’à-propos. Il revendique en effet dans ce livre être entré dans la carrière de gazetier sportif voué à l’admiration des coureurs cyclistes, à l’instant même où, de son propre aveux, la grande geste du cyclisme s’achevait avec le cycle des victoires de Bernard Hinault. Après ce dernier héros est venu le temps des machines à pédaler, à l’instar de Lance Armstrong, le cul vissé à son siège, dévorant les cols comme une inexorable machine à gagner. Non pas que le dopage ait pourri le cyclisme, le dopage fait partie de la geste pour Bordas, mais la prévisibilité des performances, le professionnalisme, ont tué à son sens le sentiment qui unissait le peuple à ses champions cyclistes, ces derniers fussent-ils des brigands avérés comme les flamboyants frère De Wlaeminck, gitans et francs-tireurs des pavés.

Ami lecteur, il te faut écouter la voix grave et teutonne de Hubertus et découvrir ces portraits que Bordas a consacré à ces magnifiques forcenés, crucifiés à leur petite reine, rangés des voitures dans leurs pavillons de province, ou mort, usés prématurément par les excès de fatigues et de pot belge.

Fils du peuple, comme ses héros du cycle, Bordas a passé son enfance dans les barres d’immeubles de Sarcelle. Jeune journaliste, il part au Kenya. Mais s’il envoie à ses grands-parents des cartes postales présentant des couchers de soleil sur le Kilimandjaro, des lions allongés, des antilopes et des éléphants, la réalité qu’il vit est beaucoup moins glamour. En fait, il n’a jamais quitté la banlieue, et à peine décollé de Sarcelles, il n’a eut de cesse que de descendre dans la banlieue de Nairobi, dans un bidonville des plus misérable, le slum de Mathare Valley.

Là, il a rejoint de nouveau forcenés, les boxeurs de l’Undugu Boxing Club, qui s’entrainent, hallucinés dans une salle surchauffée à l’oxygène rare.

Il a boxé avec eux, et la fraternité qui l’unit à eux s’est forgée dans le haut fourneau cette salle d’entrainement misérable, où avoir des gants est un luxe, et où la boxe est la seule et très étroite  porte pour sortir du ghetto

La première moitié de l’ Afrique à poings nus est donc consacrée à ces boxeurs kenyans.

L’autre moitié du livre est consacrée à l’autre extrémité de l’Afrique, le Sénégal. Là, loin d’être des réprouvés, les lutteurs sont des mythes vivants, des héros comme les cyclistes que Bordas est arrivé trop tard dans la carrière pour rencontrer, les preux des quartiers, des villes, des provinces qui les ont nourri. On peut se demander, tant la vénération qui les entoure est grande, si la véritable fonction des villages, des quartiers, des boutiques, des champs et des usines n’est pas de produire ces champions. C’est une véritable aristocratie, des familles et des clans de lutteurs qui se combattent sans fin, avec l’aide de leurs dieux et de leurs féticheurs.

L’auteur qui a une plume heureuse, et un rapport au monde si ce n’est heureux au moins attachant a su s’effacer parfois pour laisser la parole à ses protagonistes. Il a aussi retranscrit l’intégralité des instructions lancées par David Olulu, l’entraineur de l’Undungu Boxing club durant une séance d’entrainement.  Il nous transmet aussi le récit de vie que lui a confié Mustapha Gueye, dernier lutteur d’une lignée de combattants fameux de Dakar.  Philippe Bordas est aussi un excellent photographe.

Nous vous rappelons que ce livre comme d’autres que nous chroniquons sont en accès et emprunt libre à la médiathèque de l’Insep.

L'uppercut de Bertlod Brecht

Brecht est décidément plus intéressant que ce que voudraient nous faire croire les brechtiens. Il portait une casquette en cuir - crasseuse, je ne sais pas pourquoi ce couvre-chef est toujours qualifié de crasseux quand il est supposé coiffer le dramaturge de l’ex RDA, peut-être justement par une affectation de prolétarisme - et aimait assister aux combats de boxe.

Il développe à l’égard une pensée radicale, condamnant l’usage des victoires accordées aux points, seul le KO étant à son sens indiscutable et digne de ponctuer la fin d’un combat. L’anti hygiénisme de Brecht est singulier dans son approche du sport et mérite d’être salué comme tel.

Son goût pour le noble art ne débouchera cependant jamais sur une œuvre dramatique consacrée à la carrière d’un boxeur. Ce n’est faute qu’il y ait pensé, et même accumulé des textes autour de la boxes, des ébauches de pièces, une nouvelle et qui donne le titre du recueil de textes publiés sous ce titre de « L’uppercut » par les éditions de l’Arche.

Ci dessous le visiteur de notre site trouvera quatre extraits de ces textes. Certains sont très beaux comme cette PLAQUE COMMEMORATIVE POUR 9 CHAMPIONS DU MONDE et pourront inciter à relire cet auteur finalement respectable dans son goût du combat et son amour des combattants.

Bertold Brecht : L’Uppercut et autres récits sportifs. Editions de l'Arche.


PLAQUE COMMEMORATIVE POUR 9 CHAMPIONS DU MONDE

Voici l’histoire des champions du monde des poids moyens

De leurs combats de leurs carrières

Depuis 1884

Jusqu’à nos jours

Je commence la série par l’année 1884

Où les combats duraient plus de 56 ou 70 rounds

Et n’avaient qu’une issue : le KO

Et par Jack Dempsey

Vainqueur de Georges Fulljames

Le plus grand boxeur de l’époque où on cognait comme des brutes

Vaincu par

Bob Fitzsimmons, père de ka boxe technique

Détenteur du titre mondial des moyens

Et des poids lourds également

Grâce à la victoire qu’il remporta le 17/3/1897 sur Jim Corbet,

34 ans sur le ring, seulement 6 défaites

Tellement redouté que durant toute l’année 1899

Il n’eut aucun adversaire. Ce n’est qu’en 1914,

à 51 ans, qu’il livra

Ses deux derniers combats.

Cet homme n’avait pas d’âge.

En 1905, Bob Fitzsimmons perdit son titre devant

Jack O’Obrian dit Jack de Philadelphie

Jack O’Brian commença sa carrière

A l’âge de 18 ans.

Il disputa plus de 200 combats

Jamais

Jack de Philadelphie ne s’inquiéta du montant de la bourse

Il partait de ce point de vue

Que c’est sur le ring qu’on apprend

Et tant qu’il apprit il gagna.

De sa défaite devant le poids lourds Tommy Burns

Jack O’Brien qui se faisait vieux dit qu’elle était

La rencontre de sa vie.

Tous ses combats depuis

Furent sans importance.

Le successeur de Jack O’Brien fut

Stanley Ketchel

Rendu célèbre par 4 véritables batailles

Qu’il livra contre Billie Papke

Et célèbre aussi comme le plus rude boxeur de tous les temps.

Abattu dans le dos à 23 ans

Par un riant jour d’automne

Assis devant sa ferme

Invaincu.

Je poursuis ma liste par

Billie Papke

Premier génie de l’infighting.
le plus grand combat de Billie

Fut sa célèbre revanche contre Stanley Ketchel

Le match des matches.

C’est alors qu’on entendit pour la première fois

Ce nom : machine à boxer.

Telle une machine le rude Ketchel

Tapa sur Billie à lui faire jaillir le cœur de la poitrine.

Mais ce jour-là, Billie fut grand

Une classe au dessus, imbattable.

Lui-même titubant sur ses jambes

Il battit par KO Ketchel aux poings de fer

Mais cette grande victoire brisa le cœur du grand Billie.

Il réussit encore à éliminer Hugo Kelly

Au premier round.

Comme une tempête s’abat sur les champs

Ainsi Billy déferla sur Kelly.

Mais dans son dernier combat contre Ketchel

Le roi des poids moyens lui écrasa

Ce qui lui restait de son grand cœur de naguère.

Dans un combat contre Franck Klaus

En l’an 1913 à Paris

Il fut battu

Par un plus grand que lui dans l’art de l’infighting.

Klaus sans répit le tint cloué aux cordes

Puis Billie le somma

De se battre comme un homme.

Au quinzième round c’était

Un homme vaincu.

Franck Klaus, son successeur, rencontra

Les plus illustres poids moyens de son époque :

Jim Gardener, Billie Berger

Willie Lewis

Et Jack Dillon.

Comparé à lui Georges Carpentier était faible comme un enfant.

Franck Klaus était un champion du combat rapproché, corps à corps.

Il savait mettre tout son poids dans ses coups.

Le battit

Georges Chip

Qui à part ça n’accomplit jamais d’exploits notables

Et fut battu par

Al Mac Coy

Le plus mauvais de tous les champions des poids moyens

Qui ne savait faire qu’encaisser.

Enfin en 1917

Mike O’Dowd envoya

Au tapis ce crane de fer

Et le dépouilla de son titre.

 


LA CRISE DU SPORT

….

Les photos, dans l’attitude du discobole, d’un auteur dramatique allemand chevronné, nous ont tous emplis d’inquiétude et d’effroi – non pas pour l’avenir de cet homme, qui est assuré, mais pour le sport.

(…)

J’ai lu qu’on préconisait des exercices corporels pour les garçons afin de leur faciliter l’étude du grec – les exercices corporels leur éclaircissant le cerveau, ce qui permettrait, dans ces cerveaux clarifiés, de mettre du grec. Est-ce cela qui doit nous séduire ?

On peut attirer beaucoup de gens en disant que le sport est sain. Mais doit-on leur dire ? S’ils pratiquent le sport dans les limites où il est sain, est-ce du sport qu’ils pratiquent ? Le grand sport commence là où il a cessé depuis longtemps d’être sain.

(…)

je sais parfaitement pourquoi les femmes du monde font du sport : parce que l’intérêt érotique a faibli chez leur mari. Ce n’est pas que je veuille à ces dames un bien excessif, mais plus elles feront du sport, plus ces messieurs faibliront.

(…)

Bref, je suis contre tout ce qui vise à faire du sport un bien culturel ; d’abord, je sais quel usage cette société fait des biens culturels, et c’est un sort que je ne souhaite pas au sport. Je suis pour le sport parce que et dans la mesure où il est dangereux (malsain), primitif (donc socialement honni) et gratuit.


BIENTÔT SON ŒIL, LUI AUSSI

Bientôt son œil, lui aussi, le sournois, quitta le creux de son foyer,

Reluisant comme de l’huile dans sa bouche, habituée à d’autres mets,

Bientôt son genou se fit caoutchouc, le sol se fit accueillant

Et il désira sombrer dans un oubli profond, et ne sentit plus,

S’effondrant déjà, que son oreille dilatée devenue pavillon,

Recueillant en elle, comme un phonographe, le moindre son hostile,

Les applaudissements tellement lointains mais tellement frénétiques

Qui mettaient du baume sur les plaies de l’adversaire, les recueillant tous soigneusement

Pour plus tard, pour les heures d’inutiles gamberges.


SPORT ET PRODUCTIVITÉ DE L’ESPRIT

Réponse à une enquête

Je dois avouer que je trouve plutôt malencontreux qu’on présente la culture physique comme conditionnant la productivité de l’esprit. N’en déplaise au professeurs de gymnastique, un nombre appréciable de produit de l’esprit sont l’œuvre de gens mal portants ou tout au moins fort peu soucieux de leur corps, d’épaves humaines piteuses à voir qui, de leur lutte avec un corps récalcitrant, ont tout justement extrait quantité de santé sous forme de musique, de philosophie, ou de littérature. Je ne nie certes pas que la plus grande partie de la production littéraire des dernières décennies aurait aisément pu nous être épargnée au prix de quelques exercices physiques et de quelques activité de plein air bien choisies. J’ai un grand respect pour le sport, mais lorsqu’un homme « fait du sport » pour remettre d’aplomb sa santé minée le plus souvent par inertie individuelle, cela est tout aussi éloigné du sport véritable, qu’on est loin de l’art quand, pour surmonter un chagrin, un jeune homme écrit des vers sir l’inconstance des filles. Des gens que je soupçonne d’avoir partie liée avec les fabricants de savon ont longtemps assuré que la consommation que faisait une nation de cette denrée était le baromètre de son standing culturel. Pour ma part, je ne doute pas un instant que même sans une consommation tout à fait immodérée de savon n’eût pas empêchée un Michel-Ange d’être un danger pour la civilisation. Je puis vous faire part d’une petite expérience personnelle : il y a quelques temps, je me suis acheté un punching-ball, principalement parce que, pendillant au dessus d’une exaspérante bouteille de whisky, il a très bonne mine, et parce que, en donnant à mes visiteurs l’occasion de s’en prendre à mon goût des objets exotiques, il les empêche de parler de mes pièces. J’ai observé que chaque fois que j’ai (à mon sentiment) bien travaillé (ainsi d’ailleurs qu’après la lecture des critiques), je lui donne quelques bourrades capricieuses, alors qu’en période de paresse et de déliquescence physique, je ne songe pas à améliorer ma condition par un entrainement décent. Faire du sport par hygiène est effroyable. Je sais que le poète Hannes Küpper, dont les travaux sont réellement d’une telle décence qu’ils ne trouvent pas d’imprimeur est pilote de course et que Georges Grosz, dont également personne ne se plaint, fait de la boxe, mais je sais qu’ils font ça par amusement et qu’ils le feraient même au prix de leur santé. Le problème est naturellement différent s’agissant de professions non intellectuelles. Des comédiens par exemple ont besoin d’un entrainement physique par suite de leur conception erronée du théâtre, laquelle les contraint à des efforts physique considérables. Quant à moi, j’espère prolonger ma déliquescence physique d’encore au moins soixante ans.

L’ineffable joie de la destruction

Isabelle me dit : « Décidément, je crois que je ne supporterais pas de voir un combat de boxe. Même un entrainement. Si je vois des gens se prendre des coups, j’ai toujours envie de m’interposer, de dire : stop ! Assez ! Arrêtez ! « 

Mon frère me dit :

« Je ne veux pas que mon fils apprenne la boxe, ni aucun sport de combat. Je ne veux pas qu’il sache se battre. Il n’a pas besoin de savoir se battre. Ça ne sert à rien de savoir se battre. »

Beaucoup de gens pensent que la violence ne sert à rien. Que le spectacle de la violence est un spectacle indigne, dégradant. Ils n’éprouvent aucun plaisir, disent-ils, à observer deux types essayer de se détruire mutuellement à coups de poings.

Je m’interroge sur les racines de cette répulsion. Pour tout dire, la véhémence de leurs protestations me paraît le signe même du déni. Quelque chose doit bien les attirer là dedans, pour les révulser dans le même mouvement et leur interdir d’aller y voir plus loin.

C’est un très archaïque débat entre celui qui rit en voyant un homme placer un bon uppercut et celui qui pleure en voyant son adversaire le recevoir. À moins que cela ne soit l’inverse : entre celui qui pleure en voyant un homme en frapper un autre, et celui qui rit en regardant un homme recevoir des coups.

Je regarde sur internet  « les KO de Mike Tyson ». Ce n’est pas spécialement de la belle boxe. Mais comment pourrais-je ne pas admettre trouver une délectation au spectacle de ces corps soudain pantelants, effondrés dans les cordes, abandonnés sur le ring, entre les mains des médecins et des soigneurs. Une petite mort, un orgasme est offert là, présentée sous la lumière crue des projecteurs de la télévision, mise en scène, puis représentée à nouveau, ralentie, commentée, décortiquée.

Cette petite mort, cette destruction aura d’abord été préparée, répétée, travaillée, préméditée, calculée. Car ces bras ouverts présentaient il y a encore une minute une garde impénétrable à son adversaire. Ces bras aux muscles relâchés ont portés des coups pour certains terribles, et qui auraient pu être décisifs pendant plusieurs rounds. Ces jambes grotesquement tordues sautillaient vivement le long des cordes tandis que le boxeur attendait son adversaire. On a bien tout vu : le coup, l’effondrement, la dislocation, la destruction de cet ordre-là, de ce corps là. Et plus l’ordre était parfait, l’adversaire redoutable, plus le plaisir est grand de le voir tomber.

Avec mon frère, quand nous étions gamins, nous passions des heures à construire des maquettes d’avions. Nous peignions soigneusement les pièces détachées encore posées sur leur support en plastique. Nous les assemblions méticuleusement en suivant les instructions du guide de montage. Puis nous introduisions une variante par rapport à notre guide : nous bourrions la carlingue des avions avec de la poudre que nous avions préalablement extraite de pétards. Nous tressions plusieurs mèches de ces même pétards pour un confectionner une longue qui allait jusqu’au centre de notre maquette.

Enfin, nous disposions l’avion sur un rocher bien en vu, après nous être assurés que nous ne serions pas dérangés par nos parents. Nous allumions la mèche. L’étincelle entrait dans le fuselage. Il y avait un temps de suspens. L’avion explosait. Quel bonheur ! Nous passions les heures suivantes à rechercher les débris, à analyser leur mode de dispersion, où la déflagration avait été la plus violente, quelles pièces avaient été les plus disloquées, tordues, brûlés. Parfois, nous prolongions notre petite orgie de destruction en incendiant les pièces les plus importantes qui demeuraient, aspirant avec délice l’âcre fumée noire de la combustion du plastique, et appréciant avec gourmandise la torsion des pièces sous la morsure des flammes bleuâtres.

Détruire, c’est mal, me disent Isabelle, et maintenant mon frère, assagi par ses responsabilités paternelles. Oui, bien sûr détruire c’est mal... Mais comment lutter contre ce mal, si on se refuse à admettre que c’est un spectacle que quelque chose au fond de nous, - ou en surface, qu’importe ? – trouve bon ?

La fatigue

Ce n’est qu’à partir de vingt-cinq ans que j’ai senti vraiment ce qu’était la fatigue.

Avant, il me semblait inconcevable qu’on puisse mourir de fatigue, comme on meurt de faim, de soif, de froid. Je ne comprenais pas qu’on ne puisse pas récupérer.

C’est difficile de parler de la fatigue. D’abord, je trouve fatiguant quelqu’un qui bâille et répète sans cesse « je suis fatigué ». - « Vas te reposer », suis-je tenté de lui répondre, « et reviens-nous meilleur ». La plainte de la fatigue, cette antienne « je suis fatigué » me hante aussi, et c’est souvent qu’elle envahit mon cerveau, de manière d’autant plus irritante que j’y vois une invitation à m’apitoyer sur moi-même.

Depuis six mois que je prends des cours de boxe, je peine à trouver les mots justes pour évoquer la fatigue engendrée par l’entraînement.

Dès la première semaine, j’ai compris qu’il me fallait m’organiser pour ne pas me retrouver éreinté, assommé, harassé, accablé les jours suivant l’entraînement. Sébastien me l’a dit : pour être moins fatigué, tu dois t’entraîner plus. Une fois par semaine, ce n’est pas assez. Saïd a récemment ajouté cette remarque : c’est fatiguant, mais c’est de la bonne fatigue. Il a certainement raison : le soir après l’entraînement, je suis fatigué, mais en grande forme. Certainement, l’idéal serait de parvenir à faire durer cette exaltation d’après entrainement jusqu’au suivant.

Indolence. Peur de se faire mal. C’est quand on souffre à l’entraînement qu’on sent qu’on progresse, dit X***. Comment transformer mon corps si je ne lui demande pas plus que ses capacités actuelles ? Si je ne le pousse pas dans ses retranchements ?

Mais où commencent ces retranchements ? Hier, dans un exercice où nous sautions deux par deux au-dessus d’un sac de frappe allongé au sol, j’ai du m’arrêter, les jambes coupées. Mon partenaire m’encourageait : allez ! On y va ! On continue ! Sans doute s’exhortait-il lui-même aussi en répétant ses phrases, les yeux perdus dans le vague.

« Faites de la souffrance votre compagne. Laissez-la demeurer à vos côtés. » Nous exhorte Saïd durant les exercices.

La question que je me posais en reprenant l’exercice, c’était : pour me suis-je arrêté à tel instant et pas quelques secondes plus tôt ou plus tard ? Parce que je n’en pouvais plus ? Mais qui n’en pouvait plus ? Mon corps, réellement, n’en pouvait-il plus ? Ou était-ce simplement la dose de souffrance que j’étais prêt à accorder à mes jambes ? Bien sûr, mes jambes se tétanisaient, mon cœur battait à tout rompre (mais, allez, il était loin de rompre), mon sang était lourd de toxines. Mais qui décidait de mon arrêt ? Mes jambes ? Mon cœur ? Mes poumons ? Ou mon cerveau ? Mon cerveau n’est pas séparé de mon corps. C’est un organe comme un autre. Je suis un corps, comme me disait Jeanne dans une phrase qui me semblait très prétentieuse, mais qui finalement me semble assez juste, voire totalement vraie.

Donc, à défaut de démêler ce qui ressort de ma volonté ou de mes capacités, je fais comme tout le monde : je gère.

-      Non, c’est ce que tu aimerais faire, rétrospectivement, en écrivant le lendemain au soleil, à cette terrasse de café parisien, me rétorquè-je.

La veille, au Boxing Beats, dans le grincement des poulies, le martèlement des pieds sur le parquet, les appels de Frankie indiquant les secondes restantes, lorsque tu t’arrêtais alors qu’il demeurait quinze secondes d’exercices, tu ne gérais pas, tu faisais « au moins pire « dans la panique, conclus-je.

C’est encore pire lors d’une reprise.

La semaine dernière, nous avons fait trois fois trois minutes. Neuf minutes interminables, surtout vers la fin. Je ne suis pas très doué pour l’esquive, donc j’essaye de compenser en bougeant le plus possible. Mais c’est plus fatiguant pour moi que pour mon partenaire, qui lui reste tranquillement au centre du cercle que je fais autour de lui, et attend que je m’essouffle pour me cadrer et m’allonger une série. Parfois, dans une énergie proche du désespoir, j’avance et j’essaye de prendre le dessus en multipliant les coups rapides. Mais là encore, je perds beaucoup d’énergie, et il me faut reculer face à un adversaire motivé à présent pour me rendre la pareille. Ceux qui connaissent la boxe trouveront bien naïves mes tentatives pour gérer les neuf minutes. Ils hausseront sans doute les épaules, en se disant : quand il sera fatigué de bouger pour rien, il apprendra à esquiver.

Les lions dorment, paraît-il, vingt-trois heures par jour. Les boxeurs aussi dorment beaucoup. Une bonne fatigue, dit Saïd. Une heure de chasse, de guet, de course, doit dévorer une énergie réclamant vingt-trois heures pour que le corps ait besoin de se régénérer. Et les lions savent que quand ils courent derrière une gazelle, ils ne doivent pas se rater, sous peine de dormir vingt-trois heures le ventre creux, et avec encore moins d’énergie pour recommencer.

La question, c’est ce qu’on fait de notre rage

Elisa dit : « la question, c’est ce qu’on fait de notre rage. »

Tout le monde ne l’a pas la rage. Depuis mon enfance, j’ai le souvenir du regard dubitatif de mon frère devant mes crises de rage. Il y avait là quelque chose semblait irréductiblement étranger à lui, à sa nature, et qui l’inquiétait.

Quoi que je fûs son cadet de deux ans et lui fût beaucoup plus grand et fort que moi, je n’hésitais jamais à l’affronter physiquement, et ensuite à utiliser toutes les armes à ma disposition pour le faire reculer. Même vaincu, écrasé au sol par tout le poids de mon frère, je persistais à tenter de le mordre, sous son regard éberlué.

Aujourd’hui quand Élisa dit : la question c’est ce qu’on fait de notre rage, c’est à notre rage politique à laquelle elle pense. Pourquoi malgré le temps, malgré l’usure, malgré l’absence de victoire, persistons-nous dans notre refus, notre opposition, notre colère, notre vindicte, notre révolte à l’égard de la société et de toute forme d’autorité. Cette rage devrait finir par passer avec l’âge. La baisse de notre taux de testostérone et le sens de nos intérêts devrait normalement nous asseoir sagement aux assises du Parti Socialiste pour la Culture.

Mais non.

Je persiste à me retrouver dans des collectifs où je rencontre des Élisa, des activistes plus jeunes, barbus, encapuchonnés et souvent vêtus de noir. Nous trouvons un exutoire à notre rage dans d’interminables réunions de décryptage de directives de l’Unedic, dans la rédaction de communiqués qui seront chichement lus mais sur lesquels nous savons nous écharper jusqu’à pas d’heure, des manifestations de soutien à des campements de sans-papier, à des actions d’occupation des bureaux du medef. Bref, une guéguerre sans fin, en tout sans grand espoir du grand soir.

La boxe, c’est un exutoire aussi. C’est bien le mot exact : exutoire. Un espace qui permet de libérer, de canaliser le trop plein de rage qui bouillonne à l’intérieur et menace d’exploser si une issue ne lui est pas trouvée.

Quand je sors du cours de boxe, je suis épuisé, mais apaisé aussi.

Mais dés le lendemain, le sang chauffe à nouveau dans mes veines, à petit feu, bouillonne, et cherche un lieu pour s’épancher.

La sieste

« Fourbu » le plus beau mot de la langue française selon Nicolas Bouvier

Je vais à deux entraînements de boxe par semaine. Au début je n’en suivais qu’un. Tout le monde m’a dit qu’on est moins fatigué quand on s’entraîne deux fois par semaine. Le corps prend le rythme, il s’habitue à l’effort. Alors qu’avec un seul entraînement, il doit se ré-acclimater à chaque fois. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que deux cours ce n’est pas deux fois plus fatiguant qu’un seul.

Donc, quand on me demande : « Ça se passe comment la boxe ? » Je réponds : « La boxe c’est fatiguant. »

Durant les entraînements, la douleur vient de la fatigue beaucoup plus que des coups. Chaque exercice (échauffement – apprentissage technique – mise de gant – gainage) est poussé à un point limite. Il me faut lutter contre l’essoufflement, le point de côté, la crampe, l’engorgement des toxines dans les muscles, le sang lourd, le souffle court : l’épuisement en somme. Dans le vestiaire, après le cours, on entend : « Il a chargé le cours ce soir Franky. C’était dur ce soir, non ? » Même les plus aguerris sont épuisés. Il n’existe pas le moindre entraînement dont on ne sort pas épuisé. Et plutôt content.

J’ai souvent du mal, malgré ma fatigue, à trouver le sommeil après l’entraînement.

  • « C’est l’adrénaline » m’a expliqué Hervé.

J’aurais dû y penser. Effectivement, le temps que l’adrénaline s’évacue de mon corps, je repasse dans mon lit les coups que j’aurais dû porter et ceux que j’aurais dû esquiver.

J’ai donc depuis deux ans une obsession : dormir. Mon inquiétude majeure est d’arriver en forme à l’entraînement. Deux heures d’entraînement, quand on est fatigué ou pire, malade, c’est interminable. Je passe mon temps à regarder la pendule au-dessus de la porte des toilettes. L’exercice commence et déjà je me demande comment je vais le terminer. Tous mes mouvements deviennent mous, approximatifs, informes. Je perds jusqu’à mes fondamentaux, ce qui me vaut reproches et corrections de la part de Mirko ou Franky quand ils passent à proximité. Je les sens alors découragés de me répéter éternellement les mêmes consignes : lever les poings, ne pas rester à plat, travailler mes appuis.

Et oui, fatigué, je bouge plus lentement. Je deviens une cible facile à atteindre pour Sébastien qui abuse sans pitié de ma faiblesse. Donc, quand je suis fatigué, non seulement je suis mal, je fais mal, et en plus je reçois des coups. C’est horrible.

Je fais la sieste.

J’avais l’usage jusqu’à récemment de résister à la torpeur du début d’après-midi. C’est une heure qui m’a toujours accablé. Je résistais, sans pitié pour moi, à l’engourdissement d’après déjeuner. Je m’asseyais avec volontarisme et café face à mon ordinateur. Je me dirigeais avec empressement vers la salle de répétition, enjoignant à mes camarades de ne pas tarder à me rejoindre sur le plateau. La sieste était un spectre, une tentation, un glauque abandon, un n’importe quoi temporel, une source de remord au réveil, bref un temps gâché que je repoussais avec dégoût.

C’est fini. Je suis désinhibé, et que ce soit jour de boxe ou non, je fais la sieste. Et je gomme en toute bonne conscience par le sommeil cette heure pesante, infructueuse, désagréable de 14h30 à 15h30.

« J’adore dormir », m’a confié Saïd. « Mon bonheur, le dimanche, après avoir fait le marché, préparé le repas, déjeuné avec ma famille, c’est de faire la sieste. En vacances, je dis à mes enfants, à ma femme : faites ce que vous voulez. Allez à la plage, allez vous promener, je dors. Je vous rejoindrai après la sieste. »

J’ai remarque qu’en effet, lorsque j’arrive en début d’après-midi au Boxing Beats, Saïd m’ouvre avec les yeux globuleux et la parole pâteuse de celui qui sort du sommeil.

Je dors bien. Profondément. Longuement. Je ne mets plus de réveil les matins où je n’ai pas de rendez-vous. Je traverse de longs rêves. La nuit dernière, j’ai rêvé qu’un arbre bourgeonnait sur mon balcon. « Pourtant, on est en novembre » ai-je songé dans mon rêve.

Le Boxing Beats

said enttrainementpoursite

Le Boxing Beats est un club emblématique de la Seine-Saint-Denis. Connu et respecté pour la qualité de son enseignement et pour son engagement social, le Boxing Beats se distingue par son implication dans la boxe féminine (saluée par des victoires au niveau international de ses championnes), et pour sa vocation à la fois sportive et éducative auprès des jeunes (les filles et garçons du quartier, qui viennent s’entraîner après l’école font leur devoirs sur place encadrés par des bénévoles, l’école est une priorité parce qu’ « on ne vit pas de la Boxe », voir sur ce sujet l'enquête de Quentin Moynet)deux boxeusespoursite

Said Bennajem, a créé le club il y a 16 ans. Il a été rejoint par la suite par Sarah Ourahmoune qui est devenue championne du monde en 2008. Grâce à eux, le club s’est engagé dès ses débuts à promouvoir la place des femmes dans le sport (c’est actuellement le plus grand club de Boxe féminine de France, et au plus beau palmarès). boxeuse dossounilpoursiteIl compte à son actif plus d’une quarantaine de titres de championnes de France depuis 1999 et plusieurs titres de championnes d’Europe (entre autres Lucie Bertaud, Stelly Fergé, Maily Nicar).

deux garconssounil plongeepoursiteLa chaleureuse hospitalité que nous offrent Saïd Bennajem et son équipe constitue la plus aimable des incitations à suivre leurs activités et leurs compétitions. Nous aurons le plaisir de suivre les boxeuses et les boxeurs du club notamment pour la préparation et les matchs des prochains championnats de France.

http://boxingbeats.net/

https://www.facebook.com/BoxingBeats?fref=ts

 saidSounilboxeur stDenis15poursite

le combat de Sabrina

Sabrina  monte sur le ring pour la première fois lors d'un championnat de boxe éducative, sous le regard de son entraineur Saïd Bennajem du Boxing Beats d'Aubervilliers.

Stéphane Olry suit la jeune jeune boxeuse et son entraineur durant leur échauffement, puis le combat.

Souhaitons à Sabrina beaucoup de victoires dans ses prochaines compétitions !

 

 

Images : Stéphane Olry

Montage : Cécile Saint Paul

Le dernier cours de l’année

Le dernier cours de la saison n’a pas été annoncé comme tel. Mais, considérant qu’en juillet Saïd et Frankie sont concentrés sur la préparation de Sarah aux Jeux Olympiques, que c’est le ramadan, que les élèves sont de plus en plus rares et épuisés, qu’Ahmed cumulant ramadan, lassitude personnelle et grippe opiniâtre, n’assure plus le cours du mercredi : de fait les cours s’arrêtent cette semaine.

Saïd nous a dit : « vous pouvez vous entrainer avec les amateurs si vous voulez. Nous, cette semaine, on continue avec eux. Caroline, Zoé, Rahmani et moi avons réagi chacun à notre façon. Zoé a dit : « C’est tentant. J’ai envie d’essayer, mais je préfèrerais ne pas y aller seule. » Caroline lui a proposé de l’accompagner. Rahmani a sauté sur l’occasion, puisque son but est, à terme, de rejoindre les amateurs pour reprendre la compétition. Et moi, j’ai ouvert mon agenda en me disant que s’ils y allaient tous les quatre, je trouverais le courage de les accompagner. Mais je n’ai plus de soir libre jusqu’à mon départ.

J’ai réalisé alors que je sortais donc du dernier cours de la saison.

Je suis parvenu à l’issue de ma traversée initiée en octobre dernier presque à l’improviste.

Lydie est venue assister à ce dernier entrainement. À la sortie, elle m’a dit avoir été impressionnée par la beauté du mouvement d’ensemble du groupe, la succession des exercices, leurs rythmes, et surtout l’intensité qu’ils requièrent Elle n’a pas trouvé ridicule mon entrainement avec Rahmani.

Pendant que je m’entrainais sur un sac, Frankie est venu me voir. « Concentre-toi sur des coups simples. N’essaye pas des coups compliqués. Travaille tes directs. Dans un combat, quatre-vingt dix pour cent des coups que tu porteras seront des directs. Alors, c’est important que tu les fasses vraiment bien. Si tu reviens l’année prochaine, concentre toi là-dessus. »

J’ai retenu ce membre de phrase : « … si tu reviens l’année prochaine. » comme un encouragement implicite. Il en faut peu pour m’encourager, me direz-vous,

Ce n’est pas un secret. Je considère ma présence dans ce club, à mon âge, avec les capacité qui sont les miennes, et mon absence d’expérience martiale, comme une anomalie, qui n’est pas pour autant, j’espère, une extravagance. J’ai constaté au fils de mois s’écoulant que l’incongruité de la présence ici finissait par être acceptée par les camarades. « À votre âge, j’aimerai être comme vous » m’a dit l’un deux dans une forme de compliment scellant explicitement du reste le fossé générationnel nous séparant. Mes camarades, à défaut de talent évident, saluent au moins ma constance. Cet entêtement dans l’effort, cette vertu de persévérance est une vertu appréciée par les boxeurs.

Reviendrai-je l’année prochaine ? Oui, si aucun accident ne me l’interdit, si mon corps me le permet, je reviendrai. Instinctivement, je sens que je pourrai encore suivre (c’est bien le mot : suivre) les entrainements encore deux ans.

Pourquoi reviendrai-je ? Voilà une question qui en contient une seconde, implicite, plus lourde et décisive.

Pourquoi suis-je venu ?

Mon projet était de m’immerger dans la vie d’un club de boxe afin d’y trouver la matière d’écriture d’un spectacle. Le présent journal se veut le témoignage de la partie émergée de l’Iceberg que représentera le spectacle à venir sur les sports de combat en Seine Saint Denis. Je constate qu’il s’est installée une semi-clandestinité de mon dessein artistique au sein du club qui me dérange autant qu’elle me convient.

Oui, les camarades qui me servent de matériau d’observation et d’écriture ne se savent pas sujet d’observation et d’écriture. Cependant, il ne tient qu’à eux de le savoir : il leur suffit de me poser la question du pourquoi de ma présence, et d’aller ensuite lire le contenu du présent blog.

J’assume au reste la trahison comme partie intégrante de l’écriture. C’est pourquoi je ressens beaucoup de fraternité avec Zoé quand elle me fait part de son malaise quant à son travail d’ethnologie qui en revient en somme à espionner ses sujets d’études, devenus ses amis – récemment les punks à chien du bois de Vincennes - pour les transformer en cas d’école.

En septembre débutera une nouvelle étape de mon projet. Et je commencerai les cours avec l’objectif de les suivre jusqu’à la création du spectacle. Je me donne le défi de tenir cette distance : deux ans. De m’astreindre à cette régularité : deux cours par semaine. De maintenir la même implication dans le soutien scolaire avec les jeunes boxeurs : une séance par semaine. À l’issu de ce nouveau cycle j’aurai cinquante cinq ans.

Le Kung-Fu Cowboy

Il portait une moustache molle, une sorte de plate-bande inégale inclinée vers le bas du visage, une moustache de chinois.

Il était arrivé en cours d’année scolaire.

Durant les cours d’éducation physique, il s’épuisait seul sur les bords du tartan du stade Charléty dans d’interminables séances de pompes et de gainage. Le professeur d’EPS regardait cette activité frénétique et solitaire d’un œil dégoûté. « Il fait ses pompes n’importe comment. Il va se faire mal » commentait-il.

De fait, comme semblait l’annoncer sa moustache, il pratiquait le kung-fu. Il nous avait annoncé cela comme on présente une carte de visite lors de son arrivée dans notre classe de première, en janvier. Ses confidences s’étaient arrêtées là.

Ses révélations sur lui, d’où il venait, ce qu’il aimait hors le kung-fu, ses attentes, savoir pourquoi il était arrivé ainsi en cours d’année : il ne nous en dit rien et personne n’en semblait très curieux dans notre classe. Nous étions occupés à chuchoter avec les filles durant les cours, à flirter sur les bancs du petit Luxembourg, à vomir du gin dans les baignoires des appartements où nous faisions la fête, à nous sauter les uns contre les autres dans des concerts au Gibus, à bachoter, à fumer des cigarettes, boire des cafés, jouer au flipper, et (pour ma part) répéter des pièces de théâtre.

Toutes ces activités ne me laissaient guère de loisir pour m’intéresser à un type arrivé en cours d’année, portant une moustache molle, des chemises à carreaux, un étroit blouson en skaï beige, bref un look finalement, en y songeant, très recherché de héros de film de kung-fu.

Moi, à l’époque, le kung-fu, pour le dire en un mot, je trouvais ça vulgaire. À dix-huit ans, j’avais des catégories très précises pour admettre des gens en ma présence. Un type qui s’infligeait des séances de pompes et de gainage ne pouvait être qu’un bourrin, le compagnon naturel de ceux que j’appelais « les footballeurs » et qui s’agglutinaient en fond de classe en un sous-prolétariat masculin, maghrébin, se poussant du coude en émettant des blagues douteuses sur les filles. J’avais un matin trouvé dans mon sac, que j’avais laissé sans surveillance dans la salle de classe, un très répugnant collage de photos d’hommes nus assemblés dans des positions explicites. Les gloussements me parvenant du fond de la classe m’indiquaient d’où venait le coup. Je compris que s’ils étaient pour moi « les footballeurs », j’étais pour eux « le pédé ». J’ai jeté le collage dans la corbeille à papier sans commentaire.

Le Kung Fu Cow-boy ne s’était étrangement pas aggloméré à ce groupe hostile. Au contraire même, il semblait plutôt les éviter. Il restait solitaire durant les récréations, répétant ses katas, faisant des pompes, inlassable dans ces activités répétitives que je considérais de loin d’un œil suspicieux et dubitatif, n’imaginant pas une seconde ni le plaisir ni l’utilité qu’elles pouvaient receler.

Un matin, le Kung-Fu Cow-boy se plante devant moi. Il me tend une enveloppe contenant deux places de théâtre. Pour un spectacle que je cataloguerai ensuite comme étant « de boulevard », « privé » : pas mon genre. Il me dit que quelqu’un lui a donné ces places de théâtre, qu’il ne sait pas quoi en faire, qu’il me les offre donc puisque je fais du théâtre. Il tourne les talons, me laissant avec les billets entre les mains.

Quelques jours plus tard, le Kung-Fu Cowboy se plante à nouveau devant moi, et me demande, les yeux dans les yeux, si je suis allé voir le spectacle. Je bafouille que non, j’étais pris ce soir-là, une excuse foireuse, qu’il a l’amabilité de ne pas commenter avant de me tourner les talons.

Une quarantaine d’années plus tard, je suis honteux de mon snobisme. Je sais que j’aurais dû répondre à son offre d’amitié. Il m’ouvrait la porte d’un monde. J’aurai pu m’intéresser grâce à lui aux arts martiaux. Je ne serais pas en train de cultiver comme je le fais aujourd’hui le regret qu’il soit trop tard pour pratiquer le kung-fu, le jiu-jitsu, la boxe. Je suis certain que ces activités m’auraient finalement rendu heureux. Mais hélas, alors, je considérais avec beaucoup d’idiotie et de mépris de classe que ce n’était « pas mon genre ».

Tant pis pour moi.

LE LANGUAGE DES RATéS DANS LA BOXE ANGLAISE

Contribution d'Abèle à la réunion du Cercle du 24 janvier 2016

Thème de la réunion : dans la Boxe, qu'est ce qui vous a frappé ?

 

Initiation

A la proposition d’initiation à la boxe anglaise, j’ai préféré la pluie, le à côté, le raté de la séance. Mon combat est ailleurs, à distance..

J’ai retrouvé le groupe des initiés conviés par la revue éclair dans l’espace du beat boxing en septembre juste à la fin de l’initiation et ai eu le temps de lire sur les murs en brique de l’espace d’entrainement «  par le poing nait l’espoir, de l’espoir naît l’histoire ».

Nous avons bu un verre et j’ai retenu les mots suivants : bienveillance, gainage musculaire nécessaire, état d’épuisement. corine m’a montré des mouvements pour se gainer les abdos. Nous avons parlé aussi de tapis de fleurs artificiels dont les pointes comme des points d’acupuncture sont en capacité de produire un massage corporel. Certes, le sujet n’était pas de mettre au tapis l’autre.

En plus des Ratés des rendez vous proposés pour initiation, et observation de training, le massacre du 13 Novembre a obligé l’annulation de certains matchs de boxe. Les coups meurtriers du 13 nov s’inscrivent d’emblée dans   l’histoire nationale et internationale.

Le training

1 mois après, j’accède enfin à l’observation d’un training. J’ai adoré cet univers : l’espace, l’énergie, la densité des participants, les sons, la chorégraphie des corps.

Les jambes développent une agilité, nécessitent du ressort, ce sont des pattes de félins.

Les bras sont des pattes d’insectes sur le punching ball : tonique, sec, mécanique.

Les chaines attachant les punching ball en hauteur grincent et créent un espace sonore industriel avec un rythme aléatoire .

J’observe comment les pieds se lèvent et se redéposent au sol : décollage des semelles difficiles, Pointe en dedans, sautillement intensif (comme si le sol brûlait)….

La manière dont les sportifs posent leurs points d’appui au sol semble déterminer leur position corporelle, leur attitude et par la même leur confiance personnelle face à l’adversaire de jeu.

J’ai appris aussi grâce à la projection organisé par Frankie «  l’entraîneur », ce que signifie dans ce sport : « se faire voler » ; le principe de la manipulation des matchs pour des intérêts mafieux se retrouvent bien sûr dans ce sport

Le match de boxe anglaise inaccessible

Je n’ai accédé à aucun match en tant que spectatrice.                                                           C’est une peur, une fuite systématique. Quel combat, je souhaite éviter ??? Je tilte, la veille de la rencontre prévue pour un débriefing global …Pour vérifier une première hypothèse, J’interviewe un boxeur au buttes Chaumont sur l’esplanade; je vérifie les règles de frappe, dans la boxe anglaise, c’est le buste et le visage qui sont visés. le visage surtout pour déclencher un K.O voir un chaos   cérébral. Comment ça s’écrit alors K.O ?

Je crois que ce que j’évite avant tout, c’est de voir « l’attaque de la figure » dans son identité et dans son intégrité physique .. attaquer le visage, c’est tenter de faire perdre à l’autre son identité, lui faire perdre la face.. c’est attaquer la figure humaine dans le symbole de ce que cela représente.

La rencontre en groupe

Pour continuer le raté, j’écris ce texte au moment de la rencontre prévue en groupe.

La boucle est bouclée. Je ne suis pas présente ce jour du 24 Janvier 2016.                                  Je me suis mise au tapis avant de combattre mes peurs, quitte à vivre sur un tapis de fleurs artificiels.

La boxe m’apparaît un jeu sérieux et vital ( être dedans et à l’extérieur) , comme tout combat qui jongle avec ce paradoxe : être dans la nécessité vitale du combat tout en respectant les règles ….y compris la règle de mettre K.O son adversaire et pour s’inscrire dans l’histoire.

C’est peut être aussi la part animal et tellement humaine dans ces combats physiques que je ne veux pas voir, avec en supplément le risque d’en obtenir un plaisir inavouable.

Affaire à suivre…

Petite anecdote :

Mon nouveau boss dans le cadre professionnel a fait de la boxe anglaise,. Après 15 jours de confrontation, j’ai eu droit à son coup de poing humoristique «  ce n’est pas la peine de faire ta tête de Balboa » ; « tu ne connais pas balboa, tout une culture à refaire ! ».. Eh oui, rocky, ça me connaît au naturel, j’avais d ‘ailleurs surnommé un copain « rocky l’amour » mais pas balboa.. peut   être que tout est là, dans cette petite anecdote.. la boxe, c’est le territoire d’un autre … ?

Les voix

Pratiquer la boxe, c’est être habité par des voix. Les injonctions de l’entraîneur qu’on entend soudain dans son dos durant l’entraînement et qui vous corrige : « Travaille tes appuis ! Remonte ta garde ! Tourne les épaules ! ».

On poursuit l’exercice sans se retourner vers la voix. On essaye d’appliquer la consigne jusqu’au moment où parvient (ou non) un « Voilà. C’est ça. » libérateur. Si la voix se manifeste pendant une mise de gant, on diffère un peu la mise en œuvre de ses préconisations. Car votre partenaire a entendu comme vous : « Travaille-le au foie ! Force-le à se pencher ! »

Après le départ de l’entraîneur, le conseil tourne dans votre tête. Il fait contrepoint avec les dizaines de consignes, d’ordres, de conseils, d’observations qui se répondent, résonnent, claironnent en refrain ou en bourdon dans l’occiput.

Je ne sais si pour vous c’est la même chose, mais moi, j’ai en permanence une sorte de discours intérieur dans mon cerveau, qui se met parfois en boucle comme une ritournelle. Durant l’entraînement, c’est la sarabande.

Certaines voix intimes sont brutales. Elles distillent une musique ordurière. Par exemple : « Ta gueule » dis-je à la radio, en coupant un discours qui m’insupporte. Je ne sais pas si ça me fait du bien, ce type d’interjection, et je sais bien qu’elles laissent de marbre celui à qui j’ai coupé le sifflet.

Il y a des lieux privilégiés d’épandage de ce purin spirituel et maintenu ordinairement confiné dans nos boîtes crâniennes. La voiture est un exutoire bien connu de tous. Qui n’a entendu avec une surprise mêlée de dégoût, comme une révélation obscène, la plus civilisée des personnes grogner « Va te faire foutre, connard » en réponse au coup de klaxon indigné d’une voiture à qui elle a grillé la priorité ?

Dans mon for intérieur, les malédictions, les injures tombent drues. Murmurés, clamés, grondés, scandés, marmonnés, mon paysage sonore intime est parcouru par ces éclairs muets d’orages intérieurs.

Au soutien scolaire du Boxing Beats, nous insistons pour que les jeunes se parlent bien entre eux, du moins quand ils sont en notre présence. Globalement, je constate que, comme beaucoup de jeunes et de moins jeunes, ils se parlent mal. Les mots tranchants déchirent l’espace : « Bâtard ! Fils de pute ! Blédard ! ». En somme, ces gamins disent tout haut ce que je dis à mon bonnet. Plus désinhibés que moi, ils ouvrent grandes les vannes de leurs égouts privés.

La grande difficulté de ces jeunes est de parvenir à faire preuve de discrétion, de pertinence dans le choix du l’heure ou du lieu pour exprimer ce que les plus jeunes appellent encore : des gros mots. Saïd nous racontait dernièrement avoir entendu une des ados du groupe s’exclamer en observant un des professeurs du cours arrêter de filmer un combat pour recharger la batterie de son appareil : « Mais pourquoi il arrête de filmer ce fils de pute ?  ».

Comment lui expliquer que l’acception affective de « Fils de pute » même assimilée à une sorte de « celui-là ? » - qui n’est pas très aimable non plus –, est réservée à un cadre amical, et que ces mots ne sauraient être utilisés par un élève pour qualifier un de ses maîtres ?

De fait, la boxe, en tant que spectacle, constitue un déversoir de cette agressivité verbale, surtout lors des compétitions.

« Tue-le ! », « Massacre-le ! » : c’est souvent qu’on entend ces absurdes appels au meurtre dans les travées des compétitions de boxe.

Nonobstant les insultes et les quolibets des supporters de son adversaire, le boxeur sur le ring est abreuvé d’un torrent d’injonctions aussi véhémentes que contradictoires : - celles de son père, de ses frères et sœurs, de ses copains -. « Sors de là ! », « Avance ! » « Ta droite, tout de suite, ta droite ! ». Heureusement pour lui, le boxeur - tous en témoignent -   dans le tumulte du gymnase ne perçoit qu’une voix parmi toutes les voix : celle de son entraîneur. Il s’accroche à cette parole comme un nageur emporté par une crue à un fétu de paille : son oreille se ferme à toutes les autres pour n’écouter que les conseils, les ordres, les encouragement, les remontrances, les félicitions venant de son coin.

En cherchant le mot « coprolalie » dans le dictionnaire  (« Propension maladive à employer des termes orduriers et scatologiques »), je tombe sur les pathologies liées au langage. Ce sont des TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs). Je vois dans ces actions répétées comme automatiquement beaucoup de liens avec certains exercices de l’entraînement de boxe.

« Ne travaillez pas comme des robots » nous enjoint Franky quand nous devons répéter la même défense devant une attaque (par exemple : un retrait sur le côté pour esquiver un direct). « Evitez l’écholalie dans vos dialogues pugilistiques » pourrait-il dire, s’il était un cuistre. (Écholalie : Répétition automatique par un sujet des phrases prononcés devant lui).

« Variez vos esquives » dit-il aussi. « Ne nous laissez pas emporter par la palilalie », pourrait-il nous exhorter dans un style plus soutenu. (Palilalie : Répétition irrépressible des mêmes mots, généralement repris de la fin d'une phrase.)

Poursuivant ma lecture du dictionnaire je trouve : Glossolalie : Production par certains psychopathes d'un langage partiellement inventé par eux.Là j’ai du mal à trouver un équivalent dans la boxe, sauf à considérer que lorsque Mike Tyson mord à deux reprise l’oreille de son adversaire, il fait preuve indéniablement de l’invention d’un coup que n’avait pas prévu le marquis de Queensberry dans ses règles de la boxe.

La boxe est un dialogue, une conversation à coups de poings, un débat sans paroles, mais où toutes les figures de la rhétorique peuvent trouver leur équivalent.

Souvent je m’adresse à moi-même. Je me parle à moi-même à voix haute quand je suis seul, et parfois même en compagnie.

Je dis : « Dépêche-toi, Stéphane » si je tarde ; « Oh, quel con ! » quand je fais preuve de maladresse. En général, cette voix venue de moi n’a rien d’aimable à mon égard. Ce sur-moi envahissant a plus tendance à me morigéner qu’à m’encourager. En y songeant d’ailleurs, je dois bien constater qu’il ne m’encourage jamais.

Je me défends avec la même antienne : « Je suis fatigué ».

Ça fait cinquante cinq ans que ça dure : « Dépêche-toi » me dit la voix « je suis fatigué » lui réponds-je d’un ton plaintif.

C’est bizarre d’avoir ces relations là avec moi-même, non ?

- « Tu te plains tout le temps » me réponds-je

Geignard, oui, je me trouve un peu geignard, et je m’énerve à geindre tout le temps.

Lire dans les yeux

Quand on met les gants, on scrute son partenaire. On ne le quitte pas des yeux. On le prend en considération entièrement de l’orteil jusqu’au sommet du crâne et sans répit pendant trois minutes. Si on se soustrait à cette attention, la sanction intervient très vite sous la forme d’un coup.

Dans les conversations de vestiaires, j’entends des boxeurs prétendre lire le jeu de leur adversaire dans ses appuis, ou dans le déplacement de sa ceinture. Je ne suis pas assez savant pour ça, donc, mon adversaire, je le couve du regard. J’ai plongé mon regard dans celui de Sébastien ou de Hervé ou d’autre partenaires de boxe plus intensément que je n’ai jamais regardé mes amoureuses.

Adolescent, des expressions comme : « il lut l’impatience, le désir, dans le regard de X » me semblaient complètement abstraite, de pure figures de style. Moi, il ne me semblait jamais rien lire dans le regard d’autrui. Certes, pour être sensible au regard des mes interlocuteurs, il aurait fallu que je les regarde en face, ce que je ne faisais jamais. Je parlais, et je parle encore souvent dans cette attitude, sans regarder mon interlocuteur. Comme ces africains qui échangent sans se regarder des formules de politesses à toute allure, apparemment indifférents aux réponses de leur interlocuteur, mais sans doute sensibles, non pas au contenu rituel de la réponse, mais à aux minuscules inflexions de son intonation. Comme eux, je suis peut-être plus sensible à la musique des paroles, qu’aux variations météorologiques des regards.

En conséquence, un silence pesant, une inflexion méprisante, un ton agressif me semblent beaucoup plus violents qu’un regard de travers.

Un matin, notre instituteur se mit à crier sur un de mes camarades. Les mots qu’il assena au malheureux me choquèrent plus que les châtiments corporels auxquels notre maître nous avait habitué. Cette remontrance, cette algarade, cette engueulade, me déchirait les oreilles comme un long crissement de craie sur un tableau. Devant le spectacle de notre instituteur debout, la bave aux lèvres (il avait en effet assez souvent une sorte de liquide blanc à la commissure de ses lèvres), je me retenais pour ne pas me lever et m’enfuir. Mais j’étais tétanisé, comme mes camarades, et tous, assis à nos sièges, la tête baissée, le dos rond, nous attendions que la fureur passe comme passe un ouragan.

Je me demande pourquoi je garde si présent le souvenir de cette réprimande-là. Le professeur était coutumier du fait. Le camarade sur laquelle elle était tombée ce jour là m’était indifférent. Il n’a pour moi ni nom, ni visage. Juste une silhouette debout, la tête penchée, avec un pull rouge. La raison de la remontrance, je ne m’en souviens plus non plus. J’apprenais par cet instituteur de l’école de garçon de la rue de Turenne que le pouvoir n’a aucun besoin de raison pour s’abattre de la façon la plus sauvage sur celui qui lui a déplu. N’importe quel prétexte est le bon.

Dans le mot violence, il y a viol. Avec cette engueulade publique, l’instituteur violait nos âmes, en nous obligeant, en gardant un silence craintif, à une complicité avec lui, comme avec sa victime.

La première fois que j’ai vu des larmes dans les yeux de spectateurs d’un de mes spectacles, j’ai été très surpris. Je ne pensais pas posséder un tel pouvoir. Ce jour là, j’ai peut-être ressenti une émotion inverse à celle procurée des années auparavant dans la salle de classe.

Cette émotion est-elle d’aune nature radicalement différente ? Ou procède-t-elle de la même racine plongeant dans nos fibres les plus profonde mais pour s’épanouir de manière toute différente ?