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Petite violence ordinaire

Caroline me dit : « C’est violent, ça. » Elle hoche la tête : « Ça c’est violent. »

Je viens de lui raconter une anecdote observée lors du cours de soutien au Boxing Beats.

Yacine nous a montré la correction de son devoir de math effectué avec Zoé. 8,5 sur 10 lui a donné son professeur, avec son stylo rouge. Et toujours avec le même Bic écarlate, il a divisé la note en deux : 4,25. Comme il l’explique dans une note lapidaire le devoir pour être aussi bon n’a pu avoir été que copié. « Dommage », conclut le pédagogue de son kalam assassin.

Oui, c’est violent. Nous étions tous d’accord sur ce point au Boxing Beats en nous penchant sur le papier accusateur. Ce qui n’était pas dit, mais apparaissait clairement dans le geste même du correcteur, c’est la conviction profonde que Yacine était incapable de répondre correctement à son exercice. Et que s’il avait été aidé, cela n’avait pu l’être que de manière illicite. La mère, le frère, un cousin de Yacine étaient eux aussi supposé incapables de lui expliquer l’exercice. De cela seul auraient été dignes des parents d’une autre classe sociale, une classe sociale supérieure.

Donc si Yacine obtenait un succès, ce ne pouvait être que le fruit d’une grivèlerie. Un devoir copié sur un camarade plus doué – le professeur accuse nommément l’un d’eux – et payé pour ce faire.

Nous avons donc rédigé une belle missive, sans faute d’orthographe, une lettre de français de souche, pour expliquer au fonctionnaire de l’Éducation nationale que le devoir avait bien été rédigé par Yacine, au cours de soutien du Boxing Beats et sous la supervision des bénévoles que nous sommes. Notre missive, d’une exquise politesse devenait du coup une entreprise de pédagogie à l’intention de notre prof de math de collège de banlieue, pour lui rappeler que les soutiens dont bénéficiaient les sauvageons qu’il était supposé enseigner pouvaient provenir d’une autre source que la reproduction sociale ou la tricherie, une source qu’on appelle la solidarité.

N’empêche. Cette suspicion à l’égard des plus défavorisés, oui, Caroline a raison de le dire, c’est violent. C’est plus violent que n’importe quel coup reçu sur un ring.

C’est une violence sournoise, intériorisée, invisible et quotidienne. A l’opposé exacte de celle, extériorisée, loyale, publique, ritualisée, de la boxe.

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