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Ne pas répondre

 

 

Nassim taquine sa sœur Melissa durant le soutien scolaire au Boxing Beats. Tandis qu’elle fait ses devoirs, il lui tape l’arrière du crâne. Melissa semble indifférente à ce harcèlement. Parfois, elle repousse la main de son frère, comme on repousse un moustique.

- « Arrête. » finis-je par dire à Nassim.

Il continue comme s’il ne m’avait pas entendu.

- « Nassim, arrête d’embêter Melissa. »

Nassim continue sans prendre la peine de me regarder.

- « Bon. Nassim, la prochaine fois que tu feras semblant de ne pas m’entendre, je te dirai de sortir. »

Nassim me regarde, ébahi.

Je déteste qu’on ne me réponde pas. Je ne prétends pas être original à cet égard – tout le monde a envie d’être pris en considération : n’assurait-on pas dans les formules de politesse nos correspondants de notre « haute » considération, de notre considération « distinguée » ?

Actuellement, Corine et moi nous astreignons à relancer les directeurs de théâtre auxquels nous avons fait parvenir un dossier concernant le spectacle que nous écrivons à partir de notre expérience au Boxing Beats. La plupart de nos interlocuteurs ne nous répondent jamais. Une simple missive, si elle n’est pas accompagnée de coups de téléphone, a toutes les chances de demeurer lettre morte. Probablement, le pouvoir d’un individu aujourd’hui se mesure à l’absence de réponse qu’il donne à ses solliciteurs. Donc, à nos dossiers, les directeurs de théâtre répondent par un silence marmoréen, quasiment céleste. L’exemple vient de longtemps et de loin. Dieu lui même n’a pas daigné répondre quand son fils lui a demandé : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?

J’essaye de prendre les choses à la plaisanterie, mais quand même, c’est blessant cette absence de réponse.

Si vous prenez le risque un jour de reprocher à un de ces directeurs de théâtre son absence de réponse, lors d’une des multiples occasions que vous avez de les croiser, il se confond d’abord en excuses, peut le cas échéant s’étonner de n’avoir pourtant rien reçu (cette ruse misérable est souvent utilisée), mais surtout va déplacer le débat sur le terrain qui lui est propre et cher : c’est harassant ces sollicitations permanentes auxquelles il ne peut hélas répondre toutes. Mettez-vous à ma place, vous supplie-t-il.

Mais je ne veux pas me mettre à sa place. Je trouve doublement humiliant de n’avoir pas de réponse, et d’être de plus invité à comprendre, voire approuver cette absence de réponse. Si je me mets à sa place, certainement, le plus simple est que je ne lui envoie pas de dossier, et le décharge de ce poids. Cette invitation qui m’est ainsi faite à l’autocensure de ma production artistique me semble extravagante.

Ce que j’aime à la boxe, c’est que personne n’aurait l’idée de vous inviter à vous mettre à sa place. Au contraire. On est invité à faire face à son partenaire durant l’entraînement, à son adversaire durant le combat. Chacun doit tenir sa place pour que le jeu ait lieu. Et sa place suppose d’assumer d’être radicalement séparé de l’autre, pour jouer le jeu du combat.

C’est une brutale lâcheté que de prétendre inviter autrui à prendre par imagination une place que vous n’avez aucune intention de lui abandonner dans les faits. Surtout quand la place en question est une place de pouvoir.

Boxe, Blog, violence, pédagogie, bonisme

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