Photos de Boxing Paradise
Regarde les enfants. Ce sont les enfants du soutien scolaire. Tous les mercredi ensemble, vous faisiez des maths, de la physique, des SVT, du français.
Assis dans l’escalier de la mezzanine, tu regardes les jeunes sur le ring. Leurs personnalités fleurissent sous tes yeux. La fille avec un visage comme en gribouillis toujours en pyjama qui se mue en cours d’année en puncheuse calculatrice. Le petit joufflu qui vient parce que son père l’amène, mais qui n’aime décidément pas ça. Les deux copines qui restent une heure dans les vestiaires pour discuter.
J’avouerai aux spectateurs mon trouble face aux combats. Regarder deux hommes se frapper au visage, chercher le K.O., je dirai : c’est beau et dégoûtant.
Tu envoies des séries de directs au foie. À force d’insister, Camille finit par se pencher. Tu vois l’ouverture, et bing ! Tu remontes avec un uppercut au menton. Tu recules d’un pas et surprends le regard étonné, presque peiné, de Camille, ses grands yeux embués de larmes. Camille ne s’attendait pas à ça de ta part. Tu as exulté pendant une semaine, le jour où tu as placé ton premier uppercut à Camille !
Les filles, c’est les premières à l’entraînement. Elles savent qu’elles doivent s’entraîner plus dur que les hommes.
Pourquoi ?
Parce que face à elles, elles auront d’autres filles. Et que sur le ring, les filles elles ne lâchent jamais l’affaire. » Moi, ton ange gardien, je dis ça je dis rien : Ta part féminine, tu l’as trouvée dans la boxe.
Tu t’entraînes tous les jours. Tu te dis « Un moment de vérité. En montant sur le ring, je vais connaître un moment de vérité ». Tu cours aux Buttes Chaumont. Tu t’es acheté un podomètre. Tu mesures tes temps intermédiaires. Le nombre de foulées. Ton rythme cardiaque. Toi qui te voulais sans Dieu ni maître, tu t’es trouvé un chronomètre et un podomètre pour gouverner ta vie.
Tu ne veux pas monter sur le ring comme un petit quinqua avec son petit bedon moulé dans son maillot. Tu as commencé par te peser chaque semaine. Puis dans les vestiaires, à la fin de chaque entraînement. Les autres boxeurs te demandent : il te reste combien à perdre ? Tu te pèses tous les jours. Tu déjeunes, tu te pèses. Tu pisses, tu te pèses. Tu vas à la selle, tu te pèses. Bref, tu prépares ton combat, tu ne fais plus que ça. Pourquoi ?
- « Apprenez-moi la boxe ! Moi aussi je veux me promener dans la foule comme un requin parmi les bancs de petits poissons ! Emmenez-moi à Quatre Chemins ! »
- « Viens bébé ! Quittons ce jardin de bobos !
- « Oh yeah ! Allons éclater la gueule aux djihadistes, aux marchands de sommeil, aux trafiquants de drogues et à la racaille ! »
La journaliste se pâme dans tes bras.
« Carcinome hépatocellulaire » J’ai senti mes muscles se glacer Autour de ma colonne vertébrale. Ce n’était pas comme un coup de poing. Là, l’onde de choc s’est enfoncée jusqu’à la plante de mes pieds Et au-dessous encore. Cancer du foie.
Je me souviens de toutes les fois où j’ai pleuré. Ce n’était jamais parce qu’un poing m’avait frappé. Ceux qui m’ont fait pleurer ont toujours agi à distance.
Par un courrier m’annonçant un refus d’ouverture de droit-chômage. Par une main invisible : Celle de l’agent EDF coupant le courant dans notre maison, Sans prévenir, depuis la rue,obligeant ensuite ma mère à quémander dans leurs bureaux un rééchelonnement de sa facture. Oui, la vraie violence, elle se fait toujours à distance, Loin de tout risque de riposte, bien au-delà de la longueur de mon bras.
Mon adversaire, je le connais, à présent. Il est en dedans.
Photos : Pierre Grobois Photos : William Vainqueur
Boxe, boxing beats, boxe éducative, boxe féminine, violence, theatre, cancer, vie, MC93
- Vues : 1267