Skip to main content

Eduardo Arroyo, Panama Al Brown, 1902-1951, Grasset, 1998.

PanamaPoids coq panaméen, Alfonso Teofilo Brown, est monté sur un navire américain pour aller combattre à New York. Il connaitra la victoire, la gloire, d’abord aux Etats-Unis puis en France.

Il avait un coup terrible, un direct du gauche, que hélas, il ne pouvait utiliser qu’une fois par combat, car ses phalanges se brisaient sur ce coup. Les photos montrent un très bel homme. La chronique retient ses mœurs scandaleuses pour un boxeur et pour son époque, puisque Panama ne cachait pas son homosexualité. Prince de la nuit, qui buvait du champagne à la bouteille entre deux rounds.

Il perdit sa ceinture de champion du monde lors d’un match suspect, à Valence en Espagne, où il prétendit avoir été drogué par ses adversaires.

Il s’essaya au music-hall dans la Revue Nègre de Joséphine Baker. C’est Jean Cocteau qui le convainquit de remonter sur le ring pour regagner son titre.

Finalement, ses phalanges brisées, Panama Al Brown retourna à New York où il gagnait misérablement sa vie comme sparring partner payé un dollars par round.

La police ramassa son corps inanimé sur la 42° rue, et il mourut des suites d’une tuberculose au Sea View hospital de New York. Son corps fut étrangement volé à la morgue par une bande de fêtards qui promenèrent son cadavre en triomphe de cabaret en cabaret durant plusieurs nuits.

C’est parce qu’il ne parvenait pas à peindre Panama Al Brown que le peintre Eduardo Arroyo décida de rassembler toute la documentation qu’il avait rassemblé à cet effet pour publier cette très émouvante biographie.

C’est en lisant ce très passionnant livre que j’ai eu la curiosité de chercher des images des combats de Panama Al Brown, et constaté combien la boxe avait été filmée, et soigneusement archivée.

Panama Al Brown vs. Maurice Dubois - YouTube

Panama Al Brown KO 12 Teddy Baldock - YouTube

Panama Al Brown vs. Johnny King - YouTube

Panama Al Brown Retains Title : Bantamweight Champion...

etc

Ainsi il est facile de regarder des films des matches de ce magnifique poids coq panaméen, alors qu’il n’existe par exemple aucune image de la chorégraphie du Jeune homme et la Mort à sa création. C’est la revanche du noble art trop souvent méprisé sur la culture !

Fais gaffe à tes poignets

Frankie m’a dit : « Fais gaffe à tes poignets. Ils doivent être alignés avec ton bras quand tu tapes. Autrement tu risques de te briser tes poignets. »

Pourquoi souvent dans les mouvements de mes mains, mes poignets s’inclinent-ils dans un mouvement un peu gracieux, un peu précieux ? Un geste féminin, ou qui se veut tel, un geste qui m’appartient, et qui remonte à mon enfance. Alors, il me semblait certainement que pour être séduisant, il me fallait avoir ce tour de poignet là.

Laurence m’a dit : « À la boxe tu peux sautiller sur les pointe tout ton saoul. Tu dois être ravi ? » Des années de taï-chi avec Laurence m’ont appris tout l’inverse : à me poser, m’enraciner, descendre bas dans le sol.

Avant de faire du taï-chi, je marchais sur les pointes. Les cinq étages de mon escalier je les gravissais sur les pointes. « Ce doit être terriblement fatiguant » me disait Corine. « Non, c’est comme ça que je marche », je lui répondais.

En sept ans de taï-chi, je me suis ancré, ma voute plantaire s’est modifié, et j’ai perdu une taille de chaussure. Du 43 je suis passé au 42.

Michel m’a dit : «  Quand tu sais pas quoi faire sur scène, tu peux toujours danser. Tu fais ton numéro de danse classique, les spectateurs vont rigoler et tu vas gagner au moins trois minutes de survie. »

C’est important d’avoir une botte secrète. Même si on ne l’utilise jamais.

François m’a demandé : « Tu ne t’assois jamais ? C’est fatiguant de te voir marcher de long en large dans le bureau quand on se parle. »

À priori, je préfère être debout, c’est vrai. L’injonction : « Bougez ! Sautillez ! » que répète à l’envie Frankie  me convient très bien. Le sautillement, comme dit Laurence, c’est mon truc.

C’est bizarre quelqu’un qui aime tant sautiller et n’a jamais appris à sauter à la corde.

Fat City, de John Huston, 1972

Fat CityAdapté du roman de Leonard Gardner (Fat City, 1969) qui raconte l'histoire d’un ancien boxeur devenu alcoolique qui tente de refaire surface et de revenir sur le ring. C'est un film sur le prolétariat de la boxe, les sportifs semi-professionnels qui n’accèderont jamais à la gloire. Sur la misère, l’exploitation et l’épuisement des corps, mais aussi sur la fraternité et l’amour des hommes. Un des plus beaux films de John Huston. A la gloire des loosers magnifiques.

Oates a dit que « Tout comme le danseur, le boxeur ‘est’ en fait son corps, auquel il est totalement identifié ». Huston montre que c’est parce qu’il n’a que son corps comme force de travail, que le boxeur est frère des travailleurs les plus pauvres. Au petit matin, Tully, le vieux boxeur se joint aux journaliers qui vont s’épuiser sur les immenses plantations de Californie. Les plus belles séquences ne sont pas celles des combats (le spectacle de la Boxe ici est celui d’une exploitation des corps aussi cruelle et obscène que celle qui use les corps des saisonniers) mais celles où par les paroles d’amour et de fraternité qu’ils échangent les personnages retrouvent parfois une dignité et un sens de vivre. (interview de J.Huston)

Frapper l’autre à la face

Je raconte que je fais de la boxe. Mes amis sont intéressés. Curieux.

-«  Ça fait quoi de recevoir un coup ? »

- « Ça fait mal. »

- « Et ça te fait quoi de donner des coups ? »

Sans attendre ma réponse :

« … moi je pourrais jamais taper sur le visage de quelqu’un. Viser son nez ou son menton ou sa tempe. Là où c’est le plus fragile. Risquer de lui briser le nez, ou une dent. Viser les zones fragiles, vulnérables d’autrui, c’est violent. Moi, je pourrais pas ».

Je leur fais remarquer que sans expérience de la chose, peut-être leur conclusion est-elle prématurée. Peut-être trouveraient-ils au contraire un plaisir inconnu d’eux. Je leur suggère de venir assister à un entraînement. De mettre les gants. Pour voir.

  • « Oh, non, je le sais, jamais je ne pourrais frapper quelqu’un au visage. »

Moi, c’est souvent que j’ai envie de frapper quelqu’un au visage. Je marche dans la rue. Je croise un homme. Souvent un type de mon âge. Avec des lunettes de corne noire, une barbiche bien taillée, l’air content de lui, quinquagénaire, sans doute artiste. J’imagine l’uppercut que je pourrais lui coller au menton. Ou le direct dans le nez. Oui, c’est souvent que j’ai ce genre de pensées dans ma tête.

Suis-je le seul possédé par tant de mauvaises pensées ? Pourquoi les gens se sautent-ils si rarement à la gorge ? Les chiens qui s’aboient dessus sitôt l’approche d’un de leurs congénères me semblent plus francs à cet égard.

Hier, j’ai boxé contre Khan. Il est réfugié, afghan, et ne parle que pachtoun et anglais.   Il ne porte ni casque, ni protège-dent. Il a une garde très basse. Je ne parviens pas bien à évaluer son niveau. Je le touche plusieurs fois avec facilité. Mon poing s’écrase sur son nez, sur ses lèvres. Mais il n’a pas peur d’encaisser. Au contraire, il m’incite à ne pas craindre de poursuivre. N’empêche que je manque d’enthousiasme à le contenter. Je sais que son visage est fragile, que s’il se mord la langue, le dommage ne sera pas facilement réparable. J’évite de le frapper au visage, je préfère viser le front, les tempes, le ventre. Son visage me semble, d’une certaine façon, sacré.

Manel, quand nous l’interviewons nous confesse que c’est ce qui lui fait le plus peur dans la boxe. Elle déteste être frappée au visage. Ça la fait sortir d’elle-même. Elle entre alors dans des rages inextinguibles. Elle se dit bagarreuse. Dans la rue, elle va vite à l’affrontement. Mais dans ces cas-là, dit-elle, elle tape la première, vite et fort, pour ne pas prendre le risque de recevoir de coups au visage.

Il y a quelques années de ça, un dermatologue m’a opéré d’une sorte de grain de beauté pré-cancéreux au visage. Il m’a insensibilisé, et puis j’ai vu le bistouri s’approcher de ma joue. J’étais furieux. Immobile, impuissant, subissant une violence à laquelle en plus j’acquiesçais. J’étais bien obligé d’acquiescer. Il m’a pansé le visage, ensuite j’ai payé l’opération à sa secrétaire. Mais quand j’ai serré la main au dermatologue, j’aurai aussi bien pu le tuer sur place.

Frédéric Roux: Alias Ali collection Folio, 2013

 Alias AliOn se demande si le livre est un roman, une série d’interviews enregistrées partout dans le monde, ou une compilation de témoignages sur la vie de Mohammed Ali.

C’est un puzzle, une histoire vraie, un mythe. Et comme souvent dans les mythes, on mélange la haute littérature avec la langue de la rue, la grande histoire et les détails les plus triviaux. On ferme le livre en disant : ah oui, ça a du se passer comme ça la mort d’Oum-Baba, il était ainsi Gilgamesh. Et ici : ce Ali était un grand blablateur, un type qui masquait sa peur derrière ses provocations, un héros métis du black-power, mais c’est celui qui a résumé en une phrase ce que pensaient tous les noirs américains de sa génération : pourquoi irai-je me battre au Vietnam ? Les vietminh ne m’ont rien fait à moi. Et qui surtout a mis sa parole en acte, en refusant de se lever à l’appel de son nom au centre de recrutement. C’est aussi celui qui a battu Sonny Liston, Georges Foreman, et Joe Frazierdans des combats à proprement titanesques. Le livre est aussi une invitation à voir et revoir ses plus grands matches.

Faire une notice sur Mohammed Ali, ce serait finalement écrire sur toute la boxe, tant ce champion résume en lui l’apogée et la quintessence du noble art.

Il dansait comme le papillon et piquait comme l’abeille disait-il de lui-même.

Le livre, ou plutôt le cut-off de Frédéric Roux charrie force évènements et le lecteur se laissera porter par le cours puissant de ce livre fleuve. Il croisera des personnages pittoresques : Ferdie Pacheco (son soigneur), Angelo Dundee (son entraineur), Bundini Brown (son âme damné), Joe Frazier (son frère ennemi), Elijah Muhammad (son gourou). Et il verra le panorama de l’histoire américaine se déployer, dans un mouvement fort qui soulève alors le pays : le black power.

J’ai trouvé passionnant le portrait de Malcom X, ses relations avec Cassius Clay qui grâce à lui devient Mohammed Ali. Aussi la nature hallucinante de Nation of Islam, la secte qui va gérer la vie et la fortune d’Ali : mélange américain de gangstérisme, d’affairisme, et d’élucubration religieuse (le retour du Prophète aura lieu - d’après Nation of Islam - dans une soucoupe volante attendant dans un vaisseau spatial caché derrière la lune ( !)).

On ferme le livre en ayant une immense sympathie, ou plutôt en comprenant mieux l’immense sympathie que suscitait – que suscite toujours - ce boxeur noir de Louisville (Kentucky). On aime Ali, comme on aime ceux qu’on aime vraiment, avec toutes leurs qualités, leurs défauts donc aussi, et avec toute la palette des sentiments qu’on a pour les gens qu’on sait qu’on ne quittera jamais vraiment.  

En contrepoint, on peut écouter la grande traversée consacrée par France Culturel'été 2018 à Ali.

Gentleman Jim, de Raoul Walsh, 1942

GentlemanJimFilm de Raoul Walsh avec Errol Flynn, inspiré de la vie du boxeur James J. Corbett.

San Francisco 1887. La boxe est un sport pratiqué sans règles, relégué aux confins de la ville dans des exhibitions clandestines.Jim Corbett, modeste employé de banque, fils d'un cocher irlandais, y assiste souvent. Chez les Corbett les repas finissent souvent par une bagarre générale (entre frères)  "les Corbett remettent ça !" est le cri de ralliement des voisins qui ne ratent jamais l'occasion d'un bon spectacle (le père prend les paris). Ambitieux et opportuniste, JimCorbett sait, grâce à un culot et un optimisme indémontables profiter de toutes les occasions et un heureux concours de circonstance l'amène à pratiquer la boxe, où il excelle, et dans laquelle il voit le moyen de s'élever socialement.

Rusé, mais aussi vaniteux, insolent, et insatiable (car il fait aussi un peu l'acteur et ambitionne de jouer Hamlet), il va de victoire en victoire (au grand dam de la haute société qui parie toujours contre ce parvenu et lui propose sans cesse de nouveaux défis) et devient rapidement l'un des plus célèbres boxeurs des Etats-Unis. On est à l'époque où la Boxe gagne en reconnaissance et où on commence à organiser les combats selon les règles du Marquis de Queensberry.Corbettaffronte enfin le plus grand boxeur américain, le "grand" John L. Sullivan. Le match est un combat de titans dont Corbettsort vainqueur. A la fin du film, devenu champion du monde, Corbett fait (enfin) preuve pour la première fois de sa vie d’humilité face au champion déchu.

C'est un film très joyeux et entraînant par la vitalité et la jeunesse qui s'en dégage. Errol Flynn campe un personnage "bigger than life", en perpétuelle transformation, comme un courant d’énergie positive et joyeuse qui entraîne tout sur son passage.(l'Amérique à l'époque n'avait aucun doute)

Histoire de la boxe Alexis Philonenko, Ed Bartillat, 2002

philomenkoC'est surtout pour ses premières pages que cette histoire de la boxe vaut « J’ai, toute ma vie, cru devoir plaindre les hommes qui n’avaient pas pu, soit par faiblesse physique, soit par inaptitude mentale, franchir les cordes et monter sur le ring qu’on nomme parfois  «  le cercle enchanté »" , écrit l'auteur. De fait, un philosophe qui boxe, et écrit sur la boxe, c'est peu commun. On retiendra de son introduction l'idée que le noble art connut son acmée dans les années 70, avec le match du siècle à Kinshasa entre Ali et Foreman. C'était la première fois qu'un duel, combat entre deux hommes, étaient observé - grâce à la télévision-  par la planète entière.

Par la suite, cette situation ne se reproduira plus, la boxe étant rapidement détronée par le tennis qui est aussi un duel, un duel beaucoup plus lisible et compréhensible en tant que spectacle audiovisuel.

Donc, la boxe pour être comprise doit être apprise, ou réfléchie, étudiée. C'est ce à quoi s'astreint ce livre qui, ces postulats posés, va raconter patiemment, siècle aprés siècle, lustre aprés lustre, année aprés année, l'histoire de cet art. Les noms défilent depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, en passant par les combats clandestins dans les prés en Angleterre, où le ring était constitué d'une corde tendue par les spectateurs. Philonenko aime les boxeurs, il voudrait se souvenir de tous, rendre hommage à chacun, sans oublier les plus nombreux, les plus humbles, ceux qui ont été battu par les champions et ont sombré dans l'anonymat, et ceux qui combattaient pour quelques francs sur des planches des villes de province et qui faisaient vivre partout son art d'élection.

 

ICONOTHEQUE DE l'INSEP

nombreuses photographies et films d'archives sur la Lutte et la Boxe.

à consulter ici. Rubrique "Sports de combat".

Iliade-Homère- chant XXIII

pugilisteÀ l’occasion des funérailles de Patrocle, des jeux sont organisés par les guerriers achéens en son honneur. Les épreuves se succèdent : course de char, course à pieds, lancer de poids et ce qui retient notre attention : pugilat et lutte. La description du pugilat « le terrible jeu du pugilat » est courte et violente. On comprend que l’équipement comportait des lanières de cuir dont étaient lacées les mains. Leur fonction était inverse des gants actuels. Elles étaient mouillées, séchées pour être rêche, coupante et ouvrir les chairs lors des coups. Le temps du combat n’était pas limité, et le vainqueur était celui qui parvenait à mettre son adversaire KO.

Dans ce combat, le favori, le terrifiant Épéos vaincra Euryale dont on peut louer à quelques millénaires de distance le courage !

Le texte ci-dessous est celui de la traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel.
Il est suivi d’un très court combat de lutte (les pénibles jeux de la lutte)

 

Achille s’avance dans la nombreuse assemblée des Grecs, après avoir entendu les louanges du fils de Nélée. Alors il propose les prix pour le terrible jeu du pugilat ; il conduit et attache dans le cirque une mule robuste de six ans, qui n’a point encore été sous le joug, et qui sera difficile à dompter ; ensuite il apporte pour le vaincu une coupe à double fond, et, debout au milieu de l’enceinte, il parle ainsi aux Argiens :

« Atride, et vous, Grecs valeureux, ordonnons que, parmi les plus braves, deux hommes vigoureux s’avancent, et qu’avec le poing tous deux se frappent en élevant les bras. Celui auquel Apollon donnera la victoire, et que tous les Grecs auront reconnu, conduira dans sa tente cette mule infatigable ; quant au vaincu, il recevra cette coupe à double fond. »

À l’instant se lève un héros d’une grande force et d’une taille élevée, le fils de Panops, Épéos, habile au pugilat ; il saisit la mule vigoureuse, et s’écrie :

« Qu’il approche celui qui désire cette large coupe ; je ne pense pas qu’aucun des Grecs prétende enlever cette mule en triomphant au pugilat, car je me glorifie d’être le plus fort. N’est-ce pas assez que je ne sois qu’au second rang dans les batailles? Il n’est pas donné à l’homme d’exceller en toutes sortes de travaux. Mais je le déclare, cela s’accomplira ; je déchirerai le corps de mon rival, et briserai ses os. Que ses compagnons se rassemblent en foule autour de lui pour l’emporter quand il sera vaincu par mon bras. »

Ainsi parle Épéos, et tous gardent le silence. Le seul Euryale s’avance, semblable à un dieu, Euryale fils de Mécistée, issu du roi Talaïon, et qui jadis se rendit à Thèbes quand on célébrait les funérailles d’Oedipe : là il vainquit tous les enfants de Cadmos. Le vaillant Diomède l’accompagne et l’encourage par ses discours ; car il désire qu’Euryale soit vainqueur. Il l’entoure d’une large ceinture, et lui donne de fortes courroies, dépouille d’un bœuf sauvage. Les deux rivaux, entourés de leur ceinture, s’avancent dans l’arène ; ils lèvent à la fois l’un contre l’autre leurs bras vigoureux, qui tombent ensemble, et leurs mains pesantes se confondent. Le bruit de leurs mâchoires se fait entendre, et de toutes parts la sueur coule de leurs membres. Mais Épéos se précipite et frappe à la joue Euryale, qui cherchait à l’éviter ; celui-ci ne résiste point à ce coup, et ses membres robustes se dérobent sous lui. Ainsi au souffle frémissant de Borée, le poisson s’agite sur l’algue du rivage, où le recouvrent les vastes flots ; de même s’agite ce guerrier blessé. Alors le magnanime Épéos le prend par la main, et le relève : les amis d’Euryale s’empressent autour de lui, et l’emmènent à travers le cirque, où ses pieds traînent dans la poussière ; il vomit un sang noir, et sa tête se balance des deux côtés ; enfin il s’évanouit entre les bras de ceux qui le conduisent. Cependant ses compagnons s’emparent de la coupe à double fond.

Donc si le pugilat est "terrible", la lutte elle, est "pénible". C’est aussi le lieu de la ruse, et donc un sport auquel s’adonne Ulysse aux mille ruses.

Le fils de Pélée montre ensuite aux enfants de Danaos les troisièmes prix destinés aux pénibles jeux de la lutte ; il réserve pour le vainqueur un trépied destiné au feu, les Grecs l’estiment valoir douze bœufs : pour le vaincu il place dans le cirque une captive, habile en toutes sortes d’ouvrages, et qu’on estimait valoir quatre bœufs. Debout, au milieu de l’assemblée, Achille s’écrie :

« Approchez, ô guerriers qui voulez tenter la fortune de ce combat. »

Il dit : aussitôt se présente le grand Ajax, fils de Télamon, et se lève aussi le prudent Ulysse, fertile en ruses. Tous deux, entourés d’une ceinture, s’avancent dans le cirque et s’embrassent l’un l’autre de leurs mains vigoureuses. Telles sont au sommet d’un édifice deux fortes poutres qu’un ouvrier habile à réunies pour braver l’impétuosité des vents. On entend leurs dos craquer sous l’effort de leurs mains entrelacées ; ils sont baignés de sueur ; des tumeurs empourprées de sang s’élèvent sur leurs flancs et sur leurs épaules : tous les deux désirent avec ardeur la victoire pour obtenir le superbe trépied. Ulysse ne peut ébranler ni terrasser son rival, Ajax ne peut triompher de la force d’Ulysse. Mais lorsqu’ils sont près de lasser la patience des valeureux Grecs, le fils de Télamon s’écrie :

« Noble fils de Laërte, astucieux Ulysse, ou enlève-moi, ou que je t’enlève moi-même ; Zeus prendra soin du reste. »

En parlant ainsi Ajax soulève son rival ; mais Ulysse n’oublie point la ruse : avec son pied il frappe Ajax au jarret, lui fait plier les genoux, le renverse et tombe sur le sein du guerrier : toute l’armée est frappée d’admiration et d’étonnement. Ulysse, à son tour, veut soulever Ajax ; mais à peine lui fait-il perdre la terre, il ne peut l’enlever ; ses genoux fléchissent ; tous les deux, près l’un de l’autre, tombent sur l’arène et sont souillés de poussière. Déjà ils se relevaient pour lutter encore ; mais Achille s’approche, et, les retenant :

« Ne luttez pas davantage, leur dit-il, ne vous fatiguez point à ces combats si funestes : la victoire est à tous les deux ; recevez des prix égaux, et que les autres Grecs combattent à leur tour. »

Il dit ; et les deux guerriers obéissent à sa voix : ils enlèvent la poussière dont ils sont couverts, et reprennent leurs vêtements.

lutte 14a59c0

Interview de A. (boxeuse)

A. participe à notre Cercle d'amateurs de sports de combat. Comédienne, elle a utilisé son art pugilistique dans un récent spectacle consacré à Mohammed Ali. C'est son expérience de boxeur femme qui nous intriguait, ainsi que son rapport à la fois distant et impliqué dans la question de la violence, du sens que ça a de recevoir et donner des coups. Elle avait des formules étranges, comme "Les bleus sur le corps, c'est le salaire du travail dans le gymnase". Il nous semblait donc pertinent d'inaugurer notre enquête aprés des combattants par son témoignage, comme le signe de piste à l'orée d'un sentier, signalant la direction que nous souhaitons suivre dans cette enquête.

saidjuliettepoursite

A***, 22 avril 2015

Mon premier combat, c’était avec mon frère. Je ne sais pas ce que je lui avais fait. Il était là, face à moi, et il m’a donné un coup de poing. Je me souviens de son état. Il était hors de lui. Dans un état d’angoisse total. J’ai du avoir été très chiante. Il avait rien trouvé d’autre que de me donner un coup de poing. Il n’a pas pu trouver un autre langage. Je ne lui en ai pas voulu.

L’autre combat, le combat suivant, c’est le jour où j’ai vu ma mère avec son visage tuméfié. A cause de mon père. À l’école, quand ma mère venait nous chercher, les autres enfants, les parents d’élèves, ils le voyaient tous qu’elle avait le visage tuméfié. La première fois que je l’ai vu comme ça ma mère, c’était un matin. La deuxième fois, j’ai senti le coup venir. Je me suis interposée ; C’était une question de vie ou de mort. Il fallait que je m’interpose devant mon père. Ensuite, j’ai passé ma vie à m’interposer. Dés que je sentais qu’un combat allait commencer dans la cours du collège, mon corps se levait. C’était plus fort que moi. Durant les grèves à la fac, sitôt que les flics rappliquaient, je me mettais devant. Je me battais pas. Je m’interposais. Pour dire, ça suffit.

Une fois, au collège, j’ai mis une claque à un garçon. Un garçon qui faisait chier. Il faisait chier tout le monde ce type. J’ai demandé à la pionne  si je pouvais le gifler. La pionne elle m’a dit oui. Alors, je lui ai mis une claque au type. Je m’en suis beaucoup voulu. Je me rappelle plus de son nom à ce type.

Dés que je sentais de la violence, soit je mettais le holà, soit je m’enfuyais. Je m’enfuyais si je pouvais. Je me souviens de situations où c’était pas possible. Au hand-ball, une fois, j’étais dans les buts, les filles se sont toutes liguées contre moi. Elles prenaient les ballons et me les balançaient au visage en gueulant « Tiens, prends ça dans la gueule, grosse pute ».

La seule fois où un homme a eu un geste violent à mon égard, je l’ai regardé, et je lui ai dit : tu ne me toucheras plus jamais. C’était mon copain. De fait, je ne lui plus jamais laissé ni me caresser, ni me toucher, rien. On s’est séparé deux mois après. Il m’avait poussé très fort du trottoir. J’étais tombé sur la route. Je me suis relevée, je lui ai dit, tu ne me toucheras plus jamais.

Oui, j’ai eu très souvent envie de casser la gueule à des gens. Mais je ne l’ai jamais fait. Hors du ring, je n’ai jamais frappé personne.

La première fois que j’ai vu de la boxe, c’était à la télé. J’étais encore une petite fille. Tout c’est fait en journée. Enfin, c’est comme ça que je m’en rappelle. Ma mythologie, c’est ce jour-là, l’après-midi j’avais regardé Sissi à la télé. Ensuite, mon frère m’a passé le DVD de Rocky. Et le soir, on a regardé un match de catch. Non, il n’y a pas d’intrus dans l’affaire. Sissi c’est une femme qui passe son temps à se battre. Rocky, bon c’est Rocky. Le combat de catch, un des catcheurs avait une énorme cicatrice sur la poitrine. Son adversaire lui sautait depuis les cordes sur son ventre, et le ventre explosait. C’était très impressionnant. J’avais huit ou neuf ans. C’était à la télé. C’était la période de Noël. Souvent on passe Sissi à ces époques-là.

Ado, j’ai dit à ma mère : je veux faire de la boxe. Et je lui ai dit aussi à ma mère : je veux faire du théâtre. Ma mère m’a répondu : « tu ne pourras pas faire les deux. » J’ai fait du théâtre. Après, j’ai vu tous les Rockys. Et puis un jour « Millions dollars baby ». Je me suis dit « vraiment les filles elles peuvent faire de la boxe ».

La première fois que je suis entré dans une salle de boxe, j’étais dans un épisode de dépression profonde. Je suis allé voir un copain qui jouait dans un concert. Et ce pote après le concert, me raconte que son père avait une salle de boxe. Il me donne le numéro de téléphone de son père et me dit : vas-y. C’était en plein été. Et moi, j’étais donc en profonde dépression. Il me semblait que je n’allais jamais m’en remettre. Ma mère est venue à Paris. Je me tenais à côté d’elle. Je lui agrippais le bras. Là je touchais le fond de l’angoisse. J’avais l’impression que ce coup-là, jamais j’allais m’en remettre. Le lendemain, je vais à la salle de boxe. Pour y aller, il fallait que je sois allée très loin, très loin dans mon incapacité à vivre. C’était très nécessaire. J’avais peur en y allant.

Je suis entrée dans la salle de boxe. J’ai adoré l’odeur. Je me suis senti bien. On a commencé par un échauffement. Ensuite, deux par deux, des séries de directs. Des enchainements. Et puis de la corde à sauter. Et enfin un petit assaut. Tout me plaisait. Ça me plaisait de faire un assaut si vite. J’aimais que le coach me dise : fais ci, fais ça. J’avais juste à faire bien ce qu’on me disait de faire. J’adorais obéir. J’avais plus à penser. On te donne pas mal d’ordres à la boxe. C’est reposant. C’était un bon échappatoire pour moi. Faire cinq cents abdos en cinq minutes, j’adore. Mais toute seule, j’en suis pas capable. Dans la salle de boxe, il n’y avait pas d’autres filles. J’ai souvent des problèmes avec les filles. Avec les boxeurs, j’avais pas de problème. J’avais juste à travailler pour être prise au sérieux. C’était très dur physiquement. Mais, ça, ça ne m’a jamais arrêté.

Dés la première séance, j’ai pris des coups. C’était pas un problème. Moralement, des coups j’en avais tellement reçu. Mais donner des coups, c’est ça qui était compliqué. Les coups, je les prenais, ça me dérangeait pas, j’encaissais. Le prof, il me disait : mais esquive, esquive !

Des coups j’en ai pris oui. Mais c’est surtout moi qui me les donnais. Je me suis longtemps mis des coups de poing dans la tronche à moi-même. J’ai commencé au lycée. J’ai continué jusqu’à vingt-deux ans. C’était quand je me prenais des crises d’angoisse. Alors, je me mettais dessus. Ça m’ouvrait des sens interdit. Ça m’aérait le cerveau. Ça mettait un terme à une crise. Ça ne se voyait pas, parce que je me tapais pas le visage. Je me tapais sur le crâne. Une fois pourtant, lors d’une crise vraiment forte, j’étais à l’École Nationale de Théâtre, je me suis frappé le visage. Je me suis fait un gros bleu. Les autres, ils me demandaient : comment tu t’es fait ça. Je leur répondais : je me suis cognée. Je ne mentais pas en répondant ça. Mais après, je ne me suis plus jamais frappée là où ça se voyait.

C’était le seul moyen que je trouvais pour aller mieux. Me foutre sur la gueule, c’était la technique que j’avais inventé pour arrêter la crise. Et puis les gens, ils ne savaient pas ce que je me faisais. Quand ça a commencé à se savoir, ça a été moins drôle pour moi.

La boxe, ça m’a fait arrêter de me battre moi-même.

A la boxe j’ai appris à donner des coups. A la boxe, j’ai arrêté de m’effacer. A la boxe, j’ai arrêté d’être un punching-ball. À la boxe, j’ai arrêté de prendre des coups pour rien.

Si je m’en suis sorti c’est une addition : Boxe + analyse + philosophie.

Chaque fois que je sortais de la salle de boxe, je marchais dans la rue, je me sentais comme quand je suis amoureuse. C’était comme si j’étais amoureuse de moi-même. J’étais avec moi-même. J’étais que avec moi. J’étais celle que j’avais envie d’être.

À la boxe, il y a une reconnaissance. Omar, un des coach, c’est un semi-pro. Un jour, il me dit : Viens, on va faire des assauts toi et moi. Là j’étais fier de combattre contre Omar. Je me suis sentie reconnue.

Je me suis sentie reconnue dans mon travail. On faisait des concours de corde à sauter. On appelait ça « les championnats du monde de corde à sauter ». Quinze minutes non stop. Celui qui touche la corde fait cinq pompes. Celui qui a fait le moins de pompes a gagné le championnat du monde. Un soir, j’ai gagné le championnat. Sur vingt-cinq hommes j’étais la meilleure. J’étais fière. C’est un endroit de gagne la boxe. Pourtant, moi, je ne suis pas une compétitrice dans l’âme. Mais sur le mental, l’endurance, je tiens.

Un soir, je me suis pris un gros coup. Je combattais avec Akiyo. Akiyo, il est petit, rapide, il est plus jeune que moi. On fait un test-combat. Je lui place un crochet du droit. J’étais tellement contente de parvenir à lui placer un crochet du droit ! Du coup, je sais pas pourquoi, j’ai baissé la garde. Et lui, il m’a mis un direct. Tout mon corps a vibré. Tout a vibré jusqu’aux os. J’avais baissé la garde. J’étais tellement contente d’avoir passé un crochet à Akiyo. Lui a du être vexé. N’empêche, je garde le bonheur d’avoir placé le crochet. Le direct, c’est le souvenir dans mon corps d’avoir placé un crochet à Akiyo. Du bonheur en boxe, j’en ai des tonnes.

La peur ? ce qui me fait peur, c’est d’être face à quelqu’un qui ne maitrise pas bien les choses. Un débutant par exemple. Ou un sournois. Quand j’ai peur, je ferme les yeux. C’est idiot. Il ne faut surtout pas fermer les yeux. Une fois, un type m’a d’abord mis un coup de boule, et puis un coup dans le plexus. Je lui ai dit : Ok, j’arrête avec toi. Oui, la peur, ce n’est pas de recevoir des coups, c’est de faire face à un adversaire qui n’est pas loyal.

Du coup, j’ai peur aussi de ne pas être au niveau face à mon adversaire. De ne pas être un adversaire digne de lui.

C’est un lieu de solidarité avec les hommes. Une fois, un type avec qui je combattais n’arrêtait pas de me faire des commentaires mysogines. C’était la première fois qu’il venait. Je bouillais en sortant du ring. Je suis allé voir les potes. Je leur ai dit : avec celui-là, c’est pas possible. ça va pas aller. Omar, lui a dit, viens. Il a fait un assaut avec lui. Le type a ramassé. Il est jamais revenu.

C’est un lieu où je peux demander à être défendue. C’est un lieu de grande douceur. Il y a beaucoup de douceur chez les boxeurs. Les boxeurs, ils n’ont pas peur de la vie. C’est très rassurant.

Omar m’a fait des fois des confidences qu’un homme ne fait jamais à une femme. Même rarement entre hommes.

Les boxeurs sont très soucieux les uns des autres. Une fois qu’on est dans la famille, on est dans la famille.

La douleur ? Ma plus grande douleur à la boxe, c’est le jour où j’ai appris que je ne pourrai pas faire de compétition. Ça a été une souffrance énorme. Ça faisait un an que je me préparais. J’allais à la salle tous les jours. Les coaches m’avaient préparé un entrainement particulier. C’est très rare. Si les coaches font ça, c’est qu’ils savent que tu peux. Donc, comme j’étais en boxe éducative, pour la compétition, je devais passer en boxe amateur. Pour ce faire, il y a une visite médicale obligatoire. Et aussi un examen ophtalmologique. Je suis myope. Je porte des lentilles. Et pour 0, 25 à l’œil droit j’ai eu une interdiction absolue. J’aurai pu magouiller. Dans ma catégorie, et avec un casque, la probabilité que je prenne un coup juste sur l’œil c’est très rare. Mais la boxe amateur, maintenant, c’est ultra sécurisé. Surtout pour les femmes. J’ai pleuré pendant une semaine.

Mon regret, c’est que j’aurais du commencer plus jeune. Avant, ma myopie était moins forte. Elle est restée stable de vingt à vingt-huit ans. Je m’étais préparé pendant un an. C’est ça que je voulais faire. Un vrai combat. Je bossais comme serveuse la journée. Tous les soirs, j’allais à la salle. Le théâtre, c’était devenu mineur. Je voulais éprouver la peur de monter sur le ring. Savoir comment je réagirais durant un vrai combat. J’avais pris du poids. J’avais cinq kilos pour faire le poids. J’avais changé mon alimentation. J’avais arrêté de fumer.

Après, j’ai continué à aller la salle. Et puis, j’ai arrêté. C’était trop triste. Je savais plus pourquoi j’y allais. C’est vrai aussi que dans ma vie j’avais commencé à me calmer. C’était plus aussi nécessaire pour moi d’aller à la salle.

Un jour, je me suis pointé à la répétition avec un bleu au visage. Pour moi, c’est pas grave. C’est cool d’avoir un bleu. Ma metteuse en scène m’a demandé de rester après la répétition. Elle m’a dit : Ça va pas. Ton visage. Tu dois rester belle. Moi, je lui ai répondu, je m’en fous : si on me casse le nez, on me casse le nez. C’est le jeu. Mais je ne cherche pas à ce qu’on me casse le nez. Mais oui, bon, ça peut arriver. C’est la vie. Quand j’ai reçu mon contrat, j’ai lu qu’entre autre activité, la boxe m’était interdite.

Et puis est arrivé le spectacle sur Mohammed Ali. Le combat du siècle contre Foreman à Kinshasa. Les répétitions, c’était aussi physique que des entrainements. C’est un spectacle où tout est chorégraphié. Ça me demandait une discipline très proche de l’entrainement de boxe. Tous les soirs, j’ai l’impression de le faire ce combat. C’est dur. Des soirs, je doute d’arriver à la fin.

Maintenant, je vais beaucoup moins à la salle. Par contre je vais voir les compets. Je vais y retourner à la salle. Je vais y aller beaucoup. Je vais y aller trois fois par semaine. Moins de trois fois par semaine, ça sert à rien. J’ai fait un stage de cascade : bizarrement, après, j’étais meilleure à la boxe.

J’ai besoin de boxer. En fait, j’ai besoin de bouger tout le temps. Quand j’étais petite, j’arrêtais pas de sauter dans tous les sens. Ma mère, elle me disait : arrête-toi de gigoter. Assieds-toi.

Maintenant, je suis plus calme. Du coup, j’esquive mieux. Je me prends beaucoup moins de coups. Et j’ai plus de confiance en moi. J’ai arrêté quatre ans, et quand je suis revenue j’avais pas perdu. Les coaches, ils mont dit :  à te voir comme ça, tu vas nous faire encore plus regretter que tu puisses pas faire de compets.

Maintenant, dans la salle, je ne suis plus la seule fille. Quand j’ai vu ça, ça me plaisait pas trop. La nouvelle fille, elle me toisait. Omar il nous a dit : vous allez faire un assaut toutes les deux. Au bout de deux rounds, la fille elle m’a dit : « Ah, oui. Tu boxes. ». C’est comme ça. Quand tu t’absentes et que tu reviens, il faut prouver à nouveau. Mais quand même, je me sens chez moi dans la salle.

Les filles, elles viennent s’entrainer, mais quand il s’agit de combattre, elle restent pas très longtemps. Pourtant s’entrainer avec des hommes, c’est vachement intéressant. Myriam Lamar, elle ne s’entrainait qu’avec des hommes. Pour elle, les femmes, c’était juste pour le combat.

Quand t’as des bleus, t’as une satisfaction. C’est concret. Ça se voit. Quand je me regarde dans la glace et que je vois mes bleus, je suis fière. C’est du travail. C’est la paye. Ouais, les bleus, c’est la paye. Une fois, j’ai pris un coup au foie qui m’a séché. J’ai senti la douleur deux jours durant. Mais j’ai appris. Après, j’ai fait en sorte qu’un coup comme ça au foie, ça ne m’arrive plus jamais. Les bleus, c’est traces des coups que j’ai reçu. Mais autour de ces traces, il y a le souvenir de tous les autres coups, ceux que j’ai esquivé, et ceux que j’ai donné. Et puis aucun de mes amis ne m’a jamais vu boxer. Les bleus ça atteste pour eux que c’est vrai. La boxe, c’est pas une histoire.

Quand je préparais mon premier combat, tous mes amis me disaient qu’ils allaient venir. Ils sentaient que c’était du sérieux. La boxe c’était pas un fantasme.

Donc avoir un bleu de façon consenti, dans un combat, un entrainement, ça n’a rien à voir avec ceux qu’avaient ma mère, ou ceux que je me faisais quand je me cognais. Les bleus que je porte maintenant, c’est des bleus joyeux.

Le théâtre et la boxe, pour moi, c’est très proche. Dans les deux cas, c’est de la répétition. C’est comment tu te dépasses ; comment tu te trompes ; comment il n’y a rien qui vient ; comment ça va très bien.

C’est aussi un rapport au partenaire. Quand je boxe, je ne suis pas seule. Ce qu’on me donne, il faut que je le rende. C’est le jeu. Tu rentres après une répétition avec le même sentiment qu’après un entrainement. Il y a un rapport au hasard, au destin. Des fois avant de monter sur scène, je sens que ça va pas aller. Des fois avant un combat, c’est la même chose. Et des fois, on est démenti. Finalement ça se passe au mieux. Ou alors, c’est l’inverse : tu te pointes arrogante, pleine de confiance, et sans savoir pourquoi ni comment direct au tapis.

Au théâtre, j’aime pas trop qu’on soit trop dirigiste avec moi. Mais sur la danse, le mouvement, c’est différent. J’apprends. Je répète, je suis très patiente.

Au théâtre comme à la boxe, il y a du danger. Pour moi, la mise en danger, elle n’est pas physique : elle est d‘abord émotionnelle.

J’ai un truc avec la vérité. J’essaye toujours de trouver la vérité. La vérité de moi par rapport à l’autre. C’est la même recherche sur une scène comme sur un ring.

Sur un ring, il ne faut pas décevoir. Il faut être à la hauteur. Même chose au théâtre. Je ne peux pas monter sur scène en en ayant rien à foutre.

Hassan, quand il perd un match, les jours suivants, il écrit à tout le monde pour s’excuser. Il est triste pour les autres de les avoir déçu.

Spectatrice de boxe, c’est ça que je suis devenue. J’adore. J’adore le protocole des matches de boxe. Les supporters du club, je les brieffe. Il faut que le public encourage les boxeurs. « Allez ! Allez ! » quand ils rentrent sur le ring « Ouais ! Ouais ! » quand il y a un bon coup. Quand tu es sur le ring tu n’entends rien. Rien que la voix de ton entraineur. Mais les « Allez ! » et les « Ouais ! » tu les entends. Alors, c’est ça qu’il faut leur donner aux boxeurs. Crier « Allez » et « Ouais » c’est être un spectateur actif. Quand j’assiste au match, je bouge, je bouge, comme les boxers. Au théâtre, aussi, je suis une spectatrice très active. Je pleure. Je ris. C’est très rare que je sois une simple spectatrice du spectacle. Mes copains, ils se moquent de moi. Sur mon visage, on voit tout ce que je ressens. La joie d’être spectatrice, de boxer je l’ai, je la porte en moi.

Ça fait quinze ans que je fais du théâtre. L’École Nationale de Théâtre pour moi, ça a été un calvaire. Mon bonheur au théâtre, je l’ai trouvé en même temps que mon bonheur à la boxe. Le théâtre, j’ai commencé à en faire parce que c’était urgent et nécessaire. C’est après que ça c’est transformé en joie.

Mais la joie est plus directe dans la boxe que dans le théâtre. C’est le corps. Ça ne trompe pas.

julettecombatpoursite

Interview de Kamilya (boxeuse)

Interview de Kamilya à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 7 juin 2017

Kamilya a quatorze ans, elle a commencé la boxe il y a presque deux ans, les compétitions il y a un an, en boxe thaï. Elle veut continuer. Cette année elle doit changer de club.

La première fois que je suis rentrée dans une salle de combat, c’était ici, en septembre de l’année dernière. Il y a bientôt deux ans. J’étais à la fois excitée et impressionnée. Je ne savais pas si c’était violent ou pas. Comme je voyais des combats à la télé, je m’étais dit : « Pourquoi pas essayer ? » Je regardais de la boxe thaï et de la kick.

En arrivant à la salle, je me disais : « Ça va taper. » Mais en fait c’était calme et plus les mois avançaient, plus ça devenait sérieux.

Avant, j’avais fait de l’équitation, j’avais essayé le judo, j’avais fait du hockey, du basket et du hand. L’équitation m’avait le plus plu, j’en ai fait un an, juste avant la boxe.

Avant de venir ici, j’hésitais entre le judo et la boxe. Le judo ne me plaisait pas en fait, c’était plutôt pour faire plaisir à mon père que j’avais essayé. Il aimait bien les sports de combat, et comme il avait fait du judo quand il était petit, il voulait que je fasse pareil. Mais quand j’ai essayé ça ne m’a pas plu du tout, moi je voulais un sport qui tape. Et quand j’ai essayé la boxe (ma mère elle ne voulait pas du tout la boxe, pas du tout), ça m’a plu direct. Pour l’inscription à la boxe, mon père a un peu forcé. Au premier cours il est parti m’inscrire. Au retour, il a dit à ma mère que j’étais inscrite. Elle était un peu choquée, elle m’a dit : « Mais si on te casse ton nez ? etc » Elle était plutôt inquiète, elle avait un peu peur. J’ai répondu : « J’assumerai les conséquences. » Après elle m’a laissée.

Le premier cours il était franchement bien, mais il était dur. Ils nous ont mis dans le bain direct ! Après je me suis dit : « Ça m’a plu, donc pourquoi arrêter ? Même si c’est dur. » C’était dur parce que je n’étais pas habituée du tout. Je n’étais pas habituée au cardio, à courir dans la salle. Courir je sais faire mais courir, faire plusieurs exercices à la fois, s’arrêter, boire, commencer un autre échauffement etc je n’étais pas habituée du tout ! Les autres sports ne me paraissaient pas aussi dur et c’était un peu moins strict.

J’ai commencé l’année dernière en full chez les femmes, à la moitié de l’année j’ai commencé chez les enfants, en thaï, et cette année je ne me suis inscrite que pour ça. Que pour la thaï. La thaï et la kick, ça m’a plu plus que la full. Je ne sais pas pourquoi. C’est plus violent, ça tape plus et j’aime bien le côté corps à corps. En full il n’y a pas ça, c’est plutôt les jambes.

Ce qui est bien c’est que ça t’apprend à taper, mais ça t’apprend aussi une défense. C’est recevoir mais savoir aussi se protéger. C’est ce que ça apprend.

Depuis que j’ai commencé, mon niveau a augmenté. Plus les années passent, plus tu apprends de nouvelles choses, et tu te corriges sur certains trucs. Et je suis habituée aussi : le cardio que je trouvais trop dur avant, maintenant ça passe. Ça m’a appris à me canaliser par exemple ; ça sert à rien de s’énerver, ça défoule la boxe. Parce qu’avant je m’énervais facilement. Et puis j’ai perdu du poids ! Mes bras sont devenus plus musclés, des trucs comme ça.

J’aime bien le sport individuel. Je peux compter sur moi. Je connais mes capacités. J’aime aussi les sports d’équipe, on est soudés, mais ma préférence c’est d’être toute seule.

Mes points forts c’est les jambes, et mes points faibles c’est l’anglaise. Je suis plus faible avec les bras qu’avec les jambes. Je ne m’applique pas assez dans l’anglaise. J’ai du mal. Ça m’intéresse moins. Si on me disait : « Tu ne fais que de l’anglaise »  je dirai non.

La première année, on m’a proposé de faire des compétitions, mais dans ma tête je me suis dit non. Ce n’est pas que je ne me sentais pas prête mais je me suis dit : « Il vaut mieux que je taffe toute une année, comme ça l’année prochaine si j’y vais c’est pour gagner. Je n’y vais pas pour arriver deuxième, troisième. » Je veux arriver première. Donc je me suis dit non. Je n’y suis pas allée, j’ai attendu un an, et cette année j’ai commencé les compétitions. Et j’ai gagné presque toutes les compétitions sauf la dernière parce que juste avant, je me suis blessée à l’entrainement. On ne savait pas si je devais boxer ou pas. Le médecin ne voulait pas au début. Mais quand je suis repartie faire une radio il a accepté. Donc j’y suis allée. Mais j’ai eu des difficultés parce que je n’ai pas eu le temps de m’entrainer comme je suis arrivée en retard. Je suis arrivée direct sur le tatami, j’étais blessée. La fille en face ne le sait pas. C’est : soit ça passe, soit ça casse. J’ai gagné le premier et le deuxième round ; j’ai perdu le troisième et je suis arrivée deuxième.

Mon premier combat, c’était une sensation de ouf ! Je m’en rappelle. Au début j’étais stressée, je me disais : « Comment ça va se passer ? Je n’en sais rien. Si ça se trouve je vais me faire défoncer. » Et en fait, dès que j’ai vu mon adversaire, je me suis sentie rassurée. A chaque combat, dès que je vois mon adversaire, qu’elle soit plus grande, plus petite, ou autre, je me sens rassurée. Je sais comment elle est. Comment elle boxe, je le verrais sur le tatami. Donc je suis arrivée sur le tatami, et… j’ai boxé j’ai boxé, j’entendais ce que le coach (Laura, entraineure à Esprit Libre)me disait, qu’il fallait débiter très vite, je faisais ce qu’il me disait, et voilà. Et j’ai gagné. Franchement c’était bien. En plus c’était en thaï, donc j’étais grave contente. Le premier combat dans la boxe que je préfère et je gagne… Ce n’était pas trop dur en fait.

En plus de la coach, j’entendais le soutien des autres. De ceux de la boxe, les ados, et mes parents, ma mère, mon père etc. Il y avait aussi des gens d’autres clubs qui me soutenaient, pourtant ils ne me connaissaient pas. Je me rappelle qu’il y avait même un coach qui est venu me soutenir, qui m’a dit bon courage, et qui a regardé mon combat. Il était content pourtant je ne le connaissais pas du tout.

Au premier combat, il n’y avait pas mes parents. Ma mère travaillait ; comme c’était à la dernière minute, je lui ai dit de ne pas se déranger. Elle avait peur. C’est elle qui avait le plus peur. Après le combat, je l’ai appelée au téléphone, je lui ai dit que j’avais gagné, elle était contente. Mon père, quand je l’avais eu au téléphone avant, il était tout content, il m’a dit : « Fais-toi plaisir, que tu gagnes ou que tu perdes. »

Ma mère est venue les combats suivants. Mais avant, elle est venue me voir à la salle. Quand elle m’a vue à la salle, j’ai cru qu’elle allait faire une crise cardiaque, ou qu’elle allait avoir un choc, je ne sais pas. Parce que quand Alexis (entraineur à Esprit Libre) boxe avec nous, il n’y va pas de main morte, donc il boxe, il boxe, il boxe. Ma mère, ça l’a choquée au début.

Je suis sûre que dans sa tête elle s’est dit : « Si à la salle c’est comme ça, en compétition c’est comment ? » Après je l’ai rassurée. Plus tard quand elle est venue à la compétition, elle me soutenait mais elle avait peur un peu quand même. Et en fin de compte quand elle m’a vue boxer, me prendre des coups, je pense que c’est passé, c’est devenu normal en fait. Elle criait, elle disait : « Allez Kamilya ! » ou « Mets ta garde ! » Depuis, elle est tout le temps là, elle vient me voir, elle me soutient. Mon père, c’est pareil. Il est à fond avec moi. Une fois, quand l’arbitre m’a levé la main pour montrer que j’avais gagné, mon père avait sauté le truc de sécurité. Il est venu sur le tatami juste pour se mettre à côté de moi, ça montrait qu’il me soutenait de ouf. C’était beau. J’aime bien quand ils sont là. Le frère de mon père aussi me soutient beaucoup. Comme mon père. Lui, il a fait de la boxe. Il veut que je gagne, il me dit de ne pas lâcher. Il m’a plus soutenu dans la boxe que dans les autres sports.

Quand j’ai commencé la boxe, je ne pensais pas aux compétitions. C’était comme ça. Après, j’ai entendu qu’il y avait des compétiteurs chez les ados. C’est pour ça que j’ai basculé du cours des femmes au cours des ados. Et comme j’avais entendu qu’il y avait de la thaï et que c’est ça qui m’intéressait le plus quand je regardais la télé, je suis partie chez les ados et je me suis fixé le but de commencer les compétitions au bout d’un an. Maintenant, je ne me vois pas arrêter les compétitions, ou même la boxe. Même ma mère, qui avait peur, me dit maintenant : « Kamilya tu es dedans, je vois que tu gagnes des médailles, ne lâche pas. » Donc on me soutient, même du côté des ados, des coaches. Donc je me dis : « Pourquoi arrêter alors que je suis dans une bonne lancée ? »

La préparation à la compétition, c’est dur ! c’est super dur. Notre entraineur est dur avec nous, il fait ça pour notre bien, je le sais. Il est dur à l’entrainement comme ça on est sûr que quand on arrive en compétition, on n’aura pas mal, même des coups qu’on reçoit. Quand mon entraineur boxe avec moi à l’entrainement, ça me fait mal, je subis les coups, mais du coup quand j’arrive en compétition après, ça ne me fait plus rien quand la fille en face me tape. C’est pour ça que la façon dont il nous entraine est bien. Le plus dur, c’est le cardio. Il nous le fait beaucoup travailler, parce que chaque round dure 1 minute 30, qu’au premier round ça passe, au deuxième tu commences à t’essouffler et au troisième si tu ne tiens pas, c’est mort pour toi.

Pour le poids, pour l’instant ça va parce que je suis dans les plus de 60. Mais après l’année prochaine je vais changer, c’est à dire que je vais arriver dans les moins de 65. Ce qui veut dire qu’il ne faudra pas que je mange beaucoup parce que si je dépasse, je ne passe pas.

Je suis fille unique.

Mon rêve ça serait de faire de grandes compétitions comme les champions qu’on voit à la télé, continuer loin, et essayer d’avoir une salle, d’avoir un travail dans ce domaine. Essayer d’être entraîneure.

Faire de grandes compétitions, c’est essayer d’aller boxer en tant que boxeuse dans d’autres pays. Je me vois en thaï. J’aimerais aller en Thaïlande.

J’en ai parlé à ma mère, ça fait un moment que je lui en parle. Elle ne sait pas, elle réfléchit. J’aimerais y aller pour la boxe. Je ne sais pas comment ça se passe là-bas. Je sais que là-bas, la boxe c’est dur, c’est vraiment dur dur dur. Et ça m’intéresse, de voir comment sont les salles, comment se passe un entrainement…

Tu dis que tu aimerais bien devenir entraîneure, tu as déjà fait l’échauffement pour les enfants ?

J’ai déjà fait l’échauffement chez les ados, parce que parfois notre entraineur nous laisse prendre l’entrainement, c’est bien. C’est donner ce que t’as appris à d’autres personnes. Ça j’aime bien.

Qu’est-ce que tu dirais que ça développe chez les gens, le fait de faire de la boxe ? Qu’est-ce que ça leur apporte ?

Chez certains, tu peux voir des qualités. En fait on remarque beaucoup de choses quand on fait de la boxe. On voit le niveau qui augmente alors qu’au début tu te sens nulle. L’entraineur va te motiver, ce qui donne envie de continuer, de pas lâcher. De pas lâcher.

Qu’est-ce que tu voudrais transmettre si jamais un jour tu donnes des cours ?

En fait, tout ce que j’ai appris. Le donner aux enfants. Parce que mon entraineur, il m’a donné ce que son entraineur lui a donné. Il fait passer. Et lui par exemple c’est ce qu’il aime. Moi aussi j’aimerais bien faire ça.

Depuis deux ans que tu as commencé, ça te prend à peu près combien de temps par semaine, la boxe ?

Avant, je venais toute la semaine, je venais chez les femmes et chez les ados. Ça veut dire, je venais le lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi. Après quand j’ai commencé les compétitions en thaï, il fallait que je me mette plus dans le truc. Ça perturbe de faire du full et de la thaï, on peut tout mélanger. Ce qui fait que maintenant j’y vais que le mardi et le vendredi.

La boxe ça remplace le fait de rester chez moi, de regarder la télé. Il vaut mieux faire un sport, un truc que j’aime bien. Avant je restais chez moi, je sortais un petit peu mais enfin je restais beaucoup chez moi. La boxe ça m’a développée. J’ai vu quelque chose dans la boxe, c’est ça que j’ai aimé. J’ai vu que quand tu fais de la boxe, au début tu vas trouver ça dur, mais au fil des mois ça va aller mieux. Alors qu’avant je m’étais dit : ça va être trop dur, je suis sûre que je vais abandonner. Et en fin de compte non.

Ça fait quoi la sensation de gagner un combat en compétition ?

Franchement c’est bien. Mais le jour où tu perds… Moi je suis une mauvaise perdante. La fois où j’ai perdu, pendant une semaine j’étais en train de bouder chez moi. Parce que j’avais déjà combattu contre la fille, j’avais déjà gagné. Donc ce n’était pas parce qu’elle était plus forte que moi, j’avais mes chances de gagner, mais j’étais blessée. J’ai eu deux semaines sans m’entrainer, c’est ça mon coup dur.

Tu serais prête à sacrifier certaines choses dans ta vie pour pouvoir en faire à un haut niveau ?

Oui. Par exemple la nourriture, on ne peut plus manger n’importe quoi par exemple. Ça je sais qu’il faudra le faire. Quand j’étais petite j’aimais bien manger n’importe quoi mais maintenant ça va, je peux m’équilibrer. Après, le temps, ça j’en ai, parce que je ne suis pas une fille qui sort beaucoup, donc j’ai le temps pour la boxe.

Est-ce qu’il y a des choses que tu ne serais pas prête à sacrifier pour la boxe ?

Non. Tout.

Quand on fait un sport à haute dose on prend le risque de se blesser ?

C’était la première fois que je me blessais à l’entrainement ; je me suis blessée en tombant. On m’avait fait un balayage. Quand je suis revenue à l’entrainement, on ne devait plus me balayer le temps que mon bras aille mieux. Mais j’ai un peu la crainte de me faire balayer. Maintenant c’est passé. Quand je me blesserai, c’est juste ça qu’il y aura comme blocage.

Quand tu regardes les combats à la télé, est-ce qu’il y a des personnes que tu admires spécialement ?

Non.

Tu n’as pas d’idole ?

Non. Non, la personne que j’admire c’est mon entraineur Alexis. Ce qu’il m’a appris en thaï. J’admire beaucoup ce qu’il fait en thaï. Une fois, je suis partie le voir en compétition. Quand je l’ai vu boxer, j’ai beaucoup admiré. Je me dis : je vais faire pareil quand je serais grande. Franchement c’était bien. Parce que au début, comme c’est une compétition de muay-thaï, il y a la musique de la muay-thaï etc.

Du coup, l’année prochaine le cours pour ados s’arrête ici, il n’y aura plus de cours de muay-thaï ?

Non. Je me suis trouvé un autre club.

Tu t’es trouvé un autre club ?

C’est mon entraineur plutôt qui a trouvé un club pour moi et les autres ados qui étaient avec moi.

C’est où ?

Au Derek. Vers la Courneuve.

Et tu vas pouvoir y aller ?

Oui. Il nous a ramenés pour faire un essai, l’entraineur était d’accord. Donc on est partis faire un essai. Là-bas on travaille beaucoup le cardio, plus qu’ici, encore plus. Après on a fait du travail de groupe et des assauts, franchement c’était bien.

Donc tu vas aller là-bas ?

Oui.

Les combats que tu as gagnés, c’était quelles compétitions ?

J’ai gagné le championnat de kick, j’ai gagné la coupe de thaï, je suis arrivée deuxième au championnat de thaï et j’étais aussi vice-championne de kick je crois.

Donc l’année prochaine tu ne seras plus là ?

Non, j’irai à la Courneuve.

Et là-bas il y a des entrainements tous les jours ?

Non, je crois que c’est aussi deux jours par semaine.

Tes parents, tu penses qu’ils t’accompagneront à toutes tes compétitions ?

Oui, je pense, oui.

Est-ce que, quand tu es en préparation de combat, ils participent d’une manière ou d’une autre à ta préparation ?

Non non non, je veux être toute seule ! Sinon ça me stresse trop. Ils vont encore plus me stresser. Au début ils sont là avec moi, et puis après je vais dans les toilettes pour me changer, me préparer, en gros me mettre dans la compétition, et après voilà.

Donc là tu vas changer de coach, ça ne va plus être Alexis, ça te fait quoi ?

Ça me fait bizarre. De toutes façons je n’ai pas le choix, on verra bien. Mais ça va me changer de tout. Les habitudes que j’avais ici, tout va changer. On verra bien.

Les filles contre lesquelles tu as combattu, c’était qui ?

J’ai combattu plusieurs fois contre la même fille. Mon premier combat c’était avec elle déjà, elle je l’ai combattue trois fois. J’ai combattue une autre fille deux fois, et les autres filles je ne les connaissais pas, je les ai combattues une seule fois.

Est-ce que c’est plus facile de combattre avec certaines personnes que d’autres ?

En fait, avec toutes les filles avec lesquelles je suis passée, c’était facile ; c’est juste qu’il faut savoir boxer avec elles. Quand t’es contre une plus petite, il faut plus l’étouffer, enfin être plus sur elle. Mais la plupart des filles contre qui je suis tombée faisaient ma taille ou étaient plus grandes, donc il fallait que je travaille au corps, mais ça allait. Comme notre entraineur nous faisait bosser dur, quand j’arrivais en compétition c’était facile.

Là tu vas changer d’entraineur, de club. Si ça ne te convient pas, tu penses que tu chercheras un autre club ?

Non. Je ne changerai pas. Je resterai là-bas.

Et si ça ne te convient pas ?

Je ne sais pas. Franchement. J’avais essayé aussi un club à Drancy, mais je n’ai pas aimé du tout. Ce club-là franchement, avec les entraineurs, comme j’ai essayé le cours, je vois que ça me convient, je ne pense pas changer.

T’as regardé un peu les autres clubs qu’il y avait dans les environs ?

A part Drancy et le club que mon entraineur m’a proposé, non. Il y a aussi Aulnay on m’a dit, mais on m’a dit que là-bas c’était de l’anglaise donc j’ai dit non.

A l’entrainement il y a des personnes avec lesquelles tu préfères t’entrainer ?

Non. Franchement non. Pour moi on est tous pareils, c’est comme une famille. Donc je n’ai pas de préférence pour boxer.

Tu penses qu’Alexis viendra te voir boxer quand tu feras des combats ?

Non, parce qu’il part. Quand il reviendra, on verra bien, mais pour l’année prochaine je sais que je ne le verrai pas.

Qu’est-ce que ça t’a fait quand ils ont dit qu’ils arrêtaient les cours pour les ados ?

J’étais triste.

Qu’est-ce que tu en penses ? De la décision d’Alexis de partir ?

Je ne remettrai pas sa décision en cause. Je sais qu’il fait ça parce que à côté il a une vie, des trucs professionnels, donc je ne remettrai pas sa décision en cause.

Tu es en quelle classe en fait ?

Je suis en quatrième.

Et le collège plus la boxe ça va ?

Oui.

Ça t’aide ou ça ne t’aide pas de faire de la boxe par rapport à ta vie ?

C’est un équilibre : d’un côté j’ai l’école, de l’autre côté j’ai mon sport. D’un côté je me consacre à l’école, à apprendre, et de l’autre côté j’ai la boxe.

Comme tu dis que tu veux devenir entraineure plus tard, tu t’es renseignée sur ce qu’il fallait faire ?

Non j’attends encore. Je peux faire mes études, avoir un travail, et à côté faire ce projet-là.

C’est à dire un travail d’un côté et la boxe de l’autre ?

Oui. Avoir deux projets en même temps.

Il a quel âge Alexis ?

Il a 21 ans.

Tu as quel âge ?

14 ans.

Alexis m’a dit que ça faisait cinq ans qu’il entrainait, donc il a commencé à 16 ans. Tu vas pouvoir commencer bientôt !

Interview de Miriame (boxeuse, pratique le grappling et le jiu-jitsu, entraineure)

Interview de Miriame, le 3 octobre 2016 au magasin Gordo Nutrition à Pavillons-sous-Bois

Miriame pratique les arts martiaux depuis l’âge de onze ans. Je l’ai rencontrée au club Esprit Libre à Blanc-Mesnil où elle enseigne différents types de boxes pieds-poings : boxe française, kickboxing, full contact, muay-thaï, et pratique le jiu-jitsu brésilien au CDK à Sevran. Elle est nutritionniste. Je l’ai interviewée sur son lieu de travail au magasin Gordo Nutrition. Cette saison 2017-2018 elle ajoute l’enseignement du grappling à son emploi du temps, toujours à Esprit Libre.

Quand j’étais très jeune, j’avais huit ans, j’ai essayé le judo. Je n’avais pas du tout accroché. Je me souviens que j’étais entrée dans un dojo, il y avait des tatamis, c’était très beau, très grand, très espacé, mais je n’ai vraiment absolument pas accroché, je ne me sentais pas à l’aise dans l’environnement, je ne sais pas si c’est dû au professeur ou aux élèves ; c’était à Paris 20è, dans le cadre de l’école, on avait une activité extra-scolaire qu’on pouvait choisir et j’avais choisi judo à l’époque.

J’ai vraiment entamé les arts martiaux à l’âge de onze ans, quand je suis entrée dans une salle de karaté. C’était à la MJC de Gambetta. On pratiquait le karaté dans une salle de danse. C’était très lumineux, très chaleureux, j’en ai d’excellents souvenirs. Je suis restée trois ans dans cette salle avant de déménager sur Bobigny.

J’ai baigné très tôt dans les arts martiaux. Depuis que je suis toute petite, j’ai un amour pour ça. Je pense que c’est le fait d’avoir vu Jacky Chan, qui est très agile ; ce qu’il fait est très chorégraphié, très beau, très esthétique, ça m’a beaucoup plu. Mon grand-frère et mon père m’ont aussi fortement influencée. Je partageais ces activités avec eux. Mon père a fait de la boxe thaï pendant longtemps. Il a arrêté quand mon petit frère est né, j’avais quatre ans, donc je ne m’en souviens pas. Mon grand frère a toujours été très à fond dedans, surtout à travers les films et les jeux vidéos, qui m’ont beaucoup marquée. Dans les jeux vidéos, vous commencez déjà à pratiquer, quelque part vous êtes impliqué dans l’action du personnage. Ça me paraissait naturel, c’était sûr qu’un jour ou l’autre, je ferai des arts martiaux. Je regardais les films avec mon père et mon frère. Dans la famille, on était très portés sur les films. Mes parents ont fait leur jeunesse dans les années 80 et c’est quelque chose qui a explosé à cette époque-là, avec Bruce Lee, Jacky Chan, et aussi beaucoup dans les années 90. Je suis née en 1991.

Ma mère, ce n’était pas du tout son monde, mais elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour le karaté, parce qu’il y a les katas qui sont des formes chorégraphiées. Ma mère est une ancienne danseuse donc ça lui a parlé énormément.

Quand j’ai commencé à faire de la boxe, elle n’a pas du tout apprécié ! C’était une angoisse pour elle.

Quand j’ai déménagé à Bobigny, j’avais treize ans. J’ai arrêté pendant longtemps, parce que je ne trouvais pas de club proche de chez moi. Je n’ai rien fait jusqu’à l’âge de mes dix-sept ans.

A dix-sept ans, j’ai fait un an de taekwondo, c’était vraiment bien mais je n’avais pas un très bon rapport avec le coach. J’étais la seule fille et j’étais un peu délaissée, donc ça m’a un peu refroidie. C’était le premier sport vraiment dur. Au karaté, je faisais beaucoup de katas mais comme j’étais jeune (onze ans) les professeurs y allaient doucement. Au taekwondo, c’était vraiment dur, physiquement, mentalement (parce qu’il fallait qu’on s’investisse). J’ai énormément apprécié et beaucoup progressé aussi dans mes capacités. Au taekwondo, il y a des katas, mais c’est surtout axé sur les combats. J’ai commencé vraiment à combattre et à sentir les coups. Parce que au karaté, vous n’avez pas le droit de toucher. C’était appréciable parce que ça correspondait beaucoup plus à ce que je cherchais.

J’y suis allée crescendo puisque à dix-huit ans, j’ai fait de la boxe. C’était beaucoup plus dur physiquement. Je n’étais pas très investie parce que j’avais mes études à côté : je venais six mois et l’autre moitié de l’année j’avais les examens.

Après mes études d’économie, j’ai pris une année sabbatique et j’ai commencé à vraiment m’investir dans la boxe. Je me suis investie entièrement, j’ai fait des compétitions. C’était top.

J’ai commencé par le kickboxing, un mélange pieds-poings. Avec mon background de karaté et de taekwondo, j’avais de très bonnes jambes. Le kickboxing est un peu né de ça : on a pris le karaté et on a rajouté de la boxe anglaise.

Ça fait partie de moi, c’est en moi depuis que je suis toute petite, c’est un truc que je n’arrêterai jamais, quoiqu’il advienne, je ne pourrai pas m’arrêter. C’est comme si on m’avait génétiquement programmé pour faire ça. C’est impressionnant. Depuis que je suis toute petite, je me rappelle avoir toujours désiré faire des sports de combat.

J’ai fait un peu de basket, mais j’étais jeune à l’époque et j’avais un peu de mal avec l’esprit collectif. Aujourd’hui je suis beaucoup plus sportive et je suis apte à tout faire. Je ne suis pas limitée aux sports de combat. J’aime tout. Vraiment tout. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, je n’étais que sports de combat. Je n’étais pas sportive à la base, il n’y a que dans le cadre des sports de combat que vous pouviez me faire faire du sport. J’avais de l’embonpoint, vraiment pas sportive du tout ! Aujourd’hui je suis sportive.

Être sportive, ça veut dire prendre du plaisir à faire un effort physique même si on souffre. Un effort physique qui ne correspond pas à des gestes du quotidien. Qui sort des gestes du quotidien. C’est apprécier ou plutôt tolérer la douleur. Parce que c’est douloureux le sport, on ne va pas se mentir.

Ça me donne des sensations : ça me fait carrément pousser des ailes, ça me fait prendre conscience de mon corps, c’est hyper important tout l’aspect schéma corporel, ressentir chaque partie de son corps, sentir qu’il nous appartient, qu’on le mobilise, qu’on sait l’utiliser, qu’on sait bouger dans l’espace, qu’on est capable de faire certaines choses. Quand vous savez par exemple que vous êtes capable de soulever trente kilos, quarante kilos et qu’au fur et à mesure vous progressez, c’est hyper gratifiant. On développe des capacités. Quand je m’améliore, que j’arrive à développer ou à acquérir une technique, j’ai l’impression de développer mon corps. Presque comme si vous sortiez de votre corps.

Si je devais développer une image, c’est comme un papillon. A chaque fois, je suis une chenille, je forme une chrysalide, j’éclos en papillon, puis je recommence. C’est un cycle qui se répète continuellement et je deviens un papillon de plus en plus gros ou qui change de couleur… C’est vraiment comme ça que je le vois.

C’est pour ça que j’aime bien varier les arts martiaux, que je ne me cantonne pas à la boxe ou au JJB (Jiu-Jitsu Brésilien), j’aime tous les arts martiaux, tous.

J’ai plein d’images : ça vibre, ça me rend vivante, ça m’excite. Je me sens totalement différente. Quand je suis dans ma pratique, je suis vraiment isolée, je suis en connexion avec moi-même. C’est comme une suspension dans le temps.

Je fais du JJB et de la boxe. Je rêverais de faire de la capoeira. Le temps me manque mais je vais essayer de m’organiser. Et aussi du parkour. C’est considéré comme un art martial même s’il n’y a pas de combat. C’est l’art de se déplacer dans l’espace. J’aimerais énormément en faire. Pour la sensation de liberté, la sensation de voler, d’être léger, de sortir de son corps en fait, d’être hors de son corps.

C’est toujours l’idée du challenge, de se confronter à un danger et de le surpasser ; dans le parkour, le danger c’est le monde qui nous entoure, c’est périlleux comme pratique. Dans les sports de combat, c’est la même chose : il y a le risque de se prendre un coup, le risque de se prendre une clé. C’est réussir à appréhender un danger et à le maîtriser.

Dans un combat, le danger vient de l’autre, un être humain qui est comme vous, vous savez l’appréhender parce que il peut avoir les mêmes failles ; il y a des choses qui ne trompent pas, des mouvements, des paroles, des gestuelles qui vous informent sur la personne que vous avez en face de vous. Dehors, il y a plein de variables : il faut arriver à jauger la distance entre vous et l’obstacle, le vent peut vous gêner, le froid, la chaleur. C’est vous contre l’environnement. Il faut vraiment pratiquer pour réussir à appréhender. J’ai fait une séance de parkour cet été. C’est comme tout, il faut pratiquer pour réussir, mais là, vous faites un truc, vous tombez, et vous êtes tombé tout seul, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire : personne ne vous a infligé la chose. C’est ce qui est impressionnant. C’est vous contre vous-même. De toutes façons c’est toujours ça.

Que ce soit contre quelqu’un ou tout seul, de toute façon, c’est vous contre vous-même. Vous contre votre ego. Vous contre vos peurs.

La capoeira …J’ai oublié de vous dire, j’ai fait de la danse aussi, j’ai fait trois ans de danse. Dans ma famille, c’est des danseurs aussi. J’ai fait du hip-hop. Mon grand frère était danseur professionnel de hip-hop, ma mère était danseuse, danse orientale et danse classique. Elle n’en a pas fait beaucoup. C’était quand elle était en Algérie. Ma grand-mère était chanteuse dans les mariages, ma tante jouait des instruments et ma mère dansait. Mon grand-frère a été très très longtemps danseur hip-hop. Il a essayé de percer mais il n’a jamais réussi. Le petit frère est dedans aussi. Moi j’ai fait ça pendant trois ans par pur plaisir, parce que j’aime trop ça : danser, sortir de son corps. C’est toujours la même chose en fait, c’est toujours ça.

On a tous ce besoin d’investir son corps, de l’habiter quoi.

Il y a tellement d’autres manières d’habiter son corps, ça peut être la méditation, rien que le fait de manger c’est une manière d’habiter son corps, de prendre un bain, de prendre soin. Il y a une distinction esprit-corps et habiter son corps c’est quand on laisse l’esprit parcourir. C’est un réceptacle, on a des sensations. Il y a plein de manières d’habiter son corps, c’est à nous de les découvrir.

La compétition, c’est quelque chose de plus compliqué. J’ai toujours aimé la compétition quand j’étais jeune, j’en ai toujours fait, je n’ai jamais appréhendé, je faisais de bons résultats.

Quand on est enfant, on ne réalise pas les enjeux. Quand on est jeune, il n’y a pas d’enjeu. Je n’étais pas adulte donc je ne me posais pas de questions. J’ai commencé à me poser des questions existentielles à l’âge de vingt ans. On commence à avoir des doutes quand on rentre dans l’âge adulte. Quand on est enfant, on n’a aucun doute, on est sûr de soi. C’est pour ça que quand on perd, c’est beaucoup plus dur à avaler parce que c’est de la déception. Les enfants sont vraiment déçus quand ils perdent parce qu’ils ne s’y attendent pas. Ils sont persuadés qu’ils vont gagner, ou qu’ils vont juste jouer et finalement ça se passe mal, ils se sentent humiliés. C’est toujours de la surprise quand on est enfant. Quand on est enfant, on réalise après coup, alors que quand on est adulte, on anticipe vachement ces choses-là et du coup on s’inhibe. En tout cas, c’est la manière dont je le vis. Quand j’étais petite, c’était mon âme d’enfant, et mon âme d’enfant était faite pour les arts martiaux. Rien ne comptait plus pour moi à l’époque. Quand je suis entrée dans l’âge adulte, d’autres choses sont rentrées en ligne de compte : la scolarité, la responsabilité. Ça a un peu parasité mon âme d’enfant.

Quand je gagnais un combat, pour moi c’était naturel. C’était normal de gagner. Quand je perdais, j’étais déçue, j’avais un peu la boule à la gorge mais je me disais : la prochaine fois, je gagnerai. Pour moi, il n’y avait pas d’autre issue possible que de gagner, mais je ne me donnais pas les moyens de gagner. C’était un peu prétentieux de ma part.

Depuis mes dix-huit ans, j’ai une appréhension terrible, ça me bloque dans mes capacités. Sauf quand j’ai fait ma compétition en boxe, où tout s’est déroulé comme sur des roulettes. Mais là par exemple, en JJB –mais je pense que c’est parce que je manque de technique- je me sens bloquée.

Je pense aussi que c’est parce que je me mets une pression vis à vis du club, de ceux que je représente. Cette année j’essaie de mettre de la distance vis à vis de cette pression. Aujourd’hui, je suis dans l’état d’esprit de le faire vraiment pour le plaisir, que je fasse de la compétition ou pas. Si je fais de la compétition, c’est pour éprouver mes capacités, pour me challenger. Si je perds : tant pis ; si je gagne : tant mieux. L’année dernière, il y avait vraiment la pression du club (le CDK). Je me débrouillais plutôt pas mal, j’étais la seule fille, du coup, ça mettait une pression. Mais je me la suis mise toute seule ! Eux ils étaient juste là, à m’aider. Je suis très comme ça : je me mets beaucoup la pression toute seule vis à vis des autres. Et la pression, ça me bloque, ça ne m’aide pas du tout. Ce qui va m’aider, ce n’est pas la pression, c’est le plaisir : le fait que ça se déroule bien, que je me sente bien dans ma peau, comme si ce que j’allais faire  -rentrer sur le tatami et combattre contre quelqu’un- était quelque chose de naturel. Là, je sais que je peux performer. Mais si je suis stressée, ça m’inhibe, j’ai l’impression que je n’ai plus le contrôle de moi-même, je me trompe complètement sur l’état d’esprit dans lequel je suis. Je l’ai vécu cette année sur les dernières compétitions : le fait d’avoir la pression m’a bloqué dans mes capacités. J’étais beaucoup plus agressive. Plutôt que de faire quelque chose de joli, d’essayer d’être technique, j’étais trop agressive. L’agressivité, ça aide, ça fait la différence, mais quand c’est bien dosé. Pour moi, l’agressivité se rapproche plus de la bagarre que d’un art martial.

Maintenant, quand je gagne, je suis contente parce que c’est la concrétisation du travail. On se dit : « Ce que je fais, ce que j’ai travaillé, ça marche. » Quand on perd, on est toujours dégoûtée, parce que personne n’aime perdre. Mais c’est bien, parce que c’est une nouvelle porte pour progresser. Si on gagnait tout le temps, ça voudrait dire qu’on est au top et qu’on a plus à progresser, et on se repose facilement sur nos lauriers. Quand on perd, on est obligé de retravailler derrière et on travaille tellement plus, on progresse vraiment, de manière super spectaculaire. Mais c’est toujours dur de perdre. Surtout quand vous faites partie d’une équipe. L’esprit d’équipe, je l’ai senti à CDK. C’est impressionnant, c’est horrible presque. Parce qu’ils sont toujours là, à toutes les compètes, ils vous regardent, ils vous soutiennent, et moi ça me met une pression ! Parce que j’ai trop envie de leur plaire, parce qu’ils m’ont tellement bien accueillie, ils m’ont tellement portée. C’est vraiment une famille pour moi. Ça ne fait qu’un an que j’y suis ! Ça m’a choquée ! Parce que dans mon club à Bobigny, l’esprit familial s’est délité. Il y avait cet esprit familial au début mais il s’est délité et ça m’a un peu déçue. En fait, ces trois dernières années, ce n’était plus du tout intéressant de boxer parce qu’il n’y avait plus cette cohésion, ce groupe qui progresse ensemble, les coaches qui font attention à nous. Là, je l’ai retrouvé au CDK et c’est juste génial. Hier encore on y était, les garçons s’occupent super bien de nous. Ils n’y gagnent rien. Ils font ça de manière totalement désintéressée. La seule chose qu’ils veulent, c’est nous voir gagner, pour eux, pour l’équipe. C’est comme des grands frères : on a envie de plaire à ses grands frères, de plaire à ses parents.

Je suis quelqu’un comme ça : j’ai beaucoup plus de mal à faire les choses pour moi-même que pour les autres. Ce n’est pas forcément quelque chose de bien parce qu’on prend les choses trop à cœur quand ça ne fonctionne pas. On est déçu nous-même et on anticipe la déception des autres alors qu’ils ne le sont pas forcément.

L’esprit de famille d’un club c’est important, je suis beaucoup plus motivée pour aller m’entrainer en club. Au CDK, on est encadrés, on sait que si on fait une erreur quelqu’un sera là pour nous corriger, je préfère vraiment m’entrainer en club plutôt que toute seule.

Je m’entraine rarement toute seule, je le fais dans le cadre des compétitions, mais rarement. En JJB il y a des techniques pour s’entrainer seul, mais je n’ai pas la place chez moi pour m’entrainer seule ! Franchement, c’est plus agréable d’aller en club : on voit les gens, on rigole. Je préfère !

Mon rêve, ça a toujours été de pouvoir pratiquer, c’est tout. Je n’ai pas la prétention d’être la meilleure, je ne l’ai plus. Cette année, je ne l’ai vraiment plus. Cette année je veux juste pouvoir pratiquer. Quand j’étais plus jeune, je n’aimais pas trop qu’on puisse être meilleure que moi. Alors qu’aujourd’hui non. Par exemple, Sarah qui arrive au CDK, je l’encadre énormément, et ça ne me pose aucun problème qu’elle progresse, au contraire j’aimerais bien qu’elle puisse progresser plus. Je suis dans un état d’esprit totalement différent de celui dans lequel j’étais quand j’étais jeune.

Mon rêve, c’est vraiment de pouvoir pratiquer. Toute ma vie. Jusqu’à ma mort. Et pouvoir enseigner aussi. Réussir à transmettre. Je donne des cours de boxe. Transmettre, c’est quelque chose d’hyper-gratifiant.

Je veux transmettre un état d’esprit, la confiance en soi. C’est quelque chose que j’ai acquis. Les arts martiaux m’ont un peu stabilisée, même énormément stabilisée. Ça m’a donné de la valeur, j’ai trouvé beaucoup de valeurs en pratiquant les arts martiaux : la confiance en soi, la discipline. La discipline surtout, c’est quelque chose qui se perd tellement de nos jours. Le respect des autres. Le contrôle de l’égo. Ça c’est un truc que les arts martiaux vous apprennent tous les jours.

Je peux pratiquer sans envisager de faire des compétitions. Ça fait vraiment partie de moi. Je suis chez moi et d’un coup je me mets à faire du shadow.

C’est surtout par rapport à la gestion de la pression que j’aime faire de la compétition. Je n’aime pas rester sur quelque chose qui me dérange. Le jour où je réussirai à affronter cette appréhension de la compétition, je passerais peut-être à quelque chose d’autre, mais je ne fais pas des arts martiaux pour faire de la compétition. Je fais des arts martiaux pour les arts martiaux en eux-mêmes. Parce qu’en plus je veux pratiquer tous les arts martiaux et je n’ai pas le temps de faire des compétitions dans tous les arts martiaux !

J’enseigne depuis trois ans. Je débute ma troisième année d’enseignement de boxe. J’ai beaucoup de mal avec les enfants, je l’ai fait pendant un an, je n’y arrive pas. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je n’arrive pas à les gronder. J’espère que plus tard j’y arriverai ! J’aime beaucoup les enfants. J’étais vraiment jeune dans l’enseignement quand je l’ai fait et c’est un public à part, et enseigner un sport de combat c’est dangereux, des coups sont échangés, ils peuvent se blesser. Je n’assumerai pas de dire à un parent : votre fils s’est blessé pendant mon cours. C’est un truc trop difficile pour moi, du coup je préfère enseigner aux adultes. Quels qu’ils soient, hommes ou femmes. C’est juste que ça ne s’est pas présenté à moi d’enseigner à des hommes. J’aime beaucoup enseigner aux compétiteurs. Par exemple, Noémie, j’ai commencé à la suivre l’année dernière et ça m’a fait tout bizarre parce que c’est vraiment quelque chose d’emmener quelqu’un à la compétition. Tout ce par quoi vous êtes passé auparavant, vous l’appliquez à cette personne. Toutes les angoisses que vous avez connues, elle les connaît. Comme vous êtes passé par là, vous arrivez à trouver les mots pour l’aider à surpasser tout ça, et c’est excellent ! Je comprends mieux pourquoi les coaches se donnent autant. Je ne comprenais pas pourquoi les gens étaient si gentils, à s’impliquer autant dans ma préparation, mais maintenant, je comprends totalement.

Emmener quelqu’un en compétition, surtout s’il réussit, c’est encore mieux ! S’il ne réussit pas, ce n’est pas grave. Je sais que la personne sera déçue, mais il y a le fait qu’elle y soit allée, qu’elle se soit préparée. C’est toute la préparation avant qu’elle a réussit à assumer. C’est excellent. Et on est très inspiré. Noémie, elle m’a beaucoup inspirée. Je lui dit toujours : tu m’as énormément inspirée. Dans le sens où je l’ai vue vraiment, je n’ai jamais lâchée l’affaire. Je ne sais pas si mes coaches m’ont vue comme ça mais c’est impressionnant. Vous dites à une personne de faire un truc terriblement dur, elle souffre, pour autant elle va continuer. C’est impressionnant quand vous voyez des gens qui sortent de leur zone de confort et qui essaient de se surpasser. Ça vous inspire, forcément. Ça vous donne envie de faire comme eux. De vous dire : Aujourd’hui je suis à tel stade de ma vie, et bien je vais me défoncer pour en atteindre un autre, continuer à avancer, ne pas me laisser régresser. Parce qu’on est tout le temps en mouvement, on n’est jamais stable, soit on revient à un stade plus bas, soit on augmente, on est tout le temps en mouvement, donc forcément dans un sens ou dans l’autre.

La zone de confort, c’est la zone tolérable, c’est l’effort ou la situation qu’on tolère.

Sortir de la zone de confort c’est rentrer dans une zone qui devient compliquée, on commence à sentir que c’est dur, on commence à souffrir. Que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans le sport. C’est là où il va falloir travailler. Quand vous êtes dans votre zone de confort, vous ne travaillez pas, vous vous contentez d’un acquis, vous restez sur cet acquis. Quand vous sortez de la zone de confort, il va falloir faire un effort supplémentaire, travailler quelque chose de différent. C’est assez déstabilisant de sortir de sa zone de confort. C’est pour ça que c’est très important d’être accompagné.

On peut le faire tout seul, mais c’est dur. C’est dur de sortir de sa zone de confort. Dans tous les domaines de la vie. Mais une fois que vous réussissez à en sortir…

C’est prendre des risques, mais il ne faut pas prendre n’importe quel risque, c’est pour ça que c’est important d’être accompagné. Parce qu’on peut prendre des risques qui vont être très préjudiciables, notamment dans la boxe, pour sortir de sa zone de confort : faire un effort beaucoup trop intense, se blesser. Au risque de ne plus pouvoir pratiquer.

Je vois Noémie demain après-midi, elle s’entraine au Blanc-Mesnil, mais je l’entraine à l’extérieur parce que ce n’est pas suffisant, elle a une compétition dans deux semaines.

Demain, je vais la faire sortir de sa zone de confort !

Pour entrainer j’ai fait la formation BMF1, BMF2, BMF3 (Brevet de Moniteur Fédéral). Et là, on s’est inscrite au BPJEPS (diplôme d’état)avec Farah. Parce que sans le BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education et du Sport),vous ne pouvez pas être rémunéré. On nous paye en défraiements d’essence. Avec le BPJEPS, vous pouvez être rémunéré et vous pouvez travailler à l’étranger. Et on apprend beaucoup plus de choses. C’est pour toutes les activités pugilistiques : on pourra enseigner la boxe thaï, le kickboxing, le full-contact, le pancrace.

La boxe, c’est violent. On prend des coups. On ne peut pas se mentir. Il y a des bleus, il y a des blessures. Même en JJB. Hier je me suis fait mal au genou, là j’ai terriblement mal. C’est violent. C’est une violence qu’on accepte. Je ne saurais pas vous dire pourquoi. C’est quelque chose qu’on ne reconnaît pas comme nuisible. Il y a quelque chose de bon dans cette violence. C’est bizarre. Ce n’est pas masochiste, mais ça l’est un peu quand même. Nous les sportifs, on est masochistes. Il y a quelque chose qui va ressortir de cette violence.

La vraie violence, pour moi, c’est quand une personne cherche à vous nuire ou quand vous cherchez vous-même à vous nuire. Vous pouvez pratiquez un sport juste pour vous manger des gnons parce que vous voulez vous punir de quelque chose. Il y a beaucoup de sportifs qui sont dans ce cas-là. J’ai fait de la psychologie du sport dans ma pratique. On a vu des témoignages de sportifs qui sont presque dans l’automutilation dans leur pratique. Parce qu’ils ont des failles psychologiques qui leur appartiennent.

Pour moi la violence, c’est nuire. D’une manière ou d’une autre. Un désir de nuisance. Se nuire ou nuire à l’autre.

L’autre jour à la compétition, on regardait les combats. Pour moi, ce n’était pas beau. C’était moche ! Il y a deux styles en combat : le « light », où il ne faut pas mettre de force ; si vous portez un coup trop fort vous risquez d’être disqualifié. C’est très beau.

Et le « plein contact », où le but est de mettre KO.

Dans le « plein contact » j’arrive à distinguer les gens qui font ça juste pour la bagarre, juste pour nuire, et qui vont faire mal ; et ceux qui font ça pour le sport, même s’il y a un désir de mettre KO derrière. On sent alors que les deux adversaires ne sont pas là juste pour se mettre KO, c’est vraiment le cadre du sport. C’est comme des gladiateurs. C’est quelque chose d’être capable de mettre KO ou d’éviter que la personne me mette KO en la mettant KO en premier. C’est l’état d’esprit du départ qui est important.

En général, les combats « plein contact » classés, ce sont des petits jeunes qui viennent de rentrer dans la boxe, qui veulent juste se bagarrer et gagner des médailles. Alors que les combats de boxe pros, c’est très propre. Les coups sont portés bien sûr. Les combattants se sont mis en condition pour encaisser les coups. Mais c’est très propre, c’est très technique, très recherché.

Il y a aussi des gens qui ne sont pas capables de faire autre chose. Par exemple, cette année, je ferai du plein contact, pas du léger. Parce que je n’en suis pas capable. Je suis quelqu’un de très dur, je suis agressive. Ce n’est pas une agressivité que je contrôle, mon corps s’exprime comme ça. Au JJB par exemple, je suis très dure, je suis très lourde, je suis très musculaire, je suis très contractée quand je m’entraine. Je ne sais pas pourquoi. C’est mon style : l’impact, l’efficacité. Avant, j’étais plus dans l’esthétisme et dans le déroulé étant donné que je venais du karaté et du taekwondo.

Je ne sais pas pourquoi au fil du temps je suis partie sur un autre style. Peut-être parce que j’ai pris du poids. Quand vous prenez du poids, c’est plus difficile d’être plus souple, plus léger. Je pense que ça a joué. Je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’efficacité que dans le fait de dérouler des coups pour l’esthétisme. Aujourd’hui. Ça peut changer demain. Si je développe une autre technique de boxe.

Au JJB, je suis en train de faire la démarche inverse : je deviens moins agressive pour devenir plus légère, plus souple, plus agile.

En JJB, il y a une jeune qui est très forte : Mackenzie Dern. Elle a vingt ans et a toujours fait du JJB parce que son père est très connu, entraineur.

En MMA (Mixed Martial Art), il y a Cris « Cyborg » (Cristiane Justino). C’est typiquement le genre de personne face à laquelle je ne voudrais jamais me retrouver. Cette dame est un monstre. Elle est très forte physiquement, techniquement. Elle est presque imbattable. Elle est à la fois très agressive et très technique. Elle est très impliquée, elle est dans la dévotion totale vis à vis de sa pratique.

J’admire les gens qui se sont entièrement dédiés à leur pratique et qui arrivent en même temps à rester hyper humains. Qui véhiculent des images d’humilité.

Il y a Lyoto Machida, que j’aime énormément. Il est très connu. Il est moitié brésilien, moitié japonais. Il est très humble, très bon techniquement.

Rester humain, ça se voit dans la manière avec laquelle ils se comportent vis à vis de leurs adversaires.

Hier je voyais encore une vidéo de Lyoto Machida. En MMA il y a le « Ground and Pound » : quand la personne est au sol, vous avez le droit de la frapper. Souvent, quand quelqu’un est mis K.O. au sol mais que l’arbitre n’a pas tappé, l’autre s’acharne sur lui. Dans le combat que j’ai regardé, Lyoto Machida a mis son adversaire au sol K.O. Ensuite, il a hésité, il a levé la main, il attendait que son adversaire se défende pour pouvoir le frapper. Alors que certains vont s’acharner, ce que je ne trouve tellement pas sportif. C’est limite déloyal. Mais après, c’est les règles du jeu.

Je n’aime pas le « Ground and Pound », je n’aime vraiment pas. J’aime bien le fait qu’on aille au sol et qu’on fasse du JJB ou du grappling, mais frapper une personne qui est au sol…

Je suis presque en accord avec le fait que le MMA soit interdit en France.

Je suis d’accord avec le fait de dire que c’est une image dégradante de frapper un homme au sol.

Il n’y a pas que ça qui bloque la légalisation du MMA, mais je suis d’accord avec cet argument-là. Il pourrait y avoir des pratiques de MMA en France mais pas comme au Etats-Unis où on laisse la personne se faire frapper jusqu’à ce qu’il y ait du sang partout. Je n’aime pas ça.

En boxe, oui le K.O. peut arriver mais la personne est debout.

J’ai l’impression que quand on est au sol, on est démuni. C’est une question de représentation, d’image.

Moi ça me choque, mais c’est vraiment une question de représentation.

Une personne qui viendrait me frapper au sol, ça ne me dérangerait pas parce que je me défendrai. Je sais que ça fait partie du jeu. Mais le fait de voir quelqu’un déjà presque K.O. s’en manger plein le visage, ça me choque. C’est de l’empathie.

Pas parce qu’il est au sol, mais parce qu’il est déjà K.O. Son adversaire va continuer pour manger ses millions de dollars, parce qu’il y a aussi l’euphorie du combat, l’agressivité. Il ne va pas forcément se rendre compte. Son boulot, c’est d’être là pour frapper.

Mais quand des personnes, comme Lyoto Machida, arrivent à faire ça (s’arrêter avant de frapper quelqu’un au sol déjà K.O.) je trouve ça génial. Il n’est pas que dans son combat, il sait qu’il y a un autre être humain en face de lui. Une personne qui a des sensations, qui a une santé.

La façon dont les personnes se respectent, ça se sent à la pesée, quand les personnes se regardent droit dans les yeux. Il y en a qui sont déjà hyper agressives, qui commencent déjà à s’insulter, qui veulent déjà se battre alors qu’elles sont à la pesée. Je n’aime pas.

C’est du show. Il y en a qui adorent ça. Moi, ce n’est pas mon truc. Ce que j’aime c’est quand les deux personnes à la pesée sont contentes, sont dans un bon état d’esprit.

Je n’aime pas la violence. La volonté de nuire. Ils ne se rendent pas compte combien vouloir nuire à quelqu’un, ça peut aller très très loin. On peut faire quelque chose de fatal. On peut handicaper une personne de manière définitive. On peut même la tuer.

Les personnes ne se rendent pas compte des risques que vous prenez quand vous êtes dans une cage. Il y en a qui sont morts. Très très peu.

L’ex-mari de Cris Cyborg a pris un coup de genou sauté, il n’était pas du tout au sol, il a plein de micro-fractures dans le crâne. C’est un handicap.

Ça existe dans tous les arts martiaux, même en JJB, vous pouvez déchirer le genou ou le talon de quelqu’un. Bien sûr.

C’est pour ça que c’est important de maitriser sa pratique. C’est pour ça que dans certaines fédérations, certaines prises sont interdites : les clés de talon par exemple.

Parce que c’est trop dangereux si ce n’est pas fait par quelqu’un de très expérimenté.

Je fais une différence entre les sports de combat, les arts martiaux et la bagarre.

Les sports de combat et les arts martiaux se rapprochent : la différence c’est qu’il y a un protocole, un cadre disciplinaire beaucoup plus délimité dans les arts martiaux que dans les sports de combat. Dans les sports de combat, il y a une discipline, mais c’est plutôt une discipline induite, tacite, entre les partenaires. Dans les arts martiaux, il y a le salut, le respect du maître, les grades, le kimono, c’est vraiment codifié. En boxe, il y a une discipline, mais c’est tacite. Ce qui est impressionnant c’est que malgré tout, tout le monde la respecte. C’est vraiment tacite, il n’y a pas de règle écrite, ce sont des règles de respect, de fair-play, d’hygiène, que tout le monde connaît et que tout le monde applique pour que ça se passe bien. Alors que dans les arts martiaux, dans certains dojos, il y a des sanctions. Vous pouvez être sanctionné. Par exemple, si vous n’avez pas bien mis votre kimono vous faites vingt pompes. Au taekwondo, on avait des trucs comme ça, kimono mal repassé : dix pompes. Alors qu’à la boxe, non. Si le short est mal repassé, tant pis pour toi.

Dans les sports de combat et les arts martiaux, c’est un partage, c’est un échange.

La bagarre, il n’y a aucune règle. C’est nuire à la personne ; ou se défendre. Mais dans les deux cas, il y en a un qui veut nuire à l’autre.

Les règles, c’est important. Parce que ça met tout le monde d’accord. Certaines règles peuvent être discutables. En adhérant à une fédération, en envoyant des courriers pour en parler, on peut réussir à faire évoluer les choses. Mais les règles, c’est hyper important. Surtout dans les sports de combat. Parce que ça engage des émotions, des sensations qui peuvent vous faire perdre le contrôle. Si vous n’avez pas les règles derrière, ça peut vite mal tourner.

Tous les jeunes devraient se former à l’arbitrage. Je vais le faire prochainement. Il faut avoir une ceinture bleue pour faire le stage d’arbitrage en JJB. Dès que j’ai ma ceinture bleue, je le fais. C’est hyper-important. Pour sensibiliser aux règles. Et même stratégiquement. Quand vous emmenez ensuite des personnes en compétition et que vous connaissez les règles, c’est mieux !

En boxe aussi. Il devrait même y avoir plus de règles, notamment par rapport à l’état d’esprit. Je trouve qu’il y a parfois des choses qui méritent la disqualification et que les arbitres laissent courir.

En même temps, en instaurant trop de règles on peut rentrer dans du karaté.

Les règles ont été pensées par des personnes qui ont pratiqué. C’est à nous, nouvelle génération, de peut-être apporter d’autres choses.

Quand j’ai fait ma pesée, c’était un calvaire : je ne mangeais plus rien. On m’avait inscrite dans une catégorie de poids qui n’est pas la mienne.

C’est un truc qui se fait très couramment : s’inscrire dans une catégorie inférieure à la vôtre ; c’est complètement stupide. Ça ne sert à rien, parce que tout le monde va faire la même chose. Vous faites en sorte d’être dans la catégorie d’en-dessous pour avoir l’avantage sur votre adversaire mais lui va faire exactement la même chose. Vous appartenez tous les deux à la catégorie d’au-dessus mais vous cherchez à aller dans celle d’au-dessous. Et dans le cas où un seul appartient à la catégorie d’au-dessus et cherche à rentrer dans celle d’en-dessous, ce n’est pas vraiment sportif comme esprit. On décide de se défaire d’un challenge.

C’est toujours possible, mais il faut alors s’y prendre longtemps à l’avance et le faire dans de bonnes conditions. Ce n’est pas deux semaines avant que vous perdez dix kilos.

Dans mon cas, j’ai toujours beaucoup de mal à perdre du poids, donc c’était horrible. Je faisais 63kg et on m’a inscrite en moins de 60kg. Il fallait que je pèse 59kg. En soi, 4 kilos, ce n’est pas méchant. Mais j’ai eu beaucoup de mal. Le dernier kilo a été dur à perdre. J’avais beau ne rien manger, je n’y arrivais pas. Je ne buvais que de l’eau, je mangeais un yaourt, je me suis entrainée les deux derniers jours dans un sauna. Et 48 heures avant la pesée, je n’ai pas bu une seule goutte d’eau. Et du coup : fracture de fatigue. J’ai fait ma compétition, j’ai gagné, mais c’était très douloureux. J’avais les poumons et les narines en feu, une sécheresse au niveau de la bouche. J’ai donc gagné les championnats d’Ile-de-France. Mais quand il a fallu reprendre l’entrainement pour préparer les championnats de France, je n’étais pas du tout prête. Je me sentais incapable de refaire quelque chose d’aussi difficile. D’ailleurs, je n’ai pas tenu, je ne l’ai pas fait. J’ai enchainé les fractures de fatigue, ma cheville se dérobait sur le ring. Je n’arrêtais pas de pleurer parce que je n’arrivais plus à être au poids. J’avais repris 4 kg d’un coup après la compétition. C’était en 2013. J’ai carrément arrêté de boxer, je ne suis plus venue aux entrainements. Je n’étais plus dans un bon état d’esprit. En plus, les coaches ont la fâcheuse tendance à vous faire des remarques sur votre poids. Déjà quand vous êtes un garçon c’est désagréable, alors quand vous êtes une fille. Ils le font toujours encore aujourd’hui. Ils sont toujours en train de dire : « Ah tu as pris » ou « Ah tu as maigri ». Comme si la personne n’existait qu’à travers ça. Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils peuvent développer.

Dans les sports de combat, il y a un grand risque de développer des troubles du comportement alimentaire : anorexie ou boulimie. Ça se retrouve dans tous les sports esthétiques ou à catégorie de poids.

Les coaches ne se rendent pas comptent. Ils ne nous accompagnent même pas. Ils n’ont pas de formation nutritionnelle pour accompagner dans une perte de poids.

C’est pour ça que j’ai fait mes études. Parce que ça m’a vraiment beaucoup marqué. C’est dommage parce que vous n’êtes pas serein dans votre pratique. Tout ça à cause d’une histoire de poids.

Aujourd’hui je peux combattre dans n’importe quelle catégorie. Parce que je sais que je préfère être désavantagée au poids plutôt que de pourrir ma préparation à la compétition. Ça m’a vraiment marqué ! Encore aujourd’hui, si je pouvais retourner dans le passé, je ne le referais pas. Et je ne l’ai fait qu’une seule fois ! Les sportifs ont enchainé ça pendant des années et des années. Il peut y avoir des séquelles physiques.

C’est pour ça qu’au JJB, vous vous pesez cinq minutes avant d’aller combattre. Vous ne pouvez pas regagner de poids (entre la pesée et le combat), contrairement à la boxe où vous avez une demi-journée ou 24 heures entre la pesée et le combat.

À la fédération FFL (Fédération Française de lutte),en JJB, vous vous pesez et vous allez directement combattre. C’est super-intelligent de leur part. De cette façon, vous ne pouvez pas compter sur le fait de reprendre du poids entre la pesée et le combat. Vous devez bien réfléchir à votre catégorie de poids. C’est super comme règle. Ça va finir par dissuader les gens de faire des régimes. Parce que quand dans un combat vous n’avez aucune pêche, c’est intenable. Surtout en JJB où il faut supporter son propre poids et le poids de la personne.

Ça c’est une bonne décision.

En boxe, vous avez toujours une demi-journée ou trois heures pour remanger après la pesée.

Je viens de passer un bachelor en nutrition sportive. Avant, j’avais fait un bac économique et social. Après le bac, je ne savais pas quoi faire, donc j’ai tenté du droit bilingue, c’était très bien mais trop loin de chez moi, du coup j’ai lâché l’affaire. En plus je ne voyais pas d’opportunité professionnelle. Ensuite j’ai fait deux années de prépa économie qui étaient géniales parce que c’était un très bon groupe. Ce n’était pas le même état d’esprit que dans toutes les prépas où chacun doit être meilleur que l’autre. On avançait tous ensemble. On était dix. C’était top. Mais je ne me voyais pas faire une école de commerce. Ce n’était pas mon truc. Donc j’ai pris une année sabbatique, pendant laquelle j’ai fait beaucoup de compétitions. Ensuite, la nutrition m’est apparue comme quelque chose de logique. Ça m’a toujours beaucoup intéressé. Et mon grand-frère qui a eu beaucoup d’influence sur moi, m’a encouragé. Donc j’ai fait de la nutrition, là j’ai terminé, j’attends les résultats. Je fais un bachelor en nutrition sportive. Nutrition adaptée aux sports de combats. J’ai choisi ça pour aider les athlètes à gérer leur pesée.

Dans ce magasin (Gordo Nutrition) on vend des compléments alimentaires surtout destinés aux sportifs. Les sportifs ont des besoins spécifiques liés à leur pratique. On vend principalement des produits de récupération, parce que c’est ce qui est le plus demandé. La première des récupérations est liée à l’hydratation et à l’alimentation. Certaines personnes ne mangent pas suffisamment pour bien récupérer. Ça peut donc être un plus pour elles. Chaque produit est une source concentrée de nutriment spécifique. Ça peut être super pratique. Vous prenez 50g de Weigh, vous rajoutez 200ml d’eau, vous avez presque l’équivalent d’un steak.

Il y a de tout : ceux qui veulent prendre du poids, ceux qui veulent en perdre. Ceux qui veulent juste se sentir mieux : on vend des vitamines, des minéraux.

On a aussi des produits plus alimentaires : du beurre de cacao par exemple. On va faire un rayon bio, des aliments sans gluten etc.

Il y a vraiment de tout, c’est top, c’est trop bien.

Depuis toute petite, j’ai pensé que les sports de combat n’étaient pas réservés aux hommes. Mes parents m’ont élevé dans cet état d’esprit. Pourtant mes parents sont issus de l’immigration. Mais la danse n’est pas forcément pour les filles et la boxe, pas forcément pour les garçons. C’est fait pour toute personne qui a une affinité pour ça. Je trouve que les sports de combat sont d’autant plus fait pour les femmes qu’on est une population vulnérable. Physiquement, on est moins aptes à se défendre qu’un homme. Et on est plus les cibles d’agression. Quand une femme décide de faire un sport de combat, c’est très judicieux de sa part. Elle ne mettra pas forcément quelqu’un K.O. mais au moins elle sera préparée à une éventualité. Un homme est dissuadé quand il voit une femme qui sait se défendre. Si la femme se met en garde par exemple, l’homme se dit qu’elle n’est pas si sans défense que ça et qu’il ne va peut-être pas l’agresser. C’est très important que les femmes fassent des sports de combat. Maintenant, avec les réseaux sociaux, les femmes dans le MMA, il n’y a plus tant de différence. Il y a quand même plus d’hommes qui pratiquent, c’est sûr. Il n’y a pas de sports faits pour les hommes ou faits pour les femmes.

C’est vrai qu’on développe des attributs en pratiquant, en lutte par exemple, la plupart des femmes sont très carrées, les danseuses sont plus fines. Mais en fait, non, ça ne veut rien dire.

Et les canons de beauté ont changé, il y a de tout. Une femme très musclée, ou ronde, peut être très jolie. Comme une femme toute fine. Tout ça, c’est grâce aux réseaux sociaux. On voit de tout, des images du monde entier. Des canons de beauté venant de tel ou tel pays. Ça modifie les esprits. C’est bien, comme ça peut aussi être néfaste. Ça ouvre l’esprit, mais ça peut être la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Il faut bien savoir identifier l’information que vous voyez.

Quand je ne suis pas blessée, je peux aller jusqu’à 10h d’entrainement par semaine. La semaine dernière j’ai fait mardi, mercredi, jeudi et dimanche, chaque fois deux heures. Ça fait 8 heures. J’aurais pu en faire plus. Cette semaine je me suis blessée, je ne pense pas que je vais aller au JJB mais je pense que vais aller à la salle de sport pour soulever un peu, pour travailler le haut du corps, renforcer. J’essaie de ne jamais m’arrêter parce que ce n’est pas bon. Quand j’étais jeune, j’arrêtais tout quand je me blessais. Ce n’est pas bon. Surtout que j’ai une compétition le 30 octobre. J’ai hâte. En plus, c’est en kimono. Je ne sais pas pourquoi j’appréhende beaucoup moins le kimono que le sans-kimono. (le JJB se pratique avec kimono : GI ou sans : NO GI).Je trouve que le kimono est une sécurité. Et j’ai rencontré une judokate qui m’a appris plein de trucs. Du coup, j’ai hâte de les mettre en pratique. En grappling (sans kimono),je trouve qu’on peut se blesser plus facilement, ça glisse tellement, ça va tellement vite. C’est plutôt de la lutte, et ce n’est pas quelque chose que je maitrise. Au début, j’étais plus à l’aise en grappling parce que j’avais des petites notions de lutte. Maintenant je suis plus à l’aise en kimono. Mais je fais les deux. Comme quoi tout change !

Je ne m’arrêterai pas. Même quand j’aurai ma ceinture noire. Je continuerai à découvrir de nouveaux arts martiaux. Quand j’étais petite je voulais tout pratiquer pour inventer mon propre art martial. Finalement, je respecte chaque discipline en elle-même. Je ne fais pas du MMA : je fais de la boxe et du JJB mais je ne mélange pas les deux.

Les prochaines étapes : capoeira et parkour éventuellement. Il faut juste trouver du temps. J’aimerais parfois qu’il y ait 48h dans une journée. Surtout que parfois on délaisse une pratique : en ce moment je ne fais plus de boxe pour préparer la compétition de JJB du 30 octobre. Je veux faire toutes les compétitions en JJB ; en boxe, j’en ferai une ou deux.

La différence entre les deux, c’est vraiment l’environnement. En ce moment je me sens tellement plus à l’aise au CDK qu’à mon club de boxe à Bobigny. Bobigny, je suis chez moi, je suis à l’aise. En JJB, j’ai tout à découvrir, c’est une nouvelle aventure. En boxe, je n’ai pas atteint un point d’excellence mais je me suis lassée.

Quand j’ai arrêté la boxe, ce qui m’a remis dans les arts martiaux, c’est le MMA. J’avais fait un mois de MMA à Paris, chez Fernand Lopez (Crossfight). Il m’a redonné le goût des sports de combat.

J’ai fait aussi un stage de boxe en Hollande, c’était royal. Je n’ai qu’une seule envie, c’est d’y retourner. Ça a révolutionné ma boxe. En arrivant là-bas, je me suis pris un K.O. par une novice, une personne qui était là pour le loisir alors que j’ai pratiqué en compétition ! Ils sont très bons. J’ai hâte d’y retourner. Je n’arrête pas d’essayer de me programmer dix jours pour y retourner. En Hollande, ils ont un état d’esprit très différent, ils sont cools. Dans la rue, les gens vous disent bonjour. Ils sont hyper-ouverts.

Le projet de ma vie, c’est de faire un camp en Thaïlande, un stage d’un mois. On envisage d’y aller avec Sarah. L’année dernière, quand elles sont parties avec Joan, elles ont fait un camp de boxe thaï. On partirait pour joindre l’utile à l’agréable : vacances et camp de boxe. Je ne sais pas si je resterai longtemps. Le truc, c’est que si vous restez moins de trois semaines, vous êtes un touriste. Si vous restez plus de trois semaines et que vous vous entrainez avec eux, ils vous considèrent comme un thaïlandais, vous boxez contre eux. Je verrai si je peux rester. Je ne sais pas. Ça dépendra du calendrier des compétitions, de mon état physique.

Il faut que je fasse attention, je me blesse très souvent en ce moment. Il faut que je prenne rendez-vous avec mon médecin pour comprendre pourquoi.

Mais oui, on a prévu un petit voyage en Thaïlande. On aimerait bien y aller avec toute l’équipe parce que l’année dernière tous les garçons du CDK sont partis en Thaïlande. Ils ont rencontré Sarah et Joan là-bas. Sarah essaie de voir si cette année on ne pourrait pas partir tous ensemble. Ce serait trop bien !

Là-bas, la boxe fait presque partie de leur religion. La plupart des Thaïlandais gagnent leur vie comme ça. Les enfants, filles et garçons, sont mis dedans tous petits. Il y a même des combats mixtes (homme contre femme). J’en ai vu un la dernière fois. Il faut savoir qu’en Thaïlande, il y a beaucoup de modifications chirurgicales : vous êtes une femme, vous pouvez devenir un homme et inversement. C’est pour ça qu’il n’y a pas de distinction homme-femme dans les combats. Les thaïlandais sont très beaux quand ils combattent. Ils sont beaux ! C’est très dur, c’est violent. On sent que si on se prend un coup on risque de se blesser. Mais c’est beau ! C’est très technique, très fluide, très précis. C’est trop beau, j’aime trop la boxe thaï. C’est la version martiale des sports de combat. C’est issu d’un art martial à la base. C’est une des boxes les plus complètes : vous avez tous les coups (pieds, poings, coudes, genous), les saisies et les balayages. Ce qui est interdit c’est d’aller au sol.

Ce que je pratique moi, c’est le kickboxing. Je n’ai pas pratiqué la boxe thaï dans un club de manière assidue. Tout ça c’est une question de temps. Je préfère la boxe thaï au kickboxing, que j’aime déjà beaucoup.

Il faudrait que je trouve un club et le temps pour faire de la boxe thaï.

Il y a aussi le fait que je suis un peu fidèle à Bobigny. Même si je vais beaucoup au CDK, je ne me vois pas pratiquer la boxe ailleurs qu’à Bobigny.

Mais mon grand-frère s’est inscrit dans un club à Pantin, donc je pense que je vais aller voir. C’est à Fort d’Aubervilliers.

Il y a aussi le Phénix-Club. C’est le club de référence. J’y ai été invitée à plusieurs reprises parce que celui qui dirige le club m’a formée pour les diplômes fédéraux. Et je connais une boxeuse qui boxait chez nous et boxe maintenant là-bas. Il y a aussi un boxeur de là-bas qui est venu chez nous. Il faut que j’y aille. C’est vraiment le club. C’est une usine à champions.

En Thaïlande, vous avez votre camp (votre club). Les boxeurs thaïlandais portent un Mongkon (serre-tête). Ce Mongkon appartient au camp. On le met au combattant pour qu’il aille représenter son camp.

En France, il y a des clubs qui naissent un peu partout, il y a beaucoup de disciples d’un tel qui ouvrent un club là ou là.

Comme autre loisir, il y a le shopping. C’est très important pour moi. La cuisine j’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps. Je n’ai vraiment pas le temps. J’aime aussi beaucoup regarder des films, aller au cinéma. Etre avec mes amis, partager des bons moments. Je suis beaucoup dans l’échange.

Interview de Neïla (entraineure, boxeuse)

Interview de Neïla à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 30 janvier 2017

 

Neïla a commencé la boxe par hasard. Elle dit : Je n’aurais jamais pensé que c’était un sport qui allait me plaire autant. Elle s’est prise au jeu, a ensuite passé ses diplômes d’entraineure et mis en route la section féminine de Esprit Libre au Blanc-Mesnil à la demande de Paly. Cette saison 2017/2018 annonce du changement pour le club et Neila puisque celle-ci a trouvé un travail dans le sud et qu’elle doit donc passer le relais aux autres entraineures de la section : Farah, Miriame, Alice, Laura.

 

La première fois que je suis rentrée dans une salle de sports de combat, c’était avec une amie. C’était elle à la base qui voulait essayer. Je suis rentrée dans une salle de boxe, à Aulnay-sous-Bois. C’est là où j’ai commencé. C’était marrant parce que j’ai fait le cours avec elle, et elle n’a pas suivi du tout après et au final c’est moi qui ait accroché.

Je me souviens de la salle. Il y avait des sacs et deux rings. Il y avait deux entraineurs à l’époque. Ce dont je me souviens c’est que je ne savais pas faire de la corde à sauter ! Je n’en avais jamais fait à l’école, je n’aimais pas ça. Et du coup, c’était marrant, la première fois où j’ai fait de la corde à sauter c’était à la boxe, je ne sais plus quel âge j’avais, je devais avoir 21/22 ans, un peu plus même : 23.

C’était un peu impressionnant, surtout les sacs, parce qu’on avait travaillé directement au sac, à la fin du cours : ça m’avait beaucoup plu, je n’avais pas forcément le geste parce je caressais un petit peu le sac : c’était très doux ! Par la suite j’ai le souvenir des entraineurs qui m’ont amené à aimer cette pratique parce que j’étais plutôt réservée, calme, donc ce n’était pas forcément un sport qui m’attirait de base.

Donc il y avait ça : la technique, les premiers mouvements qu’on montrait : le direct qui n’était pas forcément évident au départ.

Oui, ça m’a plu dès le premier cours.

Ce qui m’a plu, c’est que je me suis dépensée sans forcément le ressentir, en m’amusant. C’était vraiment de l’amusement ce premier cours. C’était intéressant aussi d’apprendre plein de choses sur le mouvement, sur son corps. Se rendre compte, quand on fait des mouvements au sol par exemple, que la jambe pèse très lourd alors qu’on a pas l’impression ! Savoir contrôler son corps, c’est quelque chose qui est difficile. Quand on voit les mouvements, on se dit : « Oui, c’est facile » et quand on le fait on se dit : « Ah, mince ! »

Il y avait les étirements à la fin : c’était un peu compliqué parce que je n’étais pas très souple ! Mais je me rappelle de cette sensation des étirements, du retour au calme. Il y avait vraiment beaucoup de choses sur l’intégralité du cours.

C’était une sensation globale très agréable.

Avant la boxe, j’avais fait des activités sportives au lycée, au collège, à l’école. Quand j’ai arrêté l’école j’ai complètement arrêté le sport. Je m’y étais remise avec l’amie avec qui je suis venue la première fois à ce cours. Je m’étais inscrite dans une salle de sport au CMASA. Le même club a une salle de musculation avec des cours : abdos-fessiers, step, etc. Je m’étais inscrite là-bas et il y avait cette affiche pour le cours de boxe. C’était de la boxe féminine, avec des entraineurs hommes, et c’était le mercredi. Le premier jour où j’y suis allée, je me souviens que c’était un cours féminin. Il y avait d’autres cours dans la semaine qui étaient mixtes.

J’ai décidé de continuer. Dans ce club. Au CMASA. Au début, la première année, je venais régulièrement mais ce n’était pas forcément très assidu. Je venais une ou deux fois par semaine. Il y avait des cours quasiment tous les jours. Au bout d’un an, un an et demi peut-être, j’y ai vraiment pris goût et je me suis beaucoup plus investie. J’allais quasiment à tous les cours. Tous les jours. J’avais un petit peu plus de temps sur mon planning, qui me permettait d’y aller. Comme j’ai évolué assez vite, ça m’a donné envie d’évoluer encore plus. Et plus je faisais des cours, plus je sentais que ça devenait plus facile, et c’est devenu un peu comme une addiction ! Pendant un moment j’y allais vraiment tous les jours et s’y je n’y allais pas, il me manquait quelque chose dans ma journée. Ce qui me manquait, c’est la sensation d’après : on a quand même une sensation de fatigue et en même temps une sensation de bien-être. Et le fait que quand on fait un sport comme ça, on ne pense à rien pendant l’entrainement. On n’a vraiment pas le temps de penser à autre chose et ça enlève tout ce qu’on peut avoir à l’extérieur, que ce soit le travail ou autre, c’est vraiment un moment pour soi.

Je suis restée pendant plus de six ans.

J’ai beaucoup sympathisé avec un des entraineurs, Mamadou Kebe. Ils ne faisaient pas de compétitions à l’époque, et je l’ai un peu poussé à faire des compétitions parce que je voyais qu’il y avait beaucoup de personnes qui étaient motivées. C’était une section adulte. Je l’aidais un peu sur les cours, et comme c’était compliqué pour lui de faire l’administration, au final je m’occupais de tout ce qui était papiers, prise d’inscriptions, contacts avec la fédération. Donc on s’est lancés dans les compétitions, ce qui a mis une bonne dynamique dans le club.

Les compétitions, au départ, j’en ai pas eu forcément envie. Mon entraineur m’en parlait. Il m’a demandé d’aller sur les sites pour voir comment ça se passait. Et ça m’a donné envie de m’y intéresser. Lui, il est très compétiteur dans l’âme. Il a fait beaucoup de compétitions avant, mais il ne savait pas comment gérer cette partie d’organisation qui fait qu’on va aller en compétition. Mais il aime bien entrainer des compétiteurs. Il s’est dit : si quelqu’un peut se charger de prendre les licences, de la partie administrative, on y va. Et de fil en aiguille, il a commencé à entrainer pour les compétitions et à regarder quelles personnes seraient intéressées, auraient les capacités pour en faire.

En allant voir des compétitions, ça m’a donné envie d’en faire. Ma première compétition, ce n’était pas moi qui avait fait l’inscription, je crois qu’il avait vu avec le directeur du club lui-même. Il nous avait dit que ce serait une petite compétition, qu’on allait se lancer en light, moi et celle qui avait ouvert la section au départ. Je me souviens très bien : quand on est arrivés à la compétition, il y avait énormément de monde, on regardait tous les combats. Il y avait un problème d’arbitrage sur un combat, ils n’étaient pas d’accord entre eux. Une du club a dit : « Oh, c’est pas le championnat de France non plus ! » et là, une personne s’est retournée et a dit : « Si, si c’est le championnat de France ! » Au final ça nous a mis une petite pression, alors que notre entraineur ne voulait pas nous mettre de pression justement. Cette compétition s’est bien passée dans l’ensemble, mais j’ai le souvenir que j’étais très stressée au moment de monter sur le tatami. Je n’avais pas l’habitude de m’entrainer avec un casque et le fait d’en mettre un, ça me faisait comme si tout le monde était lointain. Tout le monde parlait en même temps et je ne comprenais rien de ce qu’on me disait. Je ne me rendais pas compte que j’étais essoufflée, je crois que je n’ai pas dû respirer pendant tout le round à cause du stress. Mon adversaire était plutôt fair-play. Elle aussi je crois que c’était sa première compétition donc on était dans la même dynamique toutes les deux. Je me souviens qu’à la fin du premier round quand je suis partie voir mon entraineur, il m’a un peu secouée en me disant : « Mais c’est qui là-dedans ? Tu fais quoi ? » Parce qu’en fait je ne faisais pas grand chose ! Quand j’ai regardé la vidéo après, j’ai vu que j’étais essoufflée et que c’était très lent ; tous les mouvements étaient très lents. Sur le coup je ne m’en rendais pas compte, c’est en regardant la vidéo après. J’avais perdu vraiment mes moyens parce c’était devant tout le monde.

Mais c’est quand même un bon souvenir, parce que ça m’a appris à me mettre dans la peau du compétiteur, et à connaitre toutes les sensations qu’on peut ressentir. C’était un moment de stress, de ne plus savoir tout ce qu’on a appris. On peut tout oublier au final ! C’était déstabilisant mais je ne dirais pas que c’était un mauvais souvenir.

Après, j’ai fait une compétition en plein contact, et là c’est plutôt un mauvais souvenir. Mon entraineur pensait que j’étais prête et que j’avais les capacités pour aller en plein contact. Je n’en étais pas forcément convaincue parce que je n’étais déjà pas très à l’aise en light mais j’avais fait entièrement confiance à mon entraineur. Et je pense que je n’étais vraiment pas prête. Je suis tombée sur quelqu’un qui avait l’expérience des combats, qui était plutôt hargneuse. On n’a même pas fini le premier round ! A cette époque-là, j’avais la hantise de me prendre des coups sur le nez parce que j’ai un problème au niveau des sinus. Je voulais juste ne pas me prendre de coup et ce qui arrive en général c’est tout le contraire ! Je me souviens avoir envoyé les premiers coups : coups de pied, coups de poing ; qu’ensuite elle a remisé et qu’à ce moment là je n’ai pas eu ma garde et : direct sur le nez. Donc on a arrêté parce que je saignais du nez, on a essuyé, et on est reparties. Et quand on est reparties elle s’est déchaînée direct sur mon visage parce qu’elle s’est dit : « Ça y est, je l’ai touchée à cet endroit-là ». Et là mon entraineur a jeté l’éponge parce qu’il voyait que ce n’était pas productif. Ce n’était pas intéressant de me laisser.

Là, je me suis rendue compte de l’impact que ça pouvait avoir psychologiquement, physiquement, surtout en plein contact. Je pense que je n’étais pas prête, ni physiquement, ni psychologiquement.

J’en ai refait une autre deux ans après, en light. Pour moi, pour ne pas rester sur cet échec, pour me dire : le light ça me convient peut-être plus. Mais je ne me trouve pas très à l’aise sur le tatami en compétition, je me sens mieux en tant que coach. Je l’ai refaite pour me surpasser. Et cet échange était beaucoup mieux, j’ai terminé sur une bonne touche. J’aurais peut-être continué en light si j’avais eu le temps de m’entrainer mais au final il fallait choisir à un moment donné.

Au bout de six ans au CMASA, je suis venue ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) pour ouvrir la section féminine.

J’avais rencontré Paly (Paly Dembelé, fondateur de Esprit Libre) au CMASA où il s’entrainait aussi. On s’est trouvés amicalement déjà, et aussi au niveau sportif. Il m’a parlé du club de Blanc-Mesnil. C’est de lui dont vient l’idée de la section féminine. Au départ il y avait une section adulte et une section enfant. Il avait vraiment le désir de mettre une section féminine en place. Beaucoup d’autres clubs avaient une section féminine mais avec un entraineur homme. Ce qui faisait la différence c’est qu’il voulait que ce soit une femme en tant qu’entraineur. Il nous en a parlé, à une de mes amies aussi du club d’Aulnay et à moi.

Et on a ouvert la section féminine au BMSFighting-Club (Blanc-Mesnil Fighting Club, ancien nom du club Esprit Libre)il y a trois ans. C’était en 2014. En début d’année.L’amie qui était avec moi a arrêté, j’ai continué, et Farah est venue me rejoindre comme deuxième entraineure. Je ne la connaissais pas du tout, Paly la connaissait. C’est lui qui a réuni tout le monde.

La première année on avait peut-être 20 personnes au début, en fin d’année on a terminé à 30 adhérents, en section femmes, la deuxième année on en avait 50 et cette année je crois qu’on est à peu près à 80 ! Il n’y a pas eu de publicité particulière, c’est par le bouche à oreille.

Depuis que j’ai commencé la boxe, je n’ai pas arrêté. Ça fait 8 ans 1/2, 9 ans, quelque chose comme ça, oui. J’ai évolué, parce qu’en full-contact on a les ceintures à passer. J’ai passé les grades, j’ai passé la ceinture noire auprès de la fédération et après j’ai passé les diplômes fédéraux d’entraineur.

Entrainer, ça s’est fait au fur et à mesure, naturellement. Au fur et à mesure je prenais note de ce que l’entraineur faisait à l’entrainement. Ce n’est pas que je prenais note mais j’enregistrais facilement les exercices et la façon dont il s’y prenait. Des fois il me disait : « Est-ce que tu peux montrer ? » Parfois il y avait beaucoup de monde, des nouveaux qui arrivaient, il ne pouvait pas se charger de tout le monde, alors il me disait : « Tiens, tu prends les nouveaux. » Je n’étais pas forcément à l’aise au départ. Je lui demandais : « Mais qu’est-ce que je leur fais faire ? Qu’est-ce qui est compliqué ou pas comme mouvement ? » Parce que je ne me souvenais pas par quoi j’avais commencé. Donc je posais des questions. Et il m’a appris beaucoup sur l’ordre des choses. La pédagogie je pense que je l’avais déjà, au début ; après, c’est le fait de s’adapter aux personnes. Mais par mon métier j’ai l’habitude. Je travaille en crèche. Mais c’est vrai que l’ordre des choses, quoi faire à quel moment, c’était difficile pour moi d’être dans l’imprévu. Il fallait qu’il me dise à l’avance : « Tu vas t’occuper d’un cours. » Une fois je suis arrivée, il m’a dit : « C’est toi qui fait le cours. » Ce n’était pas prévu. J’ai dit : « Ah non non non, ce n’est pas possible !  Dis-moi, la prochaine fois, je préparerais. » J’avais besoin, vraiment, de noter, de préparer avant, parce que j’avais peur de me retrouver avec un moment de vide.

Donner des cours, c’est quelque chose que j’aime bien : transmettre ce qu’on m’a moi-même transmis. C’est intéressant de voir évoluer les gens qui arrivent. En général, les personnes qui viennent à la boxe ne parlent pas de compétition, ça ne leur vient même pas à l’esprit au départ. En général elles viennent pour leur bien-être personnel, parfois pour perdre du poids. Toutes ont des raisons différentes. Au final certains vont vers la compétition et les autres non. C’est intéressant d’essayer de s’adapter en fonction des personnes et de ce qu’elles attendent.

En tant qu’entraineure, c’est vrai que je préfère la boxe loisir. J’aime les premiers cours, j’adore donner les premiers cours, les premières bases. C’est là où ça accroche ou pas. J’aime bien cette idée de fidéliser la personne qui arrive. En général quand elles ressortent du premier cours elles se disent : « Waouh ! j’ai appris plein de choses ! » Et à chaque fois elles en apprennent d’autres qui se rajoutent. Je trouve ça marrant. Il y a beaucoup de raisons pour que le public féminin vienne à la boxe, et on n’en sait rien. Mais quelles que soient ces raisons, on emmène toujours quelqu’un à se surpasser. Parce que la boxe c’est quand même un sport assez dur. Même pour celles qui viennent s’entrainer en loisir, il y a souvent l’appréhension de se prendre un coup. Il faut se protéger, c’est difficile. Le fait de surpasser cet aspect-là, je trouve ça bien ! Et oui, c’est un sport dur, fatiguant.

Les coups, c’est quelque chose. Parce que quand on fait des techniques, dans le vide, ça va ! Mais après, quand on se prend vraiment un coup, c’est autre chose ! J’avais cette appréhension des coups au départ. La peur de se blesser, déjà, et la peur de perdre ses moyens, de baisser complètement la garde et de s’en prendre encore plus. La peur d’être jugée aussi. D’être jugée sur la façon dont on va recevoir le coup, comment on va réagir derrière.

Quand j’ai commencé, quand il y avait un coup qui me faisait un peu mal, je me sentais oppressée par l’autre adversaire. Des fois j’avais vraiment du mal à continuer mon combat. Je pouvais pleurer, c’était vraiment quelque chose de difficile au départ. Ça me déstabilisait complètement.

Après, je pense qu’on s’habitue. On s’accommode en fait. On s’accommode et on réagit autrement. Sur le coup ce n’est pas agréable ! Mais on prend du recul et on se dit : « Qu’est-ce qui s’est passé, à quel moment et pourquoi ? Qu’est-ce que j’aurais pu mettre en place ? » Et on réadapte. Mais on sait que ça fait partie du jeu. On apprend à plus se protéger, plus se déplacer, et on sait que dans tous les cas, ça peut arriver, avec n’importe quel adversaire, un débutant comme un confirmé, dans n’importe quel contexte. Il faut apprendre à encaisser, à mettre des coups mais à encaisser aussi.

Mettre un coup, pour moi, ça a été difficile aussi. Lors de ma première compétition, ce qui m’a le plus déstabilisé c’est que je n’avais pas cette âme de compétiteur : « Je veux gagner ! » Je ne voyais pas un adversaire devant moi mais une personne. Et ça, c’était compliqué parce que je ne voulais pas faire mal. Je voyais une personne en face de moi, je me souviens encore du visage de mon adversaire, qui était un peu paniquée aussi, souriante, et j’avais vraiment du mal à voir un adversaire. Je voyais la personne en dessous. Et oui, c’est difficile de mettre des coups, souvent on retient un peu, parce qu’on ne va pas frapper comme sur un sac !

Pour un compétiteur, je pense qu’il faut qu’il se dise qu’à partir du moment où on rentre sur le tatami, il n’y a plus deux personnes mais il y a deux adversaires ; et que le meilleur gagne ! Après, il y a quand même des règles sportives qui font qu’il y a du respect, et qu’on sait quand s’arrêter. Mais il faut vraiment partir dans la compétition en te disant : « Ce n’est pas une personne, c’est un adversaire ; c’est moi ou lui qui gagne. »

C’est difficile de savoir si quelqu’un va être un compétiteur. On peut parfois voir ceux qui ont plus l’esprit de compétition, mais on peut toujours avoir des doutes. Et au moment de la compétition, certaines personnes qui ne se projetaient pas forcément dedans, peuvent être vraiment emballées et se dire : « C’est ce que je veux faire. »

Ils peuvent se révéler. Par exemple je pense à un enfant qui n’était pas forcément assidu, qui faisait un peu n’importe quoi au cours, il n’avait pas de but justement. On a un peu hésité, on l’a mis à une première compétition, et depuis sa première compétition c’est quelqu’un d’autre ! Parce qu’il a vu l’enjeu, pourquoi il s’entrainait, ce que ça pouvait lui apporter, quelle était la réalité de la situation en combat et ça l’a motivé. Depuis, il fait des compétitions et à l’entrainement il est plus sérieux. Mais en le voyant à l’entrainement au départ on ne s’était pas dit qu’il pourrait faire de la compétition parce que justement il n’était pas assez sérieux.

Par contre, en général quand on sent quelqu’un pour la compétition, ça se révèle être quelqu’un qui accroche à ça.

Une partie de soi qui n’est pas forcément apparente ressort dans les compétitions. Déjà le fait de se surpasser soi-même. Il y en a qui n’aiment pas se mettre en compétition avec les gens, même dans la vie de tous les jours. Il y en a pour qui c’est quelque chose d’important. Souvent sur les compétitions, ce qui joue aussi, c’est le fait de ne pas décevoir son entraineur, ça joue énormément. Moi-même je l’ai vécu. Ce n’était pas me décevoir, mais décevoir mon entraineur qui était le plus dur. Parce que l’entraineur prend du temps pour entrainer à une compétition et cet aspect-là joue beaucoup. Avant les compétitions, je dis aux filles que déjà je suis contente qu’elles soient là. Qu’elles gagnent ou qu’elles perdent, je serais contente dans tous les cas. Si elles perdent, il y aura des choses à revoir, à adapter. C’est important qu’elles sachent que la compétition en elle-même c’est déjà un pas, et qu’il ne faut pas se figer sur la finalité. Moi je me fige sur le travail qu’elles ont qu’elles ont fait, les sacrifices qu’elles ont pu faire avant et le jour de la compétition.

Par exemple, à la dernière compétition de Noémie, juste après le combat, on venait juste de finir, elle m’a dit : « Tu es fière de moi ? Tu es fière de moi ? » Je lui ai dit : « Mais oui ! » Je n’avais même pas enlevé son casque qu’elle m’a dit ça, cette phrase-là. Même si on essaie de le dire avant, avoir la reconnaissance de l’entraineur après, trotte vraiment dans la tête du compétiteur.

Les compétiteurs sont tous différents : par exemple Noémie, elle adore qu’on l’encourage alors qu’il y en a d’autres qui vont dire : « Non, ça va plus me déstabiliser qu’autre chose, je ne préfère pas. »

Je pense que ça dépend de chaque caractère mais c’est vrai que quand on a un but, quand on a une compétition, on va être à 200% ! Parce que la compétition, ce n’est pas que l’entrainement. C’est par exemple rester dans sa catégorie de poids, adapter son alimentation, son rythme de vie, prendre du repos. Et à part si on a un super cardio dès le départ, il faut aller courir pour augmenter son cardio, il faut avoir une volonté qui fait que même si l’entraineur n’est pas disponible il faut pouvoir se prendre en charge tout seul. Il y a plus d’enjeu, donc on ne s’entraine pas de la même manière : on ne va pas louper un entrainement parce qu’on est fatigué, on va dire : non, non, il faut y aller !

Pour celles qui viennent en loisir, les motivations sont diverses. Certaines l’expriment verbalement au fur et à mesure de l’année ou même dès le début : J’ai envie de perdre du poids, ou : J’ai envie de faire un sport qui est complet, j’ai envie de gagner en souplesse. Beaucoup de choses différentes. Il y a quand même pas mal de mères de familles, et pour beaucoup c’est un moment d’évasion, c’est prendre un temps pour soi. Après, la motivation première qui fait qu’elles sont rentrées pour la première fois dans une salle de boxe, c’est très personnel et on n’arrive jamais à le savoir au final.

Quand on commence la boxe, au niveau physique déjà, on découvre des muscles qui travaillent, qu’on ne connaissait pas avant ! Et après il y a l’aspect psychologique, c’est déstressant. J’ai l’impression qu’on passe un peu nos nerfs, qu’en tout cas on se décharge de quelque chose en venant à la boxe. Le fait de frapper dans un sac ou dans les cibles c’est quelque chose où on est vraiment nous-mêmes. On n’a plus d’image non plus, parce que au final la boxe ce n’est pas comme la danse où c’est très joli, très gracieux ! On est dans un état … On transpire, on est rouge, mais au final on s’en fiche ! C’est libérateur.

Je pense que trouver quelque chose qui nous passionne, qui nous intéresse, boxe ou autre, ça change quelque chose dans la vie. Par exemple là je n’ai pas forcément beaucoup de temps pour m’entrainer et j’ai l’impression que ça joue sur mon moral ! Je vais être moins patiente, parce que je n’ai pas ce moment à moi qui fait que je vais pouvoir me dépenser.

Ça peut être autre chose que la boxe, mais en ce qui me concerne, la boxe est quelque chose d’essentiel. Après, je pense que le sport en général développe quelque chose comme ça. Il y en a qui aiment aller courir et qui vont aller courir tous les deux jours parce qu’ils en ont besoin.

Les qualités qui vont faciliter la pratique de la boxe c’est d’avoir de l’endurance, de la souplesse. Le mental joue beaucoup aussi, le fait d’aller au bout des choses, même si on n’est pas tout seul et que quelqu’un nous pousse. Si les capacités physique sont là, mais que le mental n’est pas là pour dire : « Allez, tu continues », on peut s’arrêter. Je pense qu’il faut avoir cette aptitude à se pousser jusqu’au bout mais en même temps à être conscient qu’il y a des règles. Il faut pouvoir entendre ces règles et accepter que quelqu’un nous dise : « Là, stop ! Là on s’arrête. » Pour des adultes, pour des enfants aussi, c’est parfois compliqué à accepter.

On n’est pas obligé d’avoir une condition physique préalable. Ça peut aider mais tout le monde est en capacité de le faire. Même moi qui n’avait pas fait de sport pendant longtemps, et qui n’avait pas forcément le profil d’une boxeuse. Pas du tout même. Quelques années après j’ai parlé avec mon entraineur, et il m’a dit : « Le premier jour où tu es venue avec ta copine, je me suis dit : « La copine elle va rester longtemps, c’est sûr » Elle avait déjà le geste, elle avait l’attitude qui faisait qu’elle se donnait à fond. « Je pensais que c’était ta copine qui allait rester, pas toi. » Et ça s’est avéré tout le contraire ! Je n’avais vraiment pas le profil : j’étais très douce. Ce n’était pas un sport au départ qui était pour moi. C’est pour ça que je me dis : tout est possible !

Moi-même ça m’a surprise. Parce que de nature, je n’aimais pas les sports de contact. Il y en a qui les regardent à la télé, moi, ça ne m’a jamais attirée du tout cet aspect violent. Parce qu’il y a quand même cet aspect-là, de bagarre, même si ça reste un sport. On voit des coups, des gens se battre. Je n’étais pas du tout dans cette optique-là, donc oui, je me suis surprise moi-même. Je n’aurais jamais pensé que c’était un sport qui allait me plaire autant.

Et au final, ça créé mon équilibre. Par exemple par rapport à mon métier, qui demande beaucoup de patience, de calme, de douceur. Le fait de faire tout le contraire à la boxe, ça me permet un équilibre. C’était la deuxième partie qui sommeillait en moi !

Parce que c’est dur quand même. C’est un sport dur, il y a des sports beaucoup plus doux ! C’est assez violent parce qu’il faut arriver à recevoir l’attaque d’une autre personne -qui va être sportive- et ne pas le prendre pour soi. C’est sur un fil, parce que selon l’humeur qu’on peut avoir, c’est quelque chose que je trouve très délicat. Parce qu’on se retrouve tout le temps avec des partenaires ou des adversaires différents et chaque personne va réagir différemment. Ça demande une capacité d’adaptation très forte. On va s’adapter à un débutant en se disant : « On va boxer, mais on va le laisser s’exprimer un petit peu parce qu’il ne faut pas qu’il ait cette pression ». On peut aussi se retrouver devant des adversaires qui frappent plus fort, et là, il ne faut ne pas le prendre pour soi. Parfois on peut le prendre pour soi en se disant : « Il a quelque chose contre moi celui-là ? » J’ai déjà vu des mises de gants où des personnes frappaient trop fort. Ça peut finir par dégénérer si l’entraineur ne dit pas : « Stop, on arrête, parce que vous tapez trop fort. Si vous ne savez pas boxer ensemble, vous allez frapper au sac ! »

Il y a des personnes avec qui on boxe mieux qu’avec d’autres, vraiment. Il y a des affinités sur le tatami, comme au travail. Quelque chose se créé avec certaines personnes. On va mieux travailler avec elles parce qu’on va mieux s’entendre, qu’on n’aura pas besoin de parler pour faire les choses. Dans la boxe, c’est pareil. On a l’impression de plus évoluer avec certaines personnes que d’autres. Parce qu’on arrive à se comprendre et à avoir une symbiose. L’échange est plus constructif. Quand les deux arrivent à s’adapter, c’est plus facile. Par exemple, Paly, c’était un partenaire très enrichissant. Il avait cerné les choses qui me faisaient peur et du coup, j’étais en confiance ; parce que je savais que quand il me frappait au visage il me frappait un peu plus haut que sur le sur le nez, qu’il allait mettre ses coups normalement mais qu’il allait s’adapter. Donc ça me permettait d’être moins sur mes défenses et de pouvoir échanger. Parce que quand on a une appréhension on ne va plus rien faire, on va moins tenter de choses parce qu’on a peur de se mettre en danger. C’est difficile parfois de s’adapter aux personnes qui ont beaucoup de force ou qui appuient leurs coups, on ne va pas oser certaines techniques parce qu’on a peur de se mettre en danger. Avec des personnes dont on sait qu’elles ne vont pas appuyer tous leurs coups, on va plus oser faire des techniques, des déplacements.

Chacun boxe avec ce qu’il a. Certains vont être plus méticuleux, vont chercher à quel moment ils vont frapper, chercher l’ouverture, vont être plus réfléchis, plus techniques. D’autres vont miser sur la puissance et la déstabilisation de l’autre.

C’est une question d’adaptation, de savoir s’adapter à l’autre. Observer, et faire en fonction de.

Ça peut être un jeu. Oui. Souvent on se cherche un peu et puis : « Ah tiens, je t’ai touché ! » et un sourire… C’est aussi dans la rigolade. Ou alors il y en a un qui n’arrive pas à toucher l’autre, ça l’énerve un peu, l’autre se déplace, il rigole.

Il faut aussi cette partie-là, le fait que ça reste ludique.

Il faut savoir être sérieux quand il faut être sérieux mais il faut parfois sortir un peu du cadre. C’est un moment de convivialité aussi. Si on est vraiment strict et qu’il n’y a pas du tout d’ouverture, c’est moins un moment de plaisir. Par exemple ici, il y a des filles qui viennent ensemble. Si l’une ne vient pas, l’autre ne vient pas non plus. Elles veulent partager ce moment-là ensemble.

Un sport comme la boxe, c’est plus facile pour la motivation qu’un sport individuel. Quand on est tout seul face à son tapis ou à aller courir, il y a quand même moins de motivation. Là, même si on n’est pas très motivé, si la personne en face est en train de frapper, il faut bien bloquer ! Ou le contraire, il faut bien faire les cibles. Donc déjà c’est un sport collectif par rapport à ça. C’est aussi un sport qui est dur en même temps qui demande à avoir du respect, il y a cet aspect également. Avant un combat, on se salue, il y a du respect. On doit savoir s’arrêter quand il faut s’arrêter, quand l’arbitre estime qu’il faut stopper. Il y a l’aspect sportif : si on prend un coup trop fort on ne doti pas s’énerver, on ne va pas faire de la bagarre de rue, ça reste un sport. C’est savoir s’extérioriser et en même temps se contenir à certains moments. Et le fait d’être ensemble est important. Parce qu’au final, sur une compétition on est seul, mais pour les entrainements on a besoin de quelqu’un. Le fait d’avoir besoin de l’autre pour s’entrainer, c’est important. Il y a de l’entraide aussi. Par exemple, si on travaille des exercices physiques à deux, on peut se motiver l’un l’autre, s’encourager, il y a un moment où on encourage et un moment où on se fait encourager. Parce qu’il y a des moments où on n’en peut plus, on a envie de lâcher mais si les autres disent : « Allez, allez, continue ! » ça donne plus de force.

Pour l’avenir, je pense continuer l’association. Ça me tient à cœur parce que c’est moi qui l’ai repris il y a deux ans. Continuer la pratique féminine. Qui a vraiment évolué depuis le début. Mon but premier, c’est d’amener toutes les femmes qui entrent ici à apprécier ce sport et à évoluer dedans. Par exemple Alice, qui est rentrée dans la section et qui a beaucoup évolué (elle est devenue entraineure).Mon but c’est aussi ça : que certaines puissent se retrouver dedans.

Je n’ai pas nécessairement d’autre projet parce que l’association prend déjà beaucoup de temps. Mais voilà, continuer sur la pratique féminine. Je pense que c’est un public qui est en attente, beaucoup. Et de leur apporter ça, c’est important.

 

Les règles pour les combats changent souvent par rapport aux compétitions. En général, les zones de frappe, ça ne change pas. Pour chaque discipline, c’est quelque chose qui est déjà acté. Mais ça peut changer en terme de compétition, de nombres de points attribués, et ça, ça dépend de la fédération. Par exemple il y a la WAKO (World Association of Kickboxing Organizations), une fédération internationale qui réunit plusieurs pays. Parfois la fédération française se cale par rapport à ça parce qu’elle en fait partie, et ça change un peu les règles. En club, on essaie de parler un peu des règles d’arbitrage, et on invite ceux qui ne sont pas compétiteurs à venir voir des compétitions parce que c’est en venant voir des compétitions qu’on peut se retrouver à avoir envie d’en faire.

Pour faire changer les règles au niveau des fédérations, c’est difficile. On peut en discuter, on peut emmener une idée mais c’est difficile d’aller au bout, il faut frapper à plusieurs portes.

Quand on fait des mises de gants au club, les règles sont souvent les mêmes qu’en compétition. On enseigne plusieurs disciplines : full-contact, kickboxing, donc il y a des règles différentes pour les zones de frappe : on frappe ou pas dans les jambes etc. En général on dit la discipline et les filles connaissent les règles.

Si j’avais le temps, j’essaierais quelque chose qui sort complètement de la boxe, ça serait plus des danses, danses latines. J’aime bien ces musiques. Je m’étais dit que j’aimerais bien prendre des cours et au final je ne l’ai jamais fait parce que je n’ai pas forcément le temps.

L’année dernière et celle d’avant, en fin d’année, on avait invité d’autres clubs et on avait fait un genre de body-combat. C’est les mouvements dans le vide, en musique, assez cardio. C’est un peu chorégraphique. C’était sympa. J’avais aussi fait des cours de renforcement en musique, à la fin du cours.

Aller faire un cours ou des mises de gants dans un autre club c’est toujours intéressant parce qu’on voit d’autres méthodes, il y a un échange. Parce que chaque entraineur a ses méthodes, ses façons de travailler, ses exercices qui peuvent être différents et je pense qu’on apprend toujours. On apprend toujours en tant qu’élève, mais en tant qu’entraineur aussi. On s’inspire aussi des autres.

 

Interview de Noémie (boxeuse)

Interview de Noémie, à la salle de boxe du club Esprit Libre au Blanc-Mesnil le 20 février 2017

Noémie pratique la boxe depuis qu'elle est allée vivre à Montréal il y a quelques années où elle a suivi l'ascension d'un champion de MMA. Ce n'était pas une activité à laquelle elle avait pensé avant. Elle se demande pourquoi ça lui plaît tant. Elle aime la compétition et veut en faire à un haut niveau.

 

Est-ce que tu peux me raconter la première fois que tu es rentrée dans une salle de sports de combat ?

La première fois, c’était à la salle de Drancy, je pense que c’était en 2011. Je m’étais inscrit pour faire du body-combat. C’est dans l’air, un genre de truc rythmique, peut-être l’ancêtre de la zumba, quelque chose comme ça, et dans le forfait il y avait aussi des cours de boxe. Parce qu’ils avaient très peu de femmes, donc ils avaient mis ça dans le forfait. Je m’étais dit : je vais aller voir, ça peut être sympa. Et là, la première et seule fois où j’y suis allée, on m’a filé des gants et on m’a dit : « Allez ! enchaînement ! gauche, droite, uppercut, crochet ! » J’ai regardé, et après j’entends : « Allez ! cent pompes ! » J’étais là : mais qu’est-ce qui se passe ? mais non, je ne veux pas ça ! Ça a été un traumatisme en fait. Les nanas qui y étaient, c’était le genre de femmes qui se prennent pour des hommes et qui sont là à mâcher leur chewing-gum et à regarder super méchamment, et comme je ne suis pas comme ça, j’étais super impressionnée ! Et je me suis dit : « Je ne veux plus jamais y retourner de ma vie. » Voilà. Ma première expérience c’était ça.

C’était vraiment par hasard ?

Oui. Je me suis dit : « Pourquoi pas ? C’est dans le forfait, c’est gratuit. »


Tu n’a pas recommencé à cet endroit-là ?

Non, non non. En plus avec le coach ça ne passait pas du tout. Humainement. Humainement c’est super important. Je ne me sentais pas à ma place. Il flirtait avec plein de gens. Humainement, ce n’était pas quelqu’un avec qui je me sentais en confiance. Dans le cadre du sport bien sûr.

Avant, tu avais déjà regardé des combats de boxe ? Tu t’étais intéressée à ça ?

Non. Pas du tout. Je connaissais un peu les bases : Mohamed Ali, mais je ne savais même pas que c’était la même personne que Kasus Kley ! Non non, ce n’était vraiment pas quelque chose qui m’intéressait, aucunement.

Pourquoi, comment tu es venue à ça ?

En 2014 je suis allée vivre au Canada. Je vendais des cigarettes électroniques. J’étais une grosse fumeuse (ça fait treize-quatorze ans que j’ai commencé à fumer). Quand je sortais, le premier truc que je faisais c’était allumer ma cigarette. Parce que toute la journée tout le monde vapotait, et bien non, moi j’avais besoin de ma dose de nicotine. Un jour un gars m’accoste et me dit : « Tu ferais mieux d’aller au Gym au lieu de smocker. » (Tu ferais mieux d’aller à la salle de sport au lieu de fumer.) J’ai répondu : « Pour qui tu te prends ? On se connaît ? » J’étais un peu sauvage : Je ne le connaissais pas et il se permettait de me dire ce que j’avais à faire ! Alors que pour lui c’était de la drague… Ensuite je lui dit : « Qu’est-ce que t’en sais que je vais pas au Gym ? » Il me réponde : « Écoute, moi je pense que tu es assez tendue. En tout cas, je donne des cours de kickboxing si ça t’intéresse. » Et là, j’ai commencé à écouter, parce que je trouve que quand on vit ailleurs, il y a un truc qui nous pousse à nous dépasser et à aller faire des choses qu’on aurait pas forcément faites ici, à sortir de notre zone de confort plus facilement. De toutes façons, je rentrais chez moi le soir, je n’avais pas mes amis, ma famille, donc autant découvrir des choses ! Donc je lui ai dit : « Oui, mais ça n’engage à rien ! Je vais venir, mais ça n’engage à rien ! » Il me dit : « D’accord ! » Et donc un jour j’y suis allée. Il m’a fait faire l’échauffement avec tout le monde, ça se passait bien, et au moment où tout le monde se met à faire des thèmes, vu que moi je n’avais simplement aucune idée de ce qu’il disait, il m’a pris en fait au Pao. (mettre des coups dans des cibles) Et là : révélation ! Autant l’effet que ça fait dans le corps, que le bruit, j’ai trouvé ça… ça a été un coup de foudre en fait à ce moment-là. Le lendemain j’appellais la salle pour avoir les prix. Je dis : « Hier, j’ai fait un cours de kickboxing. » On me répond : « Ce n’est pas possible, on ne fait pas de kickboxing ». La personne me demande : « Vous avez des bleus sur les genoux ? » J’aquiesce. Il me dit : « Vous avez fait de la muay-thaï. » Pour moi, la muay-thaï c’est le summum de la dangerosité ! Les coups de coudes, les coups de genoux, c’est super intense. Et c’est arrivé comme ça. Je suis retournée dans cette salle. Ensuite ça s’est mal passé avec lui, parce qu’en fait le coup de cœur, je ne l’ai pas eu pour lui, je l’ai eu pour son sport, donc ça a fait des histoires. Au final, je me suis retrouvée à essayer cinq salles à Montréal, parce que je ne trouvais pas la salle dans laquelle je me sentais bien. Au bout d’un an, je n’avais plus de visa, et c’est le moment où j’ai trouvé une salle où je me sentais à peu près bien. Avec un coach français. Et de fil en aiguille j’avais eu beaucoup de contacts dans ce milieu de la boxe, du MMA (Mixed Martial Art) aussi parce qu’en Amérique du Nord c’est légal. Mon meilleur ami, je l’ai rencontré là-bas. Moi j’évoluais tout doucement côté boxe et lui il a complètement explosé, il est devenu N°1 québécois, N°1 canadien, il a commencé à signer des contrats chez Desert Force, dans des fédérations… dingue quoi ! C’était vraiment fou parce que je voyais le niveau au-dessus. Un jour je lui ai dit : « J’aimerais, à mon retour en France, me mettre à fond dans la boxe, faire des compétitions et ressentir ce que tu ressens. » Vivre à l’étranger c’est comme s’émerveiller tous les jours, et au retour en France j’avais besoin de continuer à m’émerveiller. J’avais besoin de me mettre à fond dans quelque chose. Quand je suis rentrée, j’ai donc cherché la salle la plus proche de chez moi. Habitant Drancy, je ne voulais pas retourner à Drancy. J’ai vu la salle Langevin, anciennement le BMS (Blanc-Mesnil Fighting Sport) au stade Jean Bouin. J’étais à côté. Je suis venue pour les cours de muay-thaï. J’étais la seule femme, je prenais les cours avec Abdel Senoussi. Ils ont arrêté cette année. J’étais la seule femme et dès le début de l’année j’ai fait part de mes souhaits à Neïla et à Paly (dirigeants du club), de vraiment vouloir m’investir à fond. Je leur avais dit : « Avec les deux cours de deux fois deux heures avec les hommes, j’en ai pas assez. Il m’en faut plus. » Ils m’ont répondu : « Si tu veux, tu peux venir au cours des femmes, comme ça, ça te fait des cours presque les jours. » On verra à la période de Noël si tu es toujours là à tous les cours, et après, on te prendra peut-être au sérieux. » Et ils ont vu qu’à Noël j’étais toujours là ! Après, il y a eu aussi la rencontre de Miriame (entraineure) que Farah (entraineure) m’a présentée. Ça a été un coup de cœur amical. C’est marrant parce que à Montréal je n’étais entourée que d’hommes et ici je me suis retrouvée entourée que de femmes ! Parce qu’avec mon coach de muay-thaï ça l’a pas forcément fait non plus, le côté masculin. Moi, j’ai besoin d’être poussée positivement, avec des ondes positives, d’être dans une vague d’optimisme. Miriame, Neïla, elles sont très comme ça : « Allez, c’est bien, continue, allez, maintenant tu fais plus comme ça, allez, accroche-toi ! » C’est ça qui me motive. D’après les expériences que j’ai eues, avec les hommes c’est l’inverse : « Allez, t’es nulle, tu sais faire que ça ? » C’est une pédagogie qui ne me va pas du tout. Et souvent ils comparaient les autres hommes à moi : « Même Noémie elle y arrive ! ». « Pardon ? » À ce moment-là, je suis une femme, je ne peux pas laisser dire ça !

C’est le genre d’activité dans laquelle on a besoin de se sentir en pleine confiance et cette salle (la salle du club Esprit Libre à Blanc-Mesnil), ça a beau être loin des plus grandes salles, même au niveau équipement, pourtant on se sent bien, on se sent en famille. Les cours sont plus tard que dans la plupart des salles (souvent c’est 18-20 ou 19-21), là c’est jusqu’à 22h et pourtant on est là. Le samedi matin aussi. Parce qu’il y a une cohésion, aussi bien avec les coaches qu’avec les filles. Même les nouvelles se sentent vite intégrées. Donc, de fil en aiguille je me suis retrouvée en championnat. Et puis après, plus on gagne, plus on en veut ! C’est une sensation tellement… c’est cette sensation que je recherchais.


Tu pourrais la définir, cette sensation ?

Il faut que je trouve des mots ! Quand tu es en combat, ce sont des sensations que tu ne retrouves à aucun autre moment. Même quand tu es à la salle ce n’est pas la même chose. Parce que quand tu es à la salle, ce sont des filles que tu connais, pour certaines avec lesquelles je pars en vacances, donc on est proches. Mercredi dernier, Kamilya, je l’ai un peu griffée sous l’œil, Alima je lui ai fait mal à la mâchoire. Je n’étais pas bien ! En même temps on fait de la boxe. Et comme m’a toujours dit Miriame, elles ont choisi d’être là. Mais je trouve ça dur. Parce que je ne suis pas comme ça.

Comment décrire cette sensation ? Ça va être maladroit mais je dirais un peu comme un aboutissement. Parce que la préparation ! Tout ce qu’on fait pour un seul combat ! C’est tellement long, c’est tellement dur. Surtout moi, étant une bonne vivante, quand je suis en prépa de combat, je ne fume plus, même pas un petit verre, un bon vin, une petite bière, rien du tout ! La nourriture aussi : plus de sucré, plus de salé, plus de gras, plus de sauce, plus d’excès. J’essaie de faire les choses au mieux. Et quelques jours avant la pesée c’est très restreint, donc il y a aussi une grande fatigue. Et aussi les problèmes de femmes ! Que mine de rien il ne faut pas négliger et qui apportent aussi une grande fatigue, des douleurs, on est moins au top qu’on pourrait l’être.

Donc du coup quand on arrive au moment où on est en combat, où la fille on ne la connaît pas…Ce n’est pas ce qu’on a à la salle, c’est vraiment le ton au-dessus, parce que c’est elle ou toi. Quel que soit le niveau. Il faut vraiment se battre pour avoir son titre ! Et à la fin, quand l’arbitre nous lève la main… c’est, je ne sais pas, c’est vraiment, oui, tout ça pour ça ! Tous les sacrifices, je les referais cent fois si il faut ! Parce que même si je n’en suis pas à un stade où je gagne de l’argent et que les médailles elles ne veulent rien dire -parce qu’il n’y a même pas mon nom dessus, même le championnat n’est pas écrit dessus parfois !- Je pense que c’est la reconnaissance. Parce que chez soi on va changer son enfant, personne ne nous applaudit, personne ne nous dit : super ! Je ne suis pas mère, mais je suis tata -je suis un peu le plan B de tout le monde- personne ne dira : « Merci, c’est bien, t’es dispo pour tout le monde ! » Parce que c’est naturel. Même au travail.

Tu n’as jamais senti ça ailleurs ?

Non. Pas aussi intensément. On m’a déjà dit : « Ah super, t’as ton permis » ou « Super, t’as ton bac ». Mais là, c‘est moi qui l’ai fait quoi ! Même si tout le monde est avec moi, au final c’est moi qui me prends les coups.

Le permis, le bac, énormément de gens le font.

Là, c’est vraiment un truc où je suis dans ma bulle et je le vis seule à ce moment-là. La dernière fois ça a été plutôt cool parce que les filles sont venues aussi en championnat, dont certaines ont pu combattre et pas d’autres, mais du coup c’était bien de partager ça avec des personnes qui me sont chères.

L’année dernière tu avais ton premier combat en compétition. Je me rappelle que la semaine d’aprè,s quand j’étais revenue au club, tu m’avais dit : « Maintenant que j’ai fait une compétition, je ne peux plus imaginer m’entrainer sans ce but-là, ça n’a plus aucun sens. » Avant la première compétition, quand tu t’entrainais…

C’était pour faire de la compétition ! C’est ça que je ne comprends pas moi-même. À Montréal je ne faisais que les bases. Et je trouve ça ridicule avec du recul, mais avant même de commencer la boxe ici, j’ai dit à mon pote de Montréal : « Je veux faire de la compétition et je veux ressentir ça. » Ça me paraît tellement bizarre, j’ai l’impression que ce n’est pas moi, mais ces mots, c’est moi qui les ai dit ! Je ne comprends pas à quel moment j’ai pu me dire : « OK, allez, je vais me lancer dans un truc que je connais pas du tout. » Il y avait aussi ma vie, le côté personnel qui est entré en jeu. Je suis rentrée en France, je n’avais plus de visa, je n’avais pas de travail, ma vie privée était au point mort, ma vie pro aussi, et du coup c’est un petit peu le seul truc dans lequel j’ai pu voir une évolution, me fixer des objectifs et en plus, réussir à les atteindre. C’était au-delà de mes espérances, et rapide. Je pouvais récolter très rapidement le fruit de mes efforts. C’est à dire que à la boxe, si je suis en prépa et que j’ai le malheur de fumer une cigarette, je le paye, je culpabilise, je le sens. Vraiment.

C’est concret ?

Oui, c’est ça. Je pense vraiment que c’est ça. C’est que c’est concret. Parce pour tout le reste c’est tellement galère. Envoyer des CV, avoir des candidatures, des entretiens, pas de réponse, on attend, on est dans le vague. Alors que là, ça ne dépend que de moi et de mon investissement. Au final, c’est moi qui en récolte les fruits. Donc je pense que je suis égoïste en fait !

Quand tu dis que dès le début c’était pour faire de la compétition, c’était parce que tu avais vu ton ami combattre ?

Oui. J’ai vécu ça à travers lui, et je me suis dit : « C’est tellement un truc de fou ! »

J’ai suivi son évolution. J’étais là jusqu’au soir où il a combattu contre le N°1 canadien, et qu’il l’a battu. C’était un français, et tout le monde le huait ! Il a remporté cette ceinture, c’était magique ! Après il m’a regardé, il était avec ses petits yeux d’enfant : « Regarde, tu vois ! » Et je me suis dit : « Ça a l’air incroyable ! »

Ensuite, il est venu combattre à Paris au Cirque d’hiver, pour le Cage Encounter. À Paris ! Alors que le MMA est illégal, et pourtant ça a eu lieu ! C’est lui qui m’a vraiment donné le goût, qui m’a montré que la boxe ça pouvait vraiment être un art. Quand il boxe, en compétition en tout cas, il ne se prend aucun coup au visage. C’est dingue. En combat, sa boxe est propre, précise, il a une très bonne technique, c’est gracieux !

Il s’appelle comment ?

Il s’appelle Yacine Bandoui. Son surnom c’est l’animal. C’est incroyable. Encore aujourd’hui avant les compétitions, on s’appelle, toujours un petit truc. Comme si il était dans mon coin en fait.

Tu ne pratiques donc pas la boxe juste pour être en forme ?

Non. C’est vrai que, de base, je n’ai jamais eu spécialement de problème, que ce soit de poids, ou quoi que ce soit. Ça m’allait très bien d’être une fumeuse et de boire des verres de vin avec des planches de charcuterie, j’aime ça ! Pour moi, arrêter de fumer c’était prévu pour le jour où je serais enceinte, je n’avais pas vraiment de raison d’arrêter avant. Je ne voyais pas l’intérêt. Donc c’est vrai, ça a chamboulé énormément de choses dans ma vie.


Avant, tu étais sportive ?

Oui, j’ai toujours été sportive. De cinq à dix ans j’ai fait de la gymnastique ; ensuite pendant tout le collège j’ai fait du mini-trempoline à l’AS, il n’y avait que ça, mes copines y étaient, on s’est dit : « On va toutes s’y mettre ! » J’ai fait trois ans d’escalade ; un an d’escrime. J’ai tous les équipements à la maison, mes parents sont ravis ! À Montréal je faisais de la muscu, parce que là-bas ça se fait beaucoup, et que j’avais pris beaucoup de poids. Le froid étant intense, notre corps de petit européen stocke beaucoup, en se disant : « Ouh là là, il faut que je me protège ». En quatre mois j’avais pris genre 6 ou 7 kg en fait. Alors que je n’avais jamais passé les 50. Je me suis dit : « Ouh ! Là, ça ne me plaît pas. » Et ma mère qui me voyait à la caméra : « Ah, t’as bien pris des joues ! » Du coup je me suis dit : « Allez je vais m’y mettre. »

Est-ce que tu avais fait de la compétition dans les sports que tu avais pratiqué avant ?

Oui, mais je détestais ça ! Je détestais ça ! ça me mettait dans un état… En gym j’ai arrêté parce que justement on voulait trop me pousser. Je n’arrêtais pas de chuter, et je ne voyais pas ça comme ça. Ma coach voulait que je fasse un salto arrière ; j’avais dix ans et elle voulait que je fasse un salto arrière sur la poutre ! Elle me disait : « Si je te le dis, c’est que je sais que t’en es capable. » Ce n’était pas faire des compétitions qui était un souci. J’en faisais. Mais tomber et me faire mal, non ! Je ne voyais pas l’intérêt. J’avais dix ans, j’étais avec mes copines, je trouvais ça cool, on allait à l’entrainement. Du coup j’ai arrêté.

L’escrime j’ai arrêté parce que j’étais la plus nulle. J’étais avec mon frère et tous ses potes, ils en faisaient depuis quinze ans. J’ai arrêté parce que je suis une mauvaise perdante. L’escalade pareil ; en plus, j’étais 6è régional. Mais je ne sais pas, ça me saoulait. Attendre toute la journée en compétition je n’aimais pas ça.

Là je pense que ça me plaît parce que je gagne ! Parce que la dernière fois (Noémie a perdu son combat), le soir, j’étais prête à jeter tout mon matériel et à arrêter la boxe ! La défaite était très amère. Elle est aussi intense que la victoire l’est en fait. Enfin pour ma part. C’est comme si tout s’écroulait, que je n’avais plus rien dans ma vie, que tout était fini, que j’étais bonne à rien.


Tu penses que c’est important d’être mauvaise perdante pour pouvoir gagner ?

Non, je ne pense pas. Je pense que c’est encore ma jeune expérience dans la boxe qui parle, et mon caractère. Mais ça se travaille. Avec Miriame on travaille beaucoup. On a aussi beaucoup travaillé sur mon agressivité, parce que je n’étais pas agressive. Au début je rigolais beaucoup, je souriais ; parce que j’étais contente ! Mais c’est de la boxe, ce n’est pas possible. J’étais très expressive : je faisais beaucoup de bruit, quand on me frappait je rigolais, je parlais. Donc non. C’est vrai que nous, c’est un petit peu le Club Med quand même ! Même si il ne faut pas le dire, mais quand même c’est agréable. Il y a des points positifs, mais c’est vrai qu’avec les hommes ça m’arrange aussi parce qu’au moins ça me fait une carapace et personne ne vient me parler. Et ça me va. Parce que je ne vais pas là-bas… ce n’est pas un site de rencontre. C’est vrai qu’avec les hommes il y a le côté : pas un seul bruit. Personne ne bronche. C’est autre chose, c’est différent.

Tu t’entraînes aussi avec des hommes ?

Non, là c’est fini. C’est pour ça que ce n’est pas évident. Parce que là, il y a toutes les copines : « Je t’ai pas raconté… » Moi je combat mais en même temps j’ai envie de savoir, c‘est ma pote. Donc, c’est différent. Je disais quoi ?

Je te posais la question de savoir si c’est positif d’être mauvaise perdante.

Ah oui ! Non, ce n’est pas bien. Parce que des fois je me mets une pression inutile. Parce que pour moi c’est important ! Vraiment. Quand je fais une compétition c’est pour la gagner. Il y a des gens qui peuvent faire ça légèrement. Par exemple, mon petit copain fait des compétitions de light alors qu’en fait il combat en plein-contact. Quand il fait du light, il s’en fout ! C’est juste pour tourner. Quand il me voit me prendre la tête parce que je veux gagner, parce que je veux cette médaille, parce que je veux évoluer, -j’aimerais bien aller encore plus haut, mais pour ça il faut être championne de France, donc il faut gagner tout les combats avant- il ne comprend pas. Parce qu’il a déjà été en équipe de France. Quand il me voit me prendre la tête comme ça, il me dit : « Ça va, en plus tu fais du light ! » Par exemple lui, les compétitions de light en kickboxing il s’en fout alors qu’il est en plein-contact en BF (Boxe Française).

Au départ, le full-contact je m’en fichais, et finalement, à force de m’en fiche, ça a très bien marché pour moi ! C’est ça le comble, c’est qu’à la base je viens de la thaï, donc je devrais plus me débrouiller en kick, mais au final j’ai découvert la full – que j’aimais pas ! la full et la BF j’aimais pas ça- j’en ai fait pour nourrir ma boxe, et ça marche plutôt bien.

Il y a un type de boxe que tu préfères ? Ou qui te correspond mieux ?

Ce qui me correspond mieux je pense que c’est la full, parce que c’est là que je perce le plus ; que je me débrouille le mieux à l’heure actuelle. Je n’ai jamais perdu un seul combat en full. Mais en même temps, le kick, je pense que maintenant ça me va. Vu que j’aime tout ce que je fais. Pace que j’arrive à trouver mon style de boxe aussi. Dans tout. Et après, comme on m’a déjà dit, un bon boxeur doit savoir boxer dans toutes les boxes. Par contre, celle que je déteste, c’est l’anglaise. Parce que, comme la plupart des femmes, je suis plus douée avec mes jambes, comme les hommes sont plus doués avec leurs bras. Ce que j’aime c’est vraiment le mélange des deux, cette espèce de danse, de balancer sur son corps, pour les contrepoids, je trouve que c’est vraiment complet. C’est pour ça que la thaï m’avait plu aussi. Parce qu’il y a même les coudes, les genoux, c’est classe, c’est le summum. Sauf que ça n’existe pas en light. Je me dis : vu que je fais des compétitions, c’est mieux que je m’entraine en kick et en full, vu que je combats en kick et en full. La thaï ce sera pour le jour où je serai en plein-contact. Pour l’instant je l’ai mis entre parenthèses parce que je perdais du temps à faire des coups que je ne mets pas en compétition. Par exemple à travailler les genoux pendant deux heures avec les hommes, alors que juste après je combattais en full, il n’y avait aucun intérêt. Et la section a fermé cette année en plus.

Tu aurais pu te dire : je fais les compétitions en thaï

Oui, mais c’est du plein-contact. Et je trouve que je suis encore trop jeune pour ça. Beaucoup de gens veulent me pousser vers le plein-contact, notamment des arbitres de la fédération qui m’en ont déjà parlé, des coaches.

Pourquoi tu penses que tu es trop jeune ?

Je pense que je suis trop jeune parce que ce n’est que ma deuxième année de boxe. J’ai besoin de travailler ma technique. Comme on a pu le voir à la dernière compétition, ma garde est très faible ! Par rapport aux coups de genoux et aux coups de coudes c’est important d’avoir une garde haute.

Ça serait trop dangereux ?

Oui. Il y a aussi ma mère, que je dois prendre en considération. Parce que même si j’ai 27 ans, ça reste ma mère. Au départ elle m’avait dit : « Amuse-toi bien au Canada ! Parce que quand tu rentres en France, c’est fini ! » Elle a fini par accepter, parce que je lui ai montré, elle est venue, et maintenant, elle fait mes prépas avec moi. C’est elle qui gère ma nutrition. Elle voit avec Miriame. Elles s’appellent : « Je fais quoi ? parce que là j’ai plus que ça dans mon frigo » « Si vous voulez, vous pouvez lui faire ça, etc »

C’est une idée qui doit mûrir, qui doit faire son chemin. Peut-être que c’est un peu lâche de ma part. Là, je suis bien, je gagne presque tout. Pourquoi j’irais me mettre en danger dans quelque chose où je risque de me manger un K.O. ?


Sauf si tu en avais envie !

Je pense que ça va venir. Il faudrait que ma boxe évolue. Je ne veux pas y aller pour faire du n’importe quoi. Je veux y aller pour faire quelque chose de bien. Je ne veux pas, comme on dit, être envoyée au casse-pipe et dégoûtée de la boxe. Parce qu’on le voit beaucoup en compétition, notamment avec les petits. Ils ne se sont jamais pris de vrais coups dans leur salle, et quand ils arrivent et qu’ils se prennent leur premier pied au visage… Parce que c’est dur, parce que, comme nous l’a dit Paly des centaines de fois : « La boxe, ce n’est pas pour tout le monde. » Aller sur un tatami et accepter de se faire frapper en public, de se battre, avec des règles, mais ça reste un sport de combat, ce n’est pas évident. Surtout que le plein-contact, c’est sur un ring. C’est carrément autre chose, parce que le tatami ne rebondit pas. Le ring, il réagit. Il y a aussi les cordes, avec lesquelles il faut savoir jouer. C’est encore autre chose. C’est quelque chose qui mérite du travail.

Est-ce que d’autres disciplines (MMA ou autres) t’attirent ?

Le MMA, j’aime beaucoup. J’aime beaucoup regarder. J’aime beaucoup regarder l’UFC (Ultimate Fighting Championship). J’ai vu de l’UFC quand j’étais à Montréal, le truc de fou, parce qu’ils vont jamais à Montréal et là ils y étaient quand j’y étais !

Tous les WE pratiquement, je me réveille à 3h, 4h, 6h du matin pour regarder en direct. Sinon c’est 24h après, rediffusion. C’est comme une télénovelas, parce qu’on en voit un : « Ah, il a gagné la dernière fois, il a combattu contre untel, donc là il va rencontrer un autre ! » On commence à connaître les techniques et la façon de boxer de chacun. On apprend beaucoup à regarder, sur sa propre façon. Après, je vais voir Miriame : « Il y a un gars qui a fait ça, comment moi je pourrais le travailler ? » Elle me donne des techniques. Miriame et Farah ont aussi essayé de me tirer un peu vers le sol, j’ai fait deux-trois initiations. Au début j’étais vraiment contre, finalement je commence à trouver ça sympa. C’est le côté proximité. J’ai un gros problème avec le contact. Je ne suis pas tactile dans la vraie vie, donc là, être collée à quelqu’un… Il faut réussir à se détacher, et jouer comme quand on était enfants, réussir à s’amuser comme ça. Je n’ai pas encore atteint un stade comme ça. Je suis encore dans le côté attitude boxe. Donc l’évolution ce serait plutôt d’aller vers le plein-contact. Ou le sol, mais il ne faut pas que je me disperse dans tout et n’importe quoi. Vu que j’ai déjà vécu à l’étranger, je postule aussi à l’étranger. Chaque année je ne sais pas trop ce qui va se passer parce que je sais même pas où je vais vivre.

Quand tu regardes un combat, qu’est-ce que ça te fait ? Qu’est-ce qui fait que tous les WE tu regardes ?

En fait ça fait comme un but à la 90è minute. C’est exactement ça. C’est à dire que on attend, on attend, on regarde le chrono, c’est bientôt la fin, comment ça va se passer, on ne peut vraiment pas savoir. Même le mec qui n’était pas gagnant au départ, il peut vraiment partir. Ce n’est que des combinaisons, comme dans les jeux vidéos, quand on prend chacun une équipe. Des combinaisons à l’infini. Un qui va être plutôt stricker donc plutôt debout, l’autre va être plutôt grappleur, mais le grappleur a bien travaillé sa boxe et s’en sort pas si mal que ça, et finalement il peut se passer des belles choses. Par contre des fois c’est atroce, vraiment, je reste humaine. Quand il y a du sang et qu’ils font des ground and pound, qu’un monte sur l’autre au sol et le tabasse… là je pense que je suis, je vais pas dire lâche…

C’est quoi la limite pour toi justement ?

C’est le sang qui gicle. Mais en même temps le pancrace (pas de coups quand l’adversaire est au sol) ce n’est pas si bien que ça, c’est un peu plat. Par contre, je suis très contente que le MMA ne soit pas légal en France. Ça me va très bien que ce soit là-bas. En Russie ils font des 5 contre 5, en MMA ! C’est une émeute ! C’est quand même vachement intense. L’année dernière il y a quand même un mec qui s’est fait éclater la boîte crânienne ! Il y en a un qui a sauté en lui mettant un coup de genou, son genou s’est enfoncé dans sa boîte crânienne ! Ils ont posté les scanners, on voit toutes les plaques de métal ; c’est dingue ! Et ça reste du sport. C’est des choses que je conçois difficilement.

Quand le combat va trop loin, je ferme mes yeux ! À côté de ça, ce mélange de techniques : on voit quelqu’un qui a une clé de bras et qui arrive à s’en défaire alors qu’on pensait que c’était la fin ! On se dit : « c’est dingue. » Parce qu’il y a tellement de techniques possibles, dans le MMA, le mélange de tout. Je commence à connaître des gens qui sont à l’UFC, donc quand je les regarde je me dis : « lui il risque d’affronter mon pote si il gagne. » Il y a aussi tout ce côté. Maintenant j’en connais personnellement.

Quand tu pratiques un sport de combat, que tu montes sur le tatami ou sur le ring ou dans la cage, tu es d’accord avec les règles, tu es prêt à prendre les risques.

Je pense que c’est pour ça que je suis en light ! Le light, je ne risque rien, c’est ce que j’ai toujours répété et qu’on m’a toujours répété aussi pour dédramatiser, jusqu’à ce que j’ai le nez cassé ! En m’entrainant avec les hommes, j’ai quand même eu un déchirement de la rétine. J’ai dû me faire opérer. Et ce n’est pas lui qui va me payer l’opération ! Mine de rien. Je n’ai pas forcément toujours une mutuelle, je n’ai pas forcément ma sécu, des fois c’est un petit peu compliqué. C’est vrai que ça m’a déjà mis dans des belles galères. Comme dirait Paly, on a tous des blessures de guerrier mais c’est des blessures qui ne se soignent que difficilement. La rétine, ils m’ont opéré, ils m’ont fait 150 points laser comme des petits clous, pour consolider, c’est bizarre quand même. J’ai eu le poignet, aussi, à force de bloquer l’high-kick. Ça c’est des douleurs qui sont à l’intérieur, quand je conduis ou que je bouge le volant. L’orteil aussi : entorse et luxation, deux fois. C’est des choses qu’on ne peut pas plâtrer ; Sinon j’ai eu quoi ? J’ai eu un écrasement musculaire à la cuisse ; et puis la fracture du nez. Après, le reste, ce sont des douleurs qu’on ne ressent plus, le foie, le plexus, ce sont des choses qui font très mal sur le coup, mais deux heures après on a plus mal quoi. Mais on revient !

Pourquoi ?

Parce que après, quand on met des coups, ça c’est cool ! Enfin quand c’est bien mis, parce que quand on commence à avoir de la technique, on commence à prendre du plaisir.

Qu’est-ce ça nécessite comme qualité de pratiquer un sport de combat, et notamment la boxe ? Qu’est-ce que ça apporte ?

Ce ne sont pas les mêmes choses. Parce que ça transforme, ça fait évoluer.

Ça nécessite, je n’aime pas le mot de courage mais je me dis, mine de rien…

C’est quand même bizarre ce concept d’aller face à quelqu’un et de lui taper dessus. Je ne suis pas comme ça de nature. Je ne me suis jamais battue, je ne me suis jamais faite agresser, je n’ai jamais été dans un rapport comme ça ; j’ai dû me prendre deux gifles dans ma vie et je sais exactement quand et pourquoi. Je n’ai pas du tout eu une éducation à la ceinture, dans un truc de violence, même verbale. Chez mes parents il n’y a jamais eu un mot plus haut que l’autre. Donc ce n’est pas quelque chose que je conçois, même dans une relation de couple.

Donc là, j’ai commencé à 26 ans. Je dirais que ça demande, oui, du courage , de la persévérance.

Ça développe énormément la confiance en soi ; la confiance en soi par rapport à plein de choses. C’est voir son corps se développer et se dire : mais je suis capable ! Je suis capable !

Par contre ça me fait rire quand les gens me disent : « C’est bien, tu peux te défendre dans la rue ! » J’en ai strictement aucune idée et je ne pense pas. Je pense que à part me mettre en garde et dire : « C’est pas un coup réglementaire ! »

J’ai découvert, je ne dirai pas des qualités mais des côtés de moi que je pensais pas : par exemple arrêter de fumer. La volonté ! La volonté. Oui. Ça développe aussi la persévérance. Il y a aussi le côté réflexion avec soi-même, d’où le fait que le rapport avec le coach soit important. Miriame, il y a des jours où elle va me pousser et je vais être là en train de râler, en train de soupirer parce que j’ai d’autres choses dans la tête et que j’arrive pas à me les sortir et qu’elle le sait très bien, parce qu’elle me connaît par cœur ; Elle va me pousser à bout pour que je sorte ces choses. Une fois j’ai tourné avec Miriame et à la fin j’ai pleuré, j’étais en pleurs et j’étais par terre, parce que j’avais mal, et que j’avais plus de forces. Elle m’avait vraiment poussé à bout et j’étais vidée. Mentalement, physiquement. Mais c’est important de passer par là. Parce que quand je vais arriver en compétition, je ne tomberais jamais face à une fille comme Miriame. Miriame boxe depuis 7 ans, elle fait 15 kg de plus que moi, je ne vais jamais tomber face à une femme comme elle. Elle connaît parfaitement mes points faibles. La fille que je vais affronter, je ne l’ai peut-être jamais vue, elle ne sait pas comment je boxe. La seule fois où j’ai senti que j’avais un petit K.O. c’est Miriame qui me l’a mis. Elle m’a mis un coup de tibia dans la mâchoire. J’étais là : « ah bon ! » Mais c’est mieux de se le prendre comme ça plutôt qu’en compétition et d’être complètement choqué, de pas savoir ce qui se passe.

Comme on dit : faut être à 200% à l’entrainement pour pouvoir être à 50% en compétition. Ça franchement … en compétition c’est du 200% aussi !

Dans le rapport avec le coach, qu’est-ce que tu décides, qu’est-ce que les autres décident, qu’est-ce que tu laisses décider aux autres…

Normalement, un coach, il impose ses choix. En fait, on m’a proposé de m’inscrire dans une autre salle pour l’année prochaine.

On, c’est qui ?

Mon copain ; qui veut que je m’inscrive dans sa salle ! On m’a déjà approché pour d’autres salles mais c’est des salles dans lesquelles je ne me sens pas spécialement bien.

Tu es allée voir ?

Oui. Des fois c’est super loin et mine de rien pour y aller presque tous les soirs de la semaine…. Parfois c’est des vrais salles, des salles qui sont ouvertes H24 pratiquement, ça c’est super ; parce que quand ce n’est pas ouvert ici, il faut soit que j’aille dans une autre salle, mais je n’ai pas spécialement envie quand je suis en prépa, pour ne pas prendre le risque de me blesser, soit c’est dehors. En hiver, dehors, c’est pas top, même pour les articulations, pour tout ça. Dans la salle de mon copain ils boxent tous depuis qu’ils ont 4-5 ans, depuis qu’ils tiennent debout et qu’ils sont en équilibre ! donc arrivé à 27 ans , le coach c’est un deuxième papa. Mon copain me disait : « Ça serait bien que tu viennes t’entrainer cet été, comme ça ils voient un peu comment t’es. A la rentrée, il te met en mise de gants, il voit comment tu te débrouilles, il te fait faire quelques championnats cet automne, et après, début 2018, il t’inscrit en plein-contact. Mais là il te demandera pas ton avis, parce que c’est lui le coach et c’est lui qui décide. Donc t’as pas ton mot à dire. » J’étais là : « Ah ! j’avais oublié comment ça se passait avec les hommes ! » Parce que ici c’est vraiment moi qui décide. On va me dire : « Tu as fait un circuit ; tu veux en faire un deuxième ou tu veux faire de la mise de gants ? » « Ce coup-ci, tu préfères t’entrainer, aller courir ? »

Par contre, à chaque fois que je gagne, pour moi ma médaille elle est vraiment pour tout le monde. Et à chaque fois je mets un mot sur Facebook et je remercie vraiment toutes les personnes, même les filles de la salle, parce que sans elles je pourrais pas tourner, et c’est quand même elles qui se sacrifient énormément, parce que je sais que des fois, elles ont pas envie de faire des sparrings, et qu’elles le font parce que je les regarde avec mes petits yeux doux et que je leur dit : « S’il te plaît » et qu’au final je vais leur faire super mal et je sais que ça les gave ! Alors du coup je les remercie beaucoup ! On m’avait déjà dit ça. Mon meilleur ami m’avait dit : « C’est dommage que tu n’aies pas fait un sport d’équipe parce que tu aurais vu, quand tu gagnes c’est encore plus fort parce qu’il y a toute l’équipe qui gagne avec toi. Mais je n’ai pas choisi d’être douée dans un sport d’équipe ! Mais je me dis : « Finalement, c’est un sport d’équipe. » Parce qu’il y a tous les gens qui sont avec moi. Miriame, au départ je l’appelais jour et nuit : « Miriame, j’ai pris 100g qu’est-ce que je fais ? La pesée est dans deux jours, ma balance n’est pas au poids… » Les moindres petites questions, ou tout simplement : « J’ai mes règles, je suis en train de gonfler, je suis pleine d’eau, qu’est-ce que je fais ? » Parce que ça, je peux pas m’en débarrasser. Et elle avait réponse à tout ! Et ça c’était génial. C’est marrant parce que après, toutes les personnes que je remercie me disent toutes : « Oui, mais au final, on n’était pas avec toi ; au final c’est tes mains, c’est tes jambes. »

Tu aurais envie d’un coaching où tu n’as pas ton mot à dire ?

Vu que j’ai commencé tard, personne dans ma vie ne m’a parlé comme ça. Même mes parents ne me parlent pas comme ça. Dans les salles, les hommes se parlent vraiment mal ! Le paradoxe, c’est que quand c’est à un certain niveau, limite je trouve ça normal. Mes amis qui sont professionnels, c’est leur travail, ils ont deux entrainements par jour et ils sont payés pour faire des combats. Quand ils gagnent ils sont payés encore plus, il y a les primes, ils vivent de ça, de leur sponsors. En même temps je me dis que pour en arriver là, il faut bien passer par des choses qui ne nous plaisent pas. Et Dieu sait que ça ne m’a pas toujours plu, ce que Miriame ou Farah ou Neïla m’ont fait. Un jour Neïla m’a dit : « Tu vas avoir ta première compétition de full -en full on tape beaucoup dans la tête- donc je vais te mettre plein de high-kick, plein de coups avec mes tibias, pour que tu sois habituée quand tu seras en compétition. » Et franchement, c’est des choses qui sont un peu traumatisantes ! Après, sur le coup on ne peut pas le montrer. Mais en soi comme ça, à froid ! Et puis c’est Neïla, c’est ma coach ! Mes coaches, c’est vraiment le côté art martial, c’est le respect. Ici nous encore on peut parler, le coach dit quelque chose on dit : ouais… Avec les hommes, c’est hors de question, c’est à dire qu’on ne soupire pas, on ne râle pas, on ne dit rien. Après, ça peut être pas plus mal. Ça m’a un peu calmée. C’est vrai que pour les enfants ça doit être pas mal, pour tout ce qui est rigueur, discipline. Et en même temps, se faire taper dessus… On les voit les petits en compétition, des fois c’est dur ! Franchement des fois j’ai du mal à regarder. A la compétition, le petit-là, quand il pleurait… Le coach disait : « Mais non, il fait exprès ! » Oui mais bon… arrêtez… enfin…. Après je ne sais pas, je n’ai pas d’enfant.

Tu dis : ça transforme. Comment ça t’a transformée en fait ?

Ça m’a transformée physiquement, c’est à dire que avant, même étant ado, j’avais beaucoup de remarques. Pour moi ce n’était pas de la maigreur mais c’était perçu comme étant de la maigreur, c’est à dire j’ai toujours été autour des 45-47 kg, donc assez fine. Et au départ, mine de rien, je ne pouvais pas rester les mains en l’air pendant deux heures ! Parce que je n’avais pas de muscles dans les bras ! Quand j’ai fait de la muscu à Montréal, je lui ai dit : « Mon souhait ça serait que tu me muscles pour la boxe. » Et vu qu’elle faisait aussi du jiu-jitsu, elle m’a donné des exercices. J’ai vu déjà mon corps qui a commencé à se transformer, et puis après, plus on travaille et plus ça se transforme. Au départ j’étais là : « Mais non, mais c’est quoi ce changement ? Je suis une femme, j’ai 25 ans, mon corps ne peut plus changer. Si, il peut changer mais avec une grossesse ou des choses comme ça, je n’avais pas prévu qu’il change dans ce sens-là quoi ! » Ce qui est marrant c’est que quand on s’entraine avec des hommes ou avec des femmes, le corps ne change pas de la même façon. J’ai vraiment vu la différence et c’était fou. Avec les hommes il y a énormément de pompes et d’abdos mais ils ne vont pas être fait de la même façon ; les femmes ça va plus être la ceinture abdominale, on va dire les petits bourrelets, les fessiers, les bras, ce n’est pas du tout la même chose. Avec les hommes j’avais les obliques : le V qui se traçait et les obliques sur les côtés. Alors qu’avec les femmes, ça va plus être les cuisses ou les abdos du haut. Après il y a tout qui bouge. Mais moi, voir mes cuisses grossir, franchement je l’ai mal vécu, mais en même temps quand on se prend des kicks dans les cuisses on est bien content qu’il y ait quand même un peu de muscles pour amortir.

Est-ce que tu as un rêve ultime, un but ultime dans ce sport ?

Ultime je ne sais pas mais en tout cas, l’étape à laquelle j’aimerais accéder c’est intégrer l’équipe de France et faire partie de la WAKO. La WAKO (World Association of Kickboxing Organizations) c’est la fédération qui développe vraiment le light au niveau européen et mondial. La fédération dans laquelle je suis actuellement, la FFKMDA (Fédération Française de Kickboxing, Muay-Thaï et Disciplines Associées)le fait aussi mais un ami qui est en équipe de France m’a dit qu’ils allaient bientôt arrêter les lights, les catégories light. Ils les ramènent à chaque fois en championnat mais ils s’en foutent un petit peu, ils les prennent pas au sérieux et ils vont les nexter prochainement.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour intégrer la WAKO ?

Être champion de France. Etre champion de France et avoir une boxe qui leur plait. Comme pour l’équipe de France. Ils viennent au championnat de France, en général ils viennent le dimanche, où il y a toutes les finales ; et ils s’assoient ; et ils regardent toutes les finales. Et ils notent ton nom ; et s’ils trouvent que tu as une belle boxe, ils descendent, le jour même, ils viennent te voir ou ils viennent voir ton coach, et ils te donnent une convocation. Pour venir au CREPS. Moi j’étais là : « C’est quoi le CREPS ? » En fait c’est pour les disciplines qui sont pas aux J.O. Les autres c’est l’INSEP, et eux, c’est les CREPS.

C’est une sorte d’audition en fait ?

Oui c’est ça. Après on est convoqué à un stage, il me semble que c’est une semaine, où ils vont évaluer nos capacités physiques et la façon de boxer, et puis après ils voient si ils nous sélectionnent ou pas.

Et si t’es sélectionnée, tu…

C’est championnat d’Europe, championnat du Monde, les prépas… !

Tu es à plein temps en train de faire ça ?

Non. C’est des stages. Ils comptent sur les entrainements que tu fais à ta salle, et puis ils t’emmènent à des stages, par exemple pendant deux semaines. Pendant deux semaines au CREPS de Toulouse par exemple, apparemment il y en a un à Lille aussi, il y en a un petit peu partout. Deux semaines et puis après, par exemple là c’était tout le monde en Serbie au mois d’octobre pour les championnats d’Europe. Et là, avec la fédération, en full-contact, si j’arrive à être championne de France dans deux semaines, que j’ai une belle boxe et que ça leur plaît, il y a les championnats du Monde en octobre et c’est au Brésil ! Ce serait juste un truc de ouf ! Même si je perds, j’y vais pas pour perdre, mais si je perds, ce n’est pas grave. Je serais en championnat du Monde au bout de deux ans de boxe, ce serait juste dingue !

C’est quand les championnats de France ?

Début mars. Le WE du 4 et 5. Personne ne le sait ; très peu de gens. Parce que cette fois, je ne le dis pas. En plus c’est à Melun ! donc personne ne va venir.

Quand tu fais ça presque à plein temps, te change complètement ta vie ?

Oui ; Ma vie est axée par rapport à la boxe.

C’est ta priorité avant tout pour l’instant.

C’est une de mes priorités. Quand il y a la compétition, durant les deux semaines qui précèdent, c’est la priorité. Pour l’entourage ce n’est pas forcément facile. Vu que du coup mon copain boxe aussi, en général on ne se voit pas deux semaines avant les compétitions. Quand les compétitions tombent les mêmes WE, c’est cool parce qu’on se dit : on est chacun dans notre bulle ; mais souvent, ce n’est pas les mêmes compétitions. Donc ça nous est déjà arrivé de ne pas nous voir pendant un mois, un mois et demi ; parce que la boxe nécessite un régime alimentaire qui soit strict, donc je ne vais pas aller manger dehors alors que chez moi j’ai tout ce qu’il faut, validé par ma mère et par ma nutritionniste ! Le sommeil aussi. Je ne vais pas le voir et rentrer à pas d’heure alors que le lendemain il faut que je travaille et que j’aille m’entrainer, lui c’est pareil… Donc en période de préparation, oui, c’est la priorité. Quand on est deux à avoir cette priorité… mais bon. Ce qui est bien c’est qu’on se comprend. Quand je me suis fait casser le nez il était là, parce qu’il avait son combat juste après. Sur l’autre tatami. C’est aussi pour ça, je n’étais pas concentrée, franchement je n’étais pas concentrée. Je disais : « Neïla il me faut mes lunettes, il faut que j’aille voir son combat ! » C’était le tatami d’à côté, et comme il y a toujours des bugs dans la fédération, qu’ils se trompent de combat : « Non, ce n’est pas maintenant ! Noémie, Gressin ! » Il avait son protège-dents et son casque, il avait ses gants, il était prêt à y aller. Du coup il s’est arrêté pour me regarder combattre – bon ça va c’était super rapide- et il a combattu après, je suis allée le voir, et après il est venu me voir : « Ben alors, ton nez… » Le soir il m’a appelé : « Ne t’inquiète pas, tout le monde perd, ce n’est pas grave. » Il a su trouver les bons mots, parce qu’il boxe depuis toujours, parce qu’il sait ce que c’est. La plupart de mes potes vont me dire : « C’est bon, ce n’est pas grave, ce n’est qu’une compétition…l’année prochaine ! » Oui mais ce combat que j’ai juste mal calculé, il me pénalise sur tout le reste de la saison en kick. Je n’ai pas été championne d’Ile de France, je n’ai pas été sélectionnée pour les championnats de France. Du coup c’est bien d’être réconfortée par des gens qui savent ce que c’est. Qui ont vécu ça et qui ont les bons mots.

Et par rapport au boulot ? ça change aussi des choses ?

Oui ! parce que du coup, là je suis auto-entrepreneuse… ça se dit entrepreneuse ?

Oui, on peut dire ça, comme tu veux !

Auto-entrepreneur ?… Je monte ma société ! Au départ j’avais un associé, un associé qui ne comprenait pas du tout que la semaine avant la compétition et les 3-4 derniers jours il ne fallait pas du tout compter sur moi, parce qu’en fait je suis vraiment exécrable, les trois derniers jours avant la compétition je suis horrible, parce que je suis pressée que ça arrive, je suis impatiente, j’ai faim ! et je ne sais pas forcément combien d’adversaires j’ai, je ne sais pas combien de temps ça va durer. Du coup je ne peux rien prévoir sur tout un WE, ça me prend trois jours. Et l’organisation… je suis quelqu’un de super carré, donc ne pas savoir qui vient avec moi à la pesée… « ah non, on verra le dernier jour » ! C’est des détails qui font que je ne peux pas me concentrer sur autre chose. Donc en général je reste chez moi, je me mets des films, ou je me dispute avec des gens, avec mes potes en général. Mon associé n’a pas compris ça, donc ça a contribué à notre séparation, professionnelle ; et maintenant je suis toute seule aux commandes du truc. J’ai un bras droit qui comprends ça, qui est une de mes très très proches amies. Elle le comprend et elle prend le relais quand je ne suis pas là.

En fait l’emploi du temps de ton travail se cale sur l’emploi du temps de la boxe, et pas l’inverse.

Oui. L’année dernière je travaillais dans un collège et c’est vrai que les derniers jours avant les pesées j’étais l’ombre de moi-même quoi. Je suis une capricieuse alimentaire. C’est à dire que quand j’ai faim, j’ai faim ! J’ai la chance de ne rien stocker -sauf quand je suis au Canada, là-bas je stocke- mais ici je ne stocke pas, c’est à dire que si j’ai envie d’un grec et bienje mange un grec ! Sauf que là non, c’est juste avant la compétition, tu ne peux pas t’encrasser bêtement alors que tu as fait tout ce qu’il fallait. Quand je suis au travail, que je ne peux pas manger, que c’est les derniers jours et que je suis là avec ma salade verte… au final je ne suis pas vraiment dispo, je suis là sans être là. Ça m’est déjà arrivé de retourner au travail le lundi avec un cocard, c’est moyen. C’est pour ça, en plein-contact si en plus il y a des K.O. Finalement une commotion cérébrale, c’est des choses qui peuvent vite arriver ! En plus, portant les lunettes, avec les problèmes de vue … Donc c’est des choses auxquelles faut réfléchir.

Et tu as monté ta boîte de quoi ?

C’est un magazine web. Pour l’instant c’est un magazine web. Ça va évoluer en marque de vêtements. Ce n’était pas prévu mais sur vistaprint quand on fait les cartes de visite ils proposent plein de choses : le mug, les T-Shirt. J’ai fait des T-Shirt et tous mes potes m’ont dit : « C’est trop cool ! Avec ton logo ! Ils sont à combien ? » Je fais : « C’est pas à vendre en fait ! » « C’est dommage, tu devrais peut-être regarder de ce côté-là parce que finalement il y a plein de gens qui veulent l’acheter. » OK ! On verra. Pour l’instant c’est ça.

Interview de Sara (boxeuse)

Interview de Sara à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 29 mai 2017

Sara est une jeune boxeuse. Elle a découvert cette passion il y a un an. Cette année elle passe le bac. Elle veut atteindre le haut niveau en boxe. Alice, sa mère, fait partie du même club (Esprit Libre) en tant que boxeuse mais aussi entraineure.

 

Est-ce que tu te rappelles la première fois où tu es rentrée dans une salle de sports de combat ? Est-ce que tu peux me raconter ?

Mon premier sport de combat ça a été le judo. J’étais toute petite. C’était dans un dojo à Bobigny, tout ce qu’il y a de plus banal.

Avant chaque rentrée, on recevait dans notre boîte aux lettres un petit livret avec tous les sports de la ville. Chaque année je le feuilletais avec ma mère pour choisir un sport, vu que je changeais tout le temps de sport ou presque. J’hésitais entre la capoeira et le karaté, le taekwondo et le judo. Je voulais un sport de combat dans tous les cas. Je ne sais plus pourquoi j’ai choisi le judo. Je crois que je trouvais que c’était le sport le plus complet pour mon âge. Je venais de faire de l’équitation et de la natation, donc je me suis dit : autant changer. Ma mère aussi voulait me faire découvrir de nouveaux horizons donc je me suis dit : « Pourquoi pas un sport de combat ? »

Quand j’ai commencé je devais avoir six ans. J’en ai fait un an ou un an et demi, et j’en ai refait un an quand j’avais onze ans.

J’ai aussi fait du multisports, donc j’ai déjà fait du rugby, du baseball, des choses comme ça. Et jouer dehors au foot.

Qu’est-ce qui est différent pour toi entre un sport d’équipe, un sport individuel, et un sport de combat où on est à deux ?

Un sport individuel, tu ne comptes que sur toi, sur tes propres compétences, alors que pour un sport d’équipe, il faut compter sur toute son équipe, il faut s’adapter. Un sport de combat ce n’est vraiment que toi. C’est toi et toi. Après ça se joue avec ton adversaire.

On peut mieux évaluer son niveau, ses compétences, son évolution au cours d’une année. Moi perso je préfère. Pour moi c’est plus difficile de se faire évaluer dans un sport d’équipe, quand on n’a pas forcément l’équipe de rêve. Je ne trouve pas ça juste.

En sport de combat, il faut s’adapter à son adversaire bien sûr. C’est du travail. Tu t’adaptes à ton adversaire pour gagner mais ce n’est pas un handicap, au contraire. Alors que je trouve que dans les sports collectifs la plupart du temps c’est un handicap. Tu dois t’adapter aux autres mais au final tu n’es pas au meilleur de tes capacités.

Quand as-tu commencé la boxe ?

L’année dernière.

L’année d’avant, j’allais le samedi à Bobigny avec ma mère.

Quand je suis rentrée dans la salle de boxe à Bobigny, c’était impressionnant ! C’était vraiment impressionnant parce qu’elle est super grande, on voit le ring, on entend les bruits de sac, franchement c’est motivant.

Ma mère était ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) depuis trois ans, mais le samedi ils ne pouvaient pas toujours faire cours ici, donc ils allaient à Bobigny. Vu que j’habite à Bobigny, elle m’emmenait. Je ne faisais pas de sport l’année où elle m’emmenait – enfin si, je faisais de l’équitation- . L’année qui a suivi, c’était l’année dernière, je me suis dit : « Autant faire de la boxe », vu que je ne savais plus trop quoi faire. J’aimais bien, mais ça ne me captivait pas plus que ça. J’y allais pour y aller. Ce n’était pas ma grande passion. J’y suis allée de temps en temps, j’ai dû y aller huit fois dans l’année.

L’été dernier, pendant le ramadan je venais m’entrainer ici et j’ai bien aimé. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. J’ai bien aimé, je trouvais ça pas mal, même de s’entrainer quand on était à jeun, je ne trouvais pas ça fatigant, je trouvais ça intéressant. Sachant que ma mère est dans le milieu et qu’elle ne parle que de ça je me suis dit : « Je vais me mettre à boxe. » Ma mère m’avait dit : « Fais-en si tu veux. » J’avais répondu : « Oui, je vais voir. »Je ne savais plus trop quoi faire comme sport. Je détestais le sport, franchement. Je me suis dit : « Autant faire de la boxe. »

Je détestais vraiment le sport. J’en ai fait plein, mais je n’étais super pas sportive. Quand je faisais de l’équitation par exemple, je n’étais pas sportive. Je le faisais, j’aimais bien, mais c’était plus parce que j’aimais les animaux et l’ambiance. Je n’étais pas sportive, je détestais ça, je ne pouvais pas courir plus de dix minutes. Au sport, j’essayais tout le temps de trouver des excuses pour me faire dispenser, je détestais ! Je ne sais pas pourquoi. Parce que je me trouvais nulle, et je ne faisais pas le travail pour m’améliorer. Je ne travaillais pas ; du coup quand je devais en faire j’étais nulle ; du coup je n’aimais pas ; du coup c’était un cercle vicieux.

Donc après l’été, je me suis dit : « L’année prochaine, je ferai de la boxe. »

Et je m’y suis mise vraiment sérieusement.

Et au final, j’ai plus qu’accroché ; vraiment.

Le plus étonnant c’était que je me découvre des capacités. Franchement. J’ai découvert que je pouvais être souple, endurante un minimum. Ça me donnait une motivation, même par exemple pour perdre du poids. Avant quand j’essayais je n’y arrivais pas et là, je ne perdais pas du poids pour moi, mais pour augmenter mes capacités. Je me disais : « Si je perds du poids, je pourrais encore plus faire ça, je pourrais devenir plus rapide… » Et au final, je mangeais équilibré, je ne mangeais plus autant qu’avant. Sans m’en rendre compte en fait. L’esprit de compétition aussi … Oui, c’est ça qui a changé. L’esprit de compétition, c’est savoir pourquoi on fait du sport. Pourquoi on se dépasse. C’est vouloir se dépasser à chaque fois, et gagner. Je n’ai pas été confrontée vraiment en compétition, mais déjà le fait de se dépasser, presque de vouloir souffrir ! Mais d’aimer ça en fait ! Je trouve, oui, que c’est bizarre venant de moi. Je n’avais jamais senti ça. Pas du tout. Quand j’étais petite je faisais ça pour m’amuser, après j’ai détesté ça, et maintenant je sur-kiffe. Franchement, j’aime trop !

Je trouve que ma vie, elle s’est adaptée à la boxe ! Franchement ! Je ne pensais qu’à ça, je passais mes WE à des compétitions quand il y en avait, je ne regardais que ça, je ne m’intéressais qu’à ça. Ça a changé vraiment tout : mon alimentation, ma façon de penser. Oui, ça a vraiment tout changé. Je ne suis pas comme avant, je ne suis pas aussi faignante qu’avant. Je ne me considère pas comme sportive, mais je sens que je peux le devenir. Ça redonne franchement confiance en soi. Je trouvais que les sportifs avaient trop confiance en eux, mais maintenant je comprends pourquoi ; parce que tu te vois évoluer, tu le sens, et c’est ça qui est bien.

Au début de cette année, tout mon temps était consacré à la boxe. Après on m’a interdit de venir aux entrainements, on m’a dit que c’était du surentrainement. Je venais quatorze heures par semaine, j’enchainais parfois deux entrainements, quatre heures d’affilée, je ne mangeais quasi rien, je n’étais pas dans l’anorexie mais je mangeais moins, je travaillais. Je dormais plus, ça, je dormais plus ! Mais je boxais vraiment beaucoup plus : ils me voyaient tout le temps ! À un moment, Farah et Paly (entraineurs) sont venus me voir, ils m’ont dit : « On t’interdit de venir. Pendant deux-trois jours, on ne veut plus te voir. » Ça prenait tous mes loisirs, je n’allais pas aux anniversaires de mes potes parce que je me disais : « Je risque de manger, de prendre du gâteau ou des boissons. » Je ne sortais pas parce que je savais que j’allais manger ou parce que j’allais m’entrainer. Combien de fois j’ai loupé des sorties au parc d’attraction à Disney pour venir aux entrainements ou aux compétitions ! Oui, ma vie sociale au début de l’année, elle y est bien passée ! Au début c’était trop, vraiment. Après je me suis dit : « Il faut peut-être être plus rationnelle dans ce que je fais. » Je me suis plus raisonnée.

La seule fois où j’avais senti ça avant, c’était quand j’étais à fond derrière la cause animale, que j’étais devenue végétarienne, et que je ne pensais qu’à ça. C’était entre mes 11 et 14 ans. C’est les deux seules fois où ça me l’a fait vraiment : ça et la boxe.

Pour la boxe, j’espère que ça durera infiniment. J’aimerais bien élever mes enfants dedans.

Tu as déjà fait des compétitions ?

Non. Mais je suis allée en voir. J’aime trop, clairement ! Cette année, je devais en faire. Je m’étais inscrite, on m’a disqualifiée à cause de ma tenue. Mais vraiment c’est trop bien, j’aime trop l’ambiance, comment ça rend les gens, franchement. On est pire que solidaires, les personnes qui combattent elles kiffent ça… Je pense que ce qui est le mieux, c’est la préparation. Je suis contente de l’avoir vécue, parce que c’était trop bien ! Tu sais pourquoi tu t’entraines, tu t’entraines corps et âme, tu manges super bien, tu as du soutien, ça le mieux. Clairement, une fois qu’on m’avait disqualifiée, pendant une à deux semaines je venais à l’entrainement, mais je n’avais plus de motivation. J’ai recommencé à manger comme je mangeais avant, j’avais complètement perdu ça. Après, on est revenu me voir, me dire que ça ne servait à rien de baisser les bras. Donc je continue, mais dans le but de combattre plus tard, parce que sincèrement, si je n’ai pas ce but-là, je ne vois pas pourquoi je le ferai. Je ne pourrais pas en faire qu’en loisir.

Tu dis que tu veux que ça dure en boxe. Est-ce que tu t’es donnée des buts, des objectifs ?

Comme tout le monde : m’améliorer. Mais vraiment j’aimerais atteindre un niveau excellent. J’aimerais pouvoir rivaliser avec mes coaches ! Ça serait trop bien. Et après, partir à l’étranger et réussir à faire des combats, des bons combats. Même rentrer en équipe nationale, ça serait trop bien !

J’aimerais que ça reste une partie de ma vie mais je n’ai pas envie que ce soit mon métier et que toute ma vie tourne autour de ça. Ceux qui sont trop dedans, ils n’ont plus aucune vie hormis ça, et je n’ai pas envie que ça soit ça. J’ai envie que ça reste un plaisir, un loisir, mais que j’atteigne un niveau vraiment excellent, oui, ça serait bien.

Pour ça, il faut du mental. Et de l’entrainement. C’est tout. Quand on a le mental on a tout le reste : la motivation pour aller s’entrainer, la motivation pour bien manger, etc. Ça demande du mental, c’est tout. Avoir du mental, c’est arriver à comprendre pourquoi on se fait du mal. Parce que c’est un mal pour un bien. Il y en a plein qui détestent leur entrainement, même Mohamed Ali. Il a dit qu’il a détesté chaque minute de ses entrainements, mais qu’au final il savait très bien pourquoi il le faisait. Je pense que c’est ça, avoir du mental. C’est savoir pourquoi tu te restreins dans la nourriture, pourquoi parfois tu stoppes ta vie sociale, pourquoi tu dois t’entrainer. C’est ça, avoir du mental. Comprendre pourquoi on fait tout ça. Pourquoi on se prive.

Pour aller loin, clairement je suis prête à sacrifier ma vie sociale. Pas totalement, mais ce que j’ai fait au début de l’année, je pourrais le refaire. M’entrainer tout le temps, je pourrais le faire aussi, ce n’est pas quelque chose qui me dérangerait. Tant que j’ai un but, je ne vois pas où est le problème. Ce qui pourrait me freiner, c’est si ça met ma vie future en danger. Si ça perturbe mes études, ou ma santé. Si je vois que je commence à avoir des problèmes, je sais que c’est quelque chose qui pourrait m’en empêcher. Mais les dangers, tant que je ne les aurais pas vécus, je ne pourrais pas me dire : « Oui, je vais faire attention ».

Tu penses que le règlement va changer et que le voile ou une tenue adaptée va être autorisé aux compétitions ?

Ça me tient à cœur, mais je n’ai pas trop d’espoir là-dessus, parce qu’on a déjà eu les mêmes problèmes au foot, au karaté, dans plein de sports qui sont beaucoup plus réputés, donc je ne vois pas pourquoi ça changerait. Je me vois plutôt bouger à l’étranger pour faire mon sport. Clairement, ici, je n’ai pas trop d’espoir là-dessus.

À part Alice, ta mère, qui entraine au club, il y a d’autres personnes de ta famille qui font de la boxe ?

Tout le monde ! On fait tous de la boxe ! Ça vient de ma mère. Elle en fait depuis qu’elle est jeune et du coup mon petit frère a commencé ; à un moment, elle ne voulait pas que j’en fasse. Oui, bizarrement, c’est ce qu’on se disait aujourd’hui quand on arrivait. Quand j’ai eu dix ans, j’avais eu l’idée, je voulais en faire, j’hésitais entre le rugby, le foot et la boxe, c’était mon petit air garçon manqué, et elle ne voulait pas de la boxe. Elle me disait : « Non, tu vas te casser le nez… » . C’est bizarre, venant d’une boxeuse de dire des choses comme ça ! Et au final c’est elle qui m’a motivé à en faire ! Ma mère en a fait, mon petit frère en a fait, cette année mon tout petit frère en a fait, mon père en fait depuis deux ans et moi je suis arrivée en même temps que mon petit frère, un peu avant.

Mon père en fait plus pour travailler le cardio, ce n’est pas vraiment de la technique. L’année prochaine il compte améliorer sa technique ; mes deux frères c’est de la boxe française, ma mère est en full et moi j’ai plutôt fait du kick que du full cette année.

L’année prochaine je reste ici, il y a ma mère donc je viendrais souvent. Mais vu que je suis aussi chez les ados, et que la section s’arrête l’année prochaine, ils veulent nous transférer dans un club de thaï à la Courneuve. Du coup je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Faire ça à côté et venir ici quand il y aura les entrainements spécial compétitrices.

La boxe la plus complète, c’est la boxe thaï. C’est indéniable. Je n’en ai pas fait beaucoup cette année parce que je n’ai pas trop eu l’occasion, mais je pense que c’est la meilleure ; tout le monde le dira. Celle que j’ai le plus pratiquée, que j’ai préférée, c’était le kick. L’année prochaine, je compte bien m’améliorer en boxe thaï. Mais bizarrement, quand je m’imagine boxer en pro, je m’imagine boxer en kick et pas en thaï. Peut-être parce que je n’en ai pas assez fait et que je n’arrive pas à évaluer mon niveau. Je ne sais pas. L’anglaise pour moi c’est à côté. Je pense que si tu arrives à faire du kick ou de la muay en ayant une bonne anglaise, tu pourras faire des combats en anglaise à côté, mais pas que de l’anglaise.

Tu regardes souvent des combats ?

Je ne suis pas trop combat de boxe, je préfère les combats d’UFC (combats de MMA). Les boxeurs, je préfère m’intéresser à leur vie. Je trouve que leur vie est plus passionnante que leurs combats. Je découvre grâce aux films, aux documentaires ou biographies, à leurs livres. Oui, c’est ça que je trouve le plus intéressant. C’est là que tu comprends bien leur mental. En regardant des combats, certes tu vas comprendre leur technique, mais pas comment ils sont arrivés à ça.

Actuellement j’aime bien Tony Yoka, en boxe anglaise. Après, Mohamed Ali vraiment, et en UFC, comme tout le monde, Conor McGregor ! Comme femmes, il y a la copine de Tony Yoka : Estelle Mossely. Et en UFC, je trouve que les meilleurs combats c’est les combats de femmes, clairement. Mais non, je n’ai pas d’idole. Je regarde, c’est tout.

Le MMA (Mixed Martial Art) c’est le sport le plus complet que je connaisse ! Franchement. Je n’aimerais pas forcément en faire, enfin en loisir peut-être, mais pas forcément être dans une cage ! C’est impressionnant, ce sport. Il demande… c’est du surentraînement qu’il faut pour réussir à faire ce qu’ils font. Ça me tenterait d’essayer. Clairement. Je vais déjà améliorer mon niveau de boxe, et si dans quelques années je suis bien, pourquoi pas dévier vers du MMA ? En tous cas, j’aimerais déjà réussir à avoir un très très bon niveau de boxe et pouvoir faire des vrais combats.

Par contre, je n’aime pas le jiu-jitsu, ni le grappling. J’aime les combats MMA en UFC, mais dès que c’est du jiu-jitsu ou du grappling, je trouve ça ennuyant. Même le judo. Le judo j’aime bien en faire, mais à regarder, je trouve que ça n’à rien à voir avec un combat de boxe. J’étais aux championnats du monde, il n’y avait que les meilleurs, la crème de la crème, je regardais, j’étais là : « Oui, OK, c’est bien mais sans plus. » Pour l’instant, je préfère me concentrer sur la boxe, parce que je n’ai pas encore atteint le niveau que je souhaiterais atteindre.

 

Interview de Sarah (boxeuse)

Interview de Sarah à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 22 mai 2017

Sarah a toujours voulu faire de la boxe. Jeune, elle a suivi quelques cours dans le cadre des activités sportives du collège et du lycée. Elle a décidé de s'y mettre vraiment il y a deux ans. Elle a 29 ans.

La première fois que je suis rentrée dans une salle de sports de combat, c’était au CLS (Club de Lutte de Sevran)à Sevran. Quand je suis rentrée, j’avais une appréhension. J’avais peur, parce que je ne savais pas combien de personnes il y allait avoir dans le cours, si on était beaucoup de filles. Est-ce que j’étais mince ? Est-ce que j’étais grosse ? Par rapport aux autres. Des questions vraiment bêtes. Et j’ai tout de suite aimé l’atmosphère qu’il y avait parce que déjà d’une on n’était pas beaucoup, on devait être une dizaine, la salle était petite, ça sentait le vécu, ça sentait l’odeur…mais on s’en fichait. Je me disais que j’allais venir ici pour bosser, pour me défouler, parce que j’en avais vraiment besoin. J’étais fatiguée, mais j’ai tellement aimé et je me suis dit : « C’est vraiment le sport que je voulais faire. »

J’ai toujours voulu faire de la boxe. Mais mes parents n’avaient pas les moyens ou n’étaient pas au courant des clubs pour pouvoir inscrire les enfants. Mais à l’école, au lycée ou au collège, quand il y avait du sport et qu’on faisait de la boxe, je me donnais à mille pour cent parce que j’aimais ça. Je voulais faire de la boxe à un haut niveau. Si il y avait eu la possibilité, je l’aurais fait. Je ne sais pas pourquoi j’aimais ça. Je n’ai même pas de souvenirs. Parce que peut-être j’étais garçon manqué donc je cherchais aussi un sport qui fasse plus homme que femme. J’étais jeune, je suis la plus grande dans ma famille. Quand tu débarques dans une cité à douze ans et que tu n’as pas de grand frère, tu as besoin de te créer une carapace et surtout qu’on n’entende pas parler de toi. Tu te fais toute petite et t’essaie de gérer ça.

A partir du lycée, j’ai entendu deux-trois personnes qui en faisaient, que c’était bien, comme plusieurs autres sports que j’ai voulu faire mais que je n’ai pas pu faire, comme du hip-hop par exemple. Mais je ne suis pas partie les voir, je ne suis pas partie voir leurs galas, juste j’entendais parler.

A l’école, dès qu’on me disait : « On fait de la boxe » mon mental se mettait dedans et je me disais : « C’est bon, je vais combattre. » En plus je déteste perdre ! Si l’autre avait plus de points que moi, je n’acceptais pas, il fallait que je la démonte. Il me fallait des adversaires à ma taille. Quand une personne était plus forte que moi, je n’aimais pas et il fallait que je me surpasse. Je me disais : « Il faut que je sois meilleure qu’elle, plus forte qu’elle, que je donne des coups plus forts qu’elle mais bien, il faut que je les place correctement, il ne faut pas que je donne n’importe quoi non plus. » J’essayais de rivaliser avec les autres. Pour avoir des bonnes notes aussi parce que ça comptait pour le bac.

Mes parents ne m’auraient pas laissé en faire. Jamais de la vie. De la boxe, non. Je ne leur en ai jamais parlé mais je sais qu’ils ne m’auraient pas laissé. Déjà les sports que j’ai fait c’était trop, donc de la boxe, non, vraiment pas. Surtout en sachant les coups qu’il y a, non, ils ne m’auraient jamais laissé y aller. Surtout s’il y a des hommes. A mon époque il y avait plus d’hommes que de femmes. Maintenant, ça s’est démocratisé, il y a beaucoup de femmes qui en font, il y a des salles uniquement pour femmes. Avant, ça n’existait pas. C’était les hommes et tu devais t’intégrer à ça. Je ne sais pas si j’aurais eu le mental pour m’intégrer à un groupe d’hommes. C’est compliqué.

J’aimais cette atmosphère-là, le fait de se battre tout en ayant des règles. Ce n’est pas je te frappe, tu me frappes. Tout est réglé. C’est un sport qui est très bon, j’aime beaucoup.

Et puis quand on a vécu dans une cité, savoir se bagarrer c’est pas mal aussi !

Je ne me suis jamais bagarrée de ma vie. Mais une bagarre et faire de la boxe, c’est deux choses complètement différentes. Une bagarre, ça va être tu m’as regardé, ou je t’ai regardé, et patati patata et ça va partir en n’importe quoi, en arrachage de cheveux, en écrasement de tête… à la boxe, non. Tout est réglementé, il n’y a pas de coups au visage, pas de coups aux seins, pas de coups au dos, pas de coups aux fesses. C’est cadré. Ce n’est pas du n’importe quoi.

Le fait que ça soit un sport à deux, par rapport à un sport d’équipe ou un sport individuel, ça fait quoi comme différence ?

Dans un sport d’équipe, c’est soit moi la meneuse, soit ce n’est pas la peine ! Et si je mène, il faut que je gagne. Et si je perds à cause de mes camarades, je vais les engueuler. Donc ce n’est pas la peine, elles en ont déjà fait l’expérience. Un sport individuel, aucun intérêt.            A la boxe, je suis seule et en même temps face à quelqu’un. Il y a une personne devant moi, j’essaie de lui donner des coups pour gagner des points. Il faut que je me surpasse parce que si elle est plus forte que moi, il faut que j’envoie aussi. Ce sport est bien, il est complet.

Quand as-tu recommencé la boxe ?

J’ai commencé l’année dernière. J’ai commencé au CLS. Mon mari y était. Il faisait du MMA (Mixed Martial Art) et du grappling. Avec Hassane (entraineur au CLS). Hassane lui a dit qu’il allait y avoir une section féminine, dont les profs seraient Farah et Miriame (entraineures à Esprit Libre).Il m’a transmis les numéros de téléphone, je les ai appelées et je suis venue.

Mon mari, c’est un sportif. Il continue toujours, maintenant il est à Aulnay.

Je ne me suis pas cassée la tête pour trouver un club : la réponse est venue directement à moi. Que demande le peuple ?!

À Sevran, Farah m’avait demandé si je voulais rajouter un cours en plus. Je lui ai dit : je ne sais pas, il faut que je voie avec mon mari. Je m’étais dit : sûrement ça va être le soir, il ne va pas vouloir, 20h-22h, surtout pour les petits. Et finalement, non, il m’a laissé. Donc je suis venue ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) le mercredi. Au CLS c’était le samedi après-midi. Et j’ai bien aimé. On était beaucoup plus nombreuses. Et j’ai continué jusqu’à cette année.

Quand j’ai commencé, je n’avais rien fait depuis le lycée. Pendant 10 ans. Parce que j’ai quitté le lycée, j’avais 19 ans, là j’en ai 29. C’est pour ça que j’avais peur la première fois. J’avais appelé Farah et je lui avais dit : « Ça fait longtemps que je n’en ai pas fait, depuis le lycée, ça me fait un peu peur, est-ce que je vais avoir la force ? Est-ce que je vais être endurante ? » Parce que ce n’est pas la même chose quand on est au lycée, qu’on est svelte, et dix ans après, qu’on a des enfants, qu’on a pris du poids.

Depuis deux ans que tu as recommencé, qu’est-ce que ça change pour toi ?

Déjà, j’ai perdu du poids ! Ça déjà ça fait plaisir. Je me sens un peu mieux. On reprend confiance en soi, parce que je l’avais perdue. J’en manque encore, mais déjà, je fais des efforts. Ça me motive dans le quotidien, c’est surtout ça. Le fait de faire de la boxe, ça me motive. Le fait de venir, de transpirer, de tout donner, de sortir de là vraiment épuisée, mais tu sais que c’est un épuisement qui en vaut la peine. Ça t’aide à plein de choses. Parce qu’au bout d’un moment, quand tu as une vie de famille et que tu rentres dans un train-train quotidien, tu n’as plus envie de rien des fois. Là, ça te donne un objectif, ça te donne envie de venir. Tu sais que tous les mercredis il y a sport donc il faut que tu te motives pour y aller, il faut que tu te prépares mentalement à y aller. Je trouve que ça a été positif. Il faut continuer encore mais je ne suis pas assidue comme l’année dernière. Parce qu’il y a des fois j’ai envie, des fois je n’ai pas envie. Si je m’écoutais, je ne viendrais jamais ! Ou que de temps en temps. Des fois je me force. Ou Farah me force. La plupart du temps c’est Farah qui me force : « Tu n’as pas le choix, tu viens ! » D’accord, OK…

Quand je suis forcée, au départ, ce n’est pas un plaisir. Quand je ressors, je suis un peu énervée parce que je suis courbaturée de partout et que je sais que le lendemain je vais casquer avec les enfants, mais je me dis : « C’est un bien. » Quand je viens de moi-même c’est un plaisir.

Le dernier cours, je me suis vraiment concentrée, j’ai vraiment écouté les instructions, je me suis donnée à fond. C’était la première fois depuis deux ans que je me donnais à fond, et j’ai tout lâché. Je suis rentrée chez moi, j’étais épuisée, je me suis douchée. Le lendemain je n’avais pas de courbatures, pourtant à chaque fois j’en ai, mais là je n’en avais pas. Et ça m’a soulagé, ça m’a enlevé un poids !

Pourquoi ça s’est passé comme ça ?

Je ne sais pas. Peut-être que j’en avais envie. En plus ce n’était même pas programmé dans ma tête ! Parce que des fois j’ai envie de venir, je me dis : « Vas-y ! », parce qu’il faut que je me vide, et c’est là que justement je ne me vide pas. Et ce jour-là, je me suis dit : « Allez, on se concentre, on arrête de rigoler. » Parce qu’à chaque fois que je vais au cours, je ne fais que rigoler. Là je me suis dit : « Je me concentre, je fais les choses correctement. » Si je fais tous mes cours comme ça je pense que ce sera mieux pour moi.

Quel est ton but quand tu fais de la boxe ?

Mon but premier c’est : venir me défouler. Penser à autre chose, sortir de mon quotidien. Mon autre but c’est d’avoir un mental plus combattant, plus combattif. Parce que je me laisse trop aller, je lâche l’affaire vite fait, je ne me casse pas la tête, je ne repousse pas mes limites. J’aimerais, à chaque cours, repousser un petit peu mes limites. A chaque fois un petit peu, jusqu’à atteindre la limite du vomissement, de l’évanouissement… Il faut que pousse mon corps au maximum, parce que certes, c’est le corps qui fait mais c’est le mental qui est derrière. Si le mental n’y est pas, c’est clair que ton corps ne va pas souffrir. J’aimerais que mon mental arrive à surpasser mon corps, quitte à souffrir, à avoir mal pendant deux jours, trois jours. Parce qu’au bout d’un moment quand tu as mal, tu as envie d’arrêter. Mais si tu as un bon mental, tu continues, malgré la souffrance.

C’est ça mon but, avoir un bon mental. Si j’ai un bon mental à la boxe, je peux avoir un bon mental dans ma vie de tous les jours ; ça serait un top ! Comme quand j’étais avant. Ça me ferait revenir dix ans en arrière. Ça n’avait rien à voir avant. C’est pour ça qu’avant, je pense que si j’avais fait du sport, je serais allée très loin. Parce qu’il n’y avait rien qui pouvait m’atteindre : ni mes parents, ni des réponses négatives. On devait faire des stages, et quand on me répondait non, je disais : « Ah d’accord, non merci. » Je renouvelais, je n’étais pas la personne qui s’abattait sur son sort pour un petit oui un petit non. A chaque fois qu’il y avait des choses négatives, je le transformais en positif et j’avançais. Les choses négatives, je les prenais dans mes bagages pour pouvoir avancer. Ça me faisait avancer ces choses-là. Mais maintenant : pfffut ! Je m’effondre. Je m’effondre à chaque chose négative, je suis là, je me lamente sur mon sort, ce n’est pas terrible quoi !

Qu’est-ce que disent les gens dans ton entourage quand tu dis que tu fais de la boxe ?

Maintenant ils disent : « Ah c’est bien ! Tu fais de la boxe. » Ils sont contents. Je pense que c’est par rapport aux médias. Ça joue beaucoup. Vu que c’est médiatisé, qu’on en voit beaucoup plus, qu’on te dit que c’est bien pour la santé, patati, patata… on t’en rajoute des pataquès. Tu vois des sections féminines, il n’y a que des femmes, l’instructrice est aussi une femme. Donc les gens le voient moins agressif qu’avant. Avant, on ne connaissait pas. Maintenant tout est médiatisé. Un enfant peut regarder, il peut se dire : « Tiens, c’est ce sport-là que je veux faire plus tard, ou c’est ce métier-là que je veux faire plus tard. » Alors que nous, on n’avait pas autant d’informations, il fallait qu’on pioche dans les livres, à la bibliothèque, c’était une galère.

Moi carrément j’ai ramené ma petite sœur ! Mais elle n’est pas restée très longtemps. Elle a aimé mais c’est loin pour elle, elle n’est pas véhiculée non plus, c’est un peu galère pour venir. Et elle a commencé à travailler, elle rentrait tard donc ce n’était pas compatible avec sa vie.

Mais mes parents le voient bien. De toutes façons ils voient le résultat, sur mon corps. Ils voient qu’il y a eu du changement.

Mon point faible, c’est l’échauffement. L’échauffement j’en ai marre. C’est un truc, je n’en peux plus de ma vie. Si on pouvait le bannir, ce serait bien mais ce n’est pas possible. Parce que je laisse mon corps décider. Ce n’est pas mon mental qui décide : dès que je vois que je souffre, je ne me casse pas la tête, j’arrête.

Mon point fort c’est peut-être la force. J’ai besoin de puiser au fond de moi pour sortir ce que j’ai besoin de sortir. Une fois j’ai fait un combat avec Farah. Juste avant, je parlais avec elle, on parlait de tout et de rien. A un moment elle m’a sorti une phrase, elle savait que ça allait m’énerver. Elle m’a dit : « Là on est en combat, tu es avec moi donc tu peux te permettre de me taper comme tu vas me taper. » Elle m’a sorti cette phrase-là, et j’ai donné toute ma vie ! C’est ce moment-là où je me suis sentie vraiment lâcher, je commençais à crier dans tous les sens, je tapais et tu ne me reconnaissais plus, j’étais autre part, j’étais quelqu’un d’autre.

C’est ce moment-là que j’aime. J’ai besoin de puiser au fond de moi pour faire ressortir les choses.

Je suis une personne, tu vas me voir, je vais rigoler beaucoup, je vais plaisanter, je suis sociable, extravertie etc, mais je garde tout pour moi. Si j’ai des soucis je garde pour moi, donc au bout d’un moment il faut que ça explose. Et si ça explose, me connaissant, je sais que ce n’est pas bon du tout. Je suis capable de faire tout et n’importe quoi. Quand j’ai des problèmes, je n’arrive pas à pleurer. Il y a des gens qui vont pleurer, qui vont évacuer. Moi je n’arrive pas à évacuer. Si j’en parle je sais que ça ne va pas le faire, donc je viens au cours de sport pour pouvoir enlever tout ça.

Parce que c’est néfaste. Pour moi et pour les personnes qui vivent avec moi. Donc il faut que je puise en moi, que j’enlève tout ça. Comment dire ça ? Il faut que j’aille chercher au plus profond de moi, que j’enlève ce que j’ai de mauvais. Ce qui ne va pas, je le mets sur le tapis. Quand je rentre chez moi c’est bon. Je suis une nouvelle personne. Sauf que je n’arrive pas à faire les choses comme ça. Je suis compliquée. Je me mets trop de barrières. J’ai envie de maîtriser les choses. Je me dis : « Aujourd’hui je vais venir, je vais tout déballer. » Et je ne fais que de rigoler ! Au cours de mercredi dernier, je n’avais pensé à rien du tout. Je suis arrivée, je me suis dit : « Je ne pense à rien, j’y vais, je me donne. » Et je me suis donnée à fond. Je voudrais maîtriser les choses, mais en fait non, il ne faut pas.

C’était magnifique mercredi dernier, c’était trop bien. Il faut que je vienne sans aucun à priori, sans me dire : « Aujourd’hui il faut que je me lâche, aujourd’hui faut que je fasse ça. »

A l’extérieur je suis Madame tout le monde. J’essaie de passer inaperçue. Au maximum. J’ai toujours eu cette façon de prendre tout sur moi, de ne pas extérioriser, mais avant j’avais moins de soucis que maintenant. Parce que maintenant, t’as des enfants, t’as un mari, etc. Il y a plein de choses de la vie qui font que ce n’est pas du tout pareil. Avant j’étais seule. Là tu as beaucoup de responsabilités. Et savoir gérer tout ça, ça fait peur. Tu te dis : « Il faut que tu gères ça, ça et ça. Est-ce que quand ils vont grandir ils vont te remercier ? Est-ce qu’ils seront de bons enfants ? » Après, je laisse ça au destin mais c’est à moi de créer les bases pour qu’ils puissent évoluer bien. Ça n’a rien à voir, avant et maintenant. C’est deux personnes différentes. C’est pour ça que j’aimerais me réapproprier la Sarah d’avant. Mais je ne sais pas comment faire. Je ne sais pas par où commencer. Il faut déjà que je reprenne confiance en moi. Quand j’avais acquis cette confiance étant jeune, personne ne m’avait dit : fais ci ou fais ça. Je l’ai acquis comme ça, je ne pourrais pas dire comment. Quand je suis arrivée au lycée, j’ai commencé à être un peu plus féminine qu’au collège, parce que j’étais un garçon manqué. Et c’est là petit à petit que j’ai commencé à avoir confiance en moi. Cette force d’état d’esprit que j’avais était juste sublime. Tout était positif dans ma tête. Il n’y avait rien de négatif.

Tu aurais envie de faire des compétitions ?

Non. Je ne trouve pas que c’est pour moi. Vraiment. Déjà, tu vois la tenue vestimentaire que je porte ? Et puis surtout, je suis une mère au foyer. Franchement je ne pourrais pas. C’est trop me demander. Même avant je n’aurais pas pu le faire. Il y a dix ans peut-être, mais il y a dix ans ! Maintenant je ne me vois pas la capacité d’aller faire des combats. Quand je vois partir les gens, je me dis : « Waouh ! Quand même, ils ont un mental ! » Parce qu’il faut l’échauffement, il faut l’entrainement, il faut de l’investissement. Et personnellement je n’en ai pas à donner dans la boxe, je préfère le donner à mes enfants, à mon foyer. Parce que c’est soit l’un soit l’autre. Il faut choisir dans la vie. Il y a des personnes qui te diraient : « Tu peux faire les deux en même temps » mais non. Non, ça ne me donne pas envie. Tout le stress qu’il y a je le vivrais très mal ! Je n’arrive pas à surmonter mon stress donc je ferais n’importe quoi, ce serait du temps gâché pour rien.

Déjà le passage de grade, ça me met une pression. C’est comme quand tu passes le permis. C’est une pression, tu ne sais pas quoi faire. Je déteste avant et pendant. Parce qu’après c’est euphorique, je sors de la salle, je sais que ça y est, c’est fini. Mais avant et pendant ce n’est pas agréable du tout. C’est comme si je perdais tous mes moyens. Pourtant je connais, je sais faire, mais un stress monte en moi, je n’arrive pas à gérer. Elle va me demander de faire un enchainement, je vais me dire : « C’est quoi déjà, comment c’est ? » Le temps que ça monte dans ma tête, l’ascenseur dans ma tête est en panne des fois, c’est un peu long !

A une compétition, je ne viendrais pas ! Je ne dormirais pas pendant dix jours, je ne mangerais pas, je deviendrais squelettique, non, non non, c’est trop de pression pour moi. Dix ans avant, peut-être, parce que j’étais seule. Là, il y a plein de choses qui font que je pourrais pas. Et dans dix ans, je n’espère pas ! Parce que dans dix ans, tu me retrouveras en Mama maghrébine extra-énorme qui ne mange que du couscous toute la journée ! Quoique dans dix ans, mes enfants auront quel âge ? Parce que je pense aux enfants en fait. Dans dix ans, il aura seize. J’ai trente. À quarante ans ? Oui, peut-être, je ne sais pas ! On verra mon nom placardé, j’espère que tu viendras !

Tu es déjà allée voir les filles en compétition ?

Non, jamais. J’ai regardé vite fait sur facebook. Le peu que j’ai vu c’était pas mal. J’ai vu Noémie. Noémie c’est un phénomène ! La première fois que je suis venue ici au Blanc-Mesnil, la première fille que j’ai vue c’est elle. Je me suis dit : « Celle-là, championne ! Si elle fait des compétitions, elle va aller loin. » La façon dont elle bouge, comme elle est fine, on dirait que c’est ancré en elle. Elle vit par la boxe, elle est boxe. Tu la regardes, tu dis : « C’est une boxeuse. » Pourtant à côté elle peut être féminine. Mais quand je la vois, elle me choque. Jusqu’au jour d’aujourd’hui. Elle me choque en bien ! Sa façon de voir les choses, sa pertinence, sa combativité ; elle ne lâche pas l’affaire ! Elle a un mental : chapeau ! Après, c’est une question d’entrainement. Si tu peux avoir de bons coaches qui sont là derrière, qui te motivent, qui te disent que c’est toi la meilleure et que finalement ça te rentre dans ta tête.

Elle a commencé presque en même temps que toi Noémie ?

Oui. Quand je la voyais, je me disais : « Elle est pas possible celle-là, elle est loin ! Qu’est-ce qu’elle fait dans ce cours ? Elle devrait être surclassée dans un autre cours. » Parce que c’était un cours de débutantes. Quand tu la vois, tu ne te dis pas que c’est une débutante. Et quand tu parles avec elle, elle te dit : « Oui, je fais ci, je fais ça, je fais ça… » Je dis : « Ah oui, d’accord, OK, ça se voit, toi tu es loin. »

Est-ce qu’il y a des personnes avec qui c’est plus agréable de boxer qu’avec d’autres ?

Oui. Totalement. Par exemple : Alice, c’est merveilleux de boxer avec elle. Parce qu’en fait, elle ne fait que des touches. Elle, c’est vraiment la technique. Et Kamilya, c’est de la force. Elle a une puissance ! Mais elle ne sait pas la gérer. Elle est encore jeune. Quitte à choisir, je préfère Alice. Noémie, c’est parfait aussi. Elle a la technique mais en même temps un petit peu de force. Il y a une balance : l’une va te faire vraiment quelque chose de technique, bien, propre, même au moment de combattre, elle ne fait que des touches, elle ne va pas mettre toute sa vie ; et l’autre, comme Kamilya, elle met toute sa vie. Après, tu as des côtes, je ne sais pas si elles sont cassées… Elle est plus petite, mais elle a une force, mon Dieu !

Tu as fait d’autres sports de combat ?

Non, ça ne m’attire pas du tout. J’ai essayé le grappling, j’ai détesté. Je déteste quelqu’un qui me touche. En plus on est au sol, on doit se toucher. J’ai essayé, je n’ai pas aimé. J’ai essayé avec mon mari, j’ai essayé avec Miriame, j’ai essayé avec Farah, je ne peux pas. La personne transpire, elle est là, sur toi ! Je ne suis pas chochotte mais je déteste. Déjà dans la rue, quelqu’un qui me colle comme ça, j’ai envie de lui foutre une claque, mais là ! Non, c’est trop.

Le MMA (Mixed Martial Art), non. La Boxe Thaï, je trouve que c’est trop violent. J’aime bien le judo, mais à voir, pas à faire, parce que la prise comme ça, du kimono, je lui foutrais une droite direct ! Ici on fait full et boxe française. Je préfère la boxe française, je suis un peu light ! Je ne sais pas pourquoi, c’est plus adapté à moi. Moi, ma personnalité. J’ai envie d’évacuer, de me libérer, je suis quelqu’un d’autre. Quand je rentre sur le tatami, ce n’est plus la Sarah qui a des enfants, qui est mariée, je m’oublie totalement. C’est ce qui est bien. C’est pour ça que j’ai choisi la boxe et pas le fitness ou des choses comme ça : ce n’est pas intéressant.

Tu regardes des combats ?

Des fois je regarde la chaîne 21. Du kickboxing, de la boxe thaïlandaise. Mais c’est furtif, je zappe. Les coups qu’ils donnent, ça me fait mal aux oreilles ! J’ai mal pour la personne donc je préfère changer.

Mon mari me dit : « Il faudrait que tu t’inspires. Tu regardes une personne sur youtube et tu prends cette personne en modèle. Tu essaies d’imiter tous ses pas et après, tu auras ta propre technique, tu auras ta propre façon de bouger, ta propre façon de boxer. Il faut que tu prennes les bases, il faut que tu essaies de copier quelqu’un parce qu’au départ on est tous à copier. » Il me dit de faire ça mais ça ne m’intéresse pas.

Farah (entraineure du cours),je pourrais la regarder une heure, deux heures, trois heures. Je regarde comment elle boxe, ça ne me dérange pas. Là je vois. C’est direct. Ce n’est pas du fictif sur youtube. Et tu peux apprendre : la façon dont elle bouge, comment elle fait pour se relever quand elle tombe etc. Et tu peux lui poser des questions, tandis que là sur youtube tu vas poser des questions à qui ? À une personne qui va te répondre dix ans après ! Ce n’est pas intéressant. Mais peut-être que je vais me lancer, je ne sais pas on va voir.

Ça vous arrive de faire des combats avec ton mari ?

Oui! C’est marrant. C’est trop marrant. Des fois il m’apprend des enchainements. Des fois j’arrive, je me la pète un petit peu, je lui fous deux-trois coups de pieds, deux-trois coups de poings et puis on joue comme ça. Tu verrais mon mari, tu ne te dirais pas : ils se battent ensemble, ils rigolent. Parce que les gens quand ils nous voient dans la rue ils se disent : ceux-là, il doit la battre H24 alors que non, pas du tout, on se bagarre, c’est trop marrant. Des fois on se fait des concours de qui donne le plus de coups de poings, le plus fort ; et lequel il résiste le plus. En général c’est moi qui flanche mais quand même, je lui en donne ! Le lendemain, on a des bleus comme ça !

Des fois il m’apprend des prises de MMA. Il en apprend aussi à mes enfants.

Mais le MMA, je n’arrive pas. Le contact. On est trop proches. Je ne peux pas. Au moins avec la boxe, je peux repousser mon adversaire. Au MMA, on va me faire une prise et on va me maîtriser ; alors là, j’ai la haine, j’ai envie de sortir de là sauf que je ne sais pas comment sortir de là et la seule chose que je veux faire c’est sortir et taper la personne et partir parce que c’est un truc que je ne supporte pas. Comment faire pour sortir ? Tu ne vas pas sortir comme une grosse patate! Mon mari m’a appris deux-trois techniques, mais ce n’est pas à refaire. Je l’ai refait à Farah mais ça ne me plaît pas. C’est beau à voir quand c’est des professionnels. Mon mari regarde des vrais professionnels sur youtube, et c’est vrai que c’est rapide, c’est fluide, tu te dis : « Waouh ! C’est vraiment beau. » Mais à faire : non ! Et pour les filles, je n’aime pas du tout. Je me dis que ce n’est pas un sport pour elles. La boxe, pour une fille, ce n’est pas grave, ça ne me choque pas, mais le MMA je ne sais pas pourquoi, je ne trouve pas ça très joli. C’est bizarre non ? Ça fait un peu : les femmes n’ont pas le droit de faire certaines choses. C’est les poses aussi. Pour être collé, t’es collé ! Non merci ! Ça me dégoûte, juste ! J’en ai marre de ces gens ! Déjà faire des câlins c’est un supplice pour moi, c’est une torture alors…Ce n’est pas possible !

Je suis étrange, je suis une personne très très étrange. Déjà dans ma tête ce n’est pas net alors qu’est-ce que tu veux que le reste soit net !

Est-ce tu as envie de dire autre chose ?

Que Farah, ça a été ma révélation. Oui, ça a été la rencontre et la révélation de mes deux années. Même de ma vie, maintenant, quotidienne parce que, presque elle partage ma vie. Sa façon de voir les choses, comment elle est, sa façon de parler, d’analyser les choses etc c’est juste incroyable. Je suis presque en admiration devant elle. Faut pas lui dire ! Je sais qu’elle ne va pas prendre la grosse tête mais bon. Et de toutes façons elle ne va pas montrer ses émotions et puis moi je ne veux pas, et je ne montre pas non plus ; mais c’est vrai que c’est la rencontre de ma vie. Je n’ai jamais connu une personne comme ça dans ma vie. Pourtant elle est plus jeune que moi. Le mental qu’elle a, ça me choque. En bien ! C’est extraordinaire. Elle donne sans vouloir recevoir en retour, elle est vraie avec les gens, et dans le sport, elle est pédagogue de fou, elle te réexplique dix mille fois les choses si tu n’as pas compris, elle prend le temps pour toi, pour l’autre personne, elle est investie à mille pour cent. Jamais vu des profs comme ça. Et Miriame pareil. Miriame, c’était juste après Farah. Alors elle, c’est la fofolle de l’histoire, c’est juste incroyable cette fille. Juste je vois sa tête, j’ai envie de rigoler ! Elle me tue cette fille. Elle aussi est comme Farah, elle donne sans recevoir. Elles sont là, investies dans leur boulot, dans leur travail ; et leur seule récompense c’est de nous voir épanouies, qu’on se sente bien dans notre peau, qu’on ait appris ce qu’elles nous ont montré. Parce que c’est vrai qu’à chaque fois qu’on revient il y a des changements. Des fois elles ne sont pas là pendant une petite période, dès qu’elles nous voient : « Ah oui, c’est bien, tu as changé. » C’est super intéressant, c’est magnifique de travailler avec elles. Ça donne envie de venir, de se motiver, parce que tu sais que le cours va être bien. Des fois si tu as la flemme, tu te dis que tu as une prof comme ça et allez hop ! Juste pour ta prof, qu’elle soit contente de toi, tu as envie de lui ramener la montagne, tu as envie de venir. « Je suis fatiguée, j’en ai marre de ma vie mais j’y vais parce que je sais que le cours de ma prof ça va être juste magnifique. » Elle va t’assécher physiquement, tu vas rentrer chez toi sèche comme jamais mais au moins tu sais que c’est pour ton bien. Tu vas rentrer, tu vas être fracassée, mais c’est pour ton bien.

Un cours par semaine, c’est déjà pas mal, c’est déjà énorme pour moi. Des fois je n’ai pas envie. Mon mari me dit : « Il faudrait que tu t’y mettes un peu plus. »

Tu as combien d’enfants ?

J’ai trois enfants, trois garçons : un qui va avoir bientôt six ans, un qui a quatre ans et l’autre qui va avoir trois ans. Je les ai enchaînés. C’est fatigant. Ils ont quinze mois d’écart les deux premiers, donc je suis K.O. Qu’on ne me parle pas encore d’un autre enfant parce que je suis vaccinée contre ! Je suis vaccinée contre les enfants ! On me dit : « Mais oui, vas-y, t’inquiètes pas. » Je dis non. Juste la grossesse : non merci, les vomissements et tout ça. Va les élever ! C’est ça que je dis aux gens : « Va les élever ! » J’en fais trois, je vais en faire dix, qui va les élever ? Moi je n’ai pas de force, je n’ai plus de mental, je n’ai plus rien. Je pense à moi, je suis égoïste, je m’en fiche. Il y en a qui en font, je ne sais pas où elles trouvent la force. Il y a des femmes qui aiment materner. À l’époque de nos mamans, c’était plus facile, même si il devait y avoir des difficultés, ce n’est pas comme maintenant. Maintenant tu la vois la maman, elle pète un câble, l’enfant lui fait une crise dans la rue, elle n’en peut plus, elle est au bout de ses nerfs. Déjà le troisième je n’en voulais pas… De toutes façons, moi, aucun des trois n’a été voulu, ça a été : hop ! C’est arrivé. Comme pour vous ça va être Noël, pour nous ça va être l’Aïd : hop, trois petits gosses ! Donc non, le quatrième, j’aurais ni le mental ni le physique pour. Dans mon entourage je vois des personnes qui ont la trentaine qui me disent : « C’est une grossesse différente, mon corps supporte moins. »  Elles sont encore plus fatiguée qu’avant. J’avais 23 ans quand j’ai eu mon premier donc, ça va, tu gères. Après tu en as déjà trois, tu fais comment ? Tu es enceinte, tu vas les trimballer à l’école, tu les reposes, tu as envie de vomir. Non franchement, non merci ! Ça en tout cas, c’est un truc dont je suis sûre à mille pour cent. Je sais que je n’en veux pas et je n’en voudrais jamais. Tu imagines, le bon Dieu m’en ramène un, bam ! Non, franchement c’est bon. J’ai envie de penser à moi. Je pense à eux c’est déjà pas mal.

Nous on a été élevées d’une façon : penser aux autres d’abord avant soi. Je suis tunisienne. Quand ma mère nous a élevés c’était : un peu nous, un peu elle. Sauf que nous, quand on s’est voilées, quand on a fait nos choses, on s’est mis dans nos têtes : c’est tout pour nos enfants et nous rien du tout. Et après on se retrouve avec 20 kg en plus, moche, t’es plus toi-même. Et encore si le mari est là, mais si il part ? ça fait un choc.

Interview de Z. (boxeuse)

J’ai commencé la boxe en octobre 2015. Ça me trottait la tête depuis longtemps de faire de la boxe. Peut-être à cause du film Millions dollars baby. Et puis aussi, là pour ma thèse en sociologie, j’avais besoin d’un ancrage dans le quartier.

Il y a deux ans déjà, j’avais fait une tentative. A l’époque je cherchais un club d’art martial. Un club prés de chez moi. J’ai passé des heures à chercher sur internet. Et puis, je m’étais fixé sur le Boxing Beats déjà. Le Boxing beats, c’est très visible sur internet.

Je m’étais donc pointée il y a deux ans au Boxing Beats. Mais je m’étais trompée de porte. J’étais entrée dans le club de muscu. La salle de muscu était obscure. Il y avait de la musique fort. Le bruit des machines. Pas d’accueil. Des gros costauds qui sueraient sur leurs machines. Ils m’avaient indiqué la bonne porte, mais ensuite, une fois au Boxing Beats j’avais pas osé traverser la salle, devant les ring pour monter sur la mezzanine, jusqu’au bureau. Je suis un peu timide. J’étais repartie.

Non, je ne me bagarrais pas quand j’étais gamine. Je me laissais pas faire. J’ai dû coller une ou deux gifles mais je ne me bagarrais pas. Une fois, si, je me souviens, j’ai donné un coup de pieds dans les couilles à un garçon. C’était à la maternelle. Mon père, il m’avait dit, si un garçon t’embête, tu dois le taper là. Et un garçon a foncé vers moi, pour rire, pour me faire peur, je ne sais pas, je lui ai donné un coup de pieds dans les couilles, il s’est écroulé, je me suis senti très mal. Je n’ai jamais recommencé.

Et puis, la boxe, ça me trottait en tête. Pendant deux ans, j’ai cherché sur internet. J’ai beaucoup réfléchi. Le taekwondo ? la boxe ? le karaté ? j’avais vraiment beaucoup d’attirance pour la boxe. Déjà au collège, j’avais envie de faire de la boxe. Pourtant personne dans ma famille n’en faisait de la boxe. Non, je n’ai pas d’amis qui font de boxe. Et puis je me suis décidée. Je me suis inscrite au Boxing beats.

Mon premier cours, c’était un mercredi avec Ahmed. Un cours classique. Dès qu’on a commencé à courir autour des rings, Émilie et Lina se sont présentées à moi. Elles débutaient elles aussi. Quand on a fait nos premiers combats, je me sentais un peu empotée. Je ne parvenais pas à coordonner mes mouvements comme les autres autour de moi. Pourtant, du sport, j’en ai fait beaucoup. Mais, je n’avais pas la coordination pour ce sport-là. C’est que j’étais un peu en retard par rapport aux autres. Durant les abdos, le gainage, j’ai craqué. Samia m’encouragée à tenir. Oui, les filles m’ont bien accueillie. C’était cool.

Quand j’ai reçu mon premier coup, je me suis dit « ah, le casque, ça protège bien. » Le soir, je n’avais aucune marque. Ça m’a soulagée. Sur un cours, je me suis retrouvée face au frère de Lina, j’ai trouvé qu’il tapait vraiment trop fort. Mais le jour où j’ai oublié mon protège-dent, j’ai compris que c’est ça la protection la plus importante. Cela dit, je préfère quand les coups sont vraiment portés plutôt que de ne pas se toucher. Ce qui est le plus agréable, c’est de le faire avec quelqu’un qui maitrise. Plus t’es débutant et plus tes coups sont incontrôlés. Il y a des débutants qui font attention, mais les plus anciens, ils savent vraiment doser, je préfère.

Oui, des fois, j’ai tapé fort, et je m’en suis pas rendue compte. Avec les gants, c’est difficile de savoir. Au début je m’excusais à chaque fois que je touchais. Ca faisait rire la personne en face souvent. Ce que je trouve difficile, c’est d’enchaîner. Tu sais, tu touches ton partenaire, il est déstabilisé, et il faut continuer, profiter de l’avantage, lui rentrer dedans. Ça j’ai du mal. Il y a un truc qui me retient. J’arrive pas encore vraiment à enchainer. Mais ça va, j’avance progressivement.

La semaine dernière, j’ai assisté aux championnats de France féminins. C’est le Boxing Beats qui les organisait. J’ai beaucoup aimé. J’étais à l’accueil, mais quand j’avais le temps, je pouvais rester prés du coin du ring. Pas loin du tout des entraineurs. Ça c’était cool. Je n’ai pas trouvé les combats violents. Ça m’a vraiment donné envie de faire des combats moi aussi.

Je regarde beaucoup de combats sur internet. Hier soir, j’ai regardé un combat génial. Lamare vs Laracuente. Quand l’arbitre leur donne les dernières instructions, Laracuente, elle fait un geste violent : d’égorger l’autre. Et au début, elle donne vraiment du mal à Lamare. Elles ont deux styles très différents. Finalement, Lamare gagne et quand l’arbitre lève son poing, elle désigne sa concurrente et lève le poing à Laracuente. On a l’impression que toutes les deux se font plaisir pendant le combat. Je regarde surtout de la boxe féminine sur internet. Mais ensuite, je surfe et je me retrouve forcément à regarder de la boxe masculine. Je ne regarde pas trop les autres arts martiaux. La violence du spectacle de la boxe, ça me pose pas de problème. Enfin si, une fois, je me suis senti mal en regardant perdre Mike Tyson. J’adore Tyson. J’aime comment il boxe. Dans un de ses matchs, je le vois se faire mettre KO. J’y croyais pas. J’ai trouvé ça cruel ce KO de Tyson. Il semblait complètement démuni et incapable de commander son corps pour se relever.

Hier soir, sur internet, j’ai vu un KO lors d’un match féminin. La fille qui gagne, quand l’autre est compté dix, elle explose de joie et danse autour du corps de l’autre. Elle fait le signe de l’enculer. Ca aussi comme image, c’est un peu violent je trouve.

Quand je dis au gens que je fais de la boxe, la plupart du temps, c’est OK, c’est cool. Il y en a qui me disent : « J’espère que tu vas pas me coller une tarte, un jour. » Ma mère, au début, elle était pas trop fan que je fasse de la boxe. Elle ne comprenait pas. Donner des coups, en recevoir, elle ne voyait pas l’intérêt.

J’aimerais combattre. Dès que possible, j’aimerais suivre les cours amateurs. Là, je ne me sens pas prête du tout. Mais s’ils me proposent de faire un cours en plus, je dis oui tout de suite.

Oui, j’ai fait beaucoup de sport, depuis toute petite. J’ai fait beaucoup d’équitation, pendant 15 ans.. J’ai fait de l’athlétisme. Tous les sports se ressemblent dans une certaine mesure : les valeurs, c’est dépassement de soi, effort, persévérance, etc. Mais il y a des différences. En athlétisme, tu n’as pas besoin de bluffer. En boxe, tu dois cacher ta douleur. Ton adversaire ne doit pas savoir qu’il t’a fait mal. Tu continues de sautiller quoi qu’il arrive, comme si t’étais toute fraiche alors qu’en fait t’es à l’agonie.

Les valeurs de la boxe j’aime beaucoup. Mais ce ne sont pas mes valeurs dans la vie. Dans la vie, je ne sais si je dois être toujours déterminée, forte, courageuse... Ces valeurs elles deviennent encore plus discutables si tu les appliques dans le monde du travail. Le sport, pour moi c’est une occasion de me dépasser, mais pendant un temps très précis : de 18h30 à 21h, durant l’entrainement, et pour but très précis : apprendre la boxe. Je ne subordonne pas ma vie en permanence, et partout, à ces valeurs. Je pourrais suivre un régime par exemple pour faire le poids, mais si c’était un impératif imposé par un patron, ça me plairait pas. J’ai fais des boulots d’hôtesse d’accueil, les impératifs de présentation, je connais, je n’ai pas envie d’y obéir.

Je fais du sport plusieurs fois par semaine. Au Boxing Beats, ou dans une salle de sport. Ça me fatigue. Mais c’est de la bonne fatigue. Plus je m’entraine, plus ça va à l’entrainement. C’est un cercle vertueux. C’est vrai cela dit que le sport a un côté addictif. J’ai arrêté de fumer récemment, il y a peut être une sorte de substitution par le sport à la cigarette.

La boxe m’a aidée pour mon boulot de sociologue. Au soutien scolaire du Boxing Beats, j’ai rencontré des jeunes qui habitent dans le quartier que j’étudie. Je les croisais dans la rue, on se saluait, ça montrait que je faisais partie du quartier. Oui, ça m’a servi certainement, de manière indirecte, en me donnant un genre de « capital quartier » auprès de mes enquêtés. C’est un peu un droit d’entrée.

Mon précédent terrain d’étude, avec les punks à chien devenait dangereux. Je m’étais dit que la boxe pouvait m’aider en cas de bagarre. A anticiper au moins. Les personnes dont j’avais peur étaient beaucoup plus fortes que moi. Elles pouvaient faire beaucoup de dégât. Finalement, il ne m’est rien arrivé. Mais je me dis qu’avant la boxe, j’aurais pu me défendre de manière débile. Aujourd’hui, en fonction de la personne en face, si elle est vraiment dangereuse, je sais quand je dois partir en courant plutôt que me défendre. Avant, si j’avais été en situation d’être attaquée, j’aurais essayé de me défendre. C’est un milieu où il y a beaucoup de baston. D’ailleurs, au contact des punks, j’avais acquis une sorte d’agressivité. Si quelqu’un semblait me parler mal dans la rue, aussitôt je lui répondais mal, sans réfléchir. Maintenant, je jauge mieux avant de rétorquer -ou pas.

C’est vrai qu’à force d’être dans un milieu de bastonneur, tu deviens un bastonneur. Moi, dans la rue, j’avais une chance, j’étais du côté des plus jeunes, des plus forts. Dans une baston entre punks et vieux clodos, les punks sont plus forts. Et puis ces jeunes punks, ils savent se battre. Ils m’ont protégée. C’était dangereux, ça partait à coup de tessons de bouteilles, tout ça. Quand ça se barrait comme ça, je restais en dehors des bastons.

À la boxe, il y a trois semaines, je me suis battue contre un mec, il tapait fort et juste. J’en ai reçu plein. J’ai hésité à arrêter. J’avais envie de pleurer. Mais j’ai continué. Après, j’étais fière de moi d’être restée.

Le frère de Lina aussi, il m’a collé des patates, et j’ai été très contente de ne pas me mettre en colère contre lui, de me maitriser, et de continuer à boxer. La boxe, c’est beaucoup la maitrise de ses émotions.

L’équitation, j’ai commencé à deux ans et demi. Avec les chevaux, il y a aussi une certaine maitrise des émotions, mais pas de la même manière qu’en boxe.

Mon corps a beaucoup changé avec la boxe. J’ai pris sept kilos. Surtout du muscle. Je n’ai pas changé de taille de vêtements. Donc c’est bien du muscle. Mes bras sont beaucoup plus forts. Au début, je ne voulais pas acquérir un corps de boxeuse. À cet égard, mes canons de la beauté ont beaucoup évolué. Maintenant, j’ai envie d’avoir de gros bras, des abdos, ça ne me dérange plus d’avoir de gros muscles.

Ça ne me dérangerait pas non plus si je me chopais un cocard. Mais bon, pour le moment, mon boulot, c’est chez moi. Je ne fais plus d’accueil. Quand je faisais de l’accueil client, tout était spécifié très précisément : le maquillage, la coiffure etc… Le cocard serait mal passé.

Je vais avoir vingt-six ans. J’aimerais bien faire un combat, dans un an pourquoi pas si je suis prête.

Ma vie change. Je crois que je vais laisser tomber la sociologie.

Psychologiquement, ça a été compliqué de laisser les punks. Mon mode de travail c’est de devenir amie avec mes « objets d’études ». J’avais peur de trahir l’amitié de ceux sur qui j’allais écrire. Les fréquenter pendant longtemps, nouer des amitiés, et puis ciao partir écrire ma thèse.

Et puis, dernièrement, je suis allée à un séminaire je me suis dit : mais qu’est-ce que je fous là ? Je me suis dit que j’étais certaine de ne pas vouloir devenir chercheure, alors pourquoi continuer en thèse ?

J’aimerais beaucoup travailler avec des ados. J’ai pas mal d’expérience dans l’animation, dans la jeunesse, tout ça. J’ai une capacité à accrocher avec les ados des milieux sensibles. J’aimerais bien réussir à travailler avec eux hors institution scolaire.

Là, je vais postuler à une médiathèque de Plaine Commune.

Irascible

On dit que les grands boxeurs sont des hommes en colère. Si la rage améliorait les performances, je pourrais songer à conquérir une ceinture de champion de France de Boxe - section vétéran - .

Ma vie est scandée de récits ou de souvenirs de colères. Le mythe familial prétend que ma première ire est tombée sur la religieuse qui, au Jardin d’Enfants de la rue Elzévir, prétendait me faire retourner en classe après la récréation. J’avais insulté la femme de Dieu, qui rapporta à ma mère que, malgré ma prononciation encore défectueuse d’enfant de trois ans, je lui avait très clairement dit « merde » et répété suffisamment le mot pour qu’elle se convainque bien que c’était bien là ce que j’entendais lui signifier.

  • « Je ne comprends pas où il a bien pu apprendre ce mot » lui répondait benoîtement ma mère, très embêtée au fond de constater qu’il était public et avéré ce qu’elle savait depuis ma naissance : elle avait enfanté un enfant colérique.

Les années suivantes, j’ai poursuivi mon frère aîné de ma rage : lui écrasant des chewing-gums dans les cheveux, le mordant, le griffant lors de nos batailles où je refusais contre toute évidence de m’avouer vaincu, toujours prêt à me relever pour lui donner un coup de pied sitôt qu’il m’avait lâché et tourné le dos, plantant des couteaux dans sa porte quand il s’enfermait dans sa chambre, lui balançant le plus lourd des dictionnaires au visage parce que ma mère avait oublié de m’embrasser en partant.

Excédés par ces crises de colères, mes parents m’enfermaient dans ma chambre lorsque je commençais à tempêter, taper du pied, et crier. Seul avec mes jouets, je choisissais avec soin un jouet chéri, et le détruisais en le lançant contre le mur.

J’allongeais un coup de poing direct au camarade de colonie de vacance qui venant dans mon dos me posait affectueusement un bras sur l’épaule. Je n’aimais pas qu’on me touche par surprise.

Cette agressivité éruptive contrastait avec un abord plutôt charmeur, ce qui achevait de désorienter mes interlocuteurs, et faisait de moi un enfant mélancolique et solitaire.

J’avais secrètement peur de ces pulsions de colère. J’évitais de me battre, car il me semblait que si je me battais, je ne reconnaîtrais aucune règle. Et de fait, une fois dans la rixe, je perdais toute mesure, devenais insensible à la douleur, et dénué absolument de scrupule. Quand je me battais, c’était pour tuer.

Mon frère a, je crois, bien senti ce danger.

Si j’ai terrifié quelqu’un, c’est d’abord lui. Et ensuite, moi, donc.

Ma principale angoisse pendant longtemps – et peut-être encore aujourd’hui – c’est de me trouver débordé par cette violence. Durant mon adolescence, j’avais très peur de me réveiller un matin avec dans mon lit le cadavre de mon amie que j’aurais étranglée dans une crise de démence, semblable à celle qui conclut la carrière universitaire de Louis Althusser, assassin de son épouse dans son appartement de fonction de la rue l’Ulm.

Plus tard, j’ai identifié cette peur à une très fondée angoisse devant la sexualité, activité aussi agréable qu’inquiétante – rencontrer l’autre est toujours un événement extraordinaire, et s’inquiéter de ce commerce me semble toujours fondé : si c’était une activité bénigne, les acteurs n’auraient pas le trac, les boxeurs monteraient le cœur léger sur le ring, et les électrocardiogrammes des amoureux demeureraient d’une désespérante régularité -.

J’ai aussi découvert, durant mon enfance, que je pouvais utiliser beaucoup plus utilement la menace de la colère que la colère elle-même. Je me suis donc pourvu d’une collection de regards noirs qui permettaient à mes interlocuteurs de sentir que quelque chose clochait, et donc de tenter de combler mes attentes avant que ne s’exprime de manière terrible ma frustration d’avoir dû attendre.

Et ensuite, j’ai complété cet arsenal avec une gamme de silences signifiant des émotions allant de l’agacement à l’exaspération, en passant par la contrariété, l’irritation, l’indignation, la révolte, le scandale, l’offense.

Je dois faire un aveu : je ne ressentais souvent pas si violemment tous ces sentiments, mais je m’amusais parfois à les outrer dans le but délibéré d’intimider mes interlocuteurs.

Tous n’étaient pas dupes cependant. Mais j’ai su faire souffrir avec ces silences s’appesantissant.

Je me prenais à mon propre jeu : et plus d’une fois, feignant la colère, je me suis retrouvé réellement en colère, et débordée par elle. Dans ces cas–là je me consolais de mon manque de self-control en me disant que ma colère devait bien être fondée quelque part pour m’emporter ainsi.

J’ai mis un uppercut

Au dernier entrainement, j’ai retrouvé Hervé avec plaisir. Et je lui ai collé un uppercut.

Cela faisait plusieurs mois que, retenu par des répétitions, des cours ou des ateliers de théâtre, Hervé ne venait plus aux cours. Il était revenu il y a quinze jours, mais alors, c’est moi qui, fatigué par l’inhalation de gaz lacrymogènes, et le spectacle de scènes de violences policières, n’avait pas trouvé l’énergie pour enchaîner le cours de boxe à la suite du cours de soutien scolaire. Cette désertion inopinée m’avait valu un laconique « lâcheur ! », envoyé par sms par Hervé.

Donc, Hervé, j’étais content de le retrouver avec son short rouge, son tee-shirt rouge, sa haute taille et ses long bras. Mon problème avec Hervé c’est ça : il est grand et a de longs bras qui me maintiennent à distance par des coups nonchalants, très agaçants par leurs répétitions.

Ahmed m’avait conseillé, il y a plusieurs semaines de viser le foie, afin de contraindre Hervé à se pencher et donc à mettre sa tête à ma portée. Je me suis astreint à cette tactique avec plus d’obstination que de réussite jusqu’ici.

Alors, mercredi dernier, quand soudain je constate une ouverture dans la garde de Hervé, qui de plus se penche imprudemment, je place un uppercut. Il est arrivé pile sur le menton l’uppercut : je l’ai tout de suite vu au regard choqué, presque attristé de Hervé. Cette mélancolie lui est vite passée, et nos trois rounds ensemble n’ont peut-être pas été marqués du sceau de la belle boxe enseignée et réclamée par nos professeurs.

Moi, j’étais ravi. J’avais placé le geste prévu, au bon moment, suivant une tactique prémédité depuis longtemps, sous une forme assez académique et avec un résultat réjouissant. Le regard étonné de Hervé en recevant mon uppercut me consolait de tous les regards désolés de Faïzy lorsque nous nous entrainions ensemble, il y a six mois de cela, à l’uppercut précisément.

Quel équivalent donner à cette jouissance ?

Le premier baiser donné et reçu ?

Le grand rire général quand on fait le clown devant une salle jusqu’alors silencieuse ?

Après une journée de pluie continue, un rayon de soleil juste à l’instant où on se décide à sortir se promener ?

Avoir cru perdu son porte-monnaie, et le retrouver dans une poche qu’on avait oublié de fouiller ?

Un but à la dernière minute d’un match où après été dominée, votre équipe favorite a remonté au score et finit par l’emporter ?