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100 ans de lutte Olympique, de Raïko Petrov, 1997

Edité par la Fila pour le 100e anniversaire des J.O.(livre donné par Didier Duceux)

Histoire détaillée de la Lutte depuis les premiers J.O.dans la Grèce antique. De nombreuses photos et dessins.

livre entier : 

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1er juillet 2015 : 4e réunion du Cercle à La Commune

 

Qu'est-ce qui vous a saisi, déstabilisé, terrassé, attiré ?

(cliquer sur les liens pour voir les contributions récoltées)

 

-         Samir : aux Diables Rouges j’ai découvert la Lutte. Ce qui m’a saisi, c’est la dureté des contacts, et en même temps un respect absolu du partenaire pendant le combat. J’ai été effaré de l’engagement fort, dur, très physique, demandant beaucoup de ressources. J’ai été saisi par le fait qu’ils ne s’arrêtent jamais. Ce sont des sportifs de haut niveau, accomplis parce qu’ils sont constamment en action. Quand on voit les moyens qu’ils ont, je dis chapeau. Comment ils arrivent à faire des entraînements dans ces conditions. Il y a beaucoup de monde, quand on y était, on avait chaud. Moi qui ai connu quelques dojos, c’était pas ça. On avait de quoi pouvoir récupérer, s’aérer… ils ont pas de bonnes conditions. J’ai découvert une grande noblesse. En quelques mots. Un engagement total, un respect absolu, et une continuité de l’apprentissage, les petits sont chaperonnés par les anciens. Chose qu’on voit de moins en moins. Les anciens qui viennent jouer à la balle pour conserver cet esprit de camaraderie. Pas d’esprit de compétition. Il y a tjrs un respect. Moi j’ai pu voir certaines choses dans les dojos, où la compétition induisait des comportements..

-         Corinne : la différence c’est que la lutte n’est pas un sport de soumission. Didier dit que c’est ça qui change

-         C’est ça qui fait qu’ils attaquent ardemment.

-         Hervé a écrit des textes juste après les 3 séances, pas quelque chose de synthétique mais des réflexions d’un néophyte. 1er texte quand on a assisté à l’entraînement, le 2e après la compétition, le 3e après l’initiation. Textes d'Hervé.

-         Elodie : je suis un peu gênée parce que je croyais qu’on serait en cercle sur le plateau…

-         Stéphane : On a oublié le dispositif du cercle pour pouvoir venir au centre pour présenter, il faut absolument le faire la prochaine fois.

-         Elodie : Je vais expliquer l’embryon d’idée, le début de canevas d’impro. J’ai amené ma brosse à dents. Le projet m’intéresse, sans être du tout une spécialiste et même ayant une trouille par rapport à des sports comme la Lutte ou la Boxe, des sports de combat. J’ai beaucoup pensé à la lutte. Là où j’y pensais le plus c’est quand je me brossais les dents. Du coup j’imaginais aller sur le plateau me brosser les dents et dans le miroir je regardais mes petits bras musclés surtout ceux du bas des bras. Et c’est aussi un rituel que j’ai avant d’entrer sur le plateau. Mon point de départ c’était de me brosser les dents sur le plateau et de laisser parler les pensées, quand on dit « allez ». le mot « lutte » est très beau. Brecht disait « si on lutte on peut perdre mais si on lutte pas on a déjà perdu ». Quand je suis arrivée à la compet j’étais très impressionnée par leur agilité, j’étais pas préparée à voir un truc aussi chorégraphique. Quand je suis arrivée à l’initiation j’étais la 1e et je voyais que des lutteurs arriver et ouh lala je commençais à penser à moi dans ma salle de bains. Et j’ai trouvé ces gens très très généreux et j’ai beaucoup aimé. Dès que je me suis mise à penser à mes souvenirs d’enfance de bagarre avec mon frère et dès que j’avais des souvenirs, ma partenaire me mettait au sol. Je continue à avoir peur des sports de combat. Après combattre avec des lutteurs, je pense pas que j’oserais…

-         Michel : je suis là pour tremper une madeleine dans une tasse de thé, par rapport à des souvenirs d’enfance. (…) Je me souviens d’une cour de récré et des souvenirs qui commençaient par des bagarres dans une cour non surveillée. Et puis c’était un lien aussi avec le chant c’était une école catho. Il y avait une chorale. Et c’est un autre projet de la Revue Eclair auquel je participe à l’aquarium. Ça m’intéresse de voir comment je réagirais à ça. La lutte et la bagarre sont revenues dans mon existence, récemment. (…)

Me bagarrant beaucoup on m’a mis dans un club de judo, et la 1e chose qu’on apprend c’est tomber, et c’est quelque chose qui m’a beaucoup aidé. Pour tout le monde en 3e j’étais le garçon qui avait réussi à casser la gueule à machin, qui terrorisait tout le monde. Quand on se bagarrait un cercle se formait, on entendait crier « du sang ! du sang ! », il y avait une notion de respect, de mort, de révolte. On gagne quand on a le jus au dernier km, il y a une notion de vie, de jouissance. Pour terminer je la lierait à des endroits réputés dangereux comme le bois de Vincennes, (projet de JC Marty) mais qui ont été aussi des lieux très joyeux, l’université au milieu des bois (…). Avant les années sida c’était le lieu où les gens réinventaient le soir le carnaval de rio. Les jours où on est profondément désespéré il y a peut être un fil de vie à chercher dans ces démarches…

-         Célia : Par rapport à la l’initiation j’ai eu 1 plaisir énorme. Ça m’a rappelé des grands souvenirs d’enfance. Et comment on prend les choses à bras le corps. On me dit tout le temps « prends un peu de distance, ne prends pas tant les choses à cœur… ». Mais ce que j’ai compris à l’initiation, c’est que pour prendre les choses à bras le corps il faut un peu de technique sinon tu te fais éclater. Après un orteil et un genou déboité, une lutte permanente avec les assedics, avec la chaleur, je vais vous chanter une chanson. Elle chante la chanson de « la môme catch-catch ».

-         Jeff : je me suis demandé à quel moment on sort de la compet pour aller vers le sport. J’ai horreur de la compet, je fuis ça le plus possible dans la vie, cette organisation. Je peux dire qu’avoir le minimum de compétition dans ma vie c’est une lutte. Le chemin pour aller de la compet au sport, ce serait le chemin d’un exercice physique qui soit pas forcément avec un adversaire, comme au tai chi ou quand on s’envoie la balle au tennis, pour que l’autre renvoie le plus facilement possible. C’est peut être pas possible avec les sports de combat. C’est cet exercice qui consiste à faire des gestes de combat souvent seul, pour arriver au geste le plus précis possible. ça me semble plus intéressant. Après sur la lutte, je découvre des physiques très particuliers. Un lutteur c’est un mec de l’Est avec des jambes très fines et un haut du corps très développé. J’aime bien aussi le judo parce qu’il y a un vêtement, on est toujours bien habillé. Là ils arrivent avec un t-shirt troué, des trucs pas assortis. Le dernier vainqueur de Roland Garos s’est fait remarquer par sa tenue sportive très dépareillée, il était mal habillé, il donnait l’impression d’être là par hasard, et finalement il a gagné. Ces accoutrements dépareillés à la Lutte, ça me semblerait important de les reproduire dans un spectacle.

-         Abelle fait circuler des dessins et lit son texte: j’ai vu la compet et j’ai observé l’entraînement. J’ai croqué les corps au dessin. C’est : Comment les corps se parlent?

-         Samir : … qd je vois ce qui peut se produire à travers ces combats, je me dis : qu’est-ce que ça peut être avec les gens de la boxe et du mma. Ce qu’on ne trouve pas dans la quintessence de ce sport.

-         Stéphane : j’ai écrit un texte qui s’appelle "La balance". Quand on discute avec les lutteurs on s’aperçoit que c’est très important, très contraignant. J’avais interviewé Jean-Jean qui est le fondateur et le plus ancien lutteur des Diables Rouges, il racontait tout ça dans une forme de bonhomie, et quand je lui ai demandé « et la balance ? », là j’ai vu son visage changer, et il a dit que c’était vraiment pas rigolo. Et comme Didier m’a dit que c’était vraiment le premier adversaire, j’ai écrit un texte pour faire parler la balance. Lecture du texte.

-         Corine : Je n’ai pas pu participer à la séance d’initiation à cause de mon genou. J’ai suivi de l’extérieur. C’est une sensation nouvelle pour moi. Je me suis demandé comment Vadim, Didier, Christian trouvent les mots pour expliquer le mouvement. (Lecture de son texte).

-         Silviane j’ai un enfant de 5 ans qui a fait lutte, du karate, et du judo dans cet ordre. Il a préféré la lutte. La lutte c’est familial. Ce qui m’est apparu c’est que c’est le sport de combat le plus intuitif, j’étais surprise de voir le corps de mon enfant qui s’y mettait spontanément, naturellement…

-         Elodie : j’ai tourné avec une fille du club. Elle regardait mes jambes, moi, j’avais envie de la regarder normalement dans les yeux. Alors je me suis mis à regarder ses jambes. Est-ce que c’est typique de la Lutte ce regard ?

-         Corine : à la Lutte tu sens par autre chose, par le contact.

-         Sébastien : j’ai juste 3 points de réflexion.

-     Ecoute du texte enregistré de Emilie :« Laurent mien

-         Visionnage de la Vidéo de Marie.

Après la pause : Discussion, questions…

-         Comment continuer à suivre les Diables Rouges à la rentrée ?

-          Marie Jo dit que c’est très émouvant et très beau de nous entendre parler de la lutte.

Elle pense que cette survivance d’une mémoire par les corps c’est quelque chose qui s’est perdu dans l’époque contemporaine, c’est quelque chose qui a à voir avec le peuple, les gestes du travail (Stéphane parle de la position du planteur de riz au Tai Chi). Ça lui a rappelé un voyage en Egypte. La vision des statues, des œuvres d’art et la beauté des gens qu’on croise dans la rue, ceux qui travaillent au bord du Nil.

-         Marie Jo parle d’une séquence du film Women in Love de Ken Russel d’après le roman de DH Lawrence, où il y a une recherche de la fraternité des corps, et qui passe par la lutte.

-         Pistes littéraires : David et Goliath, Beckett, Mercier et Camier,Kafka, Description d’un combat.

3 points de réflexion

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Sébastien Derreycontribution à la réunion du Cercle du 1er juillet.

Thème de la réunion : dans la lutte, qu'est ce qui vous a saisi?

J’ai juste 3 points de réflexion.

D’abord, concernant la question de la violence, qui est aussi un angle d’approche qui nous intéresse par rapport aux trois sports, je crois qu’avec la Lutte la question ne se pose que par rapport à la violence que le lutteur fait subir à son propre corps. Donc du côté de la douleur liée à la dureté et l’exigence de l’entraînement, les régimes pour faire les compétitions qui vont jusqu’à se priver d’eau à la fin, les blessures fréquentes quand même (ils sont tous cassés), le dressage du corps, le manque de préparation ou de sécurité. Mais à la question trouvez-vous votre sport violent ? tous les lutteurs répondent qu’il n’y a pas de violence dans la lutte. Il s’agit juste de mettre l’adversaire épaules au sol, sans lui faire mal. Ce rapport à mon avis changera radicalement avec la Boxe et le MMA, puisque là il s’agit quand même de gagner en faisant mal à l’autre.

La deuxième chose, c’est l’espèce de langage gestuel des lutteurs, même quand ils ne luttent pas ils sont toujours en train de se tripoter, de se palper. Ça m’a frappé cette manière de se toucher permanente, ou d’associer le toucher à la parole. Ils sont tout le temps en train de se toucher, de s’appuyer l’un sur l’autre. Les lutteurs, les entraineurs, les soigneurs. Quand les lutteurs regagnent leur coin pendant la pause au milieu d’un combat, les entraineurs leur prennent les bras et les secouent violemment comme des pruniers, et les types ne bougent pas, se laissent secouer pendant 30 secondes. Je me demandais aussi pourquoi les lutteurs ont toujours l’air un peu triste quand ils arrêtent de s’agripper. Ils vont comme ça la tête baissée, les bras ballants, le corps lourd, même les enfants ont la même attitude, on sent comme un abattement. Dan m’a expliqué que c’était parce qu’ils étaient « dans le rouge ». En clair, parce que quand ils s’arrêtent, ils sont cramés, ils n’ont plus de souffle, les muscles sont engorgés de sang et ils ne peuvent plus lever les bras. Moi ça m’a fait penser aussi à mes oncles et tantes agriculteurs et éleveurs, au contact de l’homme avec l’animal chez les paysans.

Même dans le public où il y a essentiellement des lutteurs, ou entre parent et enfant il y a une manière de se toucher, de s’attraper. Comme aussi quand on voit les enfants, les frères et sœurs qui s’attrapent la tête, une main et la tordent pour faire un peu mal mais pas trop. Jean-Jean m’a dit que s’ils se touchaient si souvent c’était parce que comme le contact est si rude, ils avaient besoin parfois de se rassurer, « de se faire du bien ». Je pense que ça participe de cette sorte de langage. C’est ce que nous a dit un jeune lutteur qu’on avait rencontré pendant le tournoi de Bagnolet, un moldave qui était là avec son père lutteur et sa sœur, il disait que la lutte pour lui c’était un langage, une manière de parler avec l’autre. Donc ça parle tout le temps.

Je me disais aussi, ça a quelque chose à voir avec le fait que Didier nous racontait qu’ils avaient du mal à attirer des gens, à développer des activités plus à la mode, j’ai l’impression que ces corps de la lutte, ces corps si lourds, ont du mal à rejoindre ceux dont s’est saisie l’industrie culturelle. C’est pas assez spectaculaire. Ils ont failli être éjectés des J.O. à cause de ça quand même. Ils ont du mal à faire spectacle.

La troisième chose, c’est le rapport à la transmission qui est très fort dans la lutte. Le rapport père-fils. Dans la salle, à tous les entraînements il y a ses pères arméniens, et d’autres qui suivent et coachent les fils. On sent que c’est très important. Un jour où je suis venu assister à l’entraînement, je suis arrivé à la fin de l’entraînement des petits, j’ai vu un des enfants rejoindre son père assis sur le banc à côté de moi. Le père, très doucement apris l’enfant tout petit dans ses bras ( cinq ans, c’est sa première année au club), lui parlait (en russe je pense), le caressait, le poussait. Je devinais qu’il lui parle de lutte parce que les gestes, le contact me fait penser à cette manière de se toucher qu’ont les lutteurs. Mais avec plus de tendresse et de douceur. L’enfant était très calme, il répondait aux questions du père par des hochements de tête. Et alors le père tout en continuant à parler lentement a saisi l’enfant qui se laissait faire aux jambes et l’a fait doucement chuter puis il a roulé avec lui sur le tapis, exactement comme les lutteurs. Je reconnaissais la technique décomposée et déroulée précisément. Le père expliquait tout en serrant l’enfant dans ses bras énormes. Ensuite le père a aidé l’enfant à s’habiller avec toujours la même minutie dans les gestes. C’était très beau. J’étais très ému. J’avais un peu l’impression d’avoir assisté à une scène primordiale. Le père, je l’ai découvert ensuite, c’est un lutteur russe, 8 fois champion de France, et qui a fait partie de l’équipe olympique, un poids lourd, le corps massif, noueux. Il se dégageait de lui une grande sensation de calme et de douceur. Pendant toute la séance d’entrainement des adultes je l’ai regardé lutter avec un partenaire de son gabarit, qu’il a vraiment épuisé. Au bout d’un moment j’avais l’impression qu’ils étaient à part. Ilsavaient l’air ailleurs. Parfois ils ne faisaient que tourner l’un autour de l’autre sans arriver à poser leurs mains sur le corps de l’autre, cherchant une saisie. J’avais vraiment l’impression qu’ils se « parlaient » par le contact. A un moment, l’autre qui n’en pouvait plus a demandé à Kazbek (c’est le nom de ce père) de lui masser l’épaule. Ils ne parlaient pas la même langue tous les deux.

Il y a aussi cet autre père qu’on a rencontré, Xavier, un ancien champion qui a abandonné totalement la lutte il y a plusieurs années, et qui accompagne son fils qui lutte depuis 2 ans. C’est une histoire poignante, on va l’interviewer.

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Un autre point, je ne sais pas si vous avez la même impression, c’est l’étonnante proximité avec les statues antiques. Je suis allé voir des sculptures grecques au Louvre, et j’ai été très troublé. On reconnaît vraiment les gestes, les saisies, et même les morphologies, on a l’impression que statues ont été faites hier. C’est encore plus frappant quand on regarde les enfants. C’est encore plus étonnant de voir, comment dire, un geste ancien fait au présent par un corps très jeune. Ce qui pose la question de la survivance de certains gestes ou postures. J’ai l’impression qu’on assiste parfois à une rencontre entre le passé et le présent. Où l’Autrefois rencontre le Maintenant. C’est un choc. Et c’est éphémère, fugace. Comme une superposition d’image. C’est comme si s’incarnait dans un corps un geste archaïque (et qui a été transmis) et en même temps comme si la sculpture, l’œuvre d’art avait enregistré et préservé ce geste.

Le dernier point c’est ce qu’un lutteur a dit après la séance d’initiation, Mickaël je crois. Ils disaient que la lutte était très développée à Cuba. Ce que j’ignorais totalement. Et il a dit une phrase : « là où il y a de la pauvreté, il y a de la lutte ». Et en fait on sait que c’est vrai, que sociologiquement c’est des milieux encore moins riches que pour la boxe. Mais peut être il faudrait qu’on vérifie pourquoi. Et qu’est-ce que ça veut dire.

Je me dis que ça rejoint aussi cette histoire de corps trop lourds, pas assez spectaculaires ni médiatiques, pas assez tatoués, pas encore récupérés par une industrie du spectacle…

ALBRECHT DÜRERS FECHTBUCH, 1512

Durer

 

(d'après le livre de Friederich Dörnhöffer, 1910)

La question de la notation du mouvement est ancienne. La notation de la parole par l'écriture cunéïforme proposait une solution satisfaisant il y a fort longtemps de cela. La notation sur portée de la musique occidentale aussi. Pour la danse, Louis XIV commanda un système de notation à son maître à danser, le système dit "Feuillet"; plus récemment a été inventé et est pratiqué la notation dite Laban.

Feuillet notation 1poursite

Les chinois pour conserver le souvenir de leurs applications martiales leurs donnent des noms qui sont autant d'affecteurs mnémotechniques : "saisir la queue de l'oiseau" : le mouvement des mains évoque en effet l'oiseau en question; "reculer pour battre le tigre" : on recule, mais puisqu'il est question du tigre, on sait qu'on descendra bas vers le sol.

L'iconographie, la stautuaire grecque et occidentale a choisi pour sa part de présenter le mouvement par son acmée et/ou son repos, comme le dit excellement Gilles Deleuze:

Deleuze : «  on va reconstituer le mouvement avec des poses, p / o / s / e, pas pause. (...) Prenez la physique d’Aristote quand il s’agit d’analyser le mouvement, qu’est qu’il nous dit  ? Il retient essentiellement deux thèmes, deux poses, deux moments privilégiés :
-  Le moment où le mouvement s’arrête, parce que le corps a rejoint son lieu dit "naturel"
-  et d’autre part le sommet du mouvement, par exemple dans une courbe le point est l’extremum.

(...) Par exemple, c’est la même chose en art, tout l’art grec s’établira en fonction précisément de moments privilégiés. La tragédie grecque c’est exactement comme l’extremum d’un mouvement, c’est ce que les Grecs appellent aussi bien pour le mouvement physique que pour le mouvement de l’âme dans la tragédie, c’est ce qu’ils appellent l’acmé, Le point tel qu’il n’y en pas de plus haut, avant cela monte vers ce point et après cela descend. Ce point extrémal... ce point extrémal cela va être précisément un moment privilégié.(...)

Or la science moderne, qu’est ce qu’elle a fait ? qu’est ce c’est que son coup de génie selon Bergson ? son coup de génie est en même temps son coup très inquiétant, si vous m’avez suivi, vous allez comprendre tout de suite, son coup de génie, c’est ceci a la science moderne, la science moderne voilà ce qu’elle à fait : elle a reconstitué le mouvement mais pas du tout à la manière des Anciens. Dans la même tentative de reproduire le mouvement, de reconstituer le mouvement, comment est ce qu’elle a procédé ? Cette fois ci elle a reconstitué le mouvement à partir d’un instant ou d’un moment quelconque."

La question de la transmission des arts martiaux via les images cinématographique ouvre une porte passionnante, que nous laissons entr'ouverte dans cet article.

Nous proposons ici les liens vers des reproductions de prise de "lutte" (?), de combats à mains nues en tout cas, notés par le peintre allemand Albrecht Dürer au début de la Renaissance.

Que reste-il de ces mouvements? Pourrions nous reconstituer ces prises? Ou du moins s'en donner une interprétation crédible par des lutteurs contemporains? C'est la question que nous nous posons.

 

Carnet de croquis d'ALbrect Dürer-extrait 1

Carnet de croquis d'ALbrect Dürer-extrait 2

Carnet de croquis d'ALbrect Dürer-extrait 3

Carnet de croquis d'ALbrect Dürer-extrait 4

Amplitude, 2009-12

magazine qu’a édité la Fédération Française de Lutte, 8 numéros de 2009 à 2012.

De nombreux interviews et portraits de lutteurs et des reportages sur les luttes traditionnelles dans le monde.

numéros consultables ici.

Au bord de l’eau (Shui-hu-zhuan), De Shi Nai-an, Ed Folio (2 tomes)

Prendre le tome 2 de la pléiade pour avoir la fin de l’histoire.

« Au bord de l’eau » est un cinq romans classiques chinois. Histoire d’une bande de brigands devenant une puissance dressée contre l’Empereur, ce roman de cape et d’épée a été écrit – suppose-t-on - au XIV ° siècle par Shi Nai'an.

Rythmé par moult récit de combats, à main nu, à l’épée, à cheval, à bateau, Au bord de l’eau devait retenir notre attention d’amateurs de sports de combats.

Le plus fascinant dans ce récit, fondé sur de nombreuses tradition orale, outre sa truculence, sa pétulance, sa capacité à varier les styles (du plus vulgaire au plus poétique), est d’observer, au travers la constitution progressive de la bande de bandit, la gestation, la naissance, la croissance, d’adolescence, la maturité, le déclin et la mort d’un corps politique. Indubitablement le personnage principal du roman n’est pas un individu, mais un groupe, un collectif, un organisme composé de cent huit preux. Comme tout corps, cette bande a des moments de force, des moments de faiblesse, des maladies, des remèdes revigorants, et des poisons fatals.

au bord de leauT1Les lecteurs optimistes liront avec délice la traduction de Jacques Dars dans la version en 71 chapitres éditée en folio poche qui suit la constitution de la bande de voleur, en racontant par le détail les circonstances et les aventures qui ont présidé à l’arrivée de chacun des voleurs dans le groupe. À l’arrivée du cent huitième combattant, le groupe est parfait, glorieux, au faîte de sa puissance et de sa pureté, il se présente comme un adversaire très crédible face au corps gangréné par le népotisme et la corruption de l’empire.

Ceux qui sont enclins à une vision plus désenchantée voudront savoir comment le combat entre l’Empire et les Braves des Marais des Monts Liang se termine. Ils poursuivront leur lecture dans la Pléiade dans la traduction du même Jacques Dars jusqu’au chapitre 108 qui clôt définitivement le cycle par la mort du principal chef des brigands, Song Jiang.

Nous avons sélectionné deux passages présentant deux combats à mains nues.

Le premier de ces combats oppose un futur brigand, vrai pochtron, Wu Song, à un tigre qu’il va tuer de ses poings. Un des aspects les plus attachants de ce livre est que les personnages sont montrés avec toutes leurs limites, leurs défauts, leur idiotie. Ceux que Song Jian rassemble autour de lui ne sont aucunement des merveilles de vertu, certains peuvent même être des tueurs psychopathes, mais ils sont tous des braves, des remarquables combattants et des révoltés contre le pouvoir. Si vertu il y a, elle réside dans leur rassemblement : dans la salle de la justice et de la vertu, précisément. Et Song Jian l’avouera au chapitre suivant sans vergogne, s’il a tué le tigre à main nu, c’est parce que l’alcool dont il était imbibé lui avait ôté toute capacité de raisonnement et de prudence.au bord de leauT2

Le second passage présente un personnage beaucoup plus fin, un des derniers arrivé dans la bande des brigands, Yan Xing et un lutteur célèbre Ren-Yan « le Pilier Céleste ». Yan Xing, malgré son petit gabarit est un grand lutteur, maitre d’art martial, et aussi un artiste. Il voudra quitter les marais pour affronter Ren-Yan, sur une estrade, publiquement, à l’occasion d’un festival d’art martial. C’est donc une compétition sportive à laquelle il nous est proposé d’assister, où comme de toute éternité « les choses mettent du temps à êtres décrites, mais dans la réalité, ça va très vite ! ».

Extraits choisis du tome 1 et du tome 2.

Au cirque, nouvelle d’Alexandre Kouprine, 1902

Kouprinedans Olessia et autres récits, traduit par Henri Mongault, ed Ressouvenances, 2009.

Au XIX e siècle la plupart des lutteurs se produisaient dans des cirques. Voici, par l’auteur dont Tolstoï disait qu’il était le véritable successeur de Tchekhov, l’histoire saisissante et pathétique du vieux lutteur Arbouzov qui doit affronter un adversaire plus jeune (un lutteur américain, tous les deux se poursuivent depuis longtemps). Contraint de combattre malgré la maladie (il n’est vraiment pas dans son assiette), on suit le déroulement de la journée de ce personnage vulnérable, de ses rencontres jusqu’au combat dans l’arène du cirque où après un bref moment en pleine lumière, il semble voué à disparaître dans l’oubli et l’incertitude.

« Il comprit, par toutes les fibres de son être, qu’il était emprisonné dans ce cercle magique, brillamment éclairé, qu’une volonté étrangère, toute puissante, l’avait amené là et qu’aucune force n’était capable de le faire revenir en arrière. A cette idée, l’athlète se sentit soudain sans appui, désemparé, faible comme un enfant égaré ; une frayeur animale s’éveilla dans son âme, la sombre frayeur instinctive que doit éprouver le jeune taureau quand on le mène à l’abattoir sur l’asphalte ensanglanté. »

Texte de la nouvelle ici.

Ce qui m’a saisi

Texte de Corine Miret contribution à la réunion du Cercle du 1er juillet.

Thème de la réunion : dans la lutte, qu'est ce qui vous a saisi?

 

Vendredi dernier, 26 juin 2015, c’était la séance d’initiation à la lutte pour tout un chacun.

Nous avions demandé à Didier Duceux le président du club si c’était possible d’organiser une telle séance et comme à chacune de nos demandes, il a dit : bien sûr sans problème on va organiser ça.

Didier est toujours partant pour des expériences nouvelles et pour faire découvrir le sport auquel il consacre une partie de sa vie à des non initiés.

Nous étions treize, tous débutants en lutte et plus ou moins ou pas pratiquant une activité physique régulière.

Après l’échauffement commun avec les lutteurs le groupe a été séparé entre : lutteurs sur un tapis et artistes sur l’autre.

Après quelques foulées de petite course en rond sur le tapis, j’ai abandonné.

J’avais peur de me faire à nouveau mal au genou, je n’ai plus confiance dans la solidité de mes appuis.

C’est une sensation nouvelle qui pour moi ai souvent été la plus physique dans les équipes avec qui j’ai travaillé puisque danseuse à la base et travaillant tout à partir de cette base-là.

J’ai donc continué à regarder, à être sur le banc.

Pratiquer un sport, c’est un combat perpétuel entre ce qu’on voudrait faire, ce qu’on a pu faire, ce qu’on ne peut plus faire, entre le désir d’essayer à nouveau, de risquer à nouveau de se faire du bien mais aussi de se faire du mal, entre l’espoir et le renoncement.

Un combat qui peut commencer jeune, dès qu’on se blesse, dès qu’on perd confiance.

Qui fait passer du côté de ceux qui transmettent.

Ces anciens lutteurs qui reviennent régulièrement voir les entrainements, qui entrainent les jeunes, tous ces pères qui viennent regarder leurs enfants, que viennent-ils retrouver ?

Je crois avoir compris il y a deux mois quand je suis allée assister à un spectacle de danse de Christian Rizzo : « d’après une histoire vraie. »

Pour la première fois, je voyais les mouvements que font les danseurs en me disant que c’était des mouvements que j’avais fait, que je reconnaissais mais que je ne pourrais plus jamais exécuter.

Ce qui était nouveau c’est que j’ai réalisé que le fait de voir les mouvements me donnait la sensation intérieure que j’avais eue au moment où j’avais pu les faire il y a quelques années.

Je ressentais des sensations d’envol, de chute, de ralenti, d’appui, d’élan, de rotation par le fait de regarder ces hommes danser.

Très clairement, comme si j’étais en train de danser ce qu’ils dansaient.

Ils me faisaient danser intérieurement en dansant réellement ; je pouvais sentir la respiration qui s’accélère, le moment d’apesanteur dans l’élan, le contact du sol sous une partie du corps, la fatigue dans les muscles, la stabilité de la cheville dans la réception d’un saut, le rythme d’une phrase. Comme on peut sentir le mouvement dans un rêve, même si on est immobile. C’est très concret.

Je me dis donc que ces pères, ces entraineurs qui viennent à l’entrainement, sont là bien sûr pour donner les bases, puis transmettre les subtilités de la pratique de la lutte mais aussi pour que les jeunes en pratiquant leur fassent revivre les sensations physiques de ce qu’ils ont pu faire, réveiller cette mémoire inscrite par des milliers de répétitions dans leurs corps, leur donner la possibilité de lutter tout en étant assis sur le banc.

Et quand ils disent : passe le pied devant, prend appui sur ton buste, saisis lui le bras avec l’autre main, ils sentent le mouvement qu’ils énoncent dans leur corps.

C’est pour ça que j’ai noté les enchaînements de l’échauffement, pour pouvoir en lisant, ressentir le mouvement.

Comme un musicien qui lit une partition peut entendre la musique, quand je lis la description d’un mouvement, je peux sentir ce que ça fait de l’exécuter.

Je vais essayer de décrire le mouvement que vous avez travaillé lors de la séance d’initiation.

Comme il y a deux lutteurs : je décris celui qui fait la prise.

Comme je ne l’ai pas fait, je ne suis plus sûre de certaines prises. Je compte sur vous pour m’aider.

-Un est couché sur le ventre, l’autre essaie de le retourner sur le dos

Comment faire ? utiliser tout le corps, le poids du buste

-Même exercice mais Dane et Mickaël montrent la prise :

on est le ventre sur le dos de son adversaire, les jambes à gauche de son flanc, on passe le bras gauche sous son aisselle gauche et sur son cou, on vérifie que son bras gauche est le long de son corps, on appuie avec l’avant du buste sur son dos et on fait tourner son adversaire sur son côté gauche (les jambes de celui de dessus viennent vers la tête de l’adversaire)

Les erreurs :

se décoller de son adversaire : toujours laisser son buste coller, le poids agir

Laisser les genoux à terre : il faut les soulever pour amener plus de poids sur le buste ;

Après l’entraînement, Didier m’a dit que c’était la première fois ce soir-là qu’il remontait sur le tapis, depuis un an, depuis ce qui lui est arrivé. Depuis qu’il a une maladie chiante et dégueulasse qui vous ronge de l’intérieur.

Il était visiblement heureux.

Chronique aux Diables Rouges

Exploration des clubs de sports de combat (Lutte, Boxe et MMA) dans le  93 par La Revue Éclair (Corine Miret – Stéphane Olry accompagnés par  Sébastien Derrey)

Les Diables Rouges (Bagnolet lutte 93) à Bagnolet

http://www.bagnoletlutte93.com/

Comptes-rendus rédigés par Corine Miret


Mardi 13 janvier 2015. - Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

coupes bureau didierpoursite

Rencontré le président Didier Duceux, sa fille, sa femme.

Dans le bureau, discuté du club (histoire), des locaux (à agrandir), de la semaine de la lutte (vont faire venir des lutteurs de Côte d’Ivoire comme l’année dernière de Palestine)

Des champions : Didier a entrainé Mélonin Noumonvi, depuis tout petit. Mélonin a fait les JO d’Athènes, de Pékin, de Londres. Il a 33 ans, est rentré en équipe de France en cadet et n’en est jamais sorti.

La lutte est le sport phare en Iran, beaucoup en Turquie (lutte à l’huile) et dans tous les Balkans.

Les indiens deviennent forts.

Au Sénégal on parle d’écuries/ Les lutteurs gagnent beaucoup d’argent (beaucoup plus qu’en France : en France un champion olympique a une prime de 50.000 euros, en Russie c’est au moins 3 fois plus)

On assiste à l'entraînement:

- lutte et Poussins (4 à 7 ans) de 17h45 à 18h30. De vieux messieurs et deux femmes les entrainent.

-Groupe 2 (8 à 12 ans) de 18h45 à 19h30. Une fille à l’entraînement.

1visite aux diables rouges recadrepoursite

-Les plus grands 19h45-21h30

entraînement par Vadim Guigolaev et Christian Danga qui est arbitre international. Discuté avec lui avant l’entraînement. A fait partie des premiers encadrants de lutte en Côte d’Ivoire. Environ 35 élèves.

Des plus âgés font des parties de squash à la main (anciens champions du club)

Discuté à la fin avec Emir Boulaabi, jeune champion qui a commencé à 4 ans au club, a été dans tous les pays en compétition, à Font-Romeu et Dijon en entraînement.

A renoncé à la compétition de haut niveau pour faire la fac à Nanterre. Pour pouvoir gagner sa vie.

A failli partir aux Etats-Unis pour devenir pro là-bas.

jean jean main mentonpour site

Jean-Jean, monsieur qui était assis sur le banc est un des premiers du club. Il a plus de 60 ans de licence.

Prochaines compétitions :

31 janvier et 1er février : tournoi de Paris

23 et 24 mai : Grand Prix International de Bagnolet

 tableau dactivite bureau didierpoursite


samedi 31 janvier et dimanche 1er février : 2nd Grand Paris Seine Ouest 2015 Palais des sports Robert Charpentier Issy les Moulineaux

Bel équipement bien chauffé.

espace vippoursite

Musique-soupe en permanence, on ne comprend pas le speaker, un peu mieux la speakerine.

Annonces en français et anglais.

3 tapis de lutte : A, B, C

deux lutteurs roulentpoursiteDeux journées pour les trois types de lutte : gréco-romaine (GR), libre (FS) et féminine

Chaque journée passent 4 catégories de poids dans chaque lutte

Beaucoup de jeunes filles voilées aux ongles et joues peintes aux couleurs du drapeau iranien, des jeunes garçons, des femmes et des hommes. Ils chantent l’hymne iranien, agitent des drapeaux, scandent le nom du lutteur, scandent : « Iran ».2supportrices iraniennespoursite

Les autres supporters les plus actifs sont les azerbaidjanais.

Nous tachons de comprendre les règles. Les combats durent 6 minutes : deux rounds de 3 minutes coupés par une pause de 30 secondes. Le premier qui a gagné 10 points a gagné. Si un combattant est plaqué les deux épaules au sol plus de 1 seconde, le combat est remporté par son adversaire. Les règles sont bien expliquées sur ce site :

http://www-artemis.it-sudparis.eu/~rougon/PLO/page-builder.php?sid=21&pid=21

et une explication des trois styles de lutte :

http://www-artemis.it-sudparis.eu/~rougon/PLO/page-builder.php?sid=20&pid=20

La FILA est la Fédération Internationales des Luttes Associées

Le mot anglais pour la lutte est : Wrestling

chinoisecoachjugespoursite

Vu :

Français : Quentin Millière, Yannick Chauzet, Mélonin Noumonvi (GR), Adama Sow, Pauline Lecarpentier et d’autres…

3 Iraniens

1 Sénégalais : Adama Diata (encouragé par supporters français)

etc

Les entraineurs se tiennent  derrière une sorte de « bureau ». Ils jettent une peluche sur le tapis lorsqu’ils contestent un point d’arbitrage : on  peut alors recourir à la vidéo.

En Gréco-romaine, le lutteur passif est mis en position de danger à terre : il se met à 4 pattes au centre pour reprendre le combat. L’autre se met derrière lui et le plaque à terre.

durant les  breaks, les entraineurs agitent une serviette devant le lutteur, lui secouent les bras en les tenant à l’horizontale par la main, éventuellement lui font craquer le dos (le soulèvent en passant leurs bras sous les siens, lutteur dos contre la poitrine de l’entraineur), ou peut-être plutôt est-ce pour lui détendre le diaphragme et lui permettre de reprendre sa respiration.

22000 personnes dans le monde sont connectées sur ce championnat dont les images sont transmises en direct.

Paris a obtenu que les championnats du monde de lutte aient lieu à Paris en 2017.


Mardi 10 février 2015 : Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet

On va dans le bureau de Didier

corinesebdidier.bureaupoursite

Didier (53 ans) a commencé par la boxe. Mais recevoir des coups dans la tête ça laisse des séquelles. (cf Carlos Monzon qui a défenestré sa femme)

La lutte est un des sports les plus durs au niveau cardio. À l’INSEP, les boxeurs viennent s’entraîner en cardio avec les lutteurs. Comme c’est un sport très dur, on aura jamais beaucoup de licenciés. On peut lutter assez tard, surtout en gréco : Mélo (Mélonin Noumonvi) a 33 ans. Il y a des médaillés qui ont 37/38 ans. Ils n’ont pas de filles au club dans les séniors, elles s’entraînent à l’INSEP. Mais Didier a l’impression que ça change : ils ont de plus en plus de jeunes filles.

filles diables epingleespoursite

Au niveau mondial, ce sont les japonaises qui dominent. Au Japon, les lutteuses sont starisées comme les judokas homme. En ce moment les chinoises montent en flèche, Didier pense que les prochains duels féminins seront entre la Chine et le Japon (les Iraniennes n’ont pas le droit de pratiquer)

Le club va essayer de faire venir des lutteurs ivoiriens pour la semaine de la lutte mais c’est toujours compliqué avec l’Afrique. Ils avaient prévu il y a deux ans un projet avec la Centrafrique qui ne s’est pas fait. (il y a eu des différents entre les centrafricains entre eux). Mais comme cette année un jumelage est envisagé entre Bagnolet et la ville en Côte d’Ivoire donc ça va peut-être aboutir.

didierdansbureaupoursiteQuestion du poids :

Dans une catégorie de poids (ex : 75kg), il faut faire moins de 75kg. Si tu fais 75,1 kg tu passes dans la catégorie au-dessus et tu peux avoir à lutter contre des beaucoup plus lourds que toi. (pour les qualifications aux championnats du monde, Mélo luttait en 98 kg alors que d’habitude il lutte en 85kg). Steve Guenot va devoir perdre 14 kg d’ici les prochaines compétitions. Il n’y a plus de « toutes catégories » comme ça existait et comme ça existe toujours en judo.En lutte la dernière catégorie, c'est 130kg (Teddy Riner doit faire 140kg)

Pourquoi cette limitation du poids pour les poids lourds? Les gros lutteurs ne sont pas « jolis » à voir. Ils ne portent pas de kimono qui cacheur le ventre comme les judokas. La fédération voudrait changer les tenues, ils ont fait des propositions : Short, gants et torse nu pour les hommes (un peu comme au MMA. Tenue moulante (genre académique de danse) à manches longues pour les filles. Avoir les épaules nues pose des problèmes à certaines personnes qui voudraient faire de la lutte mais ne veulent pas se mettre dans cette tenue.coupesdossierspoursite

 

Il y a un perpétuel renouvellement des règles, des tenues, des adaptations à l’audiovisuel pour tenter d’augmenter le nombre officiel de pratiquants et de spectateurs.

Il y a eu une alliance entre Obama, Poutine et Ahmadinejad pour sauver la lutte aux JO en 2013. Le CIO a été retoqué sur l’argument de « L’universalité » de la lutte. Car ça reste un des sports de combat le plus pratiqué dans le monde (si on compte les luttes traditionnelles).Ce n’est que des questions de lobbying pour avoir un sport aux JO. C’est bien si la Chine, le Japon, la Russie, les USA sont forts en lutte car ça fera du lobbying, ça fera connaître le sport. Le CIO voulait virer la lutte parce qu’il n’y a pas de sponsors.

Le Taekwondo est un sport olympique parce que  Samsung  allonge l'argent.

C’est le premier sport universitaire aux USA. Tom Cruise a été lutteur universitaire, ainsi que le premier secrétaire d’Obama. En regardant bien les séries américaines, on voit que souvent les personnages partent s’entraîner à la lutte et sur les bateaux de l'US Navy vus de haut on voit les cercles de lutte dessinés sur le pont. On peut gagner sa vie en étant prof de lutte aux USA.

La pesée se fait la veille (en boxe, c’est le matin même). Après la pesée, il faut se réhydrater au maximum si on a pas mangé ni bu les jours précédents pour perdre du poids. Avant, le combat se faisait en deux rounds de 3’ avec 30secondes de pause durant laquelle on avait pas le droit de boire. Le règlement a changé l’année dernière et on peut boire maintenant.On peut faire jusqu’à 5 combats dans la journée.

Didier nous prête un livre sur l’histoire de la lutte. Il est partant pour le projet.

On va ensuite voir la fin de l’entraînement par Dimitri.baby lutte recadreepoursite

Il y a de tous les âges, des filles et des garçons.

Plusieurs exercices différents toujours à deux.

Il y a aussi les mannequins marrons.

Certains font de la muscu avec des élastiques.

3lutteurspour site

 


Samedi 14 mars 2015 : Tournoi de qualification aux championnats de France Seniors lutte libre et gréco-romaine Gymnase Cifarielo Fanara Bagnolet

C’est plein de lutteurs partout. 3 tapis. 1 pour la gréco, 1 pour la libre, celui du centre pour les deux.Les lutteurs se déshabillent et se rhabillent dans les gradins, une buvette à l’entrée.Ils vont régulièrement voir le tableau de passage qui se remplit au fur et à mesure.TQF 14mars15panoramiquepoursite

On entend rien à la sono. Tout le monde encourage ceux de son club.

Une dame vient avec deux lutteurs depuis Caen. Ils sont partis à 6h du matin. Des enfants courent partout. Les tribunes d’un côté, les juges, les commentateurs et le médecin de l’autre. On n'y comprend rien. Ça va vite. Un homme est venu voir lutter son fils. Il ne connaît pas vraiment les règles.

Les lutteurs catégorie 130kg de gréco sont des papys. Le maillot moulant n’est pas vraiment seyant.

Sébastien dit qu’il faut faire un spectacle où plein de choses se passent et on y comprend rien, on décode petit à petit en restant longtemps, on s’attache à des détails, on capte des bribes de conversations qui éclairent plus ou moins.

TQF 14mars152luuteursptgarconpoursite

J’apprends par la dame de Caen qu’on peut être licencié dans un club et s’entraîner dans un autre. Les clubs payent parfois un peu les bons lutteurs pour les inclure à leur équipe et gagner les championnats par équipe qui permettent de rapporter de l’argent aux clubs si ils ont des titres.TQF 14mars152lutteurschristianarbitrerecadrepoursite

Elle me dit que les entraineurs n’ont pas le droit d’être en jean lors des compétitions.


Mardi 31 mars 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

 

Didier partira en Côte d’Ivoire en mai pour une semaine avec Christian Danga pour organiser la venue des lutteurs pour la semaine de la lutte.

La fille de Didier (Ella) fait de la lutte, elle veut faire du théâtre.

Les championnats du monde de lutte auront lieu en France en 2017. Les sélections pour les JO de 2016 auront lieu à Las Vegas en septembre 2015. C’est déjà plein pour les billets d’entrée.

On organise le RV du cercle pour le mardi 21 avril. Pour le rendez-vous de présentation de fin, peut-être en septembre (en juillet Bajoplage prend la salle et le terrain de sport) Début septembre au club c’est la rentrée pour les adultes et mi-septembre pour les enfants. Les entrainements sont différents dans la saison en fonction du calendrier des compétitions.

2lutteurs rouges solpoursite

Le premier adversaire c’est la balance. Dans la semaine qui précède la compétition il faut en général perdre du poids pour descendre dans la catégorie inférieure. Marge d’erreur : 100 grammes.

L’INSEP : On pourrait organiser une visite. Les fédérations paient pour avoir des athlètes à l’INSEP. C’est 6.000 euros/an pour un athlète.C’est Dane qui s’occupe au bureau de faire les tableaux de compétition. Et il fait faire les devoirs à ceux qui le veulent.

Mardi 21 avril 2015. Le Cercle assiste à un entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

Nous sommes venus ce soir avec les membre du Cercle.

Nous arrivons à 17h30 pour l'entrainement des enfants. Mais ce soir, il n'y a pas d’entraînement pour les enfants (c’est les vacances)

Nous attendons dehors le début de l'entrainement des grands à 19h.

Rencontrons Mahawa Gassama qui a commencé la lutte il y a deux mois et sa copine Samah Kheniche qui a commencé il y a huit ans.Elles attendent Dane pour aller faire leurs devoirs dans le bureau.

Didier est allé chercher des coupes pour le Grand Prix de Bagnolet. Il revient et fait préparer la salle de réunion pour recevoir le cercle avec un buffet. Il nous présente le club.

http://www.bagnoletlutte93.com/historique.wsCorinedidierpour site

Il y a une culture de la lutte à Bagnolet. Le club était affilié à la FSGT autrefois et depuis 2005 il est à la FFL. Autrefois c’était un club Omnisport. C’est un club leader en lutte. Didier est président depuis 15 ans. Le club est aidé par le CG 93, il faut pour ça faire des partenariats avec d’autres clubs. Jean-Jean qui est un des plus vieux (85 ans)est la mémoire du club. Le club est un des plus anciens de l’Ile de France. Avant c’était de la débrouille pour faire de l’argent pour le club. Les ¾ des champions sont embauchés par la ville de Bagnolet. Il nous raconte l’origine du nom Diables Rouges qui n’a rien à voir avec la politique: Jean Legendre, un des fondateurs du club à été le premier à mettre les lutteurs en maillot rouge.

Ensuite, nous allons dans la salle. Didier poursuit son explication.membrecercles tatamipour site

Les origines de la lutte remontent aux sumériens, c’est un des premiers sports olympiques avec l’athlétisme et la boxe. Il explique la différence entre la lutte libre et la lutte gréco-romaine. C’est le sport de combat le plus pratiqué dans le monde. Il y a 5 millions de lutteurs en Iran. 212 formes de lutte traditionnelledeux lutteur 1regardpour site

Question du maintien de la lutte dans l’olympisme :

Le CIO trouve que ça ne ramène pas assez d’argent et que ça distribue trop de médailles. La lutte est « tolérée » aux JO jusqu’en 2024. Ils retireront peut-être un style. Il vaut mieux être champion olympique que champion du monde (c’est plus médiatisé. Il y a peut-être une dizaine de champions en lutte qui gagnent leur vie en France. Il y a 40.000 adhérents en lutte en France (700.000 en judo)4ptslutteursentraineurpour site

Le premier adversaire, c’est la balance. Il faut de l’abnégation et du travail. Il y a le problème du poids en permanence.Il ne suffit pas d’être talentueux.

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Un combat c’est action/réaction en permanence. « Ne récite pas » = ne fait pas des enchainements par cœur sans tenir compte de l’adversaire Didier a fait des levers de rideaux de catch à une époque.Il a arrêté car il avait une hernie discale.

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Les contrôles anti-dopages ont lieu tôt le matin au domicile des champions. Steve Guenot a été disqualifié une fois car il n’était pas présent à son domicile un matin tôt.

 


Mardi 5 mai 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

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Je rencontre Delphine Cuvillier qui entraîne les petits, que j’interviewerai. (Didier m'a appris qu’avant elle faisait du water-polo, qu’elle est animatrice sportive à Bagnolet, que la lutte lui a plu, qu’elle a fait une formation pour entrainer les enfants, en a fait elle-même et a été qualifiée pour des championnats de France)

Didier revient de Côte d’Ivoire (Abidjan) où il a passé une semaine pour organiser la venue des lutteurs pour la semaine de la lutte et les échanges futurs. Il est allé avec Ella sa fille, rejoindre Christian.Il me raconte les réunions avec la fédération là-bas, lui et Christian ont fait les médiateurs entre les fédérations, le ministère des sports, l’ambassade. Il dit qu’ils ne sont pas organisés là-bas. Qu’il faut les aider à se structurer si on veut faire des échanges, trouver de l’argent. Il dit que c’est bien d’envoyer des enfants de Bagnolet là-bas qu’ils relativisent les conditions dans lesquelles ils sont. Il dit qu’en général après ces échanges, les gamins de Bagnolet changent leur point de vue et leur regard sur les choses d’eux-même

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Mardi 12 mai 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

Il fait chaud. Les enfants sont fatigués. Le premier cours est divisé en deux : Delphine s’occupe des touts petits, un ancien et Leïla Beuscart (qui est enceinte) s’occupent des plus grands.

Le deuxième cours est donné par Yab Abusnina. Il y a 4 garçons et 5 filles. Les enfants ne suivent pas. Un homme vient filmer pour BFM TV : ça excite la curiosité des enfants qui sont dissipés. Yab ne vient pas à bout des enfants indisciplinés. Les deux exercices :

A deux, face à face :

-essayer de toucher un pied de l’adversaire avec le pied

-essayer de toucher un genou de l’aversaire avec la main

A la fin ils font des pompes et la chaise.2rondpour site

Beaucoup de monde pour le cours de 19h30. Ils reviennent des championnats de France à St-Yrieix la Perche avec 5 titres (dont une fille Mariana Kolic). Il y a eu des blessés : Tarek Belmadani qui voulait lutter quand même mais Didier lui a dit non pour se préserver pour le futur, Dane.

Jean-Jean puis Didier se font interviewer par le journaliste de BFM TV qui fait un sujet sur le club pour la candidature de Paris aux JO (Didier milite pour que la lutte soit à Bagnolet pour avoir de nouveaux équipements)

 Jean-Jean (85 ans) nous explique qu’il y a plusieurs années il s’est cassé la jambe et n’a plus pu entrainer les grands qui se sont pris en charge eux-même. Ça a permis de passer le relais. Il vient jouer à la pelote avec ses anciens élèves et leur fait à manger après.

Je discute avec Caroline qui vient tous les mardis et jeudis accompagner son fils Gauthier (Vadim l’appelle Jean-Paul Gautier : c’est un moyen mnémotechnique pour retenir les prénoms nous a-t-il dit) à l’entrainement. (Elle est de Créteil)Gauthier reveurpour site

Elle me raconte qu’elle ne connaissait pas la lutte, mais qu’elle allait dans une salle faire de la PPG (préparation physique générale) faite par des lutteurs. Elle a vu les petits s’entrainer, elle a apprécie les valeurs et a proposé à son fils d’essayer. Il a accroché tout de suite et en fait depuis huit ans. Son fils n’avait plus de partenaires de son gabarit (il est tout maigre) à son niveau à Créteil, elle a donc discuté avec un papa qui avait son fils à Bagnolet, ils ont essayé et ils ont changé de club. Elle se relaie avec un autre papa de Créteil : Xavier qui accompagne son fils Theo. (Xavier a été 15 fois champion de France de lutte) Elle accompagne aussi Hocine, un autre enfant de Créteil dont le père fait de la lutte aux Diables Rouges mais qui ne peut pas toujours venir (il travaille de nuit)

Les valeurs qu’elle apprécie : -Le respect de l’adversaire : on tend la main à l’adversaire tombé au sol pour l’aider à se relever ; on serre la main de son adversaire et de l’entraineur de son adversaire à la fin du combat. Au début de chaque entrainement chez les enfants à Créteil, l’entraineur posait la question : « quelle est la règle d’or ? » Les enfants répondaient : « Je ne dois pas faire mal » L’entraineur vérifiait que les ongles de chaque enfant étaient bien coupés pour ne pas faire mal et si ce n’était pas fait, il faisait une remarque aux parents. Caroline a toujours un coupe-ongle dans son sac au cas où.

Pompespour site

-La politesse

-L’esprit d’équipe qui règne dans un sport individuel (tout le monde soutient les autres de l’équipe)

-la gentillesse qu’elle a trouvée dans les club et chez les lutteurs

-Ça fait travailler tout le corps harmonieusement

Elle dit que le mélange intergénérationnel comme aux Diables Rouges n’existe pas dans tous les clubs.

Gauthier faisait de la lutte, du tennis et du hand.

Il mange beaucoup et ne grossit pas.salledelutte plan moyenpour site

Caroline me raconte que dans son entrainement de PPG elle faisait un match de hand, quand elle s’est retrouvée plaquée au sol, sans comprendre comment mais tout en douceur et très soudainement par une lutteuse. Elle dit : « je n’ai rien compris, rien senti, mais soudain je me suis retrouvée plaquée au sol, sans pouvoir bouger que les mains, ça n’était pas violent du tout, ça s’était fait en douceur, je ne pouvais absolument plus bouger. »

Pour la semaine de la lutte il y aura des délégations palestiniennes, ivoiriennes, hongroises, slovaques, arméniennes. Didier doit trouver les sous pour payer les billets de la moitié de la délégation ivoirienne. Il faut trouver des sponsors. Didier nous redit qu’il aime la lutte parce que :Ce n’est pas un sport de soumission (contrairement au judo par exemple). Ce n’est pas un sport destructeur (contrairement à la boxe). Il espère que ça va retrouver ses lettres de noblesse.vadimpour site

Vadim entraine les 4 jeunes (Hocine, Gauthier, Theo et ?). Ils sont épuisés. A la fin il en fait mettre un sur 4 appuis et les autres doivent lui grimper sur le dos un à un. Gauthier n’est pas à l’aise car son frère s’est trompé en préparant son sac et a inversé leurs chaussures. Il est donc en chaussettes et il glisse sur le sol.

Caroline me dit qu’elle a les ligaments croisés du genou rompu et qu’elle vit très bien comme ça. Elle fait du sport, du ski, de temps en temps le genou se déboite et elle le remet. Elle n’a pas voulu se faire opérer car 3 mois d’immobilisation avec 3 enfants ce n’est pas possible.

Mardi 18 mai 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briquetterie

Didier est dans l’organisation de la semaine de la lutte. Les ivoiriens n’ont pas eu leurs visas, la soirée d’ouverture de demain soir est annulée et reportée jeudi de la semaine d’après. Il est en négociation pour qu’ils puissent avoir leurs visas et arriver au moins pour ce WE. Les palestiniens sont arrivés en 2 groupes, certains n’ont pas pu avoir une correspondance d’avion, leurs bagages ont été égarés, il a fallu faire les papiers de perte etc… Il me dit qu’il arrive à prendre ça avec philosophie et ne pas trop stresser, il se dit que ça se fera autrement…

J’arrive vers 18h pendant le cours des tout-petits ; Delphine n’a que 3 élèves : Mikaël, Sofiane et Alexandre ; (ils ont maximum 4 ans) Elle leur fait faire des jeux. Ils sont distraits.

La souris : Chacun met un foulard dans son short derrière (le foulard pend, comme la queue de la souris). On se met face à face et on essaie d’attraper la queue de l’autre. On commence dans le rond central. On se serre la main avant de commencer

Le chat et la souris : Celui qui joue la souris se met à plat ventre au sol. Elle doit avancer vers un fromage imaginaire. Le chat doit l’en empêcher en se couchant sur lui et en le ceinturant.

Le Crocodile : Celui qui fait le crocodile est au centre du rond, à 4 pattes, il doit attraper les autres et les faire tomber au sol. les autres (debouts) essaient de lui échapper mais ne doivent pas sortir du cercle bleu. Quand on a été attrapé on devient crocodile à son tour, le nombre des crocodiles augmente donc et celui des proies diminue.

L’autre partie de la salle est consacrée à l’entrainement des plus grands (au-dessus de 4 ans) : Leïla (enceinte) et un des anciens le dirigent. Des pères arrivent à la fin de l’entrainement et indiquent à leurs fils des exercices : roulades, courses, abdos à faire en plus.

Christian dirige l’entrainement. Il n’y a que des hommes à l’exception de Mahawa et Samah. Au début, il félicite les champions qui ont gagné des médailles au championnat de France. Ils sont applaudis. Les enfants (Gauthier, Théo et Hocine) sont là. Avec le père de Hocine qui fait partie des anciens et joue à la pelote. Jean-Jean passe dire bonsoir.

Christian mène l’entrainement à un rythme très soutenu : « on travaille, tout le monde travaille ! » « en mouvement, toujours en mouvement »Il ne les lâche pas. à la fin ils sont KO. Les quelques palestiniens qui sont arrivés aujourd’hui sont crevés. Un du club leur traduit les instructions en arabe.

Vendredi 21 mai 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briquetterie

Maurice Tazé et Leïla (enceinte, son bébé est prévu pour octobre) entrainent les plus de 4 ans, ce soir 8 garçons et 2 filles. Delphine qui entraine les moins de 4 ans, a 5 garçons et une fille. Un petit garçon vient pour la première fois pour essayer parce qu’il voudrait en faire l’année prochaine. Maurice m’explique que la fédération internationale est de plus en plus stricte pour les entrainements des enfants (beaucoup de précautions) Ils viennent de changer : les entrainements ne doivent pas durer plus de ¾ d’heure.

Dane s’est cassé le ligament latéral du genou droit en luttant lors des championnats de France : il voit ses muscles fondre, il a juste envie de pleurer.

Dans la salle de réunion, j’interviewe Mahama Gassama et Samah Kheniche, les deux copines dont une (Samah) a commencé la lutte à 7 ans il y a 8 ans et l’autre (Mahawa) a débuté il y a 2 mois.maillot jaune Mahawasamahpoursite

Moins de monde que le mardi. Les palestiniens. Les arméniens arrivent au milieu de l’entrainement. Théo court avec un survêtement et la doudoune de son père (il doit maigrir pour ce WE) Samah s’entraine avec les garçons. Quelques petits garçons sont toujours là et suivent l’entrainement comme ils peuvent. Leurs pères sont sur le côté. C’est le rendez-vous de la communauté arménienne.


Dimanche 24 mai 2015. Grand Prix International de lutte de Bagnolet Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Gymnase Cifarielo Fanara, Bagnolet

Les membres du cercle sont venus assister à la Compétition.

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J’arrive un peu avant 10 heures. J’ai vu les entraineurs arméniens devant l’hôtel Mister Bed au métro Gallieni.

Les participants passent à la pesée, Dane à l’ordinateur est en train de faire les tableaux par âge (minimes, cadets, juniors) et catégories de poids. Maurice est au barbecue ;

Mahawa a décidé de lutter.

Des licenciés du SCLA à Aulnay, de Reims, de l’USMétro, de Sainte-Geneviève des Bois, des palestiniens, des arméniens.

Les gamins se chauffent sur les tapis ensemble par club. Tout le monde se connaît.

Les arbitres (dont Christian) sont en tenue : pantalon gris, chemise bleu ciel, veste bleu marine, cravate de la FILA jaune. Une arbitre femme. Les autres sont des hommes.

Didier est déçu du peu de concurrents. Il se pose des questions car ça fait deux ans que c’est comme ça. Il y a beaucoup d’enfants le samedi (poussins, benjamins) avec les familles mais peu le dimanche. C’est en fin de saison, les clubs n’ont plus d’argent pour les déplacements. Les ivoiriens n’ont pas eu leurs visas. Les allemands ont fait défection. Les géorgiens (comme d'habitude) viennent le samedi et visitent Paris le dimanche.ado gradinspoursite

Il a trouvé des places à l’hôtel Mister Bed pour loger la délégation arménienne parce que le fils de la responsable a commencé la lutte cette année et qu’il lui a demandé. S’il avait un budget il pourrait proposer à des clubs de leur payer la nuit d’hôtel pour qu’ils puissent venir sans problème.Il pense peut-être déplacer le grand prix avant les championnats de France comme ça, ça fait une préparation.Et peut-être le faire homologuer par la fédération, ce qui oblige les clubs à envoyer leurs lutteurs qui sont en pôle lutte. Le hic c’est que du coup les inscriptions sont plus chères (13€ au lieu de 5€ par participant) et c’est la fédération qui ramasse la différence et qui n’aide en aucune façon à l’organisation et en plus il faut payer l’hôtel et le défraiement d’un représentant de la fédération… Il se pose aussi la question d’alterner lutte libre et lutte gréco-romaine un an sur deux (là il n’y a que libre) car les lutteurs français font plutôt de la gréco car les champions (Mélo, Steve Guenot) sont en gréco. Bref, Didier dit qu’il faut revoir ça pour ne pas recommencer l’année prochaine ce d’autant que les quelques clubs qui sont venus n’auront pas envie de revenir vu le peu de lutteurs.

tableau compet serrepoursite

A 10h45, les tableaux sont affichés. Il y a certaines catégories où il n’y a qu’un lutteur, ou deux… Théo Brillon (son père, Xavier, a été quinze fois champion de France) est en minime moins de 46kg, inscrit à Créteil.

Mahawa et Samah vont lutter l’une contre l’autre. (cadet féminine 65 kg)

Mahawa et Samahpoursite

Nous discutons avec Robert Touraine, entraineur du SCLA (Sporting Club de Lutte d’Aulnay) –qui est avec sa compagne Odette Gilbert qui va sur ses 80 ans (elle va fêter dans quelques jours les 60 ans de sa fille).

entraineur aulnaysfemmepoursite

Ils sont accompagnés par deux lutteurs : Rémy Piejos et Petrus Stinca (moldave, dont le père et la sœur sont là ; il est depuis 3 ans au club)

Il dit qu’hier ils ont fait lutter des garçons contre des filles pour compléter des catégories. Il ne trouve pas ça terrible car les filles à poids égal se ramassent quand même des défaites, elles n’ont pas la même force. Il dit qu’ils vont peut-être lutter sur un seul tapis ou deux pour faire durer car le maire doit arriver à 17h pour la remise des prix… Il raconte qu’effectivement ils ont moins d’argent, les transports gratuits de la ville sont restreints pour les déplacements, que le CG et la région ne donnent plus rien. Les clubs sont fauchés ! Il explique que les lutteurs d’origine étrangère et qui n’ont pas la nationalité française n’ont plus le droit de faire les championnats régionaux et nationaux. Ils ont droit aux départementaux. Ils viennent donc dans ce genre de compétition.

massage petrus entraineurpoursite

Rémy est battu mais il ne s’est pas entrainé ces deux derniers mois… Robert ne l’a vu qu’une fois en deux mois à l’entrainement.

(ce qu’il déplore)

La fillette arménienne qui est seule dans sa catégorie luttera une fois contre un garçon (elle perdra 22 à 3 en 30’) et une fois contre une fille plus grande qu’elle (elle perdra aussi)cripoursite

Didier nous dit à la fin que pour les visas des ivoiriens, ça a merdé à l’ambassade de France, que c’est remonté au ministère des affaires étrangères et qu’ils se sont excusés. Les ivoiriens seront là la première semaine de juin. Lui part à Bakou pour les jeux européens du 12 au 19 juin. C’est Mélo qui devait porter la flamme mais il y avait la pesée en même temps pour lui. Ça sera donc quelqu’un d’autre. Mélo luttera dans la catégorie des 98kg (au-dessus de sa catégorie habituelle)perefilspoursite

Il raconte que certains clubs ne veulent pas présenter leurs lutteurs trop tôt en compétition pour qu’ils ne se fassent pas battre. Ça pourrait les démoraliser, les pousser à arrêter. Il faut aussi faire avec les parents qui se projettent : n’ont pas envie de voir leurs enfants perdre. Certains pères mettent trop la pression. Le gamin qui combat voit son père proche de l’apoplexie, qui lui crie dessus. Didier dit qu’il veut en discuter avec les pères arméniens du club.

gamins spectateurspoursite

Un gamin, il prend la piqure tout de suite ou pas. On voit dans les compétitions ceux qui regardent attentivement, qui sont intéressés. C’est un signe pour les entraineurs. Il y a aussi ceux qui jouent à lutter sur le côté en permanence mais qui sont morts de peur en compétition.


Mardi 26 mai 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

J’arrive à 17h30.

Je monte en Vélib maintenant : ça m’entraine de venir à l’entrainement !

Ils sont tous crevés par le WE du Grand Prix.

Leïla n’a pas dormi de la nuit du samedi, elle a pris du Spasfon toute la nuit. Elle veut se faire arrêter mais on lui dit qu’être enceinte n’est pas une maladie. Elle est moniteur sportif et ne peut pas faire à moitié.

Delphine est fatiguée aussi. Elle est allée hier lundi au Zoo de Vincennes avec son fils Younes, elle a trouvé que la rénovation était réussie.

Elle me conseille d’y aller l’après–midi car le matin tous les animaux ne sont pas sortis.

Delphine et Leïla s’occupent des petits, je demande à Maurice si je peux l’interviewer après le cours, il me dit qu’il doit partir vite, mais il commence à me raconter son histoire.

Je l’interviewe au débotté sans enregistrer, en notant, dans le brouhaha de la salle (les enfants sont excités comme des puces, ils font des jeux)

 

Mikael fait mettre les enfants en rang dos au mur : Il leur dit que l’année prochaine ils seront sélectionnés, que ceux qui ne sont pas assidus ne seront plus autorisés à venir au cours. Les gamins n’arrêtent pas de commenter. Il leur apprend des techniques qu’il montre avec Mélissa (la plus grande et expérimentée des filles)

Retour au mur. Il leur demande pourquoi certains n’ont pas dit bonjour à Didier. Que ça ne se fait pas. Les mômes trouvent des excuses (« j’étais en retard »)

Il les fait ensuite combattre, deux par deux devant tous les autres ; Ceux qui regardent se prennent au jeu et encouragent ou fustigent. Certains sont autorisés à combattre contre lui.

Fin du cours!

Entrainement de 19h30.

Par Vadim et Christian.vadim regardepour site

Beaucoup de monde. 7 filles (dont Mahawa, Serena championne de France, Melissa du cours d’en-dessous et des nouvelles que je n’ai jamais vues)

Des nouveaux garçons aussi.

Les pères arméniens sont là et coachent leurs enfants.

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Xavier le père de Théo vient s’asseoir sur le banc entre Sébastien et moi à la fin car une jeune fille est partie avec son copain qui a quitté l’entrainement. Je lui demande s’il veut bien qu’on l’interviewe. Je lui explique pourquoi. Nous discutons avec lui à bâtons rompus.

Voici ce que nous apprenons : Lui ne voulait pas que Théo son fils fasse de la lutte car il trouve ça trop dur et trop violent pour le corps (lui en a fait pendant 20 ans, a été à l’INSEP et quinze fois champion de France). Son fils l’a tanné et a finalement commencé il y a 1 an ½. Il dit que ça casse le corps. Que les petits ne s’en rendent pas compte, ils s’amusent mais lui est cassé, Vadim qui a été champion du monde a été opéré du cou, et d’autres endroits dans le corps… Comme ça sollicite toutes les articulations, on a toutes les articulations nazes à 40 ans. Que on ne peut pas faire doucement. Parce qu’on a toujours quelqu’un en face. Et qu’en face c’est l’inconnu.Théo faisait de l’escalade avant, Xavier trouvait ça très bien. Des grands champions d’escalade lui ont dit qu’en vieillissant ils avaient des problèmes dans les articulations de doigts mais au moins ce n’est que les doigts ! dit-il.

entraineurptgarcon verrierepour site

Il y a aussi la qualité de l’enseignement : En lutte, comme c’est un sport peu connu, les entraineurs ne sont pas aussi bien formés que dans d’autres sports. Quand il était à l’INSEP, en athlétisme, des champions comme Jean Galfione et Marie-Jo Perec ne s’entrainaient qu’une fois par jour. En lutte, c’était deux entrainements par jour et il fallait sortir cassé. L’entrainement n’était qu’une question de quantité et pas de qualité.

Il n’avait plus envie de monter sur le tapis. Dégouté. Il n’y est plus jamais remonté depuis qu’il a arrêté. Il dit que la différence entre l’athlétisme par exemple et la lutte, c’est que dans les sports où tu es seul, il n’y a que toi en jeu, tu peux progresser à ta façon, à ta manière, t’entraîner individuellement. Et les performances progressent, car les techniques progressent. (saut en hauteur qui passe du ventral au dorsal etc)

Dans un sport de combat, il y a l’inconnu de l’adversaire. Et ça change tout. Tu ne peux jamais savoir comment tu vas lutter car ça ne dépend pas que de toi. Ça dépend aussi de l’autre que tu ne connais pas. Il y a cet inconnu qui fait que ce n’est pas un sport « exact » . Même à l’entrainement tu ne peux pas t’entrainer seul, ça n’a aucun sens. C’est lié forcément à l’autre, le partenaire d’entrainement ou l’adversaire de combat. Il y a donc beaucoup plus de données en jeu. C’est beaucoup plus complexe qu’un sport individuel.

la salledeluttepour site

Il remontera peut-être sur le tapis dans un an, quand Théo aura le même gabarit que lui pour lutter contre son fils. Mais il n’en a pas envie spécialement, il dit qu’il retardera le moment le plus possible et que dès que Théo sera dans la catégorie au-dessus de lui, il arrêtera. Il est dur contre les pères qui poussent leurs enfants au maximum. Il dit que les enfants n’ont plus de plaisir.

Il a fait un championnat de France sous le chapiteau de l’école du cirque de Châlons. Il était en Bourgogne. On discute de la différence entre les circassiens ou les danseurs de l’opéra qui sont aussi cassés mais eux au moins peuvent espérer gagner leur vie avec ça !

Pendant tout l’entraînement, des pères (oncles ? ) arméniens poussent les petits à s’entraîner dur. En arménien, ils invectivent, conseillent, font refaire (même la montée à la corde à la fin de séance). Certains enfants ont gagné pendant le tournoi (la plupart sont forts déjà et frères ou copains, prennent visiblement beaucoup de plaisir à lutter ensemble). On comprend que ce sont les pères dont nous parlait Didier dimanche. Et ayant entendu Xavier, ça devient concret tout d’un coup.russemannequinenfantpour site

Jean-Jean est passé dire bonjour, puis au-revoir. Les anciens ont joué à la pelote.

Gauthier hésite à me dire au revoir en faisant une bise car dit-il : « je suis en sueur, moi ça ne me gêne pas mais vous ? » On se fait la bise.

A la fin les lumières s’éteignent petit à petit à partir de 21h30 car le gardien fait signe qu’il faut sortir de la salle. (Il y a encore la douche à prendre et lui termine à 22h) Dans le couloir c’est la queue pour les douches.


Mardi 9 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

C'est Sébastien qui tient le présent journal exceptionnellement.

J’arrive à la fin de l’entraînement des tout petits. Ils se poussent et se renversent sur le tapis, encouragés par Delphine et Maurice.

Un des enfants rejoint son père assis sur le banc à côté de moi. Le père, très doux, prend l’enfant tout petit (il a cinq ans, c’est sa première année au club) dans ses bras, lui parle (en russe je crois), le caresse, le pousse. Je devine qu’il lui parle de lutte parce que les gestes, le contact me fait penser à la manière de se toucher qu’ont les lutteurs. Mais avec plus de tendresse et de douceur. L’enfant est très calme, il répond aux questions du père par des hochements de tête. Le père tout en continuant à parler lentement, saisit l’enfant qui se laisse faire aux jambes et le fait doucement chuter puis il roule avec lui, exactement à la manière de deux lutteurs. Je reconnais la technique qui est décomposée et déroulée précisément. Le père explique tout en serrant l’enfant dans ses bras énormes. L’enfant acquiesce. C’est le combat du géant et du nain. Ensuite le père déshabille et rhabille l’enfant, avec toujours la même minutie dans les gestes.

C’était très beau. J’ai un peu l’impression d’avoir assisté à une scène primordiale.

ob 4d263b lutte greco romaine ceramiquepoursiteDepuis qu’on observe des entrainements, on s’est déjà étonné de retrouver dans les postures, les attitudes des lutteurs une très grande proximité avec les statues antiques (j’en ai revu au Louvre récemment, on a l’impression qu’elles ont été faites hier, tellement on reconnaît les gestes). Il faudrait interroger cette survivance des gestes.

Le père, Jean-Jean me dira plus tard qu’il s’agit de Kazbek, 8 fois champion de France de lutte, a fait partie de l’équipe olympique. Il est originaire de la même ville que Vadim en Russie et a la nationalité française depuis 11 ans. Il va peut être arrêter la compétition (je crois qu’il a 41 ans), et continuer pour le plaisir. C’est un poids lourd, le corps massif, noueux. Il se dégage de lui une grande sensation de calme et de douceur. Pendant toute la séance je vais le regarder lutter avec un partenaire de son gabarit, qu’il va vraiment épuiser. Au bout d’un moment j’ai l’impression que ces deux lutteurs sont vraiment à part. ils ont l’air ailleurs. Parfois ils ne font que tourner l’un autour de l’autre sans arriver à poser leurs mains sur le corps de l’autre, cherchant une saisie. J’ai vraiment l’impression qu’ils se « parlent » par le contact. lutte muybridgepoursite

A côté d’eux d’autres lutteurs appliquent, questionnent, la prise ou le contournement que Vadim a montré. Ce sont tous des lutteurs aguerris. A ce stade où la lutte est un jeu d’échec. Le mouvement est analysé, répété, recombiné avec d’autres, on lutte et on discute, on lie le geste et la parole. On réfléchit. Vadim passe et corrige, montre une variante…

Mais Kazbek et son adversaire sont à part et ne s’arrêtent pas pour parler. Ils sont dans un autre temps. J’ai l’impression d’avoir un peu une image de ces combats de lutte sans limite de temps dont j’ai entendu parler, ceux des luttes traditionnelles, ou des premiers Jeux Olympiques. Petit à petit l’autre lutteur demande de faire pause plus souvent. Il est fatigué et souffre de l’épaule. Il demande à Kazbek de le masser et de lui étirer le bras. Lorsqu’ils se parlent alors je comprends qu’ils ne se connaissent pas forcément, qu’ils ne sont pas des amis intimes.

Jean-Jean m’explique que cette manière de se toucher qu’ont les lutteurs, c’est parce qu’on se frotte tellement à l’autre et de manière assez rude, qu’on a besoin aussi d’adoucir le contact, « de se faire du bien ».christianblondallonges nbpoursitePhoto Meggie Schneider

Je pense alors que même si au Boxing Beats ou à la Snake Team, ou dans d’autres salles d’entrainement, saluer chaque personne est un rituel observé par tous et que les notions de respect sont très importantes, jamais je ne l’ai vu appliqué aussi scrupuleusement qu’à la lutte ou en tout cas chez les Diables Rouges. Tout le monde vient nous saluer quand nous sommes assis à observer. On sent bien que la poignée de main et le regard francs sont très importants, même chez les plus petits.

Avant ce cours il y a eu celui des 10/11 ans, qui illustre très bien ce point. Le cours était d’abord donné par Eric (ou Xavier je ne sais plus), un entraîneur que je n’avais jamais vu. Les enfants étaient assez dissipés, comme on l’avait déjà vu. Lassé par l’attitude des enfants, l’entraineur énervé a arrêté l’entrainement et demandé à être remplacé par Dane. Avant de partir il a parlé aux enfants qui, cette fois se sont tus. Il leur a dit assez durement qu’ils perdaient leur temps ici et lui aussi. Qu’il a entraîné les plus grands dans ce club, Lomé compris, qu’il n’avait jamais vu un groupe d’enfants écouter aussi peu et qu’il ne voulait pas perdre son temps à crier. Qu’on ne pouvait pas apprendre la lutte sans respect et sans écouter. Mais que la première chose était l’attitude de respect. Didier est passé pour voir, « s’ils viennent pour du loisir, on ne va pas perdre notre temps ». Dane est alors arrivé et a demandé à ce que personne ne rentre dans la salle. A nouveau il a parlé du respect dû à chacun et du devoir de ne jamais oublier de saluer les aînés. Il parlait aux enfants très bas, sans s’énerver. Il les a fait travailler pendant 20 mn (roulades, sauts, passages entre les jambes), sans jamais élever la voix et ils n’ont pas bronché. C’était assez impressionnant de voir la différence d’attitude des enfants. A la fin du cours il a demandé à tous les enfants de s’allonger sur le dos et de fermer les yeux. Il marchait au milieu d’eux en les frôlant, sans doute pour vérifier s’ils étaient bien concentrés. Ceux qu’il touchait du bout du pied au bout d’un moment avaient le droit de regagner le vestiaire. Ceux qui n’étaient pas arrivé à faire calmement l’exercice, il les a pris à part et a continué à discuter avec eux en leur demandant de réfléchir à pourquoi ils n’arrivaient pas à obéir à une consigne aussi simple.jean jean portraitpour site

Un ancien amène à Jean-Jean une photo, c’est le carton d’une exposition photographique qui a lieu en ce moment à la médiathèque de Bagnolet, intitulée « moi aussi j’ai été jeune, mais vous ne le voyez plus ! ». Sur la photo on voit Jean-Jean qui tient une grande photo de lui en tenue de lutte aux Jeux Olympiques en 1951. De son temps on n’avait pas le droit de commencer à lutter avant 16 ans. Il a été le premier en France à ouvrir des cours pour les enfants. « on me disait que j’étais fou, qu’on allait les blesser ». « le catch nous a fait du mal ». Les gens voyaient des combats violents en apparence, où les lutteurs se blessaient. Ils ne voulaient pas inscrire leur enfant à la lutte. Il faut avoir fait au moins 3 ans de lutte pour faire du catch, mais au catch tu accompagnes le mouvement de l’adversaire pour le rendre spectaculaire, tu fais de la cascade. En lutte tu te laisses pas faire, tu résiste, tu te laisse pas attraper.

Il rentre maintenant préparer le repas pour ses anciens élèves. « Je suis veuf alors quand ils sont là, je mange bien, sinon quand je suis seul je grignote »


Mardi 16 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

Fin de l’entrainement des petits (à 19h30)

Les enfants sont allongés sur le dos en cercle, les yeux fermés. Dane et Yab marchent autour d’eux, tout près d’eux, leur parlent. La consigne est de ne pas bouger. Dane leur donne le droit de quitter le cours les uns après les autres.

Entrainement des grands. Peu de monde au début. Mais beaucoup de monde arrive en cours et à la fin il y a du monde.vChristian mène l’entrainement. Vadim est crevé (sinusite). Il a pris des médicaments mais ça ne fait aucun effet. Il est assis à un bout et entraine les petits (Gauthier, Hocine, un plus petit qui vient de l’US Métro) Théo s’entraine avec les garçons arméniens plus costauds.

Les anciens (dont le père de Hocine) sont là et joue à la pelote. Au début, un groupe d’arméniens sont là aussi qui discutent entre eux.Christian a du mal à couvrir les voix des anciens et des arméniens pour mener l’entrainement.ChristianpoursitePhoto Meggie Schneider

Je discute avec Caroline, la mère de Gauthier. Elle m’explique que Gauthier a rencontré les jeunes arméniens à des rencontres de pôles à l’US Métro et qu’ensuite il a voulu venir s’entrainer ici. Il en a parlé à sa mère pendant trois mois et elle l’a finalement inscrite à Bagnolet. Elle dit que les locaux de l’US Métro sont somptueux par rapport à ici et à Créteil. Une salle de muscu avec des appareils tous neufs, une belle salle uniquement pour la lutte. Elle dit qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie. Que l’entrainement est bon là-bas mais plus « militaire ».Que à Bagnolet, comme à Créteil (où elle suit des cours ainsi que son deuxième fils) c’est plus familial. A Créteil, il y a toujours tout le club aux AG de fin d’année. Chaque lutteur est récompensé.Elle dit aussi que les clubs se piquent les bons lutteurs. Le petit qui est là aujourd’hui de l’US Métro est plutôt très bon.Gauthier, Hocine, Théo et les jeunes arméniens sont de 2001. Ils sont minimes.groupe lutte regard recadreepoursite

A la fin de l’entrainement, Christian dit qu’il va aller se coucher, qu’il se lève à 6h pour aller travailler. Caroline me dit qu’elle dort tous les jours de 2h à 7h sauf un dimanche tous les deux mois où son mari est là et elle peut dormir jusqu’à 11h. Je lui demande comment elle fait pour tenir le coup. Elle me dit que ça va. Que de toutes façons elle n’a pas le choix. Elle est toujours émerveillée de la gentillesse des gens du club. Elle me dit plusieurs fois combien elle trouve les enfants arméniens gentils et toutes les personnes du club.

Elle se renseigne auprès de Vadim pour savoir si le cours sera aux mêmes heures l’année prochaine. Savoir si elle peut amener Gauthier et Théo et Hocine qui viennent tous les trois de Créteil.

Gauthier s’est fait un peu mal au pouce gauche, car un partenaire lui a roulé sur la main. Caroline met une noisette de crème dans le creux de sa main pour qu’il se masse. Le père de Hocine suggère de faire un strap en rentrant chez lui.

Un garçon s’entraine à donner des coups dans le puching ball. Caroline me dit qu’elle ne peut pas assister à un combat de boxe, qu’elle a du mal avec les coups.


Mardi 23 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briquetterie

Didier n’est pas là. En réunion.

Je demande à Mihai dans le bureau si c’est OK pour la séance d’initiation de vendredi : c’est OK. Venir en short, T-Shirt et chaussettes ou pieds nus. Les vestiaires et douches seront à notre disposition.

Leïla, enceinte (elle accouchera en octobre) est fatiguée. Elle fait le ramadan. Elle dit qu’elle préfère le faire maintenant plutôt que de rattraper toute seule après. Maurice et elle restent sur le côté.

Delphine prend en charge le cours. La femme de Vadim est là, elle assiste au cours et parle à ses enfants en russe.Une autre jeune femme est là avec sa petite fille (Lalia) qui court partout et a envie de lutter. leilamamanbebepoursite

Ils jouent à : -Chat glacé

-Jeu des appuis : on décide du nombre d’appuis (1, 2, 3, 4, 5 ou 6). Un se retourne contre le mur, les autres courent tandis que lui compte : 1, 2, 3 soleil. Il se retourne et les autres doivent être immobiles avec le nombre d’appui convenu.

Maurice dit qu’à la télé, ils ont dit que si il y avait la candidature de Paris aux J.O. était acceptée ce serait sans doute Bagnolet qui servirait de salle d’entrainement pour la lutte. Ils referaient tout l’équipement des Diables Rouges.

-Le chat et la souris : Un enfant met un foulard dans son short dans le dos. C’est la souris. Il se met en position de départ pour une courseUn autre (le chat) prend aussi une position de départ quelques pas derrière la souris Au top : les deux partent en courant jusqu’à l’autre bout du studio.Si le chat attrape la queue de la souris, il a gagné

entrainement petits avec ballonpoursite

La femme de Vadim me raconte que Soslan (4 ans) commence à aimer la lutte. Avant il n’aimait pas. ça fait deux ans qu’il en fait.Il ne comprend pas très bien le français. L’autre fait de la lutte depuis longtemps, il a commencé aussi à 3 ans. Elle ne veut pas que les enfants fassent des compétitions trop tôt. C’est surtout Vadim qui ne veut pas. Parce que c’est trop dur de perdre, pour ne pas les dégoûter. Didier nous avait dit qu’il n’était pas d’accord, qu’il ne fallait pas attendre d’être sûr de gagner pour commencer la compétition.

Elle me dit qu’en France il faut faire beaucoup de sport, que c’est bien de faire du sport parce qu’on ne sait pas ce qui peut nous arriver, qu’il faut savoir se défendre.

corinefemme vadimpoursite

Le cours se termine, Maurice distribue des Chupa Chups.

19h30 Le cours des grands. Tout le monde arrive petit à petit. Vadim et Christian dirigent l’entrainement.

Les petits mènent l’échauffement. Gauthier, Hocine, Théo sont là, Caroline et Xavier, les anciens, Mahawa et une autre fille, Jean-Jean.

Jean-Jean dit : « Quand je suis avec eux (ndlr : Les lutteurs), ça boume toujours », « Ils m’empêchent de mal vieillir », « Plus on est de fous plus on rigole »

 Je parle des J.O. avec Vadim. Il dit qu’en France on se moque des sportifs. Si un sportif est champion olympique, ça ne lui rapporte rien par rapport à ce que ça rapporte dans d’autres pays. Les sportifs ne sont pas considérés. Il dit que Hollande s’en fout. C’est pour ça qu’il pense que la candidature au J.O. ne sera sans doute pas à la hauteur car le pays ne veut pas y mettre assez de moyens.

Sébastien suit l’échauffement et travaille avec Christian ensuite.

Gauthier a grandi. Caroline le remarque maintenant. Mais il ne grossit pas. Caroline dit qu’il faut qu’il essaie avec des lentilles car il est myope et plisse les yeux de plus en plus.

Caroline et Xavier parlent de l’organisation de l’année prochaine pour emmener les enfants à l’entrainement. Xavier est surnommé « Tintin » par certains du club. A un qui lui demande s’il n’a pas sa tenue de lutte, il répond : « je n’ai pas trouvé de XS ! »vadim montre prisepoursite

A la fin, Vadim prend un long temps avec Théo pour lui montrer des prises, Hocine et Gauthier continuent à s’entrainer entre eux. Tout le monde est parti petit à petit, il ne reste plus qu’eux. Les garçons sont fatigués. Vadim est très patient. Caroline dit que ce qui est bien c’est qu’il parle aux enfants comme à des adultes. Il les prend en considération.

Vadim ne sait pas s’il y a entrainement la semaine prochaine. C’est Didier qui décide. Nous partons avec les derniers.


Vendredi 26 juin 2015. /Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

 Séance d’initiation avec les membres du Cercle

Sébastien, Corine, Stéphane.

Et : Élodie Vincent, Hervé Falloux, Émilie Esquerre, Nil Dinç, Celia Catalifo, Taxiarchis Vasilakos (avec sa femme et ses deux petits enfants), Agnès Müller (CG93), Hélène Bontemps, Véronique Aubert et Lucie Pouille (toutes trois du service communication de La Commune)

Didier se met en tenue et vient sur le tapis.didierlutteur orange tatamipoursite

Tout le monde arrive. Les filles dans le vestiaire des filles avec Samah et Mahawa Les garçons dans un autre Échauffement commun avec les lutteurs dirigé par Christian. Je fais trois tours de piste et je m’arrête : je sens le genou instable, ça fait deux mois que je n’ai rien fait, je n’arrive pas à faire à moitié. Je serai rejointe sur le banc par Hélène Bontemps qui laisse ses collègues aller essayer.

Voici le récit de l'intérieur de cette initiation qu' Émilie envoit le soir à son mari Laurent :


Mardi 30 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

C’est la canicule !

Tout le monde est là : Vadim, Christian, Mihai, Dane, Gauthier et Hocine (Theo est en vacances), les arméniens, deux filles (dont celle qui ressemble à un garçon), le père de Hocine, les deux petits garçons dont un vient de l’US Métro (Ramza) : ils ont exactement le même gabarit, on pourrait croire des jumeaux. Mody Diawara etclutte tenderpoursite

Didier essaie d’avoir des billets pour Las Vegas en septembre. Il veut rester deux semaines et emmener Ella sa fille. Il est en train de se séparer de la mère d’Ella. C’est compliqué dit-il.

-Foot avec ballon en mousse

Jean-Jean arrive avec sa patte qui traîne, il s’assied sur le banc entre la lutteuse qui ne fait pas le foot et moi.

Il dit : « Je me suis fait foutre en l’air par une voiture il y a 40 ans et que maintenant j’ai les séquelles (un ulcère à la jambe)

J’ai 85 printemps, je ne compte pas les autres saisons »

Il me raconte que le Papa de Hocine, Djibril a été un grand lutteur à Bagnolet. Qu’il était d’Ivry au départ et est devenu champion en s’entrainant à Bagnolet.

Jean-Jean me dit que le petit bémol dans la carrière de Djibril c’est que le père de Djibril n’a pas voulu qu’il ait la double nationalité, il est resté uniquement algérien et n’a donc pas pu entrer dans l’équipe de France.

Jean-Jean raconte son interview avec la journaliste qui préparait une expo sur : les gens qui ont fait du bien à Bagnolet, avec une photo d’eux jeune et une d’eux maintenant.

Jean-Jean a posé avec une photo de lui lutteur.Jean Jean par Nathalie Rouckoutpoursite

Photo Nathalie Rouckout

« Les anciens des Diables Rouges sont allés en sortie à la mer de sable à Ermenonville la semaine dernière. Il y vont tous les ans, et c’est la première fois que je ne les accompagne pas : la patte n’aurait pas pu, dans le sable. »

Je me suis cassé la figure dans ma douche il y a deux ans, j’ai eu quatre côtes cassées. Le médecin m’a dit : « fini les galipettes sur le tapis »

Le fils de Jean-Jean (Jean-Pierre) a été lutteur. Il vient faire de la pelote avec les anciens. Il a 58 ans. Ce soir il n’est pas là car il est à un séminaire. C’est le directeur de tous les directeurs des Gymnase Club. Quand le Gymnase Club était associé au Club Mediterranée, il a négocié avec le fils Giscard qui dirigeait le Club Med.

La femme de Jean-Jean est morte du cancer. Elle a vécu 17 ans avec son cancer. Si elle vivait à l’heure actuelle avec la même maladie, peut-être qu’on saurait la soigner maintenant.

Il dit que c’est la première année depuis 1953 qu’il ne va pas aux championnats individuels. Il a ouvert la salle il y a 45 ans.Elle est maintenant à refaire : ce sera le cas si la candidature de Paris aux J.O. est acceptée.

Une fois, Jean-Jean s’est cassé le nez à un entrainement. Tout le club l’a accompagné à l’hôpital. Ils lui ont mis un plâtre. Quand le médecin lui a ensuite retiré, il a dit : « On vous a  loupé ! » Jean-Jean a regardé dans un miroir, le nez était un peu de travers. Le médecin a proposé de lui recasser et de le remettre droit mais dans sa clinique privée. Jean-Jean n’y est jamais allé.

Jean-Jean est entraineur depuis 51 ans. Il notait tous ses combats avant. Il a arrêté de noter en 56.

Il avait 660 combats, 600 victoires, 60 défaites.

Il écrivait sur la lutte dans un journal du 93. Il a tous les calendriers de chaque année avec l’équipe du club. Il me raconte que Mihai a eu du mal à obtenir la nationalité. Il était moldave, marié à une française. Il a eu la nationalité après avoir fait 3 ans d’armée dans le chasseurs alpins.

Caroline m’explique que les quatre jeunes garçons arméniens qui luttent seront en âge de figurer dans l’équipe olympique en 2024 s’ils obtiennent la nationalité française. Ils sont trois de 14 ans et un de 13 ans. L’un eux est le frère de Sasha qui est un peu plus grand.vadimjean jeanpoursite

Son mari à elle a eu un problème pour le renouvellement de sa carte d’identité car il était né à Madagascar (de parents français en mission là-bas). Ils lui ont demandé de prouver sa nationalité. Ça s’est fini au tribunal. On lui a donné un papier qui certifie sa nationalité française en lui disant qu’on ne lui délivrerait aucun autre exemplaire. Il n’a qu’un exemplaire de ce papier qui prouve qu’il est français.

Je lui explique que mon ami a eu le même problème alors qu’il sert dans l’armée française depuis 30 ans.

Didier discute longtemps avec un des jeunes arméniens et leurs pères pour leur expliquer qu’ils doivent apprendre le français et parler français le plus possible, même en France.

Caroline me dit que le défaut de Gauthier en lutte est de ne pas sortir la tête. Depuis toujours.

Didier m'annonce  que les cours reprendront le 2 septembre.

 

Comment les corps se parlent

Texte d'Abelle, contribution à la réunion du Cercle du 1er juillet.

Thème de la réunion : dans la lutte, qu'est ce qui vous a saisi?

 

j’ai vu la compétition et observé l’entraînement de lutte. J’ai eu envie de croquer les corps  en dessinant, pour m'approprier les mouvements des lutteurs


les questions, éveil de la mémoire, sensations physiques, ont été les suivantes:

1.
comment les corps se parlent?

 

 croquis lutte 1

2.

- poids contre poids!

- La lutte donne un prototype de corps protéiforme, proche des sculptures des frères Chapman

par exemple:

-deux têtes sur  un torse

-trois bras au dos

-une jambe à la place du bras

-multitude d'autres configurations possible:

-une tête installée sur la cheville

-des mains aux entrejambes

-un pied de nez !( pied à la place du nez)

 

 croquis lutte 2

3.
Joue contre joue!

on joue son rapport à l'autre!

point d'appui:
- le corps - le sien

- le corps de l'autre

- le toucher

- le corps de l'autre devient le sien propre

 

 croquis lutte 3

4.
Rapidité-> fulgurance animale

La lutte réveille la mémoire des castagnes d'enfant.

- Dans une cours de récréation, je me bats avec une fille. Je suis dans l'arène, la foule des élèves placées en cercle crie.

- Je gagne très vite. Mon adversaire fille tombe au sol et  se cogne la tête à terre.

J'obtiens les félicitations des garçons, chancelante, je me sens fébrile.
Mon  agressivité a failli être dangereuse pour mon adversaire, car ce n'était sans doute pas seulement du jeu

 

 croquis lutte 4

5..
après la compétition en observant les combats de lutte

Courbaturée, tendue à la nuque et crispée à l'épaule droite, je sors de la compétition de lutte en compote.

Est ce que je m'identifie aux lutteurs? mes neurones miroir seraient ils en train de s'éveiller?

C'est quoi la réalité psychique d'un lutteur?

dominer, jouer à dominer, s'évaluer, capter ses limites, rencontrer l'autre, canaliser son agressivité, s'éprouver, s'affranchir.....

 

 croquis lutte 5

thème retenus :
-jeu fusionnel d'enfants aveccoups et caresse

- transgénérationnel

Foxcatcher, de Bennett Miller, 2014

FoxcatcherInspiré d’un fait divers authentique, Foxcatcher raconte l’histoire tragique et fascinante de la relation improbable entre un milliardaire cinglé et deux grands champions de Lutte des années 80-90, les frères Schultz.

Daveest l'entraîneur de son frère cadet Mark, plus imposant physiquement mais plus fragile intérieurement. On comprend dès le début du film dans une scène où Miller décrit brièvement le dénuement des athlètes professionnels une fois passé l’heure de gloire des olympiades (on le voit donner, en échange de quelques dollars, une conférence devant des lycéens morts d'ennui), que Mark est le héros anonyme et solitaire d'un sport qui n'intéresse personne. Mais alors qu'il cherche comment participer aux Jeux Olympiques de Séoul de 88, il est invité par le milliardaire mégalomane John Du Pont qui a décidé de monter une équipe de Lutte libre (l'équipe "Foxcatcher") dans sa grande propriété de Pennsylvanie, que Millerfilme comme une sorte de royaume fantastique à la beauté crépusculaire. Ce gourou grotesque etmonstrueux (interprété par Steve Carell génial dans le rôle), à la folie irradiante, fera tout basculer dans une folie meurtrière qui coûtera la vie à l'ainé des deux frères.Au fil des compétitions et des entraînements il se noue entre les trois hommes un manège fait de sourdes dominations.C'est cette relation de manipulation perverse et destructrice avec la psychologie fine qu'il arrive à tirer des personnages qui intéresse le réalisateur plus que la connaissance de la Lutte elle-même.

On a l'impression que ce qui l'intéresse le plus dans la Lutte, c'est son mystère. Le regard qu'il porte sur elle est moins celui d'un connaisseur que celui d'un observateur distant et fasciné par un univers qui a ses propres règles et valeurs.Il la filmeavec austérité, comme une chorégraphie étrange au savoir secret, confidentiel. Comme un langage presque illisible. Il arrive ainsi a nous maintenir dans une sorte de perception instable, où on n'est jamais sûr de ce qui est en train de se passer. Comme dans l'impressionnante scène de sparring des deux frères au début du film où le choc des corps, les torsions des membres qui se nouent et se dénouent disent plus que les quelques paroles que s'échangent les personnages

 

 

ICONOTHEQUE DE l'INSEP

nombreuses photographies et films d'archives sur la Lutte et la Boxe.

à consulter ici. Rubrique "Sports de combat".

Iliade-Homère- chant XXIII

pugilisteÀ l’occasion des funérailles de Patrocle, des jeux sont organisés par les guerriers achéens en son honneur. Les épreuves se succèdent : course de char, course à pieds, lancer de poids et ce qui retient notre attention : pugilat et lutte. La description du pugilat « le terrible jeu du pugilat » est courte et violente. On comprend que l’équipement comportait des lanières de cuir dont étaient lacées les mains. Leur fonction était inverse des gants actuels. Elles étaient mouillées, séchées pour être rêche, coupante et ouvrir les chairs lors des coups. Le temps du combat n’était pas limité, et le vainqueur était celui qui parvenait à mettre son adversaire KO.

Dans ce combat, le favori, le terrifiant Épéos vaincra Euryale dont on peut louer à quelques millénaires de distance le courage !

Le texte ci-dessous est celui de la traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel.
Il est suivi d’un très court combat de lutte (les pénibles jeux de la lutte)

 

Achille s’avance dans la nombreuse assemblée des Grecs, après avoir entendu les louanges du fils de Nélée. Alors il propose les prix pour le terrible jeu du pugilat ; il conduit et attache dans le cirque une mule robuste de six ans, qui n’a point encore été sous le joug, et qui sera difficile à dompter ; ensuite il apporte pour le vaincu une coupe à double fond, et, debout au milieu de l’enceinte, il parle ainsi aux Argiens :

« Atride, et vous, Grecs valeureux, ordonnons que, parmi les plus braves, deux hommes vigoureux s’avancent, et qu’avec le poing tous deux se frappent en élevant les bras. Celui auquel Apollon donnera la victoire, et que tous les Grecs auront reconnu, conduira dans sa tente cette mule infatigable ; quant au vaincu, il recevra cette coupe à double fond. »

À l’instant se lève un héros d’une grande force et d’une taille élevée, le fils de Panops, Épéos, habile au pugilat ; il saisit la mule vigoureuse, et s’écrie :

« Qu’il approche celui qui désire cette large coupe ; je ne pense pas qu’aucun des Grecs prétende enlever cette mule en triomphant au pugilat, car je me glorifie d’être le plus fort. N’est-ce pas assez que je ne sois qu’au second rang dans les batailles? Il n’est pas donné à l’homme d’exceller en toutes sortes de travaux. Mais je le déclare, cela s’accomplira ; je déchirerai le corps de mon rival, et briserai ses os. Que ses compagnons se rassemblent en foule autour de lui pour l’emporter quand il sera vaincu par mon bras. »

Ainsi parle Épéos, et tous gardent le silence. Le seul Euryale s’avance, semblable à un dieu, Euryale fils de Mécistée, issu du roi Talaïon, et qui jadis se rendit à Thèbes quand on célébrait les funérailles d’Oedipe : là il vainquit tous les enfants de Cadmos. Le vaillant Diomède l’accompagne et l’encourage par ses discours ; car il désire qu’Euryale soit vainqueur. Il l’entoure d’une large ceinture, et lui donne de fortes courroies, dépouille d’un bœuf sauvage. Les deux rivaux, entourés de leur ceinture, s’avancent dans l’arène ; ils lèvent à la fois l’un contre l’autre leurs bras vigoureux, qui tombent ensemble, et leurs mains pesantes se confondent. Le bruit de leurs mâchoires se fait entendre, et de toutes parts la sueur coule de leurs membres. Mais Épéos se précipite et frappe à la joue Euryale, qui cherchait à l’éviter ; celui-ci ne résiste point à ce coup, et ses membres robustes se dérobent sous lui. Ainsi au souffle frémissant de Borée, le poisson s’agite sur l’algue du rivage, où le recouvrent les vastes flots ; de même s’agite ce guerrier blessé. Alors le magnanime Épéos le prend par la main, et le relève : les amis d’Euryale s’empressent autour de lui, et l’emmènent à travers le cirque, où ses pieds traînent dans la poussière ; il vomit un sang noir, et sa tête se balance des deux côtés ; enfin il s’évanouit entre les bras de ceux qui le conduisent. Cependant ses compagnons s’emparent de la coupe à double fond.

Donc si le pugilat est "terrible", la lutte elle, est "pénible". C’est aussi le lieu de la ruse, et donc un sport auquel s’adonne Ulysse aux mille ruses.

Le fils de Pélée montre ensuite aux enfants de Danaos les troisièmes prix destinés aux pénibles jeux de la lutte ; il réserve pour le vainqueur un trépied destiné au feu, les Grecs l’estiment valoir douze bœufs : pour le vaincu il place dans le cirque une captive, habile en toutes sortes d’ouvrages, et qu’on estimait valoir quatre bœufs. Debout, au milieu de l’assemblée, Achille s’écrie :

« Approchez, ô guerriers qui voulez tenter la fortune de ce combat. »

Il dit : aussitôt se présente le grand Ajax, fils de Télamon, et se lève aussi le prudent Ulysse, fertile en ruses. Tous deux, entourés d’une ceinture, s’avancent dans le cirque et s’embrassent l’un l’autre de leurs mains vigoureuses. Telles sont au sommet d’un édifice deux fortes poutres qu’un ouvrier habile à réunies pour braver l’impétuosité des vents. On entend leurs dos craquer sous l’effort de leurs mains entrelacées ; ils sont baignés de sueur ; des tumeurs empourprées de sang s’élèvent sur leurs flancs et sur leurs épaules : tous les deux désirent avec ardeur la victoire pour obtenir le superbe trépied. Ulysse ne peut ébranler ni terrasser son rival, Ajax ne peut triompher de la force d’Ulysse. Mais lorsqu’ils sont près de lasser la patience des valeureux Grecs, le fils de Télamon s’écrie :

« Noble fils de Laërte, astucieux Ulysse, ou enlève-moi, ou que je t’enlève moi-même ; Zeus prendra soin du reste. »

En parlant ainsi Ajax soulève son rival ; mais Ulysse n’oublie point la ruse : avec son pied il frappe Ajax au jarret, lui fait plier les genoux, le renverse et tombe sur le sein du guerrier : toute l’armée est frappée d’admiration et d’étonnement. Ulysse, à son tour, veut soulever Ajax ; mais à peine lui fait-il perdre la terre, il ne peut l’enlever ; ses genoux fléchissent ; tous les deux, près l’un de l’autre, tombent sur l’arène et sont souillés de poussière. Déjà ils se relevaient pour lutter encore ; mais Achille s’approche, et, les retenant :

« Ne luttez pas davantage, leur dit-il, ne vous fatiguez point à ces combats si funestes : la victoire est à tous les deux ; recevez des prix égaux, et que les autres Grecs combattent à leur tour. »

Il dit ; et les deux guerriers obéissent à sa voix : ils enlèvent la poussière dont ils sont couverts, et reprennent leurs vêtements.

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Interview de Achille (lutteur)

" Rien ne m’amenait à m’intéresser à la lutte. J’étais un enfant bloqué, encrouté, refermé. À la télévision, un jour, j’ai vu de la lutte traditionnelle suisse. Ces gros types en slip qui se battaient dans le sable, ça m’a plu. Je me suis dit, moi aussi je veux me battre en slip dans le sable comme eux.

Je me suis inscrit dans un club. Au début, j’aimais pas trop. Mais j’ai continué. J’aimais bien gagner. Mais je ne n’aimais pas spécialement aller à l’entraînement. Je n’aimais pas l’image de moi en lutteur. Mais j’ai fait des compétitions. Et j’aimais bien gagner les compétitions.

Le cluboù j’étais, c’était un petit club sans ambition particulière. Un jour, j’ai rencontré des types, des lutteurs qui étaient allésen Pole Espoir. Ils étaient grands, ils étaient impressionnants. Je me suis dit moi aussi je veux être comme eux. Je n’étais pas si bon que ça à l’époque, mais c’est devenu mon idée.

J’ai été pris par défaut. J’étais le premier sur la liste d’attente. Ça a été énorme de partirlà-bas. J’avais douze ans. J’étais avec des lutteurs. Ils avaient des rêves. Des ambitions. Moi, je n’étais pas si ambitieux. Je voulais surtout partir de chez moi.Ce sont devenus mes amis. On s’est entraînés ensemble très dur. On s’entraînait deux fois par jour. Le dimanche, on courait sans les entraîneurs. L’école est complètement passée à la trappe. Je ne faisais que m’entraîner à la lutte. J’ai fait les deux styles : libre et gréco-romaine. Je préférais la lutte libre.

Et puis j’ai eu quinze ans. J’en ai eu marre. C’est un peu fou comme vie. D’être tout le temps avec des lutteurs. Alors, comme ça, sur un coup de tête, avec des copains, on achangé de pôle et de ville. Là, il y a avait des entraîneurs. J’étais toujours avec le même club officiellement, mais j’avais pas d’entraîneur du club pour les compets. Le club, il récupérait les médailles et le palmarès, c’est tout.

Au collège, on nous regardait de travers. Avec les autres lutteurs, c’est comme si on descendait de nosmontagnes. On était des lutteurs. On était arrogants. On se bagarrait. On suivait pas les règles. On était tellement fatigués après l’entraînement qu’on dormait dans les couloirs du collège. C’était une ZEP. Les profs ils s’en foutaient de nous. Ils nous disaient : vous allez devenir athlètes professionnels. Vous vous en sortirez toujours. Mais personne n’est lutteur professionnel en France : ça n’existe pas lutteur pro.

Finalement, j’ai été contacté par un gros club. Ils m’ont proposé un appart, un peu d’argent à chaque combat si je luttais sous leur nom. J’ai laissé tomber mon premier club sans regret. Ils avaientleurs subventions grâce à mes médailles, mais ils me donnaient rien. J’étais encore junior. Mais j’avais le soutien du club. Il me payait mon loyer. Et j’avais un chèque de 120€ par match. C’était super. Je commençais à battre des seniors. Hélas, ça n’a pas duré. J’ai eu des blessures. J’étais meilleur que beaucoup, mais pour un club, si tu progresses pas très vite, tu déçois.

La seconde année, je me suis mis un gros challenge. J’ai décidé de descendre d’une catégorie de poids. Je voulais battre un champion. Mes entraîneurs, ils y croyaient. Je pouvais le battre. J’ai fait un régime pour perdre dix kilos. Je me suis présenté au championnat. Et au premier tour, j’ai senti que ça allait pas. Mes bras, ils étaient comme s’il n’y avait qu’un squelette. Je ne réagissais pas. Je me suis retrouvé d’un coup sur le dos. J’avais la tête en bas, je voyais la tête des spectateurs, ils me regardaient avec des yeux ronds, comme ça. Bon, j’ai fini par me remettre dans le bon sens, je suisrevenu, j’ai gagné le match, mais après finalement j'ai perdu en demi-finale. J'ai même pas rencontré le lutteur que je voulais battre. Les dirigeants du club, ils ont commencé à me regarder de travers.

Ensuite, dans un championnat, je me suis blessé. J’ai poussé avec mon bras,juste poussé, et crac, ça a cassé. Là, j’étais dégoûté. Dégoûté. C’est dommage cette blessure, parce que je commençais à aimer ça, la lutte, la compet, tout ça.

J’ai laissé tomber la lutte depuis trois mois. Je fais du MMA, du grappling maintenant. J’ai vingt ans.

Il y atellement de lutteurs qui arrêtent. C’est tellement dur. Si tu n’y prends plus de plaisir, tu laisses tomber. Les à-côtés sont pénibles. La fédération par exemple, c’est des pourritures. Ils flottent comme des méduses autour des tapis. Les clubs, il y en a encore qui sont humains. Des clubs familiaux avec une histoire, une aura.

J’ai pratiqué tous les sports de combats. Mais tous ces trucs de self-défense par exemple le krav maga, j’aime pas. On apprend à des filles à se défendre si jamais dans la rue elles se font attaquer par derrière avec un couteau. Mais ça n’existe pas. Ça ne fonctionne pas. Ces cours, c’est vraiment faire de l’argent sur la peur. Utiliser la force de l’autre, je veux bien oui, bien sûr tous les arts martiaux font ça, mais n’empêche que la force de l’autre c’est toujours la force de l’autre.

Au MMA, ils sont très gentils. Quand on se salue, ils disent « ôs », comme ça : « ôs ». Alors moi aussi je leur dis « ôs ». Ils font attention à l’autre au MMA. À la lutte on n’est pas poli comme ça. C’est proche la lutte. On peut pas être poli. On peut pas être sur la réserve. Quand tu luttes, toutes tes émotions elles apparaissent. C’est intense quand tu luttes. Tu apprends d’un coup plein de truc sur ton adversaire. Tu apprends de lui. Tu es grandi par lui aussi. Tu le vois s’énerver. Tu apprends de ses failles.

Sur un tapis de lutte tout le monde est fatigué. On se donne complètement. Il n’y a pas de réserve dans la lutte. Quand tu reçois un coup, l’autre, ton adversaire, il sait tout de suite comment tu l’as reçu ; Il le sent.

Les lutteurs ils sont de très mauvaise foi. Ils grugent tout le temps l’arbitre. C’est amusant. On sait qu’on est tous des tricheurs. Mais le jeu c’est que l’arbitre n’est pas sensé le voir.

Des fois, à l’entraînement, la tension monte entre deux lutteurs. On avait un entraîneur, dans ces cas là, il disait : bon allez tout le monde dehors. Vous deux, si vous voulez vous battre, on vous laisse la salle, quand vous aurez fini on revient. Et en fait, les deux ils ne se battaient jamais. En fait, il n’y a pas beaucoup de gens qui ont envie de se battre vraiment. S’il n’y a pas de spectateurs personne n’a plus envie de se battre. S’il n’y a pas de spectateurs, ça ne démarre pas.

Sur le tapis, il y a toujours un loup et un agneau. S’il n’y avait pas de règle, c’est forcément le loup qui gagnerait. C’est très dur de s’exploser le cœur : alors le premier qui décide de se fatiguer, c’est lui le loup. C’est pour ça que tu n’as pas le droit de lâcher un centimètre de terrain. La limite de temps, c’est ça qui apporte du sport. Dans l’histoire de la lutte, il y a eu des combats sans limite de temps. Le plus long c’était entre deux turcs. Le combat a duré deux jours. Personne est toujours un loup. Personne est toujours un agneau. Quand tu entres sur le tapis, tu y crois. Tu dois y croire. Tu te dis : le type en face, il est comme moi. Il a deux bras, il a deux jambes comme moi. Mais en fait non, des fois tu comprends qu’il est pas comme toi. Il est le loup et toi l’agneau. Quand tu gagnes après avoir été agneau, tu as le sentiment d’avoir survécu. Le loup, il doute pas un instant. L’agneau, lui il doute. À un moment il se dit, peut-être que je vais perdre. Peut-être je peux perdre. C’est pas grave. Après j’irai enfin manger. Ça fait un mois que je mange pas. Le loup, lui, il lâche pas.

Dans le haut niveau, quand t’es face à un nul, tu dois pas le laisser croire une seconde qu’il a une chance. Si tu doutes, il va le voir. Le doute, il va le voir tout de suite. Sur une saisie, tu retires ta main, et l’autre tout de suite il se dit : ah tiens… J’ai une chance.

Le tapis de lutte dans les clubs, c’est chaleureux. Tu discutes, tu dors dessus. Le tapis de lutte durant une compétition, il est pas chaleureux. Pas accueillant du tout. On te regarde. Il y a des lutteurs, avant le match, ils donnent des signes. Ils regardent en dessous, comme ça. Ils s’agitent pour rien. Ils gigotent. Ils doutent. Ils devraient pas être là. En compétition, tu dois montrer le moins possible. Quand t’es gamin, tout le monde court dans tous les sens. T’en a qui te disent : il a dit qu’il allait te battre. Moi, j’aime pas ça. Il y a tout le monde qui crie. Tu peux pas sortir du gymnase. Les gens te regardent. Il boit quoi ? Il mange quoi ? C’est stressant. Tu as toujours peur de rater ton appel. La sono est toujours pourrie. Tu distingues à peine ton nom. Ils écorchent toujours ton nom. Tu vas vers le tapis avec ton maillot. Tu salues l’arbitre. Et puis l’autre te touche, et là c’est parti. Tu es un corps avec l’autre. Une seconde d’absence, d’égarement, tu es sur le dos, tu as perdu.

La lutte, c’est rigolo au haut niveau. Mais personne fait de la lutte en loisir. On pourrait. C’est rigolo la lutte. Mais faire la lutte juste comme un loisir, ça n’existe pas. La lutte, ça ne t’apporte rien si tu la fais pas à fond. Dans la lutte, les valeurs elles s’acquièrent qu’au regard des sacrifices que tu fais pour la lutte. Tu y prends ce que tu apportes. C’est tout. Il faut que tu ailles à un haut niveau d’engagement, de sacrifice. Oui, la lutte, c’est vraiment rigolo à un certain niveau. Avant, c’est juste dur. Explosivité, souplesse, endurance, tu mets des années pour les acquérir. La lutte, c’est une femme ingrate. C’est un entraîneur qui m’a dit ça un jour. Tu donnes, tu donnes, et le seul plaisir que tu auras c’est de donner.

Oui, c’est tout le corps qui sent. Les yeux, ils servent à rien à la lutte. Bon, ils servent un peu, mais c’est infime. Au bout d’un moment tu penses même plus avec les yeux. Tu sens avec le corps. Tu sens avec l’autre. En lutte, il y a toujours quelqu’un face à toi, contre toi. Tu peux pas l’oublier. Même à l’entraînement. Tu peux t’entraîner seul, ouais, mais ça sert à rien.

Les lutteurs quand ils arrêtent, ils détestent la lutte. Ils ont tellement donné. Moi j’ai donné huit ans de ma vie à la lutte. Je voyais mes copains au collège. Ils sortaient, ils s’amusaient. Moi je m’entraînais, j’allais à l’hôpital. Le pire, c’est que le travail que tu fais, personne le comprend, personne le voit. Une danseuse, par exemple, tu sais qu’elle a travaillé, tu admires son travail. Un lutteur, dans la tête des gens, c’est juste une brute.

Il y a une différence entre la lutte et le sport. Dans le sport tu te constitues un corps d’athlète. Tu y prends du plaisir. Dans la lutte, non. Un lutteur, s’il n’a pas d’échéance, il va pas s’amuser à courir. J’ai vu ça avec les cubains, les américains, même les tchétchènes : Les lutteurs, c’est des fêtards. Quand ils ont pas de combat, ils boivent du rhum, sont sous coke tous les soirs, ils bouffent C’est sûr quand tu manges des légumes tous les soirs, t’es pas content. Non, vraiment la lutte, c’est pas le culte du corps. Les lutteurs, c’est pas des sportifs.

Et puis, c’est injuste. À la base, il y a des gens ils sentent la lutte, et d’autres pas. Il y a rien à faire à ça.

Tu prends ton poids tout le temps. Tous les jours tu prends ton poids. Les entraîneurs, ils notent, ils font des courbes avec ton poids. Ils l’affichent dans le gymnase. Il te demande : tu en penses quoi ? Moi, j’en pensais rien.

La nourriture, ça peut encore aller. Le pire, c’est l’eau. Au bout d’un certain temps, ta langue, elle bouge plus. Tu es desséché de l’intérieur. Là, t’as vraiment envie de tout laisser tomber.

Les entraîneurs en lutte, ils sont variés. Il y en a qui te parlent mal. Ils t’insultent. D’autres, ils sont comme des secondes mères. Ils suivent leur lutteur partout. Ils les amènent en voiture aux compets le dimanche. Ils surveillent tous ses repas. Ils passent tout leur temps avec leur lutteur. Il y a des pères aussi qui entraînent leur fils. Durant les combats, ils sont à la chaise. Après, c’est bizarre de serrer la main du père du type avec qui tu t’es battu.

J’ai jamais perdu sans pleurer. Mon premier combat, j’avais cinq ans, je l’ai perdu. J’ai pleuré. Quand tu perds, il n’y a pas de doute, c’est que l’autre t’a battu. Entre lutteurs on se connaît tous. Alors, le type qui t’a battu tu le croises tout le temps et tu le vois toujours comme ça : c’est le type qui t’a battu. Et tu te rappelles quand tu étais sur le dos. Mais quand tu as gagné, celui que tu as battu, tu l’oublies.

J’étais très peureux quand j’étais gamin. Je me bagarrais pas. La scène aussi ça fait peur, oui, c’est sûr. J’ai passé des auditions. Dans des conservatoires municipaux. J’attends les résultats. Il y a juste un conservatoire où même si je suis accepté, j’irais pas. Ils m’ont demandé de jouer le potimarron. Oui, le potimarron. C’était une impro qui s’appelait « panique au potager » Ça m’a pas plu.

Durant l’audition, ce qui m’a rappelé la lutte c’est l’attente avant de passer. Le stress. Et puis tous les candidats qui se regardent du coin de l’œil. La compétition. C’est la compétition.

Il y a un truc bien avec la lutte, c’est que c’est universel. Tu vas à l’étranger, tu entres dans une salle, même si c’est pas le même type de lutte, tu comprends tout de suite ce qui se passe. Tu n’as pas besoin de parler la langue. C’est une sorte de famille, c’est vrai. Un lutteur, il aura toujours un endroit où dormir. Les autres lutteurs l’accueilleront toujours. Et pas seulement dans les pays pauvres, là c’est normal, ils connaissent l’hospitalité. Mais même au États-Unis, même chez les riches, ils t’accueillent."

 

Interview de Djimil (lutteur)

Djimil vient régulièrement à l'entrainement aux Diables Rouges à Bagnolet. Il accompagne son fils Hocine. Il s'entraine, joue à la pelote avec les anciens, conseille son fils.  Il lutte depuis qu'il est petit.

"Je suis rentré pour la première fois dans une salle de lutte à 7 ans à peu près. J’avais un grand frère qui pratiquait la lutte et qui m’a emmené. À l’époque les enfants avaient le droit de faire de la lutte à partir de 8 ou 10 ans je pense. J’ai pratiqué la lutte à 9 ans. Deux ans avant, j’allais avec mon frère, je l’accompagnais aux entraînements, il m’emmenait dans les compétitions à Ivry. Voilà comment j’ai connu la lutte. On me donnait des médailles ! Comme j’accompagnais les adultes, quand ils gagnaient les championnats, ils me donnaient les médailles. Ça me plaisait, j’ai dit « J’en gagnerai plus tard » et puis voilà.

J’avais un autre frère qui faisait de la boxe. Et le père voulait que je fasse de la boxe, parce que j’étais un peu... je bougeais beaucoup, mais il connaissait pas trop bien la lutte mon père. Alors les frères ils se sont décidés. Et puis ma mère a dit « Comme celui qui fait de la lutte, il a l’air plus posé, plus gentil, on va le mettre à la lutte ». Et c’est comme ça que je suis parti, j’aurais pu aller faire de la boxe aussi.

Je préférais la lutte ! La lutte. La lutte. Et je suis parti faire de la lutte. Première licence, 9 ans. Et voilà, et ça m’a plu. Avec un petit frère de 8 ans. Et on s’est entrainés ensemble pendant 4 ans, jusqu’à 12 ans, mais on n’était que tout les deux. On était les seuls enfants qui étaient inscrits à cette époque à Ivry. Il n’y avait pas d’autres enfants qui pratiquaient la lutte. Ça a dû arriver quand ils ont commencé à faire un peu de pub sur la ville, mais c’était pratiqué que par des adultes là où j’habitais.

Mon frère qui pratiquait était beaucoup plus grand que moi, il était dans l’équipe nationale Algérienne. Il a 62, 63 ans, il doit avoir une dizaine d’années de plus que moi. Et lui il était menuisier, il est sorti de l’apprentissage et il est rentré dans une société de menuiserie et il a connu un type qui faisait de la lutte qu’il aimait bien, qui l’a emmené à la lutte. Il est devenu un bon lutteur et après il a pratiqué à un haut niveau en Algérie. Il luttait pour l’Algérie et puis il revenait. Il s’entrainait en France et quand il y avait des tournois internationaux, comme c’était un bon lutteur ici, il était d’origine algérienne, il allait pratiquer pour l’Algérie.

Je me rappelle de certains entrainements mais pas du premier. Ce qui m’a plu le plus dans la lutte c’était le corps à corps. Je ne sais pas comment vous dire ça ce qui m’a plu. Ça m’a plu la lutte ! Les prises, les amplitudes, les techniques... vouloir gagner, j’étais un enfant qui avait beaucoup la bougeotte.

À l’époque c’était pas du tout un sport connu et populaire. Moi si mon frère ne m’avait pas emmené, à part le football, le ping-pong, le handball, l’athlétisme... Les quatre premières années où j’ai démarré, il n’y avait que moi et mon frère qui pratiquions chez les jeunes dans toute la ville. Et après, quand il y a eu des jeunes, c’est parce qu’on en faisait moi et mon frère, et on avait des copains, ce qui faisait que ça attirait. Comme on habitait dans une zone de cité, ça attirait. Gagner une médaille, ça incitait d’autres jeunes à venir. De bouche à oreille, de parents à parents. Et c’est comme ça que dans ma ville il y a beaucoup de jeunes qui ont fait de la lutte. On était un très bon club, une dizaine d’années après. Il y a eu pas mal de bons lutteurs. Il y en a deux d’Ivry qui sont allés dans l’équipe de France. Moi non, j’ai pas pu, parce que j’étais pas français. Je suis né en France. Mais je suis né dans le mauvais... c’est parce que... je suis né en 62, c’est à dire que moi je tombe mal, mes frères qui sont nés en 63, eux c’était la double nationalité obligatoire. Et moi je suis tombé juste entre la loi, entre l’Algérie et la France, il fallait choisir. Et puis alors nous, c’est pas nous qui choisissions. Plutôt nos parents. A cette époque-là on ne pouvait pas laisser nos parents, on avait peur de... on était tributaire des parents, comme l’armée, voilà quoi. Ca pas été facile. Sinon j’aurais pu aller un peu plus loin au niveau lutte, en France.

Mon premier combat je m’en rappellerai toujours. Mon premier combat, à Ivry en plus. C’était les Jeux du Val de Marne, je m’en rappellerai toujours. On était deux. Et là 28 kg, poussins. J’ai perdu, j’ai pleuré. J’ai fait deuxième sur deux. J’étais le plus malheureux des enfants. J’avais perdu. C’était mon premier combat, j’avais perdu. Et par là suite j’ai plus perdu, en poussins. Et après j’ai fait que de gagner, tout, en poussins j’ai gagné tout après

C’était ma première année de lutte. J’avais 9 ans. On n’avait fait qu’une compétition vers la fin de l’année. On n’avait pas trop de compétitions comme aujourd’hui. On avait peut être trois ou quatre compétitions dans l’année, en poussins, pas plus. Benjamin, six, sept. En plus on n’était pas affilié à la Fédération Française de Lutte, on était FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail)... parce que c’était une ville de communiste, Ivry. J’ai eu ma première licence FFL en cadet, j’ai pu participer à mon premier championnat de France FFL en cadet, et encore il a fallu se battre, faut que je la demande. Enfin, se battre… mais bon, fallait pleurer quoi.

J’ai combattu avec mon frère et en même catégorie et en finale. Et j’étais pas plus fort que lui. J’étais pas plus fort que lui mais il se laissait battre. Parce qu’on se retrouvait en finale parfois mais il s’est toujours laissé battre. Il voulait pas lutter. Par contre en entrainement qu’est ce qu’on se mettait ! Ah ouais ! Et lui il a arrêté. Il était très fort, lui il aurait pu aller loin mais il a arrêté à 14 ou 15 ans. Il a préféré les études, il faisait un peu de football, de hand. Il est devenu maître nageur. Il n’a pas voulu continuer. Il s’y est remis 4 ou 5 ans après, il est allé faire champion de France FSGT en plus, mais bon par plaisir plutôt. Mais c’est un passionné, il aime tous les sports, il court beaucoup, il nage beaucoup.

J’ai transmis ma passion de la lutte à mon fils. Je pratique que la lutte. Je vais courir, je vais jouer un peu au football, je fais un peu de sport, je vais courir… Mais disons que je lui ai transmis ce que j’aimais et puis je l’ai emmené avec moi quand il avait 4 ans je pense, je sais plus, je l’ai emmené tôt. On a chahuté, joué, ça me permettait de l’avoir, de lui faire découvrir la lutte, il a aimé. Je l’emmenais un peu partout avec moi à la lutte, voir des tournois, aux entrainements et puis il a accroché. Il fait du hand. Il a fait deux ans de football aussi. Il accroche bien aussi au hand. Mais je pense qu’il aime la lutte. Ca se (re)transmet de famille. Mais il aime ça, je vois qu’il aime. S’il avait pas trop aimé… il peut faire du hand, il peut faire ce qu’il veut, il choisit son sport. Mais de toute manière aussi il veut tout faire ! Il a été un peu à la natation avec mon frère, il a voulu nager, l’eau… il est revenu voir le foot, il regarde la télé, il est vachement influençable aussi par le foot. il a un cousin qui va rentrer dans l’équipe de France de hand, ça l’impressionne, il a voulu goûter, là il est rentré dans le hand. Il accroche le sport.

La lutte c’est tous des enfants de. Vous allez à la lutte, vous enlevez les étrangers, tous les clubs c’est le fils de. Le père a pratiqué, le frère a pratiqué… Sinon je sais pas si on aurait beaucoup de lutteurs. Je crois pas. Je vois dans beaucoup de club comme à Créteil, Ivry, on se le retransmet tous. C’est de famille. Vous voyez beaucoup de familles, de frères, d’enfants de lutteurs, cousins de lutteurs... Ca se transmet beaucoup de famille en famille.

Je ne me suis jamais arrêté de lutter. Enfin si je me suis arrêté mais bon, j’ai eu un peu des petits soucis, mais sinon je suis licencié depuis l’âge de 9 ans à la fédé. Non, moi j’ai jamais été dégoûté de la lutte. J’en ai pratiqué à un haut niveau mais j’ai pas eu le temps, parce qu’il y arrive un moment, au bout de 10 ans, au niveau des régimes... même les très très hauts niveaux il doit y avoir un moment de... mais j’ai pas connu ça, j’aurai pu le connaître si j’avais pu aller... Mais non j’ai aimé, j’ai aimé. Pourtant j’ai souffert hein, pour devenir un haut niveau ! On n’avait pas les mêmes moyens qu’en France ! Parce que j’ai pratiqué du haut niveau en Algérie. Salle de muscu, ou le matériel, les conditions d’entrainement... c’était très dur. Et puis c’était sous la houlette d’un soviétique. Les années 82/84. C’était pas à l’Insep choyé et tout. Non, j’étais pas dégoûté. Au contraire, je pratiquais ma passion, j’allais faire des compét’, c’était super. Mais bon, ça a duré que deux ans. Après je suis revenu en France. Et puis là, j’ai pas pratiqué le haut niveau ici, à part les compétitions nationales.

Je ne suis pas retourné en Algérie pour la lutte. Il fallait faire une sélection, un résultat en junior. C’est l’année de mon départ pour partir à l’armée, ou en France, ou en Algérie. Comme je suis né en France, ici ils ne savaient pas si j’étais Français ou Algérien. Alors ils m’ont proposé d’intégrer le BJ et puis là j’ai dit « Je peux pas, j’ai pas la nationalité française » et il fallu que je parte, j’étais appelé sous les drapeaux algérien comme j’étais d’origine algérienne. Je suis parti en Algérie et effectivement eux aussi ils ont un centre militaire de sportifs de haut niveau. Je suis intégré, et de là je suis rentré dans l’équipe nationale algérienne. Et c’est là que j’ai pratiqué.

J’aurais pu être Français. J’avais un club, les éducateurs ils ne sont pas trop préoccupés. Il aurait fallu que je grandisse dans un club comme Bagnolet. Le mieux c’était Villejuif. Il y avait des bons éducateurs, des personnes qui avaient pas peur d’aller voir les parents. Parce que moi personne n’allait voir mon père ou ma mère dire…, personne. Nous on n’osait pas, dans l’éducation on n’osait pas, mais il aurait fallu qu’un entraineur imagine, qu’il aille voir mon père, lui dise « Voilà votre fils va être fort, il faudrait peut être l’orienter là.. », personne, personne. C’est pas de leur faute non plus mais bon. Nous on savait pas trop quoi faire, on parlait pas trop avec les parents, ça c’est un peu dans nos coutumes à l’époque, c’est plus comme aujourd’hui. Mon père je sais même pas si il sait ce que c’était la lutte, comme sport, à part le football et la boxe.

Mon père est jamais venu me voir. Jamais. Mon père c’est un émigré. Il est venu dans les années 55, les mines, dans le Nord. Il est descendu sur Paris pour la famille, il est devenu éboueur. Sur la banlieue parisienne. C’est huit enfants à charge, c’est le travail, rentrer, dormir. Ensuite il a eu une chance, il a ouvert un bar. Il a été aidé par un pied noir. Mais bon le sport, mon père... C’est des gens qui étaient illettrés, c’est pas des... Mais on n’a jamais rien manqué avec mon père, il a toujours été… avec ses enfants, huit. Il m’a jamais vu lutter, jamais. Ni ma mère. Préparé mes sandwichs, mes affaires et puis voilà.

Même pas à l’entraînement. Ils avaient plein d’autres choses à faire. Mon père il travaillait, il rentrait il allait se coucher. Il tenait le bar. Une fois je suis rentré avec la coupe, j’avais fait deuxième aux cadets, vice champion de France, FFL. J’ai ramené la coupe. Mon père : « C’est pas ça qui va te ramener à manger va ! » Fallait bien... à l’école, fallait travailler, quoi. Non mais ils savaient pas trop ce qu’est le sport, ce que ça peut apporter, ils savent pas. C’était un campagnard, un paysan mon père, un berger paysan, il vient du fin fond de la Kabylie, alors le sport…

Ah oui, j’aime beaucoup voir lutter mon fils. Je panique parfois, ça me... Ah ouais ouais beaucoup. Beaucoup beaucoup. Est ce que c’est bien, je sais pas, on verra... Je suis dur avec lui, quand il lutte. Un peu dur. Non mais c’est parce qu’il pleure trop. Ils pleurent trop les gosses là, ils chialent trop. Pour moi ils chialent trop. Ils abandonnent vite. Ils sont pris, et c’est fini, ils lâchent. Ça m’énerve, j’arrive pas à comprendre « ben non tu... » Ça c’est le souci qu’ils ont. Ils ratent un truc, ils râlent, ils sont défaitistes, je sais pas. Enfin je lui explique après, peu importe mais après on arrive toujours à discuter. On discute tout le temps après. Si je lui dis de faire des pompes il fait la gueule ! Mais bon, il faut savoir ce qu’il veut. Je ne lui ai pas demandé d’aller faire de la muscu, par contre je veux pas qu’il fasse de la muscu pour l’instant. Mais les pompes c’est bien, les abdos. C’est un feignant. Il est feignant aussi non, il est bon mais il est feignant. Il est un peu feignant. Bon je râle mais après il voit que je suis passionné.

Ah je me suis beaucoup battu ! C’est vrai, mais des bêtises, je me suis beaucoup battu, ouais beaucoup battu. Mais ça n’a rien à voir avec le sport, avec la lutte. C’est dans le milieu ou j’ai grandit. Et puis pour défendre des gens. Je me suis plus battu pour défendre les gens que pour autre chose, que chercher. Battu ouais, je me suis battu ouais ? des conneries.

Ça m’a calmé la lutte. Je crois que j’aurais été plus gros bagarreur que ça si j’avais pas fait de la lutte. Ça m’a canalisé un peu. Mais c’était dur, j’ai eu une période… c’est sur une période, c’est pas sur le long... mais sur une période oh lala... Je me suis servi plus de mes poings qu’autre chose. Mais par contre dans la bagarre la lutte ça sert, ça peut servir. Maintenant j’ai pas pris quelqu’un en ceinture et je l’ai jeté en l’air… parce s’il a le malheur de retomber sur la tête, il peut être mort. C’est instinctif un lutteur, si il se bagarre il peut avoir des... au niveau du corps à corps... ben vous regardez, dans l’UFC, les meilleurs au monde c’est les lutteurs, ça vient de la lutte. Les sports de combats que vous voyez là dans les cages, judokas, tous les sports… ce qui prime le plus c’est les lutteurs.

J’avais des fétiches moi. Mon slip, mes chaussettes. Ah ouais, le slip. J’avais un slip, celui là je l’ai gardé. J’avais fait 3ème au championnat d’Afrique en Égypte, c’était un slip à rayures, acheté à Alger en plus. J’avais fait une belle compét’, j’avais 21 ans, j’ai dit « je vais le garder ». Et puis je l’ai gardé, je suis venu ici, j’ai lutté avec pendant... enfin, que les compét’, parce qu’il a pas duré longtemps après. J’ai du le garder 4 ans. Je suis fétichiste. Mes chaussures. Mon maillot. Et mon slip. Le maillot non, c’était plutôt mon slip, mes chaussettes aussi. Ça c’est Adidas.

Il y a certains pays où c’est un peu religieux la lutte. Il y a des rituels. Il y a plus de 90 pratiques de lutte dans le monde. Moi à la rigueur... ça c’est pas une bêtise, je disais toujours : quand je meurs on m’enterre avec un maillot de lutte et une paire de chaussures de lutte.

J’ai gardé mon maillot de l’équipe nationale algérienne et un maillot soviétique qu’on m’a offert. Mon entraineur, je l’aimais beaucoup. C’est lui qui m’a fabriqué quand même. Mon entraineur soviétique, champion du monde. Nous en Algérie nos entraineurs, tous les sports, c’était des coopérants. C’était des techniciens des pays de l’est, Bulgare, Hongrois... Nous dans le domaine de la lutte, c’était un Russe. Anisimov il s’appelait. C’était un ancien champion du monde sous le drapeau de l’union soviétique. Il nous a entrainés. Il m’a fabriqué. Techniquement il m’a fait évoluer. Je suis arrivé ici j’étais fort, j’étais très très fort ici quand je suis arrivé. Il m’a entraîné pendant deux ans.

Je suis arrivé en Algérie en septembre 82, il m’a entrainé deux ans. J’ai démarré avec lui quand j’ai fait mon instruction militaire et je suis rentré dans l’équipe nationale trois mois après. Oui j’ai du rester 19 mois. Je pesais 62 kg. J’avais jamais pratiqué la musculation en France, et avec l’équipe nationale algérienne, les types de ma catégorie ils soulevaient 70 kg... un mec de haut niveau de ma catégorie il devait soulever minimum 78 kg... c’est pas énorme quand on regarde haut niveau. Moi j’arrivais même pas à lever 30 ou 40 kg. J’avais jamais pratiqué. En l’espace de deux mois… bon après les techniques, tout ce qui est muscu spécifique pour la lutte, j’avais démarré à 30/40 kg, à la fin développé couché je développais 100 kg. En lever lombaire je soulevais 60/80 kg. Physiquement il m’a fabriqué et techniquement. Et c’était énorme parce que c’est un apport énorme pour le sport de haut niveau.

J’ai pris des fresques à l’acropole d’Athènes. La base elle est là. La garde, la confrontation. C’est des prises réelles. toujours les mêmes, enfin plus techniques. Vous avez corps à corps. Ramassement de jambes. C’est la base. Là presque un bras à la volée, crochets de jambes. C’est ce qu’on fait encore aujourd’hui. Bon, plus poussé, plus technique.

Il y a beaucoup de lutteurs qui ont ça à la maison, même en t-shirt. L’un des derniers maillots de la FFL, il y a un petit logo comme ça. Ça revient toujours."

Interview de Hocine (lutteur)

Hocine est le fils de Djimil, lutteur. Il vient aux entrainements des Diables Rouges régulièrement. Il fait partie du groupe des minimes du club.

J’ai 12 ans.

La première fois que je suis allé dans un club de lutte, c’était à Créteil, j’étais en CP je crois, je ne me rappelle plus l’âge. C’est mon père qui m’a fait découvrir la lutte. Avant j’en avais déjà vu. Un jour mon père m’a emmené dans un club et jusqu’à maintenant j’ai jamais arrêté la lutte. Avant j’avais déjà été sur des tapis mais j’avais jamais fait vraiment de la lutte en club.

Mon premier club c’était Créteil, j’ai déjà été dans un club à Ivry aussi.

Ça m’a fait bizarre au début parce que je savais pas trop comment me débrouiller en lutte. Il y en a qui connaissaient, qui avaient l’expérience, moi j’étais en débutant.

Avant, j’avais déjà été voir sur internet comment c’était, j’en ai vu au Cirque d’Hiver aussi. C’était France-Russie je crois, je sais plus. En tout cas il y avait l’équipe de France. J’ai vu et j’ai bien aimé.

J’ai pas vu mon père combattre, j’étais pas encore né. J’ai vu des photos mais je l’ai jamais vu combattre.

C’est mon père qui m’a fait découvrir la lutte, il m’en avait déjà parlé, et on en parle toujours. Quand on est tous les deux, on en parle. On parle de la lutte, des compétitions et tout ça. On parle aussi des athlètes de lutte, après il me parle des techniques, il me raconte.

Mon père a été en équipe d’Algérie, pas en équipe de France ; il a déjà fait troisième au championnat d’Afrique, après il a fait troisième au championnat de France je crois, après il a lutté pour Bagnolet, aussi pour Ivry ; il a gagné des titres avec Bagnolet, parce que j’ai des médailles dans ma chambre, des coupes aussi. Il y a plein de médailles et de coupes. Il y a plein de compétitions qu’il a fait mais je les connais pas toutes.

Il y a des coupes et des médailles de mon père dans ma chambre, mais que certaines, parce que j’ai pas la place de tout mettre. Sinon je mettrais tout.

J’en ai gagné aussi, quelques unes. J’ai gagné quatre ou cinq coupes après les médailles, j’ai dû en gagner quatorze ou quinze.

A l’entrainement, j’aime bien à peu près tout. J’aime bien apprendre des nouvelles techniques, répéter celles que j’aime bien, et les petits matches à la fin, ça défoule un peu.

J’ai des techniques préférées. Je dois en avoir deux-trois. Il y a l’attaque de jambes normale, soulevé. Mais maintenant je vais plus trop soulever, mon père il m’a dit, parce que ça me fatigue, du coup après je prends les deux jambes et je mets le crochet, c’est plus facile. J’ai le bras à la volée que j’aime bien mais que je tente pas trop en libre parce que on peut me contrer. Et j’ai aussi l’attaque de jambes  à une jambe et le crochet.

Et après encore j’ai de la gréco. Mais l’année prochaine. J’en ai jamais fait. En compétition. L’année prochaine parce que là je suis trop jeune.

Je suis surclassé en libre mais on a pas le droit en gréco. Parce que c’est trop dangereux, du coup je l’ai fait que en libre. Surclassé.

C’est trop dangereux parce que on sait jamais, si par exemple un garçon plus physique que moi, il part. Alors que en libre, tout le monde en fait, dès que tu commences la lutte, c’est de la libre que tu fais.

Surclassé c’est quand tu luttes avec des plus grands que toi mais toujours le même poids. J’ai voulu parce que ça me fait apprendre. Je lutte pas pour gagner impérativement, c’est aussi pour apprendre, avec les plus grands. Comme ça, ça me prépare un peu pour l’année prochaine. Et puis après j’ai voulu découvrir comment c’était. Comme ça, ça me prépare pour l’année prochaine, je sais comment ça va être, le championnat de France.

C’est ma deuxième année en benjamin, l’année prochaine je passe en minime.

Mon premier combat, j’étais petit, c’était les départementaux du Val de Marne, c’était contre quelqu’un de mon club. J’ai gagné. Je me rappelle plus de son prénom, je me rappelle plus les points que j’ai marqué mais par contre c’était un ami à moi, on s’aimait bien, on était en club ensemble.

Mon premier combat contre quelqu’un que je connaissais pas, c’était la même compétition, j’ai gagné aussi. C’était contre quelqu’un de Alfortville ou Villejuif, je m’en rappelle plus. J’ai eu du mal à lutter, je m’en rappelle, contre lui. Il savait bien lutter et puis moi c’était ma première compétition. Moi j’ai commencé tard un peu. Si je voulais je pouvais commencer dès le début, mais j’ai pas commencé dès le début, j’ai commencé poussin C. Et donc du coup, il savait bien lutter en face. Mais j’ai quand même gagné. J’ai gagné par tombé.

Ma première défaite, je m’en rappelle. J’ai perdu 8-0.  La première fois que j’ai perdu c’était la compétition de Bagnolet je m’en rappelle. J’ai perdu 6-5. En fait je menais 5-3 et il restait vingt secondes à peu près. Il était énervé parce que je lui avais fait mal, et du coup moi j’étais plus trop concentré, du coup il m’a mis trois points. Et j’ai perdu. C’était contre un Hongrois. C’est ça ma première défaite. Oui, j’étais déçu. Les trois points, c’est parce qu’il m’a fait une attaque aux jambes, j’ai pas su défendre et il m’a mis sur le dos.

J’ai plus de victoires que de défaites. Je préfère les victoires que les défaites. C’est toujours bien d’avoir des victoires mais aussi des fois c’est bien de perdre, parce que ça t’apprend un peu.

Je me suis déjà blessé. Pas que dans la lutte, mais je me suis déjà blessé. Pas des grosses blessures. J’ai jamais eu des blessures au-dessus de deux mois. J’ai pas eu de grosses blessures. En compétition, j’ai toujours un petit truc, une petite douleur au doigt, mais là où je me suis le plus blessé, c’est à l’entrainement. A l’épaule. En compétition, je me suis jamais gravement blessé. Ah si ! c’était aux Iles de France cette année. En fait en-dessous du genou j’ai un Osgood, c’est quand on est grand, enfin quand on grandit, on a ça. Une boule en-dessous du genou. Du coup, j’ai voulu faire un crochet et mon genou il a tapé. Du coup après je devais faire la finale mais j’ai déclaré forfait parce que je pouvais pas lutter. Du coup, j’ai dû arrêter un mois et le médecin il m’a dit : « Si t’as encore mal, faudra t’arrêter un an à peu près. » Mais ça va. Là j’ai plus mal parce que je porte une genouillère maintenant. Avant j’en avais pas. Du coup, voilà. Ça me fait plus mal maintenant. Quand je m’entraîne j’ai une genouillère, du coup quand je reçois des coups qui touchent mon genou, ça va. C’est le choc qui peut faire mal. Mais non, sinon ça me fait plus mal.

Pour les benjamins et même pour les poussins, j’ai jamais fait de régime pour le poids. Mais cette année pour les surclassés, je fais plus attention ; je fais pas un régime : courir, perdre du poids. C’est : j’arrête les bonbons, les gâteaux. Et du coup ça me fait perdre du poids. Je lutte en benjamin 44 kg et en minime 42 kg. Toujours je suis à 100 grammes moins. Du coup je m’y prends à l’avance pour les championnats de France, c’est dans un mois, j’ai le temps. Là je m’y suis pris au début du mois. C’est un peu dur mais faut bien le faire.

Je suis pas bagarreur. Je me suis jamais bagarré. Je cherche pas, et du coup je me bagarre pas.

Je suis fils unique.

Avec mon père, juste des fois pour rigoler je lui fais des prises de lutte mais je le fais pas tomber.

Je me bagarre pas.

Mon rêve en lutte c’est d’être en équipe de France, et de faire champion olympique et tout. D’être fort, super fort.

Mon grand-père il faisait pas de lutte. Mon père m’a pas raconté pourquoi il avait fait de la lutte. Je sais pas.

Je sais que ça demande des efforts de devenir champion. Faire des efforts, ne pas être faignant. Oui je sais ce que ça demande. Ça demande plein de choses. Faire attention à son poids aussi. Plein de choses.

Au début Créteil c’était pour commencer. J’avais juste à traverser une rue. Je suis à côté du club en fait. J’habite juste à côté. Je suis venu à Bagnolet parce que je voulais commencer à être vraiment fort et comme Vadimc’est un bon entraineur, je suis venu ici. Et aussi parce que la mère d'un copain elle m’emmène, sinon je serai pas venu ici parce que mon père il travaille le soir, il peut pas tout le temps m’emmener. Du coup après on a vu avec la mère d'un copain et un père. Du coup ils m’emmènent des fois. Parce qu’on habite à côté.

J’ai pas d’entraineur fétiche, du moment qu’il entraine bien. Vadim c’est bien, comme entraineur c’est bien. Après on verra plus tard s’il y a d’autres entraineurs plus fort mais Vadim pour l’instant c’est bien.

Des fois je vais voir des compétitions quand c’est à côté. Par exemple, j’étais au tournoi de Paris, je sais plus si c’était au mois de janvier ou au mois de février, j’ai été le voir. Comme c’était à l’INSEP, c’était à côté, du coup j’y ai été une journée parce que il y avait une journée où j’étais en compétition. Mais sinon, oui, j’aime bien aller regarder des matches. J’aime bien aussi regarder les Iraniens lutter. Les Iraniens, parce que mon père il me dit tout le temps : « Regarde leur lutte, elle est bien leur lutte, il faut faire comme eux. » Parce que eux, ils ont une bonne lutte, ils sont tout le temps premier, ils sont super forts.

Comme objet symbole de la lutte, il y a peut-être les petites statues. Tous les lutteurs en ont. 0ù je vais, par exemple, chez Jean-Jean et tout, il y a toujours une petite statue avec un lutteur qui fait une prise. Ça, ça me rappelle la lutte. Moi j’ai que des coupes et des médailles.

J’ai fait de la piscine, du foot, et là je fais du hand.

J’ai jamais fait d’autres sports de combat. Pour moi, je fais de la lutte, ça me suffit. Et puis j’aime bien la lutte.

La lutte c’est individuel, le hand faut être collectif. C’est pas le même sport. Il y a du contact aussi au hand mais à la lutte faut être individuel et au hand faut être collectif.

On montre une image des fresques représentant des scènes de lutte, trouvées dans une tombe égyptienne à Beni-Hassan (1.800 av J.C.)

Ça me raconte l’histoire. Je reconnais quelques prises. Il y en a qu’on utilise toujours au jour d’aujourd’hui : tour de hanche ; prend la jambe et crocheter. Il y en a que je connais pas.

J’ai pas trop de bouquins de lutte ; les prises, je les apprends à l’entrainement Ou en regardant des vidéos de lutte. Sur youtube quand je regarde des lutteurs et que je vois qu’ils font des prises, après j’essaie de les faire à l’entrainement.

Ce qu’on voit sur le dessin, comme c’est à l’ancienne, je pense que c’est des débuts de prise. Après il y en a qu’on utilise plus. Il y en a qu’on utilise toujours.

Je connais vaguement l’histoire de la lutte. C’était à l’époque des Romains je crois, c’était un sport olympique, c’était le premier sport de combat. Je connais pas trop trop l’histoire.

Sur internet je regarde que de la lutte comme on fait. Quand je regarde, c’est pour apprendre des prises, la garde, plein de choses. Après j’aime bien regarder des vidéos de lutte aussi, ça passe le temps. Des combats, championnat du Monde et tout.

Ce que je trouve beau en lutte ? Les prises, enfin tout. A peu près toute la lutte.

Oui c’est fatigant la lutte, faut se reposer après. Après moi j’aime bien ça du coup je viens tout le temps mais c’est fatigant.

Le plaisir c’est tout le temps. J’en ai jamais marre.

Interview de Jean Legendre, dit Jean-Jean, (lutteur)

La salled'entrainement des Diables Rouges porte son nom : salle Jean Legendre. C'est lui qui a inventé le nom du club les diables (comme les petits diables), et ses couleurs, le rouge (parce c'est une couleur dont on se souvient). Il est là à tous les entrainements. C'est le vieux monsieur qui, la main sur le menton, regarde les lutteurs. Il dit qu'il se sent bien quand il est avec eux. Qu'il se sent toujours bien quand il est avec eux. Aprés l'entrainement, il leur fait des pâtes chez lui. jean jean main mentonpour site

Chez lui, c'est une maison au bout d'une cours dans le vieux Bagnolet. Dans sa rue, il y a des pavillons, des immeubles des années soixante-dix, et des murs crépis de vieilles maisons. Les fenêtres sont murées, les parpaings tagés. Le numéro correspond à une grand portail. Quand on sonne on n'entend pas où résonne la sonnette. On attend devant la porte. C'est Jean-Jean qui vient ouvrir. On passe devant un quai de déchargement pour entrer dans une pièce meublée en formica. Aux murs des photos d'un jeune gaillard athlétique montrant ses biscotos. On boit du Tang. On grignote un biscuit savane. On écoute Jean-Jean.

 jean jean portraitpour site

Jean-Jean :

« Vous êtes de Bagnolet? Non? Ah... Moi, je suis de Bagnolet. J’ai quatre-vingt cinq ans. Je suis né le 27 janvier 1930. Quatre vingt-cinq ans que je vie à Bagnolet. J’ai 67 ans de licence de lutte. Mon fils aussi était lutteur. 

La lutte, j’ai commencé à 17 ans. C’était en 1947. C’était à la salle de lutte du Groupe Travail. C’était une grande école, elle était belle, pour aller dans les classes, on montait un perron. Il y avait dessous un escalier qui descendait. À droite de l’escalier il y avait la porte de la salle de lutte, à gauche la porte de la salle de gym.

J’avais un petit copain, on chahutait ensemble : viens faire de la lutte avec moi, il me dit. Lui il a arrêté, et moi j’ai continué. Je suis entraineur depuis 1951.

Les Diables Rouges c’est moi qui l’a créé. Un petit diable, vous voyez c’est quoi, un petit diable ? C’est un gamin qu’a du tonus. Et ben nous on est les diables rouges de Bagnolet. Parce qu’au début on avait un vieux maillot, il était tout vert, il était triste, personne ne luttait avec un maillot rouge, c’est moi qu’a eu l’idée qu’on ait un maillot rouge. C’est pour ça qu’on est les diables rouges de Bagnolet. C’est une belle couleur le rouge. C’est la couleur du sang. Notre maillot rouge on le remarque de loin. On est les Diables Rouges de Bagnolet. Qu’est-ce qu’on s’en est pris dans la gueule avec ce nom ! Tout le monde croyait qu’on était communiste. Ben oui, Bagnolet, c’était une ville communiste. Pourtant, nous, on était pas spécialement communiste. On a même un entraineur, il s’est présenté aux élections contre les communistes. Mais rien à faire, quand on luttait à Berck, à Tourcoing, tout le monde il croyait qu’on était des communistes.

La première fois que j’ai lutté, j’étais un peu trouillard, un peu émotif. On est corps contre corps. C’est troublant. On peut lutter partout. Contre tout le monde. L’homme il a du commencer par lutter contre les animaux.

Moi, j’ai commencé à lutter à dix-sept ans. J’ai commencé à travailler à 15 ans. J’étais ripeur. Un ripeur c’est un aide-chauffeur. Le chauffeur, il conduit, et le ripeur il charge, et décharge. A 18 ans, je suis monté chauffeur/livreur. J’étais costaud comme gamin. J’ai toujours été costaud. Au basket, il suffisait que je donne un petit coup d’épaule pour leur piquer le ballon.

J’ai vite fait des compétitions. Le championnat des novices. La première série. Et puis la deuxième série.

Mon premier combat, je l’ai six ou sept mois après avoir commencé. C’était un combat amical. Un an après, je faisais le championnat de France. En 1948, j’étais champion de Paris, c’était à Boulogne-Billancourt, chez Renault, au gymnase Marcel Sembat. C’était des combats difficile. Ça se passait en 15 minutes consécutives. C’est long. J’ai été champion de France en 53 à Reims. J’ai arrêté de marquer mes combats à partir de 1956. Quand j’ai arrêté, j’étais à 660 combats. 600 victoire, 60 défaites.

A l’époque, en challenge, on luttait contre des catégories plus lourdes. Des gars qu’avaient 15 à 20 kg de plus que moi.

Jean Jean par Nathalie Rouckoutpoursite

Photo Nathalie Rouckout

Et puis j’ai fondé les Diables Rouges. Je me rappelle plus quand j’ai fondé les Diables Rouges. C’est dans le journal officiel. Si vous cherchez vous trouverez dans le journal officiel. Le nom, c’est moi qui l’a trouvé. Personne peut me le reprendre. On est les Diables Rouges de Bagnolet. On a des russes, des Tchétchènes, ils viennent au club, ils nous demandent pour vous vous appelez les diables ? C’est pas la religion, je leur dis. Un petit diable, c’est un gosse en pleine santé.

Des combats, j’en ai fait. J’ai été sélectionné pour les jeux de Melbourne. J’y suis pas allé. C’est une question pécuniaire. La fédération, elle m’envoie une lettre pour me dire je suis sélectionné. Je vais voir mon entraineur, il me dit, oui, c’est vrai, tu seras logé, nourri à l’INSEP. Tu seras défrayé aussi. Tu auras un petit pécule. J’ai demandé, combien, et ça faisait pas l’équivalent de ma paye. Je dis bon, mais faut aussi que je prévienne mon patron. En fait, mon patron, c’était ma mère. Je vais la voir. Elle me dit, ah, ben, c’est sûr ça m’emmerde cette histoire de jeux olympiques, mais bon, ça te fait plaisir, alors on va s’arranger. Ça se présentait bien. J’ai commencé à m’entraîner à l’Insep. Et puis un jour, je me suis allé voir mon entraineur, je lui ai demandé : et ma femme ? Il m’a dit parce que t’es marié ? Je lui ai dit : on est jeune mariés, elle doit m’accompagner. Il s’est renseigné. Il est revenu, il m’a dit : mon petit Jean, on n’a rien trouvé pour ta femme, on peut pas la loger, elle peut pas venir. Alors, je lui ai répondu , ben mon petit Louis, si c’est comme ça j’y vais pas. J’allais pas laisser ma femme en France, toute seule sans revenu. J’allais pas la laisser crever de faim la pauvre. Je suis resté travailler en France. Je regrette pas. Je regrette pas.

Les Diables Rouges, on est la meilleure équipe de France. Vous savez ça ? On a un champion olympique. Un champion du monde. Steeve Guenot. Ces derniers temps, nos titres on les a perdu à cause du pognon. Le 93 a supprimé de l’argent. Et Bagnolet, la ville, même chose. On peut plus vivre. On a déclaré forfait pour le championnat 2014. Le champion en titre qui déclare forfait, ça la foutait mal à la Fédération.

Quand je combattais, dans l’année, je faisais 50/60 combats. Les adversaires fallait les éliminer. Pour gagner une compétition, il faut battre tout les autres. Je m’entrainais trois fois par semaine. Et c’était pas assez encore. Il faut s’entrainer tous les jours. C’est comme ça qu’on peut gagner. Autrement, on fait de la figuration. Il faut faire que ça. Les américains, ils font soi disant des études jusqu’au 40 ans, c’est l’université qui les paye pour s’entrainer et lutter. Et les russes ils sont tous pompiers.

Je suis devenu entraineur aussi. Quand on est entraineur, on se néglige pour améliorer les autres. J’ai arrêté la compétition à 39 ans. Cette année là, c’est Bagnolet qui organisait le championnat. Je me suis dit. Là, c’est l’occasion. C’était en 69. C’était au gymnase Maurice Vacquet.

Je travaillais pour ma mère. Ma mère, elle travaillait aux halles. On avait un dépôt au coin de la rue Tiquetonne. Les clients, ils faisaient apporter les légumes, les produits qu’ils venaient d’acheter. Et nous on les livrait à leur boutique. Et puis, on a construit Rungis. Les clients, ils se sont achetés leur propre camionnette. Le boulot a diminué, alors j’ai commencé à faire les marchés. Je faisais les marchés à Bagnolet, le samedi et le dimanche. Je chargeais, je déchargeais les légumes. J’ai toujours été costaud, je vous dis.

La première qualité d’un lutteur, c’est la force. De mon temps, les plus forts, c’était les turcs. C’est pour ça qu’on dit « fort comme un turc ».

Il y a de la camaraderie dans le club. On fait des échauffements très dur. Parce que les muscles froids, ça pète. On s’échauffe une demi-heure au moins. Il faut que quand on combat, les muscles ils soient chauds.

J’ai remarqué qu’au bout d’un an à faire l’entraineur, j’ai commencé à me faire battre. Je me faisais battre par des gars je d’habitude, je battais. Alors j’ai dit au président : il faut que je reprenne. J’étais bénévole, comme tout le monde, j’étais bénévole. J’essayais de les amener au plus haut. La veille de leur combat, quand je m’entrainais avec mes élèves, j’en prenais plein la gueule. Je les provoquais pour qu’ils soient au plus haut. Mais après le championnat, ils étaient fatigués, alors c’est moi qui leur en foutait plein la gueule.

On a l’habitude de la voix de son entraineur. Au milieu de tous les cris, c’est la seule qu’on entend. On communie avec son entraineur. Un sportif, il compte beaucoup sur son entraineur.

Moi, j’aimais la compétition. Sur le plan physique, j’étais très fort. J’aimais les challenges. Lutter avec les catégories au dessus. Je luttais avec des types plus lourds, des gros plus forts. Je travaillais ma rapidité, ma souplesse. Au début, on s’étudie : le placement des jambes, le placements des bras. Mais faut faire gaffe, des fois on tombe sur un rapide. Il attaque direct. Au bout de quelques compets en France, on se connaît tous. On a tous une prise favorite. On essaye de la placer. Et puis, les autres, ils finissent par la connaître cette prise là. Alors ils se méfient. Et ça devient plus dur.

Mon fils. Jean-Michel. Il a commencé à cinq ans. Il a été champion de France. Il a fait les championnats d’Europe, mais il s’est fait battre.

Primo Massida. Notez bien ce nom. C’était un des lutteurs des Diables Rouges. Il est devenu entraineur national. Il a fait les JO à Séoul avec l’équipe de France.

Moi, je me suis dit. Le premier de mes élèves qui va me battre, ce sera mon fils. Mais je le laisserai pas me battre avant qu’il ait 18 ans. Il était très fort. Il s’entrainait à INSEP. Il a fait le bataillon de Joinville. Finalement, la première fois qu’il m’a battu, il avait 17 ans. Il a gagné à un point contre moi. On s’en est foutu plein la gueule.

Ma femme et moi, on avait le béguin. Mais quand je l’ai connu, je lui dit : ma vie, c’est la lutte. Elle m’a dit : OK, ta vie c’est la lutte. Alors, elle faisait la troisième mi-temps. On revenait de l’entrainement avec les copains, on mangeait des pâtes, elle était avec nous. Elle a perdu son dernier combat, il y a vingt ans de ça. Elle a perdu contre le cancer. Ça fait 20 ans que je suis veuf. Ça fait 20 ans qu’elle me manque.

Ma femme, elle faisait les marchés avec moi. On était marchand forains tous les deux.

 

Du catch, j’en ai fait, oui, c’était sur l’angle rigolo. On l’a fait par amitié pour des copains qu’avaient des problèmes. Quand un catcheur s’était blessé, alors on y allait. Mais on l’a jamais fait en professionnel. Lui, là sur la photo, vous voyez ? C’était un de nos entraineurs aux Diables Rouges. Il faisait l’arbitre. Le gros, c’était mon copain. Il pesait 127 kg. Il faisait le gentil, et avec mon autre porte, là sur la photo, on faisait les méchants. Le nom du gros, c’était le seul professionnel, c’était Franck Bauman. Quand c’est moi qu’organisait la rencontre, c’est moi qui jouait le gentil. Quand c’est Franck qu’organisait, on faisait les méchants. On avait une belle équipe de catch à Bagnolet. Au catch, il faut aller vite. Il faut qu’il se passe quelque chose. Il faut aider son adversaire.

A la lutte, c’est le contraire. Le catch, c’est un spectacle, la lutte c’est un sport. Au diables rouges 27 titre de champion de France individuel on a . Moi, j’ai toujours été bénévole. Au mieux on m’a donné le sucre pour mettre dans mon café. Aujourd’hui encore, il y a pas un lutteur qui vive de son art. Pino Masido, vous vous rappelez, je vous en ai parlé déjà, c’est le seul d’entre nous qu’en a vécu de la lutte.

Les championnats, c’est important. On fait comme tout le monde. Pour les championnats par équipe, on engage des renforts. On les fait tirer une bourre, vous comprenez ? tirer une bourre, combattre quoi.

Moi, dans la vie normale, jamais je me suis battu. Une fois, si, je me souviens, j’ai foutu deux tartes à des types. Mais j’ai la main un peu lourde. Ils sont tombés tous les deux. Pourtant j’ai pas mis le poing. Mais, c’est vrai je tapais lourd. Avant, les bagarres, c’est à un contre un qu’on se foutait dessus. Avant, aux Diables Rouges, une fois par ans, on faisait un bal . Maintenant, on veut plus prendre la responsabilité. Les types, ils se battent plus, ils tombe à dix sur un.

Aux Diables Rouges, on essaye d’inculquer aux jeunes le respect de l’arbitre et des adversaires. Les arbitres, sur le tapis, c’est les seuls qui sont payés. Ils sont payés par la fédération. Ils peuvent faire des erreurs. Moi, j’ai jamais contesté les décisions des arbitres. Vous savez quoi ? J’ai été décoré par le général de Gaulle. Il m’a donné l’ordre de la courtoisie. C’est Ramoutcho « le roi de la montagne » qui m’a accroché la médaille. Et Roger Couderc, il était là aussi. C’est eux qui m’ont remis la récompense.

Les arbitres, sur le tapis, je leur parle pas. Les arbitres, si je leur parle, c’est dans les vestiaires. C’est vrai, c’est difficile d’arbitrer. Ça dépend de l’angle de vue de l’arbitre. Il y a des prises plus ou moins nettes. De toute façon, on pense ce qu’on veut, mais s’il n’y a pas d’arbitre, il n’y a pas de sport.

Si vous voulez faire un truc qui soit pas vu par l’arbitre, il faut faire tourner votre adversaire de l’autre côté. Comme ça, l’arbitre, il peut pas voir .

J’ai jamais été en colère contre des adversaires qui faisaient des trucs pas correct, mais contre l’arbitre qui laissait faire. Alors, l’arbitre et moi, après, on en parlait dans les vestiaires.

Mais la lutte, c’est un sport amateur. Il y a pas de pognon à gagner la dedans.

Pour gagner leur vie, il y a des lutteurs, ils passent au rugby. J’en connais des anciens des Diables Rouges, ils gagnent 2000 € par mois à Toulon.

Les contrôles antidopage, il y en a plein. Guenot, ils sont venus chez lui trois fois. Et trois il était pas là. Qu’est ce que vous voulez que je vous dise ? Il a 29 ans. Il est beau gosse. Il est champion olympique. Il va pas appeler la fédé chaque fois qu’il va chez une fille. C’est dur leur truc de suivi des champion. C’est dur. Il faut tout le temps leur dire où on est. Bon, les JO, il pourra les faire. Mais est-ce qu’il sera en bonne condition ?

La balance, ah, ça c’est terrible. En 1955, au gymnase Japy, je défendais mon titre de champion de France. J’avais pas le poids. J’ai mis 55 minutes pour perdre les 100 grammes en trop. Pour faire le poids, vous mangez rien pendant une semaine. On se couvre de survêt, de couverture pour suer le plus possible. On courre. On saute à la corde. On se fait malaxer par les copains. Les dernières 24 h, vous buvez plus une goutte. On s’humecte juste les lèvres. Du fait qu’on boit plus, on arrive plus à pisser. Bon maintenant, il y les saunas pour arranger un peu l’histoire. C’est dur, ah, oui, très dur la pesée. Moi, j’ai toujours été un buveur de bière. Après un championnat, mon premier mouvement, c’était d’aller à la buvette. Je regardais le type descendre la pression. Remplir mon bock. Ah, j’aurai pu payer 10 sacs pour cette bière là.

De toute façon, on y peut rien. Qui dit catégorie, dit bascule. Après la pesée, les gars, ils reprennent 3 ou 4 kg en une demi journée avant leur combat. Ils descendent des litres d’eau. C’est très difficile de rester sans boire.

Je me suis jamais blessé. J’ai jamais blessé personne. Mais la balance… Ouais, la balance, c’est dur. »


 https://vimeo.com/125122247

Interview de Manvel et Gagik (lutteurs)

Manvel et Gagik sont deux jeunes lutteurs du club de Bagnolet Lutte 93 (Les Diables Rouges). Ils sont inséparables, font partie de la bande des minimes du club. Ils font de la lutte gréco-romaine. Manvel et Gagik sont champions de France chacun dans leur catégorie cette année 2016.

M.

La première fois que je suis monté sur un tapis de lutte, j’ai trouvé que c’était mou. J’avais onze ans, c’était mon premier entrainement à Bagnolet.

J’étais venu une fois avant pour voir si ça me plaisait ou pas. C’était un mardi. Je m’étais assis sur le banc et j’avais regardé l’entrainement. Au début ça ne m’a pas plu parce que je voyais que c’était beaucoup corps à corps. Je regardais les grands, ils se jetaient, Ils faisaient des souplesses. J’ai trouvé ça très violent. Je n’avais que onze ans, ce n’était pas comme maintenant. Quand on le fait soi-même ce n’est pas la même chose que quand on regarde.

Le mercredi et le jeudi je suis resté chez moi. J’ai réfléchi.

Le vendredi, je suis venu essayer, c’était mon premier entrainement. A cette époque, j’étais un peu gros. J’ai eu du mal, les saltos, les roulades, j’avais du mal. Ça me faisait mal au début. Après ça m’a plu. J’ai direct aimé ce sport, je ne sais pas pourquoi. Dès que je suis rentré sur le tapis, après le premier entrainement.

Je n’avais jamais vu de lutte. J’avais un ami dans le même immeuble que moi. C’est grâce à lui que je suis venu voir l’entrainement. Son père avait conseillé à mon père de m’amener voir un entrainement et lui avait dit que si ça me plaisait je pourrais m’entrainer. Comme son fils était mon ami, j’ai voulu venir.

Je ne connaissais pas la lutte alors que c’est très connu en Arménie. J’en avais entendu parler. J’avais vu des compétitions où j’habitais (à Oshokan en Arménie)mais j’étais petit, j’avais cinq ans, six ans. Je ne comprenais pas. Mon père et le frère de mon père ont fait de la lutte pendant deux ans mais ils n’ont pas continué, ils sont allés à l’armée, après l’armée ils se sont mariés et ils n’ont pas eu le temps pour les entrainements. Mon père ne m’en avait jamais parlé.

G.

Quand j’étais tout petit, j’avais trois ans ou quatre ans, je regardais tout le temps des vidéos de lutte, mon père m’en parlait, mes amis aussi. Je disais tout le temps à mon père que je voulais faire de la lutte, que je voulais m’entrainer. Il y avait un club juste devant chez nous. Un jour mon père m’a dit : « Est-ce que tu veux le visiter pour aller voir l’entrainement ? » J’ai dit oui. Je ne savais pas qu’il y avait des entrainements. Pour moi quand on rentrait sur le tapis, c’était une compétition. C’était ce que j’avais vu sur les vidéos. Après j’ai vu qu’il y avait des entrainements, je me suis dit qu’il allait falloir que je m’entraine. C’était difficile. J’ai commencé à m’entrainer et c’était super bien. C’était en Arménie, dans la capitale, à Erevan, j’avais neuf ans. En fait je m’entrainais avec mon père à la maison. Mais il ne me disait pas qu’il y avait des entrainements tous les jours, qu’il fallait que je m’entraine pour être fort pour aller aux compétitions.

Mon père en a fait pendant six ou sept ans. Je ne l’ai pas vu lutter. J’ai beaucoup de cousins qui faisaient de la lutte. Mon frère S. en fait aussi. Mais en fait il n’aime pas la lutte. Il en fait juste pour ses muscles, pour s’amuser, pour être avec moi. Il a un an et demi de plus que moi. Nous avons commencé ensemble.

M.

Ma première compétition c’était les championnats d’Ile de France. Je m’entrainais depuis un mois et demi. Je ne savais pas ce que c’était. On n’était que trois à y aller : moi, Grigor, et quelqu’un d’autre qui ne fait plus de lutte.

Je suis arrivé, je ne savais pas comment ça se passait. Personne ne m’avait rien dit. Je me suis assis sur le banc et j’attendais que l’entraineur me dise ce qu’il fallait faire. Il me dit qu’il faut aller me faire peser. Je ne savais même pas qu’il y avait des catégories de poids, des catégories d’âge ! J’ai mis le maillot, je suis allé me peser. Il y avait les tableaux. Je stressais, je ne comprenais pas ce qui se passait. Je commençais à trembler, je ne sais pas pourquoi, je ne savais pas ce qui se passait. Je n’avais pas peur mais j’avais le stress. Après il y a eu les combats. Je crois que j’ai fait cinq combats. J’ai gagné mon premier match, c’était contre un débutant qui venait de commencer comme moi. Après j’ai tout perdu. Je m’énervais à chaque combat, dès que je sortais je tapais sur le mur comme un fou. A un moment, Didier (Didier Duceux, président de Bagnolet Lutte 93)est venu me calmer, il m’a dit : « C’est pendant le match que tu dois t’énerver, sur le tapis, ce n’est pas en dehors. »

Depuis, je n’ai plus perdu de compétition.

C’était les combats qui me faisaient peur. J’avais peur de perdre. Parce qu’il y avait mon père et je ne voulais pas perdre devant lui. C’est toujours la même chose actuellement. Je n’aime pas perdre quand il est là. Ce n’est pas pareil quand il est là. Je ne peux pas perdre devant lui. Au pire, si mon adversaire est vraiment plus fort, je donne tout et je peux perdre, je n’ai pas de regret si je perds. Quand je perds devant mon père, il ne dit rien mais je sens qu’il n’aime pas. Dès que je gagne, il me dit : « Viens, je suis fier de toi. » Quand je perds, il ne fait rien mais je sens qu’il n’est pas bien. Il s’inquiète.

Quand je me suis pesé cette première fois, je faisais 40,500. La catégorie en dessous c’était 40 kg et celle du dessus 45 kg. Du coup à cause de cinq cents grammes j’étais avec des mecs qui faisaient quatre kilos de plus que moi. Je ne savais pas ça. C’est après que c’est venu, la perte de poids ; j’ai commencé à perdre du poids, beaucoup de poids même.

G.

Pour ma première compétition, je n’étais pas du tout stressé. Comme je regardais des vidéos tout le temps, je savais qu’il y avait la pesée, qu’il fallait que je m’échauffe, qu’il y avait des catégories. Je m’intéressais vraiment beaucoup à la lutte. À la maison, quand mon père parlait avec ma mère, qu’il disait « aujourd’hui il fait beau » moi je posais directement une question sur la lutte. C’était comme ça tout le temps. A l’école, aux profs, à tout le monde. Je ne parlais que de lutte. J’étais comme ça.

Ma première compétition, c’était en Arménie, j’ai fait deuxième ou troisième. J’ai fait six matches, j’ai gagné trois ou quatre matches, après j’ai perdu, après j’ai gagné les autres matches. J’étais un peu stressé quand même mais pas tant que Ml. Je savais comment ça se passait, je savais tout, je savais qu’il fallait que je gagne. J’étais juste stressé parce que je savais que j’avais des adversaires aussi fort que moi et qu’il fallait que je fasse premier.

Ma première compétition c’était deux mois après avoir commencé la lutte. Mais en fait j’étais bien fort ! Quand j’ai perdu, j’étais un peu triste mais mon père m’a encouragé, il m’a rien dit du tout. Il m’a dit : « C’est ta première compétition, même si tu perds, même si tu gagnes, je suis fier de toi. »

Mon père m’avait accompagné. En fait il m’accompagne tout le temps. Au début ça ne me gênait pas, j’étais petit, je venais de commencer la lutte. Maintenant, si je perds, mon père il va pas me frapper ou il va pas m’insulter, il va me dire quand même qu’il est fier de moi, mais c’est pas comme quand je gagne, il est un peu déçu. Comme tout le monde.

M.

Quand j’étais petit en Arménie, comme je ne savais pas ce c’était que la lutte, je ne savais pas qu’il y avait de la gréco et de la libre. C’est après que j’ai appris.

G.

En Arménie, ce que je voyais c’était de la gréco. Je ne savais pas qu’il y avait de la libre. Il y avait des horaires différents pour la libre et pour la gréco. Je regardais sur la feuille et je voyais qu’il y avait des entrainements pour la libre. Après je me suis dit que je préférais la gréco. Vu que je regardais des vidéos de gréco et que mon père avait fait de la gréco.

Avant de venir à Bagnolet, j’étais à Sainte-Geneviève-des-Bois. Parce que j’habitais vers Evry. Je m’étais renseigné pour savoir s’il y avait un club et j’ai vu qu’il y en avait un à Sainte-Geneviève-des-Bois. J’y suis allé, mais il n’y avait pas de gréco dans ce club, il n’y avait que de la lutte libre. Un jour ils m’ont dit qu’il y avait une compétition, mais de lutte libre. Mon père m’a dit de ne pas y aller car j’avais fait de la gréco et pas de la libre. Plus tard, il y a eu une autre compétition, de lutte libre aussi. Je me suis dit que si je ne faisais pas les compétitions… J’y suis allé et j’ai rencontré M., Gr., j’ai vu tout le monde en fait. (Les lutteurs de Bagnolet).C’était le grand prix de Bagnolet. J’ai vu qu’il y avait des arméniens, des entrainements pour la gréco. Et puis voilà ! Je suis venu ici. Et mon frère S. aussi.

A Sainte-Geneviève-des-Bois, je me suis entrainé pendant six mois. Je m’entrainais en gréco avec S., avec mon frère. Pas avec les autres. Sur un tapis. Il faut juste un tapis.

Là-bas, je ne parlais pas, je ne rigolais pas. Il n’y avait que des Tchétchènes là-bas. Entre eux.

Quand je suis arrivé ici, c’était bien ! C’était bien, je m’entrainais bien, j’ai vu qu’il y avait des progrès.

M.

Avant que G. arrive au club, moi et Gr. on faisait de la libre. C’est après son arrivée qu’on a commencé la gréco. Parce que moi et Gr., la lutte libre, on n’y arrivait pas. Chez les arméniens, il n’y a que la gréco qui marche ! On a ça dans le sang. C’est ce qu’on dit.

On était les deux seuls jeunes à s’entrainer avec les grands. Il y a deux entrainements : un pour les petits et un pour les grands. On ne venait pas à l’entrainement des petits. Des fois, Didier se fâchait : « Pourquoi vous ne venez pas à l’entrainement des petits ? » À l’entrainement des petits il y avait des enfants de notre âge et de notre poids et c’était mieux de s’entrainer avec eux, mais ils n’étaient pas comme nous. Nous on avait déjà beaucoup d’avance. Parce que Vadim (Vadim Guigolaev, entraineur de lutte libre à Bagnolet Lutte 93)nous montrait beaucoup de techniques à l’entrainement des grands. Donc on avait la lutte plus développée qu’eux. Parce que eux ne faisaient que des techniques qu’on fait chez les jeunes. Nous, on faisait déjà des techniques que les grands utilisent.

G.

Quand je suis arrivé en France, je ne me suis pas entrainé pendant six mois. Je ne sais pas pourquoi. J’avais dix ans et demi. Puis je suis allé à Sainte-Geneviève-des-Bois, mais je n’étais pas aussi fort que maintenant. Je ne m’entrainais pas comme ici. Comme S. était lourd, je n’arrivais pas à m’entrainer comme il faut avec lui. Quand je suis arrivé ici, j’ai vu que je commençais à progresser, mon père m’encourageait. Et je me suis dit que j’allais rester à Bagnolet.

Le match qui m’a marqué, c’était à Dijon, aux finales. Le mec était vraiment fort, comme moi ! Il n’était pas comme les autres. Avec les autres, je faisais 10-0 ou 8-0, je gagnais tout le temps. Lui, il était bien fort. J’ai lutté avec lui pendant quatre minutes, jusqu’à la fin du match. J’ai gagné.

La deuxième fois, c’était à Créteil, le mec il était vraiment nul. J’ai gagné le match en neuf secondes. Je m’en rappellerais tout le temps. C’était vraiment facile ce match.

M.

Le match qui m’a marqué, c’était la finale des championnats de France, il y a une semaine.

Mon adversaire n’était pas super fort. Mais c’était moi le problème. J’ai fermé ma lutte. Ce n’était pas ma lutte. Tout le monde me l’a dit après le match. J’avais peur en fait. De perdre.

Je fermais ma lutte, je faisais attention. Pourtant, vous pouvez demander à G., je lutte toujours ouvert aux entrainements. Je fermais tout pour qu’il n’ait pas une chance de gagner. Je gagnais. A la fin du match, il restait une minute et demie, j’ai voulu faire une technique super belle mais très dure, j’ai voulu bien finir le match, mais je l’ai ratée. Je me suis retrouvé en situation de perdre. On était à 2-2, il restait sept secondes. J’arrive, je tente, je n’y arrive pas, il reste quatre secondes. On était au sol. L’arbitre fait relever parce que la lutte s’était arrêtée. Il restait quatre secondes, j’arrive, bras dessous et je le sors. L’arbitre donne deux points. Je vois qu’il reste encore deux secondes, et je gagne ! En fait l’entraineur de l’adversaire a jeté le truc (il demande le challenge vidéo) pour revoir l’action. Ils l’ont annulée et m’ont attribué deux points ! Toute la salle a applaudit, j’étais super content. J’avais gagné le match : il restait deux secondes, il ne pouvait plus rien faire. Au début je m’étais énervé parce que j’avais fait une technique à quatre points et ils avaient demandé le challenge. Les arbitres avaient accepté. Après, on a regardé la vidéo avec les entraineurs et Didier : il y avait point pour moi. Les arbitres ont fait une très grave erreur. À cause de cette erreur, je pouvais perdre. Je n’aurais pas été champion de France.

G.

Moi pareil, je suis champion de France.

M.

Lui, c’est la deuxième fois.

On n’est pas dans la même catégorie. Maintenant oui. Avant non. Je suis en 50 kg. On fait le même poids, mais au début de l’année, quand j’ai fait les qualifications au championnat de France, je faisais 51 kilos. J’ai perdu un kilo et j’ai lutté en 50 au lieu de lutter en 55. C’était plus intéressant de lutter en 50. Il restait quatre mois avant les championnats de France. Pendant ces quatre mois, je suis monté de cinq kilos. Je faisais 56. Je ne pouvais pas lutter en 55 puisque j’avais fait les qualifications en 50. J’ai dû perdre six kilos pour redescendre en 50. Depuis, j’ai repris le double ! Je fais le même poids.

G.

L’année dernière je luttais en 42. Après j’ai fait deux compétitions en 46. Ensuite 50. Et ensuite 55.

M.

En fait, nous deux, on perd beaucoup de poids.

Vous faites des régimes ?

M. et G.

Oh là là …

G.

C’est vraiment difficile.

M.

Pour moi c’était plus difficile de perdre du poids que de gagner les championnats de France.

Le poids c’est…

Au début, on commence doucement, on commence à faire attention, avec des légumes. On arrête le chocolat. On sent que notre corps n’est pas comme avant. Avant le régime, pendant un entrainement de lutte, on peut perdre tranquillement un kilo. Quand on commence à perdre du poids, même si on s’habille, vers la fin, on ne perd même pas cinq cents ou quatre cents grammes. C’est ça qui est difficile.

G.

Ça devient de plus en plus difficile.

M.

On dirait que notre corps sent qu’on a un objectif. A un moment, je faisais 55 et je suis descendu en 46. L’étape de 55 à 50 était facile. C’est après que c’est devenu difficile. Maintenant, quand je dois descendre en 50 et pas en 46, ça devient de plus en plus dur. On dirait que mon corps sait que je dois descendre en 50. Mon corps se défend. C’est un bouclier. Tout le monde me dit que ce n’est pas bien de perdre du poids mais…

G.

…mais à la fin, quand tu perds du poids et que tu gagnes ta compétition, tu es vraiment fier de toi. Tu te dis : « Ce n’était pas pour rien. » M. a perdu six kilos. Imaginons qu’il perde au final, tu ne te sens pas bien.

M.

En compétition, je me dis : « Je n’ai pas perdu tout ce poids, pour venir et perdre. » C’est ma motivation ! Dès que je donne des points, je me dis : « Tu n’as pas perdu six kilos pour rien, vas-y, bouge-toi ! »

Qui s’occupe de votre régime ?

M.

Si c’est ma mère qui s’occupe de mon régime, elle me dit : « Mange, ça ne fait rien. » et je monte de deux kilos direct ! Donc c’est moi qui prépare.

G.

Moi, je ne mange pas du tout. A la cantine, à l’école ou chez moi, je ne mange pas du tout. Je suis comme ça. Si je veux manger, je mange tout ! Si je ne mange pas, je ne mange pas. Je n’arrive pas à faire entre les deux.

M.

Avant, moi aussi je faisais ça, mais notre entraineur Karen (Karen Galustyan, entraineur de lutte gréco-romaine à Bagnolet Lutte 93) a dit que ce n’était pas bien. Là, il m’a fait un programme spécial pour mon régime au championnat de France. Je mangeais, je m’entrainais et je perdais le même poids qu’avant. Alors qu’avant je ne mangeais pas. Je préfère manger et perdre le même poids qu’avant que de ne pas manger. Au dernier entrainement, il me restait trois cents grammes à perdre, je suis rentré sur le tapis, je me sentais faible. Karen me met avec G., on commence à lutter. G. me pousse et je tombe sur le dos ! Je me dis : « OK, c’est la fin. » J’ai fait dix minutes de pousse-pousse avec G. et je suis sorti. J’étais pile poil à 50. Je suis rentré chez moi. Le lendemain matin, je me suis levé, je me suis pesé, j’avais perdu trois cents grammes. Je ne sais pas comment. Je faisais 49,700. On est venu ici. Karen nous a un peu gueulé dessus parce que tout le monde était en dessous de la catégorie. On était cinq cents grammes en dessous.

G.

Il vaut mieux être à 50 plutôt que 49,500 ou 49.

M.

Donc on a mangé un peu. Moi direct, j’ai sauté sur les Twix ! Je savais que j’allais monter direct de cinq cents grammes mais comme on avait beaucoup de route à faire, jusqu’à Lille, je savais que j’allais perdre au moins cent ou deux cents grammes. Sur le lieu de la compétition je me suis mis sur la balance test, j’étais pile sur mon poids. J’avais raison en fait.

G.

Moi, au lieu de 55, je faisais 54,500.

M.

Comme Gr. Karen nous a tous gueulé dessus.

G.

Avant la pesée tu te dis : « Je me pèse ; après je sors et je vais manger comme un débile. » En fait, quand tu sors après la pesée, que tu es au poids, tu n’as pas trop envie de manger.

M.

Moi, je ne comprends pas ce qui se passe, j’ai envie de tout manger ! Sur la table, c’est rempli, j’ai envie de tout manger, mais je prends juste une petite frite et après je n’ai plus fin.

G.

Oui, voilà. Avant la pesée tu te dis que tu vas tout manger, mais après la pesée, quand tu as fini, que tu es libre de tout manger, tu n’as pas envie.

M.

Ton estomac est devenu de plus en plus petit.

G.

Exactement.

M.

Mon estomac, je pense qu’il faisait ça (il joint le pouce et l’index et montre un tout petit cercle).J’ai mangé une seule frite, et j’étais K.O.

G.

Pendant le régime, tu te dis : « Quand on ira au resto, je vais manger comme un cochon ! » En fait après, tu vas au resto, tu prends tout ce qu’il y a, dessert et tout…

M.

…et tu n’arrives pas à finir !

G.

A la fin, tu regardes dans ton assiette et il reste plein de choses.

M.

Je ne me pèse devant personne. Même devant mon père je ne me pèse pas. Moi et G., on ne rigole pas avec ça. Par contre, devant l’entraineur, on est obligés. En fait, chez les lutteurs, quand on dit notre poids, on dit trois kilos en dessous.

G.

On ne dit pas exactement.

M.

Mon père ne surveille pas mon poids, par contre il me stresse beaucoup. Le soir, quand je mange un peu pendant le régime, même un petit peu, directement je monte de cinq cents grammes. Tu montes directement quand tu es en régime. Là, il commence à me gueuler dessus, il me dit : « Je t’avais dit de ne pas manger ça ! » Il commence à m’énerver, je sors de la maison, je marche un peu. Parce que ça devient lourd.

G.

Quand mon père est à la compétition, ça m’encourage. Il me donne des conseils. Il m’encourage. Ça me fait du bien qu’il soit à côté de moi. Je me sens bien.

M.

Moi c’est pareil, mais des fois il m’énerve. Avant chaque compétition il m’énerve. C’est un truc de fou.

G.

C’est comme ça pour tout le monde en fait. Parce que ton père, il veut que tu gagnes.

M.

Oui, mais juste je fais un petit truc, il commence à me gueuler dessus.

G.

C’est parce qu’il a peur.

M.

Par contre, à la compétition, dès que je gagne le match, ça… !

G.

Ça fait vraiment du bien après.

Et vos mères ?

M.

Ma mère, je n’ai pas envie qu’elle vienne.

G.

Moi non plus.

M.

Je ne sais pas pourquoi. Même elle, elle ne veut pas. Elle n’arrive pas à me voir combattre en fait.

G.

Oui, voilà. Même ma mère. En fait elle a peur.

M.

Oui.

G.

De quoi elle a peur ? Quand on fait des souplesses sur le tapis par exemple, c’est un peu dangereux. Elle n’a pas envie de voir.

M.

Quand on filme et qu’on montre les vidéos, elles ont peur. Elles ne veulent pas regarder. Ma mère, direct elle ferme ses yeux.

G.

Oui. Ma mère me dit : « Tu ne t’es pas fait mal… ? » et nian nian…Quand on lutte…

M.

Par contre quand tu te blesses…

G.

Oui, ça… !

M.

Oh là là… ! Je préfère ne pas rentrer chez moi que rentrer…

G.

…avec une blessure !

M.

Elle sort la boîte de médicaments, puifff ! On dirait qu’on est encore des bébés en fait…

G.

Oui

M.

…alors qu’on peut se soigner nous-mêmes. Ce n’est pas des blessures très graves on va dire.

Vous vous êtes déjà blessés ?

M.

Oui

G.

Oui. En Arménie, j’ai eu une blessure au coude et je ne me suis pas entrainé pendant six mois.

M.

Moi, à l’entrainement j’ai lutté contre un mec qui faisait le double de mon poids, je me suis fracturé le pouce, je ne me suis pas entrainé pendant deux mois. Je venais de commencer et deux mois après je me suis blessé. Ça m’a énervé.

M.

Nos mères, elles appellent pendant les compétitions pour savoir.

G.

Elles s’intéressent.

M.

Elles nous appellent pour nous demander comment ça s’est passé, si on va bien, si on a mangé…

G.

Oui. Oh là là, cette question ! Moi j’en ai marre !

M.

Par contre, quand elles appellent, on dit de préparer des trucs.

Je me rappelle, c’était la pause. On avait fait nos demi-finales. Moi et G. on avait gagné. Comme on était les deux finalistes, on s’était écarté un peu du groupe, on s’est mis dans la salle d’échauffement, on a parlé un peu.

G.

Pour se reposer.

M.

Là, ma mère et la mère de G. ont appelé, en même temps. On a commencé à dire : « Maman, tu peux préparer un gâteau ? »

G.

Elles posaient les mêmes questions ! Exactement les mêmes questions !

M.

« Maman, est-ce que tu peux préparer des trucs s’il te plaît ? »

G.

« Est-ce que tu as mangé ? Qu’est-ce que tu as mangé ? Tu ne t’es pas fait mal ? Comment ça s’est passé ? »

M.

Les mêmes questions ! On a comparé et elles posaient tout le temps les mêmes questions.

G.

Mon frère fait aussi de la lutte mais pas vraiment. Il préfère faire l’école. Moi aussi je préfère l’école…

M.

Arrête de mentir !

G.

…mais bon la lutte aussi ! En fait, S. n’aime pas la lutte.

M.

Oui, il n’aime pas la lutte.

G.

Il vient juste pour être avec moi, pour s’entrainer…

M.

…pour avoir un beau corps

G.

Oui, voilà.

M.

On pourrait dire ça. A chaque fois qu’on s’entraine, il s’échappe de l’entrainement. Le pire c’est qu’on ne le voit pas partir. On ne sait pas comment il fait pour partir !

G.

Il dit qu’il n’aime pas la lutte, c’est tout. Il n’est pas intéressé comme moi.

M.

Comme nous.

G.

Chez moi, je regarde tout le temps des vidéos. Lui, il fait ses devoirs.

M.

Moi je suis fils unique.

Quels sont vos rêves en lutte ?

M.

Les Jeux Olympiques

G.

Les Jeux Olympiques, les championnats du Monde… Quand on est ensemble, tout le temps on parle par exemple de Steve Guenot, on parle de lui, on veut être comme lui. Comme ça les gens nous connaissent.

M.

On veut être des grands champions comme nos idoles, on a envie d’être comme eux. Mon idole c’est un arménien : Migran Arutyunyan.(https://www.youtube.com/watch?v=qolpEUclzg0)

G.

Moi je ne sais pas. Steve Guenot (http://www.lequipe.fr/Aussi/AussiFicheAthlete24925.html) et Arthur Alexanian (https://www.youtube.com/watch?v=-HlfiSDh-ME). C’est un arménien.

M.

Sinon, après, on les aime tous !

G.

Moi personnellement j’aime tout le monde comme lutteurs. Vraiment tout le monde. Parce qu’ils sont forts.

M.

Il y a des lutteurs qu’on regarde, et on copie un peu leur style. Quand je regarde des lutteurs en compétition, j’en vois qui luttent avec le style de certains champions. Par exemple, T., le fils de Karen, il lutte un peu comme un champion olympique iranien : Sourian.

G.

Hamid Sourian

(https://www.youtube.com/watch?v=tTfcZZ6TNgs)

M.

Il lutte comme lui. Son père dit qu’il aime trop regarder ses vidéos. La première fois, c’était en championnat de France, on regardait des vidéos avec Karen. Je lui dis : « T., il lutte comme Surian. » Il m’a dit : « Oui, c’est bien tu as remarqué. Oui, T. regarde toutes les vidéos de Surian. Sa garde, sa position, sa façon de lutter. »

M.

Oui je regarde des vidéos. Tous les résultats m’intéressent. Toutes les vidéos. Au club, on parle avec les grands. On dit : « Tu as vu untel ? il a une technique super belle. » Après, on a envie de regarder ce qu’il a fait.

G.

D’apprendre en fait.

M.

Il y a certains matches qui sont « le match du siècle ».

G.

On les regarde tout le temps. Même dix fois par jour.

M.

Peut-être que ce n’est pas intéressant pour les autres, par contre, ce match, pour nous, on attend de le voir depuis des années.

G.

Oui.

M.

Nos partenaires au club c’est tous les arméniens, tous ceux qui font de la gréco.

G.

Gr., S., M., les autres, Th., Ga., tout le monde.

M.

Parfois, les libre, comme il font de la gréco aussi, ils viennent s’entrainer avec nous. Et quand on a des compétitions de libre, nous les gréco, on s’entraine avec les libre. On échange en fait.

Avez-vous peur avant un combat ?

M.

Avant un combat, j’ai de moins en moins peur. Ça disparaît progressivement. Maintenant, avant un combat, je n’ai aucun stress. Même en championnat de France, là je vous jure, je n’ai pas eu un seul pour cent de stress.

G.

Moi non plus, mais là, c’est en France. Dans les autres pays, c’est vraiment difficile et on est obligés d’avoir peur. En France on connaît presque tout le monde.

M.

Oui, on connaît presque tout le monde, on est amis avec nos adversaires. On se parle, réseaux sociaux et tout mais à l’étranger…

G.

On sait qu’à l’étranger, ils sont forts.

M.

Je suis allé une fois à Utrecht aux Pays-Bas pour une compétition, mais ce n’était pas prévu. Didier m’a appelé la veille vers 23 heures, il m’a dit : « On a décidé que tu allais partir. » J’ai perdu deux kilos en un seul jour. J’y suis allé, ma catégorie était celle où il y avait le plus de monde. On était trente-deux. J’ai fait dixième. J’étais content parce que je n’étais pas du tout préparé. J’ai fait des bons matches avec des américains. J’étais fier.

G.

Moi je ne suis pas encore allé à l’étranger.

M.

Cette année, on devait aller à la même compétition aux Pays-Bas mais comme la moitié des arméniens n’avaient pas de papiers, comme il y avait eu les attentats en Belgique, il y avait beaucoup de contrôles.

Vous avez la nationalité française?

M.

Non

G.

Non

M.

Lui, il a la carte de séjour, mais moi je ne l’ai pas encore.

G.

J’ai des papiers, mais je n’ai pas la nationalité encore.

M.

On n’a le droit de lutter pour le championnat de France que en minimes. Minime 1 et minime 2. A partir de cadet, il faut avoir la nationalité. G., c’était sa dernière année de minime. Il ne peut plus les faire. Moi, j’ai encore une année.

Vous pensez que vous allez avoir les papiers ?

G.

On verra bien

M.

Lui, il les a eus. Je crois que la nationalité c’est à dix-huit ans. Même avant, il peut je crois.

G.

Oui je pense.

M.

Moi ça va être compliqué parce que ils ont refusé. Là on a reçu une lettre pour quitter le territoire français.

G.

Moi, la semaine prochaine j’ai un stage de lutte. En Serbie. Ils (la fédération française de lutte)m’ont dit que normalement je devrais y aller. Pendant les vacances. Soit cette semaine, soit la semaine prochaine. C’est un stage pour les minimes et cadets. Pour la France, on est trois ou quatre à y aller. Pour les minimes, c’est moi, et pour les cadets, quelqu’un d’autre. Quand tu as tes stages, tu es content. On se dit qu’on est fort et on veut bien continuer pour faire les championnats d’Europe et les championnats du Monde.

M.

Ça motive.

Si on nous attrape à la frontière, G. il n’est pas renvoyé, mais moi oui. En Arménie. C’est pour ça que Didier a eu peur et ne nous a pas emmenés à Utrecht. Je connais d’autres clubs qui ont pris le risque.

G.

Mais là tu risques vraiment pour ton futur.

M.

Si je vais en Arménie, je ne reviens pas avant cinq ans. Mon père m’a dit : « Tu ne prends pas le risque. »

G.

Tu prends des risques pour ton futur, ton avenir.

M.

Je ne prends pas le risque pour une compétition. J’ai demandé aux français qui y étaient allés et ils m’ont dit que ce n’était pas comme les autres années.

G.

Cette année ce n’était pas du tout comme les autres.

M.

Je connais des gens qui ont fait des médailles alors qu’ils n’avaient pas du tout le niveau.

G.

Il y avait un mec dans ma catégorie qui avait fait septième au championnat de France et là il a fait troisième.

M.

On avait vu que lui avait fait troisième…

G.

…et on s’est dit…

M.

…ça veut dire que ce n’était pas un très bon niveau.

Quel objet serait pour vous emblématique de la lutte ?

M.

Les tenues. Si tu montres les tenues à quelqu’un du dehors…

G.

Moi ! Quand je me rappelle de moi, je me rappelle de la lutte. Parce que je ne pense qu’à ça en fait.

M.

Oh là là… !

G.

Un objet ? Mes médailles peut-être.

Vous sentez que vous êtes différents de vos copains de collège ?

G.

Oui, on fait des régimes, on a des entrainements, on ne se sent pas comme les autres.

M.

Des fois, les amis nous disent de sortir, et on n’a pas beaucoup de temps.

G.

Vu qu’on a des entrainements, il faut y penser tout le temps.

M.

Quand on n’a pas entrainement, mon père me dit d’aller courir, donc je n’ai plus le temps de voir mes amis.

G.

Les autres font des activités presque tous les jours, ils s’amusent. Nous, on n’a pas le temps.

M.

Même aujourd’hui, mes amis m’ont appelé pour aller jouer dans un parc et je n’ai pas pu parce que j’avais entrainement.

G.

Mais moi ça me fait plaisir, plutôt que des activités.

M.

Après quand on gagne les compétitions

G.

On se dit que ce n’est pas pour rien

M.

On voit que on a bien fait de venir à l’entrainement

G.

Oui. Quand tu ne viens pas à l’entrainement, tu perds quelque chose. Tu oublies vraiment. Moi personnellement j’oublie presque tout. Quand je ne viens pas pendant quelques entrainements, je sens que…

M.

…moi je sens qu’il ne lutte pas comme avant.

G.

Mais après je m’entraine à nouveau et ça continue.

M.

Pendant l’été on est obligés de s’arrêter un peu parce que c’est les vacances mais on s’entraine quand même. On se donne rendez-vous, on s’entraine. Parce que on sait que pendant un mois, OK on se repose, mais après il faut bien reprendre. La lutte, si tu t’arrêtes pendant une semaine…

G.

Tu perds vraiment

M.

…quand tu reviens le mardi suivant, tu sens que… Moi par exemple quand je ne vais pas à l’entrainement, je ne me sens pas bien. C’est devenu comme un cycle.

G.

Oui, voilà.

M.

Par exemple quand le mardi arrive, mon corps est habitué à s’entrainer

G.

C’est exactement ça

M.

On vient le mardi, jeudi et vendredi, trois fois par semaine. Le samedi et le dimanche, une fois sur deux je sors courir, je fais du sport.

G.

Moi aussi. Chez moi j’ai une barre de traction, j’ai mis ça pour m’entrainer. Je fais mes devoirs, je révise, et après quand j’ai le temps je m’entraine. En regardant des vidéos de lutte !