Lettre d'Emilie
Texte d'Emilie, contribution à la réunion du Cercle du 1er juillet.
Thème de la réunion : dans la lutte, qu'est ce qui vous a saisi?
Paris, le 26 juin 2015 minuit
Laurent mien,
Je t'écris bien tard de ma chambre de Mimi Pinson, la tête douloureuse de migraine, de ne pas avoir mangé à temps, de la chaleur peut être et de fatigue.
Je viens de finir une petite salade bourrée de gluten mais tant pis, j'avais pas le courage de m'arreter en terrasse pour manger un steack frites, toute seule au milieu de tant de gens.
J'ai donc fait ma séance d'initiation à la lutte. Tu sais comme j'y allais à reculons avec ce souvenir lointain et cuisant d'être écrasée en permanence, vaincue à chaque combat par Mariline, une des plus petites et plus maigres de la classe, avec moi. Pourtant elle me coinçait au sol et impossible de bouger. De debout elle me mettait par terre sans que je comprenne comment avec une hargne que je ne supportais pas. Sa rage me désarmait peut être autant que sa force. Je cédais à son envie de vaincre incapable d'en avoir moi-même le désir, physiquement dominée. J'avais pas la gagne me disais-je. Ça promettait une vie difficile.
Quand je pense que je me suis levée à 6h du matin pour prendre le train pendant 4 heures de voyage, et débarquer sous la chape de chaleur parisienne pour une heure de lutte à Bagnolet. N'importe quoi!
Je sens déjà les endroits qui seront bleus demain. Je n'ai pas l'impression que j'aurai de courbature mais c'est toujours comme ça. Je suis encore chaude de la course, des sauts et abdos mais demain sera sans doute une autre histoire! A suivre.
Au fait tu pourras dire à Violette que j'ai fait la roue, 5 fois à la suite!! Elles n' étaient pas aussi jolies que les siennes mais malgré tout engagées et tournantes. J'ai recommencé plusieurs fois pour être sure que ça marchait. Je n'ai pas été au bout du tapis parce que la tête commençait sérieusement à me tourner mais emportée par cette réussite de roue insoupconnée, j'aurai bien fait la traversée totale du tapis qui fait au moins 10 mètres!
Il est un peu difficile de se retrouver dans cette mini chambre, la fenêtre ouverte sur la chaleur et le bruit extérieur avec mon corps épuisé qui réclame son confort : notre table bien garnie de mets réparateurs, une douche chaude et le lit frais de nos nuits.
En même temps je sais que je m'endormirai n'importe où tant je suis moulue. C'est toujours une sensation agréable que de sentir son corps si vivant!
Je suis sure que la lutte ça te plairait. Je trouve que c'est un beau mélange de noblesse et de rudesse.
C'est une confrontation directe avec l'autre mais aussi avec toi-même : Ton corps et ses capacités, ses resistances. Ça semble être proche de la bagarre de base, pourtant il y a plein de techniques (évidentes quand on les enseigne) qui rendent cette simplicité apparente plus subtile.
J'ai beaucoup aimé l'utilisation de la pointe des pieds pour rajouter du poids sur le corps de l'autre. J'ai trouvé tout à coup les postures à sculpter! Les "emmellements" des corps devenaient cohérents et savants.
J'ai trouvé les corps des lutteurs beaux. On voit qu'il n'y a pas de partie qui ne travaille pas et les tenues de lutte sont sexy. Je me serai cru dans une arène romaine. Le gymnase a des couloirs circulaires qui semblent tourner autour d'une arène! Le spectacle était très agréable. Je t'y verrais bien!
Nous avons fait l'entrainement sur l'extérieur de ce cercle, sous des toles et vitres, bref, un four!
Je suis étonnée par le plaisir que j'ai pris à ce corps à corps, ce jeu de renverser l'autre. Je ne crois pas que si j'étais en compétition j'aurai eu le même plaisir et la même détente. Mais bon pas question de compétition, on est bien d'accord! Vu comment je suis taillée et peu sportive.
Je n'ai pas éprouvé la hargne, la volonté d'écraser pourtant je me suis battue puisque parfois j'ai mis ma luttante au sol.
Le corps à corps est brutal pas tant physiquement que dans l'immédiateté de la rencontre avec l'autre que cela oblige.
Tu connais tout de suite l'odeur de l'autre, sa moiteur, sa densité physique, son énergie, sa fuite ou son affront. Tu as physiquement conscience de sa peur, de son envie, de son abandon, de sa fierté.C'est très surprenant et agréable cette rencontre : "Je viens contre toi, je me couche sur toi, je serre tes bras, je me défais de tes doigts, j'agrippe ton genou, tu appuie sur mon ventre, je vois de près ta clavicule". C'est très charnel et sensuel.
J'ai eu besoin de mettre des mots en plus du corps, de vouloir associer ces bras, ce cou, cette peau à un prénom. Comment t'appelles tu? Quel age as-tu? Que fais-tu?
J'ai d'abord travaillé avec une jeune fille du club. Je me suis demandée si cette enfant de 16 ans, oserait foutre la raclée ou ne serait-ce même qu'enseigner des prises à une vieille de 41 ans qui n'a pas de muscle. Nous étions timide l'une et l'autre. Je me sentais gauche et comme c'était le début, je ne comprenais pas bien les exercices, leur finalité et elle n'osait pas me dire que je faisais n'importe quoi. Elle était gentille et douce.
Ensuite j'ai changé de partenaire. Une comédienne, plus de ma taille et aussi perdue que moi.
On a appris le but de la lutte, immobiliser son adversaire sur le dos.
Pourquoi le dos et pas le ventre? Instinctivement j'allais toujours en arrière pour échapper à mon adversaire, je me mettais sur le dos, et hop, j'avais perdue, toute seule. Petit à petit, j'ai essayé de perdre ce réflexe et au bout de deux ou trois combats : Oh! ça y est je résonne et pense pour lutter! Dingue, qui l'eût cru?
Nous étions d'un coté, les novices en découverte. De l'autre il y avait un vrai entrainement, avec des combats. De temps en temps un bruit de chute me faisit tourner la tête! C'est drole tout de même cette idée de se foutre au sol l'un et l'autre. C'est primaire me disais-je à chaque fois et je me mettais à la place de celui qui était par terre.
Autour du tapis il y avait des hommes, d'age plus mur que les lutteurs. Je me suis demandé qui c'était: des pères, des coachs? Je crois avoir entendu qu'ils ne parlaient pas que français donc de ne pas avoir pu comprendre qui ils étaient. En tout cas leur présence semblait normale et était discrète. Je les ai vite oublié. Je ne me souviens pas de les avoir vu partir.
Je mets le point final à cette partie de lutte et je vais m'allonger à 1 mètre derrière le bureau d'où je t'écris, sur un matelas posé sur un tatamis. C'est mon carma du moment, petit scarabé.
Je t'embrasse et te serre, pas trop fort, dans mes bras parce que je sens que j'ai déjà mal d'avoir était bloquée et écrasée au sol par les épaules et la poitrine.
Ta lile
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