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Le dernier cours de l’année

Le dernier cours de la saison n’a pas été annoncé comme tel. Mais, considérant qu’en juillet Saïd et Frankie sont concentrés sur la préparation de Sarah aux Jeux Olympiques, que c’est le ramadan, que les élèves sont de plus en plus rares et épuisés, qu’Ahmed cumulant ramadan, lassitude personnelle et grippe opiniâtre, n’assure plus le cours du mercredi : de fait les cours s’arrêtent cette semaine.

Saïd nous a dit : « vous pouvez vous entrainer avec les amateurs si vous voulez. Nous, cette semaine, on continue avec eux. Caroline, Zoé, Rahmani et moi avons réagi chacun à notre façon. Zoé a dit : « C’est tentant. J’ai envie d’essayer, mais je préfèrerais ne pas y aller seule. » Caroline lui a proposé de l’accompagner. Rahmani a sauté sur l’occasion, puisque son but est, à terme, de rejoindre les amateurs pour reprendre la compétition. Et moi, j’ai ouvert mon agenda en me disant que s’ils y allaient tous les quatre, je trouverais le courage de les accompagner. Mais je n’ai plus de soir libre jusqu’à mon départ.

J’ai réalisé alors que je sortais donc du dernier cours de la saison.

Je suis parvenu à l’issue de ma traversée initiée en octobre dernier presque à l’improviste.

Lydie est venue assister à ce dernier entrainement. À la sortie, elle m’a dit avoir été impressionnée par la beauté du mouvement d’ensemble du groupe, la succession des exercices, leurs rythmes, et surtout l’intensité qu’ils requièrent Elle n’a pas trouvé ridicule mon entrainement avec Rahmani.

Pendant que je m’entrainais sur un sac, Frankie est venu me voir. « Concentre-toi sur des coups simples. N’essaye pas des coups compliqués. Travaille tes directs. Dans un combat, quatre-vingt dix pour cent des coups que tu porteras seront des directs. Alors, c’est important que tu les fasses vraiment bien. Si tu reviens l’année prochaine, concentre toi là-dessus. »

J’ai retenu ce membre de phrase : « … si tu reviens l’année prochaine. » comme un encouragement implicite. Il en faut peu pour m’encourager, me direz-vous,

Ce n’est pas un secret. Je considère ma présence dans ce club, à mon âge, avec les capacité qui sont les miennes, et mon absence d’expérience martiale, comme une anomalie, qui n’est pas pour autant, j’espère, une extravagance. J’ai constaté au fils de mois s’écoulant que l’incongruité de la présence ici finissait par être acceptée par les camarades. « À votre âge, j’aimerai être comme vous » m’a dit l’un deux dans une forme de compliment scellant explicitement du reste le fossé générationnel nous séparant. Mes camarades, à défaut de talent évident, saluent au moins ma constance. Cet entêtement dans l’effort, cette vertu de persévérance est une vertu appréciée par les boxeurs.

Reviendrai-je l’année prochaine ? Oui, si aucun accident ne me l’interdit, si mon corps me le permet, je reviendrai. Instinctivement, je sens que je pourrai encore suivre (c’est bien le mot : suivre) les entrainements encore deux ans.

Pourquoi reviendrai-je ? Voilà une question qui en contient une seconde, implicite, plus lourde et décisive.

Pourquoi suis-je venu ?

Mon projet était de m’immerger dans la vie d’un club de boxe afin d’y trouver la matière d’écriture d’un spectacle. Le présent journal se veut le témoignage de la partie émergée de l’Iceberg que représentera le spectacle à venir sur les sports de combat en Seine Saint Denis. Je constate qu’il s’est installée une semi-clandestinité de mon dessein artistique au sein du club qui me dérange autant qu’elle me convient.

Oui, les camarades qui me servent de matériau d’observation et d’écriture ne se savent pas sujet d’observation et d’écriture. Cependant, il ne tient qu’à eux de le savoir : il leur suffit de me poser la question du pourquoi de ma présence, et d’aller ensuite lire le contenu du présent blog.

J’assume au reste la trahison comme partie intégrante de l’écriture. C’est pourquoi je ressens beaucoup de fraternité avec Zoé quand elle me fait part de son malaise quant à son travail d’ethnologie qui en revient en somme à espionner ses sujets d’études, devenus ses amis – récemment les punks à chien du bois de Vincennes - pour les transformer en cas d’école.

En septembre débutera une nouvelle étape de mon projet. Et je commencerai les cours avec l’objectif de les suivre jusqu’à la création du spectacle. Je me donne le défi de tenir cette distance : deux ans. De m’astreindre à cette régularité : deux cours par semaine. De maintenir la même implication dans le soutien scolaire avec les jeunes boxeurs : une séance par semaine. À l’issu de ce nouveau cycle j’aurai cinquante cinq ans.

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