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La sieste

« Fourbu » le plus beau mot de la langue française selon Nicolas Bouvier

Je vais à deux entraînements de boxe par semaine. Au début je n’en suivais qu’un. Tout le monde m’a dit qu’on est moins fatigué quand on s’entraîne deux fois par semaine. Le corps prend le rythme, il s’habitue à l’effort. Alors qu’avec un seul entraînement, il doit se ré-acclimater à chaque fois. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que deux cours ce n’est pas deux fois plus fatiguant qu’un seul.

Donc, quand on me demande : « Ça se passe comment la boxe ? » Je réponds : « La boxe c’est fatiguant. »

Durant les entraînements, la douleur vient de la fatigue beaucoup plus que des coups. Chaque exercice (échauffement – apprentissage technique – mise de gant – gainage) est poussé à un point limite. Il me faut lutter contre l’essoufflement, le point de côté, la crampe, l’engorgement des toxines dans les muscles, le sang lourd, le souffle court : l’épuisement en somme. Dans le vestiaire, après le cours, on entend : « Il a chargé le cours ce soir Franky. C’était dur ce soir, non ? » Même les plus aguerris sont épuisés. Il n’existe pas le moindre entraînement dont on ne sort pas épuisé. Et plutôt content.

J’ai souvent du mal, malgré ma fatigue, à trouver le sommeil après l’entraînement.

  • « C’est l’adrénaline » m’a expliqué Hervé.

J’aurais dû y penser. Effectivement, le temps que l’adrénaline s’évacue de mon corps, je repasse dans mon lit les coups que j’aurais dû porter et ceux que j’aurais dû esquiver.

J’ai donc depuis deux ans une obsession : dormir. Mon inquiétude majeure est d’arriver en forme à l’entraînement. Deux heures d’entraînement, quand on est fatigué ou pire, malade, c’est interminable. Je passe mon temps à regarder la pendule au-dessus de la porte des toilettes. L’exercice commence et déjà je me demande comment je vais le terminer. Tous mes mouvements deviennent mous, approximatifs, informes. Je perds jusqu’à mes fondamentaux, ce qui me vaut reproches et corrections de la part de Mirko ou Franky quand ils passent à proximité. Je les sens alors découragés de me répéter éternellement les mêmes consignes : lever les poings, ne pas rester à plat, travailler mes appuis.

Et oui, fatigué, je bouge plus lentement. Je deviens une cible facile à atteindre pour Sébastien qui abuse sans pitié de ma faiblesse. Donc, quand je suis fatigué, non seulement je suis mal, je fais mal, et en plus je reçois des coups. C’est horrible.

Je fais la sieste.

J’avais l’usage jusqu’à récemment de résister à la torpeur du début d’après-midi. C’est une heure qui m’a toujours accablé. Je résistais, sans pitié pour moi, à l’engourdissement d’après déjeuner. Je m’asseyais avec volontarisme et café face à mon ordinateur. Je me dirigeais avec empressement vers la salle de répétition, enjoignant à mes camarades de ne pas tarder à me rejoindre sur le plateau. La sieste était un spectre, une tentation, un glauque abandon, un n’importe quoi temporel, une source de remord au réveil, bref un temps gâché que je repoussais avec dégoût.

C’est fini. Je suis désinhibé, et que ce soit jour de boxe ou non, je fais la sieste. Et je gomme en toute bonne conscience par le sommeil cette heure pesante, infructueuse, désagréable de 14h30 à 15h30.

« J’adore dormir », m’a confié Saïd. « Mon bonheur, le dimanche, après avoir fait le marché, préparé le repas, déjeuné avec ma famille, c’est de faire la sieste. En vacances, je dis à mes enfants, à ma femme : faites ce que vous voulez. Allez à la plage, allez vous promener, je dors. Je vous rejoindrai après la sieste. »

J’ai remarque qu’en effet, lorsque j’arrive en début d’après-midi au Boxing Beats, Saïd m’ouvre avec les yeux globuleux et la parole pâteuse de celui qui sort du sommeil.

Je dors bien. Profondément. Longuement. Je ne mets plus de réveil les matins où je n’ai pas de rendez-vous. Je traverse de longs rêves. La nuit dernière, j’ai rêvé qu’un arbre bourgeonnait sur mon balcon. « Pourtant, on est en novembre » ai-je songé dans mon rêve.

Boxe, Blog, boxing beats, theatre, fatigue

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