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Interview de Z. (boxeuse)

J’ai commencé la boxe en octobre 2015. Ça me trottait la tête depuis longtemps de faire de la boxe. Peut-être à cause du film Millions dollars baby. Et puis aussi, là pour ma thèse en sociologie, j’avais besoin d’un ancrage dans le quartier.

Il y a deux ans déjà, j’avais fait une tentative. A l’époque je cherchais un club d’art martial. Un club prés de chez moi. J’ai passé des heures à chercher sur internet. Et puis, je m’étais fixé sur le Boxing Beats déjà. Le Boxing beats, c’est très visible sur internet.

Je m’étais donc pointée il y a deux ans au Boxing Beats. Mais je m’étais trompée de porte. J’étais entrée dans le club de muscu. La salle de muscu était obscure. Il y avait de la musique fort. Le bruit des machines. Pas d’accueil. Des gros costauds qui sueraient sur leurs machines. Ils m’avaient indiqué la bonne porte, mais ensuite, une fois au Boxing Beats j’avais pas osé traverser la salle, devant les ring pour monter sur la mezzanine, jusqu’au bureau. Je suis un peu timide. J’étais repartie.

Non, je ne me bagarrais pas quand j’étais gamine. Je me laissais pas faire. J’ai dû coller une ou deux gifles mais je ne me bagarrais pas. Une fois, si, je me souviens, j’ai donné un coup de pieds dans les couilles à un garçon. C’était à la maternelle. Mon père, il m’avait dit, si un garçon t’embête, tu dois le taper là. Et un garçon a foncé vers moi, pour rire, pour me faire peur, je ne sais pas, je lui ai donné un coup de pieds dans les couilles, il s’est écroulé, je me suis senti très mal. Je n’ai jamais recommencé.

Et puis, la boxe, ça me trottait en tête. Pendant deux ans, j’ai cherché sur internet. J’ai beaucoup réfléchi. Le taekwondo ? la boxe ? le karaté ? j’avais vraiment beaucoup d’attirance pour la boxe. Déjà au collège, j’avais envie de faire de la boxe. Pourtant personne dans ma famille n’en faisait de la boxe. Non, je n’ai pas d’amis qui font de boxe. Et puis je me suis décidée. Je me suis inscrite au Boxing beats.

Mon premier cours, c’était un mercredi avec Ahmed. Un cours classique. Dès qu’on a commencé à courir autour des rings, Émilie et Lina se sont présentées à moi. Elles débutaient elles aussi. Quand on a fait nos premiers combats, je me sentais un peu empotée. Je ne parvenais pas à coordonner mes mouvements comme les autres autour de moi. Pourtant, du sport, j’en ai fait beaucoup. Mais, je n’avais pas la coordination pour ce sport-là. C’est que j’étais un peu en retard par rapport aux autres. Durant les abdos, le gainage, j’ai craqué. Samia m’encouragée à tenir. Oui, les filles m’ont bien accueillie. C’était cool.

Quand j’ai reçu mon premier coup, je me suis dit « ah, le casque, ça protège bien. » Le soir, je n’avais aucune marque. Ça m’a soulagée. Sur un cours, je me suis retrouvée face au frère de Lina, j’ai trouvé qu’il tapait vraiment trop fort. Mais le jour où j’ai oublié mon protège-dent, j’ai compris que c’est ça la protection la plus importante. Cela dit, je préfère quand les coups sont vraiment portés plutôt que de ne pas se toucher. Ce qui est le plus agréable, c’est de le faire avec quelqu’un qui maitrise. Plus t’es débutant et plus tes coups sont incontrôlés. Il y a des débutants qui font attention, mais les plus anciens, ils savent vraiment doser, je préfère.

Oui, des fois, j’ai tapé fort, et je m’en suis pas rendue compte. Avec les gants, c’est difficile de savoir. Au début je m’excusais à chaque fois que je touchais. Ca faisait rire la personne en face souvent. Ce que je trouve difficile, c’est d’enchaîner. Tu sais, tu touches ton partenaire, il est déstabilisé, et il faut continuer, profiter de l’avantage, lui rentrer dedans. Ça j’ai du mal. Il y a un truc qui me retient. J’arrive pas encore vraiment à enchainer. Mais ça va, j’avance progressivement.

La semaine dernière, j’ai assisté aux championnats de France féminins. C’est le Boxing Beats qui les organisait. J’ai beaucoup aimé. J’étais à l’accueil, mais quand j’avais le temps, je pouvais rester prés du coin du ring. Pas loin du tout des entraineurs. Ça c’était cool. Je n’ai pas trouvé les combats violents. Ça m’a vraiment donné envie de faire des combats moi aussi.

Je regarde beaucoup de combats sur internet. Hier soir, j’ai regardé un combat génial. Lamare vs Laracuente. Quand l’arbitre leur donne les dernières instructions, Laracuente, elle fait un geste violent : d’égorger l’autre. Et au début, elle donne vraiment du mal à Lamare. Elles ont deux styles très différents. Finalement, Lamare gagne et quand l’arbitre lève son poing, elle désigne sa concurrente et lève le poing à Laracuente. On a l’impression que toutes les deux se font plaisir pendant le combat. Je regarde surtout de la boxe féminine sur internet. Mais ensuite, je surfe et je me retrouve forcément à regarder de la boxe masculine. Je ne regarde pas trop les autres arts martiaux. La violence du spectacle de la boxe, ça me pose pas de problème. Enfin si, une fois, je me suis senti mal en regardant perdre Mike Tyson. J’adore Tyson. J’aime comment il boxe. Dans un de ses matchs, je le vois se faire mettre KO. J’y croyais pas. J’ai trouvé ça cruel ce KO de Tyson. Il semblait complètement démuni et incapable de commander son corps pour se relever.

Hier soir, sur internet, j’ai vu un KO lors d’un match féminin. La fille qui gagne, quand l’autre est compté dix, elle explose de joie et danse autour du corps de l’autre. Elle fait le signe de l’enculer. Ca aussi comme image, c’est un peu violent je trouve.

Quand je dis au gens que je fais de la boxe, la plupart du temps, c’est OK, c’est cool. Il y en a qui me disent : « J’espère que tu vas pas me coller une tarte, un jour. » Ma mère, au début, elle était pas trop fan que je fasse de la boxe. Elle ne comprenait pas. Donner des coups, en recevoir, elle ne voyait pas l’intérêt.

J’aimerais combattre. Dès que possible, j’aimerais suivre les cours amateurs. Là, je ne me sens pas prête du tout. Mais s’ils me proposent de faire un cours en plus, je dis oui tout de suite.

Oui, j’ai fait beaucoup de sport, depuis toute petite. J’ai fait beaucoup d’équitation, pendant 15 ans.. J’ai fait de l’athlétisme. Tous les sports se ressemblent dans une certaine mesure : les valeurs, c’est dépassement de soi, effort, persévérance, etc. Mais il y a des différences. En athlétisme, tu n’as pas besoin de bluffer. En boxe, tu dois cacher ta douleur. Ton adversaire ne doit pas savoir qu’il t’a fait mal. Tu continues de sautiller quoi qu’il arrive, comme si t’étais toute fraiche alors qu’en fait t’es à l’agonie.

Les valeurs de la boxe j’aime beaucoup. Mais ce ne sont pas mes valeurs dans la vie. Dans la vie, je ne sais si je dois être toujours déterminée, forte, courageuse... Ces valeurs elles deviennent encore plus discutables si tu les appliques dans le monde du travail. Le sport, pour moi c’est une occasion de me dépasser, mais pendant un temps très précis : de 18h30 à 21h, durant l’entrainement, et pour but très précis : apprendre la boxe. Je ne subordonne pas ma vie en permanence, et partout, à ces valeurs. Je pourrais suivre un régime par exemple pour faire le poids, mais si c’était un impératif imposé par un patron, ça me plairait pas. J’ai fais des boulots d’hôtesse d’accueil, les impératifs de présentation, je connais, je n’ai pas envie d’y obéir.

Je fais du sport plusieurs fois par semaine. Au Boxing Beats, ou dans une salle de sport. Ça me fatigue. Mais c’est de la bonne fatigue. Plus je m’entraine, plus ça va à l’entrainement. C’est un cercle vertueux. C’est vrai cela dit que le sport a un côté addictif. J’ai arrêté de fumer récemment, il y a peut être une sorte de substitution par le sport à la cigarette.

La boxe m’a aidée pour mon boulot de sociologue. Au soutien scolaire du Boxing Beats, j’ai rencontré des jeunes qui habitent dans le quartier que j’étudie. Je les croisais dans la rue, on se saluait, ça montrait que je faisais partie du quartier. Oui, ça m’a servi certainement, de manière indirecte, en me donnant un genre de « capital quartier » auprès de mes enquêtés. C’est un peu un droit d’entrée.

Mon précédent terrain d’étude, avec les punks à chien devenait dangereux. Je m’étais dit que la boxe pouvait m’aider en cas de bagarre. A anticiper au moins. Les personnes dont j’avais peur étaient beaucoup plus fortes que moi. Elles pouvaient faire beaucoup de dégât. Finalement, il ne m’est rien arrivé. Mais je me dis qu’avant la boxe, j’aurais pu me défendre de manière débile. Aujourd’hui, en fonction de la personne en face, si elle est vraiment dangereuse, je sais quand je dois partir en courant plutôt que me défendre. Avant, si j’avais été en situation d’être attaquée, j’aurais essayé de me défendre. C’est un milieu où il y a beaucoup de baston. D’ailleurs, au contact des punks, j’avais acquis une sorte d’agressivité. Si quelqu’un semblait me parler mal dans la rue, aussitôt je lui répondais mal, sans réfléchir. Maintenant, je jauge mieux avant de rétorquer -ou pas.

C’est vrai qu’à force d’être dans un milieu de bastonneur, tu deviens un bastonneur. Moi, dans la rue, j’avais une chance, j’étais du côté des plus jeunes, des plus forts. Dans une baston entre punks et vieux clodos, les punks sont plus forts. Et puis ces jeunes punks, ils savent se battre. Ils m’ont protégée. C’était dangereux, ça partait à coup de tessons de bouteilles, tout ça. Quand ça se barrait comme ça, je restais en dehors des bastons.

À la boxe, il y a trois semaines, je me suis battue contre un mec, il tapait fort et juste. J’en ai reçu plein. J’ai hésité à arrêter. J’avais envie de pleurer. Mais j’ai continué. Après, j’étais fière de moi d’être restée.

Le frère de Lina aussi, il m’a collé des patates, et j’ai été très contente de ne pas me mettre en colère contre lui, de me maitriser, et de continuer à boxer. La boxe, c’est beaucoup la maitrise de ses émotions.

L’équitation, j’ai commencé à deux ans et demi. Avec les chevaux, il y a aussi une certaine maitrise des émotions, mais pas de la même manière qu’en boxe.

Mon corps a beaucoup changé avec la boxe. J’ai pris sept kilos. Surtout du muscle. Je n’ai pas changé de taille de vêtements. Donc c’est bien du muscle. Mes bras sont beaucoup plus forts. Au début, je ne voulais pas acquérir un corps de boxeuse. À cet égard, mes canons de la beauté ont beaucoup évolué. Maintenant, j’ai envie d’avoir de gros bras, des abdos, ça ne me dérange plus d’avoir de gros muscles.

Ça ne me dérangerait pas non plus si je me chopais un cocard. Mais bon, pour le moment, mon boulot, c’est chez moi. Je ne fais plus d’accueil. Quand je faisais de l’accueil client, tout était spécifié très précisément : le maquillage, la coiffure etc… Le cocard serait mal passé.

Je vais avoir vingt-six ans. J’aimerais bien faire un combat, dans un an pourquoi pas si je suis prête.

Ma vie change. Je crois que je vais laisser tomber la sociologie.

Psychologiquement, ça a été compliqué de laisser les punks. Mon mode de travail c’est de devenir amie avec mes « objets d’études ». J’avais peur de trahir l’amitié de ceux sur qui j’allais écrire. Les fréquenter pendant longtemps, nouer des amitiés, et puis ciao partir écrire ma thèse.

Et puis, dernièrement, je suis allée à un séminaire je me suis dit : mais qu’est-ce que je fous là ? Je me suis dit que j’étais certaine de ne pas vouloir devenir chercheure, alors pourquoi continuer en thèse ?

J’aimerais beaucoup travailler avec des ados. J’ai pas mal d’expérience dans l’animation, dans la jeunesse, tout ça. J’ai une capacité à accrocher avec les ados des milieux sensibles. J’aimerais bien réussir à travailler avec eux hors institution scolaire.

Là, je vais postuler à une médiathèque de Plaine Commune.

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