Interview de Sara (boxeuse)
Interview de Sara à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 29 mai 2017
Sara est une jeune boxeuse. Elle a découvert cette passion il y a un an. Cette année elle passe le bac. Elle veut atteindre le haut niveau en boxe. Alice, sa mère, fait partie du même club (Esprit Libre) en tant que boxeuse mais aussi entraineure.
Est-ce que tu te rappelles la première fois où tu es rentrée dans une salle de sports de combat ? Est-ce que tu peux me raconter ?
Mon premier sport de combat ça a été le judo. J’étais toute petite. C’était dans un dojo à Bobigny, tout ce qu’il y a de plus banal.
Avant chaque rentrée, on recevait dans notre boîte aux lettres un petit livret avec tous les sports de la ville. Chaque année je le feuilletais avec ma mère pour choisir un sport, vu que je changeais tout le temps de sport ou presque. J’hésitais entre la capoeira et le karaté, le taekwondo et le judo. Je voulais un sport de combat dans tous les cas. Je ne sais plus pourquoi j’ai choisi le judo. Je crois que je trouvais que c’était le sport le plus complet pour mon âge. Je venais de faire de l’équitation et de la natation, donc je me suis dit : autant changer. Ma mère aussi voulait me faire découvrir de nouveaux horizons donc je me suis dit : « Pourquoi pas un sport de combat ? »
Quand j’ai commencé je devais avoir six ans. J’en ai fait un an ou un an et demi, et j’en ai refait un an quand j’avais onze ans.
J’ai aussi fait du multisports, donc j’ai déjà fait du rugby, du baseball, des choses comme ça. Et jouer dehors au foot.
Qu’est-ce qui est différent pour toi entre un sport d’équipe, un sport individuel, et un sport de combat où on est à deux ?
Un sport individuel, tu ne comptes que sur toi, sur tes propres compétences, alors que pour un sport d’équipe, il faut compter sur toute son équipe, il faut s’adapter. Un sport de combat ce n’est vraiment que toi. C’est toi et toi. Après ça se joue avec ton adversaire.
On peut mieux évaluer son niveau, ses compétences, son évolution au cours d’une année. Moi perso je préfère. Pour moi c’est plus difficile de se faire évaluer dans un sport d’équipe, quand on n’a pas forcément l’équipe de rêve. Je ne trouve pas ça juste.
En sport de combat, il faut s’adapter à son adversaire bien sûr. C’est du travail. Tu t’adaptes à ton adversaire pour gagner mais ce n’est pas un handicap, au contraire. Alors que je trouve que dans les sports collectifs la plupart du temps c’est un handicap. Tu dois t’adapter aux autres mais au final tu n’es pas au meilleur de tes capacités.
Quand as-tu commencé la boxe ?
L’année dernière.
L’année d’avant, j’allais le samedi à Bobigny avec ma mère.
Quand je suis rentrée dans la salle de boxe à Bobigny, c’était impressionnant ! C’était vraiment impressionnant parce qu’elle est super grande, on voit le ring, on entend les bruits de sac, franchement c’est motivant.
Ma mère était ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) depuis trois ans, mais le samedi ils ne pouvaient pas toujours faire cours ici, donc ils allaient à Bobigny. Vu que j’habite à Bobigny, elle m’emmenait. Je ne faisais pas de sport l’année où elle m’emmenait – enfin si, je faisais de l’équitation- . L’année qui a suivi, c’était l’année dernière, je me suis dit : « Autant faire de la boxe », vu que je ne savais plus trop quoi faire. J’aimais bien, mais ça ne me captivait pas plus que ça. J’y allais pour y aller. Ce n’était pas ma grande passion. J’y suis allée de temps en temps, j’ai dû y aller huit fois dans l’année.
L’été dernier, pendant le ramadan je venais m’entrainer ici et j’ai bien aimé. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. J’ai bien aimé, je trouvais ça pas mal, même de s’entrainer quand on était à jeun, je ne trouvais pas ça fatigant, je trouvais ça intéressant. Sachant que ma mère est dans le milieu et qu’elle ne parle que de ça je me suis dit : « Je vais me mettre à boxe. » Ma mère m’avait dit : « Fais-en si tu veux. » J’avais répondu : « Oui, je vais voir. »Je ne savais plus trop quoi faire comme sport. Je détestais le sport, franchement. Je me suis dit : « Autant faire de la boxe. »
Je détestais vraiment le sport. J’en ai fait plein, mais je n’étais super pas sportive. Quand je faisais de l’équitation par exemple, je n’étais pas sportive. Je le faisais, j’aimais bien, mais c’était plus parce que j’aimais les animaux et l’ambiance. Je n’étais pas sportive, je détestais ça, je ne pouvais pas courir plus de dix minutes. Au sport, j’essayais tout le temps de trouver des excuses pour me faire dispenser, je détestais ! Je ne sais pas pourquoi. Parce que je me trouvais nulle, et je ne faisais pas le travail pour m’améliorer. Je ne travaillais pas ; du coup quand je devais en faire j’étais nulle ; du coup je n’aimais pas ; du coup c’était un cercle vicieux.
Donc après l’été, je me suis dit : « L’année prochaine, je ferai de la boxe. »
Et je m’y suis mise vraiment sérieusement.
Et au final, j’ai plus qu’accroché ; vraiment.
Le plus étonnant c’était que je me découvre des capacités. Franchement. J’ai découvert que je pouvais être souple, endurante un minimum. Ça me donnait une motivation, même par exemple pour perdre du poids. Avant quand j’essayais je n’y arrivais pas et là, je ne perdais pas du poids pour moi, mais pour augmenter mes capacités. Je me disais : « Si je perds du poids, je pourrais encore plus faire ça, je pourrais devenir plus rapide… » Et au final, je mangeais équilibré, je ne mangeais plus autant qu’avant. Sans m’en rendre compte en fait. L’esprit de compétition aussi … Oui, c’est ça qui a changé. L’esprit de compétition, c’est savoir pourquoi on fait du sport. Pourquoi on se dépasse. C’est vouloir se dépasser à chaque fois, et gagner. Je n’ai pas été confrontée vraiment en compétition, mais déjà le fait de se dépasser, presque de vouloir souffrir ! Mais d’aimer ça en fait ! Je trouve, oui, que c’est bizarre venant de moi. Je n’avais jamais senti ça. Pas du tout. Quand j’étais petite je faisais ça pour m’amuser, après j’ai détesté ça, et maintenant je sur-kiffe. Franchement, j’aime trop !
Je trouve que ma vie, elle s’est adaptée à la boxe ! Franchement ! Je ne pensais qu’à ça, je passais mes WE à des compétitions quand il y en avait, je ne regardais que ça, je ne m’intéressais qu’à ça. Ça a changé vraiment tout : mon alimentation, ma façon de penser. Oui, ça a vraiment tout changé. Je ne suis pas comme avant, je ne suis pas aussi faignante qu’avant. Je ne me considère pas comme sportive, mais je sens que je peux le devenir. Ça redonne franchement confiance en soi. Je trouvais que les sportifs avaient trop confiance en eux, mais maintenant je comprends pourquoi ; parce que tu te vois évoluer, tu le sens, et c’est ça qui est bien.
Au début de cette année, tout mon temps était consacré à la boxe. Après on m’a interdit de venir aux entrainements, on m’a dit que c’était du surentrainement. Je venais quatorze heures par semaine, j’enchainais parfois deux entrainements, quatre heures d’affilée, je ne mangeais quasi rien, je n’étais pas dans l’anorexie mais je mangeais moins, je travaillais. Je dormais plus, ça, je dormais plus ! Mais je boxais vraiment beaucoup plus : ils me voyaient tout le temps ! À un moment, Farah et Paly (entraineurs) sont venus me voir, ils m’ont dit : « On t’interdit de venir. Pendant deux-trois jours, on ne veut plus te voir. » Ça prenait tous mes loisirs, je n’allais pas aux anniversaires de mes potes parce que je me disais : « Je risque de manger, de prendre du gâteau ou des boissons. » Je ne sortais pas parce que je savais que j’allais manger ou parce que j’allais m’entrainer. Combien de fois j’ai loupé des sorties au parc d’attraction à Disney pour venir aux entrainements ou aux compétitions ! Oui, ma vie sociale au début de l’année, elle y est bien passée ! Au début c’était trop, vraiment. Après je me suis dit : « Il faut peut-être être plus rationnelle dans ce que je fais. » Je me suis plus raisonnée.
La seule fois où j’avais senti ça avant, c’était quand j’étais à fond derrière la cause animale, que j’étais devenue végétarienne, et que je ne pensais qu’à ça. C’était entre mes 11 et 14 ans. C’est les deux seules fois où ça me l’a fait vraiment : ça et la boxe.
Pour la boxe, j’espère que ça durera infiniment. J’aimerais bien élever mes enfants dedans.
Tu as déjà fait des compétitions ?
Non. Mais je suis allée en voir. J’aime trop, clairement ! Cette année, je devais en faire. Je m’étais inscrite, on m’a disqualifiée à cause de ma tenue. Mais vraiment c’est trop bien, j’aime trop l’ambiance, comment ça rend les gens, franchement. On est pire que solidaires, les personnes qui combattent elles kiffent ça… Je pense que ce qui est le mieux, c’est la préparation. Je suis contente de l’avoir vécue, parce que c’était trop bien ! Tu sais pourquoi tu t’entraines, tu t’entraines corps et âme, tu manges super bien, tu as du soutien, ça le mieux. Clairement, une fois qu’on m’avait disqualifiée, pendant une à deux semaines je venais à l’entrainement, mais je n’avais plus de motivation. J’ai recommencé à manger comme je mangeais avant, j’avais complètement perdu ça. Après, on est revenu me voir, me dire que ça ne servait à rien de baisser les bras. Donc je continue, mais dans le but de combattre plus tard, parce que sincèrement, si je n’ai pas ce but-là, je ne vois pas pourquoi je le ferai. Je ne pourrais pas en faire qu’en loisir.
Tu dis que tu veux que ça dure en boxe. Est-ce que tu t’es donnée des buts, des objectifs ?
Comme tout le monde : m’améliorer. Mais vraiment j’aimerais atteindre un niveau excellent. J’aimerais pouvoir rivaliser avec mes coaches ! Ça serait trop bien. Et après, partir à l’étranger et réussir à faire des combats, des bons combats. Même rentrer en équipe nationale, ça serait trop bien !
J’aimerais que ça reste une partie de ma vie mais je n’ai pas envie que ce soit mon métier et que toute ma vie tourne autour de ça. Ceux qui sont trop dedans, ils n’ont plus aucune vie hormis ça, et je n’ai pas envie que ça soit ça. J’ai envie que ça reste un plaisir, un loisir, mais que j’atteigne un niveau vraiment excellent, oui, ça serait bien.
Pour ça, il faut du mental. Et de l’entrainement. C’est tout. Quand on a le mental on a tout le reste : la motivation pour aller s’entrainer, la motivation pour bien manger, etc. Ça demande du mental, c’est tout. Avoir du mental, c’est arriver à comprendre pourquoi on se fait du mal. Parce que c’est un mal pour un bien. Il y en a plein qui détestent leur entrainement, même Mohamed Ali. Il a dit qu’il a détesté chaque minute de ses entrainements, mais qu’au final il savait très bien pourquoi il le faisait. Je pense que c’est ça, avoir du mental. C’est savoir pourquoi tu te restreins dans la nourriture, pourquoi parfois tu stoppes ta vie sociale, pourquoi tu dois t’entrainer. C’est ça, avoir du mental. Comprendre pourquoi on fait tout ça. Pourquoi on se prive.
Pour aller loin, clairement je suis prête à sacrifier ma vie sociale. Pas totalement, mais ce que j’ai fait au début de l’année, je pourrais le refaire. M’entrainer tout le temps, je pourrais le faire aussi, ce n’est pas quelque chose qui me dérangerait. Tant que j’ai un but, je ne vois pas où est le problème. Ce qui pourrait me freiner, c’est si ça met ma vie future en danger. Si ça perturbe mes études, ou ma santé. Si je vois que je commence à avoir des problèmes, je sais que c’est quelque chose qui pourrait m’en empêcher. Mais les dangers, tant que je ne les aurais pas vécus, je ne pourrais pas me dire : « Oui, je vais faire attention ».
Tu penses que le règlement va changer et que le voile ou une tenue adaptée va être autorisé aux compétitions ?
Ça me tient à cœur, mais je n’ai pas trop d’espoir là-dessus, parce qu’on a déjà eu les mêmes problèmes au foot, au karaté, dans plein de sports qui sont beaucoup plus réputés, donc je ne vois pas pourquoi ça changerait. Je me vois plutôt bouger à l’étranger pour faire mon sport. Clairement, ici, je n’ai pas trop d’espoir là-dessus.
À part Alice, ta mère, qui entraine au club, il y a d’autres personnes de ta famille qui font de la boxe ?
Tout le monde ! On fait tous de la boxe ! Ça vient de ma mère. Elle en fait depuis qu’elle est jeune et du coup mon petit frère a commencé ; à un moment, elle ne voulait pas que j’en fasse. Oui, bizarrement, c’est ce qu’on se disait aujourd’hui quand on arrivait. Quand j’ai eu dix ans, j’avais eu l’idée, je voulais en faire, j’hésitais entre le rugby, le foot et la boxe, c’était mon petit air garçon manqué, et elle ne voulait pas de la boxe. Elle me disait : « Non, tu vas te casser le nez… » . C’est bizarre, venant d’une boxeuse de dire des choses comme ça ! Et au final c’est elle qui m’a motivé à en faire ! Ma mère en a fait, mon petit frère en a fait, cette année mon tout petit frère en a fait, mon père en fait depuis deux ans et moi je suis arrivée en même temps que mon petit frère, un peu avant.
Mon père en fait plus pour travailler le cardio, ce n’est pas vraiment de la technique. L’année prochaine il compte améliorer sa technique ; mes deux frères c’est de la boxe française, ma mère est en full et moi j’ai plutôt fait du kick que du full cette année.
L’année prochaine je reste ici, il y a ma mère donc je viendrais souvent. Mais vu que je suis aussi chez les ados, et que la section s’arrête l’année prochaine, ils veulent nous transférer dans un club de thaï à la Courneuve. Du coup je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Faire ça à côté et venir ici quand il y aura les entrainements spécial compétitrices.
La boxe la plus complète, c’est la boxe thaï. C’est indéniable. Je n’en ai pas fait beaucoup cette année parce que je n’ai pas trop eu l’occasion, mais je pense que c’est la meilleure ; tout le monde le dira. Celle que j’ai le plus pratiquée, que j’ai préférée, c’était le kick. L’année prochaine, je compte bien m’améliorer en boxe thaï. Mais bizarrement, quand je m’imagine boxer en pro, je m’imagine boxer en kick et pas en thaï. Peut-être parce que je n’en ai pas assez fait et que je n’arrive pas à évaluer mon niveau. Je ne sais pas. L’anglaise pour moi c’est à côté. Je pense que si tu arrives à faire du kick ou de la muay en ayant une bonne anglaise, tu pourras faire des combats en anglaise à côté, mais pas que de l’anglaise.
Tu regardes souvent des combats ?
Je ne suis pas trop combat de boxe, je préfère les combats d’UFC (combats de MMA). Les boxeurs, je préfère m’intéresser à leur vie. Je trouve que leur vie est plus passionnante que leurs combats. Je découvre grâce aux films, aux documentaires ou biographies, à leurs livres. Oui, c’est ça que je trouve le plus intéressant. C’est là que tu comprends bien leur mental. En regardant des combats, certes tu vas comprendre leur technique, mais pas comment ils sont arrivés à ça.
Actuellement j’aime bien Tony Yoka, en boxe anglaise. Après, Mohamed Ali vraiment, et en UFC, comme tout le monde, Conor McGregor ! Comme femmes, il y a la copine de Tony Yoka : Estelle Mossely. Et en UFC, je trouve que les meilleurs combats c’est les combats de femmes, clairement. Mais non, je n’ai pas d’idole. Je regarde, c’est tout.
Le MMA (Mixed Martial Art) c’est le sport le plus complet que je connaisse ! Franchement. Je n’aimerais pas forcément en faire, enfin en loisir peut-être, mais pas forcément être dans une cage ! C’est impressionnant, ce sport. Il demande… c’est du surentraînement qu’il faut pour réussir à faire ce qu’ils font. Ça me tenterait d’essayer. Clairement. Je vais déjà améliorer mon niveau de boxe, et si dans quelques années je suis bien, pourquoi pas dévier vers du MMA ? En tous cas, j’aimerais déjà réussir à avoir un très très bon niveau de boxe et pouvoir faire des vrais combats.
Par contre, je n’aime pas le jiu-jitsu, ni le grappling. J’aime les combats MMA en UFC, mais dès que c’est du jiu-jitsu ou du grappling, je trouve ça ennuyant. Même le judo. Le judo j’aime bien en faire, mais à regarder, je trouve que ça n’à rien à voir avec un combat de boxe. J’étais aux championnats du monde, il n’y avait que les meilleurs, la crème de la crème, je regardais, j’étais là : « Oui, OK, c’est bien mais sans plus. » Pour l’instant, je préfère me concentrer sur la boxe, parce que je n’ai pas encore atteint le niveau que je souhaiterais atteindre.
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