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L'Épopée de Gilgameš, Le grand homme qui ne voulait pas mourir

Trad. de l'akkadien par Jean Bottéro, Gallimard 1992 
Quand Gilgames rencontre Enkidu, la première chose qu’ils font c’est lutter. Gilgames

C’est sans doute le plus ancien roman de l’histoire de l’humanité. Racontée en Mésopotamie, entre les deux fleuves du Tigre et de l’Euphrate, gravée sur des tablettes cunéiformes plus d’un millénaire avant Jésus-Christ, L’épopée de Gilgamesh a été notée, recopiée, transformée, adaptée, traduite, lue, transmise pendant mille cinq cent ans. Perdue ainsi que sa langue d’origine – l’akkadien - au début de notre ère, elle fut exhumée des sables lors des fouilles archéologiques du 19° siècle.

C’est d’abord une immense amitié qui est narrée. Elle unit Gilgamesh, roi d’Uruk, à une sorte d’enfant sauvage, Enkidu élevé par des loups dans la steppe et amené à la civilisation par une prostituée « la joyeuse ». La rencontre de Gilgamesh et d’Enkidu se fait lors d’un combat. Une lutte, un corps à corps, où d’emblée, sans un mot, les deux hommes vont s’affronter. Le sujet de la querelle est le scandale qu’éprouve Enkidu devant la prétention de Gilgamesh d’exercer son droit de cuissage sur une jeune mariée. C’est pour interdire l’entrée de la maison nuptiale qu’Enkidu affronte le terrible roi d’Uruk. Le manuscrit sur les suites du combat est lacunaire. On passe directement du combat à l’amitié. Mais est-ce une vraie lacune ? À l’issue de la lutte les deux hommes se connaissent parfaitement, les deux corps se sont rencontrés, ils savent tout l’un de l’autre. Comme dans le rêve qui a précédé leur rencontre, Enkidu s’est présenté devant Gilgamesh comme un bloc compact tombé du ciel. Une sorte de portrait en deux mots d’un lutteur. C’est donc un grand éloge de la lutte que cette épopée de Gilgamesh. Le texte, comme les combats d’aujourd’hui des lutteurs, nous renseigne sur les tréfonds les plus archaïques de l’humanité, sur ses aspects les plus répugnants –Gilgamesh est, avant sa rencontre avec Enkidu, un tyran – et aussi les plus nobles – Gilgamesh ira à proprement au bout du monde, au confins des enfers, à l’embouchure des enfers, dans l’espoir de retrouver Enkidu, et échouera à ramener le secret de la vie éternelle. Nous le voyons au faîte de sa puissance, tuant Um-baba, le terrible gardien de la forêt des cèdres, et aussi de sa faiblesse, ne parvenant pas à se séparer du cadavre d’Enkidu alors que les vers tombent déjà du nez de ce dernier. La terre, la poussière n’est jamais loin, le ciel non plus.

Le manuscrit est lacunaire, la très belle traduction de Jean Bottéro, respecte scrupuleusement ces lacunes, les interpolations qu’il faut faire pour donner une restitution plausible du texte. On a le sentiment de capter une radio lointaine, un message venu de très loin, brouillé, dégradé, et pourtant immédiatement sensible dans ces silences.

En fait, j’ai un peu de mal à expliquer pourquoi ce Gilgamesh, pourquoi ces statues des rois mésopotamiens conservées au Musée Pergamon de Berlin, me semblent directement connectées aux corps des lutteurs que je photographie aux Diables rouges à Bagnolet. Mais peut-être est-il inutile de faire le lien, peut-être poser les deux objets l’un à côté de l’autre suffit.

De toute façon, le lecteur de l’épopée de Gilgamesh, recevra un grand bonheur venu de très loin.

extraits choisis de l'épopée de Gilgames dans la traduction de Bottéro

la petite amie imaginaire, de John Irving,1996

Irvingtraduit par Josée Kamou, Editions du Seuil, poche.

La Lutte est un thème réccurent de tous les romans de John Irving. C'est un sport que l'écrivain à succès a pratiqué et enseigné (et arbitré) avec passion presque toute sa vie.

Il s'agit ici d'une autobiographie où l'auteur décrit de manière très concrète et concise sa formation à la fois d'apprenti écrivain et de lutteur. Au fil des récits et des digressions, il évoque ses rencontres déterminantes avec les entraîneurs, lutteurs ou professeurs de littérature qui l'ont marqué. Irving était dyslexique et pas vraiment un athlète non plus. Mais il suivit le conseil de son premier entraîneur, Ted Seabrooke "Tu n'es pas spécialement doué, et après? ça n'est pas une raison pour laisser tomber." Adolescent, s'il ne luttait pas, il lisait. Sa chance fut que dans les Universités amércaines on enseigne la Lutte et l'écriture littéraire comme deux matières à part entière.

Irving ne cherche pas à théoriser le lien entre ses deux pratiques, elles se trouvent juste être au centre de sa vie. Le livre est intéressant aussi pour les comptes rendus détaillés des matchs vécus dont Irving se souvient précisément.

 "L'amateur rebat les oreilles de tout le monde à vouloir expliquer le pouquoi de sa prédilection et, dans le fond, quelle importance? La Lutte, comme la Boxe, est un sport où l'on est divisé en catégories selon son poids. Autrement dit, on s'affronte à des gens de son gabarit. Le choc est parfois très rude, mais la surface où l'on atterrit est raisonnablement molle. Et puis, les sports de combat comportent des aspects tout à fait civilisés; ainsi, cette règle que j'ai toujours admirée et qui veut que l'on soit responsable de son adversaire: quand on le soulève du tapis, on s'assure qu'il y retombe intact. Mais quant à dire pourquoi j'aime la lutte, j'avancerais que c'est sans doute la première discipline où j'ai valu quelque chose."

 On trouvera néanmoins à la fin de cette interviewd'Irving, donnée à l'Express en 2011, une comparaison plus explicite entre le travail du lutteur et celui de l'écrivain.

Rapport de l'Office Mondial de la Santé sur la Violence, 2002

On trouve dans le RAPPORT MONDIAL SUR LA VIOLENCE ET LA SANTEla définition de la violence suivante : "La menace ou l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraine ou risque fortement d’entrainer un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement ou des privations." (Chapitre 1. La violence-un défi planétaire, p 5).

Si on applique cette définition au sport, comme David Mayeda aimele faire dans ses articles sur le MMA, on peut dire que les sports qui nous intéressent ici sont donc fondamentalement violents. Puisque ce sont des sports où, comme dans tous les sports de combat en général, "l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre (...) autrui" est non seulement nécessaire mais approuvée. (même si on ajoute la nuance qu'à la Lutte il est interdit de frapper ou de blesser intentionnellement l'adversaire, à la différence des sports où il y a "percussion"),

Mais tout le monde n'a pas la même définition de la violence, c'est subjectif. Tout comme le seuil d'acceptation de la violence varie énormément d'un individu à un autre, et d'une société à une autre (voir la note de Stéphane sur Nietzsche), et bouge aussi au cours du temps (voir celle sur Elias).

Frapper quelqu'un dans la rue vous amènera en prison, mais le même geste fait sur un ring peut vous rendre riche et célèbre. Mais, me direz vous, sur un ring il s'agit de violence entre participants consentants et encadrés. Il y a donc une violence sportive socialement acceptable, et, pour reprendre les mots de Oates, un endroit où la « transgression du tabou de la violence est ouverte, explicite, ritualisée et routinière – ce qui confère aussi à la Boxe, ajoute-t-elle, son étrangeté familière ». La mesure selon laquelle un événement peut être considéré comme plus ou moins violent, ou d'une violence socialement acceptable dépend de comment nous définissons la situation dans laquelle la violence est utilisée. C'est une définition construite socialement.

 En quoi chercher à définir la violence dans le cadre de ces sports (dans la manière dont elle est vécue, gérée, ritualisée, encadrée, mais aussi représentée et médiatisée) nous intéresse? C'est parce que nous croyons que cela peut nous aider à réfléchir d'autres violences, peut être moins visibles, dans nos vies et la société (là où la violence ne se réduit pas à la blessure physique, mais peut aussi être structurelle, basée sur des choses comme les inégalités sociales, les lois injustes…)

Par exemple (mais peut-être trouverez-vous inepteet même choquant de comparer un conflit social à un affrontement sportif) au moment où j'écris cette note, on parle beaucoup de violence à propos de "l'affaire d'Air France" d'il y a quelques jours (violence physique, violence sociale, violence politique). Qu'il soit dans la bouche ou sous la plume de salariés en colère, de patrons déguenillés, de politiques ou de journalistes "indignés", le même terme ne fait pas référence à la même chose et montre bien aussi que toutes les violences n'ont pas le même poids ni la même considération politique et médiatique suivant le côté où l'on se trouve d'un rapport de force.

Entre la violence de l'humiliation imposée à un patron par des salariés (et son amplification médiatique en "lynchage") et la violence d'un plan social (lui, sans image) qui a un effet direct sur les vies de milliers de salariés (doublée par la violence du mépris et de l'indifférence des directeurs, puis par la condamnation des salariés dont le premier ministre a jugé la "violence inacceptable" ), il y a une grande différence de perception, d’acceptabilité et de traitement médiatique. Exprimer (de la part du gouvernement et de la majorité des médias) dans ce cas qu’une violence est plus acceptable qu’une autre nous indique que nous vivons dans un monde où la chemise d'un patron vaut plus que les vies de milliers de gens. On peut remarquer aussi que d’un côté il y a une violence avec une image (celle d’un directeur entouré de policiers et obligé d’escalader torse nu une grille pour échapper à des manifestants, pratiquement un symbole à l'heure qu'il est) et une autre invisible (on ne parle pas des suicides des salariés).

C’est pourquoi j'engage à regarder l'interview télévisée de Xavier Mathieu,qui est en fait, comme me le fait remarquer Stéphane, le combat d'un homme seul dans un dispositif destiné à le laminer, face à une meute de journalistes hostiles, mais qui devant sa détermination sont bien obligés de courber l’échine. Sa capacité à utiliser sa colère, à la montrer avec discernement sans se laisser submerger est la preuve d'une remarquable intelligence de l'émotion, et c'est exactement ce qu'est supposé faire un boxeur sur le ring.

Reading the Fights, the best writing about the most controversial sport, 1988.

Reading the FightsPar Joyce Carol Oates, A.J. Lieling, Norman Mailer, Bill Barich, Gay Talese, Pete Hamill, George Plimpton, Edité par J.C Oates et D. Halphern, Prentice Hall Press.

Comment se fait-il que des êtres rationnels, intelligents et sensibles non seulement supportent mais prennent du plaisir à regarder, et vont jusqu’à adorer, un sport que tant de détracteurs considèrent au mieux dégradant et au pire barbare ? Les croisements des textes agencés par J.C Oates et D. Halphern produisent l’effet d’une conversation à plusieurs voix qui explore les raisons à la fois de l’attraction et de la répulsion que suscite la Boxe.

C’est un recueil d’essais très pertinents et très différents, qui vont de l’examen des réactions diverses que provoque la Boxe chez ses détracteurs sévères comme chez ses fans, aux récits d’événements marquants de son Histoire, en passant par quelques beaux portraits de boxeurs. L’ensemble donne ainsi un large aperçu panoramique des questions soulevées par ce sport.

Le dernier essai est la première version de l'essai « De la Boxe », de J.C. Oates (qui a été republié en français en 2012, voir la note qui lui est consacrée)

On a traduit quelques textes ici :

Lire les combats-Ronald Levao

Distance et étreinte-Daniel Halpern

Violence, violence-Ted Hoagland