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Découvrez la captation video de Boxing Paradise

Créé en octobre 2018, à la MC93 de Bobigny, un spectacle au bord du ring et de la vie.

captation video de Boxing Paradise de Stéphane Olry, avec Corine Miret et Hervé Falloux !

Une video de Pierre Linguanotto

La sieste

« Fourbu » le plus beau mot de la langue française selon Nicolas Bouvier

Je vais à deux entraînements de boxe par semaine. Au début je n’en suivais qu’un. Tout le monde m’a dit qu’on est moins fatigué quand on s’entraîne deux fois par semaine. Le corps prend le rythme, il s’habitue à l’effort. Alors qu’avec un seul entraînement, il doit se ré-acclimater à chaque fois. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que deux cours ce n’est pas deux fois plus fatiguant qu’un seul.

Donc, quand on me demande : « Ça se passe comment la boxe ? » Je réponds : « La boxe c’est fatiguant. »

Durant les entraînements, la douleur vient de la fatigue beaucoup plus que des coups. Chaque exercice (échauffement – apprentissage technique – mise de gant – gainage) est poussé à un point limite. Il me faut lutter contre l’essoufflement, le point de côté, la crampe, l’engorgement des toxines dans les muscles, le sang lourd, le souffle court : l’épuisement en somme. Dans le vestiaire, après le cours, on entend : « Il a chargé le cours ce soir Franky. C’était dur ce soir, non ? » Même les plus aguerris sont épuisés. Il n’existe pas le moindre entraînement dont on ne sort pas épuisé. Et plutôt content.

J’ai souvent du mal, malgré ma fatigue, à trouver le sommeil après l’entraînement.

  • « C’est l’adrénaline » m’a expliqué Hervé.

J’aurais dû y penser. Effectivement, le temps que l’adrénaline s’évacue de mon corps, je repasse dans mon lit les coups que j’aurais dû porter et ceux que j’aurais dû esquiver.

J’ai donc depuis deux ans une obsession : dormir. Mon inquiétude majeure est d’arriver en forme à l’entraînement. Deux heures d’entraînement, quand on est fatigué ou pire, malade, c’est interminable. Je passe mon temps à regarder la pendule au-dessus de la porte des toilettes. L’exercice commence et déjà je me demande comment je vais le terminer. Tous mes mouvements deviennent mous, approximatifs, informes. Je perds jusqu’à mes fondamentaux, ce qui me vaut reproches et corrections de la part de Mirko ou Franky quand ils passent à proximité. Je les sens alors découragés de me répéter éternellement les mêmes consignes : lever les poings, ne pas rester à plat, travailler mes appuis.

Et oui, fatigué, je bouge plus lentement. Je deviens une cible facile à atteindre pour Sébastien qui abuse sans pitié de ma faiblesse. Donc, quand je suis fatigué, non seulement je suis mal, je fais mal, et en plus je reçois des coups. C’est horrible.

Je fais la sieste.

J’avais l’usage jusqu’à récemment de résister à la torpeur du début d’après-midi. C’est une heure qui m’a toujours accablé. Je résistais, sans pitié pour moi, à l’engourdissement d’après déjeuner. Je m’asseyais avec volontarisme et café face à mon ordinateur. Je me dirigeais avec empressement vers la salle de répétition, enjoignant à mes camarades de ne pas tarder à me rejoindre sur le plateau. La sieste était un spectre, une tentation, un glauque abandon, un n’importe quoi temporel, une source de remord au réveil, bref un temps gâché que je repoussais avec dégoût.

C’est fini. Je suis désinhibé, et que ce soit jour de boxe ou non, je fais la sieste. Et je gomme en toute bonne conscience par le sommeil cette heure pesante, infructueuse, désagréable de 14h30 à 15h30.

« J’adore dormir », m’a confié Saïd. « Mon bonheur, le dimanche, après avoir fait le marché, préparé le repas, déjeuné avec ma famille, c’est de faire la sieste. En vacances, je dis à mes enfants, à ma femme : faites ce que vous voulez. Allez à la plage, allez vous promener, je dors. Je vous rejoindrai après la sieste. »

J’ai remarque qu’en effet, lorsque j’arrive en début d’après-midi au Boxing Beats, Saïd m’ouvre avec les yeux globuleux et la parole pâteuse de celui qui sort du sommeil.

Je dors bien. Profondément. Longuement. Je ne mets plus de réveil les matins où je n’ai pas de rendez-vous. Je traverse de longs rêves. La nuit dernière, j’ai rêvé qu’un arbre bourgeonnait sur mon balcon. « Pourtant, on est en novembre » ai-je songé dans mon rêve.

Lire dans les yeux

Quand on met les gants, on scrute son partenaire. On ne le quitte pas des yeux. On le prend en considération entièrement de l’orteil jusqu’au sommet du crâne et sans répit pendant trois minutes. Si on se soustrait à cette attention, la sanction intervient très vite sous la forme d’un coup.

Dans les conversations de vestiaires, j’entends des boxeurs prétendre lire le jeu de leur adversaire dans ses appuis, ou dans le déplacement de sa ceinture. Je ne suis pas assez savant pour ça, donc, mon adversaire, je le couve du regard. J’ai plongé mon regard dans celui de Sébastien ou de Hervé ou d’autre partenaires de boxe plus intensément que je n’ai jamais regardé mes amoureuses.

Adolescent, des expressions comme : « il lut l’impatience, le désir, dans le regard de X » me semblaient complètement abstraite, de pure figures de style. Moi, il ne me semblait jamais rien lire dans le regard d’autrui. Certes, pour être sensible au regard des mes interlocuteurs, il aurait fallu que je les regarde en face, ce que je ne faisais jamais. Je parlais, et je parle encore souvent dans cette attitude, sans regarder mon interlocuteur. Comme ces africains qui échangent sans se regarder des formules de politesses à toute allure, apparemment indifférents aux réponses de leur interlocuteur, mais sans doute sensibles, non pas au contenu rituel de la réponse, mais à aux minuscules inflexions de son intonation. Comme eux, je suis peut-être plus sensible à la musique des paroles, qu’aux variations météorologiques des regards.

En conséquence, un silence pesant, une inflexion méprisante, un ton agressif me semblent beaucoup plus violents qu’un regard de travers.

Un matin, notre instituteur se mit à crier sur un de mes camarades. Les mots qu’il assena au malheureux me choquèrent plus que les châtiments corporels auxquels notre maître nous avait habitué. Cette remontrance, cette algarade, cette engueulade, me déchirait les oreilles comme un long crissement de craie sur un tableau. Devant le spectacle de notre instituteur debout, la bave aux lèvres (il avait en effet assez souvent une sorte de liquide blanc à la commissure de ses lèvres), je me retenais pour ne pas me lever et m’enfuir. Mais j’étais tétanisé, comme mes camarades, et tous, assis à nos sièges, la tête baissée, le dos rond, nous attendions que la fureur passe comme passe un ouragan.

Je me demande pourquoi je garde si présent le souvenir de cette réprimande-là. Le professeur était coutumier du fait. Le camarade sur laquelle elle était tombée ce jour là m’était indifférent. Il n’a pour moi ni nom, ni visage. Juste une silhouette debout, la tête penchée, avec un pull rouge. La raison de la remontrance, je ne m’en souviens plus non plus. J’apprenais par cet instituteur de l’école de garçon de la rue de Turenne que le pouvoir n’a aucun besoin de raison pour s’abattre de la façon la plus sauvage sur celui qui lui a déplu. N’importe quel prétexte est le bon.

Dans le mot violence, il y a viol. Avec cette engueulade publique, l’instituteur violait nos âmes, en nous obligeant, en gardant un silence craintif, à une complicité avec lui, comme avec sa victime.

La première fois que j’ai vu des larmes dans les yeux de spectateurs d’un de mes spectacles, j’ai été très surpris. Je ne pensais pas posséder un tel pouvoir. Ce jour là, j’ai peut-être ressenti une émotion inverse à celle procurée des années auparavant dans la salle de classe.

Cette émotion est-elle d’aune nature radicalement différente ? Ou procède-t-elle de la même racine plongeant dans nos fibres les plus profonde mais pour s’épanouir de manière toute différente ?

Mélanome et boxe

Hervé suit notre exploration depuis trois ans. Il a boxé deux ans en boxe loisir au Boxing Beats. Absent depuis la rentrée, il écrit ce texte expliquant cette absence. Aprés avoir été opéré, il semble aujourd'hui sorti d'affaire. Hélas, il ne pourra plus boxer. Voilà le texte qu'il a écrit sur cette expérience.


J’ai appris le 10 septembre 2017 que j’étais atteint d’un mélanome choroïdien cancéreux à l’œil gauche.

Les muscles qui longent la colonne vertébrale se glacent.

Pensée fugace de cet après-midi-là : Est-ce qu’on peut ressentir cette sensation sur scène ? Ce froid ? Dans une pièce de Victor Hugo par exemple, quand un personnage apprend qu’il va mourir ?

En avoir « froid dans le dos », réellement et à plusieurs reprises.

Je me souviens du regard appuyé de l’interne qui m’invite à descendre à l’échographie ; Du sourire embarrassé de l’échographe que je remercie de l’examen ; Des silences un peu trop longs, oui surtout des silences un peu trop longs ; Des phrases : « Il y a une masse ; Il est hypervascularisé ; Vous avez un mélanome ; C’est malin (pour être malin, c’est malin ! Pensais-je) ; Oui, je veux dire : c’est cancéreux ; Je vous ai pris un rendez-vous en urgence à Curie ; Proton thérapie ; un cm et demi, la rétine est complètement décollée ; Enucléation ; Ce service est le meilleur. »

Enucléation.

Il y a un an et demi, pendant une campagne d’information sur les dons d’organes, j’ai dit à Ariane : « Je donne mon accord pour qu’on puisse prélever tous mes organes. Tous, sauf les yeux. Je sais pas pourquoi, mais tous, sauf les yeux. »

Enucléation, difficile à dire, difficile à imaginer.

« Enucléation, 10 octobre 17 », écrit à la main par le professeur Cassoux de l’institut Curie sur une feuille de soins un peu froissée.

Deux semaines. Le temps d’apprendre la nouvelles aux amis, le temps de se sentir bien comme jamais. La mort efface « l’avenir » et donne « le présent ». Cadeau. Ça doit être ça, « être en état de  Grâce ». Se satisfaire d’un rayon de soleil qui chauffe la peau, d’un tour de lac aux Buttes avec Ariane, d’un sourire de ma voisine dans le métro, recevoir la gentillesse, se sentir au monde. C’est chouette.

Et puis cogiter. D’où vient ce mélanome ?

La Boxe ? Et si ce mélanome était dû à la boxe. La première fois que j’ai remarqué qu’un léger voile gênait ma vision, c’était en revenant d’un entrainement au Boxing Beats. Avais-je reçu un coup sur l’œil gauche ? Probablement ! Ce coup avait peut-être provoqué une légère lésion, cette microscopique fêlure de la choroïde aurait provoqué une inflammation, les cellules cancéreuses y auraient fait leur lit pour peu à peu former un mélanome. CQFD.

Le soleil ? Je lis sur internet que les mélanomes choroïdiens sont plus répandus chez les patients ayant les yeux clairs et qu’ils peuvent être provoqués par l’exposition au soleil. J’ai les yeux clairs mais ne m’expose pas souvent au soleil, sauf après avoir nagé dans la mer.

Le Théâtre ? Je me rappelle les lumières de Marc Delamézière pour le spectacle « Mars ». Au début de la représentation, mon visage était très très proches des projecteurs. Ils m’éblouissaient et me brulaient les yeux. Est-ce la cause lointaine de ce mélanome qui me bouffe l’œil ?

Si la boxe me coute un œil, (j’ai envie de me poser la question crûment) est-ce que je regrette les entrainements deux fois par semaine au Boxing beats ? Est-ce que je regrette de m’être inscrit dans ce club à un âge ou tous les boxeurs ont remisé leurs gants depuis longtemps ? Pourquoi j’ai fait ça ? Nous avions vingt ans Eric Da Silva et moi. Nous étions inscrits dans un cours de théâtre et nous y faisions nos premiers pas d’acteur en herbe. En plus du théâtre, Eric pratiquait la boxe, et ne tarissait pas d’éloge sur ce sport, ces yeux s’illuminaient quand il en parlait. Il m’incitait à venir mettre les gants. Il était un peu plus grand que moi et avait, comme moi, de longs bras. « Tu verras » me disait-il « c’est un avantage.  Viens voir au moins. ». La peur l’a emporté sur l’envie. Je n’y suis jamais allé. J’avais peur. Peur de me faire casser le nez, peur de perdre mes dents, peur de l’arcade sourcilière éclatée. Trente cinq ans après, et trop tard, je me suis inscrit au Boxing Beats, enfin.

Si les expositions au soleil m’avaient rendu borgne, est-ce que je regrette ces moments où fatigué par la nage, je me laissais tomber sur ma serviette, essoufflé, mouillé de sel ?

Si les projecteurs, si proches de mes yeux au théâtre Paris-Villette avaient été le point de départ, l’élément fondateur, de ce mélanome, est-ce que je regrette ces représentations ?

Franchement, je n’y arrive pas. Je ne peux me passer du souvenir de ce monologue. Du plaisir, du trac, de la sensation d’être maître du temps. Comme je ne peux renoncer au plaisir d’être face à la mer, fatigué, réchauffé par le soleil et sentir les gouttelettes s’évaporer lentement en laissant sur la peau, sur les poils, des traces de sel.

Sincèrement, si c’était à refaire, sans forfanterie ni figure de style, je me réinscrirais au Boxing beats. Je revivrais ces séances d’entrainement exténuantes, obligeant à repousser ses limites (si rapidement atteintes en ce qui me concerne). Rechercher le beau geste, la belle boxe comme dirait Francky, le mouvement parfait qui part des hanches entrainant jambes et bras. Et avoir enfin un jeu de jambes de danseur, aérien et ancré dans le sol au moment du coup. Et puis les rounds amicaux sur le ring divisé en quatre. Chercher la faille chez l’adversaire, préciser les enchainements : direct du droit crochet du gauche direct du droit, direct du droit direct du droit crochet du gauche, direct du droit direct du gauche déplacement crochet du droit, direct du droit direct du droit direct du droit déplacement crochet du gauche se baisser sur ses jambes uppercut du droit…. Laisser venir, parer un coup, deux coups, laisser l’adversaire se découvrir, relâcher la garde, prendre confiance et instinctivement trouver la faille et placer le coup qui sonne.

Si je regrette quelque chose, c’est d’avoir trop peu nagé jusqu’à l’endroit dangereux, là où on n’entend plus la rumeur de la plage ni celle des vagues, l’endroit où les courants forts commencent à vous entrainer vers le large. Là où les sirènes émettent leurs chants. Aller jusque là-bas. Si je regrette quelque chose, c’est de n’avoir pas suivi Eric jusqu’à sa salle de boxe, il y a trente-cinq ans. Je regrette de n’avoir pas donné assez de coups et de ne pas en avoir assez reçus. D’avoir trop peu regardé d’adversaires en face, œil dans œil. Je regrette de ne pas avoir vraiment combattu, de ne pas savoir donner le coup qui sonne vif et puissant et de ne pas avoir été sonné à mon tour. Est-ce que je peux rester lucide malgré la fatigue et les coups reçus pendant trois rounds ? Je ne saurai jamais. Si je regrette quelque chose c’est le trop peu de boxe, le trop peu de risque, le trop peu de vie.

On dirait que tu aimes ça

L’exercice consistait à encaisser des coups. Pendant un round, il fallait esquiver, feinter, se protéger, parer, encaisser les coups de son partenaire sans jamais répliquer. C’est une école de patience, d’humilité, et de lucidité. Il faut faire face. Ne pas baisser les gants. Ne pas interrompre l’exercice sous l’excuse d’un coup qui serait malheureusement – ou trop heureusement – arrivé à destination.

Il me faut résister aussi à la tentation de répondre en profitant des ouvertures que mon partenaire - toujours un peu goguenard – laisse, certain qu’il est de ma passivité.

Avec Sébastien donc, nous intervertissons nos rôles. Après le round où j’ai dû subir ses assauts, Sébastien me lâche :

- « On dirait que tu aimes ça».

Je ne réponds rien.

Je me souviens que Camille après avoir lu le journal de ma pratique de l’exercice de Benjamin Franklin pour devenir vertueux en treize semaines, m’avait lâché d’un ton rogue :

- "C’est un truc de maso, cet exercice ».

Pour le coup, c’est elle qui m’avait blessé avec cette critique – sans doute était-ce son but, de me faire payer les souffrances que notre histoire d’amour occasionnait dans sa vie conjugale.

Bien sûr, l’exercice de la boxe contient une part non négligeable de masochisme. Beaucoup d’exercices requièrent une recherche de la souffrance, ou du moins son acceptation, qui s’avère plus ou moins productrice de jouissance.

« Faites de la souffrance votre compagne » disait Saïd lors d’un entrainement. Les exercices exténuants que s’imposent les boxeurs n’ont de sens que s’ils impriment une violence au corps afin de le contraindre à se tordre, à être forgé dans une morphologie qui le rend apte à recevoir des coups. Gainer ses abdos pour protéger son foie, entraîner le cœur à fournir le sang en quantité lors d’efforts répétés de trois minutes de durée, afin de ne pas tituber hors d’haleine au bout de deux minutes cinquante, ce qui abandonnerait dix secondes à votre adversaire pour vous cadrer et vous adresser un coup décisif.

Habituer le corps à recevoir des coups. À faire face. À ne pas détourner son visage. Ne pas baisser les bras. Ne pas jeter l’éponge. Où est le plaisir là-dedans ? Si c’est la souffrance pure qui est recherchée, pourquoi ne pas aller dans un club sado-maso ? Là aussi l’amateur de souffrance, le gourmet de la torture trouve chaînes, bracelets, cordes, cuirs tendus, tous accessoires en effet présents sur les rings de boxe.

Très vexé, j’avais répondu à Camille, les yeux dans les yeux : 

-« Je ne suis pas maso ».

Elle avait sursauté :

-« Ok, ok. Tu n’es pas maso. »

Aujourd’hui, ma réponse serait plus ambiguë. Oui, les règles du marquis de Queensberry qui régissent la boxe - port des gants, durée du combat, catégorie de poids etc. - régissent la jouissance d’infliger ou de subir la souffrance, et de se réjouir du spectacle de la souffrance d’autrui.

Il me semble pourtant que ce contrat qui lie entre eux les boxeurs, et les relie aussi aux spectateurs du noble art, ne recouvre pas qu’un sado-masochisme honteux.

Où se situe ma jouissance à moi, dans ce commerce entre la souffrance et le plaisir, qui me fait revenir deux fois par semaine au Boxing Beats ?

D’abord, j’éprouve le plaisir de témoigner d’une certaine persévérance, voire de ténacité. Oui, certainement je retire quelque orgueil à avoir persisté dans ma pratique sportive malgré tous les désagréments qu’elle implique : fatigue intense, corrections incessantes de mes professeurs apparemment peu convaincus par mes prestations, promiscuité avec des gens qui ne sont « pas mon genre ».

Ces désagréments peuvent aussi être ressentis tout à l’inverse : agréable sensation de vidange de la tête, sentiment de progresser dans ma maîtrise des mouvements du boxeur, rencontre avec des inconnus.

Non, le plaisir que j’expérimente dans la boxe est une sensation plus profonde, et que je ne soupçonnais pas du tout lorsque j’ai commencé à pratiquer il y a deux ans de ça.

Ma jouissance je la trouve dans la lucidité. Parfois, durant un round, je sens par fulgurance - pas tout le temps, en tous cas jamais trois minutes d’affilée, je me sens des éclairs de lucidité qui me permettent de ne pas être affolé, débordé, submergé par les coups de mon partenaire. Parfois, au sein de cette agression organisée, je parviens à garder la tête froide, un regard clair sur la situation. J’observe la manière de bouger de mon partenaire, ses enchaînements préférés, je note ses points faibles, et parviens à élaborer une tactique qui s’avérera efficace.

Mieux encore : il est des secondes, par illumination, donc par automatisme, où je parviens à saisir l’instant précis de la réplique, et à atteindre mon adversaire par un coup suffisamment précis et percutant pour que ses assauts suivants soient marqués par le sceau de la prudence.

Il n’y a rien de plus gratifiant pour moi qu’un coup en retour bien placé.

Photos de Boxing Paradise

Boxing Paradise Corine montre les enfantspoursite

Regarde les enfants. Ce sont les enfants du soutien scolaire. Tous les mercredi ensemble, vous faisiez des maths, de la physique, des SVT, du français.

Boxing Paradise Herve regarde Safiatoupoursite

Assis dans l’escalier de la mezzanine, tu regardes les jeunes sur le ring. Leurs personnalités fleurissent sous tes yeux. La fille avec un visage comme en gribouillis toujours en pyjama qui se mue en cours d’année en puncheuse calculatrice. Le petit joufflu qui vient parce que son père l’amène, mais qui n’aime décidément pas ça. Les deux copines qui restent une heure dans les vestiaires pour discuter.

Boxing Paradise herve montre spectateurspoursite

J’avouerai aux spectateurs mon trouble face aux combats. Regarder deux hommes se frapper au visage, chercher le K.O., je dirai : c’est beau et dégoûtant.

Boxing Paradise luppercutpoursite

Tu envoies des séries de directs au foie. À force d’insister, Camille finit par se pencher. Tu vois l’ouverture, et bing ! Tu remontes avec un uppercut au menton. Tu recules d’un pas et surprends le regard étonné, presque peiné, de Camille, ses grands yeux embués de larmes. Camille ne s’attendait pas à ça de ta part. Tu as exulté pendant une semaine, le jour où tu as placé ton premier uppercut à Camille !

Boxing Paradise Ta part femininepoursite

Les filles, c’est les premières à l’entraînement. Elles savent qu’elles doivent s’entraîner plus dur que les hommes.

Pourquoi ?

Parce que face à elles, elles auront d’autres filles. Et que sur le ring, les filles elles ne lâchent jamais l’affaire. » Moi, ton ange gardien, je dis ça je dis rien : Ta part féminine, tu l’as trouvée dans la boxe.

Boxing Paradise tu cours aux buttes chaumontpoursite

Tu t’entraînes tous les jours. Tu te dis « Un moment de vérité. En montant sur le ring, je vais connaître un moment de vérité ». Tu cours aux Buttes Chaumont. Tu t’es acheté un podomètre. Tu mesures tes temps intermédiaires. Le nombre de foulées. Ton rythme cardiaque. Toi qui te voulais sans Dieu ni maître, tu t’es trouvé un chronomètre et un podomètre pour gouverner ta vie.

tu prepares ton combatpoursite

Tu ne veux pas monter sur le ring comme un petit quinqua avec son petit bedon moulé dans son maillot. Tu as commencé par te peser chaque semaine. Puis dans les vestiaires, à la fin de chaque entraînement. Les autres boxeurs te demandent : il te reste combien à perdre ? Tu te pèses tous les jours. Tu déjeunes, tu te pèses. Tu pisses, tu te pèses. Tu vas à la selle, tu te pèses. Bref, tu prépares ton combat, tu ne fais plus que ça. Pourquoi ?

emmene moi a 4 cheminspoursite

- « Apprenez-moi la boxe ! Moi aussi je veux me promener dans la foule comme un requin parmi les bancs de petits poissons ! Emmenez-moi à Quatre Chemins ! »

- « Viens bébé ! Quittons ce jardin de bobos !

- « Oh yeah ! Allons éclater la gueule aux djihadistes, aux marchands de sommeil, aux trafiquants de drogues et à la racaille ! »

La journaliste se pâme dans tes bras.

Boxing Paradise carsinomepoursite

« Carcinome hépatocellulaire » J’ai senti mes muscles se glacer Autour de ma colonne vertébrale. Ce n’était pas comme un coup de poing. Là, l’onde de choc s’est enfoncée jusqu’à la plante de mes pieds Et au-dessous encore. Cancer du foie.

Boxing Paradise mille etoilespoursite

Je me souviens de toutes les fois où j’ai pleuré. Ce n’était jamais parce qu’un poing m’avait frappé. Ceux qui m’ont fait pleurer ont toujours agi à distance.

Par un courrier m’annonçant un refus d’ouverture de droit-chômage. Par une main invisible : Celle de l’agent EDF coupant le courant dans notre maison, Sans prévenir, depuis la rue,obligeant ensuite ma mère à quémander dans leurs bureaux un rééchelonnement de sa facture. Oui, la vraie violence, elle se fait toujours à distance, Loin de tout risque de riposte, bien au-delà de la longueur de mon bras.

Mon adversaire, je le connais, à présent. Il est en dedans.

Photos : Pierre Grobois Photos : William Vainqueur

presse Boxing Paradise

Boxing Paradise Herve regarde SafiatoupoursitePresse écrite et audiovisuelle publiée à l'occasion de la création à la MC93 en septembre et octobre 2018


Un reportage de Pascale Sorgues pour le Journal télévisé de France Région 3, à 19h le 2 octobre 2018

 


hottellocritiques de théâtre par véronique hotte Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

https://hottellotheatre.wordpress.com/2018/10/07/boxing-paradise-texte-et-mise-en-scene-de-stephane-olry/ - respond

Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

Stéphane Olry et Corine Miret s’initient aux arts martiaux et aux sports de combat depuis dix ans – la boxe anglaise pour le premier et le Kick Boxing pour la seconde. Boxing Paradise, le dernier spectacle des deux tenants radieux de La Revue Eclair procède de deux années d’immersion au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

Dépaysement urbain et social pour ces artistes qui font œuvre singulière à travers la quête d’un théâtre documentaire, d’autofiction et de réalisation vidéo. Les clubs de sport de la Seine-Saint-Denis, entre le club de lutte des Diables Rouges à Bagnolet pour La Tribu des lutteurset le Boxing Beats à Aubervilliers pour Boxing Paradise, n’ont plus de secrets pour eux, hantés par les sportifs, leurs entraîneurs et coaches.

La passion des concepteurs consiste à pénétrer la connaissance de l’autre, à se pencher – un travail approfondi de réflexion et d’appréciation – sur les sports de combat dans le corps à corps d’une relation, un dialogue éloquent mais non verbal.

La scène significative, physique et mentale, serait la séance d’entraînement de boxe, une succession rythmée d’activités collectives, à la fois sonores et visuelles.

Stéphane Olry et Corine Miret ont assisté de jeunes pugilistes – garçons et filles – qui suivent des séances de soutien scolaire, le mercredi, avant l’entraînement : des collégiens, lycéens, mais aussi des jeunes travailleurs dont la boxe est la vraie vie.

Le club de boxe est un théâtre naturel et cinématographique, et les images vidéo donnent à voir les différentes phases et propositions d’un vif entraînement collectif.

Hervé Falloux, comédien et boxeur, est invité par un ange gardien, Corine Miret, la narratrice présente sur la scène, à attendre la décision qui lui échoit, paradis ou enfer. A la plus grande surprise du candidat, le paradis serait pour lui le club de boxe animé où il s’entraîne depuis trois ans, et l’enfer serait ce club encore, mais déserté.

L’occasion est belle de faire retour sur sa propre vie ; le film auquel le public assiste tout en gardant à proximité le comédien sur le plateau, son ange gardien à ses côtés, présente le sportif courant, sautillant, et tapant punching balls et sacs de frappe.

Un double regard pertinent– belle mise en abyme – puisque le personnage observe lui-même ses compagnons et compagnes d’entraînement, ajustant ses points de vue selon les scènes qui défilent sous ses yeux – le training, la préparation du match, le match, les spectateurs partiaux installés plus haut sur une galerie au-dessus du ring.

La violence – l’agressivité – est profondément ancrée dans toute présence corporelle humaine, et les sports de combat permettent de contrôler et sublimer cette pulsion :

« Nul ne peut prétendre être indemne devant le spectacle de la violence, même réglée sur le ring. Mais nul ne peut prétendre être indifférent : fascination et horreur, répulsion et sidération, plaisir et dégoût, enthousiasme et indignation. »

Ces mouvements agitent le corps social des spectateurs et traversent leur intimité.

Hervé Falloux est à l’image sur l’écran du lointain, et vivant sur la scène. Il raconte la perte paternelle quand il était assez  jeune, mort d’une maladie tue. Aujourd’hui, ses filles l’occupent ; l’une d’elles fait de la boxe, il l’a ainsi suivie dans ce choix. La part féminine de la boxe est évoquée à travers jupe de tulle et sautillements légers.

Nous ne dirons mots de la métamorphose éloquente de l’ange gardien, et nous apprécions la métaphore du Boxing Paradiseici-bas, soit la posture choisie et contrôlée d’un combat à préparer, à mener et à emporter – d’abord, contre soi-même face aux imprévus de la vie et face aux autres, ensuite, dans l’échange et le partage.

Les boxeurs sont des taiseux, tout se passe dans le corps à corps, les yeux dans les yeux ; chacun se retire, abandonne le partenaire, prend un chemin autre, fort de soi.

Hervé Falloux apporte une présence authentique, à la fois humble et vigoureuse, tandis que la digne maîtresse des lieux et ange gardienne articule sa démonstration.

Un spectacle captivant dont les enjeux raffinés touchent à la qualité de l’existence.

Véronique Hotte

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, du 28 septembre au 7 octobre. Théâtre de la Poudrerie Sevran, le monologue Mercredi dernierde Corine Miret, du 12 au 14 octobre 2018, inspiré par les interviews des femmes avec qui elle a pratiqué le Kick Boxing pendant un an au Blanc-Mesnil.


Toute la Culture - Boxing Paradise, le dernier combat de Stéphane Olry & Corine Miret

3 octobre 2018 par Amelie Blaustein Niddam

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Deux metteurs en scène fous d’arts martiaux se prêtent au jeu du symbolique dans la salle Christian Bourgeois de la MC93.

C’est à une forme de théâtre documentaire très singulière que nous invitent, à l’écriture de ce Boxing Paradise, Stéphane Olry & Corine Miret, et, sur le ring,  Hervé Falloux et Corine Miret. La Revue Eclair est une compagnie très particulière qui fait du document une matière théâtrale sans premier degré.

Dans un huis-clos, l’homme attend des résultats. Mais les résultats de quel examen? La réponse arrive vite : son Paradis est un club de boxe. Car elle, et on l’apprend vite également est son ange gardien ! On y croit pas une seconde, elle planque un truc, et on ne vous dira pas quoi ! Son ton de voix, maternel et perché sonne faux. Elle va l’arnaquer, se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Il le saura bien plus tard, tout à la fin des 1H30 de la pièce, après avoir revécu sa vie de boxeur.

La compagnie explore depuis trois ans les clubs de sports de combat en Seine-Saint-Denis. La lutte et le Kick Boxing et, aujourd’hui la boxe. Sur des écrans de fortune, composés de toiles en plastique vertes sont projetées les impressionnantes images des entraînements au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

La rage des boxeurs, garçons et filles, tapant sur des sacs comme sur les autres selon des règles précises est en miroir opposé avec le jeu, ultra lent et calme qui pourtant nous parle d’un combat bien plus extrême.

Un exercice de style qui sait prendre de l’ampleur dans la progression de la pièce, au moment où les mondes fusionnent par l’irruption d’un drôle de boxeur, inerte celui-ci.



Un article de Jean-Pierre Thibaudat en page d’accueil de Médiapart :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/300918/corine-miret-et-stephane-olry-au-paradis-des-boxeurs

 Corine Miret et Stéphane Olry au paradis des boxeurs

Depuis trois ans, Corine Miret et Stéphane Olry fréquentent les clubs de lutte et de boxe de la Seine-Saint-Denis. Dernier volet de leur trilogie, « Boxing paradise », par le biais d’une fiction, nous entraîne au Boxing beat d’Aubervilliers.

Elle était danseuse, un accident a mis en sommeil sa carrière, elle est devenue comédienne. Il écrivait et jouait des spectacles depuis l’âge de dix-huit ans, dans les années 90 il s’est tourné vers la vidéo. Corine Miret et Stéphane Olry se rencontrent alors, et leur trajectoire prend un autre tour.

Kick boxing et boxe anglaise

Ensemble, ils tournent des cartes postales vidéo en Europe et dans le Moyen Orient, fondent la Revue éclair qui n’est pas une revue mais une compagnie, et bientôt ils mènent à bien, main dans la main, des spectacles qui ne ressemblent à rien de répertorié. Par exemple : Nous avons fait un bon voyage,un spectacle fait à partir de cartes postales trouvées ; La Chambre noire à partir d’archives familiales du grand-père d’Olry (officier de cavalerie) ; Treize semaines de vertu à partir d’un chapitre des mémoires de Benjamin Franklin ; Un voyage d’hiver à partir du séjour de Miret dans un village d’Artois où elle se coupe du reste du monde ; Les Arpenteurs, spectacle à épisodes où Olry et Miret entraînent des amis le long du méridien de Paris entre Dunkerque et Barcelone (lire ici) ; Une mariée à Dijon, spectacle éponyme du livre de MKF Fisher autour de la nourriture et de la cuisine (lire ici) ; Tu publieras aussi Henriette à partir d’un amour de Casanova (lire ici). Ils ont un sujet unique : l’aventure humaine, vaste sujet dont ils ne feront jamais le tour. 

Depuis trois ans, ils fréquentent des clubs sportifs du 93 (une action au long cours soutenue par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis). Les lutteurs des Diables rouges, un club de Bagnolet, est à l’origine de La Tribu des lutteurs (lire ici) présenté au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Corine Miret a pratiqué le kick boxing durant un an dans un club de femmes du Blanc-Mesnil ; de là est né Mercredi dernier, un monologue inspiré par les interviews avec des femmes pratiquant ce sport. Il a été présenté au Théâtre de la poudrerie de Sevran et dans des appartements de Seine-Saint-Denis. Enfin, ils viennent de créer Boxing paradise à la MC93, suite à deux ans d’immersion et de pratique pugilistique au Boxing beat d’Aubervilliers, club mixte. Stéphane Olry, tout en suivant les entraînements et en pratiquant la boxe, a filmé la vie du club et les compétitions. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du sociologue Loïc Wacquant resté en immersion durant trois ans dans un club de Chicago (cf. son ouvrage Corps et Ame, carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, éditions Agone). C’est au Boxing beat d’Aubervilliers qu’a été formée Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent aux JO de Rio en 2016.

A partir de ce matériau et de l’expérience d’entraînement qu’il y a menée à un âge respectable, Stéphane Olry a écrit une fiction. Ce que l’on ne voit pas dans Boxing paradise et qu’il n’a pas filmé, c’est le travail mené tous les mercredis pendant deux ans. En complicité avec l’entraîneur du club, Saïd Bennajem, Olry, Miret et des boxeurs bénévoles du club ont donné des cours de soutien scolaire aux jeunes venant suivre les cours de boxe éducative. A cela s’ajoute une enquête entamée il y a un an auprès de tous les jeunes qu’ils ont rencontrés dans les clubs sportifs de Seine-Sait-Denis « sur la violence, ou plutôt sur ce qu’ils ressentent comme violent ». Comment leur pratique sportive (lutte, boxe) « modifie leur regard sur la violence ordinaire, qu’elle soit verbale, institutionnelle, sociale, sexiste, raciste ».

L’attention pour autrui

Tout cela sous-tend et traverse en loucedé Boxing paradise. La fiction, plutôt classique, fait un peu penser à Huis-clos de Sartre : le héros (interprété par Hervé Falloux, vieux complice de la Revue Eclair) qui a un âge semblable à celui de Stéphane Olry, arrive au Paradis. Il est accueilli par l’ange-gardien (Corine Miret) qui doit s’occuper de lui et connaît tout de sa vie. L’ange lui explique qu’au paradis on vit dans le lieu où l’on a voulu vivre toute sa vie et ce lieu, pour ce qui le concerne, c’est une salle d’entraînement de boxe, le héros regrettant de s’être adonné à ce sport sur le tard. La ficelle est un peu grosse mais elle s’affinera au fil des échanges, particulièrement lorsqu’on apprendra le mal contre lequel le personnage a lutté avant d’être vaincu : le cancer. « Le spectacle se tient au bord du ring et de la vie », écrit Stéphane Olry.

Les deux acteurs sont sur le plateau et derrière eux plusieurs écrans nous montrent la vie du club de boxe. L’entraînement, les rings, un match acharné entre deux jeunes boxeuses amateurs. L’acteur figure sur les images de temps en temps. Tenant le rôle de Stéphane Olry, on le voit essayer maladroitement de sauter à la corde. Petit à petit, des accessoires de boxe viennent occuper le plateau. Mais le vrai entraînement filmé et plus encore le combat lors d’une compétition écrasent de leurs uppercuts le semblant du plateau contrairement à ce qui se passait dans La Tribu des lutteurs où l’entraînement mené sur la scène par les lutteurs était la colonne vertébrale du spectacle.

De ces trois années d’expérience, Stéphane Olry et Corine Miret ont tiré différents postulats où scène et ring font la paire. Par exemple : « Il est peu d’instants où on prend autant en considération autrui que durant un combat. Le mépris pour son adversaire ou son partenaire est immédiatement sanctionné. Cette extrême attention pour autrui qui est le moteur de nos créations théâtrales motive pour l’essentiel notre curiosité pour la pratique des sports de combat. » Ou encore : « Tout combat est décisif. En ce sens, le boxeur montant sur le ring a beaucoup à voir avec le comédien se produisant sur scène. L’un comme l’autre entrent alors dans une zone de vérité. »

Boxing paradise, MC93, mar et jeu 19h30, mer 14h30 et 19h30, ven 20h30, sam 18h30, dim 15h30, jusqu’au 7 octobre.

Mercredi dernier, reprise au théâtre de la Poudrerie de Sevran, du 12 au 14 octobre.


Jacquette de Bussac – Limbes-écrits

http://limbesecrits.over-blog.com/2018/10/de-la-boxe-comme-danse-et-inversement.html

 De la boxe comme danse et inversement

Publié le 7 octobre 2018

Dans nos batailles au quotidien, on se bat pour la survie, on se bat surtout et bien souvent, contre /avec soi-même.

En regardant, écoutant le spectacle « Boxing paradise » proposé par La Revue Éclair, je me dis bien sûr ! La boxe et la danse, se taire, s’épuiser, suivre aveuglément un coach, un maître à danser, s’entraîner sans cesse, au point que le club, le studio devient une deuxième maison, une deuxième famille, se droguer aux endomorphines, être seul(e) face à...soi-même, sa peur, sa faiblesse, son désir d’exister, d’être vu, c’est ça…

Cette écoute quasi maniaque du corps, de ses sensations,de son énergie, se peser avant après matin et soir, maîtriser la force, le poids, la fatigue, la douleur...Beaucoup de ces obsessions me rappellent la pratique de la danse. Les boxeurs sont des taiseux semble t il, ils parlent avec leur silence, leurs gestes, leurs corps, comme souvent les danseurs. Longtemps je me suis tue, la muette, l’autiste, tout bien fermé à l’intérieur, ça vous décuple la force physique.

La violence n’est pas dans les corps, ce spectacle très documenté nous le montre bien ; la vraie violence est sociale, on la subit tous les jours dans notre belle société démocratique, pas besoin de discours sociologique en regardant les vidéos filmées durant les séances d’entraînement du club, en voyant ces jeunes filles et jeunes hommes d’Aubervilliers se plier à la discipline du coach, rentrer la tête et protéger son menton, sautiller, trottiner, feinter, esquiver, suer, souffler, recommencer. Et la légèreté ? Oui il y a cette grâce du boxeur dansant, toujours en mouvement, qui échappe, se dérobe, jamais immobile ou c’est la fin du round !

Un beau moment de théâtre, qui m’a laissée un peu sonnée j’avoue, quand soudain la maladie s’invite sur scène, dernier combat à mener, métaphore ultime du désir de vivre, qui clôt ce moment de vérité sur scène.

Boxing paradise texte et mise en scène Stéphane Olry

avec Corine Miret et Hérvé Falloux

MC93 Bobigny

texte Mercredi Dernier

Corine Miret a écrit cette vraie-fausse Conférence sur la transformation de soi inspirée par les entretiens qu'elle a réalisées avec ses  camarades de kick-Boxing du club non-mixte Esprit Libre du Blanc Mesnil.

télécharger ici le texte de Mercredi dernier

 index levepoursite

le spectacle a été créé et joué en 2017-2018 dans trente appartements de Seine Saint Denis avec le Théâtre de la Poudrerie

 

 

Tu verras dans un an

Je m’abreuve au lavabo. Un camarade me croise alors que je sors « Ça va ? » me demande-t-il – « Ouais » je réponds. – « Tu verras les résultats dans un an » m’encourage-t-il. « Il faut un an et demi pour voir les premiers résultats en boxe ».

Voilà qui repousse de six mois l’échéance que je me suis donnée initialement. Mon objectif l’automne dernier était de suivre une année complète de cours au Boxing Beats. À cinquante trois ans, il me semblait déjà un peu ridicule de débuter ce sport. C’était une entreprise que je savais aussi assez vaine, dans la mesure où il m’est impossible d’être un jour en état de combattre. C’était surtout une occupation passionnante, et je m’y lançait dans les dernières années de ma vie où je pouvais physiquement encore l’oser.

J’ai donc signé un contrat tacite avec moi-même pour un an.

Pour un cours par semaine : celui du lundi avec Frankie.

Ma mission était d’apprendre le plus honnêtement possible la boxe, et de rendre compte dans le présent journal de cette découverte et des questions qu’elle ne manquerait pas de susciter.

Le lieu d’exécution du contrat était le Boxing Beat, d’une part parce que c’est un club qui accueille beaucoup de filles et a formé des championnes, or l’irruption des femmes dans les sports de combat est une nouveauté qui attise ma curiosité, et d’autre part parce que participer aux cours de soutien scolaire constituait un bon observatoire et aussi un défi excitant pour moi qui ai tant détesté l’école.

À défaut d’être doué pour la boxe – ou même d’avoir témoigné d’une marge de progression significative dans ce sport -, je me reconnais au bout de six mois au moins un mérite : celui de la constance. Ce n’est pas la moindre des vertus dans les activités du corps.

Pour être honnête, mon plaisir lors de ces cours du lundi était loin d’être pur et sans nuage. Souvent, je l’avoue, j’ai pris mon vélo pour Aubervilliers plus par devoir que par plaisir. L’épuisement durant les cours, la fatigue les jours après, ne furent pas les épreuves les plus difficiles à surmonter. Un grand obstacle pour moi fut ma timidité, et ma crainte de combattre des inconnus – et même frayer avec un monde qui – c’est évident, alors pourquoi le nier ? – n’est pas le mien.

Au fond, ce sont les gamins qui viennent au cours de soutien qui m’ont donné l’envie de m’accrocher. D’abord, je les aime bien. Ils sont parfois pénibles, mais beaucoup plus souvent bouleversants. Ils me donnent le sentiment d’être utile, ce qui est toujours agréable. Et comme j’éprouve les mêmes difficultés avec les gants de boxe qu’eux avec un stylo, le courage avec lequel ils affrontent les exercices scolaires constituent pour moi une forme d’encouragement à relever le même défi lors des exercices pugilistiques.

Il me semblait très ridicule à l’issue du soutien scolaire du mercredi de ranger mes crayons et de repartir quand arrivaient les boxeurs pour l’entrainement. J’ai donc commencé à venir aussi à ce cours-là que donne Ahmed. Tout le monde s’accordait au reste à me dire que le rythme de pratique et d’apprentissage vraiment sérieux commençait avec deux séances par semaine. De fait, boxer deux fois le lundi et le mercredi me fatigue moins qu’une seule fois.

Revenir cependant l’année prochaine au Boxing beats changerait nettement la nature de mon engagement. Je le rappelle, mon objectif était d’observer de l’intérieur la vie du club et d’avoir une initiation intime, répétée de la pratique de la boxe. Comme on écrit vulgairement dans les dossiers de demande de subvention : accumuler du matériau d’écriture pour un spectacle à écrire.

Or, si je reviens l’année prochaine, ce prétexte sera caduc. Ce ne sera plus le temps de l’enquête, mais le temps de l’écriture. Et cette activité, je le sais d’expérience, requière de prendre la distance avec son sujet.

Donc, si je reviens l’année prochaine, ce sera vraiment pour moi par goût de la boxe, par sympathie pour ce club et ses membres, et pour m’investir vraiment bénévolement dans les activités du Boxing Beats.

À suivre, donc .