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Audrey Chenu – Girl Fight

C’est la société qui est violente, pas la boxe

 

.couverture girl fight

Audrey Chenu –Girl Fight Presse de la Cité 2013

Audrey Chenu pratique une boxe élégante et précise.

« C’est la société qui est violente, pas la boxe », telle fut la réponse qu’elle nous donna lorsque nous lui avons demandé, lors d’un interview pour notre spectacle Boxing Paradise, si, à son sens, la boxe était un sport violent.

Avant un entrainement, elle m’avait raconté avoir écrit un livre Girl Fight, et aussi pratiquer le slam. Lorsque j’ai regardé sur internet ses prestations sur scène, j’ai remarqué qu’elle dégageait sur scène un sentiment fragile de timidité et de réserve, allié à une grande force. Elle cultive avec soin ce paradoxe, et cette capacité à tenir cette ligne d’équilibre impose le respect.

https://www.youtube.com/watch?v=WhFlhGbRwlg

Ensuite j’ai lu son livre qui venait d’être réédité.

La lecture de Girl Fightest éloquente sur la violence de la société quand celle-ci s’acharne sur une personne par l’entremise de la justice, via son bras armé l’administration pénitentiaire.

Prison

Adolescente délaissée par ses parent dans un village de Basse-Normandie, fille d’un père qui se révèlera chroniquement dépressif, Audrey est en terminale quand elle monte un florissant commerce de haschich. Sa prospérité et son indépendance sera de courte durée : un an, avant d’être balancée, et de se retrouver en préventive à la maison d’arrêt de Versailles.

Là, sa vie bascule. Elle découvre l’enfermement, l’arbitraire, la méchanceté profonde de ce système face auquel elle ne peut opposer que sa jeunesse et sa pugnacité. Il n’existe pas de prison quatre étoiles en France, et les prisons pour femmes ne font pas exception à la règle, au contraire : si d’aucun nourrit encore des doutes à cet égard, qu’il lise Girl Fight, et sera édifié. Plus souvent qu’à son tour, Audrey se révolte, se retrouve punie, envoyée au mitard. Elle se maintiendra debout d’abord grâce à l’amitié de certaines de ses codétenues, ensuite par sa rencontre avec un universitaire venu donner des cours en milieu pénitentiaires, et enfin grâce à la boxe.

« Mets ton matelas contre le mur. Donne les coups de poings que tu veux donner dedans. » C’est le conseil que lui a donné une compagne de cellule. Audrey découvrit ainsi la boxe qui lui permit –tant que faire se peut – de trouver un exutoire à sa rage contre une administration pénitentiaire qui tentait de la briser aussi bien physiquement que psychologiquement.

On en apprend beaucoup dans ce livre sur l’acharnement de la justice qui même après la peine purgée continue de poursuivre les délinquants à coup de casiers judiciaires et d’amendes des douanes. La récidive est inscrite dans l’organisation de la justice, et Audrey fut renvoyé en prison, alors même qu’elle recommençait sa vie. Entre les sursis qui sautent, les condamnations administratives qui s’additionnent, on peut dire qu’elle est allée au bout de son calvaire judiciaire, et que son année de liberté et d’opulence, elle l’aura payé au prix fort à la société.

Pugnacité

Quand on se bat avec ses poings, c’est qu’on est désarmé, réduit à ses propres forces. Sa survie, on ne la doit qu’à ses propres ressources, celle qu’on extrait de l’intérieur de soi, en puisant son énergie, sa combativité, son refus de la soumission dans une source mystérieuse et qui pour certaines, comme Audrey, semble inépuisable. Pugnacité : la pratique de la bagarre à poings nus élevée au niveau d’un art, mais aussi d’une vertu.

Cette vertu de pugnacité est comme un puits, susceptible de se remplir alors même qu’on le croit épuisé. Cette capacité à se relever dénote aussi un attrait inextinguible pour la vie. Ce plaisir de vivre, de bouger, inspire le respect et procure beaucoup de joie à ceux qui soit le vivent, soit se plaisent à l’observer chez autrui, au travers de la danse ou de la boxe.

Emancipation

Audrey a fini par remporter une victoire finale sur la justice de son pays : elle parvint à la suite d’un long combat judiciaire à faire effacer ses condamnations de son casier judiciaire, et obtint ainsi le droit de devenir institutrice, métier qu’elle exerce aujourd’hui à Bondy.

Elle enseigne aussi la boxe éducative aux enfants de son école.

Je ne sais pas si Girl Fight est le récit d’une rédemption, ou d’une réinsertion sociale. Ce sont des termes qui, à mon sens, donnent un rôle un peu trop flatteur à la société qui par ses institutions ne se donne guère le soucis – autrement que formellement – d’amender et de réinsérer les condamnés. Je vois plutôt dans ce récit de vie, le récit d’une mutation, d’une éclosion, d’une émancipation, et aussi une déclaration d’amour et d’amitiés pour ses semblables rencontrées en prison, et pour tous ceux ou celles – professeurs, entraineurs de boxe, amies – qui l’ont aidé à s’inventer son propre destin.

Girl Fight est une leçon de vie, qui ne se borne donc heureusement pas à prévenir les prédélinquants des dangers de la prison. C’est aussi une histoire d’amour et d’amitié pour ses compagnes de prison, et pour les autres femmes qui croisent la vie d’Audrey. Et enfin, le récit d’une libération, d’une évasion, par les chemins de traverses de la boxe et de la poésie des voies toutes tracées de la délinquance et de la répression.

Tandis que j’écris la fin de cet article, je reconnais sortant de la radio une voix digne de celle d’Audrey, la voix de Chavela Vargas chantant « No velvere ».

https://www.youtube.com/watch?v=qOL6WRtOWPc&index=1&list=RDqOL6WRtOWPc

Une bande son pleine d’à-propos !

Clint Eastwood - Million Dollar Baby

Nous avons projeté le film aux jeunes qui suivent les cours de soutien scolaire au Boxing Beats.

Le deal c’était : « Comme c’est le ramadan et que c’est la canicule, on ne vous assomme pas avec vos devoirs scolaires. On regarde tranquillement un film ensemble. Mais en anglais, pour vous habituer à la langue… »

Voilà une initiative qu’elle était pédagogique !

Je me souvenais de Million Dollar Baby comme d’un grand mélo, et d’avoir pleuré à la fin déplorable de cette boxeuse devenant tétraplégique à la suite d’un combat douteux.

Cependant, je ne me souvenais pas que c’est l’ensemble du film qui trace un portrait mélancolique de la boxe.

« Le film de boxe est un sous-genre du film noir » annonce un article d’Aurélien Ferenczi au dos de la jaquette du DVD. Le noir dans le noir, une plongée dans le malheur, une accumulation de désastres sur une tête innocente, c’est le ressort majeur du mélo. Maggie, l’héroïne du film, tente longtemps de convaincre Frankie (Clint Eastwood) de devenir son coach. Le vieil entraîneur refuse longtemps. Il ne veut pas entraîner de femmes. Maggie a passé la trentaine, il faut quatre ans selon lui pour former un boxeur, sa carrière serait trop courte pour être intéressante. Par ailleurs, Frankie est dévoré par la culpabilité qu’il écluse à coup de confessions fleuves auprès de son prêtre catholique qui n‘en peut mais… Frankie est-il vraiment coupable de l’invalidité du vieux boxeur noir qui sert d’homme de ménage dans son Gym ? L’a-t-il suivi ou poussé jusqu’au match de trop, celui où le boxeur perdit l’usage d’un de ses yeux ? Que s’est-il passé avec la fille de Frankie pour que celle-ci refuse de répondre aux lettres que le vieil homme lui écrit, et qui lui reviennent invariablement sans avoir été ouvertes ?

L’homme est mauvais. La cause est entendue pour Frankie l’entraîneur comme pour Clint Eastwood le réalisateur. Les exemples abondent dans le film pour le prouver. Le jeune boxeur que Frankie a mis des années à former, l’abandonne à la veille de devenir champion du monde. Les boxeurs noirs expérimentés du club n’hésitent pas à massacrer à coup de poings les novices blancs.

La vie de Maggie est marquée par la misère de ses origines sociales. Elle travaille comme serveuse dans un restaurant qui prépare des tartes au citron avec des ingrédients en boîte marquée « home-made lemon pie ». L’argent qu’elle gagne dans ce boui-boui lui permet de payer son équipement et ses cours au gym.

A force de pugnacité, elle parvient à convaincre Frankie de l’entraîner. Quand elle commence à gagner des combats, ses gains lui permettent de réaliser son rêve : offrir une maison à sa mère. Mais celle-ci est une agressive obèse flanquée d’une fille idiote et d’un fils en taule, dont les premiers mots sont de reprocher à Maggie le cadeau de cette maison qui risque de lui faire perdre ses allocations.

Ce qui sauve Maggie, c’est son « fighting spirit ». Sa ténacité. Son abnégation. Son goût du combat. Elle est une combattante née, voilà qui ne souffre aucun doute. Le relief que prend cette vie, son exceptionnalité par rapport à toutes les vies de boxeur, réside dans le « e » de combattante. Maggie est une femme dont le combat ne se mène pas dans les obscures tranchées de la vie salariée ou domestique, mais sous les sunlights des rings.

Si j’abuse des anglicismes dans cette note, c’est que le film est empreint de cette culture irlandaise, noire, américaine de la boxe, et du goût du combat comme vertu cardinale. Tout ce qui reste à Maggie quand il ne lui reste plus rien, c’est le goût de se battre. Sa vie, comme sa carrière, comme ses combats, sera courte. Maggie a la spécialité de descendre des adversaires en moins d’un round. Le dernier combat de Maggie sera contre son entraîneur. Elle forcera Frankie à boire le calice jusqu’à la lie, et l’obligera à débrancher le respirateur qui la maintient en vie, et de lui injecter une dose massive et fatale d’adrénaline dans son cathéter.

Elle renvoie ainsi Frankie à son éternelle contradiction entre son désir d’amener ses boxeurs au plus haut niveau et celui de les protéger.

Comment conserver au combat sur le ring l’épithète paradoxale de « noble » art ? Le coup qui terrasse Maggie et occasionne sa fracture des cervicales, est porté alors qu’elle a baissé sa garde, après le gong, alors qu’elle tourne dos à son adversaire. C’est un coup ignoble. Mais Frankie n’a-t-il pas donné comme conseil à Maggie quelques minutes plus tôt de profiter de ce que son corps fasse écran à l’arbitre pour marteler le nerf sciatique de son adversaire, qui n’est évidemment pas une zone de frappe autorisée ?

« Ah, ça c’est une question sans fin… » Commente Francky, - le nôtre d’entraîneur- au Boxing Beats qui suit le film du coin de l’œil.

Seul le combat est beau, donc. La seule chose qui sauve l’homme c’est son esprit de combat, sa rage de vivre, et c’est aussi ce qui le tue. Il en est ainsi d’Achille comme de Maggie. C’est une immense qualité du cinéma américain, du film de boxe, et des films de Eastwood en général, de faire de gens très ordinaires des héros.

Mamadou, un jeune boxeur, suit la tragédie de Maggie, atterré. Il me murmure : « Elle ne va pas mourir ? Elle va guérir ? ». Évidemment, elle meurt, tuée par Frankie dans un ultime geste d’amour pour sa boxeuse. Car une vie sans combat ne vaut pas la peine d’être vécue.

Je ne sais pas si c’est très pédagogique comme morale, mais…

Interview de Miriame (boxeuse, pratique le grappling et le jiu-jitsu, entraineure)

Interview de Miriame, le 3 octobre 2016 au magasin Gordo Nutrition à Pavillons-sous-Bois

Miriame pratique les arts martiaux depuis l’âge de onze ans. Je l’ai rencontrée au club Esprit Libre à Blanc-Mesnil où elle enseigne différents types de boxes pieds-poings : boxe française, kickboxing, full contact, muay-thaï, et pratique le jiu-jitsu brésilien au CDK à Sevran. Elle est nutritionniste. Je l’ai interviewée sur son lieu de travail au magasin Gordo Nutrition. Cette saison 2017-2018 elle ajoute l’enseignement du grappling à son emploi du temps, toujours à Esprit Libre.

Quand j’étais très jeune, j’avais huit ans, j’ai essayé le judo. Je n’avais pas du tout accroché. Je me souviens que j’étais entrée dans un dojo, il y avait des tatamis, c’était très beau, très grand, très espacé, mais je n’ai vraiment absolument pas accroché, je ne me sentais pas à l’aise dans l’environnement, je ne sais pas si c’est dû au professeur ou aux élèves ; c’était à Paris 20è, dans le cadre de l’école, on avait une activité extra-scolaire qu’on pouvait choisir et j’avais choisi judo à l’époque.

J’ai vraiment entamé les arts martiaux à l’âge de onze ans, quand je suis entrée dans une salle de karaté. C’était à la MJC de Gambetta. On pratiquait le karaté dans une salle de danse. C’était très lumineux, très chaleureux, j’en ai d’excellents souvenirs. Je suis restée trois ans dans cette salle avant de déménager sur Bobigny.

J’ai baigné très tôt dans les arts martiaux. Depuis que je suis toute petite, j’ai un amour pour ça. Je pense que c’est le fait d’avoir vu Jacky Chan, qui est très agile ; ce qu’il fait est très chorégraphié, très beau, très esthétique, ça m’a beaucoup plu. Mon grand-frère et mon père m’ont aussi fortement influencée. Je partageais ces activités avec eux. Mon père a fait de la boxe thaï pendant longtemps. Il a arrêté quand mon petit frère est né, j’avais quatre ans, donc je ne m’en souviens pas. Mon grand frère a toujours été très à fond dedans, surtout à travers les films et les jeux vidéos, qui m’ont beaucoup marquée. Dans les jeux vidéos, vous commencez déjà à pratiquer, quelque part vous êtes impliqué dans l’action du personnage. Ça me paraissait naturel, c’était sûr qu’un jour ou l’autre, je ferai des arts martiaux. Je regardais les films avec mon père et mon frère. Dans la famille, on était très portés sur les films. Mes parents ont fait leur jeunesse dans les années 80 et c’est quelque chose qui a explosé à cette époque-là, avec Bruce Lee, Jacky Chan, et aussi beaucoup dans les années 90. Je suis née en 1991.

Ma mère, ce n’était pas du tout son monde, mais elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour le karaté, parce qu’il y a les katas qui sont des formes chorégraphiées. Ma mère est une ancienne danseuse donc ça lui a parlé énormément.

Quand j’ai commencé à faire de la boxe, elle n’a pas du tout apprécié ! C’était une angoisse pour elle.

Quand j’ai déménagé à Bobigny, j’avais treize ans. J’ai arrêté pendant longtemps, parce que je ne trouvais pas de club proche de chez moi. Je n’ai rien fait jusqu’à l’âge de mes dix-sept ans.

A dix-sept ans, j’ai fait un an de taekwondo, c’était vraiment bien mais je n’avais pas un très bon rapport avec le coach. J’étais la seule fille et j’étais un peu délaissée, donc ça m’a un peu refroidie. C’était le premier sport vraiment dur. Au karaté, je faisais beaucoup de katas mais comme j’étais jeune (onze ans) les professeurs y allaient doucement. Au taekwondo, c’était vraiment dur, physiquement, mentalement (parce qu’il fallait qu’on s’investisse). J’ai énormément apprécié et beaucoup progressé aussi dans mes capacités. Au taekwondo, il y a des katas, mais c’est surtout axé sur les combats. J’ai commencé vraiment à combattre et à sentir les coups. Parce que au karaté, vous n’avez pas le droit de toucher. C’était appréciable parce que ça correspondait beaucoup plus à ce que je cherchais.

J’y suis allée crescendo puisque à dix-huit ans, j’ai fait de la boxe. C’était beaucoup plus dur physiquement. Je n’étais pas très investie parce que j’avais mes études à côté : je venais six mois et l’autre moitié de l’année j’avais les examens.

Après mes études d’économie, j’ai pris une année sabbatique et j’ai commencé à vraiment m’investir dans la boxe. Je me suis investie entièrement, j’ai fait des compétitions. C’était top.

J’ai commencé par le kickboxing, un mélange pieds-poings. Avec mon background de karaté et de taekwondo, j’avais de très bonnes jambes. Le kickboxing est un peu né de ça : on a pris le karaté et on a rajouté de la boxe anglaise.

Ça fait partie de moi, c’est en moi depuis que je suis toute petite, c’est un truc que je n’arrêterai jamais, quoiqu’il advienne, je ne pourrai pas m’arrêter. C’est comme si on m’avait génétiquement programmé pour faire ça. C’est impressionnant. Depuis que je suis toute petite, je me rappelle avoir toujours désiré faire des sports de combat.

J’ai fait un peu de basket, mais j’étais jeune à l’époque et j’avais un peu de mal avec l’esprit collectif. Aujourd’hui je suis beaucoup plus sportive et je suis apte à tout faire. Je ne suis pas limitée aux sports de combat. J’aime tout. Vraiment tout. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, je n’étais que sports de combat. Je n’étais pas sportive à la base, il n’y a que dans le cadre des sports de combat que vous pouviez me faire faire du sport. J’avais de l’embonpoint, vraiment pas sportive du tout ! Aujourd’hui je suis sportive.

Être sportive, ça veut dire prendre du plaisir à faire un effort physique même si on souffre. Un effort physique qui ne correspond pas à des gestes du quotidien. Qui sort des gestes du quotidien. C’est apprécier ou plutôt tolérer la douleur. Parce que c’est douloureux le sport, on ne va pas se mentir.

Ça me donne des sensations : ça me fait carrément pousser des ailes, ça me fait prendre conscience de mon corps, c’est hyper important tout l’aspect schéma corporel, ressentir chaque partie de son corps, sentir qu’il nous appartient, qu’on le mobilise, qu’on sait l’utiliser, qu’on sait bouger dans l’espace, qu’on est capable de faire certaines choses. Quand vous savez par exemple que vous êtes capable de soulever trente kilos, quarante kilos et qu’au fur et à mesure vous progressez, c’est hyper gratifiant. On développe des capacités. Quand je m’améliore, que j’arrive à développer ou à acquérir une technique, j’ai l’impression de développer mon corps. Presque comme si vous sortiez de votre corps.

Si je devais développer une image, c’est comme un papillon. A chaque fois, je suis une chenille, je forme une chrysalide, j’éclos en papillon, puis je recommence. C’est un cycle qui se répète continuellement et je deviens un papillon de plus en plus gros ou qui change de couleur… C’est vraiment comme ça que je le vois.

C’est pour ça que j’aime bien varier les arts martiaux, que je ne me cantonne pas à la boxe ou au JJB (Jiu-Jitsu Brésilien), j’aime tous les arts martiaux, tous.

J’ai plein d’images : ça vibre, ça me rend vivante, ça m’excite. Je me sens totalement différente. Quand je suis dans ma pratique, je suis vraiment isolée, je suis en connexion avec moi-même. C’est comme une suspension dans le temps.

Je fais du JJB et de la boxe. Je rêverais de faire de la capoeira. Le temps me manque mais je vais essayer de m’organiser. Et aussi du parkour. C’est considéré comme un art martial même s’il n’y a pas de combat. C’est l’art de se déplacer dans l’espace. J’aimerais énormément en faire. Pour la sensation de liberté, la sensation de voler, d’être léger, de sortir de son corps en fait, d’être hors de son corps.

C’est toujours l’idée du challenge, de se confronter à un danger et de le surpasser ; dans le parkour, le danger c’est le monde qui nous entoure, c’est périlleux comme pratique. Dans les sports de combat, c’est la même chose : il y a le risque de se prendre un coup, le risque de se prendre une clé. C’est réussir à appréhender un danger et à le maîtriser.

Dans un combat, le danger vient de l’autre, un être humain qui est comme vous, vous savez l’appréhender parce que il peut avoir les mêmes failles ; il y a des choses qui ne trompent pas, des mouvements, des paroles, des gestuelles qui vous informent sur la personne que vous avez en face de vous. Dehors, il y a plein de variables : il faut arriver à jauger la distance entre vous et l’obstacle, le vent peut vous gêner, le froid, la chaleur. C’est vous contre l’environnement. Il faut vraiment pratiquer pour réussir à appréhender. J’ai fait une séance de parkour cet été. C’est comme tout, il faut pratiquer pour réussir, mais là, vous faites un truc, vous tombez, et vous êtes tombé tout seul, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire : personne ne vous a infligé la chose. C’est ce qui est impressionnant. C’est vous contre vous-même. De toutes façons c’est toujours ça.

Que ce soit contre quelqu’un ou tout seul, de toute façon, c’est vous contre vous-même. Vous contre votre ego. Vous contre vos peurs.

La capoeira …J’ai oublié de vous dire, j’ai fait de la danse aussi, j’ai fait trois ans de danse. Dans ma famille, c’est des danseurs aussi. J’ai fait du hip-hop. Mon grand frère était danseur professionnel de hip-hop, ma mère était danseuse, danse orientale et danse classique. Elle n’en a pas fait beaucoup. C’était quand elle était en Algérie. Ma grand-mère était chanteuse dans les mariages, ma tante jouait des instruments et ma mère dansait. Mon grand-frère a été très très longtemps danseur hip-hop. Il a essayé de percer mais il n’a jamais réussi. Le petit frère est dedans aussi. Moi j’ai fait ça pendant trois ans par pur plaisir, parce que j’aime trop ça : danser, sortir de son corps. C’est toujours la même chose en fait, c’est toujours ça.

On a tous ce besoin d’investir son corps, de l’habiter quoi.

Il y a tellement d’autres manières d’habiter son corps, ça peut être la méditation, rien que le fait de manger c’est une manière d’habiter son corps, de prendre un bain, de prendre soin. Il y a une distinction esprit-corps et habiter son corps c’est quand on laisse l’esprit parcourir. C’est un réceptacle, on a des sensations. Il y a plein de manières d’habiter son corps, c’est à nous de les découvrir.

La compétition, c’est quelque chose de plus compliqué. J’ai toujours aimé la compétition quand j’étais jeune, j’en ai toujours fait, je n’ai jamais appréhendé, je faisais de bons résultats.

Quand on est enfant, on ne réalise pas les enjeux. Quand on est jeune, il n’y a pas d’enjeu. Je n’étais pas adulte donc je ne me posais pas de questions. J’ai commencé à me poser des questions existentielles à l’âge de vingt ans. On commence à avoir des doutes quand on rentre dans l’âge adulte. Quand on est enfant, on n’a aucun doute, on est sûr de soi. C’est pour ça que quand on perd, c’est beaucoup plus dur à avaler parce que c’est de la déception. Les enfants sont vraiment déçus quand ils perdent parce qu’ils ne s’y attendent pas. Ils sont persuadés qu’ils vont gagner, ou qu’ils vont juste jouer et finalement ça se passe mal, ils se sentent humiliés. C’est toujours de la surprise quand on est enfant. Quand on est enfant, on réalise après coup, alors que quand on est adulte, on anticipe vachement ces choses-là et du coup on s’inhibe. En tout cas, c’est la manière dont je le vis. Quand j’étais petite, c’était mon âme d’enfant, et mon âme d’enfant était faite pour les arts martiaux. Rien ne comptait plus pour moi à l’époque. Quand je suis entrée dans l’âge adulte, d’autres choses sont rentrées en ligne de compte : la scolarité, la responsabilité. Ça a un peu parasité mon âme d’enfant.

Quand je gagnais un combat, pour moi c’était naturel. C’était normal de gagner. Quand je perdais, j’étais déçue, j’avais un peu la boule à la gorge mais je me disais : la prochaine fois, je gagnerai. Pour moi, il n’y avait pas d’autre issue possible que de gagner, mais je ne me donnais pas les moyens de gagner. C’était un peu prétentieux de ma part.

Depuis mes dix-huit ans, j’ai une appréhension terrible, ça me bloque dans mes capacités. Sauf quand j’ai fait ma compétition en boxe, où tout s’est déroulé comme sur des roulettes. Mais là par exemple, en JJB –mais je pense que c’est parce que je manque de technique- je me sens bloquée.

Je pense aussi que c’est parce que je me mets une pression vis à vis du club, de ceux que je représente. Cette année j’essaie de mettre de la distance vis à vis de cette pression. Aujourd’hui, je suis dans l’état d’esprit de le faire vraiment pour le plaisir, que je fasse de la compétition ou pas. Si je fais de la compétition, c’est pour éprouver mes capacités, pour me challenger. Si je perds : tant pis ; si je gagne : tant mieux. L’année dernière, il y avait vraiment la pression du club (le CDK). Je me débrouillais plutôt pas mal, j’étais la seule fille, du coup, ça mettait une pression. Mais je me la suis mise toute seule ! Eux ils étaient juste là, à m’aider. Je suis très comme ça : je me mets beaucoup la pression toute seule vis à vis des autres. Et la pression, ça me bloque, ça ne m’aide pas du tout. Ce qui va m’aider, ce n’est pas la pression, c’est le plaisir : le fait que ça se déroule bien, que je me sente bien dans ma peau, comme si ce que j’allais faire  -rentrer sur le tatami et combattre contre quelqu’un- était quelque chose de naturel. Là, je sais que je peux performer. Mais si je suis stressée, ça m’inhibe, j’ai l’impression que je n’ai plus le contrôle de moi-même, je me trompe complètement sur l’état d’esprit dans lequel je suis. Je l’ai vécu cette année sur les dernières compétitions : le fait d’avoir la pression m’a bloqué dans mes capacités. J’étais beaucoup plus agressive. Plutôt que de faire quelque chose de joli, d’essayer d’être technique, j’étais trop agressive. L’agressivité, ça aide, ça fait la différence, mais quand c’est bien dosé. Pour moi, l’agressivité se rapproche plus de la bagarre que d’un art martial.

Maintenant, quand je gagne, je suis contente parce que c’est la concrétisation du travail. On se dit : « Ce que je fais, ce que j’ai travaillé, ça marche. » Quand on perd, on est toujours dégoûtée, parce que personne n’aime perdre. Mais c’est bien, parce que c’est une nouvelle porte pour progresser. Si on gagnait tout le temps, ça voudrait dire qu’on est au top et qu’on a plus à progresser, et on se repose facilement sur nos lauriers. Quand on perd, on est obligé de retravailler derrière et on travaille tellement plus, on progresse vraiment, de manière super spectaculaire. Mais c’est toujours dur de perdre. Surtout quand vous faites partie d’une équipe. L’esprit d’équipe, je l’ai senti à CDK. C’est impressionnant, c’est horrible presque. Parce qu’ils sont toujours là, à toutes les compètes, ils vous regardent, ils vous soutiennent, et moi ça me met une pression ! Parce que j’ai trop envie de leur plaire, parce qu’ils m’ont tellement bien accueillie, ils m’ont tellement portée. C’est vraiment une famille pour moi. Ça ne fait qu’un an que j’y suis ! Ça m’a choquée ! Parce que dans mon club à Bobigny, l’esprit familial s’est délité. Il y avait cet esprit familial au début mais il s’est délité et ça m’a un peu déçue. En fait, ces trois dernières années, ce n’était plus du tout intéressant de boxer parce qu’il n’y avait plus cette cohésion, ce groupe qui progresse ensemble, les coaches qui font attention à nous. Là, je l’ai retrouvé au CDK et c’est juste génial. Hier encore on y était, les garçons s’occupent super bien de nous. Ils n’y gagnent rien. Ils font ça de manière totalement désintéressée. La seule chose qu’ils veulent, c’est nous voir gagner, pour eux, pour l’équipe. C’est comme des grands frères : on a envie de plaire à ses grands frères, de plaire à ses parents.

Je suis quelqu’un comme ça : j’ai beaucoup plus de mal à faire les choses pour moi-même que pour les autres. Ce n’est pas forcément quelque chose de bien parce qu’on prend les choses trop à cœur quand ça ne fonctionne pas. On est déçu nous-même et on anticipe la déception des autres alors qu’ils ne le sont pas forcément.

L’esprit de famille d’un club c’est important, je suis beaucoup plus motivée pour aller m’entrainer en club. Au CDK, on est encadrés, on sait que si on fait une erreur quelqu’un sera là pour nous corriger, je préfère vraiment m’entrainer en club plutôt que toute seule.

Je m’entraine rarement toute seule, je le fais dans le cadre des compétitions, mais rarement. En JJB il y a des techniques pour s’entrainer seul, mais je n’ai pas la place chez moi pour m’entrainer seule ! Franchement, c’est plus agréable d’aller en club : on voit les gens, on rigole. Je préfère !

Mon rêve, ça a toujours été de pouvoir pratiquer, c’est tout. Je n’ai pas la prétention d’être la meilleure, je ne l’ai plus. Cette année, je ne l’ai vraiment plus. Cette année je veux juste pouvoir pratiquer. Quand j’étais plus jeune, je n’aimais pas trop qu’on puisse être meilleure que moi. Alors qu’aujourd’hui non. Par exemple, Sarah qui arrive au CDK, je l’encadre énormément, et ça ne me pose aucun problème qu’elle progresse, au contraire j’aimerais bien qu’elle puisse progresser plus. Je suis dans un état d’esprit totalement différent de celui dans lequel j’étais quand j’étais jeune.

Mon rêve, c’est vraiment de pouvoir pratiquer. Toute ma vie. Jusqu’à ma mort. Et pouvoir enseigner aussi. Réussir à transmettre. Je donne des cours de boxe. Transmettre, c’est quelque chose d’hyper-gratifiant.

Je veux transmettre un état d’esprit, la confiance en soi. C’est quelque chose que j’ai acquis. Les arts martiaux m’ont un peu stabilisée, même énormément stabilisée. Ça m’a donné de la valeur, j’ai trouvé beaucoup de valeurs en pratiquant les arts martiaux : la confiance en soi, la discipline. La discipline surtout, c’est quelque chose qui se perd tellement de nos jours. Le respect des autres. Le contrôle de l’égo. Ça c’est un truc que les arts martiaux vous apprennent tous les jours.

Je peux pratiquer sans envisager de faire des compétitions. Ça fait vraiment partie de moi. Je suis chez moi et d’un coup je me mets à faire du shadow.

C’est surtout par rapport à la gestion de la pression que j’aime faire de la compétition. Je n’aime pas rester sur quelque chose qui me dérange. Le jour où je réussirai à affronter cette appréhension de la compétition, je passerais peut-être à quelque chose d’autre, mais je ne fais pas des arts martiaux pour faire de la compétition. Je fais des arts martiaux pour les arts martiaux en eux-mêmes. Parce qu’en plus je veux pratiquer tous les arts martiaux et je n’ai pas le temps de faire des compétitions dans tous les arts martiaux !

J’enseigne depuis trois ans. Je débute ma troisième année d’enseignement de boxe. J’ai beaucoup de mal avec les enfants, je l’ai fait pendant un an, je n’y arrive pas. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je n’arrive pas à les gronder. J’espère que plus tard j’y arriverai ! J’aime beaucoup les enfants. J’étais vraiment jeune dans l’enseignement quand je l’ai fait et c’est un public à part, et enseigner un sport de combat c’est dangereux, des coups sont échangés, ils peuvent se blesser. Je n’assumerai pas de dire à un parent : votre fils s’est blessé pendant mon cours. C’est un truc trop difficile pour moi, du coup je préfère enseigner aux adultes. Quels qu’ils soient, hommes ou femmes. C’est juste que ça ne s’est pas présenté à moi d’enseigner à des hommes. J’aime beaucoup enseigner aux compétiteurs. Par exemple, Noémie, j’ai commencé à la suivre l’année dernière et ça m’a fait tout bizarre parce que c’est vraiment quelque chose d’emmener quelqu’un à la compétition. Tout ce par quoi vous êtes passé auparavant, vous l’appliquez à cette personne. Toutes les angoisses que vous avez connues, elle les connaît. Comme vous êtes passé par là, vous arrivez à trouver les mots pour l’aider à surpasser tout ça, et c’est excellent ! Je comprends mieux pourquoi les coaches se donnent autant. Je ne comprenais pas pourquoi les gens étaient si gentils, à s’impliquer autant dans ma préparation, mais maintenant, je comprends totalement.

Emmener quelqu’un en compétition, surtout s’il réussit, c’est encore mieux ! S’il ne réussit pas, ce n’est pas grave. Je sais que la personne sera déçue, mais il y a le fait qu’elle y soit allée, qu’elle se soit préparée. C’est toute la préparation avant qu’elle a réussit à assumer. C’est excellent. Et on est très inspiré. Noémie, elle m’a beaucoup inspirée. Je lui dit toujours : tu m’as énormément inspirée. Dans le sens où je l’ai vue vraiment, je n’ai jamais lâchée l’affaire. Je ne sais pas si mes coaches m’ont vue comme ça mais c’est impressionnant. Vous dites à une personne de faire un truc terriblement dur, elle souffre, pour autant elle va continuer. C’est impressionnant quand vous voyez des gens qui sortent de leur zone de confort et qui essaient de se surpasser. Ça vous inspire, forcément. Ça vous donne envie de faire comme eux. De vous dire : Aujourd’hui je suis à tel stade de ma vie, et bien je vais me défoncer pour en atteindre un autre, continuer à avancer, ne pas me laisser régresser. Parce qu’on est tout le temps en mouvement, on n’est jamais stable, soit on revient à un stade plus bas, soit on augmente, on est tout le temps en mouvement, donc forcément dans un sens ou dans l’autre.

La zone de confort, c’est la zone tolérable, c’est l’effort ou la situation qu’on tolère.

Sortir de la zone de confort c’est rentrer dans une zone qui devient compliquée, on commence à sentir que c’est dur, on commence à souffrir. Que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans le sport. C’est là où il va falloir travailler. Quand vous êtes dans votre zone de confort, vous ne travaillez pas, vous vous contentez d’un acquis, vous restez sur cet acquis. Quand vous sortez de la zone de confort, il va falloir faire un effort supplémentaire, travailler quelque chose de différent. C’est assez déstabilisant de sortir de sa zone de confort. C’est pour ça que c’est très important d’être accompagné.

On peut le faire tout seul, mais c’est dur. C’est dur de sortir de sa zone de confort. Dans tous les domaines de la vie. Mais une fois que vous réussissez à en sortir…

C’est prendre des risques, mais il ne faut pas prendre n’importe quel risque, c’est pour ça que c’est important d’être accompagné. Parce qu’on peut prendre des risques qui vont être très préjudiciables, notamment dans la boxe, pour sortir de sa zone de confort : faire un effort beaucoup trop intense, se blesser. Au risque de ne plus pouvoir pratiquer.

Je vois Noémie demain après-midi, elle s’entraine au Blanc-Mesnil, mais je l’entraine à l’extérieur parce que ce n’est pas suffisant, elle a une compétition dans deux semaines.

Demain, je vais la faire sortir de sa zone de confort !

Pour entrainer j’ai fait la formation BMF1, BMF2, BMF3 (Brevet de Moniteur Fédéral). Et là, on s’est inscrite au BPJEPS (diplôme d’état)avec Farah. Parce que sans le BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education et du Sport),vous ne pouvez pas être rémunéré. On nous paye en défraiements d’essence. Avec le BPJEPS, vous pouvez être rémunéré et vous pouvez travailler à l’étranger. Et on apprend beaucoup plus de choses. C’est pour toutes les activités pugilistiques : on pourra enseigner la boxe thaï, le kickboxing, le full-contact, le pancrace.

La boxe, c’est violent. On prend des coups. On ne peut pas se mentir. Il y a des bleus, il y a des blessures. Même en JJB. Hier je me suis fait mal au genou, là j’ai terriblement mal. C’est violent. C’est une violence qu’on accepte. Je ne saurais pas vous dire pourquoi. C’est quelque chose qu’on ne reconnaît pas comme nuisible. Il y a quelque chose de bon dans cette violence. C’est bizarre. Ce n’est pas masochiste, mais ça l’est un peu quand même. Nous les sportifs, on est masochistes. Il y a quelque chose qui va ressortir de cette violence.

La vraie violence, pour moi, c’est quand une personne cherche à vous nuire ou quand vous cherchez vous-même à vous nuire. Vous pouvez pratiquez un sport juste pour vous manger des gnons parce que vous voulez vous punir de quelque chose. Il y a beaucoup de sportifs qui sont dans ce cas-là. J’ai fait de la psychologie du sport dans ma pratique. On a vu des témoignages de sportifs qui sont presque dans l’automutilation dans leur pratique. Parce qu’ils ont des failles psychologiques qui leur appartiennent.

Pour moi la violence, c’est nuire. D’une manière ou d’une autre. Un désir de nuisance. Se nuire ou nuire à l’autre.

L’autre jour à la compétition, on regardait les combats. Pour moi, ce n’était pas beau. C’était moche ! Il y a deux styles en combat : le « light », où il ne faut pas mettre de force ; si vous portez un coup trop fort vous risquez d’être disqualifié. C’est très beau.

Et le « plein contact », où le but est de mettre KO.

Dans le « plein contact » j’arrive à distinguer les gens qui font ça juste pour la bagarre, juste pour nuire, et qui vont faire mal ; et ceux qui font ça pour le sport, même s’il y a un désir de mettre KO derrière. On sent alors que les deux adversaires ne sont pas là juste pour se mettre KO, c’est vraiment le cadre du sport. C’est comme des gladiateurs. C’est quelque chose d’être capable de mettre KO ou d’éviter que la personne me mette KO en la mettant KO en premier. C’est l’état d’esprit du départ qui est important.

En général, les combats « plein contact » classés, ce sont des petits jeunes qui viennent de rentrer dans la boxe, qui veulent juste se bagarrer et gagner des médailles. Alors que les combats de boxe pros, c’est très propre. Les coups sont portés bien sûr. Les combattants se sont mis en condition pour encaisser les coups. Mais c’est très propre, c’est très technique, très recherché.

Il y a aussi des gens qui ne sont pas capables de faire autre chose. Par exemple, cette année, je ferai du plein contact, pas du léger. Parce que je n’en suis pas capable. Je suis quelqu’un de très dur, je suis agressive. Ce n’est pas une agressivité que je contrôle, mon corps s’exprime comme ça. Au JJB par exemple, je suis très dure, je suis très lourde, je suis très musculaire, je suis très contractée quand je m’entraine. Je ne sais pas pourquoi. C’est mon style : l’impact, l’efficacité. Avant, j’étais plus dans l’esthétisme et dans le déroulé étant donné que je venais du karaté et du taekwondo.

Je ne sais pas pourquoi au fil du temps je suis partie sur un autre style. Peut-être parce que j’ai pris du poids. Quand vous prenez du poids, c’est plus difficile d’être plus souple, plus léger. Je pense que ça a joué. Je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’efficacité que dans le fait de dérouler des coups pour l’esthétisme. Aujourd’hui. Ça peut changer demain. Si je développe une autre technique de boxe.

Au JJB, je suis en train de faire la démarche inverse : je deviens moins agressive pour devenir plus légère, plus souple, plus agile.

En JJB, il y a une jeune qui est très forte : Mackenzie Dern. Elle a vingt ans et a toujours fait du JJB parce que son père est très connu, entraineur.

En MMA (Mixed Martial Art), il y a Cris « Cyborg » (Cristiane Justino). C’est typiquement le genre de personne face à laquelle je ne voudrais jamais me retrouver. Cette dame est un monstre. Elle est très forte physiquement, techniquement. Elle est presque imbattable. Elle est à la fois très agressive et très technique. Elle est très impliquée, elle est dans la dévotion totale vis à vis de sa pratique.

J’admire les gens qui se sont entièrement dédiés à leur pratique et qui arrivent en même temps à rester hyper humains. Qui véhiculent des images d’humilité.

Il y a Lyoto Machida, que j’aime énormément. Il est très connu. Il est moitié brésilien, moitié japonais. Il est très humble, très bon techniquement.

Rester humain, ça se voit dans la manière avec laquelle ils se comportent vis à vis de leurs adversaires.

Hier je voyais encore une vidéo de Lyoto Machida. En MMA il y a le « Ground and Pound » : quand la personne est au sol, vous avez le droit de la frapper. Souvent, quand quelqu’un est mis K.O. au sol mais que l’arbitre n’a pas tappé, l’autre s’acharne sur lui. Dans le combat que j’ai regardé, Lyoto Machida a mis son adversaire au sol K.O. Ensuite, il a hésité, il a levé la main, il attendait que son adversaire se défende pour pouvoir le frapper. Alors que certains vont s’acharner, ce que je ne trouve tellement pas sportif. C’est limite déloyal. Mais après, c’est les règles du jeu.

Je n’aime pas le « Ground and Pound », je n’aime vraiment pas. J’aime bien le fait qu’on aille au sol et qu’on fasse du JJB ou du grappling, mais frapper une personne qui est au sol…

Je suis presque en accord avec le fait que le MMA soit interdit en France.

Je suis d’accord avec le fait de dire que c’est une image dégradante de frapper un homme au sol.

Il n’y a pas que ça qui bloque la légalisation du MMA, mais je suis d’accord avec cet argument-là. Il pourrait y avoir des pratiques de MMA en France mais pas comme au Etats-Unis où on laisse la personne se faire frapper jusqu’à ce qu’il y ait du sang partout. Je n’aime pas ça.

En boxe, oui le K.O. peut arriver mais la personne est debout.

J’ai l’impression que quand on est au sol, on est démuni. C’est une question de représentation, d’image.

Moi ça me choque, mais c’est vraiment une question de représentation.

Une personne qui viendrait me frapper au sol, ça ne me dérangerait pas parce que je me défendrai. Je sais que ça fait partie du jeu. Mais le fait de voir quelqu’un déjà presque K.O. s’en manger plein le visage, ça me choque. C’est de l’empathie.

Pas parce qu’il est au sol, mais parce qu’il est déjà K.O. Son adversaire va continuer pour manger ses millions de dollars, parce qu’il y a aussi l’euphorie du combat, l’agressivité. Il ne va pas forcément se rendre compte. Son boulot, c’est d’être là pour frapper.

Mais quand des personnes, comme Lyoto Machida, arrivent à faire ça (s’arrêter avant de frapper quelqu’un au sol déjà K.O.) je trouve ça génial. Il n’est pas que dans son combat, il sait qu’il y a un autre être humain en face de lui. Une personne qui a des sensations, qui a une santé.

La façon dont les personnes se respectent, ça se sent à la pesée, quand les personnes se regardent droit dans les yeux. Il y en a qui sont déjà hyper agressives, qui commencent déjà à s’insulter, qui veulent déjà se battre alors qu’elles sont à la pesée. Je n’aime pas.

C’est du show. Il y en a qui adorent ça. Moi, ce n’est pas mon truc. Ce que j’aime c’est quand les deux personnes à la pesée sont contentes, sont dans un bon état d’esprit.

Je n’aime pas la violence. La volonté de nuire. Ils ne se rendent pas compte combien vouloir nuire à quelqu’un, ça peut aller très très loin. On peut faire quelque chose de fatal. On peut handicaper une personne de manière définitive. On peut même la tuer.

Les personnes ne se rendent pas compte des risques que vous prenez quand vous êtes dans une cage. Il y en a qui sont morts. Très très peu.

L’ex-mari de Cris Cyborg a pris un coup de genou sauté, il n’était pas du tout au sol, il a plein de micro-fractures dans le crâne. C’est un handicap.

Ça existe dans tous les arts martiaux, même en JJB, vous pouvez déchirer le genou ou le talon de quelqu’un. Bien sûr.

C’est pour ça que c’est important de maitriser sa pratique. C’est pour ça que dans certaines fédérations, certaines prises sont interdites : les clés de talon par exemple.

Parce que c’est trop dangereux si ce n’est pas fait par quelqu’un de très expérimenté.

Je fais une différence entre les sports de combat, les arts martiaux et la bagarre.

Les sports de combat et les arts martiaux se rapprochent : la différence c’est qu’il y a un protocole, un cadre disciplinaire beaucoup plus délimité dans les arts martiaux que dans les sports de combat. Dans les sports de combat, il y a une discipline, mais c’est plutôt une discipline induite, tacite, entre les partenaires. Dans les arts martiaux, il y a le salut, le respect du maître, les grades, le kimono, c’est vraiment codifié. En boxe, il y a une discipline, mais c’est tacite. Ce qui est impressionnant c’est que malgré tout, tout le monde la respecte. C’est vraiment tacite, il n’y a pas de règle écrite, ce sont des règles de respect, de fair-play, d’hygiène, que tout le monde connaît et que tout le monde applique pour que ça se passe bien. Alors que dans les arts martiaux, dans certains dojos, il y a des sanctions. Vous pouvez être sanctionné. Par exemple, si vous n’avez pas bien mis votre kimono vous faites vingt pompes. Au taekwondo, on avait des trucs comme ça, kimono mal repassé : dix pompes. Alors qu’à la boxe, non. Si le short est mal repassé, tant pis pour toi.

Dans les sports de combat et les arts martiaux, c’est un partage, c’est un échange.

La bagarre, il n’y a aucune règle. C’est nuire à la personne ; ou se défendre. Mais dans les deux cas, il y en a un qui veut nuire à l’autre.

Les règles, c’est important. Parce que ça met tout le monde d’accord. Certaines règles peuvent être discutables. En adhérant à une fédération, en envoyant des courriers pour en parler, on peut réussir à faire évoluer les choses. Mais les règles, c’est hyper important. Surtout dans les sports de combat. Parce que ça engage des émotions, des sensations qui peuvent vous faire perdre le contrôle. Si vous n’avez pas les règles derrière, ça peut vite mal tourner.

Tous les jeunes devraient se former à l’arbitrage. Je vais le faire prochainement. Il faut avoir une ceinture bleue pour faire le stage d’arbitrage en JJB. Dès que j’ai ma ceinture bleue, je le fais. C’est hyper-important. Pour sensibiliser aux règles. Et même stratégiquement. Quand vous emmenez ensuite des personnes en compétition et que vous connaissez les règles, c’est mieux !

En boxe aussi. Il devrait même y avoir plus de règles, notamment par rapport à l’état d’esprit. Je trouve qu’il y a parfois des choses qui méritent la disqualification et que les arbitres laissent courir.

En même temps, en instaurant trop de règles on peut rentrer dans du karaté.

Les règles ont été pensées par des personnes qui ont pratiqué. C’est à nous, nouvelle génération, de peut-être apporter d’autres choses.

Quand j’ai fait ma pesée, c’était un calvaire : je ne mangeais plus rien. On m’avait inscrite dans une catégorie de poids qui n’est pas la mienne.

C’est un truc qui se fait très couramment : s’inscrire dans une catégorie inférieure à la vôtre ; c’est complètement stupide. Ça ne sert à rien, parce que tout le monde va faire la même chose. Vous faites en sorte d’être dans la catégorie d’en-dessous pour avoir l’avantage sur votre adversaire mais lui va faire exactement la même chose. Vous appartenez tous les deux à la catégorie d’au-dessus mais vous cherchez à aller dans celle d’au-dessous. Et dans le cas où un seul appartient à la catégorie d’au-dessus et cherche à rentrer dans celle d’en-dessous, ce n’est pas vraiment sportif comme esprit. On décide de se défaire d’un challenge.

C’est toujours possible, mais il faut alors s’y prendre longtemps à l’avance et le faire dans de bonnes conditions. Ce n’est pas deux semaines avant que vous perdez dix kilos.

Dans mon cas, j’ai toujours beaucoup de mal à perdre du poids, donc c’était horrible. Je faisais 63kg et on m’a inscrite en moins de 60kg. Il fallait que je pèse 59kg. En soi, 4 kilos, ce n’est pas méchant. Mais j’ai eu beaucoup de mal. Le dernier kilo a été dur à perdre. J’avais beau ne rien manger, je n’y arrivais pas. Je ne buvais que de l’eau, je mangeais un yaourt, je me suis entrainée les deux derniers jours dans un sauna. Et 48 heures avant la pesée, je n’ai pas bu une seule goutte d’eau. Et du coup : fracture de fatigue. J’ai fait ma compétition, j’ai gagné, mais c’était très douloureux. J’avais les poumons et les narines en feu, une sécheresse au niveau de la bouche. J’ai donc gagné les championnats d’Ile-de-France. Mais quand il a fallu reprendre l’entrainement pour préparer les championnats de France, je n’étais pas du tout prête. Je me sentais incapable de refaire quelque chose d’aussi difficile. D’ailleurs, je n’ai pas tenu, je ne l’ai pas fait. J’ai enchainé les fractures de fatigue, ma cheville se dérobait sur le ring. Je n’arrêtais pas de pleurer parce que je n’arrivais plus à être au poids. J’avais repris 4 kg d’un coup après la compétition. C’était en 2013. J’ai carrément arrêté de boxer, je ne suis plus venue aux entrainements. Je n’étais plus dans un bon état d’esprit. En plus, les coaches ont la fâcheuse tendance à vous faire des remarques sur votre poids. Déjà quand vous êtes un garçon c’est désagréable, alors quand vous êtes une fille. Ils le font toujours encore aujourd’hui. Ils sont toujours en train de dire : « Ah tu as pris » ou « Ah tu as maigri ». Comme si la personne n’existait qu’à travers ça. Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils peuvent développer.

Dans les sports de combat, il y a un grand risque de développer des troubles du comportement alimentaire : anorexie ou boulimie. Ça se retrouve dans tous les sports esthétiques ou à catégorie de poids.

Les coaches ne se rendent pas comptent. Ils ne nous accompagnent même pas. Ils n’ont pas de formation nutritionnelle pour accompagner dans une perte de poids.

C’est pour ça que j’ai fait mes études. Parce que ça m’a vraiment beaucoup marqué. C’est dommage parce que vous n’êtes pas serein dans votre pratique. Tout ça à cause d’une histoire de poids.

Aujourd’hui je peux combattre dans n’importe quelle catégorie. Parce que je sais que je préfère être désavantagée au poids plutôt que de pourrir ma préparation à la compétition. Ça m’a vraiment marqué ! Encore aujourd’hui, si je pouvais retourner dans le passé, je ne le referais pas. Et je ne l’ai fait qu’une seule fois ! Les sportifs ont enchainé ça pendant des années et des années. Il peut y avoir des séquelles physiques.

C’est pour ça qu’au JJB, vous vous pesez cinq minutes avant d’aller combattre. Vous ne pouvez pas regagner de poids (entre la pesée et le combat), contrairement à la boxe où vous avez une demi-journée ou 24 heures entre la pesée et le combat.

À la fédération FFL (Fédération Française de lutte),en JJB, vous vous pesez et vous allez directement combattre. C’est super-intelligent de leur part. De cette façon, vous ne pouvez pas compter sur le fait de reprendre du poids entre la pesée et le combat. Vous devez bien réfléchir à votre catégorie de poids. C’est super comme règle. Ça va finir par dissuader les gens de faire des régimes. Parce que quand dans un combat vous n’avez aucune pêche, c’est intenable. Surtout en JJB où il faut supporter son propre poids et le poids de la personne.

Ça c’est une bonne décision.

En boxe, vous avez toujours une demi-journée ou trois heures pour remanger après la pesée.

Je viens de passer un bachelor en nutrition sportive. Avant, j’avais fait un bac économique et social. Après le bac, je ne savais pas quoi faire, donc j’ai tenté du droit bilingue, c’était très bien mais trop loin de chez moi, du coup j’ai lâché l’affaire. En plus je ne voyais pas d’opportunité professionnelle. Ensuite j’ai fait deux années de prépa économie qui étaient géniales parce que c’était un très bon groupe. Ce n’était pas le même état d’esprit que dans toutes les prépas où chacun doit être meilleur que l’autre. On avançait tous ensemble. On était dix. C’était top. Mais je ne me voyais pas faire une école de commerce. Ce n’était pas mon truc. Donc j’ai pris une année sabbatique, pendant laquelle j’ai fait beaucoup de compétitions. Ensuite, la nutrition m’est apparue comme quelque chose de logique. Ça m’a toujours beaucoup intéressé. Et mon grand-frère qui a eu beaucoup d’influence sur moi, m’a encouragé. Donc j’ai fait de la nutrition, là j’ai terminé, j’attends les résultats. Je fais un bachelor en nutrition sportive. Nutrition adaptée aux sports de combats. J’ai choisi ça pour aider les athlètes à gérer leur pesée.

Dans ce magasin (Gordo Nutrition) on vend des compléments alimentaires surtout destinés aux sportifs. Les sportifs ont des besoins spécifiques liés à leur pratique. On vend principalement des produits de récupération, parce que c’est ce qui est le plus demandé. La première des récupérations est liée à l’hydratation et à l’alimentation. Certaines personnes ne mangent pas suffisamment pour bien récupérer. Ça peut donc être un plus pour elles. Chaque produit est une source concentrée de nutriment spécifique. Ça peut être super pratique. Vous prenez 50g de Weigh, vous rajoutez 200ml d’eau, vous avez presque l’équivalent d’un steak.

Il y a de tout : ceux qui veulent prendre du poids, ceux qui veulent en perdre. Ceux qui veulent juste se sentir mieux : on vend des vitamines, des minéraux.

On a aussi des produits plus alimentaires : du beurre de cacao par exemple. On va faire un rayon bio, des aliments sans gluten etc.

Il y a vraiment de tout, c’est top, c’est trop bien.

Depuis toute petite, j’ai pensé que les sports de combat n’étaient pas réservés aux hommes. Mes parents m’ont élevé dans cet état d’esprit. Pourtant mes parents sont issus de l’immigration. Mais la danse n’est pas forcément pour les filles et la boxe, pas forcément pour les garçons. C’est fait pour toute personne qui a une affinité pour ça. Je trouve que les sports de combat sont d’autant plus fait pour les femmes qu’on est une population vulnérable. Physiquement, on est moins aptes à se défendre qu’un homme. Et on est plus les cibles d’agression. Quand une femme décide de faire un sport de combat, c’est très judicieux de sa part. Elle ne mettra pas forcément quelqu’un K.O. mais au moins elle sera préparée à une éventualité. Un homme est dissuadé quand il voit une femme qui sait se défendre. Si la femme se met en garde par exemple, l’homme se dit qu’elle n’est pas si sans défense que ça et qu’il ne va peut-être pas l’agresser. C’est très important que les femmes fassent des sports de combat. Maintenant, avec les réseaux sociaux, les femmes dans le MMA, il n’y a plus tant de différence. Il y a quand même plus d’hommes qui pratiquent, c’est sûr. Il n’y a pas de sports faits pour les hommes ou faits pour les femmes.

C’est vrai qu’on développe des attributs en pratiquant, en lutte par exemple, la plupart des femmes sont très carrées, les danseuses sont plus fines. Mais en fait, non, ça ne veut rien dire.

Et les canons de beauté ont changé, il y a de tout. Une femme très musclée, ou ronde, peut être très jolie. Comme une femme toute fine. Tout ça, c’est grâce aux réseaux sociaux. On voit de tout, des images du monde entier. Des canons de beauté venant de tel ou tel pays. Ça modifie les esprits. C’est bien, comme ça peut aussi être néfaste. Ça ouvre l’esprit, mais ça peut être la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Il faut bien savoir identifier l’information que vous voyez.

Quand je ne suis pas blessée, je peux aller jusqu’à 10h d’entrainement par semaine. La semaine dernière j’ai fait mardi, mercredi, jeudi et dimanche, chaque fois deux heures. Ça fait 8 heures. J’aurais pu en faire plus. Cette semaine je me suis blessée, je ne pense pas que je vais aller au JJB mais je pense que vais aller à la salle de sport pour soulever un peu, pour travailler le haut du corps, renforcer. J’essaie de ne jamais m’arrêter parce que ce n’est pas bon. Quand j’étais jeune, j’arrêtais tout quand je me blessais. Ce n’est pas bon. Surtout que j’ai une compétition le 30 octobre. J’ai hâte. En plus, c’est en kimono. Je ne sais pas pourquoi j’appréhende beaucoup moins le kimono que le sans-kimono. (le JJB se pratique avec kimono : GI ou sans : NO GI).Je trouve que le kimono est une sécurité. Et j’ai rencontré une judokate qui m’a appris plein de trucs. Du coup, j’ai hâte de les mettre en pratique. En grappling (sans kimono),je trouve qu’on peut se blesser plus facilement, ça glisse tellement, ça va tellement vite. C’est plutôt de la lutte, et ce n’est pas quelque chose que je maitrise. Au début, j’étais plus à l’aise en grappling parce que j’avais des petites notions de lutte. Maintenant je suis plus à l’aise en kimono. Mais je fais les deux. Comme quoi tout change !

Je ne m’arrêterai pas. Même quand j’aurai ma ceinture noire. Je continuerai à découvrir de nouveaux arts martiaux. Quand j’étais petite je voulais tout pratiquer pour inventer mon propre art martial. Finalement, je respecte chaque discipline en elle-même. Je ne fais pas du MMA : je fais de la boxe et du JJB mais je ne mélange pas les deux.

Les prochaines étapes : capoeira et parkour éventuellement. Il faut juste trouver du temps. J’aimerais parfois qu’il y ait 48h dans une journée. Surtout que parfois on délaisse une pratique : en ce moment je ne fais plus de boxe pour préparer la compétition de JJB du 30 octobre. Je veux faire toutes les compétitions en JJB ; en boxe, j’en ferai une ou deux.

La différence entre les deux, c’est vraiment l’environnement. En ce moment je me sens tellement plus à l’aise au CDK qu’à mon club de boxe à Bobigny. Bobigny, je suis chez moi, je suis à l’aise. En JJB, j’ai tout à découvrir, c’est une nouvelle aventure. En boxe, je n’ai pas atteint un point d’excellence mais je me suis lassée.

Quand j’ai arrêté la boxe, ce qui m’a remis dans les arts martiaux, c’est le MMA. J’avais fait un mois de MMA à Paris, chez Fernand Lopez (Crossfight). Il m’a redonné le goût des sports de combat.

J’ai fait aussi un stage de boxe en Hollande, c’était royal. Je n’ai qu’une seule envie, c’est d’y retourner. Ça a révolutionné ma boxe. En arrivant là-bas, je me suis pris un K.O. par une novice, une personne qui était là pour le loisir alors que j’ai pratiqué en compétition ! Ils sont très bons. J’ai hâte d’y retourner. Je n’arrête pas d’essayer de me programmer dix jours pour y retourner. En Hollande, ils ont un état d’esprit très différent, ils sont cools. Dans la rue, les gens vous disent bonjour. Ils sont hyper-ouverts.

Le projet de ma vie, c’est de faire un camp en Thaïlande, un stage d’un mois. On envisage d’y aller avec Sarah. L’année dernière, quand elles sont parties avec Joan, elles ont fait un camp de boxe thaï. On partirait pour joindre l’utile à l’agréable : vacances et camp de boxe. Je ne sais pas si je resterai longtemps. Le truc, c’est que si vous restez moins de trois semaines, vous êtes un touriste. Si vous restez plus de trois semaines et que vous vous entrainez avec eux, ils vous considèrent comme un thaïlandais, vous boxez contre eux. Je verrai si je peux rester. Je ne sais pas. Ça dépendra du calendrier des compétitions, de mon état physique.

Il faut que je fasse attention, je me blesse très souvent en ce moment. Il faut que je prenne rendez-vous avec mon médecin pour comprendre pourquoi.

Mais oui, on a prévu un petit voyage en Thaïlande. On aimerait bien y aller avec toute l’équipe parce que l’année dernière tous les garçons du CDK sont partis en Thaïlande. Ils ont rencontré Sarah et Joan là-bas. Sarah essaie de voir si cette année on ne pourrait pas partir tous ensemble. Ce serait trop bien !

Là-bas, la boxe fait presque partie de leur religion. La plupart des Thaïlandais gagnent leur vie comme ça. Les enfants, filles et garçons, sont mis dedans tous petits. Il y a même des combats mixtes (homme contre femme). J’en ai vu un la dernière fois. Il faut savoir qu’en Thaïlande, il y a beaucoup de modifications chirurgicales : vous êtes une femme, vous pouvez devenir un homme et inversement. C’est pour ça qu’il n’y a pas de distinction homme-femme dans les combats. Les thaïlandais sont très beaux quand ils combattent. Ils sont beaux ! C’est très dur, c’est violent. On sent que si on se prend un coup on risque de se blesser. Mais c’est beau ! C’est très technique, très fluide, très précis. C’est trop beau, j’aime trop la boxe thaï. C’est la version martiale des sports de combat. C’est issu d’un art martial à la base. C’est une des boxes les plus complètes : vous avez tous les coups (pieds, poings, coudes, genous), les saisies et les balayages. Ce qui est interdit c’est d’aller au sol.

Ce que je pratique moi, c’est le kickboxing. Je n’ai pas pratiqué la boxe thaï dans un club de manière assidue. Tout ça c’est une question de temps. Je préfère la boxe thaï au kickboxing, que j’aime déjà beaucoup.

Il faudrait que je trouve un club et le temps pour faire de la boxe thaï.

Il y a aussi le fait que je suis un peu fidèle à Bobigny. Même si je vais beaucoup au CDK, je ne me vois pas pratiquer la boxe ailleurs qu’à Bobigny.

Mais mon grand-frère s’est inscrit dans un club à Pantin, donc je pense que je vais aller voir. C’est à Fort d’Aubervilliers.

Il y a aussi le Phénix-Club. C’est le club de référence. J’y ai été invitée à plusieurs reprises parce que celui qui dirige le club m’a formée pour les diplômes fédéraux. Et je connais une boxeuse qui boxait chez nous et boxe maintenant là-bas. Il y a aussi un boxeur de là-bas qui est venu chez nous. Il faut que j’y aille. C’est vraiment le club. C’est une usine à champions.

En Thaïlande, vous avez votre camp (votre club). Les boxeurs thaïlandais portent un Mongkon (serre-tête). Ce Mongkon appartient au camp. On le met au combattant pour qu’il aille représenter son camp.

En France, il y a des clubs qui naissent un peu partout, il y a beaucoup de disciples d’un tel qui ouvrent un club là ou là.

Comme autre loisir, il y a le shopping. C’est très important pour moi. La cuisine j’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps. Je n’ai vraiment pas le temps. J’aime aussi beaucoup regarder des films, aller au cinéma. Etre avec mes amis, partager des bons moments. Je suis beaucoup dans l’échange.

Interview de Neïla (entraineure, boxeuse)

Interview de Neïla à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 30 janvier 2017

 

Neïla a commencé la boxe par hasard. Elle dit : Je n’aurais jamais pensé que c’était un sport qui allait me plaire autant. Elle s’est prise au jeu, a ensuite passé ses diplômes d’entraineure et mis en route la section féminine de Esprit Libre au Blanc-Mesnil à la demande de Paly. Cette saison 2017/2018 annonce du changement pour le club et Neila puisque celle-ci a trouvé un travail dans le sud et qu’elle doit donc passer le relais aux autres entraineures de la section : Farah, Miriame, Alice, Laura.

 

La première fois que je suis rentrée dans une salle de sports de combat, c’était avec une amie. C’était elle à la base qui voulait essayer. Je suis rentrée dans une salle de boxe, à Aulnay-sous-Bois. C’est là où j’ai commencé. C’était marrant parce que j’ai fait le cours avec elle, et elle n’a pas suivi du tout après et au final c’est moi qui ait accroché.

Je me souviens de la salle. Il y avait des sacs et deux rings. Il y avait deux entraineurs à l’époque. Ce dont je me souviens c’est que je ne savais pas faire de la corde à sauter ! Je n’en avais jamais fait à l’école, je n’aimais pas ça. Et du coup, c’était marrant, la première fois où j’ai fait de la corde à sauter c’était à la boxe, je ne sais plus quel âge j’avais, je devais avoir 21/22 ans, un peu plus même : 23.

C’était un peu impressionnant, surtout les sacs, parce qu’on avait travaillé directement au sac, à la fin du cours : ça m’avait beaucoup plu, je n’avais pas forcément le geste parce je caressais un petit peu le sac : c’était très doux ! Par la suite j’ai le souvenir des entraineurs qui m’ont amené à aimer cette pratique parce que j’étais plutôt réservée, calme, donc ce n’était pas forcément un sport qui m’attirait de base.

Donc il y avait ça : la technique, les premiers mouvements qu’on montrait : le direct qui n’était pas forcément évident au départ.

Oui, ça m’a plu dès le premier cours.

Ce qui m’a plu, c’est que je me suis dépensée sans forcément le ressentir, en m’amusant. C’était vraiment de l’amusement ce premier cours. C’était intéressant aussi d’apprendre plein de choses sur le mouvement, sur son corps. Se rendre compte, quand on fait des mouvements au sol par exemple, que la jambe pèse très lourd alors qu’on a pas l’impression ! Savoir contrôler son corps, c’est quelque chose qui est difficile. Quand on voit les mouvements, on se dit : « Oui, c’est facile » et quand on le fait on se dit : « Ah, mince ! »

Il y avait les étirements à la fin : c’était un peu compliqué parce que je n’étais pas très souple ! Mais je me rappelle de cette sensation des étirements, du retour au calme. Il y avait vraiment beaucoup de choses sur l’intégralité du cours.

C’était une sensation globale très agréable.

Avant la boxe, j’avais fait des activités sportives au lycée, au collège, à l’école. Quand j’ai arrêté l’école j’ai complètement arrêté le sport. Je m’y étais remise avec l’amie avec qui je suis venue la première fois à ce cours. Je m’étais inscrite dans une salle de sport au CMASA. Le même club a une salle de musculation avec des cours : abdos-fessiers, step, etc. Je m’étais inscrite là-bas et il y avait cette affiche pour le cours de boxe. C’était de la boxe féminine, avec des entraineurs hommes, et c’était le mercredi. Le premier jour où j’y suis allée, je me souviens que c’était un cours féminin. Il y avait d’autres cours dans la semaine qui étaient mixtes.

J’ai décidé de continuer. Dans ce club. Au CMASA. Au début, la première année, je venais régulièrement mais ce n’était pas forcément très assidu. Je venais une ou deux fois par semaine. Il y avait des cours quasiment tous les jours. Au bout d’un an, un an et demi peut-être, j’y ai vraiment pris goût et je me suis beaucoup plus investie. J’allais quasiment à tous les cours. Tous les jours. J’avais un petit peu plus de temps sur mon planning, qui me permettait d’y aller. Comme j’ai évolué assez vite, ça m’a donné envie d’évoluer encore plus. Et plus je faisais des cours, plus je sentais que ça devenait plus facile, et c’est devenu un peu comme une addiction ! Pendant un moment j’y allais vraiment tous les jours et s’y je n’y allais pas, il me manquait quelque chose dans ma journée. Ce qui me manquait, c’est la sensation d’après : on a quand même une sensation de fatigue et en même temps une sensation de bien-être. Et le fait que quand on fait un sport comme ça, on ne pense à rien pendant l’entrainement. On n’a vraiment pas le temps de penser à autre chose et ça enlève tout ce qu’on peut avoir à l’extérieur, que ce soit le travail ou autre, c’est vraiment un moment pour soi.

Je suis restée pendant plus de six ans.

J’ai beaucoup sympathisé avec un des entraineurs, Mamadou Kebe. Ils ne faisaient pas de compétitions à l’époque, et je l’ai un peu poussé à faire des compétitions parce que je voyais qu’il y avait beaucoup de personnes qui étaient motivées. C’était une section adulte. Je l’aidais un peu sur les cours, et comme c’était compliqué pour lui de faire l’administration, au final je m’occupais de tout ce qui était papiers, prise d’inscriptions, contacts avec la fédération. Donc on s’est lancés dans les compétitions, ce qui a mis une bonne dynamique dans le club.

Les compétitions, au départ, j’en ai pas eu forcément envie. Mon entraineur m’en parlait. Il m’a demandé d’aller sur les sites pour voir comment ça se passait. Et ça m’a donné envie de m’y intéresser. Lui, il est très compétiteur dans l’âme. Il a fait beaucoup de compétitions avant, mais il ne savait pas comment gérer cette partie d’organisation qui fait qu’on va aller en compétition. Mais il aime bien entrainer des compétiteurs. Il s’est dit : si quelqu’un peut se charger de prendre les licences, de la partie administrative, on y va. Et de fil en aiguille, il a commencé à entrainer pour les compétitions et à regarder quelles personnes seraient intéressées, auraient les capacités pour en faire.

En allant voir des compétitions, ça m’a donné envie d’en faire. Ma première compétition, ce n’était pas moi qui avait fait l’inscription, je crois qu’il avait vu avec le directeur du club lui-même. Il nous avait dit que ce serait une petite compétition, qu’on allait se lancer en light, moi et celle qui avait ouvert la section au départ. Je me souviens très bien : quand on est arrivés à la compétition, il y avait énormément de monde, on regardait tous les combats. Il y avait un problème d’arbitrage sur un combat, ils n’étaient pas d’accord entre eux. Une du club a dit : « Oh, c’est pas le championnat de France non plus ! » et là, une personne s’est retournée et a dit : « Si, si c’est le championnat de France ! » Au final ça nous a mis une petite pression, alors que notre entraineur ne voulait pas nous mettre de pression justement. Cette compétition s’est bien passée dans l’ensemble, mais j’ai le souvenir que j’étais très stressée au moment de monter sur le tatami. Je n’avais pas l’habitude de m’entrainer avec un casque et le fait d’en mettre un, ça me faisait comme si tout le monde était lointain. Tout le monde parlait en même temps et je ne comprenais rien de ce qu’on me disait. Je ne me rendais pas compte que j’étais essoufflée, je crois que je n’ai pas dû respirer pendant tout le round à cause du stress. Mon adversaire était plutôt fair-play. Elle aussi je crois que c’était sa première compétition donc on était dans la même dynamique toutes les deux. Je me souviens qu’à la fin du premier round quand je suis partie voir mon entraineur, il m’a un peu secouée en me disant : « Mais c’est qui là-dedans ? Tu fais quoi ? » Parce qu’en fait je ne faisais pas grand chose ! Quand j’ai regardé la vidéo après, j’ai vu que j’étais essoufflée et que c’était très lent ; tous les mouvements étaient très lents. Sur le coup je ne m’en rendais pas compte, c’est en regardant la vidéo après. J’avais perdu vraiment mes moyens parce c’était devant tout le monde.

Mais c’est quand même un bon souvenir, parce que ça m’a appris à me mettre dans la peau du compétiteur, et à connaitre toutes les sensations qu’on peut ressentir. C’était un moment de stress, de ne plus savoir tout ce qu’on a appris. On peut tout oublier au final ! C’était déstabilisant mais je ne dirais pas que c’était un mauvais souvenir.

Après, j’ai fait une compétition en plein contact, et là c’est plutôt un mauvais souvenir. Mon entraineur pensait que j’étais prête et que j’avais les capacités pour aller en plein contact. Je n’en étais pas forcément convaincue parce que je n’étais déjà pas très à l’aise en light mais j’avais fait entièrement confiance à mon entraineur. Et je pense que je n’étais vraiment pas prête. Je suis tombée sur quelqu’un qui avait l’expérience des combats, qui était plutôt hargneuse. On n’a même pas fini le premier round ! A cette époque-là, j’avais la hantise de me prendre des coups sur le nez parce que j’ai un problème au niveau des sinus. Je voulais juste ne pas me prendre de coup et ce qui arrive en général c’est tout le contraire ! Je me souviens avoir envoyé les premiers coups : coups de pied, coups de poing ; qu’ensuite elle a remisé et qu’à ce moment là je n’ai pas eu ma garde et : direct sur le nez. Donc on a arrêté parce que je saignais du nez, on a essuyé, et on est reparties. Et quand on est reparties elle s’est déchaînée direct sur mon visage parce qu’elle s’est dit : « Ça y est, je l’ai touchée à cet endroit-là ». Et là mon entraineur a jeté l’éponge parce qu’il voyait que ce n’était pas productif. Ce n’était pas intéressant de me laisser.

Là, je me suis rendue compte de l’impact que ça pouvait avoir psychologiquement, physiquement, surtout en plein contact. Je pense que je n’étais pas prête, ni physiquement, ni psychologiquement.

J’en ai refait une autre deux ans après, en light. Pour moi, pour ne pas rester sur cet échec, pour me dire : le light ça me convient peut-être plus. Mais je ne me trouve pas très à l’aise sur le tatami en compétition, je me sens mieux en tant que coach. Je l’ai refaite pour me surpasser. Et cet échange était beaucoup mieux, j’ai terminé sur une bonne touche. J’aurais peut-être continué en light si j’avais eu le temps de m’entrainer mais au final il fallait choisir à un moment donné.

Au bout de six ans au CMASA, je suis venue ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) pour ouvrir la section féminine.

J’avais rencontré Paly (Paly Dembelé, fondateur de Esprit Libre) au CMASA où il s’entrainait aussi. On s’est trouvés amicalement déjà, et aussi au niveau sportif. Il m’a parlé du club de Blanc-Mesnil. C’est de lui dont vient l’idée de la section féminine. Au départ il y avait une section adulte et une section enfant. Il avait vraiment le désir de mettre une section féminine en place. Beaucoup d’autres clubs avaient une section féminine mais avec un entraineur homme. Ce qui faisait la différence c’est qu’il voulait que ce soit une femme en tant qu’entraineur. Il nous en a parlé, à une de mes amies aussi du club d’Aulnay et à moi.

Et on a ouvert la section féminine au BMSFighting-Club (Blanc-Mesnil Fighting Club, ancien nom du club Esprit Libre)il y a trois ans. C’était en 2014. En début d’année.L’amie qui était avec moi a arrêté, j’ai continué, et Farah est venue me rejoindre comme deuxième entraineure. Je ne la connaissais pas du tout, Paly la connaissait. C’est lui qui a réuni tout le monde.

La première année on avait peut-être 20 personnes au début, en fin d’année on a terminé à 30 adhérents, en section femmes, la deuxième année on en avait 50 et cette année je crois qu’on est à peu près à 80 ! Il n’y a pas eu de publicité particulière, c’est par le bouche à oreille.

Depuis que j’ai commencé la boxe, je n’ai pas arrêté. Ça fait 8 ans 1/2, 9 ans, quelque chose comme ça, oui. J’ai évolué, parce qu’en full-contact on a les ceintures à passer. J’ai passé les grades, j’ai passé la ceinture noire auprès de la fédération et après j’ai passé les diplômes fédéraux d’entraineur.

Entrainer, ça s’est fait au fur et à mesure, naturellement. Au fur et à mesure je prenais note de ce que l’entraineur faisait à l’entrainement. Ce n’est pas que je prenais note mais j’enregistrais facilement les exercices et la façon dont il s’y prenait. Des fois il me disait : « Est-ce que tu peux montrer ? » Parfois il y avait beaucoup de monde, des nouveaux qui arrivaient, il ne pouvait pas se charger de tout le monde, alors il me disait : « Tiens, tu prends les nouveaux. » Je n’étais pas forcément à l’aise au départ. Je lui demandais : « Mais qu’est-ce que je leur fais faire ? Qu’est-ce qui est compliqué ou pas comme mouvement ? » Parce que je ne me souvenais pas par quoi j’avais commencé. Donc je posais des questions. Et il m’a appris beaucoup sur l’ordre des choses. La pédagogie je pense que je l’avais déjà, au début ; après, c’est le fait de s’adapter aux personnes. Mais par mon métier j’ai l’habitude. Je travaille en crèche. Mais c’est vrai que l’ordre des choses, quoi faire à quel moment, c’était difficile pour moi d’être dans l’imprévu. Il fallait qu’il me dise à l’avance : « Tu vas t’occuper d’un cours. » Une fois je suis arrivée, il m’a dit : « C’est toi qui fait le cours. » Ce n’était pas prévu. J’ai dit : « Ah non non non, ce n’est pas possible !  Dis-moi, la prochaine fois, je préparerais. » J’avais besoin, vraiment, de noter, de préparer avant, parce que j’avais peur de me retrouver avec un moment de vide.

Donner des cours, c’est quelque chose que j’aime bien : transmettre ce qu’on m’a moi-même transmis. C’est intéressant de voir évoluer les gens qui arrivent. En général, les personnes qui viennent à la boxe ne parlent pas de compétition, ça ne leur vient même pas à l’esprit au départ. En général elles viennent pour leur bien-être personnel, parfois pour perdre du poids. Toutes ont des raisons différentes. Au final certains vont vers la compétition et les autres non. C’est intéressant d’essayer de s’adapter en fonction des personnes et de ce qu’elles attendent.

En tant qu’entraineure, c’est vrai que je préfère la boxe loisir. J’aime les premiers cours, j’adore donner les premiers cours, les premières bases. C’est là où ça accroche ou pas. J’aime bien cette idée de fidéliser la personne qui arrive. En général quand elles ressortent du premier cours elles se disent : « Waouh ! j’ai appris plein de choses ! » Et à chaque fois elles en apprennent d’autres qui se rajoutent. Je trouve ça marrant. Il y a beaucoup de raisons pour que le public féminin vienne à la boxe, et on n’en sait rien. Mais quelles que soient ces raisons, on emmène toujours quelqu’un à se surpasser. Parce que la boxe c’est quand même un sport assez dur. Même pour celles qui viennent s’entrainer en loisir, il y a souvent l’appréhension de se prendre un coup. Il faut se protéger, c’est difficile. Le fait de surpasser cet aspect-là, je trouve ça bien ! Et oui, c’est un sport dur, fatiguant.

Les coups, c’est quelque chose. Parce que quand on fait des techniques, dans le vide, ça va ! Mais après, quand on se prend vraiment un coup, c’est autre chose ! J’avais cette appréhension des coups au départ. La peur de se blesser, déjà, et la peur de perdre ses moyens, de baisser complètement la garde et de s’en prendre encore plus. La peur d’être jugée aussi. D’être jugée sur la façon dont on va recevoir le coup, comment on va réagir derrière.

Quand j’ai commencé, quand il y avait un coup qui me faisait un peu mal, je me sentais oppressée par l’autre adversaire. Des fois j’avais vraiment du mal à continuer mon combat. Je pouvais pleurer, c’était vraiment quelque chose de difficile au départ. Ça me déstabilisait complètement.

Après, je pense qu’on s’habitue. On s’accommode en fait. On s’accommode et on réagit autrement. Sur le coup ce n’est pas agréable ! Mais on prend du recul et on se dit : « Qu’est-ce qui s’est passé, à quel moment et pourquoi ? Qu’est-ce que j’aurais pu mettre en place ? » Et on réadapte. Mais on sait que ça fait partie du jeu. On apprend à plus se protéger, plus se déplacer, et on sait que dans tous les cas, ça peut arriver, avec n’importe quel adversaire, un débutant comme un confirmé, dans n’importe quel contexte. Il faut apprendre à encaisser, à mettre des coups mais à encaisser aussi.

Mettre un coup, pour moi, ça a été difficile aussi. Lors de ma première compétition, ce qui m’a le plus déstabilisé c’est que je n’avais pas cette âme de compétiteur : « Je veux gagner ! » Je ne voyais pas un adversaire devant moi mais une personne. Et ça, c’était compliqué parce que je ne voulais pas faire mal. Je voyais une personne en face de moi, je me souviens encore du visage de mon adversaire, qui était un peu paniquée aussi, souriante, et j’avais vraiment du mal à voir un adversaire. Je voyais la personne en dessous. Et oui, c’est difficile de mettre des coups, souvent on retient un peu, parce qu’on ne va pas frapper comme sur un sac !

Pour un compétiteur, je pense qu’il faut qu’il se dise qu’à partir du moment où on rentre sur le tatami, il n’y a plus deux personnes mais il y a deux adversaires ; et que le meilleur gagne ! Après, il y a quand même des règles sportives qui font qu’il y a du respect, et qu’on sait quand s’arrêter. Mais il faut vraiment partir dans la compétition en te disant : « Ce n’est pas une personne, c’est un adversaire ; c’est moi ou lui qui gagne. »

C’est difficile de savoir si quelqu’un va être un compétiteur. On peut parfois voir ceux qui ont plus l’esprit de compétition, mais on peut toujours avoir des doutes. Et au moment de la compétition, certaines personnes qui ne se projetaient pas forcément dedans, peuvent être vraiment emballées et se dire : « C’est ce que je veux faire. »

Ils peuvent se révéler. Par exemple je pense à un enfant qui n’était pas forcément assidu, qui faisait un peu n’importe quoi au cours, il n’avait pas de but justement. On a un peu hésité, on l’a mis à une première compétition, et depuis sa première compétition c’est quelqu’un d’autre ! Parce qu’il a vu l’enjeu, pourquoi il s’entrainait, ce que ça pouvait lui apporter, quelle était la réalité de la situation en combat et ça l’a motivé. Depuis, il fait des compétitions et à l’entrainement il est plus sérieux. Mais en le voyant à l’entrainement au départ on ne s’était pas dit qu’il pourrait faire de la compétition parce que justement il n’était pas assez sérieux.

Par contre, en général quand on sent quelqu’un pour la compétition, ça se révèle être quelqu’un qui accroche à ça.

Une partie de soi qui n’est pas forcément apparente ressort dans les compétitions. Déjà le fait de se surpasser soi-même. Il y en a qui n’aiment pas se mettre en compétition avec les gens, même dans la vie de tous les jours. Il y en a pour qui c’est quelque chose d’important. Souvent sur les compétitions, ce qui joue aussi, c’est le fait de ne pas décevoir son entraineur, ça joue énormément. Moi-même je l’ai vécu. Ce n’était pas me décevoir, mais décevoir mon entraineur qui était le plus dur. Parce que l’entraineur prend du temps pour entrainer à une compétition et cet aspect-là joue beaucoup. Avant les compétitions, je dis aux filles que déjà je suis contente qu’elles soient là. Qu’elles gagnent ou qu’elles perdent, je serais contente dans tous les cas. Si elles perdent, il y aura des choses à revoir, à adapter. C’est important qu’elles sachent que la compétition en elle-même c’est déjà un pas, et qu’il ne faut pas se figer sur la finalité. Moi je me fige sur le travail qu’elles ont qu’elles ont fait, les sacrifices qu’elles ont pu faire avant et le jour de la compétition.

Par exemple, à la dernière compétition de Noémie, juste après le combat, on venait juste de finir, elle m’a dit : « Tu es fière de moi ? Tu es fière de moi ? » Je lui ai dit : « Mais oui ! » Je n’avais même pas enlevé son casque qu’elle m’a dit ça, cette phrase-là. Même si on essaie de le dire avant, avoir la reconnaissance de l’entraineur après, trotte vraiment dans la tête du compétiteur.

Les compétiteurs sont tous différents : par exemple Noémie, elle adore qu’on l’encourage alors qu’il y en a d’autres qui vont dire : « Non, ça va plus me déstabiliser qu’autre chose, je ne préfère pas. »

Je pense que ça dépend de chaque caractère mais c’est vrai que quand on a un but, quand on a une compétition, on va être à 200% ! Parce que la compétition, ce n’est pas que l’entrainement. C’est par exemple rester dans sa catégorie de poids, adapter son alimentation, son rythme de vie, prendre du repos. Et à part si on a un super cardio dès le départ, il faut aller courir pour augmenter son cardio, il faut avoir une volonté qui fait que même si l’entraineur n’est pas disponible il faut pouvoir se prendre en charge tout seul. Il y a plus d’enjeu, donc on ne s’entraine pas de la même manière : on ne va pas louper un entrainement parce qu’on est fatigué, on va dire : non, non, il faut y aller !

Pour celles qui viennent en loisir, les motivations sont diverses. Certaines l’expriment verbalement au fur et à mesure de l’année ou même dès le début : J’ai envie de perdre du poids, ou : J’ai envie de faire un sport qui est complet, j’ai envie de gagner en souplesse. Beaucoup de choses différentes. Il y a quand même pas mal de mères de familles, et pour beaucoup c’est un moment d’évasion, c’est prendre un temps pour soi. Après, la motivation première qui fait qu’elles sont rentrées pour la première fois dans une salle de boxe, c’est très personnel et on n’arrive jamais à le savoir au final.

Quand on commence la boxe, au niveau physique déjà, on découvre des muscles qui travaillent, qu’on ne connaissait pas avant ! Et après il y a l’aspect psychologique, c’est déstressant. J’ai l’impression qu’on passe un peu nos nerfs, qu’en tout cas on se décharge de quelque chose en venant à la boxe. Le fait de frapper dans un sac ou dans les cibles c’est quelque chose où on est vraiment nous-mêmes. On n’a plus d’image non plus, parce que au final la boxe ce n’est pas comme la danse où c’est très joli, très gracieux ! On est dans un état … On transpire, on est rouge, mais au final on s’en fiche ! C’est libérateur.

Je pense que trouver quelque chose qui nous passionne, qui nous intéresse, boxe ou autre, ça change quelque chose dans la vie. Par exemple là je n’ai pas forcément beaucoup de temps pour m’entrainer et j’ai l’impression que ça joue sur mon moral ! Je vais être moins patiente, parce que je n’ai pas ce moment à moi qui fait que je vais pouvoir me dépenser.

Ça peut être autre chose que la boxe, mais en ce qui me concerne, la boxe est quelque chose d’essentiel. Après, je pense que le sport en général développe quelque chose comme ça. Il y en a qui aiment aller courir et qui vont aller courir tous les deux jours parce qu’ils en ont besoin.

Les qualités qui vont faciliter la pratique de la boxe c’est d’avoir de l’endurance, de la souplesse. Le mental joue beaucoup aussi, le fait d’aller au bout des choses, même si on n’est pas tout seul et que quelqu’un nous pousse. Si les capacités physique sont là, mais que le mental n’est pas là pour dire : « Allez, tu continues », on peut s’arrêter. Je pense qu’il faut avoir cette aptitude à se pousser jusqu’au bout mais en même temps à être conscient qu’il y a des règles. Il faut pouvoir entendre ces règles et accepter que quelqu’un nous dise : « Là, stop ! Là on s’arrête. » Pour des adultes, pour des enfants aussi, c’est parfois compliqué à accepter.

On n’est pas obligé d’avoir une condition physique préalable. Ça peut aider mais tout le monde est en capacité de le faire. Même moi qui n’avait pas fait de sport pendant longtemps, et qui n’avait pas forcément le profil d’une boxeuse. Pas du tout même. Quelques années après j’ai parlé avec mon entraineur, et il m’a dit : « Le premier jour où tu es venue avec ta copine, je me suis dit : « La copine elle va rester longtemps, c’est sûr » Elle avait déjà le geste, elle avait l’attitude qui faisait qu’elle se donnait à fond. « Je pensais que c’était ta copine qui allait rester, pas toi. » Et ça s’est avéré tout le contraire ! Je n’avais vraiment pas le profil : j’étais très douce. Ce n’était pas un sport au départ qui était pour moi. C’est pour ça que je me dis : tout est possible !

Moi-même ça m’a surprise. Parce que de nature, je n’aimais pas les sports de contact. Il y en a qui les regardent à la télé, moi, ça ne m’a jamais attirée du tout cet aspect violent. Parce qu’il y a quand même cet aspect-là, de bagarre, même si ça reste un sport. On voit des coups, des gens se battre. Je n’étais pas du tout dans cette optique-là, donc oui, je me suis surprise moi-même. Je n’aurais jamais pensé que c’était un sport qui allait me plaire autant.

Et au final, ça créé mon équilibre. Par exemple par rapport à mon métier, qui demande beaucoup de patience, de calme, de douceur. Le fait de faire tout le contraire à la boxe, ça me permet un équilibre. C’était la deuxième partie qui sommeillait en moi !

Parce que c’est dur quand même. C’est un sport dur, il y a des sports beaucoup plus doux ! C’est assez violent parce qu’il faut arriver à recevoir l’attaque d’une autre personne -qui va être sportive- et ne pas le prendre pour soi. C’est sur un fil, parce que selon l’humeur qu’on peut avoir, c’est quelque chose que je trouve très délicat. Parce qu’on se retrouve tout le temps avec des partenaires ou des adversaires différents et chaque personne va réagir différemment. Ça demande une capacité d’adaptation très forte. On va s’adapter à un débutant en se disant : « On va boxer, mais on va le laisser s’exprimer un petit peu parce qu’il ne faut pas qu’il ait cette pression ». On peut aussi se retrouver devant des adversaires qui frappent plus fort, et là, il ne faut ne pas le prendre pour soi. Parfois on peut le prendre pour soi en se disant : « Il a quelque chose contre moi celui-là ? » J’ai déjà vu des mises de gants où des personnes frappaient trop fort. Ça peut finir par dégénérer si l’entraineur ne dit pas : « Stop, on arrête, parce que vous tapez trop fort. Si vous ne savez pas boxer ensemble, vous allez frapper au sac ! »

Il y a des personnes avec qui on boxe mieux qu’avec d’autres, vraiment. Il y a des affinités sur le tatami, comme au travail. Quelque chose se créé avec certaines personnes. On va mieux travailler avec elles parce qu’on va mieux s’entendre, qu’on n’aura pas besoin de parler pour faire les choses. Dans la boxe, c’est pareil. On a l’impression de plus évoluer avec certaines personnes que d’autres. Parce qu’on arrive à se comprendre et à avoir une symbiose. L’échange est plus constructif. Quand les deux arrivent à s’adapter, c’est plus facile. Par exemple, Paly, c’était un partenaire très enrichissant. Il avait cerné les choses qui me faisaient peur et du coup, j’étais en confiance ; parce que je savais que quand il me frappait au visage il me frappait un peu plus haut que sur le sur le nez, qu’il allait mettre ses coups normalement mais qu’il allait s’adapter. Donc ça me permettait d’être moins sur mes défenses et de pouvoir échanger. Parce que quand on a une appréhension on ne va plus rien faire, on va moins tenter de choses parce qu’on a peur de se mettre en danger. C’est difficile parfois de s’adapter aux personnes qui ont beaucoup de force ou qui appuient leurs coups, on ne va pas oser certaines techniques parce qu’on a peur de se mettre en danger. Avec des personnes dont on sait qu’elles ne vont pas appuyer tous leurs coups, on va plus oser faire des techniques, des déplacements.

Chacun boxe avec ce qu’il a. Certains vont être plus méticuleux, vont chercher à quel moment ils vont frapper, chercher l’ouverture, vont être plus réfléchis, plus techniques. D’autres vont miser sur la puissance et la déstabilisation de l’autre.

C’est une question d’adaptation, de savoir s’adapter à l’autre. Observer, et faire en fonction de.

Ça peut être un jeu. Oui. Souvent on se cherche un peu et puis : « Ah tiens, je t’ai touché ! » et un sourire… C’est aussi dans la rigolade. Ou alors il y en a un qui n’arrive pas à toucher l’autre, ça l’énerve un peu, l’autre se déplace, il rigole.

Il faut aussi cette partie-là, le fait que ça reste ludique.

Il faut savoir être sérieux quand il faut être sérieux mais il faut parfois sortir un peu du cadre. C’est un moment de convivialité aussi. Si on est vraiment strict et qu’il n’y a pas du tout d’ouverture, c’est moins un moment de plaisir. Par exemple ici, il y a des filles qui viennent ensemble. Si l’une ne vient pas, l’autre ne vient pas non plus. Elles veulent partager ce moment-là ensemble.

Un sport comme la boxe, c’est plus facile pour la motivation qu’un sport individuel. Quand on est tout seul face à son tapis ou à aller courir, il y a quand même moins de motivation. Là, même si on n’est pas très motivé, si la personne en face est en train de frapper, il faut bien bloquer ! Ou le contraire, il faut bien faire les cibles. Donc déjà c’est un sport collectif par rapport à ça. C’est aussi un sport qui est dur en même temps qui demande à avoir du respect, il y a cet aspect également. Avant un combat, on se salue, il y a du respect. On doit savoir s’arrêter quand il faut s’arrêter, quand l’arbitre estime qu’il faut stopper. Il y a l’aspect sportif : si on prend un coup trop fort on ne doti pas s’énerver, on ne va pas faire de la bagarre de rue, ça reste un sport. C’est savoir s’extérioriser et en même temps se contenir à certains moments. Et le fait d’être ensemble est important. Parce qu’au final, sur une compétition on est seul, mais pour les entrainements on a besoin de quelqu’un. Le fait d’avoir besoin de l’autre pour s’entrainer, c’est important. Il y a de l’entraide aussi. Par exemple, si on travaille des exercices physiques à deux, on peut se motiver l’un l’autre, s’encourager, il y a un moment où on encourage et un moment où on se fait encourager. Parce qu’il y a des moments où on n’en peut plus, on a envie de lâcher mais si les autres disent : « Allez, allez, continue ! » ça donne plus de force.

Pour l’avenir, je pense continuer l’association. Ça me tient à cœur parce que c’est moi qui l’ai repris il y a deux ans. Continuer la pratique féminine. Qui a vraiment évolué depuis le début. Mon but premier, c’est d’amener toutes les femmes qui entrent ici à apprécier ce sport et à évoluer dedans. Par exemple Alice, qui est rentrée dans la section et qui a beaucoup évolué (elle est devenue entraineure).Mon but c’est aussi ça : que certaines puissent se retrouver dedans.

Je n’ai pas nécessairement d’autre projet parce que l’association prend déjà beaucoup de temps. Mais voilà, continuer sur la pratique féminine. Je pense que c’est un public qui est en attente, beaucoup. Et de leur apporter ça, c’est important.

 

Les règles pour les combats changent souvent par rapport aux compétitions. En général, les zones de frappe, ça ne change pas. Pour chaque discipline, c’est quelque chose qui est déjà acté. Mais ça peut changer en terme de compétition, de nombres de points attribués, et ça, ça dépend de la fédération. Par exemple il y a la WAKO (World Association of Kickboxing Organizations), une fédération internationale qui réunit plusieurs pays. Parfois la fédération française se cale par rapport à ça parce qu’elle en fait partie, et ça change un peu les règles. En club, on essaie de parler un peu des règles d’arbitrage, et on invite ceux qui ne sont pas compétiteurs à venir voir des compétitions parce que c’est en venant voir des compétitions qu’on peut se retrouver à avoir envie d’en faire.

Pour faire changer les règles au niveau des fédérations, c’est difficile. On peut en discuter, on peut emmener une idée mais c’est difficile d’aller au bout, il faut frapper à plusieurs portes.

Quand on fait des mises de gants au club, les règles sont souvent les mêmes qu’en compétition. On enseigne plusieurs disciplines : full-contact, kickboxing, donc il y a des règles différentes pour les zones de frappe : on frappe ou pas dans les jambes etc. En général on dit la discipline et les filles connaissent les règles.

Si j’avais le temps, j’essaierais quelque chose qui sort complètement de la boxe, ça serait plus des danses, danses latines. J’aime bien ces musiques. Je m’étais dit que j’aimerais bien prendre des cours et au final je ne l’ai jamais fait parce que je n’ai pas forcément le temps.

L’année dernière et celle d’avant, en fin d’année, on avait invité d’autres clubs et on avait fait un genre de body-combat. C’est les mouvements dans le vide, en musique, assez cardio. C’est un peu chorégraphique. C’était sympa. J’avais aussi fait des cours de renforcement en musique, à la fin du cours.

Aller faire un cours ou des mises de gants dans un autre club c’est toujours intéressant parce qu’on voit d’autres méthodes, il y a un échange. Parce que chaque entraineur a ses méthodes, ses façons de travailler, ses exercices qui peuvent être différents et je pense qu’on apprend toujours. On apprend toujours en tant qu’élève, mais en tant qu’entraineur aussi. On s’inspire aussi des autres.

 

Irascible

On dit que les grands boxeurs sont des hommes en colère. Si la rage améliorait les performances, je pourrais songer à conquérir une ceinture de champion de France de Boxe - section vétéran - .

Ma vie est scandée de récits ou de souvenirs de colères. Le mythe familial prétend que ma première ire est tombée sur la religieuse qui, au Jardin d’Enfants de la rue Elzévir, prétendait me faire retourner en classe après la récréation. J’avais insulté la femme de Dieu, qui rapporta à ma mère que, malgré ma prononciation encore défectueuse d’enfant de trois ans, je lui avait très clairement dit « merde » et répété suffisamment le mot pour qu’elle se convainque bien que c’était bien là ce que j’entendais lui signifier.

  • « Je ne comprends pas où il a bien pu apprendre ce mot » lui répondait benoîtement ma mère, très embêtée au fond de constater qu’il était public et avéré ce qu’elle savait depuis ma naissance : elle avait enfanté un enfant colérique.

Les années suivantes, j’ai poursuivi mon frère aîné de ma rage : lui écrasant des chewing-gums dans les cheveux, le mordant, le griffant lors de nos batailles où je refusais contre toute évidence de m’avouer vaincu, toujours prêt à me relever pour lui donner un coup de pied sitôt qu’il m’avait lâché et tourné le dos, plantant des couteaux dans sa porte quand il s’enfermait dans sa chambre, lui balançant le plus lourd des dictionnaires au visage parce que ma mère avait oublié de m’embrasser en partant.

Excédés par ces crises de colères, mes parents m’enfermaient dans ma chambre lorsque je commençais à tempêter, taper du pied, et crier. Seul avec mes jouets, je choisissais avec soin un jouet chéri, et le détruisais en le lançant contre le mur.

J’allongeais un coup de poing direct au camarade de colonie de vacance qui venant dans mon dos me posait affectueusement un bras sur l’épaule. Je n’aimais pas qu’on me touche par surprise.

Cette agressivité éruptive contrastait avec un abord plutôt charmeur, ce qui achevait de désorienter mes interlocuteurs, et faisait de moi un enfant mélancolique et solitaire.

J’avais secrètement peur de ces pulsions de colère. J’évitais de me battre, car il me semblait que si je me battais, je ne reconnaîtrais aucune règle. Et de fait, une fois dans la rixe, je perdais toute mesure, devenais insensible à la douleur, et dénué absolument de scrupule. Quand je me battais, c’était pour tuer.

Mon frère a, je crois, bien senti ce danger.

Si j’ai terrifié quelqu’un, c’est d’abord lui. Et ensuite, moi, donc.

Ma principale angoisse pendant longtemps – et peut-être encore aujourd’hui – c’est de me trouver débordé par cette violence. Durant mon adolescence, j’avais très peur de me réveiller un matin avec dans mon lit le cadavre de mon amie que j’aurais étranglée dans une crise de démence, semblable à celle qui conclut la carrière universitaire de Louis Althusser, assassin de son épouse dans son appartement de fonction de la rue l’Ulm.

Plus tard, j’ai identifié cette peur à une très fondée angoisse devant la sexualité, activité aussi agréable qu’inquiétante – rencontrer l’autre est toujours un événement extraordinaire, et s’inquiéter de ce commerce me semble toujours fondé : si c’était une activité bénigne, les acteurs n’auraient pas le trac, les boxeurs monteraient le cœur léger sur le ring, et les électrocardiogrammes des amoureux demeureraient d’une désespérante régularité -.

J’ai aussi découvert, durant mon enfance, que je pouvais utiliser beaucoup plus utilement la menace de la colère que la colère elle-même. Je me suis donc pourvu d’une collection de regards noirs qui permettaient à mes interlocuteurs de sentir que quelque chose clochait, et donc de tenter de combler mes attentes avant que ne s’exprime de manière terrible ma frustration d’avoir dû attendre.

Et ensuite, j’ai complété cet arsenal avec une gamme de silences signifiant des émotions allant de l’agacement à l’exaspération, en passant par la contrariété, l’irritation, l’indignation, la révolte, le scandale, l’offense.

Je dois faire un aveu : je ne ressentais souvent pas si violemment tous ces sentiments, mais je m’amusais parfois à les outrer dans le but délibéré d’intimider mes interlocuteurs.

Tous n’étaient pas dupes cependant. Mais j’ai su faire souffrir avec ces silences s’appesantissant.

Je me prenais à mon propre jeu : et plus d’une fois, feignant la colère, je me suis retrouvé réellement en colère, et débordée par elle. Dans ces cas–là je me consolais de mon manque de self-control en me disant que ma colère devait bien être fondée quelque part pour m’emporter ainsi.

J’ai reçu un compliment de Mirko

Au bout d’un an et demie de pratique de la boxe, voilà que Mirko, l’assistant de Franky notre professeur, me fait un compliment.

Pour être précis, il a partagé ses compliments entre Dany et moi pour l’assaut que nous avions mené ensemble.

- « Bravo, les gars. C’est super ce que vous avez fait ».

- « Il est en progrès le papy » m’a-t-il dit en désignant Dany qui s’éloignait.

Je me suis demandé si Mirko ne se complimentait pas un peu lui-même par la même occasion, puisqu’il donne régulièrement des cours particuliers à Dany. Les compliments sont tellement rares qu’on a du mal à croire en leur sincérité. On se dit : il dit ça pour qu’on ne se décourage pas complètement.

Dany est en effet en progrès : il m’a allongé deux crochets qui ont atterri sur ma mâchoire. De retour à la maison, je trouvais avec plaisir une soupe que j’avais préparée la veille : un aliment parfaitement approprié à mon impossibilité à mâcher consécutive à ces deux coups. Les deux crochets de Dany ont résonné jusqu’à l’accroche des mandibules et dans mon oreille interne qui est restée douloureuse une semaine.

- « Bien fait » avait commenté Mirko après le premier crochet « Ça t’apprendra à ne pas garder ta main droite devant ta joue ». Dany a entendu la critique à moi adressée, et s’est engouffré dans la faille ainsi indiquée. C’est sa récidive sur ma mâchoire qui m’a du coup le plus vexé, prévenu que j’étais.

Dany a bien fait, et c’est bien fait pour moi.

Le compliment fait partie de l’ancestrale pédagogie de la carotte et du bâton qui est d’usage dans un cours de boxe. Le bâton, c’est le quotidien de l’élève boxeur. Loin d’être une métaphore, il se matérialise très concrètement certains soirs entre les mains de Sounil l’entraîneur des amateurs.

- «  Vendredi dernier, on devait demeurer accrochés aux agrès, j’avais lâché pour souffler, paf, je reçois un coup sur les épaules. C’était Sounil avec sa baguette » rigolait hier Dany.

C’est étrange que ça nous fasse rigoler, ces châtiments corporels que nous dénoncerions dans n’importe quelle autre circonstance.

Le compliment, c’est le Graal de l’apprenti boxeur. Dans notre groupe, les compliments individuels sont rares, et quasi inespérés de la part de Franky, notre coach. Hier, dans les vestiaires, deux gars s’extasiaient après le cours :

-«  Franky, il nous a dit : c’est bien ce que vous faites, les gars. Sur la tête de ma mère, mon frère, il l’a dit, à moi et à Samuel, il l’a dit, pas vrai Sam ? »

Et Sam, le regard vers le sol :

- « Ouais. Il l’a dit. »

Le compliment c’est l’onguent sur les ecchymoses.

La fatigue

Ce n’est qu’à partir de vingt-cinq ans que j’ai senti vraiment ce qu’était la fatigue.

Avant, il me semblait inconcevable qu’on puisse mourir de fatigue, comme on meurt de faim, de soif, de froid. Je ne comprenais pas qu’on ne puisse pas récupérer.

C’est difficile de parler de la fatigue. D’abord, je trouve fatiguant quelqu’un qui bâille et répète sans cesse « je suis fatigué ». - « Vas te reposer », suis-je tenté de lui répondre, « et reviens-nous meilleur ». La plainte de la fatigue, cette antienne « je suis fatigué » me hante aussi, et c’est souvent qu’elle envahit mon cerveau, de manière d’autant plus irritante que j’y vois une invitation à m’apitoyer sur moi-même.

Depuis six mois que je prends des cours de boxe, je peine à trouver les mots justes pour évoquer la fatigue engendrée par l’entraînement.

Dès la première semaine, j’ai compris qu’il me fallait m’organiser pour ne pas me retrouver éreinté, assommé, harassé, accablé les jours suivant l’entraînement. Sébastien me l’a dit : pour être moins fatigué, tu dois t’entraîner plus. Une fois par semaine, ce n’est pas assez. Saïd a récemment ajouté cette remarque : c’est fatiguant, mais c’est de la bonne fatigue. Il a certainement raison : le soir après l’entraînement, je suis fatigué, mais en grande forme. Certainement, l’idéal serait de parvenir à faire durer cette exaltation d’après entrainement jusqu’au suivant.

Indolence. Peur de se faire mal. C’est quand on souffre à l’entraînement qu’on sent qu’on progresse, dit X***. Comment transformer mon corps si je ne lui demande pas plus que ses capacités actuelles ? Si je ne le pousse pas dans ses retranchements ?

Mais où commencent ces retranchements ? Hier, dans un exercice où nous sautions deux par deux au-dessus d’un sac de frappe allongé au sol, j’ai du m’arrêter, les jambes coupées. Mon partenaire m’encourageait : allez ! On y va ! On continue ! Sans doute s’exhortait-il lui-même aussi en répétant ses phrases, les yeux perdus dans le vague.

« Faites de la souffrance votre compagne. Laissez-la demeurer à vos côtés. » Nous exhorte Saïd durant les exercices.

La question que je me posais en reprenant l’exercice, c’était : pour me suis-je arrêté à tel instant et pas quelques secondes plus tôt ou plus tard ? Parce que je n’en pouvais plus ? Mais qui n’en pouvait plus ? Mon corps, réellement, n’en pouvait-il plus ? Ou était-ce simplement la dose de souffrance que j’étais prêt à accorder à mes jambes ? Bien sûr, mes jambes se tétanisaient, mon cœur battait à tout rompre (mais, allez, il était loin de rompre), mon sang était lourd de toxines. Mais qui décidait de mon arrêt ? Mes jambes ? Mon cœur ? Mes poumons ? Ou mon cerveau ? Mon cerveau n’est pas séparé de mon corps. C’est un organe comme un autre. Je suis un corps, comme me disait Jeanne dans une phrase qui me semblait très prétentieuse, mais qui finalement me semble assez juste, voire totalement vraie.

Donc, à défaut de démêler ce qui ressort de ma volonté ou de mes capacités, je fais comme tout le monde : je gère.

-      Non, c’est ce que tu aimerais faire, rétrospectivement, en écrivant le lendemain au soleil, à cette terrasse de café parisien, me rétorquè-je.

La veille, au Boxing Beats, dans le grincement des poulies, le martèlement des pieds sur le parquet, les appels de Frankie indiquant les secondes restantes, lorsque tu t’arrêtais alors qu’il demeurait quinze secondes d’exercices, tu ne gérais pas, tu faisais « au moins pire « dans la panique, conclus-je.

C’est encore pire lors d’une reprise.

La semaine dernière, nous avons fait trois fois trois minutes. Neuf minutes interminables, surtout vers la fin. Je ne suis pas très doué pour l’esquive, donc j’essaye de compenser en bougeant le plus possible. Mais c’est plus fatiguant pour moi que pour mon partenaire, qui lui reste tranquillement au centre du cercle que je fais autour de lui, et attend que je m’essouffle pour me cadrer et m’allonger une série. Parfois, dans une énergie proche du désespoir, j’avance et j’essaye de prendre le dessus en multipliant les coups rapides. Mais là encore, je perds beaucoup d’énergie, et il me faut reculer face à un adversaire motivé à présent pour me rendre la pareille. Ceux qui connaissent la boxe trouveront bien naïves mes tentatives pour gérer les neuf minutes. Ils hausseront sans doute les épaules, en se disant : quand il sera fatigué de bouger pour rien, il apprendra à esquiver.

Les lions dorment, paraît-il, vingt-trois heures par jour. Les boxeurs aussi dorment beaucoup. Une bonne fatigue, dit Saïd. Une heure de chasse, de guet, de course, doit dévorer une énergie réclamant vingt-trois heures pour que le corps ait besoin de se régénérer. Et les lions savent que quand ils courent derrière une gazelle, ils ne doivent pas se rater, sous peine de dormir vingt-trois heures le ventre creux, et avec encore moins d’énergie pour recommencer.

Les voix

Pratiquer la boxe, c’est être habité par des voix. Les injonctions de l’entraîneur qu’on entend soudain dans son dos durant l’entraînement et qui vous corrige : « Travaille tes appuis ! Remonte ta garde ! Tourne les épaules ! ».

On poursuit l’exercice sans se retourner vers la voix. On essaye d’appliquer la consigne jusqu’au moment où parvient (ou non) un « Voilà. C’est ça. » libérateur. Si la voix se manifeste pendant une mise de gant, on diffère un peu la mise en œuvre de ses préconisations. Car votre partenaire a entendu comme vous : « Travaille-le au foie ! Force-le à se pencher ! »

Après le départ de l’entraîneur, le conseil tourne dans votre tête. Il fait contrepoint avec les dizaines de consignes, d’ordres, de conseils, d’observations qui se répondent, résonnent, claironnent en refrain ou en bourdon dans l’occiput.

Je ne sais si pour vous c’est la même chose, mais moi, j’ai en permanence une sorte de discours intérieur dans mon cerveau, qui se met parfois en boucle comme une ritournelle. Durant l’entraînement, c’est la sarabande.

Certaines voix intimes sont brutales. Elles distillent une musique ordurière. Par exemple : « Ta gueule » dis-je à la radio, en coupant un discours qui m’insupporte. Je ne sais pas si ça me fait du bien, ce type d’interjection, et je sais bien qu’elles laissent de marbre celui à qui j’ai coupé le sifflet.

Il y a des lieux privilégiés d’épandage de ce purin spirituel et maintenu ordinairement confiné dans nos boîtes crâniennes. La voiture est un exutoire bien connu de tous. Qui n’a entendu avec une surprise mêlée de dégoût, comme une révélation obscène, la plus civilisée des personnes grogner « Va te faire foutre, connard » en réponse au coup de klaxon indigné d’une voiture à qui elle a grillé la priorité ?

Dans mon for intérieur, les malédictions, les injures tombent drues. Murmurés, clamés, grondés, scandés, marmonnés, mon paysage sonore intime est parcouru par ces éclairs muets d’orages intérieurs.

Au soutien scolaire du Boxing Beats, nous insistons pour que les jeunes se parlent bien entre eux, du moins quand ils sont en notre présence. Globalement, je constate que, comme beaucoup de jeunes et de moins jeunes, ils se parlent mal. Les mots tranchants déchirent l’espace : « Bâtard ! Fils de pute ! Blédard ! ». En somme, ces gamins disent tout haut ce que je dis à mon bonnet. Plus désinhibés que moi, ils ouvrent grandes les vannes de leurs égouts privés.

La grande difficulté de ces jeunes est de parvenir à faire preuve de discrétion, de pertinence dans le choix du l’heure ou du lieu pour exprimer ce que les plus jeunes appellent encore : des gros mots. Saïd nous racontait dernièrement avoir entendu une des ados du groupe s’exclamer en observant un des professeurs du cours arrêter de filmer un combat pour recharger la batterie de son appareil : « Mais pourquoi il arrête de filmer ce fils de pute ?  ».

Comment lui expliquer que l’acception affective de « Fils de pute » même assimilée à une sorte de « celui-là ? » - qui n’est pas très aimable non plus –, est réservée à un cadre amical, et que ces mots ne sauraient être utilisés par un élève pour qualifier un de ses maîtres ?

De fait, la boxe, en tant que spectacle, constitue un déversoir de cette agressivité verbale, surtout lors des compétitions.

« Tue-le ! », « Massacre-le ! » : c’est souvent qu’on entend ces absurdes appels au meurtre dans les travées des compétitions de boxe.

Nonobstant les insultes et les quolibets des supporters de son adversaire, le boxeur sur le ring est abreuvé d’un torrent d’injonctions aussi véhémentes que contradictoires : - celles de son père, de ses frères et sœurs, de ses copains -. « Sors de là ! », « Avance ! » « Ta droite, tout de suite, ta droite ! ». Heureusement pour lui, le boxeur - tous en témoignent -   dans le tumulte du gymnase ne perçoit qu’une voix parmi toutes les voix : celle de son entraîneur. Il s’accroche à cette parole comme un nageur emporté par une crue à un fétu de paille : son oreille se ferme à toutes les autres pour n’écouter que les conseils, les ordres, les encouragement, les remontrances, les félicitions venant de son coin.

En cherchant le mot « coprolalie » dans le dictionnaire  (« Propension maladive à employer des termes orduriers et scatologiques »), je tombe sur les pathologies liées au langage. Ce sont des TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs). Je vois dans ces actions répétées comme automatiquement beaucoup de liens avec certains exercices de l’entraînement de boxe.

« Ne travaillez pas comme des robots » nous enjoint Franky quand nous devons répéter la même défense devant une attaque (par exemple : un retrait sur le côté pour esquiver un direct). « Evitez l’écholalie dans vos dialogues pugilistiques » pourrait-il dire, s’il était un cuistre. (Écholalie : Répétition automatique par un sujet des phrases prononcés devant lui).

« Variez vos esquives » dit-il aussi. « Ne nous laissez pas emporter par la palilalie », pourrait-il nous exhorter dans un style plus soutenu. (Palilalie : Répétition irrépressible des mêmes mots, généralement repris de la fin d'une phrase.)

Poursuivant ma lecture du dictionnaire je trouve : Glossolalie : Production par certains psychopathes d'un langage partiellement inventé par eux.Là j’ai du mal à trouver un équivalent dans la boxe, sauf à considérer que lorsque Mike Tyson mord à deux reprise l’oreille de son adversaire, il fait preuve indéniablement de l’invention d’un coup que n’avait pas prévu le marquis de Queensberry dans ses règles de la boxe.

La boxe est un dialogue, une conversation à coups de poings, un débat sans paroles, mais où toutes les figures de la rhétorique peuvent trouver leur équivalent.

Souvent je m’adresse à moi-même. Je me parle à moi-même à voix haute quand je suis seul, et parfois même en compagnie.

Je dis : « Dépêche-toi, Stéphane » si je tarde ; « Oh, quel con ! » quand je fais preuve de maladresse. En général, cette voix venue de moi n’a rien d’aimable à mon égard. Ce sur-moi envahissant a plus tendance à me morigéner qu’à m’encourager. En y songeant d’ailleurs, je dois bien constater qu’il ne m’encourage jamais.

Je me défends avec la même antienne : « Je suis fatigué ».

Ça fait cinquante cinq ans que ça dure : « Dépêche-toi » me dit la voix « je suis fatigué » lui réponds-je d’un ton plaintif.

C’est bizarre d’avoir ces relations là avec moi-même, non ?

- « Tu te plains tout le temps » me réponds-je

Geignard, oui, je me trouve un peu geignard, et je m’énerve à geindre tout le temps.

Lire dans les yeux

Quand on met les gants, on scrute son partenaire. On ne le quitte pas des yeux. On le prend en considération entièrement de l’orteil jusqu’au sommet du crâne et sans répit pendant trois minutes. Si on se soustrait à cette attention, la sanction intervient très vite sous la forme d’un coup.

Dans les conversations de vestiaires, j’entends des boxeurs prétendre lire le jeu de leur adversaire dans ses appuis, ou dans le déplacement de sa ceinture. Je ne suis pas assez savant pour ça, donc, mon adversaire, je le couve du regard. J’ai plongé mon regard dans celui de Sébastien ou de Hervé ou d’autre partenaires de boxe plus intensément que je n’ai jamais regardé mes amoureuses.

Adolescent, des expressions comme : « il lut l’impatience, le désir, dans le regard de X » me semblaient complètement abstraite, de pure figures de style. Moi, il ne me semblait jamais rien lire dans le regard d’autrui. Certes, pour être sensible au regard des mes interlocuteurs, il aurait fallu que je les regarde en face, ce que je ne faisais jamais. Je parlais, et je parle encore souvent dans cette attitude, sans regarder mon interlocuteur. Comme ces africains qui échangent sans se regarder des formules de politesses à toute allure, apparemment indifférents aux réponses de leur interlocuteur, mais sans doute sensibles, non pas au contenu rituel de la réponse, mais à aux minuscules inflexions de son intonation. Comme eux, je suis peut-être plus sensible à la musique des paroles, qu’aux variations météorologiques des regards.

En conséquence, un silence pesant, une inflexion méprisante, un ton agressif me semblent beaucoup plus violents qu’un regard de travers.

Un matin, notre instituteur se mit à crier sur un de mes camarades. Les mots qu’il assena au malheureux me choquèrent plus que les châtiments corporels auxquels notre maître nous avait habitué. Cette remontrance, cette algarade, cette engueulade, me déchirait les oreilles comme un long crissement de craie sur un tableau. Devant le spectacle de notre instituteur debout, la bave aux lèvres (il avait en effet assez souvent une sorte de liquide blanc à la commissure de ses lèvres), je me retenais pour ne pas me lever et m’enfuir. Mais j’étais tétanisé, comme mes camarades, et tous, assis à nos sièges, la tête baissée, le dos rond, nous attendions que la fureur passe comme passe un ouragan.

Je me demande pourquoi je garde si présent le souvenir de cette réprimande-là. Le professeur était coutumier du fait. Le camarade sur laquelle elle était tombée ce jour là m’était indifférent. Il n’a pour moi ni nom, ni visage. Juste une silhouette debout, la tête penchée, avec un pull rouge. La raison de la remontrance, je ne m’en souviens plus non plus. J’apprenais par cet instituteur de l’école de garçon de la rue de Turenne que le pouvoir n’a aucun besoin de raison pour s’abattre de la façon la plus sauvage sur celui qui lui a déplu. N’importe quel prétexte est le bon.

Dans le mot violence, il y a viol. Avec cette engueulade publique, l’instituteur violait nos âmes, en nous obligeant, en gardant un silence craintif, à une complicité avec lui, comme avec sa victime.

La première fois que j’ai vu des larmes dans les yeux de spectateurs d’un de mes spectacles, j’ai été très surpris. Je ne pensais pas posséder un tel pouvoir. Ce jour là, j’ai peut-être ressenti une émotion inverse à celle procurée des années auparavant dans la salle de classe.

Cette émotion est-elle d’aune nature radicalement différente ? Ou procède-t-elle de la même racine plongeant dans nos fibres les plus profonde mais pour s’épanouir de manière toute différente ?

Mélanome et boxe

Hervé suit notre exploration depuis trois ans. Il a boxé deux ans en boxe loisir au Boxing Beats. Absent depuis la rentrée, il écrit ce texte expliquant cette absence. Aprés avoir été opéré, il semble aujourd'hui sorti d'affaire. Hélas, il ne pourra plus boxer. Voilà le texte qu'il a écrit sur cette expérience.


J’ai appris le 10 septembre 2017 que j’étais atteint d’un mélanome choroïdien cancéreux à l’œil gauche.

Les muscles qui longent la colonne vertébrale se glacent.

Pensée fugace de cet après-midi-là : Est-ce qu’on peut ressentir cette sensation sur scène ? Ce froid ? Dans une pièce de Victor Hugo par exemple, quand un personnage apprend qu’il va mourir ?

En avoir « froid dans le dos », réellement et à plusieurs reprises.

Je me souviens du regard appuyé de l’interne qui m’invite à descendre à l’échographie ; Du sourire embarrassé de l’échographe que je remercie de l’examen ; Des silences un peu trop longs, oui surtout des silences un peu trop longs ; Des phrases : « Il y a une masse ; Il est hypervascularisé ; Vous avez un mélanome ; C’est malin (pour être malin, c’est malin ! Pensais-je) ; Oui, je veux dire : c’est cancéreux ; Je vous ai pris un rendez-vous en urgence à Curie ; Proton thérapie ; un cm et demi, la rétine est complètement décollée ; Enucléation ; Ce service est le meilleur. »

Enucléation.

Il y a un an et demi, pendant une campagne d’information sur les dons d’organes, j’ai dit à Ariane : « Je donne mon accord pour qu’on puisse prélever tous mes organes. Tous, sauf les yeux. Je sais pas pourquoi, mais tous, sauf les yeux. »

Enucléation, difficile à dire, difficile à imaginer.

« Enucléation, 10 octobre 17 », écrit à la main par le professeur Cassoux de l’institut Curie sur une feuille de soins un peu froissée.

Deux semaines. Le temps d’apprendre la nouvelles aux amis, le temps de se sentir bien comme jamais. La mort efface « l’avenir » et donne « le présent ». Cadeau. Ça doit être ça, « être en état de  Grâce ». Se satisfaire d’un rayon de soleil qui chauffe la peau, d’un tour de lac aux Buttes avec Ariane, d’un sourire de ma voisine dans le métro, recevoir la gentillesse, se sentir au monde. C’est chouette.

Et puis cogiter. D’où vient ce mélanome ?

La Boxe ? Et si ce mélanome était dû à la boxe. La première fois que j’ai remarqué qu’un léger voile gênait ma vision, c’était en revenant d’un entrainement au Boxing Beats. Avais-je reçu un coup sur l’œil gauche ? Probablement ! Ce coup avait peut-être provoqué une légère lésion, cette microscopique fêlure de la choroïde aurait provoqué une inflammation, les cellules cancéreuses y auraient fait leur lit pour peu à peu former un mélanome. CQFD.

Le soleil ? Je lis sur internet que les mélanomes choroïdiens sont plus répandus chez les patients ayant les yeux clairs et qu’ils peuvent être provoqués par l’exposition au soleil. J’ai les yeux clairs mais ne m’expose pas souvent au soleil, sauf après avoir nagé dans la mer.

Le Théâtre ? Je me rappelle les lumières de Marc Delamézière pour le spectacle « Mars ». Au début de la représentation, mon visage était très très proches des projecteurs. Ils m’éblouissaient et me brulaient les yeux. Est-ce la cause lointaine de ce mélanome qui me bouffe l’œil ?

Si la boxe me coute un œil, (j’ai envie de me poser la question crûment) est-ce que je regrette les entrainements deux fois par semaine au Boxing beats ? Est-ce que je regrette de m’être inscrit dans ce club à un âge ou tous les boxeurs ont remisé leurs gants depuis longtemps ? Pourquoi j’ai fait ça ? Nous avions vingt ans Eric Da Silva et moi. Nous étions inscrits dans un cours de théâtre et nous y faisions nos premiers pas d’acteur en herbe. En plus du théâtre, Eric pratiquait la boxe, et ne tarissait pas d’éloge sur ce sport, ces yeux s’illuminaient quand il en parlait. Il m’incitait à venir mettre les gants. Il était un peu plus grand que moi et avait, comme moi, de longs bras. « Tu verras » me disait-il « c’est un avantage.  Viens voir au moins. ». La peur l’a emporté sur l’envie. Je n’y suis jamais allé. J’avais peur. Peur de me faire casser le nez, peur de perdre mes dents, peur de l’arcade sourcilière éclatée. Trente cinq ans après, et trop tard, je me suis inscrit au Boxing Beats, enfin.

Si les expositions au soleil m’avaient rendu borgne, est-ce que je regrette ces moments où fatigué par la nage, je me laissais tomber sur ma serviette, essoufflé, mouillé de sel ?

Si les projecteurs, si proches de mes yeux au théâtre Paris-Villette avaient été le point de départ, l’élément fondateur, de ce mélanome, est-ce que je regrette ces représentations ?

Franchement, je n’y arrive pas. Je ne peux me passer du souvenir de ce monologue. Du plaisir, du trac, de la sensation d’être maître du temps. Comme je ne peux renoncer au plaisir d’être face à la mer, fatigué, réchauffé par le soleil et sentir les gouttelettes s’évaporer lentement en laissant sur la peau, sur les poils, des traces de sel.

Sincèrement, si c’était à refaire, sans forfanterie ni figure de style, je me réinscrirais au Boxing beats. Je revivrais ces séances d’entrainement exténuantes, obligeant à repousser ses limites (si rapidement atteintes en ce qui me concerne). Rechercher le beau geste, la belle boxe comme dirait Francky, le mouvement parfait qui part des hanches entrainant jambes et bras. Et avoir enfin un jeu de jambes de danseur, aérien et ancré dans le sol au moment du coup. Et puis les rounds amicaux sur le ring divisé en quatre. Chercher la faille chez l’adversaire, préciser les enchainements : direct du droit crochet du gauche direct du droit, direct du droit direct du droit crochet du gauche, direct du droit direct du gauche déplacement crochet du droit, direct du droit direct du droit direct du droit déplacement crochet du gauche se baisser sur ses jambes uppercut du droit…. Laisser venir, parer un coup, deux coups, laisser l’adversaire se découvrir, relâcher la garde, prendre confiance et instinctivement trouver la faille et placer le coup qui sonne.

Si je regrette quelque chose, c’est d’avoir trop peu nagé jusqu’à l’endroit dangereux, là où on n’entend plus la rumeur de la plage ni celle des vagues, l’endroit où les courants forts commencent à vous entrainer vers le large. Là où les sirènes émettent leurs chants. Aller jusque là-bas. Si je regrette quelque chose, c’est de n’avoir pas suivi Eric jusqu’à sa salle de boxe, il y a trente-cinq ans. Je regrette de n’avoir pas donné assez de coups et de ne pas en avoir assez reçus. D’avoir trop peu regardé d’adversaires en face, œil dans œil. Je regrette de ne pas avoir vraiment combattu, de ne pas savoir donner le coup qui sonne vif et puissant et de ne pas avoir été sonné à mon tour. Est-ce que je peux rester lucide malgré la fatigue et les coups reçus pendant trois rounds ? Je ne saurai jamais. Si je regrette quelque chose c’est le trop peu de boxe, le trop peu de risque, le trop peu de vie.

Moody

 

  • « Vous devez toujours réagir immédiatement à une série de coups. Même si vous les avez tous parés, vous devez sortir avec un direct, ou un crochet, peu importe. Il ne faut pas donner l’impression aux juges que vous subissez » nous explique Franky.

Nous essayons sur le ring de mettre en application cette instruction. Ce n’est pas si simple que ça.

J’ai remarqué que dans la vie, face à l’agression - qu’elle soit physique ou verbale, n’importe – on demeure médusé. On prend alors le risque de réagir à contretemps, voire contre d’autres que les responsables de l’agression.

Dans la classe de 4° du collège Jean Zay à Bondy où nous étions il y a quelques années en résidence de création,  Moody était le souffre-douleur de ses camarades. Il semblait admis comme un fait acquis que quelque élève qui passât à côté de Moody, se devait de lui donner une tape, une petite claque, une bourrade, lui faire un croc en jambe. Moody ne protestait pas. Il vivait dans son monde, jouait à ses propres jeux, ne prenait jamais la parole, et s’endormait souvent en classe, la tête dans ses bras croisés.

Un jour, au cours de l’atelier de théâtre que j’animais, agacé de voir Moody subir les vexations ordinaires de ses camarades, j’annonçais que désormais, le prochain qui porterait la main sur lui serait viré. Moody, de ce jour, s’essayait à mes côtés durant les sorties.

Un soir, nous accompagnions la classe à une représentation de La Fausse suivante  à la Comédie Française. Nous avions dûment chapitré les jeunes : on enlève sa casquette en entrant dans le théâtre - on ne parle pas durant le spectacle – on ne mange ni ne boit dans la salle.

Moody s’assoit à ma gauche. Assis dans le rang devant nous, une dame accompagnée de deux petites filles modèles, semblables en tout point aux « jumelles » dessinées dans le Figaro Magazine. Ces trois-là promouvaient un mauvais exemple tranquille : elles mangèrent leurs sandwiches en attendant le début du spectacle, burent leur jus de fruit au lever du rideau, et durant le spectacle leur mère leur parlait à l’oreille pour souligner tel ou tel bon passage de la pièce.

Moody n’en n’avait cure. Il semblait intéressé par le spectacle. Il lui échappait parfois de pouffer. Ces rires pouvaient être inopinés, ou en décalage avec les éclats de rire de l’ensemble des spectateurs ; ils témoignaient que Moody passait ce que les critiques du Masque et la Plume appellent « une bonne soirée ».

L’hilarité intermittente de Moody avait pour effet de déclencher systématiquement un lever d’épaule de la dame devant. Le haussement d’épaule demeurant infructueux, elle se tourna au deuxième acte vers Moody pour lui lancer un regard noir et un sifflement vipérin qui ne démontèrent pas mon protégé. Enfin, au troisième acte, elle n’y tint plus et se tournant vers moi, elle me chuchota excédée : « Mais enfin, vous ne pouvez pas lui dire de cesser ? ». Moody n’eut pas besoin de mon truchement, et se tint coi le reste du spectacle, et applaudit sagement les acteurs aux saluts, comme on lui avait recommandé de le faire.

Nous nous levions pour quitter la salle. La dame me toisa ainsi que Moody et lâcha : « La prochaine fois qu’il sortira de sa banlieue, j’espère que vous aurez appris à ce jeune homme à se tenir ». Je fus interloqué par cette agression soudaine. J’aurais eu long à dire à cette dame sur l’éducation qu'elle-même donnait à ses filles, et leur manque de savoir-vivre dans un théâtre. Je ne répondis cependant rien, me donnant comme prétexte à mon silence que je me refusais - scrupule absurde - à entrer dans une polémique entre adultes sur l’éducation devant des enfants.

Le lendemain, dans la salle des profs du collège, je racontais cette scène à Fanette, la professeure principale. Cette dernière me dit :

- « C’est une agression raciste. »

  • « J’aurais du répondre à cette dame ? »
  • « Bien sûr. Tu n’aurais pas dû laisser passer ça. »

Donc, j’avais été lâche.

Quelques mois plus tard, Fanette s’inquiéta de l’apathie de Moody durant les cours. Non, qu’il ne perturbât les cours – la plupart du temps, il dormait, ou demeurait les yeux dans le vague, et sa seule participation se résumait à ses gloussements intempestifs. Elle convoqua donc son père.

  • «  Ah, il me donne bien du souci ce Moody. Vous avez bien fait de me prévenir, Madame. S’il continue à vous embêter, c’est simple : je le renvoie au Sénégal direct. J’ai d’autres enfants au pays qui travailleront mieux que Moody. » lui répondit-il.

Moody finit son année scolaire avec nous. Je lui confiais la mission de filmer en vidéo une scène de danse qui était retransmise en direct sur un écran. Il s’acquitta avec conscience de sa mission, avec un cadrage un peu de guingois.

Deux ans plus tard, je déjeunais avec Fanette. À l’heure de nous séparer, devant la bouche de métro, elle me dit soudain :

  • « Tu te souviens de Moody ? Il est resté en France. Il s’est même trouvé une petite copine. Bon, il semblait s’éveiller. Et il n’a rien trouvé de mieux que de partager sa copine avec ses copains dans une tournante. La fille n’a pas porté plainte. Elle a honte d’abord et ensuite, sa famille ne veut pas d’ennui avec les voisins de la cité. »

Et elle disparut dans le métro.

Ne pas répondre

 

 

Nassim taquine sa sœur Melissa durant le soutien scolaire au Boxing Beats. Tandis qu’elle fait ses devoirs, il lui tape l’arrière du crâne. Melissa semble indifférente à ce harcèlement. Parfois, elle repousse la main de son frère, comme on repousse un moustique.

- « Arrête. » finis-je par dire à Nassim.

Il continue comme s’il ne m’avait pas entendu.

- « Nassim, arrête d’embêter Melissa. »

Nassim continue sans prendre la peine de me regarder.

- « Bon. Nassim, la prochaine fois que tu feras semblant de ne pas m’entendre, je te dirai de sortir. »

Nassim me regarde, ébahi.

Je déteste qu’on ne me réponde pas. Je ne prétends pas être original à cet égard – tout le monde a envie d’être pris en considération : n’assurait-on pas dans les formules de politesse nos correspondants de notre « haute » considération, de notre considération « distinguée » ?

Actuellement, Corine et moi nous astreignons à relancer les directeurs de théâtre auxquels nous avons fait parvenir un dossier concernant le spectacle que nous écrivons à partir de notre expérience au Boxing Beats. La plupart de nos interlocuteurs ne nous répondent jamais. Une simple missive, si elle n’est pas accompagnée de coups de téléphone, a toutes les chances de demeurer lettre morte. Probablement, le pouvoir d’un individu aujourd’hui se mesure à l’absence de réponse qu’il donne à ses solliciteurs. Donc, à nos dossiers, les directeurs de théâtre répondent par un silence marmoréen, quasiment céleste. L’exemple vient de longtemps et de loin. Dieu lui même n’a pas daigné répondre quand son fils lui a demandé : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?

J’essaye de prendre les choses à la plaisanterie, mais quand même, c’est blessant cette absence de réponse.

Si vous prenez le risque un jour de reprocher à un de ces directeurs de théâtre son absence de réponse, lors d’une des multiples occasions que vous avez de les croiser, il se confond d’abord en excuses, peut le cas échéant s’étonner de n’avoir pourtant rien reçu (cette ruse misérable est souvent utilisée), mais surtout va déplacer le débat sur le terrain qui lui est propre et cher : c’est harassant ces sollicitations permanentes auxquelles il ne peut hélas répondre toutes. Mettez-vous à ma place, vous supplie-t-il.

Mais je ne veux pas me mettre à sa place. Je trouve doublement humiliant de n’avoir pas de réponse, et d’être de plus invité à comprendre, voire approuver cette absence de réponse. Si je me mets à sa place, certainement, le plus simple est que je ne lui envoie pas de dossier, et le décharge de ce poids. Cette invitation qui m’est ainsi faite à l’autocensure de ma production artistique me semble extravagante.

Ce que j’aime à la boxe, c’est que personne n’aurait l’idée de vous inviter à vous mettre à sa place. Au contraire. On est invité à faire face à son partenaire durant l’entraînement, à son adversaire durant le combat. Chacun doit tenir sa place pour que le jeu ait lieu. Et sa place suppose d’assumer d’être radicalement séparé de l’autre, pour jouer le jeu du combat.

C’est une brutale lâcheté que de prétendre inviter autrui à prendre par imagination une place que vous n’avez aucune intention de lui abandonner dans les faits. Surtout quand la place en question est une place de pouvoir.

On dirait que tu aimes ça

L’exercice consistait à encaisser des coups. Pendant un round, il fallait esquiver, feinter, se protéger, parer, encaisser les coups de son partenaire sans jamais répliquer. C’est une école de patience, d’humilité, et de lucidité. Il faut faire face. Ne pas baisser les gants. Ne pas interrompre l’exercice sous l’excuse d’un coup qui serait malheureusement – ou trop heureusement – arrivé à destination.

Il me faut résister aussi à la tentation de répondre en profitant des ouvertures que mon partenaire - toujours un peu goguenard – laisse, certain qu’il est de ma passivité.

Avec Sébastien donc, nous intervertissons nos rôles. Après le round où j’ai dû subir ses assauts, Sébastien me lâche :

- « On dirait que tu aimes ça».

Je ne réponds rien.

Je me souviens que Camille après avoir lu le journal de ma pratique de l’exercice de Benjamin Franklin pour devenir vertueux en treize semaines, m’avait lâché d’un ton rogue :

- "C’est un truc de maso, cet exercice ».

Pour le coup, c’est elle qui m’avait blessé avec cette critique – sans doute était-ce son but, de me faire payer les souffrances que notre histoire d’amour occasionnait dans sa vie conjugale.

Bien sûr, l’exercice de la boxe contient une part non négligeable de masochisme. Beaucoup d’exercices requièrent une recherche de la souffrance, ou du moins son acceptation, qui s’avère plus ou moins productrice de jouissance.

« Faites de la souffrance votre compagne » disait Saïd lors d’un entrainement. Les exercices exténuants que s’imposent les boxeurs n’ont de sens que s’ils impriment une violence au corps afin de le contraindre à se tordre, à être forgé dans une morphologie qui le rend apte à recevoir des coups. Gainer ses abdos pour protéger son foie, entraîner le cœur à fournir le sang en quantité lors d’efforts répétés de trois minutes de durée, afin de ne pas tituber hors d’haleine au bout de deux minutes cinquante, ce qui abandonnerait dix secondes à votre adversaire pour vous cadrer et vous adresser un coup décisif.

Habituer le corps à recevoir des coups. À faire face. À ne pas détourner son visage. Ne pas baisser les bras. Ne pas jeter l’éponge. Où est le plaisir là-dedans ? Si c’est la souffrance pure qui est recherchée, pourquoi ne pas aller dans un club sado-maso ? Là aussi l’amateur de souffrance, le gourmet de la torture trouve chaînes, bracelets, cordes, cuirs tendus, tous accessoires en effet présents sur les rings de boxe.

Très vexé, j’avais répondu à Camille, les yeux dans les yeux : 

-« Je ne suis pas maso ».

Elle avait sursauté :

-« Ok, ok. Tu n’es pas maso. »

Aujourd’hui, ma réponse serait plus ambiguë. Oui, les règles du marquis de Queensberry qui régissent la boxe - port des gants, durée du combat, catégorie de poids etc. - régissent la jouissance d’infliger ou de subir la souffrance, et de se réjouir du spectacle de la souffrance d’autrui.

Il me semble pourtant que ce contrat qui lie entre eux les boxeurs, et les relie aussi aux spectateurs du noble art, ne recouvre pas qu’un sado-masochisme honteux.

Où se situe ma jouissance à moi, dans ce commerce entre la souffrance et le plaisir, qui me fait revenir deux fois par semaine au Boxing Beats ?

D’abord, j’éprouve le plaisir de témoigner d’une certaine persévérance, voire de ténacité. Oui, certainement je retire quelque orgueil à avoir persisté dans ma pratique sportive malgré tous les désagréments qu’elle implique : fatigue intense, corrections incessantes de mes professeurs apparemment peu convaincus par mes prestations, promiscuité avec des gens qui ne sont « pas mon genre ».

Ces désagréments peuvent aussi être ressentis tout à l’inverse : agréable sensation de vidange de la tête, sentiment de progresser dans ma maîtrise des mouvements du boxeur, rencontre avec des inconnus.

Non, le plaisir que j’expérimente dans la boxe est une sensation plus profonde, et que je ne soupçonnais pas du tout lorsque j’ai commencé à pratiquer il y a deux ans de ça.

Ma jouissance je la trouve dans la lucidité. Parfois, durant un round, je sens par fulgurance - pas tout le temps, en tous cas jamais trois minutes d’affilée, je me sens des éclairs de lucidité qui me permettent de ne pas être affolé, débordé, submergé par les coups de mon partenaire. Parfois, au sein de cette agression organisée, je parviens à garder la tête froide, un regard clair sur la situation. J’observe la manière de bouger de mon partenaire, ses enchaînements préférés, je note ses points faibles, et parviens à élaborer une tactique qui s’avérera efficace.

Mieux encore : il est des secondes, par illumination, donc par automatisme, où je parviens à saisir l’instant précis de la réplique, et à atteindre mon adversaire par un coup suffisamment précis et percutant pour que ses assauts suivants soient marqués par le sceau de la prudence.

Il n’y a rien de plus gratifiant pour moi qu’un coup en retour bien placé.

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Série de portraits pris à la volée par Stéphane Olry de ses camarades de la Boxe Loisir au Boxing Beats à la fin de la saison 17/18

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Se défendre - Elsa Dorlin

Chronique sur le livre de la philisophe Elsa Dorlin, d'un théorie de l'auto-défense des minorité;

Elsa Dorlin –

Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, La Découverte, 2017

Voilà un livre utile pour se mettre en place nos idées concernant la violence et sa légitimité - qu’elle concerne un groupe ou un individu -.

Il s’agit en somme d’une sorte de généalogie des pratiques de défense des minorités : esclaves noirs caribéens, juifs russes, suffragettes britanniques, militant gays californiens etc.

Elsa Dorlin est philosophe. Elle a consacré ses précédents ouvrages aux féminismes notamment. Elle pratique les arts martiaux. Quand elle dit : « Le jiu-jitsu permet de se défendre contre les policiers, contre les maris, les pères, les patrons », elle n’a pas seulement une idée, mais une pratique de ce dont elle parle.

Toute résistance est inutile?

Le livre s’ouvre par la description d’un dispositif d’exécution publique des esclaves condamnés pour avoir tenté de s’enfuir des plantations dans les caraïbes au 18° siècle. L’esclave était enfermé dans une cage, ses jambes chevauchant une lame acérée. La cage ne lui permettait pas de se tenir debout ; ses pieds reposaient sur des étriers. S’il voulait se reposer de la position tordue à laquelle le contraignait la cage, il devait descendre son bassin et se blessait contre la lame de métal qui finissait par lui découper les entrailles. L’esclave mourrait des blessures qu’il s’infligeait à lui même en tentant de s’échapper du piège, ou simplement de se reposer.

On ne pouvait signifier de manière plus éloquente que « toute résistance est inutile », pire, elle vous expose à des souffrance et à une mort pire que le plus long et le pire esclavage.

Tel est en effet le permanent discours des dominants : seule leur violence est légitime, seule leur violence est bonne. Celle des dominés est nécessairement non seulement inutile, mais contreproductive. Bon : quand vous vous révoltez vous trouvez toujours des bons esprits pour vous expliquer que « vous sciez la branche sur laquelle vous êtes assis » et « vous vous tirez une balle dans le pied ». Celui à qui ces phrases n’ont jamais été doctement administrées ne s’est jamais trouvé dans la nécessité politique de se défendre!

Généalogie

À l'instar de Nietzsche sur la morale, Elsa Dorlin retrace donc une généalogie de l’auto-défense des minorités, mais aussi une étude des diverses théories de légitimation de la violence. D’abord Hobbes, pour qui violence légitime est celle de l’état, seule puissance légitime : puisque l’homme est un loup pour l’homme, il est bon de châtier certains spécimens les plus agressifs et de contraindre le reste du troupeau à la paix par la terreur collective du châtiment. Hume, pour sa part, développe une théorie assez plaisante : l’homme a le droit de se défendre, il a même le devoir de défendre son corps, parce que ce dernier constitue sa première et dernière propriété. C’est parce que la propriété est le bien suprême qu’il importe donc de défendre son corps des atteintes des autres : voisins, méchants, gouvernements.

Elsa Dorlin n’en reste pas à ces hautes sphères et descend – c’est là le grand mérite de son livre – dans la mise en pratique de la défense de soi.

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Jiu-Jitsu et sufragettes

Elle raconte très pratiquement l’invention ou la transmission de techniques de combat par les minorités : jiu-jitsu par les féministes britanniques défendant leur cortège contre les attaques des hommes opposés à leur revendication, ou krav maga par les activités juifs désireux de ne pas laisser les foules antisémites terroriser leurs quartiers sans répondre.

La finesse de son propos est de montrer aussi la réversibilité de la violence, comme ses effets pervers, sans pour autant en conclure à un une non-violence inactive, un irénisme déconfit ou un pacifisme lâche : autant de justification de la passivité.

Pour prendre trois exemples : les groupes d’auto-défense des communauté de migrants, des justiciers nocturnes, avec les même nobles justifications, voire les mêmes pratiques de lutte et de regroupements nocturnes peuvent se trouver au services des convictions les plus abjectes. On « défend nos terres et nos enfants » contre les méchants gouverneurs espagnols sous le masque de Zorro, comme on « défend nos femmes et nos emplois » contre les nègres sous la capuche du Ku-Klux-Klan.

Idem, la nécessité de faire mal, vite, radicalement, alors même qu’on est à proprement parler démuni devant les auteurs de pogroms tolérés voire encouragés par les autorités, amène à inventer un mélange de techniques de combats rapprochés qui prendra le nom de krav maga. Ne jamais refuser le combat, entrer le plus vite possible à l’intérieur de la garde d’un adversaire stupéfait par cette audace, utiliser n’importe quelle arme (tournevis ou caillou) pour lui porter des dommages irréversibles – le tuer si possible – c’est un art de combat des pauvres gens, et comme tel a-priori admissible pour quiconque ne se résout pas aux pogroms. Mais c’est devenu finalement la philosophie même de Tsahal, qui dans ses interventions à Gaza ne fait plus vraiment face à un adversaire tout-puissant.

Et enfin : quand dans les années 60, à l’instar des Black Panthers, les communautés gays de Californie décident de se doter de milices susceptibles d’interdire l’incursions dans les alentours de leurs boîtes de nuit de bandes d’extrême droite venant « casser du pédé »,   le résultat est in fine de renforcer la non-mixité des quartiers en question. Les nouveaux ghettos se créent, des quartiers d’homosexuels blancs, éduqués, insérés dans la société américaine, d’où sont rejetés les prolétaires noirs ou latinos, parfois - souvent ? - homophobes actifs. Telle n’était pas l’intention des initiateurs de ces groupes de défense, mais ce fut le résultat de leur militantisme et de la spéculation immobilière conjoints.

Retourner une arme

L’intention d’Elsa Dorlin en montrant la réversibilité de ses initiatives de défense n’est pas de décourager ceux qui, pour cesser de subir la violence, veulent apprendre à se défendre. Se défendre, c’est une aspiration légitime, l’affaire est entendue. Mais quiconque pratique les arts martiaux le sait : le danger de sortir un couteau de sa poche, c’est de voir l’arme retournée contre soi par un adversaire plus habile.

Cette vérité n’occulte pas la simple vérité qui est que les esclaves américains, les suffragettes, les juifs russes avaient bien raisons de vouloir se défendre, d’inventer leurs propres armes afin, et courageusement, d’affronter leurs oppresseurs.

Il passionnant d’observer grâce à son livre comment ils s’organisèrent pratiquement pour le faire.

Se nourrir

« Surveillez votre alimentation, les gars » nous a exhortés Frankie avant les vacances de Noël. « Mangez des légumes. Des viandes blanches. Pas trop de pain. Aucun twix ou cochonnerie de ce genre. »

Mon alimentation, je la surveille depuis des lustres. Depuis l’âge de vingt-cinq ans précisément. Depuis ce déjeuner dont je me souviens très précisément, où lors d’un tournage, je me suis retrouvé avec un sandwiche merguez-frites à la main. J’ai regardé le sandwich merguez-frites et je me suis dit : non, ce n’est possible, si je mange ce sandwich merguez-frites, là, maintenant, je vais me sentir mal tout l’après-midi, plus mal encore que si je ne mangeais rien. Toute mon énergie va passer à digérer ce sandwich merguez-frites, qui me semblait aussi indigeste que l’éléphant avalé par le boa dans « le Petit Prince ».

C’est à la même époque que j’ai senti qu’une nuit blanche ne se réparait pas, ne se rattrapait pas, en une seule nuit complète de sommeil, mais que je commençais à en traîner les séquelles une semaine durant.

C’est donc à vingt-cinq ans que j’ai senti que j’avais un corps. Avant, j’avais comme une sorte de machine insensible que mon cerveau poussait à ses limites, et qui n’existait que par la méfiance qu’il m’inspirait, puisque je ne le prenais en compte que lorsqu’il me faisait souffrir.

La démographie m’apprend qu’il me reste vingt-cinq ans à vivre. Vingt-cinq ans donc pour m’habituer à l’idée de voir décliner puis disparaître ce corps et donc ce que je suis.

Sébastien et moi échangeons sur les menus qui nous semblent les plus pertinents les jours d’entraînement. Je pensais - influencé certainement par la lecture d’ « Un morceau de steak » de Jack London - que l’idéal était de manger un morceau de filet de bœuf et une salade le jour de l’entraînement. Sébastien, lui, tient pour les pâtes, privilégiant les sucres lents. Tout compte fait, le menu et l’heure idéaux seraient de manger des sushis (combinaison de sucres lents, du riz et de protéines animales du poisson) trois heures avant l’effort (durée du travail de la digestion), c’est-à-dire à 15h.

La fatigue, la nourriture : je reviens sans cesse à cette gestion de l’énergie. Une gestion qui informe, organise ma vie avec la même rigueur que m’imposait l’exercice de treize semaines pour devenir vertueux, inventé par Benjamin Franklin.

La boxe me fait obéir à ce même phantasme de vie réglée, ordonnée, lisible, désirée, qui est le mien depuis mon enfance. Phantasme évidemment impossible de par la nature des évènements, de par mon manque d’une conviction, si ce n’est d’une foi, suffisamment forte pour m’aiguillonner perpétuellement dans la même direction. Ma principale crainte était que j’aurais pu aussi me surprendre à préférer la souffrance de l’aiguillon à l’exaltation de la perspective du sillon à creuser, ce qui eût été très ridicule de la part de quelqu’un d’aussi malin que moi.

Je regrette donc de n’avoir pas commencé à pratiquer le noble art lorsque j’étais jeune. Cet exercice m’eût permis de réserver dans ma vie un espace circonscrit et dédié à mon idéal intime d’ordre, d’abnégation, de sacrifice, d’effort, de discipline. Et d’ouvrir ainsi plus largement les temps restant à la jachère ou plutôt la garenne des mouvements spontanés – à supposer que les mouvements spontanés existent.