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Ce soir, j’ai saigné du nez

C’est le ramadan. Le cours est déserté. Au soutien scolaire, seuls Zacharia et Mouloud étaient présents. Ils étaient physiquement là, mais pas vraiment capables de se concentrer. Mouloud a quitté le cours pour demander à Saïd dans son bureau, au nom de la solidarité entre musulman de le libérer de ses devoirs. J’ai trouvé assez déloyal ce procédé, mais considérant leur fatigue, je ne les ai fait travailler qu’une cinquantaine de minutes.

Ensuite, je les ai libéré. Zacharia a entrepris d’apprendre à Mouloud à jouer aux échecs. Ils ont commencé une partie, que Mouloud a abandonné, dépité de ne pas parvenir à comprendre le déplacement des pièces, et de s’entendre dire « ah, non, ça tu n’as pas le droit. »

Il est allé bouder en bas, et j’ai fini la partie avec Zacharia.

Quand je suis entré dans le vestiaire, Hervé s’y tenait, seul, assis sur le banc dans la pénombre, éclairé en contre-jour par la seule lumière du soupirail, face à la porte. La salle a fini par se remplir, mais nous n’étions pour finir qu’une quinzaine.

On va y aller dou-ce-ment a annoncé Ahmed. De fait, accomplir tout l’entrainement sans boire peut finir par s’avérer dangereux.

Ahmed nous a donc invité à faire trois rounds de boxe libre, tran-qui-lle-ment, de la belle boxe, les gars, des petites touches. Je me suis joint à Hervé et nous sommes montés sur le ring.

C’est au milieu du deuxième round que Hervé m’a allongé un direct sur le nez. C’est surprenant, douloureux, et comment dire ? - spongieux. J’ai soudain eu la sensation que ma boîte crânienne était comme un crabe dont on extrait la chair d’entre les alvéoles. Le coup a fait jaillir morve et larmes vers l’extérieur du corps. Puis, j’ai ressenti une sorte de sensation de noyade, d’inondation des voies nasales, et donc d’expression des humeurs internes, comme d’une éponge qu’on presse dans la boite crânienne et qui s’exprime par les orifices.

« Ça va ? » m’a demandé Hervé qui voyait bien que non, et j’ai répondu ouais, en essayant de reprendre mon souffle, et de lui faire face comme si de rien n’était pour la minute qui restait.

C’est Zoé, avec qui nous partagions le ring qui a fini par m’avertir « Stéphane, tu saignes du nez ». Cet avertissement m’a permis de reprendre pieds, de revenir de la lente noyade intérieure qui était la mienne dans les glaires, le sang, et les larmes. J’ai fais signe à Hervé que j’arrêtais, je suis sorti du ring, j’ai enlevé mes gants, et me suis rendu dans les toilettes pour enfin me moucher des doigts dans l’évier. Des gouttes de sang de tailles diverses ont étoilées la céramique blanche, formant de jolies constellations d’étoiles rubicondes. J’ai nettoyé ce ciel inversé en dispersant de l’eau dessus. Dans la boite à pharmacie, à gauche de l’évier, j’ai trouvé du coton, que je me suis fourré dans le nez avant de retrouver Hervé pour le troisième round.

Je n’ai rien à dire concernant ce dernier round, si ce n’est que je ne suis pas parvenu à rendre à Hervé, qui se méfiait, la monnaie de sa pièce. Mon coton est tombé à la fin, et je l’ai utilisé pour nettoyer les taches de sang qui maculaient le revêtement plastique du ring.

Khanemy qui observait la scène de loin m’a, à nouveau montré comment mon poing droit devait monter haut devant mon visage. « En un an de boxe à Kaboul, avec cette garde comme ça, jamais j’ai reçu un coup dans le nez » a-t-il insisté.

J’ai opiné, l’air fâché.

Fâché, je t’étais contre moi-même, car je savais que Khameny a évidemment raison.

Mais plus au fond de moi, je n’étais pas si mécontent de l’avoir reçu ce coup sur le nez. Il validait quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas bien. Dans son interview, A*** dit : « les bleus, les cocards, c’est le salaire. Ça prouve que tu as travaillé. Je suis fière d’avoir la trace des coups sur mon visage. ». C’est sans doute un sentiment semblable qui m’agite, et me rend secrètement à la fois honteux de n’avoir pas esquivé et fier d’avoir encaissé.

Aussi, ce jour-là, deuxième jour de ramadan, Ahmed nous a fait travailler tran-qui-le-ment, et la fatigue de mes camarades musulmans les mettait à mon niveau, ce dont je n’était pas mécontent, non plus.

Avec Hervé, en sortant du cours, et en regardant les étals couverts de plats de ramadan, nous nous sommes dit : ah, les fêtes religieuses des autres, c’est toujours bien.

J’ai mis un uppercut

Au dernier entrainement, j’ai retrouvé Hervé avec plaisir. Et je lui ai collé un uppercut.

Cela faisait plusieurs mois que, retenu par des répétitions, des cours ou des ateliers de théâtre, Hervé ne venait plus aux cours. Il était revenu il y a quinze jours, mais alors, c’est moi qui, fatigué par l’inhalation de gaz lacrymogènes, et le spectacle de scènes de violences policières, n’avait pas trouvé l’énergie pour enchaîner le cours de boxe à la suite du cours de soutien scolaire. Cette désertion inopinée m’avait valu un laconique « lâcheur ! », envoyé par sms par Hervé.

Donc, Hervé, j’étais content de le retrouver avec son short rouge, son tee-shirt rouge, sa haute taille et ses long bras. Mon problème avec Hervé c’est ça : il est grand et a de longs bras qui me maintiennent à distance par des coups nonchalants, très agaçants par leurs répétitions.

Ahmed m’avait conseillé, il y a plusieurs semaines de viser le foie, afin de contraindre Hervé à se pencher et donc à mettre sa tête à ma portée. Je me suis astreint à cette tactique avec plus d’obstination que de réussite jusqu’ici.

Alors, mercredi dernier, quand soudain je constate une ouverture dans la garde de Hervé, qui de plus se penche imprudemment, je place un uppercut. Il est arrivé pile sur le menton l’uppercut : je l’ai tout de suite vu au regard choqué, presque attristé de Hervé. Cette mélancolie lui est vite passée, et nos trois rounds ensemble n’ont peut-être pas été marqués du sceau de la belle boxe enseignée et réclamée par nos professeurs.

Moi, j’étais ravi. J’avais placé le geste prévu, au bon moment, suivant une tactique prémédité depuis longtemps, sous une forme assez académique et avec un résultat réjouissant. Le regard étonné de Hervé en recevant mon uppercut me consolait de tous les regards désolés de Faïzy lorsque nous nous entrainions ensemble, il y a six mois de cela, à l’uppercut précisément.

Quel équivalent donner à cette jouissance ?

Le premier baiser donné et reçu ?

Le grand rire général quand on fait le clown devant une salle jusqu’alors silencieuse ?

Après une journée de pluie continue, un rayon de soleil juste à l’instant où on se décide à sortir se promener ?

Avoir cru perdu son porte-monnaie, et le retrouver dans une poche qu’on avait oublié de fouiller ?

Un but à la dernière minute d’un match où après été dominée, votre équipe favorite a remonté au score et finit par l’emporter ?

J’ai reçu un compliment de Mirko

Au bout d’un an et demie de pratique de la boxe, voilà que Mirko, l’assistant de Franky notre professeur, me fait un compliment.

Pour être précis, il a partagé ses compliments entre Dany et moi pour l’assaut que nous avions mené ensemble.

- « Bravo, les gars. C’est super ce que vous avez fait ».

- « Il est en progrès le papy » m’a-t-il dit en désignant Dany qui s’éloignait.

Je me suis demandé si Mirko ne se complimentait pas un peu lui-même par la même occasion, puisqu’il donne régulièrement des cours particuliers à Dany. Les compliments sont tellement rares qu’on a du mal à croire en leur sincérité. On se dit : il dit ça pour qu’on ne se décourage pas complètement.

Dany est en effet en progrès : il m’a allongé deux crochets qui ont atterri sur ma mâchoire. De retour à la maison, je trouvais avec plaisir une soupe que j’avais préparée la veille : un aliment parfaitement approprié à mon impossibilité à mâcher consécutive à ces deux coups. Les deux crochets de Dany ont résonné jusqu’à l’accroche des mandibules et dans mon oreille interne qui est restée douloureuse une semaine.

- « Bien fait » avait commenté Mirko après le premier crochet « Ça t’apprendra à ne pas garder ta main droite devant ta joue ». Dany a entendu la critique à moi adressée, et s’est engouffré dans la faille ainsi indiquée. C’est sa récidive sur ma mâchoire qui m’a du coup le plus vexé, prévenu que j’étais.

Dany a bien fait, et c’est bien fait pour moi.

Le compliment fait partie de l’ancestrale pédagogie de la carotte et du bâton qui est d’usage dans un cours de boxe. Le bâton, c’est le quotidien de l’élève boxeur. Loin d’être une métaphore, il se matérialise très concrètement certains soirs entre les mains de Sounil l’entraîneur des amateurs.

- «  Vendredi dernier, on devait demeurer accrochés aux agrès, j’avais lâché pour souffler, paf, je reçois un coup sur les épaules. C’était Sounil avec sa baguette » rigolait hier Dany.

C’est étrange que ça nous fasse rigoler, ces châtiments corporels que nous dénoncerions dans n’importe quelle autre circonstance.

Le compliment, c’est le Graal de l’apprenti boxeur. Dans notre groupe, les compliments individuels sont rares, et quasi inespérés de la part de Franky, notre coach. Hier, dans les vestiaires, deux gars s’extasiaient après le cours :

-«  Franky, il nous a dit : c’est bien ce que vous faites, les gars. Sur la tête de ma mère, mon frère, il l’a dit, à moi et à Samuel, il l’a dit, pas vrai Sam ? »

Et Sam, le regard vers le sol :

- « Ouais. Il l’a dit. »

Le compliment c’est l’onguent sur les ecchymoses.

La fatigue

Ce n’est qu’à partir de vingt-cinq ans que j’ai senti vraiment ce qu’était la fatigue.

Avant, il me semblait inconcevable qu’on puisse mourir de fatigue, comme on meurt de faim, de soif, de froid. Je ne comprenais pas qu’on ne puisse pas récupérer.

C’est difficile de parler de la fatigue. D’abord, je trouve fatiguant quelqu’un qui bâille et répète sans cesse « je suis fatigué ». - « Vas te reposer », suis-je tenté de lui répondre, « et reviens-nous meilleur ». La plainte de la fatigue, cette antienne « je suis fatigué » me hante aussi, et c’est souvent qu’elle envahit mon cerveau, de manière d’autant plus irritante que j’y vois une invitation à m’apitoyer sur moi-même.

Depuis six mois que je prends des cours de boxe, je peine à trouver les mots justes pour évoquer la fatigue engendrée par l’entraînement.

Dès la première semaine, j’ai compris qu’il me fallait m’organiser pour ne pas me retrouver éreinté, assommé, harassé, accablé les jours suivant l’entraînement. Sébastien me l’a dit : pour être moins fatigué, tu dois t’entraîner plus. Une fois par semaine, ce n’est pas assez. Saïd a récemment ajouté cette remarque : c’est fatiguant, mais c’est de la bonne fatigue. Il a certainement raison : le soir après l’entraînement, je suis fatigué, mais en grande forme. Certainement, l’idéal serait de parvenir à faire durer cette exaltation d’après entrainement jusqu’au suivant.

Indolence. Peur de se faire mal. C’est quand on souffre à l’entraînement qu’on sent qu’on progresse, dit X***. Comment transformer mon corps si je ne lui demande pas plus que ses capacités actuelles ? Si je ne le pousse pas dans ses retranchements ?

Mais où commencent ces retranchements ? Hier, dans un exercice où nous sautions deux par deux au-dessus d’un sac de frappe allongé au sol, j’ai du m’arrêter, les jambes coupées. Mon partenaire m’encourageait : allez ! On y va ! On continue ! Sans doute s’exhortait-il lui-même aussi en répétant ses phrases, les yeux perdus dans le vague.

« Faites de la souffrance votre compagne. Laissez-la demeurer à vos côtés. » Nous exhorte Saïd durant les exercices.

La question que je me posais en reprenant l’exercice, c’était : pour me suis-je arrêté à tel instant et pas quelques secondes plus tôt ou plus tard ? Parce que je n’en pouvais plus ? Mais qui n’en pouvait plus ? Mon corps, réellement, n’en pouvait-il plus ? Ou était-ce simplement la dose de souffrance que j’étais prêt à accorder à mes jambes ? Bien sûr, mes jambes se tétanisaient, mon cœur battait à tout rompre (mais, allez, il était loin de rompre), mon sang était lourd de toxines. Mais qui décidait de mon arrêt ? Mes jambes ? Mon cœur ? Mes poumons ? Ou mon cerveau ? Mon cerveau n’est pas séparé de mon corps. C’est un organe comme un autre. Je suis un corps, comme me disait Jeanne dans une phrase qui me semblait très prétentieuse, mais qui finalement me semble assez juste, voire totalement vraie.

Donc, à défaut de démêler ce qui ressort de ma volonté ou de mes capacités, je fais comme tout le monde : je gère.

-      Non, c’est ce que tu aimerais faire, rétrospectivement, en écrivant le lendemain au soleil, à cette terrasse de café parisien, me rétorquè-je.

La veille, au Boxing Beats, dans le grincement des poulies, le martèlement des pieds sur le parquet, les appels de Frankie indiquant les secondes restantes, lorsque tu t’arrêtais alors qu’il demeurait quinze secondes d’exercices, tu ne gérais pas, tu faisais « au moins pire « dans la panique, conclus-je.

C’est encore pire lors d’une reprise.

La semaine dernière, nous avons fait trois fois trois minutes. Neuf minutes interminables, surtout vers la fin. Je ne suis pas très doué pour l’esquive, donc j’essaye de compenser en bougeant le plus possible. Mais c’est plus fatiguant pour moi que pour mon partenaire, qui lui reste tranquillement au centre du cercle que je fais autour de lui, et attend que je m’essouffle pour me cadrer et m’allonger une série. Parfois, dans une énergie proche du désespoir, j’avance et j’essaye de prendre le dessus en multipliant les coups rapides. Mais là encore, je perds beaucoup d’énergie, et il me faut reculer face à un adversaire motivé à présent pour me rendre la pareille. Ceux qui connaissent la boxe trouveront bien naïves mes tentatives pour gérer les neuf minutes. Ils hausseront sans doute les épaules, en se disant : quand il sera fatigué de bouger pour rien, il apprendra à esquiver.

Les lions dorment, paraît-il, vingt-trois heures par jour. Les boxeurs aussi dorment beaucoup. Une bonne fatigue, dit Saïd. Une heure de chasse, de guet, de course, doit dévorer une énergie réclamant vingt-trois heures pour que le corps ait besoin de se régénérer. Et les lions savent que quand ils courent derrière une gazelle, ils ne doivent pas se rater, sous peine de dormir vingt-trois heures le ventre creux, et avec encore moins d’énergie pour recommencer.

Le dernier cours de l’année

Le dernier cours de la saison n’a pas été annoncé comme tel. Mais, considérant qu’en juillet Saïd et Frankie sont concentrés sur la préparation de Sarah aux Jeux Olympiques, que c’est le ramadan, que les élèves sont de plus en plus rares et épuisés, qu’Ahmed cumulant ramadan, lassitude personnelle et grippe opiniâtre, n’assure plus le cours du mercredi : de fait les cours s’arrêtent cette semaine.

Saïd nous a dit : « vous pouvez vous entrainer avec les amateurs si vous voulez. Nous, cette semaine, on continue avec eux. Caroline, Zoé, Rahmani et moi avons réagi chacun à notre façon. Zoé a dit : « C’est tentant. J’ai envie d’essayer, mais je préfèrerais ne pas y aller seule. » Caroline lui a proposé de l’accompagner. Rahmani a sauté sur l’occasion, puisque son but est, à terme, de rejoindre les amateurs pour reprendre la compétition. Et moi, j’ai ouvert mon agenda en me disant que s’ils y allaient tous les quatre, je trouverais le courage de les accompagner. Mais je n’ai plus de soir libre jusqu’à mon départ.

J’ai réalisé alors que je sortais donc du dernier cours de la saison.

Je suis parvenu à l’issue de ma traversée initiée en octobre dernier presque à l’improviste.

Lydie est venue assister à ce dernier entrainement. À la sortie, elle m’a dit avoir été impressionnée par la beauté du mouvement d’ensemble du groupe, la succession des exercices, leurs rythmes, et surtout l’intensité qu’ils requièrent Elle n’a pas trouvé ridicule mon entrainement avec Rahmani.

Pendant que je m’entrainais sur un sac, Frankie est venu me voir. « Concentre-toi sur des coups simples. N’essaye pas des coups compliqués. Travaille tes directs. Dans un combat, quatre-vingt dix pour cent des coups que tu porteras seront des directs. Alors, c’est important que tu les fasses vraiment bien. Si tu reviens l’année prochaine, concentre toi là-dessus. »

J’ai retenu ce membre de phrase : « … si tu reviens l’année prochaine. » comme un encouragement implicite. Il en faut peu pour m’encourager, me direz-vous,

Ce n’est pas un secret. Je considère ma présence dans ce club, à mon âge, avec les capacité qui sont les miennes, et mon absence d’expérience martiale, comme une anomalie, qui n’est pas pour autant, j’espère, une extravagance. J’ai constaté au fils de mois s’écoulant que l’incongruité de la présence ici finissait par être acceptée par les camarades. « À votre âge, j’aimerai être comme vous » m’a dit l’un deux dans une forme de compliment scellant explicitement du reste le fossé générationnel nous séparant. Mes camarades, à défaut de talent évident, saluent au moins ma constance. Cet entêtement dans l’effort, cette vertu de persévérance est une vertu appréciée par les boxeurs.

Reviendrai-je l’année prochaine ? Oui, si aucun accident ne me l’interdit, si mon corps me le permet, je reviendrai. Instinctivement, je sens que je pourrai encore suivre (c’est bien le mot : suivre) les entrainements encore deux ans.

Pourquoi reviendrai-je ? Voilà une question qui en contient une seconde, implicite, plus lourde et décisive.

Pourquoi suis-je venu ?

Mon projet était de m’immerger dans la vie d’un club de boxe afin d’y trouver la matière d’écriture d’un spectacle. Le présent journal se veut le témoignage de la partie émergée de l’Iceberg que représentera le spectacle à venir sur les sports de combat en Seine Saint Denis. Je constate qu’il s’est installée une semi-clandestinité de mon dessein artistique au sein du club qui me dérange autant qu’elle me convient.

Oui, les camarades qui me servent de matériau d’observation et d’écriture ne se savent pas sujet d’observation et d’écriture. Cependant, il ne tient qu’à eux de le savoir : il leur suffit de me poser la question du pourquoi de ma présence, et d’aller ensuite lire le contenu du présent blog.

J’assume au reste la trahison comme partie intégrante de l’écriture. C’est pourquoi je ressens beaucoup de fraternité avec Zoé quand elle me fait part de son malaise quant à son travail d’ethnologie qui en revient en somme à espionner ses sujets d’études, devenus ses amis – récemment les punks à chien du bois de Vincennes - pour les transformer en cas d’école.

En septembre débutera une nouvelle étape de mon projet. Et je commencerai les cours avec l’objectif de les suivre jusqu’à la création du spectacle. Je me donne le défi de tenir cette distance : deux ans. De m’astreindre à cette régularité : deux cours par semaine. De maintenir la même implication dans le soutien scolaire avec les jeunes boxeurs : une séance par semaine. À l’issu de ce nouveau cycle j’aurai cinquante cinq ans.

portraits à la boxe loisir

Série de portraits pris à la volée par Stéphane Olry de ses camarades de la Boxe Loisir au Boxing Beats à la fin de la saison 17/18

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presse Boxing Paradise

Boxing Paradise Herve regarde SafiatoupoursitePresse écrite et audiovisuelle publiée à l'occasion de la création à la MC93 en septembre et octobre 2018


Un reportage de Pascale Sorgues pour le Journal télévisé de France Région 3, à 19h le 2 octobre 2018

 


hottellocritiques de théâtre par véronique hotte Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

https://hottellotheatre.wordpress.com/2018/10/07/boxing-paradise-texte-et-mise-en-scene-de-stephane-olry/ - respond

Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

Stéphane Olry et Corine Miret s’initient aux arts martiaux et aux sports de combat depuis dix ans – la boxe anglaise pour le premier et le Kick Boxing pour la seconde. Boxing Paradise, le dernier spectacle des deux tenants radieux de La Revue Eclair procède de deux années d’immersion au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

Dépaysement urbain et social pour ces artistes qui font œuvre singulière à travers la quête d’un théâtre documentaire, d’autofiction et de réalisation vidéo. Les clubs de sport de la Seine-Saint-Denis, entre le club de lutte des Diables Rouges à Bagnolet pour La Tribu des lutteurset le Boxing Beats à Aubervilliers pour Boxing Paradise, n’ont plus de secrets pour eux, hantés par les sportifs, leurs entraîneurs et coaches.

La passion des concepteurs consiste à pénétrer la connaissance de l’autre, à se pencher – un travail approfondi de réflexion et d’appréciation – sur les sports de combat dans le corps à corps d’une relation, un dialogue éloquent mais non verbal.

La scène significative, physique et mentale, serait la séance d’entraînement de boxe, une succession rythmée d’activités collectives, à la fois sonores et visuelles.

Stéphane Olry et Corine Miret ont assisté de jeunes pugilistes – garçons et filles – qui suivent des séances de soutien scolaire, le mercredi, avant l’entraînement : des collégiens, lycéens, mais aussi des jeunes travailleurs dont la boxe est la vraie vie.

Le club de boxe est un théâtre naturel et cinématographique, et les images vidéo donnent à voir les différentes phases et propositions d’un vif entraînement collectif.

Hervé Falloux, comédien et boxeur, est invité par un ange gardien, Corine Miret, la narratrice présente sur la scène, à attendre la décision qui lui échoit, paradis ou enfer. A la plus grande surprise du candidat, le paradis serait pour lui le club de boxe animé où il s’entraîne depuis trois ans, et l’enfer serait ce club encore, mais déserté.

L’occasion est belle de faire retour sur sa propre vie ; le film auquel le public assiste tout en gardant à proximité le comédien sur le plateau, son ange gardien à ses côtés, présente le sportif courant, sautillant, et tapant punching balls et sacs de frappe.

Un double regard pertinent– belle mise en abyme – puisque le personnage observe lui-même ses compagnons et compagnes d’entraînement, ajustant ses points de vue selon les scènes qui défilent sous ses yeux – le training, la préparation du match, le match, les spectateurs partiaux installés plus haut sur une galerie au-dessus du ring.

La violence – l’agressivité – est profondément ancrée dans toute présence corporelle humaine, et les sports de combat permettent de contrôler et sublimer cette pulsion :

« Nul ne peut prétendre être indemne devant le spectacle de la violence, même réglée sur le ring. Mais nul ne peut prétendre être indifférent : fascination et horreur, répulsion et sidération, plaisir et dégoût, enthousiasme et indignation. »

Ces mouvements agitent le corps social des spectateurs et traversent leur intimité.

Hervé Falloux est à l’image sur l’écran du lointain, et vivant sur la scène. Il raconte la perte paternelle quand il était assez  jeune, mort d’une maladie tue. Aujourd’hui, ses filles l’occupent ; l’une d’elles fait de la boxe, il l’a ainsi suivie dans ce choix. La part féminine de la boxe est évoquée à travers jupe de tulle et sautillements légers.

Nous ne dirons mots de la métamorphose éloquente de l’ange gardien, et nous apprécions la métaphore du Boxing Paradiseici-bas, soit la posture choisie et contrôlée d’un combat à préparer, à mener et à emporter – d’abord, contre soi-même face aux imprévus de la vie et face aux autres, ensuite, dans l’échange et le partage.

Les boxeurs sont des taiseux, tout se passe dans le corps à corps, les yeux dans les yeux ; chacun se retire, abandonne le partenaire, prend un chemin autre, fort de soi.

Hervé Falloux apporte une présence authentique, à la fois humble et vigoureuse, tandis que la digne maîtresse des lieux et ange gardienne articule sa démonstration.

Un spectacle captivant dont les enjeux raffinés touchent à la qualité de l’existence.

Véronique Hotte

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, du 28 septembre au 7 octobre. Théâtre de la Poudrerie Sevran, le monologue Mercredi dernierde Corine Miret, du 12 au 14 octobre 2018, inspiré par les interviews des femmes avec qui elle a pratiqué le Kick Boxing pendant un an au Blanc-Mesnil.


Toute la Culture - Boxing Paradise, le dernier combat de Stéphane Olry & Corine Miret

3 octobre 2018 par Amelie Blaustein Niddam

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Deux metteurs en scène fous d’arts martiaux se prêtent au jeu du symbolique dans la salle Christian Bourgeois de la MC93.

C’est à une forme de théâtre documentaire très singulière que nous invitent, à l’écriture de ce Boxing Paradise, Stéphane Olry & Corine Miret, et, sur le ring,  Hervé Falloux et Corine Miret. La Revue Eclair est une compagnie très particulière qui fait du document une matière théâtrale sans premier degré.

Dans un huis-clos, l’homme attend des résultats. Mais les résultats de quel examen? La réponse arrive vite : son Paradis est un club de boxe. Car elle, et on l’apprend vite également est son ange gardien ! On y croit pas une seconde, elle planque un truc, et on ne vous dira pas quoi ! Son ton de voix, maternel et perché sonne faux. Elle va l’arnaquer, se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Il le saura bien plus tard, tout à la fin des 1H30 de la pièce, après avoir revécu sa vie de boxeur.

La compagnie explore depuis trois ans les clubs de sports de combat en Seine-Saint-Denis. La lutte et le Kick Boxing et, aujourd’hui la boxe. Sur des écrans de fortune, composés de toiles en plastique vertes sont projetées les impressionnantes images des entraînements au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

La rage des boxeurs, garçons et filles, tapant sur des sacs comme sur les autres selon des règles précises est en miroir opposé avec le jeu, ultra lent et calme qui pourtant nous parle d’un combat bien plus extrême.

Un exercice de style qui sait prendre de l’ampleur dans la progression de la pièce, au moment où les mondes fusionnent par l’irruption d’un drôle de boxeur, inerte celui-ci.



Un article de Jean-Pierre Thibaudat en page d’accueil de Médiapart :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/300918/corine-miret-et-stephane-olry-au-paradis-des-boxeurs

 Corine Miret et Stéphane Olry au paradis des boxeurs

Depuis trois ans, Corine Miret et Stéphane Olry fréquentent les clubs de lutte et de boxe de la Seine-Saint-Denis. Dernier volet de leur trilogie, « Boxing paradise », par le biais d’une fiction, nous entraîne au Boxing beat d’Aubervilliers.

Elle était danseuse, un accident a mis en sommeil sa carrière, elle est devenue comédienne. Il écrivait et jouait des spectacles depuis l’âge de dix-huit ans, dans les années 90 il s’est tourné vers la vidéo. Corine Miret et Stéphane Olry se rencontrent alors, et leur trajectoire prend un autre tour.

Kick boxing et boxe anglaise

Ensemble, ils tournent des cartes postales vidéo en Europe et dans le Moyen Orient, fondent la Revue éclair qui n’est pas une revue mais une compagnie, et bientôt ils mènent à bien, main dans la main, des spectacles qui ne ressemblent à rien de répertorié. Par exemple : Nous avons fait un bon voyage,un spectacle fait à partir de cartes postales trouvées ; La Chambre noire à partir d’archives familiales du grand-père d’Olry (officier de cavalerie) ; Treize semaines de vertu à partir d’un chapitre des mémoires de Benjamin Franklin ; Un voyage d’hiver à partir du séjour de Miret dans un village d’Artois où elle se coupe du reste du monde ; Les Arpenteurs, spectacle à épisodes où Olry et Miret entraînent des amis le long du méridien de Paris entre Dunkerque et Barcelone (lire ici) ; Une mariée à Dijon, spectacle éponyme du livre de MKF Fisher autour de la nourriture et de la cuisine (lire ici) ; Tu publieras aussi Henriette à partir d’un amour de Casanova (lire ici). Ils ont un sujet unique : l’aventure humaine, vaste sujet dont ils ne feront jamais le tour. 

Depuis trois ans, ils fréquentent des clubs sportifs du 93 (une action au long cours soutenue par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis). Les lutteurs des Diables rouges, un club de Bagnolet, est à l’origine de La Tribu des lutteurs (lire ici) présenté au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Corine Miret a pratiqué le kick boxing durant un an dans un club de femmes du Blanc-Mesnil ; de là est né Mercredi dernier, un monologue inspiré par les interviews avec des femmes pratiquant ce sport. Il a été présenté au Théâtre de la poudrerie de Sevran et dans des appartements de Seine-Saint-Denis. Enfin, ils viennent de créer Boxing paradise à la MC93, suite à deux ans d’immersion et de pratique pugilistique au Boxing beat d’Aubervilliers, club mixte. Stéphane Olry, tout en suivant les entraînements et en pratiquant la boxe, a filmé la vie du club et les compétitions. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du sociologue Loïc Wacquant resté en immersion durant trois ans dans un club de Chicago (cf. son ouvrage Corps et Ame, carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, éditions Agone). C’est au Boxing beat d’Aubervilliers qu’a été formée Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent aux JO de Rio en 2016.

A partir de ce matériau et de l’expérience d’entraînement qu’il y a menée à un âge respectable, Stéphane Olry a écrit une fiction. Ce que l’on ne voit pas dans Boxing paradise et qu’il n’a pas filmé, c’est le travail mené tous les mercredis pendant deux ans. En complicité avec l’entraîneur du club, Saïd Bennajem, Olry, Miret et des boxeurs bénévoles du club ont donné des cours de soutien scolaire aux jeunes venant suivre les cours de boxe éducative. A cela s’ajoute une enquête entamée il y a un an auprès de tous les jeunes qu’ils ont rencontrés dans les clubs sportifs de Seine-Sait-Denis « sur la violence, ou plutôt sur ce qu’ils ressentent comme violent ». Comment leur pratique sportive (lutte, boxe) « modifie leur regard sur la violence ordinaire, qu’elle soit verbale, institutionnelle, sociale, sexiste, raciste ».

L’attention pour autrui

Tout cela sous-tend et traverse en loucedé Boxing paradise. La fiction, plutôt classique, fait un peu penser à Huis-clos de Sartre : le héros (interprété par Hervé Falloux, vieux complice de la Revue Eclair) qui a un âge semblable à celui de Stéphane Olry, arrive au Paradis. Il est accueilli par l’ange-gardien (Corine Miret) qui doit s’occuper de lui et connaît tout de sa vie. L’ange lui explique qu’au paradis on vit dans le lieu où l’on a voulu vivre toute sa vie et ce lieu, pour ce qui le concerne, c’est une salle d’entraînement de boxe, le héros regrettant de s’être adonné à ce sport sur le tard. La ficelle est un peu grosse mais elle s’affinera au fil des échanges, particulièrement lorsqu’on apprendra le mal contre lequel le personnage a lutté avant d’être vaincu : le cancer. « Le spectacle se tient au bord du ring et de la vie », écrit Stéphane Olry.

Les deux acteurs sont sur le plateau et derrière eux plusieurs écrans nous montrent la vie du club de boxe. L’entraînement, les rings, un match acharné entre deux jeunes boxeuses amateurs. L’acteur figure sur les images de temps en temps. Tenant le rôle de Stéphane Olry, on le voit essayer maladroitement de sauter à la corde. Petit à petit, des accessoires de boxe viennent occuper le plateau. Mais le vrai entraînement filmé et plus encore le combat lors d’une compétition écrasent de leurs uppercuts le semblant du plateau contrairement à ce qui se passait dans La Tribu des lutteurs où l’entraînement mené sur la scène par les lutteurs était la colonne vertébrale du spectacle.

De ces trois années d’expérience, Stéphane Olry et Corine Miret ont tiré différents postulats où scène et ring font la paire. Par exemple : « Il est peu d’instants où on prend autant en considération autrui que durant un combat. Le mépris pour son adversaire ou son partenaire est immédiatement sanctionné. Cette extrême attention pour autrui qui est le moteur de nos créations théâtrales motive pour l’essentiel notre curiosité pour la pratique des sports de combat. » Ou encore : « Tout combat est décisif. En ce sens, le boxeur montant sur le ring a beaucoup à voir avec le comédien se produisant sur scène. L’un comme l’autre entrent alors dans une zone de vérité. »

Boxing paradise, MC93, mar et jeu 19h30, mer 14h30 et 19h30, ven 20h30, sam 18h30, dim 15h30, jusqu’au 7 octobre.

Mercredi dernier, reprise au théâtre de la Poudrerie de Sevran, du 12 au 14 octobre.


Jacquette de Bussac – Limbes-écrits

http://limbesecrits.over-blog.com/2018/10/de-la-boxe-comme-danse-et-inversement.html

 De la boxe comme danse et inversement

Publié le 7 octobre 2018

Dans nos batailles au quotidien, on se bat pour la survie, on se bat surtout et bien souvent, contre /avec soi-même.

En regardant, écoutant le spectacle « Boxing paradise » proposé par La Revue Éclair, je me dis bien sûr ! La boxe et la danse, se taire, s’épuiser, suivre aveuglément un coach, un maître à danser, s’entraîner sans cesse, au point que le club, le studio devient une deuxième maison, une deuxième famille, se droguer aux endomorphines, être seul(e) face à...soi-même, sa peur, sa faiblesse, son désir d’exister, d’être vu, c’est ça…

Cette écoute quasi maniaque du corps, de ses sensations,de son énergie, se peser avant après matin et soir, maîtriser la force, le poids, la fatigue, la douleur...Beaucoup de ces obsessions me rappellent la pratique de la danse. Les boxeurs sont des taiseux semble t il, ils parlent avec leur silence, leurs gestes, leurs corps, comme souvent les danseurs. Longtemps je me suis tue, la muette, l’autiste, tout bien fermé à l’intérieur, ça vous décuple la force physique.

La violence n’est pas dans les corps, ce spectacle très documenté nous le montre bien ; la vraie violence est sociale, on la subit tous les jours dans notre belle société démocratique, pas besoin de discours sociologique en regardant les vidéos filmées durant les séances d’entraînement du club, en voyant ces jeunes filles et jeunes hommes d’Aubervilliers se plier à la discipline du coach, rentrer la tête et protéger son menton, sautiller, trottiner, feinter, esquiver, suer, souffler, recommencer. Et la légèreté ? Oui il y a cette grâce du boxeur dansant, toujours en mouvement, qui échappe, se dérobe, jamais immobile ou c’est la fin du round !

Un beau moment de théâtre, qui m’a laissée un peu sonnée j’avoue, quand soudain la maladie s’invite sur scène, dernier combat à mener, métaphore ultime du désir de vivre, qui clôt ce moment de vérité sur scène.

Boxing paradise texte et mise en scène Stéphane Olry

avec Corine Miret et Hérvé Falloux

MC93 Bobigny

Se nourrir

« Surveillez votre alimentation, les gars » nous a exhortés Frankie avant les vacances de Noël. « Mangez des légumes. Des viandes blanches. Pas trop de pain. Aucun twix ou cochonnerie de ce genre. »

Mon alimentation, je la surveille depuis des lustres. Depuis l’âge de vingt-cinq ans précisément. Depuis ce déjeuner dont je me souviens très précisément, où lors d’un tournage, je me suis retrouvé avec un sandwiche merguez-frites à la main. J’ai regardé le sandwich merguez-frites et je me suis dit : non, ce n’est possible, si je mange ce sandwich merguez-frites, là, maintenant, je vais me sentir mal tout l’après-midi, plus mal encore que si je ne mangeais rien. Toute mon énergie va passer à digérer ce sandwich merguez-frites, qui me semblait aussi indigeste que l’éléphant avalé par le boa dans « le Petit Prince ».

C’est à la même époque que j’ai senti qu’une nuit blanche ne se réparait pas, ne se rattrapait pas, en une seule nuit complète de sommeil, mais que je commençais à en traîner les séquelles une semaine durant.

C’est donc à vingt-cinq ans que j’ai senti que j’avais un corps. Avant, j’avais comme une sorte de machine insensible que mon cerveau poussait à ses limites, et qui n’existait que par la méfiance qu’il m’inspirait, puisque je ne le prenais en compte que lorsqu’il me faisait souffrir.

La démographie m’apprend qu’il me reste vingt-cinq ans à vivre. Vingt-cinq ans donc pour m’habituer à l’idée de voir décliner puis disparaître ce corps et donc ce que je suis.

Sébastien et moi échangeons sur les menus qui nous semblent les plus pertinents les jours d’entraînement. Je pensais - influencé certainement par la lecture d’ « Un morceau de steak » de Jack London - que l’idéal était de manger un morceau de filet de bœuf et une salade le jour de l’entraînement. Sébastien, lui, tient pour les pâtes, privilégiant les sucres lents. Tout compte fait, le menu et l’heure idéaux seraient de manger des sushis (combinaison de sucres lents, du riz et de protéines animales du poisson) trois heures avant l’effort (durée du travail de la digestion), c’est-à-dire à 15h.

La fatigue, la nourriture : je reviens sans cesse à cette gestion de l’énergie. Une gestion qui informe, organise ma vie avec la même rigueur que m’imposait l’exercice de treize semaines pour devenir vertueux, inventé par Benjamin Franklin.

La boxe me fait obéir à ce même phantasme de vie réglée, ordonnée, lisible, désirée, qui est le mien depuis mon enfance. Phantasme évidemment impossible de par la nature des évènements, de par mon manque d’une conviction, si ce n’est d’une foi, suffisamment forte pour m’aiguillonner perpétuellement dans la même direction. Ma principale crainte était que j’aurais pu aussi me surprendre à préférer la souffrance de l’aiguillon à l’exaltation de la perspective du sillon à creuser, ce qui eût été très ridicule de la part de quelqu’un d’aussi malin que moi.

Je regrette donc de n’avoir pas commencé à pratiquer le noble art lorsque j’étais jeune. Cet exercice m’eût permis de réserver dans ma vie un espace circonscrit et dédié à mon idéal intime d’ordre, d’abnégation, de sacrifice, d’effort, de discipline. Et d’ouvrir ainsi plus largement les temps restant à la jachère ou plutôt la garenne des mouvements spontanés – à supposer que les mouvements spontanés existent.

Tu verras dans un an

Je m’abreuve au lavabo. Un camarade me croise alors que je sors « Ça va ? » me demande-t-il – « Ouais » je réponds. – « Tu verras les résultats dans un an » m’encourage-t-il. « Il faut un an et demi pour voir les premiers résultats en boxe ».

Voilà qui repousse de six mois l’échéance que je me suis donnée initialement. Mon objectif l’automne dernier était de suivre une année complète de cours au Boxing Beats. À cinquante trois ans, il me semblait déjà un peu ridicule de débuter ce sport. C’était une entreprise que je savais aussi assez vaine, dans la mesure où il m’est impossible d’être un jour en état de combattre. C’était surtout une occupation passionnante, et je m’y lançait dans les dernières années de ma vie où je pouvais physiquement encore l’oser.

J’ai donc signé un contrat tacite avec moi-même pour un an.

Pour un cours par semaine : celui du lundi avec Frankie.

Ma mission était d’apprendre le plus honnêtement possible la boxe, et de rendre compte dans le présent journal de cette découverte et des questions qu’elle ne manquerait pas de susciter.

Le lieu d’exécution du contrat était le Boxing Beat, d’une part parce que c’est un club qui accueille beaucoup de filles et a formé des championnes, or l’irruption des femmes dans les sports de combat est une nouveauté qui attise ma curiosité, et d’autre part parce que participer aux cours de soutien scolaire constituait un bon observatoire et aussi un défi excitant pour moi qui ai tant détesté l’école.

À défaut d’être doué pour la boxe – ou même d’avoir témoigné d’une marge de progression significative dans ce sport -, je me reconnais au bout de six mois au moins un mérite : celui de la constance. Ce n’est pas la moindre des vertus dans les activités du corps.

Pour être honnête, mon plaisir lors de ces cours du lundi était loin d’être pur et sans nuage. Souvent, je l’avoue, j’ai pris mon vélo pour Aubervilliers plus par devoir que par plaisir. L’épuisement durant les cours, la fatigue les jours après, ne furent pas les épreuves les plus difficiles à surmonter. Un grand obstacle pour moi fut ma timidité, et ma crainte de combattre des inconnus – et même frayer avec un monde qui – c’est évident, alors pourquoi le nier ? – n’est pas le mien.

Au fond, ce sont les gamins qui viennent au cours de soutien qui m’ont donné l’envie de m’accrocher. D’abord, je les aime bien. Ils sont parfois pénibles, mais beaucoup plus souvent bouleversants. Ils me donnent le sentiment d’être utile, ce qui est toujours agréable. Et comme j’éprouve les mêmes difficultés avec les gants de boxe qu’eux avec un stylo, le courage avec lequel ils affrontent les exercices scolaires constituent pour moi une forme d’encouragement à relever le même défi lors des exercices pugilistiques.

Il me semblait très ridicule à l’issue du soutien scolaire du mercredi de ranger mes crayons et de repartir quand arrivaient les boxeurs pour l’entrainement. J’ai donc commencé à venir aussi à ce cours-là que donne Ahmed. Tout le monde s’accordait au reste à me dire que le rythme de pratique et d’apprentissage vraiment sérieux commençait avec deux séances par semaine. De fait, boxer deux fois le lundi et le mercredi me fatigue moins qu’une seule fois.

Revenir cependant l’année prochaine au Boxing beats changerait nettement la nature de mon engagement. Je le rappelle, mon objectif était d’observer de l’intérieur la vie du club et d’avoir une initiation intime, répétée de la pratique de la boxe. Comme on écrit vulgairement dans les dossiers de demande de subvention : accumuler du matériau d’écriture pour un spectacle à écrire.

Or, si je reviens l’année prochaine, ce prétexte sera caduc. Ce ne sera plus le temps de l’enquête, mais le temps de l’écriture. Et cette activité, je le sais d’expérience, requière de prendre la distance avec son sujet.

Donc, si je reviens l’année prochaine, ce sera vraiment pour moi par goût de la boxe, par sympathie pour ce club et ses membres, et pour m’investir vraiment bénévolement dans les activités du Boxing Beats.

À suivre, donc .

Une tendinite

C’est la rentrée.

J’ai une tendinite au bras.

Ça fait un mois que j’ai une tendinite au bras gauche.

Je me suis réveillé un matin du mois d’aout avec le bras gauche ankylosé.

Je me suis dit : c’est en dormant avec la tête de Camille sur l’épaule que je me suis froissé le bras. Ça va passer dans la journée.

Ça n’est pas passé dans la journée. Ça n’est pas passé les jours suivant en faisant du Taï-chi. Ça n’est pas passé le mois suivant en nageant dans la mer.

Ça s’est atténué après que je me fusse décidé à aller chez l’ostéopathe. C’est lui qui m’a diagnostiqué une tendinite.

Sur ses conseils, je me masse avec une huile essentielle.

Sur les conseils de Camille je me pose une poche de glace sur le bras, le soir.

Sur les conseils de Céline, je n’arrête pas de boire de l’eau, et de pisser.

Sur les conseils de mon médecin traitant, je prends un anti-inflammatoire.

Néanmoins, malgré tous ces bons conseils, malgré le temps qui passe, malgré une seconde séance chez l’ostéopathe, il n’en reste pas moins que j’ai la sensation que quelqu’un tente sournoisement de glisser un bout de bois mal équarri entre mes biceps lorsque je lève le bras au-dessus de ma tête.

Je calcule mes mouvements en conséquence. Je soupèse le contenu de mon sac. J’évite d’enfiler des tee-shirts. J’ai abandonné tout espoir de revêtir un pull-over, opération impossible à réaliser sans lever mon bras gauche qui, justement, se refuse de manière butée à cette action. Je ne dors que sur le côté droit pour ne pas froisser ce bras gauche si susceptible. J’ai repoussé jusqu’à ce soir mon retour aux cours de boxe.

Quand j’ai annoncé mon désir de retourner à ce cours, mon ostéopathe m’a envoyé un premier SMS me disant : « Vas-y tranquillement » accompagné d’un second : « Ne force pas ». Marisa m’a dit : «Allez-y doucement ». Camille : « Tu devrais attendre que ce soit passé, tu risques d’aggraver l’inflammation ».

Je ne sais pas quoi faire : à cette minute, et je regarde mon sac de sport qui reste noir, fermé, sans avis sur la question.

Je me sens diminué, fragile, j’ai peur de ne jamais recouvrer la mobilité de mon bras. C’est comme ça quand on vieillit, non ? On perd ses capacités lors de petits paliers sournois. Si je vais à la boxe, j’appréhende d’être obligé d’abandonner la séance en cours. Je crains qu’une instance médicale finisse par décréter que je ne suis plus apte à faire de la boxe. Je me sens frustré d’avance. Et aussi, peut-être est là le pire, je crains de me sentir soulagé de devoir abandonner cette discipline ingrate, astreignante, fatigante, sous le lâche prétexte : ce n’est pas moi qui ai choisi, c’est mon corps qui m’y a obligé.

Quelle misérable excuse : comme si j’étais autre chose que mon corps !

Cela dit, je me demande bien ce que mon corps, c’est-à-dire moi, veut me dire au travers de cette tendinite que rien n’annonçait. Que veux-je me dire à moi-même ? Que veux-je m’obliger à prendre en considération, que je m’interdis de voir, et que mes épaules coincées me signifient de manière aussi péremptoire que mystérieuse ?

Le message est confus mais très têtu. Je suis invité à me débarrasser d’un fardeau pesant sur mes épaules, c’est une affaire entendue, mais quel est-il ce fardeau ?

J’ai établi une liste d’accusés potentiels, groupes ou personnes susceptibles de créer des tensions dans mon dos délicat :

Ma famille, évidemment  Je représente depuis trois mois ma mère et ma sœur au syndicat de co-propriété de mon immeuble, et comme me dit Frédéric : l’immobilier c’est du lourd.

La fréquentation répétée des cortèges de tête des manifestations qui sont scandés de situations stressantes, humiliantes, et parfois dangereuse, et qui a fait peser une poigne policière très pénible sur nos nuques rebelles ?

La pratique de la boxe qui s’avérerait trop lourde à porter pour moi ?

Mon ostéopathe se fait le porte-parole de mon corps, tout en demeurant dans le style ambigu et allusif qui est celui des ostéopathes et des squelettes : tu as subi une émotion intense et répétée car ta douleur est liée au diaphragme me dit-il. Oui, bon : les conseils de co-propriété, les cortèges de tête, les entrainements de boxe, voire la présence de Camille dans mon lit (mon ostéopathe n’a pas spécifié que cette émotion dût être négative), toutes ces activités répondent à cette définition.

La piste psychologique se perdant en méandre, je suis tenté de débusquer des responsables physiques à mon état.

J’ai passé trop de temps à écrire sur mon ordinateur cet été.

J’ai changé pour des lunettes à verre progressif.

Bientôt, je vais songer à accuser ma literie : ce qui est bien la preuve que je suis prêt à accuser n’importe qui.

Rien de plus énervant que les gens qui s’étendent sur leurs bobos, leurs douleurs, leur mal-être. Rien que d’écrire ce billet élégiaque, je m’insupporte moi-même.

Bon. Je vais aller ce soir au Boxing Beats, et j’aviserai sur place.