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24 janvier 2016 : 8e réunion du cercle à la Commune

Boxe : Qu'est-ce qui vous a saisi, déstabilisé, terrassé, attiré ?

(cliquer sur les liens pour voir les contributions récoltées)

 

se sont retrouvés, à la salle des quattre chemins de la Commune : Corine, Stéphane, Sébastien, Elodie, Yasmine, Hervéet Julien. Voici aussi leurs contributions ainsi que celles d'Abèleet Agnès.

 

Cercle 24 janvier 16 10.2

 extrait de la discussion :

Elodie : … il y a aussi toute une exploitation par des gens qui se font un pognon incroyable sur les boxeurs.

Julien : tu parles de la Boxe pro. La Boxe pro c’est de l’argent. Alors que le niveau de Boxe chez les amateur est aussi bon.

Elodie : mais quand tu commences dans un club, tu es d’abord amateur. Donc c’est le glissement entre les deux. Et ça a toujours été une histoire de fric sur le dos des boxeurs. Donc j’ai du mal à...

Julien : mais la fascination ne vient pas de l’argent. La fascination du combat entre deux adversaires.

Stéphane : tous les spectateurs ne sont pas des parieurs. Même si les gains des matchs viennent des paris finalement.

Julien : c’est comme le foot, c’est à vomir, mais je comprends que ça puisse être beau et qu’on aime regarder un match. Le monde de l’argent c’est autre chose, mais c’est là.

Corine : et le monde de l’argent il est aussi violent dans l’exploitation au travail, pas plus que dans la boxe

Elodie : je suis d’accord mais c’est juste que je vois dans la Boxe comme le symbole de ça. C’est pas une condamnation. Mais en même temps quand je vois que vous vous pétez le nez, et que vous saignez, je me dis...

Julien : mais la personne qui combat, elle l’a choisi. Personne ne l’a forcée.

Sébastien : Et il n’y a pas d’argent dans la Boxe amateur. Et c’est pas forcément non plus un tremplin pour passer professionnel.

Julien : oui, il y a tellement de choses à faire en amateur. On peut y faire carrière. On entend mal le mot « amateur ». En Boxe pro, il y a plus de round, ce qui change la donne, mais le niveau est aussi bon. Et il y a vraiment de quoi faire.

Stéphane : Loïc Wacquant pose cette question dans son article Les trois corps du pugiliste. Il demande : est-ce que les boxeurs viennent de milieux sociaux défavorisés ? est-ce qu’ils rêvent tous d’ascension sociale ? Evidemment oui, comme les footballeurs. Mais en même temps non, ça suffit pas pour expliquer. Parce que l’un dans l’autre, il y en a quand même très peu pour qui ça marche.

Julien : il y a de moins en moins d’argent. Je connais des boxeurs professionnels, c’est la misère.

Stéphane : Saïd nous disait que les matchs sont dotés à 500 euros. Comme tu fais pas de match toutes les semaines, c’est vite vu.

Elodie : d’après ce que j’ai lu, ça a été créé dès le début avec cette idée d’argent. C’est pour ça que j’ai l’impression que ça symbolise toute l’exploitation. Quand je vois un combat, quand je vois deux personnes se battre, je vais dire un truc très con, mais j’ai « mal au monde ». Ça me fait hyper mal.

Julien : je comprends. Mais quand tu fais de la Boxe, il y a toujours un moment où tu te demandes : mais pourquoi je fais ça ? D’autant plus si tu es pacifique dans la vie. Pourquoi j’ai besoin de cette violence ? C’est étonnant, fascinant, ça fait peur cette envie là. Mais c’est humain. Qu’est-ce qui fait que lorsque deux personnes se battent, et il n’y a pas d’argent là, il y a souvent des gens qui viennent et qui regardent et qui sont comme ça…

Elodie : ça me fait mal de la même façon

Julien : mais ils regardent, pas forcément contents, en trouvant ça horrible, mais ils regardent

Elodie : et ils ne les séparent pas, ils regardent

Julien : ouais

Corine : dans DanbéAya Cissoko dit qu’on lui demande « pourquoi tu fais ça, c’est violent », et elle répond que c’est la vie qui est plus violente et qu’en Boxe « on ne prend pas des coups par derrière »

Julien : c’est dur à comprendre, mais le combat de Boxe, c’est pas du tout un combat sauvage

Sébastien : comme une bagarre ?

Julien : pas du tout. C’est un cadre. Tu peux pas tout faire. C’est très important. L’autre à la fin, tu lui dis merci, bravo. On se respecte.

Elodie : c’est marrant parce que ce sont des sensations que j’avais déjà avant de venir, je les ai toujours mais en même temps ça m’intéresse de plus en plus. J’entends tout ce que vous dites.

Corine : mais c’est troublant

Stéphane : oui, c’est troublant. Si tu prends le passage de L’Eneide par exemple où Virgile décrit vraiment un combat de pugilat, ce qui est étonnant c’est que tu as l’impression que rien n’a changé. C'est-à-dire en gros qu’il y en a un qui lance un défi, il fait très très peur et personne n’a envie d’y aller, c’est un genre de Sonny Liston de l’époque, pas du tout le type que tu as envie de rencontrer. Alors il y en a un qui est plus âgé que les autres, et qui dit « bon, ben.. », et en plus les autres lui disent « toi, vas-y », il n’a pas très envie mais bon il y va. Il y a d’abord les harangues d’avant combat, ils portent des cestes, des sortes de coups de poings américains, parce qu’à l’époque c’était comme ça, mais il y en a qui sont tellement lourdes qu’on a peur rien qu’à les voir. On se dit qu’un coup avec ça, ça doit être épouvantable. Donc les spectateurs sont épouvantés avant même que le combat ait commencé. Ils ne se disent pas du tout que ça va être chevaleresque. L’épouvante, la stupeur et la fascination sont déjà là. On parle des romains, d’une société brutale, de guerriers. Je ne pense pas qu’il y ait de progrès dans l’humanité de ce côté-là, ni de régression. Ils savent qu’il y a quelque chose de trouble qui se joue. Et le match a lieu. Et de toute façon la fin est terrible. Et de toute façon ils se sont pris tellement de coups.. Il y en a un qui crache toutes ses dents et on l’emmène tout pantelant, il vomit des flots de sang… c’est terrible. Le niveau de violence et le niveau de fascination c’est toujours le même. Et pour l’argent, mais quand la Boxe s’invente avec les règles actuelles en Angleterre, c’est le début du capitalisme. Donc la Boxe suit l’évolution du capitalisme. Alors qu’à l’époque romaine la Boxe suivait des logiques d’esclavage. C’est à l’image de la société. Par contre ça n’épuise pas la question de la stupeur et du tremblement, que moi je ressens aussi. On a deux photo de toi (Julien), une juste au moment où tu vas rencontrer ton adversaire, et une à la pause sur le bord du ring, et on se dit « waouw il s’en est passé ». Et sur la troisième où on voit que tu as gagné, donc on est contents. Sauf que de toute façon que tu aies gagné ou perdu, tu t’en es pris plein la gueule. J’ai pris des photos de spectateurs en train de regarder, et ils sont tous à ouvrir des billes comme ça, et parfois…

 

 

 

 

 

Arthur Cravan Œuvres poèmes, articles, lettres. Ed Ivrea

Le livre m’impressionnait. Il m’avait été conseillé par Yasmine Youcefqui participe à notre cercle d'amateurs de sports de combat et vient aux cours de boxe du lundi.

Le livre m’impressionnait par son titre, peut-être. « Œuvres » : ça campe un personnage. De l’auteur, je ne savais que peu de choses : qu’il était poète, qu’il avait combattu Jack Johnson en 1916 à Barcelone. J’ignorai qu’il se flattait aussi d’être « neveu d’Oscar Wilde ». Et j’appris en lisant sa biographie express rédigée par Blaise Cendrars qu’il fut aussi « déserteur durant la guerre de 14 », et « disparu au Mexique » (probablement assassiné).
Il meurt à trente et un ans. Et laisse une œuvre expéditive : quelques poèmes de jeunesse, cinq parutions d’une revue mythique «Maintenant » dont il était le polygraphe, rédigeant jusqu’aux publicités :pub galerie cravanpoursite

Et l’annonce de ses propres prestations publiques : 

pub maintenantpoursite

Soirée qui suffisait à son sens à être annoncées pour exister, puisqu’il ne se présenta pas ce soir là aux Noctambules au grand dam des spectateurs venus se casser le nez.

Mais aussi le gazetier de Maintenant pour « L’exposition des Indépendants », dans des critiques lapidaires et réjouissantes : « Deltombe, quel con ! Aurora Folquer, et ta sœur ? Puech, la Rose rose : tais-toi méchante ! Marcousis, de l’insincérité, mais l’on sent comme devant toutes les toiles cubistes qu’il devrait y avoir quelque chose, mais quoi ? La beauté, bougre d’idiot ! », ou des formules définitives : « Les abrutis ne voient le beau qua dans les belles choses ».

La chronique littéraire prend la forme d’une vraie-fausse causerie avec André Gide :

« Monsieur Gide, commençai-je, je me suis permis de venir à vous, et cependant je crois devoir vous déclarer tout de go que je préfère de beaucoup, par exemple, la boxe à la littérature.

-      La littérature est pourtant le seul point sur lequel nous puissions nous rencontrer » me répondit assez sèchement mon interlocuteur.

-      Je pensais : ce grand vivant ! »

Il publiait aussi ses faux entretiens avec son oncle Oscar Wilde et certains de ses poèmes à lui, Cravan.

En 1917 il écrit un très impressionnant encore qu’inachevé poème en prose qui sera publié des années plus tard sous le titre « Notes » par André Breton.

« Je me sens renaître à la vie du mensonge – mettre mon corps en musique – bourrer mes gants de boxe avec des boucles de femmes – dieu aboie, il faut qu’on lui ouvre – « 

Ce poème se termine par ce vers :

« Langueur des éléphants, romance des lutteurs »

qui serait un beau titre pour un spectacle consacré à la lutte.

On trouve aussi dans ces « œuvres complètes » sa correspondance de potache un peu gâté avec ses parents, de dandy avec un marchand d’art avec qui il était en affaire, et surtout ses lettres aphasiques, répétitives, déchirantes envoyées à la poétesse Mina Loy, qui s’achève par cette phrase « la vie est atroce «  qui semble annoncer son intention de ne pas s’y attarder.

arthurcravanfourrurepoursite

 

Il y a chez Cravan quelque chose de « L’insupportable Bassington » personnage d’une nouvelle de Saki (écrivain britannique contemporain de Cravan, qui mourut dans les tranchées à Ypres et dont la dernière phrase fut « éteignez cette cigarette, nom de Dieu! » avant de se faire descendre par un snipper allemand qui avait repéré la flamme)  Comme Bassington, Cravan est un « "ces indomptables champions du désordre qui s'ébattent en s'excitant eux-mêmes (...) mais, le plus souvent, leur tragédie commence lorsqu'ils quittent l'école, pour se déchaîner dans un univers devenu trop civilisé, trop encombré et trop vide pour qu'ils puissent y trouver place" (Saki) . Cravan étonne, fait rire, choque, énerve, insupporte, horripile, exaspère par son égoïsme, sa prétention, une certaine veulerie, mais inspire aussi une immense affection lorsqu’on réalise combien ses frères, ses amantes, ses amis, sa famille, sa société se révèlent impitoyable lorsqu’ils décident d’en finir avec le trublion qui n’amuse plus.

Ce dandy très sciemment pris à son jeu autodestructeur fut sauvé par la poésie. C’est ce sur quoi s’accordent tous les témoignages compilés dans la seconde partie des ces « œuvres complètes » finalement très courtes. 

Le plus paradoxal de ces témoignages est celui de Cendrars, qui révèle là les limites de l’amitié dont il était capable, surtout envers un poète plus doué que lui. Il révèle les dessous un peu sordide de son fameux match, celui qui l’opposa à Jack Johnson. Lui comme le champion noir américain étaient au bout du rouleau financier et ce match arrangé que devait gagner Johnson se révéla une triste pantalonnade. Cravan refusa quasiment de combattre, comme tétanisé sur le ring par la peur. Furieux de la prestation de son piètre faire-valoir Johnson l’expédia au sol d’un crochet non sans l’avoir auparavant copieusement insulté. Le soir même Cravan disparaissait pour l’Amérique.

Jack Johnson était cependant un parfait casting pour combattre Cravan. Dandy nègre, s’affichant avec à son bras des femmes blanches, arborant des manteaux couteux, buvant du champagne entre les rounds, il fut le premier boxeur noir qui affronta des blancs et les vainquit. Nous avons déjà croisé ce personnage lors de la note consacrée à Jack London et sa chronique de son combat contre Jeffries à Reno en 1910.

Ce que valait Cravan, géant de deux mètres pesant 130 kg à la fin de sa vie, comme pugiliste, nous n’en saurons rien, car il ne combattit presque jamais et ses titres, il les gagna sur forfait de ses adversaires, malades ou blessés.

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Qu’importe. Il demeure un fait têtu, irréfragable, c’est la préférence marquée de Cravan pour le corps et sa défiance pour les œuvres de l’esprit, surtout lorsqu’elles sont le fait de littérateurs de carrière.

L’écriture de Cravan, c’est d’abord l’expression d’un corps, elle est produite par des os, des tendons et des muscles en action. Elle est sœur en cela de l’écriture de Villon, autre escroc, voleur, fuyard, marginal.

Et la lecture que nous faisons s’en trouve elle aussi incarnée, et fraternelle.

Audrey Chenu – Girl Fight

C’est la société qui est violente, pas la boxe

 

.couverture girl fight

Audrey Chenu –Girl Fight Presse de la Cité 2013

Audrey Chenu pratique une boxe élégante et précise.

« C’est la société qui est violente, pas la boxe », telle fut la réponse qu’elle nous donna lorsque nous lui avons demandé, lors d’un interview pour notre spectacle Boxing Paradise, si, à son sens, la boxe était un sport violent.

Avant un entrainement, elle m’avait raconté avoir écrit un livre Girl Fight, et aussi pratiquer le slam. Lorsque j’ai regardé sur internet ses prestations sur scène, j’ai remarqué qu’elle dégageait sur scène un sentiment fragile de timidité et de réserve, allié à une grande force. Elle cultive avec soin ce paradoxe, et cette capacité à tenir cette ligne d’équilibre impose le respect.

https://www.youtube.com/watch?v=WhFlhGbRwlg

Ensuite j’ai lu son livre qui venait d’être réédité.

La lecture de Girl Fightest éloquente sur la violence de la société quand celle-ci s’acharne sur une personne par l’entremise de la justice, via son bras armé l’administration pénitentiaire.

Prison

Adolescente délaissée par ses parent dans un village de Basse-Normandie, fille d’un père qui se révèlera chroniquement dépressif, Audrey est en terminale quand elle monte un florissant commerce de haschich. Sa prospérité et son indépendance sera de courte durée : un an, avant d’être balancée, et de se retrouver en préventive à la maison d’arrêt de Versailles.

Là, sa vie bascule. Elle découvre l’enfermement, l’arbitraire, la méchanceté profonde de ce système face auquel elle ne peut opposer que sa jeunesse et sa pugnacité. Il n’existe pas de prison quatre étoiles en France, et les prisons pour femmes ne font pas exception à la règle, au contraire : si d’aucun nourrit encore des doutes à cet égard, qu’il lise Girl Fight, et sera édifié. Plus souvent qu’à son tour, Audrey se révolte, se retrouve punie, envoyée au mitard. Elle se maintiendra debout d’abord grâce à l’amitié de certaines de ses codétenues, ensuite par sa rencontre avec un universitaire venu donner des cours en milieu pénitentiaires, et enfin grâce à la boxe.

« Mets ton matelas contre le mur. Donne les coups de poings que tu veux donner dedans. » C’est le conseil que lui a donné une compagne de cellule. Audrey découvrit ainsi la boxe qui lui permit –tant que faire se peut – de trouver un exutoire à sa rage contre une administration pénitentiaire qui tentait de la briser aussi bien physiquement que psychologiquement.

On en apprend beaucoup dans ce livre sur l’acharnement de la justice qui même après la peine purgée continue de poursuivre les délinquants à coup de casiers judiciaires et d’amendes des douanes. La récidive est inscrite dans l’organisation de la justice, et Audrey fut renvoyé en prison, alors même qu’elle recommençait sa vie. Entre les sursis qui sautent, les condamnations administratives qui s’additionnent, on peut dire qu’elle est allée au bout de son calvaire judiciaire, et que son année de liberté et d’opulence, elle l’aura payé au prix fort à la société.

Pugnacité

Quand on se bat avec ses poings, c’est qu’on est désarmé, réduit à ses propres forces. Sa survie, on ne la doit qu’à ses propres ressources, celle qu’on extrait de l’intérieur de soi, en puisant son énergie, sa combativité, son refus de la soumission dans une source mystérieuse et qui pour certaines, comme Audrey, semble inépuisable. Pugnacité : la pratique de la bagarre à poings nus élevée au niveau d’un art, mais aussi d’une vertu.

Cette vertu de pugnacité est comme un puits, susceptible de se remplir alors même qu’on le croit épuisé. Cette capacité à se relever dénote aussi un attrait inextinguible pour la vie. Ce plaisir de vivre, de bouger, inspire le respect et procure beaucoup de joie à ceux qui soit le vivent, soit se plaisent à l’observer chez autrui, au travers de la danse ou de la boxe.

Emancipation

Audrey a fini par remporter une victoire finale sur la justice de son pays : elle parvint à la suite d’un long combat judiciaire à faire effacer ses condamnations de son casier judiciaire, et obtint ainsi le droit de devenir institutrice, métier qu’elle exerce aujourd’hui à Bondy.

Elle enseigne aussi la boxe éducative aux enfants de son école.

Je ne sais pas si Girl Fight est le récit d’une rédemption, ou d’une réinsertion sociale. Ce sont des termes qui, à mon sens, donnent un rôle un peu trop flatteur à la société qui par ses institutions ne se donne guère le soucis – autrement que formellement – d’amender et de réinsérer les condamnés. Je vois plutôt dans ce récit de vie, le récit d’une mutation, d’une éclosion, d’une émancipation, et aussi une déclaration d’amour et d’amitiés pour ses semblables rencontrées en prison, et pour tous ceux ou celles – professeurs, entraineurs de boxe, amies – qui l’ont aidé à s’inventer son propre destin.

Girl Fight est une leçon de vie, qui ne se borne donc heureusement pas à prévenir les prédélinquants des dangers de la prison. C’est aussi une histoire d’amour et d’amitié pour ses compagnes de prison, et pour les autres femmes qui croisent la vie d’Audrey. Et enfin, le récit d’une libération, d’une évasion, par les chemins de traverses de la boxe et de la poésie des voies toutes tracées de la délinquance et de la répression.

Tandis que j’écris la fin de cet article, je reconnais sortant de la radio une voix digne de celle d’Audrey, la voix de Chavela Vargas chantant « No velvere ».

https://www.youtube.com/watch?v=qOL6WRtOWPc&index=1&list=RDqOL6WRtOWPc

Une bande son pleine d’à-propos !

Boxing Gym, De Frederic Wiseman, 2011

Boxing Gym Documentaire portrait w193h257

Magnifique documentaire sur le quotidien d’une sale de Boxe d’Austin au Texas, où se côtoient des gens très différents, tous âges et sexes confondus. Wiseman ne filme pas des champions mais des gens de tous les jours. Il parle aussi de manière très fine du rapport à la violence (celle hors champ, de l’Amérique et celle ritualisée, de la salle). La bande son ultrarythmée composée à partir des sons de la salle est digne des meilleures compositions pour percussion d'un Steve Reich.

Ce soir, j’ai saigné du nez

C’est le ramadan. Le cours est déserté. Au soutien scolaire, seuls Zacharia et Mouloud étaient présents. Ils étaient physiquement là, mais pas vraiment capables de se concentrer. Mouloud a quitté le cours pour demander à Saïd dans son bureau, au nom de la solidarité entre musulman de le libérer de ses devoirs. J’ai trouvé assez déloyal ce procédé, mais considérant leur fatigue, je ne les ai fait travailler qu’une cinquantaine de minutes.

Ensuite, je les ai libéré. Zacharia a entrepris d’apprendre à Mouloud à jouer aux échecs. Ils ont commencé une partie, que Mouloud a abandonné, dépité de ne pas parvenir à comprendre le déplacement des pièces, et de s’entendre dire « ah, non, ça tu n’as pas le droit. »

Il est allé bouder en bas, et j’ai fini la partie avec Zacharia.

Quand je suis entré dans le vestiaire, Hervé s’y tenait, seul, assis sur le banc dans la pénombre, éclairé en contre-jour par la seule lumière du soupirail, face à la porte. La salle a fini par se remplir, mais nous n’étions pour finir qu’une quinzaine.

On va y aller dou-ce-ment a annoncé Ahmed. De fait, accomplir tout l’entrainement sans boire peut finir par s’avérer dangereux.

Ahmed nous a donc invité à faire trois rounds de boxe libre, tran-qui-lle-ment, de la belle boxe, les gars, des petites touches. Je me suis joint à Hervé et nous sommes montés sur le ring.

C’est au milieu du deuxième round que Hervé m’a allongé un direct sur le nez. C’est surprenant, douloureux, et comment dire ? - spongieux. J’ai soudain eu la sensation que ma boîte crânienne était comme un crabe dont on extrait la chair d’entre les alvéoles. Le coup a fait jaillir morve et larmes vers l’extérieur du corps. Puis, j’ai ressenti une sorte de sensation de noyade, d’inondation des voies nasales, et donc d’expression des humeurs internes, comme d’une éponge qu’on presse dans la boite crânienne et qui s’exprime par les orifices.

« Ça va ? » m’a demandé Hervé qui voyait bien que non, et j’ai répondu ouais, en essayant de reprendre mon souffle, et de lui faire face comme si de rien n’était pour la minute qui restait.

C’est Zoé, avec qui nous partagions le ring qui a fini par m’avertir « Stéphane, tu saignes du nez ». Cet avertissement m’a permis de reprendre pieds, de revenir de la lente noyade intérieure qui était la mienne dans les glaires, le sang, et les larmes. J’ai fais signe à Hervé que j’arrêtais, je suis sorti du ring, j’ai enlevé mes gants, et me suis rendu dans les toilettes pour enfin me moucher des doigts dans l’évier. Des gouttes de sang de tailles diverses ont étoilées la céramique blanche, formant de jolies constellations d’étoiles rubicondes. J’ai nettoyé ce ciel inversé en dispersant de l’eau dessus. Dans la boite à pharmacie, à gauche de l’évier, j’ai trouvé du coton, que je me suis fourré dans le nez avant de retrouver Hervé pour le troisième round.

Je n’ai rien à dire concernant ce dernier round, si ce n’est que je ne suis pas parvenu à rendre à Hervé, qui se méfiait, la monnaie de sa pièce. Mon coton est tombé à la fin, et je l’ai utilisé pour nettoyer les taches de sang qui maculaient le revêtement plastique du ring.

Khanemy qui observait la scène de loin m’a, à nouveau montré comment mon poing droit devait monter haut devant mon visage. « En un an de boxe à Kaboul, avec cette garde comme ça, jamais j’ai reçu un coup dans le nez » a-t-il insisté.

J’ai opiné, l’air fâché.

Fâché, je t’étais contre moi-même, car je savais que Khameny a évidemment raison.

Mais plus au fond de moi, je n’étais pas si mécontent de l’avoir reçu ce coup sur le nez. Il validait quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas bien. Dans son interview, A*** dit : « les bleus, les cocards, c’est le salaire. Ça prouve que tu as travaillé. Je suis fière d’avoir la trace des coups sur mon visage. ». C’est sans doute un sentiment semblable qui m’agite, et me rend secrètement à la fois honteux de n’avoir pas esquivé et fier d’avoir encaissé.

Aussi, ce jour-là, deuxième jour de ramadan, Ahmed nous a fait travailler tran-qui-le-ment, et la fatigue de mes camarades musulmans les mettait à mon niveau, ce dont je n’était pas mécontent, non plus.

Avec Hervé, en sortant du cours, et en regardant les étals couverts de plats de ramadan, nous nous sommes dit : ah, les fêtes religieuses des autres, c’est toujours bien.

Chaque coup est destructeur

À la fin du cours, Frankie réclame notre attention.

« Ma femme, Sarah, vous savez elle est championne internationale. Bon, il y a des années, elle rencontre une boxeuse, une norvégienne. C’était pendant une compétition. Elles ont sympathisé. La norvégienne, c’était une belle femme. Une norvégienne quoi. Bon, un morceau aussi la norvégienne. Elle boxait dans la catégorie des 75kg. Championne du monde. Un jour, pendant un combat, elle a reçu un uppercut. Un uppercut bien placé, au menton. Mais pas un coup de taureau, non plus. Des coups comme ça elle en avait reçu des tas. Et là, elle tombe raide. Et elle est restée hémiplégique.

Ce que je vous dis, c’est pour que vous compreniez. Chaque coup que vous recevez, il est destructeur. Chaque coup entraine des micros lésions au cerveau. Et les lésions, elles s’accumulent. La norvégienne, elle avait juste reçu trop de coup et l’uppercut c’était le coup de trop.

Moi, j’ai arrêté la compet tôt. C’est que je marque facilement. À chaque coup, un bleu. Mes arcades sourcilières, elles pétaient tout le temps. Donc, je voyais bien visiblement comment ça impacte les coups. Mais il y a des gars, ici ou ailleurs, ils encaissent, ils encaissent, et sont fiers d’encaisser. Ils ont l’impression que les coups ça leur fait rien.

Ben non. À chaque coup sur la tête, vous perdez des neurones. J’ai mis un article sur ce sujet au tableau d’affichage. Personne le lit. Alors je vous dis ce qu’il y a dedans. Un coup de tête au foot, vous perdez des neurones. C’est comme ça. Personne n’y échappe. C’est pour ça que je vous dis : Esquivez. Essayez de prendre le moins de coups possible. Si vous en prenez aucun, c’est très bien. C’est pas toujours possible, mais c’est mieux.

Bon, voilà, je vous dis pas ça pour vous faire peur. Je vous dis ça pour que vous sachiez.

Bonne soirée les gars. »

Clint Eastwood - Million Dollar Baby

Nous avons projeté le film aux jeunes qui suivent les cours de soutien scolaire au Boxing Beats.

Le deal c’était : « Comme c’est le ramadan et que c’est la canicule, on ne vous assomme pas avec vos devoirs scolaires. On regarde tranquillement un film ensemble. Mais en anglais, pour vous habituer à la langue… »

Voilà une initiative qu’elle était pédagogique !

Je me souvenais de Million Dollar Baby comme d’un grand mélo, et d’avoir pleuré à la fin déplorable de cette boxeuse devenant tétraplégique à la suite d’un combat douteux.

Cependant, je ne me souvenais pas que c’est l’ensemble du film qui trace un portrait mélancolique de la boxe.

« Le film de boxe est un sous-genre du film noir » annonce un article d’Aurélien Ferenczi au dos de la jaquette du DVD. Le noir dans le noir, une plongée dans le malheur, une accumulation de désastres sur une tête innocente, c’est le ressort majeur du mélo. Maggie, l’héroïne du film, tente longtemps de convaincre Frankie (Clint Eastwood) de devenir son coach. Le vieil entraîneur refuse longtemps. Il ne veut pas entraîner de femmes. Maggie a passé la trentaine, il faut quatre ans selon lui pour former un boxeur, sa carrière serait trop courte pour être intéressante. Par ailleurs, Frankie est dévoré par la culpabilité qu’il écluse à coup de confessions fleuves auprès de son prêtre catholique qui n‘en peut mais… Frankie est-il vraiment coupable de l’invalidité du vieux boxeur noir qui sert d’homme de ménage dans son Gym ? L’a-t-il suivi ou poussé jusqu’au match de trop, celui où le boxeur perdit l’usage d’un de ses yeux ? Que s’est-il passé avec la fille de Frankie pour que celle-ci refuse de répondre aux lettres que le vieil homme lui écrit, et qui lui reviennent invariablement sans avoir été ouvertes ?

L’homme est mauvais. La cause est entendue pour Frankie l’entraîneur comme pour Clint Eastwood le réalisateur. Les exemples abondent dans le film pour le prouver. Le jeune boxeur que Frankie a mis des années à former, l’abandonne à la veille de devenir champion du monde. Les boxeurs noirs expérimentés du club n’hésitent pas à massacrer à coup de poings les novices blancs.

La vie de Maggie est marquée par la misère de ses origines sociales. Elle travaille comme serveuse dans un restaurant qui prépare des tartes au citron avec des ingrédients en boîte marquée « home-made lemon pie ». L’argent qu’elle gagne dans ce boui-boui lui permet de payer son équipement et ses cours au gym.

A force de pugnacité, elle parvient à convaincre Frankie de l’entraîner. Quand elle commence à gagner des combats, ses gains lui permettent de réaliser son rêve : offrir une maison à sa mère. Mais celle-ci est une agressive obèse flanquée d’une fille idiote et d’un fils en taule, dont les premiers mots sont de reprocher à Maggie le cadeau de cette maison qui risque de lui faire perdre ses allocations.

Ce qui sauve Maggie, c’est son « fighting spirit ». Sa ténacité. Son abnégation. Son goût du combat. Elle est une combattante née, voilà qui ne souffre aucun doute. Le relief que prend cette vie, son exceptionnalité par rapport à toutes les vies de boxeur, réside dans le « e » de combattante. Maggie est une femme dont le combat ne se mène pas dans les obscures tranchées de la vie salariée ou domestique, mais sous les sunlights des rings.

Si j’abuse des anglicismes dans cette note, c’est que le film est empreint de cette culture irlandaise, noire, américaine de la boxe, et du goût du combat comme vertu cardinale. Tout ce qui reste à Maggie quand il ne lui reste plus rien, c’est le goût de se battre. Sa vie, comme sa carrière, comme ses combats, sera courte. Maggie a la spécialité de descendre des adversaires en moins d’un round. Le dernier combat de Maggie sera contre son entraîneur. Elle forcera Frankie à boire le calice jusqu’à la lie, et l’obligera à débrancher le respirateur qui la maintient en vie, et de lui injecter une dose massive et fatale d’adrénaline dans son cathéter.

Elle renvoie ainsi Frankie à son éternelle contradiction entre son désir d’amener ses boxeurs au plus haut niveau et celui de les protéger.

Comment conserver au combat sur le ring l’épithète paradoxale de « noble » art ? Le coup qui terrasse Maggie et occasionne sa fracture des cervicales, est porté alors qu’elle a baissé sa garde, après le gong, alors qu’elle tourne dos à son adversaire. C’est un coup ignoble. Mais Frankie n’a-t-il pas donné comme conseil à Maggie quelques minutes plus tôt de profiter de ce que son corps fasse écran à l’arbitre pour marteler le nerf sciatique de son adversaire, qui n’est évidemment pas une zone de frappe autorisée ?

« Ah, ça c’est une question sans fin… » Commente Francky, - le nôtre d’entraîneur- au Boxing Beats qui suit le film du coin de l’œil.

Seul le combat est beau, donc. La seule chose qui sauve l’homme c’est son esprit de combat, sa rage de vivre, et c’est aussi ce qui le tue. Il en est ainsi d’Achille comme de Maggie. C’est une immense qualité du cinéma américain, du film de boxe, et des films de Eastwood en général, de faire de gens très ordinaires des héros.

Mamadou, un jeune boxeur, suit la tragédie de Maggie, atterré. Il me murmure : « Elle ne va pas mourir ? Elle va guérir ? ». Évidemment, elle meurt, tuée par Frankie dans un ultime geste d’amour pour sa boxeuse. Car une vie sans combat ne vaut pas la peine d’être vécue.

Je ne sais pas si c’est très pédagogique comme morale, mais…

combat Julien Frégé 17 janvier 2015

Contribution de Corine à la réunion du Cercle du 24 janvier 2016

Thème de la réunion : dans la Boxe, qu'est ce qui vous a frappé ?

 

Mettre son début séquence

Samedi 17 janvier 2015 – Huitièmes de finale des championnats pré-nationaux de boxe anglaise – Complexe sportif Jean Jaurès – 30 rue Jean-Jacques Rousseau - Argenteuil

Speaker fait l’annonce du combat

Ce jour-là, par un bel après-midi d’hiver froid et ensoleillé, j’ai pris le métro jusqu’à Saint-Lazare, le train jusqu’à Argenteuil, le bus n°9 jusqu’à l’arrêt Lycée Jean Jaurès. J’allais voir combattre Julien Frégé et Lounes Maouchi du Boxing Beats d’Aubervilliers.

J’ai demandé mon chemin plusieurs fois avant de trouver le Complexe Sportif Jean Jaurès.

J’arrive à 15h.

Je paye 5 euros à l’entrée, le vigile m’applique un tampon invisible sur le dos de la main.

Je rentre dans un gymnase où deux rings ont été dressés. Deux rangées de sièges en plastique sur un des grands côtés de la salle pour les spectateurs.

Déjà beaucoup de monde, les combats ont commencé.

Je ne trouve pas le tableau de l’ordre de passage des boxeurs. Un monsieur me dit qu’il est dans la salle d’à côté. Je ressors dans le hall, pour accéder au gymnase contigu qui sert de vestiaire et de salle d’échauffement.

Je trouve le tableau, je regarde sur quel ring vont combattre Julien et Lounes. Ring B. Ils ne sont pas encore passés. Je prends le tableau en photo, c’est plus pratique pour le consulter.

Je ressors, le vigile éclaire le dos de ma main, le tampon apparaît, je peux rentrer dans la salle.

Je prends un café et une part de gâteau fait maison à la buvette tenue par les bénévoles du club d’Argenteuil, je trouve une place au premier rang de chaises devant le ring B derrière les barrières de sécurité. Je m’installe.

Début première reprise

Voix de Mayli Nicar

Voix de Sounil et Said

Julien Frégé contre Dylan Coquillat du Ring Giennois. Moins de 60kg.

« allez Julien, allez »

« allez Julien, regarde, regarde, allez Julien »

« allez Julien, garde la tête haute »

« allez Julien, pas de précipitation »

« allez Julien, sors d’ici, allez »

« c’est le moment d’accélérer »

« allez Julie, c’est bien, bouge, bouge »

« allez Julien, le laisse pas récupérer, allez »

« allez Julien, regarde-le, regarde-le, regarde-le »

« encore, allez Julien, allez »

« le laisse pas t’approcher, fais-lui peur, allez Julien »

« allez Julien, reviens »

« allez Julien, contact, contact, allez bouge »

contibution d'Elodie

Contribution d'Elodie à la réunion du Cercle du 24 janvier 2016

Thème de la réunion : dans la Boxe, qu'est ce qui vous a frappé ?

 

J’ai pas mal été sur internet, et à un moment je suis tombée sur une thèse de doctorat pour l’obtention du grade de docteur de l’Université de Picardie, Spécialité Sciences de l’Education, présentée par Michel Calmet. Et dans cette thèse, il a résumé en 380 pages, des Jorescam. Qui sont des « journées de recherche et de réflexion sur les sports de combat et arts martiaux ». Il a résumé les Jorescam de 91 à 2000. Il se spécialise plutôt par rapport au judo, parce qu’il se pose la question : est-ce qu’on peut enseigner les sports de combat en milieu scolaire ou pas ? (le texte complet est consultable ici) Mais il parle aussi de Boxe Anglaise. Et il y a des petits passages que j’avais envie de lire…

 

Cercle 24 janvier 16 9.2

p24 avec un schéma :« LES AJUSTEMENTS POSTURAUX, Yves GAHERY/ CNRS, Laboratoire de Neurosciences Fonctionnelles 31, chemin J. Aiguier, 13009 Marseille

Les ajustements posturaux précoces liés aux mouvements des membres, dont l'existence était pressentie depuis très longtemps, n'ont fait que récemment l'objet d'analyses expérimentales. Leurs implications dans notre compréhension des mécanismes de la commande motrice (Gahéry et Massion, 1981) et leurs répercussions potentielles sur les méthodes visant à améliorer les performances commencent seulement à être prises en compte et restent encore largement à exploiter.

Ces ajustements se situent chronologiquement entre d'une part les préparations posturales, clairement mises en place avant le mouvement lui-même et les réactions posturales d'autre part, d'origine réflexe et dues aux conséquences du mouvement considéré (Gahéry, 1987). Ils ont été mis en évidence principalement par l'enregistrement électromyographique de muscles non directement impliqués dans le mouvement et sont caractérisés en particulier par leur précocité: dans le cas d'un mouvement des bras, environ 70 ms séparent en effet l'inhibition de muscles posturaux (biceps femoris contralatéral) de l'activation des muscles directement responsables du mouvement. Les ajustements posturaux sont donc programmés centralement, parallèlement au mouvement. Ils sont cependant éminemment adaptables: ils dépendent à la fois de la situation posturale et des caractéristiques du mouvement. Ils sont en effet d'autant plus marqués, en intensité et en durée, que la force et la vitesse du mouvement doivent être importantes. Ils sont par contre atténués lorsque l'équilibre du sujet est assure.

Ces propriétés permettent de prêter essentiellement une double signification fonctionnelle à ces phénomènes posturaux. Ils auraient pour rôles d'une part la prévention du déséquilibre qui, en leur absence, serait provoqué par le mouvement et d'autre part l'accroissement d'efficacité du mouvement qu'ils accompagnent. »

 p 93 « Boxe et lésions chroniques du cerveau. Georges FEREZ, Didier ROUGEMONT et Emmanuel CABANIS/ Association Médecine Boxe, 122 rue Lamarck, 75018 Paris.

La pratique de la boxe de compétition peut-elle être génératrice de lésions cérébrales chroniques ? L'étude porte sur 52 boxeurs ayant subi un examen neurologique clinique et une IRM. 39 professionnels et 13 amateurs, la plupart de niveau national et international. Les résultats de l'étude montrent sur le plan clinique, 2 syndromes cérébelleux (3,8%), 5 syndromes parkinsoniens (9,6%), 5 troubles de la mémoire (9,6%), 5 détériorations intellectuelles et en IRM, 9 atrophies cérébrales (17,3%).

L'étiologie de ces différentes lésions neurologiques plus ou moins associées entre elles est précisée par l'analyse des carrières : ce sont les facteurs de risque de lésions cérébrales chroniques des boxeurs.

1) facteur lié au style du boxeur ("les encaisseurs"),

2) entraînements trop durs,

3) carrières trop longues ( > 12 ans), 4) âge avancé ( > 30 ans),

5) les "come - back",

6) les combats inégaux ( + + + + + ),

7) boxeur sonné pendant le match et finissant le combat sans être mis KO, 8) combats "durs" les uns à la suite des autres,

9) repos cérébral insuffisant entre les combats durs,

10) boxeur insuffisamment préparé physiquement ou techniquement, 11) nombre élevé de combats dans le jeune âge,

12) nombre élevé de défaites.

La réalité des lésions cérébrales chroniques pour certains boxeurs est indiscutable. La prévention reste possible à condition de vaincre deux obstacles majeurs, celui de l'incompétence et celui de l'immoralité. »

Là je crois qu’ils parlent surtout par rapport à la Boxe professionnelle.

Indices préparatoires et comportementaux et temps de réaction en Boxe Anglaise p31 : « Au cours d'un combat de percussion, un pugiliste sur la défensive doit, en fonction du comportement de son adversaire, décider très rapidement quelle action entreprendre pour éviter, dévier ou stopper le poing ou le pied lancé par l'adversaire. Le temps qui lui est accordé pour, planifier et réaliser sa réponse, une fois le coup parti, dépend de la distance qui le sépare de son adversaire, ainsi que de la vitesse du projectile qui tente de l'atteindre. Dans le cas de la boxe anglaise, notre étude chrono-photographique nous indique que les trois attaques fondamentales de cette activité (direct, crochet et uppercut) ont des temps de mouvement d'environ 280 ms. »

SurLe contrôle des mouvements et le conflit vitesse-précisionp50 : « On comprend bien alors le dilemme du boxeur : fonctionner en boucle ouverte avec des mouvements très rapides mais dont la précision n'est pas optimale, ou fonctionner en boucle fermée avec des mouvements très précis mais dont la lenteur diminue la pression temporelle qui contraint l'adversaire à s'adapter rapidement. Le plus important, au cours d'un combat de percussion, étant de prendre l'adversaire de vitesse, on peut formuler le principe tactique suivant :

Les mouvements d'attaques doivent être exécutés avec la rapidité maximale de façon à minimiser le temps accordé à l'adversaire pour traiter les informations et exécuter sa parade. La précision du mouvement dépend donc essentiellement de la spécification proactive des paramètres du mouvement. »

 

On écoute un enregistrement de combat de boxe.

Je voulais écouter, parce que moi, j’ai du mal à voir les combats. Quand je t’ai vu combattre Julien, j’étais très très mal, en fait. Même si j’ai énormément de respect, mais j’ai du mal à voir des combats. Je regarde comme ça (geste de mettre la main devant les yeux et d'entrouvrir les doigts pour voir). Et l’ambiance des combats m’émeut beaucoup en fait. Alors j’avais envie, juste en écoutant ensemble, après quelques extraits de textes très théoriques et même drôles, parce qu'ils ont des mots tellement scientifiques qu’ils en deviennent poétiques. Mais les combats, même en écoutant ça me fait quelque chose.

Contribution d'Agnès

Contribution d'Agnès à la réunion du Cercle du 24 janvier 2016

Thème de la réunion : dans la Boxe, qu'est ce qui vous a frappé ?

J'ai été :

touchée

par leur accueil, alors que nous étions un peu comme des corps étrangers à leur salle et à leur groupe, comme s'il leur était naturel d'ouvrir leur lieu à des observateurs et des observatrices;

par l'esprit de famille qui règne dans la salle;

par les plus expérimentés qui cornaquent les plus débutants;

par leur concentration personnelle et l'attention que les plus avancés peuvent avoir pour les autres (montrer un geste, donner une indication).

frappée

par leur obéissance aux consignes, ce qui m'a d'abord dérangée; puis j'ai eu l'impression qu'ils avaient déjà compris et intégré l'intérêt de cette obéissance et que donc elle se transformait en respect de la consigne et qu'elle était le signe d'une maturité de leur part et non plus d'une soumission.

impressionnée

par leur résistance à la douleur physique, par leur volonté, par leur capacité à aller toujours un peu plus loin, donc par leur mental, notamment pendant la séance mémorable de gainage;

par le naturel avec lequel ils se prêtaient à l'épreuve physique. Le terme de « discipline sportive » a résonné avec toute sa polysémie!

choquée

par les méthodes autoritaires de Sounil.

attendrie

par les efforts du jeune garçon qui se faisait rudoyer par lui et qui recommençait, recommençait, sans y arriver, et toujours en se faisant bousculer par Sounil.

amusée

par l'humour un peu vache de Saïd, qui les torturait avec délectation et second degré au moment du gainage.

réjouie

par la diversité des morphologies, des origines, par la mixité de l'entraînement, par la beauté de certains gestes et de certains corps.

contribution de Yasmine

Contribution de Yasmine à la réunion du Cercle du 24 janvier 2016

Thème de la réunion : dans la Boxe, qu'est ce qui vous a frappé ?

 

Moi, la Boxe, je l’ai découverte assez jeune, j’avais un papa qui boxait en amateur. Du coup je devais avoir 4 ans quand j’ai atterri la première fois dans un gymnase rempli de gens. Et j’ai vraiment une mémoire très sonore de ce lieu-là, et à partir de là, moi je n’ai pas boxé du tout, j’ai dansé.

Il y a deux ans, m’est revenue cette chose très sonore, et puis les rencontres de différentes figures soit de Boxe au cinéma, ou en danse aussi, plusieurs figures m’ont touchée qui avaient pu traiter de cette question-là, même dans les années 30.

Et je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose qui m’a traversée et je me suis dit « et si… », « et si je me saisissais de cette matière-là pour faire quelque chose ?». Donc j’ai œuvré à ce projet pendant plusieurs mois. J’ai joué une fois cette pièce, et depuis le projet flotte quelque part.

Et puis j’ai rencontré quelques uns du cercle, et j’avais envie de me remettre à la pratique de la Boxe pour comprendre de l’intérieur.

Alors je me suis inscrite en octobre au Boxing Beats pour reprendre la pratique, l'apprentissage de la boxe. Comme une façon de rester connectée à un imaginaire et venir augmenter, déployer la suite de mon travail chorégraphique.

Mais je me suis dit « ok. Je reste dans la pratique, et ça m’active un imaginaire, et cet imaginaire.. » A partir de là, Yasmine fait tourner une corde à sauter, qui fait le même bruit et rythme rapide que lorsque les boxeurs sautent à la corde à l’entraînement.


Et puis – j’ai pas vu le match de Julien, ni les autres matchs avec les copains – mais j’ai vu un championnat de France en mars 2014, avec le premier match d’un boxeur que je suivais à Lyon. Et là pour le coup, j’ai été saisie par l’ambiance de la salle qu’on a déjà entendue tout à l’heure, le public qui crie « tue-le ! » et je me disais « mais qu’est-ce qu’ils ont ces gens ? ». Et en même temps ce gars, Christian, qui faisait son premier match. Albanais, qui débarquait et qui était soutenu par son club de Boxe (ils se sont démenés pour lui trouver des papiers, un poste, un appart, il y avait tout un contexte social..). Et c’était quelqu’un de très doux.

Ce qui me fascinait c’est : tout est très sonore, son coach à côté de lui, lui insuffle un encouragement de manière très douce, au bord du ring. Le gars, tu sens qu’il n’est connecté qu’à lui. Je trouvais que la relation était très belle. Avec sa rage à lui et ce monde qui gueule de partout, et lui qui dit tout doucement « vas-y, avance, non, te jettes pas, te jettes pas… ». Un truc très fin. Et à la dernière minute de récupération, le gars s’écroule, « non je veux pas me battre, j’en peux plus.. », et l’autre qui le remonte en 50 secondes « tu vas pas lâcher… » Il y avait une espèce de balance entre le type qui est à fond pendant 3 minutes, et qui envoie bam bam boum, et de l’autre côté il arrive et il s’écroule complètement, et son coach qui le remonte, je te remets au milieu et tu y vas. C’était assez joli.

Et dernière chose, mais c’est plus de l’anecdote par rapport aux choses qui se passent dans la salle à côté. Il y a par exemple l’apprentissage de la corde à sauter qui est en cours, mais de manière précise parce que je sens bien qu’il y a un mouvement à trouver. Il y a une espèce de rapidité dans les jambes. Quand je vois les gars qui y arrivent hyper-bien, il y a un truc (elle commence à sauter à la corde), une espèce de coordination à trouver, alors que je sens que là, je fais le cheval. Alors que quand je regard les boxeurs sauter ou sur des vidéos, ils sont hyper détendus, ça ressemble plus pour moi à une danse folk. Du coup c’est encore en cours…

Cercle 24 janvier 16 4.2

Corps et âme : carnets ethnologiques d’un apprenti boxeur, 2000

de Loïc Wacquant, Ediions Agone.   

corpsetâmeA la fin des années 80, une enquête ethnographique sur les quartiers noirs de Chicago a mené Loïc Wacquant dans la salle de boxe des Woodlawn Boys Club et s’est transformée en épreuve initiatique. L’auteur a payé de sa personne, il a subi les phases successives de l’apprentissage de la Boxe jusqu’au combat final d’un tournoi amateur. Pendant trois ans, seul blanc parmi les noirs, il participe aux entraînements aux cotés des amateurs et des professionnels. Les notes consignées au jour le jour dans son carnet de terrain ont fourni la matière d'un livre savant qui se lit comme un roman  et qui marie analyse sociologique, observation rigoureuse des codes et des rites, et ferveur de l'engagement charnel (il parle d’une expérience de « sociologie charnelle »). Au-delà de l’aventure personnelle, il démontre que l’expérience d’immersion est une condition nécessaire à la compréhension de l’art pugilistique, car il y a des  « mouvements du corps qui ne peuvent s’appréhender qu’en acte ». Dévoré par son sujet d’étude, il envisagera même de renoncer à sa carrière universitaire pour passer professionnel chez les poids plume.
C’est un livre sous l’influence de Bourdieu qui étudie le déterminisme social de classe et d’ethnie des boxeurs de ce club de quartier et décrit la salle de boxe comme un territoire exclusivement masculin, dans lequel se construit une masculinité « virile »  (à l’époque il n’y avait pas encore de femmes dans les salles de boxe, ça a changé depuis)
.

Loïc Wacquant est professeur de sociologie à l’université de Californie à Berkeley et chercheur au Centre de sociologie européenne du Collège de France. Il a publié des essais sur la misère sociale ou la vie carcérale.


 

P 100 : « Tout en me séchant le corps avec la serviette, je laisse tomber : « Tiens Dee Dee, vous savez pas ce que j’ai trouvé l’autre jour ? Un livre intitulé « l’entrainement complet du boxeur » qui montre tous les mouvements et les exercices de base de la boxe. Est-ce que ça vaut la peine de le lire pour apprendre les rudiments ?

Dee Dee fait une moue dégoûtée : « On n’apprend pas à boxer dans les livres. On apprend à boxer en salle. »

P116 : « Pour comprendre ce qu’on doit faire, on regarde les autres boxer, mais on ne voit véritablement ce qu’ils font que si l’on a déjà compris avec les yeux, c’est à dire avec son corps. »

P 249 :« Devenir boxeur, se préparer pour un combat, c’est comme entrer en religion. Sacrifice ! le mot revient sans cesse dans la bouche du vieux coach Dee Dee. »

P252 :« Bouge ta tête, bon sang ! c’est pas un sac que tu as en face de toi, Louie, c’est un homme ! gronde la voix de Dee Dee. « Combien de fois il faut que je te dise qu’il te faut penser. Penser ! C’est avec sa tête qu’on boxe. » et pourtant chacun sait intimement pour en avoir souffert dans sa chair qu’on a guère le temps de prendre du recul sur le ring où tout se joue aux réflexes, en quelques fractions de secondes. C’est la tête est dans le corps, et le corps dans la tête. Boxer, c’est un peu comme jouer aux échecs avec ses tripes. »


P 206 : « Je sais ce que ça demande de monter sur le ring, et chaque fois que je suis passé entre les cordes, j’avais peur, chaque fois que je suis monté sur le ring, j’avais peur. Personne le savait que moi, c’est une chose que tu gardes secrète tout au fond de toi, et c’est comme ça que j’étais ; (…) Après mon footing le matin, je rentre chez moi, je regarde une chaine sur le câble, je sors pas de la pièce. Je me mets à manger de petites portions, parce que moi, je suis nerveux, j’ai l’estomac tout noué, et j’essaye de… généralement, après la pesée, je me sens mieux. ( …) L’après-midi du combat, j’ai jamais dormi, oh non non. Les mecs, avant le combat, ils dorment pas, ils sont allongés au repos, mais ils sont bouffés de trac (full of butterflies) tous ces boxeurs, même Ali, il l’a reconnu, il avait peur quand il combattait et j’aime ça moi : si t’as pas peur, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Chaque fois que je suis monté sur le ring, j’avais peur. »

P 219 : « Je me sens bien, surtout t’es sur le ring et que les gens crient ton nom et tout, c’est presque comme de se shooter à la came. Et, heu, d’être sur le ring pour moi c’est comme d’être un acteur, comme d’être sur une scène de théâtre : tu donnes un spectacle pour ton public et c’est comme ça que j’ai toujours combattu. Il faut toujours que je montre quelque chose à mon public, tu vois, pour prouver que je suis un bon boxeur, et c’est pour moi une seconde nature : je me sens à l’aise entre les cordes. Je connais beaucoup de gars, c’est pas ça pour eux, mais pour moi, c’est du fun (…)

La réaction de la foule, c’est ça qui te charge à bloc, je veux dire, c’est la seule chose qui fait que ça vaut la peine. T’as plein de gens qui te diront l’argent, mais, tu vois, même quand ces mecs se font des centaines de milliers ; il leur manque les feux de la rampe (the limelight). Regarde Sugar Ray, Leonard, Larry Holmes, et les autres. Tous ces mecs ils sont casés à vie, mais ça leur manque, c’est comme un High, c’est pour ça que t’as tant de boxeurs qui font leur come-back (…)

Après un combat, si t’as gagné, c’est comme un grand soulagement, une grande satisfaction. Si t’as perdu, c’est le plongeon parce que tes copains sont après toi, tu l’entends dans leur voix, tu vois, comme quoi, tu les as déçu. Et toi, moi, je me sens mal vraiment mal quand je perds, je me sens mal toute la semaine. C’est comme je crois que je préfère me faire mettre KO que de perdre un match aux points. Je déteste perdre, je déteste quand tu vas au milieu du ring et l’arbitre lève la main de l’autre mec. Je sais ça de toute ma force.

Avoir du fun c’est excitant : tu sais jamais ce qui va se passer sur le ring et ça, j’adore ça. Je déteste m’ennuyer avec la même chose tout le temps. Et avec la boxe, à chaque fois – je pourrais mettre les gants dix fois et dix fois ce sera un combat différent. Et heu, c’est ça que j’aime dans la boxe : c’est toujours l ‘imprévu qui se passe. C’est comme Buster Douglas et Tyson : personne pensait que Buster Douglas allait battre Tyson. Et il était donné battu à cinquante contre un. Mais il a gagné (…) Surtout chez les poids lourds, tu sais jamais qui va faire mouche avec un coup dévastateur. Le mec pourrait te l’envoyer, tu pourrais lui envoyer toi et tout est fini, en une seconde, et toute cette excitation qui monte, ça donne un rush, c’est comme… Wow c’est ça que je veux : un peu de danger. »

P 264 : « Je suis décidé et rageur. Cus d’Amato, le légendaire entraineur « inventeur » de Mike Tyson ne disait-il pas que « la boxe est un sport de self control. Tu dois comprendre la peur afin de la maitriser. La peur c’est comme le feu. Tu peux la mettre à ton service. » »

 

Cour de récréation

« Il y a une fille à l’école, elle me traitait comme sa chienne. Elle me volait mon manteau et le jetait dans les flaques d’eau » nous confie une jeune boxeuse.

Cette confidence ramène à ma mémoire un souvenir enfoui. J’étais au lycée Charlemagne, établissement d’élite, paraît-il, de la république. En cinquième. Dans la cour de récréation. Un garçon – j’ai oublié son nom – avait saisi la poignée du cartable que je portais dans mon dos. Il s’amusait à me faire tourner autour de lui, comme un avion sur un manège. Je trouvais le jeu curieux, mais amusant, voire grisant. Soudain, il lâcha la prise et, emporté par la force centrifuge, je m’écroulai au sol. Le garçon saisit à nouveau en riant la poignée du cartable et recommença le même jeu. Je supposai qu’il m’avait lâché la première fois par inadvertance et me prêtai à nouveau au jeu. Il lâcha à nouveau sa prise, alors que mon orbe passait à proximité d’un arbre, contre lequel je m’écrasai donc. J’étais sonné quand il saisit à nouveau la poignée de mon cartable, et c’est en entendant mes camarades protester « Allez, laisse-le » que je compris que ce n’était pas un jeu.

Ils avaient assisté jusqu’ici à la scène en riant, comme à un bon spectacle où Guignol se fait bâtonner par le gendarme, ou comme les spectateurs d’un combat de boxe, excités mais un peu gênés par l ‘inégalité du combat.

« La violence, c’est quand l’agression est répétée. La violence, ça insiste» m’a dit Saïd, le coach du Boxing Beats, alors que je l’interrogeais sur ce qu’il définissait pour sa part comme violent.

Je me demande si une violence dont on n’est pas conscient est une violence. Ou si les agressions les plus violentes ne sont pas précisément celles dont on n’est pas conscient.

Dans la même cour de récréation où s’ébattaient les futures élites de la France, sans doute au pouvoir de nos jours, un de mes camarades se planta devant moi, un jour, l’air faraud :

  • « J’ai vu ta sœur l’autre jour »
  • -« Ah bon ? » répondis-je, étonné qu’il connaisse ma sœur, de dix ans plus âgée que moi, et qui avait été virée du système scolaire depuis belle lurette.
  • « Ouais, je l’ai vue rue Saint Gilles. » Au nom de cette rue, l’assemblée des futurs décideurs s’esclaffa.
  • « Rue Saint Gilles ? » Je ne comprenais pas bien l’insistance qu’il mettait à préciser ce lieu. Pour moi, la rue Saint Gilles c’était la rue de la synagogue, et aussi le trottoir où tapinaient trois vieilles prostituées.
  • -« J’ai vu ta sœur, elle tapinait rue Saint Gilles. »
  • « Ah bon ? Tu as dû confondre. »

A l’évidence notre dialogue n’avançait pas beaucoup. Il cherchait à m’insulter. À m’embarquer probablement dans une bagarre. Mais j’étais à mille lieues de sentir l’aiguillon. D’abord parce que ma sœur n’avait aucune chance de descendre des squats autonomes de Belleville où elle préparait l’insurrection à venir, et d’autre part parce que, dans mon éducation, il avait été glissé que la prostitution n’était pas une activité si honteuse que semblait le croire mon camarade. S’il m’avait dit : « J'ai vu ta sœur, elle sortait des bureaux des RG à la préfecture de police » il aurait eu beaucoup plus de succès dans sa provocation.

En écrivant ces lignes, je réalise que je me suis mieux sorti de cette agression que de la précédente. Peut-être parce que j’étais plus à l’aise dans le domaine du symbolique que du corporel.

Je ne sais pas.

Je me demande aussi ce qui me valait ces agressions de la part de ces garçons on ne peut plus normaux. Je me dis que le fait d’avoir des cheveux longs et un corps plutôt gracile me faisait identifier, dans cette cour de collège uniformément masculine, à une fille. Donc à une victime naturelle. Peut-être aussi le fait de ne pas m’être fait de nouveaux amis en sixième ne m’aidait pas, en me laissant isolé, donc constituant une cible facile.

Les springboks sont des antilopes d’Afrique du sud. Quand un guépard rôde autour d’un troupeau, des springboks sautent en l’air, le plus haut possible. Certains bonds peuvent mesurer jusqu’à quatre mètres.

Le guépard évalue le saut. Il mesure la dépense d’énergie qu’il lui faudra pour en attraper une. Et comme il a observé que neuf courses sur dix sont vaines avec les springboks, il lâche l’affaire, et va chercher plus loin des proies plus faciles.

« Sautillez ! » nous intime régulièrement Franky durant les entraînements de boxe.

Danbé, de Aya Cissoko et Marie Desplechin

DanbéLa couverture du livre résume bien le paradoxe de ce livre, « Danbe » de Aya Cissoko et Marie Desplechin « grand prix de l’héroïne Madame Figaro » sur fond d’une photo prise depuis les hauts de Ménilmontant.

Quel héroïsme les lectrices du Figaro  saluent-elle? L’héroïsme d’une boxeuse portant les couleurs nationales au plus haut niveau ? L’héroïsme d’une intégration sociale réussie ? L’héroïsme de la mère d’Aya Cissoko qui leur a transmis cette vertu, appelée « Danbé » au Mali ?

Danbé est un mot qui signifie en gros « dignité » au Mali, d’où venait Massire, la mère d’Aya Cissoko. Les hauts de Ménilmontant dont une photo illustre la couverture, c’est là qu’Aya Cissoko a passé son enfance, gamine des rues, vêtue d’un improbable collant surmonté d’un bonnet. Elle vivait alors au 140 rue de Ménilmontant, ancienne cité idéale déchue, forteresse de misère, de précarité, d’autodestruction, mais aussi d’auto surveillance d’un lumpenprolétariat exilé là avec l’assentiment et le suffrage des lectrices du Figaro, trop contentes de savoir confinées loin d’eux les classes dangereuses dans leur jeune âge, dans des quartiers où elles auront le lot de violence, d’humiliation, d’injustice nécessaire à forger un caractère de champion.

Le livre parle peu de boxe. Aya Cissoko le dit, elle ne croit guère à l’ascenseur social que constituerait le sport. Sa carrière a été rapidement interrompue par une vertèbre brisée lors de son dernier combat : celui-là même qui lui valu son titre de championne du monde. Elle constata la reconnaissance de la Nation en constatant le peu de cas que fit d’abord la Fédération Française de Boxe, l’abandonnant seule dans un taxi avec une minerve pour tout viatique lors de son retour en France. Cette dernière pièce dans ses rapports douloureux à son pays d’accueil ne l’étonna guère, car si son livre parle peu de la boxe, il livre un témoignage aigu, terrible, révoltant sur le quotidien d’une famille ordinaire d’immigrés maliens en France dans les années 90. Aya Cissoko a un talent pugilistique certain, mais aussi un don d’observation et de conteuse non moins affirmé. Son livre décortique les mécanismes de marginalisation, de précarisation, d’invisibilisation, de destruction des populations immigrées mis en place depuis des années par l’ensemble des gouvernements français. Gouvernements, qui ne furent au reste pas tous élus par les lectrices du Figaro.

On découvre ainsi comment son père, à la suite de l’arrêt de l’immigration économique décidé sous Giscard dans les années 70, se retrouva comme des milliers d’autres maliens coincé en France, astreint à demeurer dans ce pays, de crainte de ne pouvoir s’il quittait de territoire national de ne plus jamais pouvoir y retourner. Et voilà comment une population nomade, vivant d’aller et retour entre la France et le Mali, se retrouva astreinte à demeurer en France, à y faire venir leurs familles qui n’en demandaient pas tant, par une décision politique absurde qui produisit l’effet exactement inverse de ses objectifs.

Mais la société française ne fut pas en reste sur ses gouvernements dans son art de souhaiter la malvenue à la famille d’Aya Cissoko. C’est dans un incendie volontaire de l’immeuble qui les abritait ainsi que d’autres familles africaines que moururent son père et son frère. Aya Cissoko nous rappelle alors qu’entre les années 90 et 2000, c’est quinze immeubles qui furent incendiés dans les mêmes conditions, et pour la seule année 2005, quarante neuf africains qui périrent dans ces pogroms jamais revendiqués, et dont les incendiaires ne furent jamais arrêtés. Le fond de l’indignité est atteint quand on lit dans son livre que la mère d’Aya dut batailler plus de dix ans pour faire reconnaître ses droits à une indemnisation due aux victimes d’attentats.

Aya Cissoko dresse un beau portrait de Massiré, cette mère qui lui transmit donc cette exigence de « danbé », de dignité face à l’adversité. Il faut dire que la société patriarcale malienne ne fut pas en reste dans son acharnement contre Massiré lorsque celle-ci décida de rester de rester en France après la mort tragique de son mari, et sourde aux injonctions familiales refusa de retourner au Mali. Elle voulait que ses enfants connaissent l’éducation qui lui avait été refusée à elle.

Dignité, donc, un mot abstrait mais qu’Aya Cissoko rend concret à chaque page, dans un récit de vie où ses phrases rassemblées par marie Desplechin (dont on peut lire ici un bel entretien sur l'expérience de l'écriture de ce livre) nous font percuter – comme on dit – ce qu’est la réalité de la vie d’une sorte de Gavroche féminin du 140 rue de Ménilmontant.

Dignité, c’est le troisième terme de la devise des révolutions arabes, reprise depuis lors par tous les migrants manifestant dans les rues de Paris ou de Calais : Liberté, Démocratie, Dignité.

La dignité, Massiré et sa fille n’en sont pas dépourvues. Elles l’ont démontré seules, dans leur vie et sur les rings. Pour ce qui est de la Liberté et de la Démocratie, c’est dans rue et avec d’autres qu’elle se conquerra pour tous.

 

(Il semble que Marie Desplechin aime vraiment la Boxe et les boxeurs. On peut l'écouter en ce moment sur France Culture interviewer le champion Jean-Marc Mormeck.)

 

Daniel Rondeau Boxing club

Daniel Rondeau : Bonxing Club, édition Grasset 2016


Daniel Rondeau est un habitant de cette vieille France champenoise que chantait De Gaulle dans sa retraite de Colombey-les-deux- églises. Il a milité dans ses jeunes années à la Gauche Prolétarienne, puis dirigé le service culture de Libération avant d’entrer dans la carrière (la carrière tout court comme on dit en Vieille France pour parler de la carrière diplomatique). Il semble donc un parfait exemple de cette gauche passée du col mao au Rotary Club. Les clubs, il aime bien d’ailleurs Rondeau, trop faraud qu’il était d’être reçu au Sporting Club d’Alexandrie, ou dans les salons de l’aristocratie caduque de cette ville à la dérive, comme il l’évoque dans un de ses nombreux livres consacrés à ses voyages semi-culturels et semi-mondains, salués par un prix, le prix Paul Morand, autre littérateur voyageur et nostalgique éternel de l’ancien régime. Dans son livre consacré à Alexandrie, entre deux soirées dans les salons décatis de l’aristocratie levantine, Rondeau racontait s’être rendu sur le site de la bataille de Bir-Hakeim en taxi, puis, désemparé devant les tombes abandonnées des soldats des forces françaises tombées là, s’être mis au garde à vous pour une minute de silence sous le regard dubitatif de son chauffeur fumant une cigarette à l’ombre.

Cette longue présentation de Daniel Rondeau pour dire que je fus plutôt étonné de voir Saïd, l’entraineur du Boxing Beats, me passer l’autre jour son livre, intitulé « Boxing Club » en me disant avoir rencontré son auteur lors d’une émission de radio à laquelle tous deux étaient invités.

Sur la quatrième de couverture, je découvre que Rondeau a commencé à boxer sur le tard, à cinquante-cinq ans, activité qu’il pratique assidument depuis dix ans. Et je me dis que je partage plus d’un ridicule avec lui, puisque, si je me suis gardé de la GP, de Libé, et de la carrière, j’ai frayé dans les mêmes salons alexandrins, lut la geste gaulliste sur la seconde guerre mondiale, et pratique de façon tout à fait désespérée et tardive le noble art.

J’espérais donc quelques encouragements en direction des quinquas aspirants boxeur.

Rondeau pratique la boxe avec une certaine singularité : il boxe en solitaire. Misanthrope revendiqué – l’observation de nos semblables rassemblés à la Gauche Prolétarienne, à Libération, dans les ambassades n’est pas un grand encouragement au commerce humain, apparemment – Rondeau demande à Jérôme Vilmain, entraineur au Boxing Club de Commercy de lui donner des cours particuliers de boxe, le préservant ainsi de la fatigante promiscuité de ses semblables. Rondeau trimballera par la suite son sac de frappe depuis sa grange champenoise glacée, au jardin de son ambassade à Malte en passant par le pont arrière d’un navire école de la Royale (en Vieille France, on appelle la marine nationale, La Royale).


Il faut que je cesse de pointer les aspects gentillement ridicules de Rondeau à qui un entraineur glissa un jour qu’ils mettaient les gants ensemble dans les jardins de l’ambassade de France à Malte « C’est un peu n’importe quoi, M. l’Ambassadeur », pour dire ce qui me touche dans ce livre et pourquoi il me semble pertinent d’écrire cette note à son sujet.

Ce « pourquoi », c’est simplement le titre, Boxing club, le club de Commercy dont Rondeau trace un tableau émouvant, ainsi que des portraits justes, admiratifs et saisissants de ses boxeurs et au premier cher de leur entraineur, Jérôme Vilmain.

Nous entrons dans un monde de province où les boxeurs travaillent dans les vignes ou les caves, tous employés le jour chez Moët et Chandon et bénévoles le soir. Nous découvrons une société paternaliste, considérant la dureté de la vie ouvrière comme un état des choses intangible, une France éternelle, provinciale et rassie où le seul échappatoire est le club de boxe, la fraternité qui s’y tisse et l’espoir d’un répit par les poings. Nous découvrons aussi une petite ville traversée par les mutations ultra contemporaines, et le déplacement non des villes construites à la campagne, mais des cités dans les vignes.

Tous les portraits de boxeurs dressés par Rondeau sont attachants et porteurs de paradoxes, de fêlures, de complexités prouvant que l’auteur, s’il admire leur art et leur courage, pour misanthrope qu’il prétend être les considère sans condescendance ni héroïsation, à hauteur d’homme avec qui il finit par partager beaucoup d’heures côte à côte.

Je n’évoquerai donc qu’un seul de ces portraits : celui de Mayé Cissé, l’ « Elfe noir » du Boxing Club d’Épernay, papillon dansant comme Ali, insolent comme Panama Al Brown, et incapable de s’empêcher de rire en boxant. Cet espoir de la boxe a vu sa carrière brisée lors d’une rixe à la sortie d’une boite de nuit : s’interposant entre un vigile et un type armé d’un fusil à canon scié, il reçut une décharge dans sa main qui écartait l’arme. Rondeau demande à le revoir. Cissé le reçois dans son appartement, dans la cité. Que fais-tu à présent, lui demande Rondeau ? – des petits boulots, lui répond Cissé. J’envois des CV. Je traine dans la cité. Je lis des livres. – Quels livres ? – Céline (Nord, Bagatelle pour un massacre), Franz Fanon (Les damnés de la Terre), Hitler (Mein kampf), Alexandre Dumas (les trois mousquetaires). Et Rondeau de repartir sonné –quoi qu’il n’en dise rien – par cette bibliographie menée par un jeune homme qui récuse être antisémite, et déclare que Céline a mis « son talent au service du mal », cette vie brisée par un geste d’altruisme, ce boxeur qui n’arrive pas à revenir à l’entrainement, cette errance dans les parking de la cité de rendez-vous ratés en rendez-vous ratés.

A propos de bibliographie, celle qui conclut « Boxing Club » est plutôt bien faite. Si bien faite qu’elle épouse presque exactement celle du présent site. Et son livre est émaillé de citations, que je livre ci-dessous et qui livrent un dessin en creux de ce qui fascine Rondeau comme beaucoup dans la boxe.


« la douce science des coups » Pierce Egan

« À part la boxe, tout est très ennuyeux » Mike Tyson

« Tout comme le danseur, le boxeur est en fait son corps, auquel il est totalement identifié. » Joyce Carol Oates

« J’essaye de frapper mon adversaire sur l’arête du nez parce que j’essaye de lui enfoncer l’os dans le cerveau » Mike Tyson

«  Et une défaite à la boxe, ce n’est pas comme une défaite dans un autre sport. C’est une humiliation, on vit avec pendant un certain temps, ce n’est pas comme si on pouvait se racheter le week-end d’après. » Jean-Marc Moemeck

« Je me suis fait voler une victoire à St Brieux, en 2006. J’ai découvert que le noble art pouvait aussi être le royaume de l’injustice. Alexis Vastine, mon ami et collègue s’est fait voler deux fois une victoire. Je suis rentré à la maison, la défaite en travers de la gorge. Le lundi j’avais posé une journée de congé pour récupérer. La maçonnerie, c’est dur. J’ai repris le boulot le mardi. Je me suis dit : on t’as volé, tu dois remonter sur ton cheval. Et c’est reparti. Les boxeurs ont du mal à sortir du lot. Il faut imaginer ce qu’est ma routine. , les rigueurs de l’entrainement, la peine et la souffrance après une journée de maçonnerie, les parpaings, le marteau-piqueur. Je n’ai jamais arrêté, sauf quand j’ai eu un petit passage à vide, quelques mois avant Livourne. Je n’allais plus à la salle, je bricolais chez moi. Pendant plusieurs semaines, je pensais que je décrochais. » Pour expliquer cette défaillance, Jean-Michel Hamilcaro parle de ses fantômes. « Ils vont et ils viennent. C’est à cause d’eux que j’ai failli tout quitter. Psychologiquement, je me mets à douter, à me poser des questions. À quoi bon ? Tellement d’effort pour quel résultat ? Physiquement, c’est à cause de mes fantômes que je peux me sentir brutalement fatigué. Très fatigué, alors que je suis en pleine forme. S’ils se manifestent pendant un combat, c’est la catastrophe. Ils me tétanisent dans un coin du ring, je voudrais marcher sur mon adversaire, mais je n’y arrive pas. Jérôme les connaît, j’en parle avec lui. Il m’aide à les combattre. La peur, c’est autre chose. J ‘aime avoir peur, et jouer avec mes montées d’adrénaline. » Jean-Michel Hamilcaro

« Durant ces quelques secondes qui filent comme l’éclair, où il se passe bien plus de choses que l’œil peut absorber, pour ne rien dire de ce que la conscience peut verbaliser » Joyce Carol Oates

« Quand j’étais jeune, je rêvais d’être champion. Puis je me suis aperçu que la peur ne me lâchait jamais avant un combat. Un jour j’ai appris que Mike Tyson que j’admire, avait peur aussi. Il pleurait à chaque combat. Son coach qui était plus qu’un coach, Cus d’Amato, lui a demandé : « Pourquoi tu pleures ? » - j’ai peur de perdre. Tu connais la différence entre un lâche et un héros ? Ils ont tous les deux la même peur, mais le héros va faire un pas en avant, vers sapeur, quand le lâche fera un pas en arrière. Qu’est-ce que tu veux être ? un lâche ou un héros ? »

« La boxe est la seule activité humaine dans laquelle la rage peut être transposée, sans équivoque en art. » Joyce Carol Oates

« La douleur, dans le contexte adéquat, est autre chose que la douleur. » Joyce Carol Oates

« Les écureuils sont devenus mes amis, ils couchent dans mes poches et, comme tous les amis, il faut que je les quitte » Arthur Cravan

De la boxe, de Joyce Carol Oates,1987

Oatestraduit de l'anglais par Anne Wicke, Editions Tristram, 2012.

C’est la 1ère traduction intégrale de l’essai de Joyce Carol Oates paru en 1987 en Amérique. Oates essaie avec rigueur de percer le « mystère » de sa fascination personnelle depuis l’enfance pour ce sport viril et violent. C’est une méditation profonde, nourrie par la vision des combats mais aussi par les paroles saisissantes des athlètes et l’histoire de la discipline (depuis les gladiateurs romains à Mike Tyson). Spectatrice,  Oates révèle une part de sa vie en s’efforçant de traduire une « expérience émotionnelle que les mots ne peuvent transmettre » et interrogeen même temps les passions que suscite le spectacle de la Boxe (cet étrange mélange d’engouement, de déni, et de dégoût). Avec la Boxe, il ne s’agit pas pour Oates d’un sport comme les autres mais de la vie elle-même, dans sa violence, sa cruauté et sa beauté. La Boxe est « primitive comme la naissance, la mort, l’amour physique ».

«  Aucun autre sujet n’est, pour l’écrivain, aussi intensément personnel que la Boxe. Ecrire sur la Boxe, c’est écrire sur soi-même – aussi elliptiquement et aussi involontairement que ce soit. Ecrire sur la Boxe, c’est être forcé de réfléchir non seulement à la Boxe, mais surtout aux limites de la civilisation – à ce qu’être « humain » veut dire, ou devrait vouloir dire. »

Qu’il soit adoré ou décrié, pourquoi un combat de boxe, même visionné à la télévision, ne laisse jamais indifférent ? Quelle pulsion de voyeurisme enfouie vient parfois exciter chez le spectateur, dégoûté ou exalté, le spectacle de la violence ? En ce sens, analyse Oates, la boxe pourrait presque être comparée à la pornographie, qui a suivi un développement tout aussi impressionnant en Amérique.

« Le spectacle d'êtres humains luttant l'un contre l'autre, qu'elle qu'en soit la raison, y compris à certains moments bien médiatisés, pour des sommes d'argents stupéfiantes, est excessivement perturbant, car il viole l'un des tabous de notre civilisation. De nombreux hommes et femmes, même s'ils se sont blindés contre ça, ne peuvent regarder une rencontre de boxe parce qu'ils ne peuvent s'autoriser à voir ce qu'ils sont en train de regarder. Impuissant, on se dit : Ce n’est pas possible que cela se passe ainsi, alors même que, et le plus fréquemment, c’est réellement en train de se passer ainsi. A cet égard, la boxe comme spectacle public est proche de la pornographie : dans les deux cas, il est fait du spectateur un voyeur, distancié, mais surement impliqué intimement dans un événement qui n'est pas censé se dérouler comme il se déroule ».

Découvrez la captation video de Boxing Paradise

Créé en octobre 2018, à la MC93 de Bobigny, un spectacle au bord du ring et de la vie.

captation video de Boxing Paradise de Stéphane Olry, avec Corine Miret et Hervé Falloux !

Une video de Pierre Linguanotto

Des filles qui boxent, 2014, documentaire radiophonique

boxe France culturede Lucie Geffroy, Christine Robert et Cécile Bracq.

Ce n'est pas un film mais un documentaire radio (diffusé sur France Culture le 1er décembre 2014) qui propose une plongée dans l’intimité de boxeuses de haut niveau et qui a été en partie réalisé au Boxing Beats.

Mais pourquoi s'adonnent-elles avec acharnement à ce sport viril qui leur a longtemps été interdit ?

On suit les boxeuses à l’entraînement au Levallois Sporting club (Boxe française) et au Boxing Beats d’Aubervilliers (Boxe anglaise).

On entend notamment pour le Boxing Beats Saïd Bennajem, Natacha Lapeyroux (ancienne présidente du Boxing Beats, dont je conseille de consulter le très intéressant blog "penser la Boxe féminine"), Juliette Deswarte, Stelly Fergé (qui nous a accueilli pendant la séance d'initiation), Fatima El-Kabouss et une belle interview de Lucie Bertaud (ancienne championne de France et d'Europe, 1ere fille à intégrer l'équipe de Boxe anglaise à l'INSEP, aujourd'hui journaliste sportive et combattante de MMA).

écoute en ligne disponible ici.

Donner des coups

Taper sur quelqu’un, ça n’a rien d’évident. C’est gênant comme situation, presque humiliant, surtout si l’autre se dérobe.

De prime abord, je suis content quand je touche mon adversaire. Ce n’est jamais évident d’y parvenir. Même un débutant, il se protège avec ses gants, il bouge, il se recroqueville. Je reste prudent : ma joie peut être de courte durée.

Non, ce qui est terrible pour moi, c’est son affolement. Hervé par exemple. On vient de commencer la boxe ensemble. Nous avons donc le même niveau. Comme il est physiquement plus grand que moi, suivant les conseils de Franky, je vise son foie, pour le forcer à se pencher et ensuite je tape sa tête. Ça ne marche pas souvent, parce qu’il se défend, et m’allonge avec ses longs bras beaucoup de coups avant que je réussisse à attendre son foie. Mais, parfois ça passe. Je touche le foie, il se rétracte et là j’y vais je place deux trois coups d’affilés sur ses tempes, son front, et –

Là je m’arrête, mon geste suspendu par ses grands yeux bleus devenus soudain affolé, son regard perdant sa franchise, devenant tors, sournois, par en dessous-

Je m’arrête de décrire ce regard que je n’aime pas de Hervé, comme je m’arrête de taper lorsque je le surprends.

« Ne tourne pas le dos ! » m’a crié l’autre jour Franky, alors que je subissais une série de crochets de Hervé. Je devais avoir alors exactement le même regard que Hervé lorsque je le tape.

Hier, je me suis entraîné avec Yasmine. Elle est pire débutante que moi et doit me rendre facilement vingt cinq kilos. Je me suis astreint à retenir mes coups – mais c’est a posteriori que j’ai constaté que je l’avais touché plus fort que je ne le souhaitais -. Et j’ai surpris chez Yasmine le même regard que j’ai déjà surpris chez Hervé. La tête qui se détourne, le regard qui fuit, la sensation qu’elle ne veut plus me regarder, fuir le monstre qui lui fait face.

« Il faut que je m’habitue » s’excusait-elle.

Étrange phrase : il faut que je m’habitue à recevoir des coups.

La question que je me pose c’est : « Qu’est ce que je crains dans le fait de taper sur quelqu’un ? »

Pourquoi ces mots d’excuses qui montent à mes lèvres?

Est-ce le produit de mon éducation bourgeoise ? –se battre c’est indigne c’est déchoir. Taper sur une femme, c’est pire que bestial.

Est-ce la crainte de recevoir des coups en représailles ? Des coups beaucoup plus durs que les miens, en somme de finir par fâcher mon adversaire ?

Est-ce la honte d’éprouver une bouffée de plaisir à avoir tapé quelqu’un ?

Est-ce la crainte d’y prendre goût ? Que ça devienne une – mauvaise – habitude ?

Pour être plus précis : dans les violence conjugales, par exemple, on dit que c’est le premier coup qui compte, c’est celui qui coûte. Et s’il n’est pas suivi immédiatement d’une réponse à la hauteur, il sera inexorablement suivi d’autres. Ai-je l’appréhension de prendre goût au fait de taper un être plus faible ? J’ai bien écrit « plus faible ».

C’est ça qui est perturbant dans les coups, c’est quand ils tombent sur quelqu’un qui a abandonné ses velléités, et ses capacité de défense, en cessant soudain de faire face.

Quand j’étais enfant, j’entendais le matin mes cousins jouer au tennis. Le court, je ne le voyais pas, caché qu’il était par une haute haie du thuyas. Je suivais le rythme régulier des échanges. Les courses, les ahanements, et puis parfois, un silence suivi d’un retentissant « merde ! » crié d’un côté du court, suivi presque immédiatement d’un « pardon ! » en réponse de l’autre côté.

« Merde ! « s’exclamait le joueur qui avait mis la balle hors du cours. « Pardon ! » s’excusait celui qui l’avait poussé à la faute. Sans doute « échangeaient-ils des balles », comme on dit : et il est convenu dans ce cadre de ne pas montrer sa supériorité sur son adversaire. Même si finalement, cette manière de « retenir ses coups «  est une pire démonstration de force, au fond.

« Excuse-moi », l’exclamation m’échappe des fois quand je réussis à placer un coup. « Mais ne t’excuse pas ! C’est le jeu ! » Me rétorque alors Sébastien.

X*** (lutteur), m’a fait remarquer un jour que plus un sport est populaire, plus les corps sont proches. On est au plus bas du dénuement avec la lutte. Avec la boxe, les corps s’éloignent et sont protégés par les gants des coups donnés comme reçus. Pour l’escrime, on utilise un fleuret qui sera l’instrument de la violence et qui instaurera une distance encore supplémentaire. Et au jeu de paume puis au tennis, on introduit une balle servant de truchement entre les combattants leur permettant ainsi l’éloignement maximum des corps nécessaire à l’exercice de ce sport de distinction.

Et pourtant la violence reste la même. Au tennis comme à la boxe, le but est la destruction de son adversaire. Le spectacle de ce duel public est suffisamment scandaleux pour qu’il soit nécessaire d’y instaurer une rituel d’apaisement et de se serrer la main au dessus du filet pour tranquilliser acteurs comme spectateurs de la ire, du courroux, de la joie méchante, et des passions tristes, et éviter ainsi de libérer des démons mauvais.