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Audrey Chenu – Girl Fight

C’est la société qui est violente, pas la boxe

 

.couverture girl fight

Audrey Chenu –Girl Fight Presse de la Cité 2013

Audrey Chenu pratique une boxe élégante et précise.

« C’est la société qui est violente, pas la boxe », telle fut la réponse qu’elle nous donna lorsque nous lui avons demandé, lors d’un interview pour notre spectacle Boxing Paradise, si, à son sens, la boxe était un sport violent.

Avant un entrainement, elle m’avait raconté avoir écrit un livre Girl Fight, et aussi pratiquer le slam. Lorsque j’ai regardé sur internet ses prestations sur scène, j’ai remarqué qu’elle dégageait sur scène un sentiment fragile de timidité et de réserve, allié à une grande force. Elle cultive avec soin ce paradoxe, et cette capacité à tenir cette ligne d’équilibre impose le respect.

https://www.youtube.com/watch?v=WhFlhGbRwlg

Ensuite j’ai lu son livre qui venait d’être réédité.

La lecture de Girl Fightest éloquente sur la violence de la société quand celle-ci s’acharne sur une personne par l’entremise de la justice, via son bras armé l’administration pénitentiaire.

Prison

Adolescente délaissée par ses parent dans un village de Basse-Normandie, fille d’un père qui se révèlera chroniquement dépressif, Audrey est en terminale quand elle monte un florissant commerce de haschich. Sa prospérité et son indépendance sera de courte durée : un an, avant d’être balancée, et de se retrouver en préventive à la maison d’arrêt de Versailles.

Là, sa vie bascule. Elle découvre l’enfermement, l’arbitraire, la méchanceté profonde de ce système face auquel elle ne peut opposer que sa jeunesse et sa pugnacité. Il n’existe pas de prison quatre étoiles en France, et les prisons pour femmes ne font pas exception à la règle, au contraire : si d’aucun nourrit encore des doutes à cet égard, qu’il lise Girl Fight, et sera édifié. Plus souvent qu’à son tour, Audrey se révolte, se retrouve punie, envoyée au mitard. Elle se maintiendra debout d’abord grâce à l’amitié de certaines de ses codétenues, ensuite par sa rencontre avec un universitaire venu donner des cours en milieu pénitentiaires, et enfin grâce à la boxe.

« Mets ton matelas contre le mur. Donne les coups de poings que tu veux donner dedans. » C’est le conseil que lui a donné une compagne de cellule. Audrey découvrit ainsi la boxe qui lui permit –tant que faire se peut – de trouver un exutoire à sa rage contre une administration pénitentiaire qui tentait de la briser aussi bien physiquement que psychologiquement.

On en apprend beaucoup dans ce livre sur l’acharnement de la justice qui même après la peine purgée continue de poursuivre les délinquants à coup de casiers judiciaires et d’amendes des douanes. La récidive est inscrite dans l’organisation de la justice, et Audrey fut renvoyé en prison, alors même qu’elle recommençait sa vie. Entre les sursis qui sautent, les condamnations administratives qui s’additionnent, on peut dire qu’elle est allée au bout de son calvaire judiciaire, et que son année de liberté et d’opulence, elle l’aura payé au prix fort à la société.

Pugnacité

Quand on se bat avec ses poings, c’est qu’on est désarmé, réduit à ses propres forces. Sa survie, on ne la doit qu’à ses propres ressources, celle qu’on extrait de l’intérieur de soi, en puisant son énergie, sa combativité, son refus de la soumission dans une source mystérieuse et qui pour certaines, comme Audrey, semble inépuisable. Pugnacité : la pratique de la bagarre à poings nus élevée au niveau d’un art, mais aussi d’une vertu.

Cette vertu de pugnacité est comme un puits, susceptible de se remplir alors même qu’on le croit épuisé. Cette capacité à se relever dénote aussi un attrait inextinguible pour la vie. Ce plaisir de vivre, de bouger, inspire le respect et procure beaucoup de joie à ceux qui soit le vivent, soit se plaisent à l’observer chez autrui, au travers de la danse ou de la boxe.

Emancipation

Audrey a fini par remporter une victoire finale sur la justice de son pays : elle parvint à la suite d’un long combat judiciaire à faire effacer ses condamnations de son casier judiciaire, et obtint ainsi le droit de devenir institutrice, métier qu’elle exerce aujourd’hui à Bondy.

Elle enseigne aussi la boxe éducative aux enfants de son école.

Je ne sais pas si Girl Fight est le récit d’une rédemption, ou d’une réinsertion sociale. Ce sont des termes qui, à mon sens, donnent un rôle un peu trop flatteur à la société qui par ses institutions ne se donne guère le soucis – autrement que formellement – d’amender et de réinsérer les condamnés. Je vois plutôt dans ce récit de vie, le récit d’une mutation, d’une éclosion, d’une émancipation, et aussi une déclaration d’amour et d’amitiés pour ses semblables rencontrées en prison, et pour tous ceux ou celles – professeurs, entraineurs de boxe, amies – qui l’ont aidé à s’inventer son propre destin.

Girl Fight est une leçon de vie, qui ne se borne donc heureusement pas à prévenir les prédélinquants des dangers de la prison. C’est aussi une histoire d’amour et d’amitié pour ses compagnes de prison, et pour les autres femmes qui croisent la vie d’Audrey. Et enfin, le récit d’une libération, d’une évasion, par les chemins de traverses de la boxe et de la poésie des voies toutes tracées de la délinquance et de la répression.

Tandis que j’écris la fin de cet article, je reconnais sortant de la radio une voix digne de celle d’Audrey, la voix de Chavela Vargas chantant « No velvere ».

https://www.youtube.com/watch?v=qOL6WRtOWPc&index=1&list=RDqOL6WRtOWPc

Une bande son pleine d’à-propos !

Les voix

Pratiquer la boxe, c’est être habité par des voix. Les injonctions de l’entraîneur qu’on entend soudain dans son dos durant l’entraînement et qui vous corrige : « Travaille tes appuis ! Remonte ta garde ! Tourne les épaules ! ».

On poursuit l’exercice sans se retourner vers la voix. On essaye d’appliquer la consigne jusqu’au moment où parvient (ou non) un « Voilà. C’est ça. » libérateur. Si la voix se manifeste pendant une mise de gant, on diffère un peu la mise en œuvre de ses préconisations. Car votre partenaire a entendu comme vous : « Travaille-le au foie ! Force-le à se pencher ! »

Après le départ de l’entraîneur, le conseil tourne dans votre tête. Il fait contrepoint avec les dizaines de consignes, d’ordres, de conseils, d’observations qui se répondent, résonnent, claironnent en refrain ou en bourdon dans l’occiput.

Je ne sais si pour vous c’est la même chose, mais moi, j’ai en permanence une sorte de discours intérieur dans mon cerveau, qui se met parfois en boucle comme une ritournelle. Durant l’entraînement, c’est la sarabande.

Certaines voix intimes sont brutales. Elles distillent une musique ordurière. Par exemple : « Ta gueule » dis-je à la radio, en coupant un discours qui m’insupporte. Je ne sais pas si ça me fait du bien, ce type d’interjection, et je sais bien qu’elles laissent de marbre celui à qui j’ai coupé le sifflet.

Il y a des lieux privilégiés d’épandage de ce purin spirituel et maintenu ordinairement confiné dans nos boîtes crâniennes. La voiture est un exutoire bien connu de tous. Qui n’a entendu avec une surprise mêlée de dégoût, comme une révélation obscène, la plus civilisée des personnes grogner « Va te faire foutre, connard » en réponse au coup de klaxon indigné d’une voiture à qui elle a grillé la priorité ?

Dans mon for intérieur, les malédictions, les injures tombent drues. Murmurés, clamés, grondés, scandés, marmonnés, mon paysage sonore intime est parcouru par ces éclairs muets d’orages intérieurs.

Au soutien scolaire du Boxing Beats, nous insistons pour que les jeunes se parlent bien entre eux, du moins quand ils sont en notre présence. Globalement, je constate que, comme beaucoup de jeunes et de moins jeunes, ils se parlent mal. Les mots tranchants déchirent l’espace : « Bâtard ! Fils de pute ! Blédard ! ». En somme, ces gamins disent tout haut ce que je dis à mon bonnet. Plus désinhibés que moi, ils ouvrent grandes les vannes de leurs égouts privés.

La grande difficulté de ces jeunes est de parvenir à faire preuve de discrétion, de pertinence dans le choix du l’heure ou du lieu pour exprimer ce que les plus jeunes appellent encore : des gros mots. Saïd nous racontait dernièrement avoir entendu une des ados du groupe s’exclamer en observant un des professeurs du cours arrêter de filmer un combat pour recharger la batterie de son appareil : « Mais pourquoi il arrête de filmer ce fils de pute ?  ».

Comment lui expliquer que l’acception affective de « Fils de pute » même assimilée à une sorte de « celui-là ? » - qui n’est pas très aimable non plus –, est réservée à un cadre amical, et que ces mots ne sauraient être utilisés par un élève pour qualifier un de ses maîtres ?

De fait, la boxe, en tant que spectacle, constitue un déversoir de cette agressivité verbale, surtout lors des compétitions.

« Tue-le ! », « Massacre-le ! » : c’est souvent qu’on entend ces absurdes appels au meurtre dans les travées des compétitions de boxe.

Nonobstant les insultes et les quolibets des supporters de son adversaire, le boxeur sur le ring est abreuvé d’un torrent d’injonctions aussi véhémentes que contradictoires : - celles de son père, de ses frères et sœurs, de ses copains -. « Sors de là ! », « Avance ! » « Ta droite, tout de suite, ta droite ! ». Heureusement pour lui, le boxeur - tous en témoignent -   dans le tumulte du gymnase ne perçoit qu’une voix parmi toutes les voix : celle de son entraîneur. Il s’accroche à cette parole comme un nageur emporté par une crue à un fétu de paille : son oreille se ferme à toutes les autres pour n’écouter que les conseils, les ordres, les encouragement, les remontrances, les félicitions venant de son coin.

En cherchant le mot « coprolalie » dans le dictionnaire  (« Propension maladive à employer des termes orduriers et scatologiques »), je tombe sur les pathologies liées au langage. Ce sont des TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs). Je vois dans ces actions répétées comme automatiquement beaucoup de liens avec certains exercices de l’entraînement de boxe.

« Ne travaillez pas comme des robots » nous enjoint Franky quand nous devons répéter la même défense devant une attaque (par exemple : un retrait sur le côté pour esquiver un direct). « Evitez l’écholalie dans vos dialogues pugilistiques » pourrait-il dire, s’il était un cuistre. (Écholalie : Répétition automatique par un sujet des phrases prononcés devant lui).

« Variez vos esquives » dit-il aussi. « Ne nous laissez pas emporter par la palilalie », pourrait-il nous exhorter dans un style plus soutenu. (Palilalie : Répétition irrépressible des mêmes mots, généralement repris de la fin d'une phrase.)

Poursuivant ma lecture du dictionnaire je trouve : Glossolalie : Production par certains psychopathes d'un langage partiellement inventé par eux.Là j’ai du mal à trouver un équivalent dans la boxe, sauf à considérer que lorsque Mike Tyson mord à deux reprise l’oreille de son adversaire, il fait preuve indéniablement de l’invention d’un coup que n’avait pas prévu le marquis de Queensberry dans ses règles de la boxe.

La boxe est un dialogue, une conversation à coups de poings, un débat sans paroles, mais où toutes les figures de la rhétorique peuvent trouver leur équivalent.

Souvent je m’adresse à moi-même. Je me parle à moi-même à voix haute quand je suis seul, et parfois même en compagnie.

Je dis : « Dépêche-toi, Stéphane » si je tarde ; « Oh, quel con ! » quand je fais preuve de maladresse. En général, cette voix venue de moi n’a rien d’aimable à mon égard. Ce sur-moi envahissant a plus tendance à me morigéner qu’à m’encourager. En y songeant d’ailleurs, je dois bien constater qu’il ne m’encourage jamais.

Je me défends avec la même antienne : « Je suis fatigué ».

Ça fait cinquante cinq ans que ça dure : « Dépêche-toi » me dit la voix « je suis fatigué » lui réponds-je d’un ton plaintif.

C’est bizarre d’avoir ces relations là avec moi-même, non ?

- « Tu te plains tout le temps » me réponds-je

Geignard, oui, je me trouve un peu geignard, et je m’énerve à geindre tout le temps.

Mohammed Ali, une grande traversée radiophonique

cet été 2018 France-Culture a consacré une série d'émissions à Ali, the Greatest !

c'est là

Produites par Judith Perignon, ces 10 heures de radio permettent d'entendre des témoignanges inédits sur Ali. Nous découvrons aussi le contexte politique, social, religieux dans lequel s'est déroulé la carrière du plus grand sportif de tous les temps. Les diverses facettes, des plus séduisantes aux plus discutables du champion sont exposées.

Je recommande particulièrement l'émission (ici) consacrée à la conquète de son premier titre de champion du monde sur Sonny Linston, qui permet d'avoir un passionnant éclairage sur l'amitié unissant Ali à Malcolm X, et son assujetissement à Nation of Islam. Comment ce rebelle aura été à la fois si soumis et parfois incompréhensiblement indocile au gouron de cette secte, Elijah Mohammed,  étonnera moins ceux qui connaissent les rapports souvent ambigus entre un sportif et son entraineur, et aussi la discipline incessante qu'exige le sport de haut niveau.

Pour ceux qui veulent revoir le match contre Linston c'est là :

(N'hésitez pas à regarder aussi les longues séquences suivant l'annonce de la victoire d'Ali : elles sont éloquentes quant à ce qu'était l'Amérique  à l'aubes des années 60)

L'auditeur curieux pourra mettre en regard cette série d'émission avec les multiples biographies d'Ali, notamment le trés intéressant "Alias Ali" auquel nous avons consacré un article sur le présent site : ici

 

Ps : Le documentaire sur le troisième combat d'Ali contre Jo Frazier donnera aussi une bonne idée du personnage d'Ali et de ces ombres. il permet aussi de restaurer l'image de l'un de ces plus grand clallenger, Jo Frazier https://www.youtube.com/watch?v=U64K_fZSveU