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Interview de Christian (lutteur)

Christian est un des entraineurs aux Diables Rouges. Il est également arbitre international de lutte. Il conseille pour l'enseignement de la lutte en Centrafrique, son pays d'origine.

J’ai commencé la lutte il y a longtemps. A l’âge de onze ans. Je pratiquais déjà le karaté. Au départ j’avais trouvé ça un peu dur. Au karaté j’étais bien. A la lutte on me mettait tout le temps par terre et au bout d’un moment j’étais dégoûté. Moi déjà dans ma tête j’étais plus fort au karaté parmi les gens de mon âge, et j’arrive dans un sport où tout le monde me mettait par terre, et puis je voulais fuir. Mais mon entraîneur à l’époque ne m’a pas lâché. Il me disait : « Je vois en toi d’énormes potentialités. » Donc il était toujours derrière moi, il m’encourageait et il s’était pas trompé.

Je faisais plusieurs sports de combat, la lutte, le karaté, la boxe, je pratiquais tout simultanément, jusqu’à ce que je choisisse la lutte. C’était en 86, où j’avais été sélectionné pour représenter mon pays d’origine, la Centrafrique, aux Jeux Africains, en Egypte, et c’est là que ça a fait un déclic en moi et que je me suis dit, pour que je puisse être bien préparé ça sert à rien de faire plusieurs sports à la fois je vais me concentrer sur la lutte. Quand je suis parti là-bas, déjà au niveau national je gagnais tout dans ma catégorie, et je pensais quand je vais là-bas je vais gagner aussi, mais quand je suis arrivé ce n’était pas vrai, j’ai vu que j’ai perdu des matchs. Le niveau était élevé. Je me suis dit, le mieux c’est que je me prépare pour battre ceux qui m’ont battu, et donc j’ai continué à pratiquer les autres sports, mais je donnais plus de temps pour la lutte. J’ai continué pendant plusieurs années à pratiquer le taekwondo, le karaté, je faisais aussi un peu d’athlétisme et j’ai fait aussi beaucoup de gymnastique, je jouais au foot aussi. A un moment ma vie c’est le sport. Les gens disaient, celui-là on le voit sur les terrains de foot, de basket, pour la lutte je suis là-bas, pour le karaté je suis là bas, je fais que ça. Je ne faisais que ça. J’y consacrais beaucoup d’heures dans la journée. Je pouvais m’entraîner jusqu’à six ou sept heures par jour. Parce que je finis avec la lutte, je vais faire de la gym, je finis avec tel sport je commence avec tel sport. A partir de douze heures je fais que ça jusqu’au soir, jusqu’à vingt, vingt-et-une heure. Je passais d’une salle à l’autre pour pratiquer le sport.

En ce moment je suis dans l’encadrement technique. Vu l’âge aussi, il y a un moment où on commence petit à petit à se mettre en retrait. Maintenant je m’investis beaucoup plus dans la formation et l’encadrement technique, et je suis arbitre international, donc ça me permet de me déplacer beaucoup pour arbitrer des compétitions chaque fois que je suis convoqué. Dernièrement j’étais en Côte d’Ivoire avec Didier Duceux, pour essayer de faire venir voir les Ivoiriens pour le Grand Prix de Bagnolet, mais bien avant cela j’étais parti les aider à organiser leur championnat national, parce qu’ils n’en ont jamais organisé. Donc j’ai ramené tout ce qu’il fallait pour l’organisation. J’ai formé des arbitres, j’ai formé… J’avais eu une bourse de formation pour le cadre sportif, et j’ai passé quelques années en Côte d’Ivoire dans un centre de formation de haut niveau qui a été créé en Afrique pour essayer de contenir les meilleurs africains. Parce quand on les envoie en Europe après, ils disparaissent et ils ne reviennent plus jamais. Pour nous contenir, voilà, on nous a tous envoyé là-bas en Côte d’Ivoire. Mais après ça a été mélangé avec la politique et le centre a été fermé. Et donc pour moi c’est un plaisir de retourner là-bas et d’essayer de former ceux qui sont restés sur place. Quand je vais là-bas je travaille beaucoup plus avec l’équipe nationale.

Aux Diables Rouges moi je suis là le lundi, le mardi, et le vendredi. Il y a d’autres collègues qui sont là les autres jours. Nous avons réparti la tâche. Ça sert à rien qu’on soit tous là. Quand il y a beaucoup de monde, les trois principaux entraîneurs on est là, et une fois que l’échauffement est fini on répartit par groupes. Un qui s’occupe des débutants, un qui s’occupe de ceux qui font de la compétition, un des intermédiaires…

En fait avec la lutte j’ai envie d’aller toujours plus loin. Tu gagnes un titre et après tu dis il faut que je gagne l’autre et puis un autre… Moi j’ai eu beaucoup d’opportunités. J’ai voyagé à travers le monde c’est grâce à la lutte. Et si aujourd’hui je travaille à la ville de Bagnolet, c’est grâce à la lutte aussi. Sinon je ne serai pas là. Je peux dire que, par la grâce de Dieu, la lutte m’a tout donné.

Je pars pas pour visiter comme un touriste. Mais je pars pour la compétition déjà. Quand j’arrive dans ces pays des fois, j’ai pas le temps de visiter, parce que j’étais concentré sur ma compétition et dès que j’ai fini je dois penser rentrer parce que j’ai autre chose qui m’attend. Mais bon. Ça m’a permis de rencontrer du monde déjà, et ça permet d’avoir des ouvertures un peu partout dans le monde. La lutte c’est un sport qui est vraiment noble. Parce qu’on n’a pas beaucoup d’argent, mais la relation humaine est vraiment forte dans ce milieu. On a tous des amis, des copains, un champion olympique, un champion du Monde, il n’a pas la même mentalité qu’un champion d’une autre discipline. C’est des gens qui sont accessibles, ils sont là avec toi et ils discutent ils parlent et puis voilà. C’est ça que j’aime. C’est un sport qui est pratiqué par beaucoup, c’est pas médiatisé c’est tout.

Quand tu regardes bien c’est ça, la lutte. Des histoires de famille. Même en France, tu prends les Duceux, tu trouves le père… tu arrives dans n’importe quel club de lutte en France, tu vas voir le président du club c’est un ancien champion du club qui est devenu entraîneur, il y a son fils qui est entraîneur… c’est un sport familial, si on ose le dire. Sauf moi, je ne suis pas venu de ce milieu. Dans la famille je suis le seul à pratiquer ce sport.

Partout dans le monde il y a beaucoup de luttes traditionnelles, mais la lutte africaine, c’est codifié maintenant, ça été transformé en beach wrestling. Chaque pays a sa lutte, et dans chaque pays, chaque région a sa lutte aussi. Tu arrives dans une région, ils ont une façon de pratiquer, tu arrives dans une autre région, ils ont une autre façon de pratiquer. C’est un sport ancestral et chacun a sa pratique. Et ils l’ont codifié pour arriver à la lutte olympique qu’on pratique aujourd’hui. En Afrique nous avons la lutte africaine. Que les gens confondent souvent avec la lutte sénégalaise, mais qui n’a rien à voir. Comme on peut voir la lutte turque et la lutte mongole et tout ça. C’est la forme de lutte que les gens pratiquent, ou les russes avec le sambo, ce n’est pas la même chose. Mais nous avons la lutte olympique qui est pratiquée par tous, qu’on connait comme la lutte gréco-romaine, libre et féminine.

J’ai eu un entraîneur qui m’a donné le goût d’aimer ce sport, j’ai aimé et je voulais faire carrière dedans et voilà. Je disais bon si j’ai pas eu vraiment la chance d’être un grand champion, peut être que toutes ces connaissances que j’avais acquises pendant mon parcours, il faudrait que je puisse enseigner ça aux autres. Et quand j’étais à Lyon déjà j’étais entraineur au niveau des filles. J’ai pris des filles depuis minimes je les ai amenées jusqu’à l’équipe de France déjà, elles sont devenues championnes de France. Déjà là c’est un long parcours. Et quand je suis arrivé à Bagnolet, c’était ma mission première : arriver à former une équipe de filles. Mais c’est plus difficile dans cette région que dans la région Rhône-Alpes. Parce que chaque région a une tradition. Tu arrives par exemple dans le Nord-Pas-de-Calais, il y a beaucoup de filles qui pratiquent. Tu arrives ici, il y a beaucoup de garçons. Parce que dans ces régions tu trouves des filles qui sont des anciennes championnes et ça encourage les filles à pouvoir faire ça. Il y a toujours eu des championnes exceptionnelles dans ces régions.

Les anciens viennent là pour pratiquer parce que c’est un sport qu’on peut pratiquer jusqu’au jour où on quitte ce monde. A un moment on arrive toujours à retrouver sa place. Quel que soit l’âge. Des fois les gens sont étonnés de me voir lutter avec des lutteurs qui font de la compétition, des fois eux, les lutteurs sont étonnés : « Mais toi tu peux participer encore à des compétitions ? » – « Non, parce que la différence c’est quoi ? Aujourd’hui je lutte avec toi. Tu vois que je suis super fort et tout. Sauf que toi par rapport à ton âge tu récupères plus vite que moi. Donc je ne peux pas enchaîner les compétitions comme vous qui récupérez rapidement et enchainez. » A un certain âge tu ne peux plus. Quand je fais une compétition il me faut beaucoup de temps de récupération. En sachant que je n’ai pas que ça à faire, j’ai d’autres activités à côté. Alors que la plupart des jeunes ils ont tout le temps pour faire ça. Ou ils vont à l’école. C’est pas la même chose.

Pour être un bon lutteur, il faut tout. La technique, la force, le mental. Tu ne dois rien négliger. On travaille avec sa tête aussi. Il faut être intelligent pour analyser comment lutte son adversaire. Mais tu ne dois pas mettre deux jours pour analyser. Tu montes sur le tapis et en l’espace de quelques secondes tu dois analyser et trouver une solution et attaquer.

La seule façon de progresser en lutte c’est de lutter. Il y a des gens qui disent, moi je fais de la musculation, je cours beaucoup, mais tu ne viens pas courir sur un tapis ! Tu viens pas faire de la gymnastique sur un tapis ! Je préfère passer deux heures à combattre que de courir pendant deux heures, ça ne m’amène rien, si je cours pendant des heures mais si je n’ai pas de technique. Je préfère lutter deux heures et en luttant j’apprends.

A l’entraînement tu peux prendre des risques pour tenter des choses. Si ça marche pas, tu peux le corriger. Sauf qu’en compétition quand tu te plantes tu te plantes. C’est à l’entraînement qu’il faut tout essayer. Si ça marche pas tu peux corriger et mettre en place des stratégies que tu vas imposer. Mais si tu attends la compétition pour mettre en place des stratégies et si ça rate, c’est fini tu as perdu. Alors que si tu avais essayé à l’entraînement tu te serais dit : « Ça, je prends pas le risque de le faire en compétition. » La compétition c’est la finalité de tout ce qu’on a fait à l’entraînement. C’est comme quelqu’un qui va à l’école tu prépares le baccalauréat et le jour J tu passes l’examen final. Mais si tu ne t’es pas préparé tu vas passer à côté de la plaque. Plus tu travailles dur à l’entraînement, plus ça devient facile en compétition. Moins tu travailles dur, plus ça devient difficile en compétition.

Je peux lutter avec toi dix fois, mais ça ne sera pas le même combat. Ça peut basculer. Il suffirait que sur mes erreurs je voulais faire une technique et tu arrives à exploiter la petite erreur que j’ai faite, tu me coinces et puis je perds. Pourtant j’ai l’habitude de te battre. Mais cette fois-ci tu m’as battu. C’est pour ça qu’en lutte c’est pas comme en boxe où, par exemple on voit les champions du Monde qui font les compétitions professionnelles et tout, tu fais un combat, tu gagnes, tu deviens champion du Monde et tu remets ton titre en jeu. En lutte aujourd’hui tu es champion du Monde, demain tu l’es plus. Tu gardes le titre de champion du Monde mais pour pouvoir partir au championnat du Monde tu dois recommencer à zéro, commencer par le championnat régional, jusqu’à ce que tu sois sélectionné en équipe nationale encore pour pouvoir. Mais si pendant ce parcours tu perds tes matches, ben ça y est, c’est celui qui te gagne qui va continuer le chemin. C’est pour ça que des fois, quelqu’un qui est champion de lutte aujourd’hui disparaît, et il revient plus tard, parce qu’il a perdu des matches et au niveau des tournois et il peut plus. Alors qu’en boxe tu gardes ton titre et les autres vont s’affronter et puis celui qui va sortir de l’eau se battra avec toi. Tu es champion olympique aujourd’hui, demain ça y est tu dois remettre ton titre en jeu, et tu dois commencer… on va pas dire : on va prendre tous ceux qui sont champions et on va attendre pour affronter les autres, non. Ça t’oblige à toujours te préparer pour être au niveau. Tu peux perdre. Et pour ne pas perdre il faut travailler dur. Tu analyses tes matches : « J’ai gagné contre un tel avec beaucoup de difficulté, il faut que je puisse voir ce qui n’a pas marché, pourquoi j’ai des difficultés, il faut que je me prépare. » C’est un processus. Et heureusement que les entraîneurs sont là. C’est leur boulot d’essayer de concevoir un plan d’action par rapport à ta performance, voir les erreurs. Ce qui va, on va le perfectionner, ce qui ne va pas, on corrige. Pour que l’athlète soit au sommet de sa forme le jour J.

L’objectif c’est la compétition, le championnat. Mais il y a des gens qui sont là pour le plaisir. Leur objectif c’est de venir et se défouler pour être à l’aise. Le problème c’est qu’on n’est pas tous appelés à être des champions. C’est pour ça qu’il faut faire dès le départ du travail de détection. Il y a des gens qui aiment bien donner des ordres aux autres, être au premier rang pour diriger les autres, ceux là on va les orienter vers l’encadrement technique. Il y en a qui veulent arbitrer, parce que la réglementation c’est leur truc, et voilà. Donc peut être sur dix gamins il y en a un qui sera peut être champion, mais chaque personne a sa place dans ce milieu. Tout dépend de ta vocation et de ta capacité.

Pour se préparer à un combat il faut gérer plusieurs facteurs. Même au niveau relationnel, familial. Un athlète, si bon soit-il, s’il est mal entouré il va faire des contre-performances. Parce que quand il arrive en compétition il va penser à ça, et au moment d’y penser, hop, il perd son match. Mais si familialement il est bien, que dans le milieu où il évolue il est à l’aise, techniquement il est bon, psychologiquement il est bon, il va faire des performances. Donc il y a plusieurs facteurs qui rentrent en ligne de compte. Déjà avoir une bonne santé.

En lutte quand tu arrives pour lutter dans une catégorie, le problème si tu n’es pas au poids, on ne peut pas te surclasser alors tu es éliminé de la compétition. Donc il faut savoir gérer ça. Moi je vais lutter dans la catégorie des 86 kg. Ce qui veut dire que j’ai presque 90, pour pouvoir descendre et lutter dans cette catégorie. Si je lutte dans la catégorie au-dessus, je serai trop léger pour lutter. Je sais que je ne veux pas me laisser aller jusqu’à 120 kg pour redescendre, ça va être trop dur pour moi. Donc je prends deux ou trois kilos, quatre à la rigueur c’est bon, mais à un moment c’est l’entraineur qui va définir avec l’athlète un programme pour perdre son poids. Tu as dix kilos à perdre, tu as six mois, tu vas perdre graduellement. Parce que ça sert à rien de perdre les dix en un mois, et de les reprendre après pour les perdre… c’est difficile. Il faut perdre graduellement jusqu’au jour de la compétition où tu arrives, le but c’est pas de perdre et d’arriver là-bas lessivé et puis de perdre, le but c’est de faire le poids et de gagner la compétition. Ça, beaucoup de gens ne le savent pas. Il forcent l’athlète à être au poids, mais si tu arrives et que tu n’arrives pas à faire un seul match ça sert à quoi ? Autant lutter dans la catégorie dessus, garder toutes tes performances, plutôt que de perdre du poids et de perdre la compétition. Ça peut être dangereux pour ta santé aussi.

Je me souviens de plusieurs combats. Il y a une personne qui me bat tout le temps. Et un jour j’ai dit : « Il faut que je batte cette personne. » Et puis je me suis préparé, je suis arrivé et je l’ai éclaté, j’étais très content parce que j’avais pris ma revanche. Il y avait plusieurs cas comme ça.

Quand tu gagnes tu vois le public debout, tu es ovationné. A un moment tu sens que tu marches dans l’espace, tu n’es plus sur la terre.

On voit toujours les lutteurs qui sont là pour lutter avec leur famille et tout, ça va de soi. Il y a toujours une communauté qui est là. Après ça dépend des endroits. Y a des endroits où quand on organise il y a du monde, dans d’autres endroits où les gens ne s’intéressent pas trop à ça, alors il n’y a que la famille des lutteurs. Moi quand j’étais en Allemagne voir le combat de Mélo (Mélonin Noumonvi), l’entrée était payante et il n’y avait plus de place dans la salle, c’était rempli à craquer. Par contre en France, malgré que ce soit gratuit on a du mal à faire le plein. Parce qu’ils n’ont pas la même culture.

En France c’est le sport qui est le plus pratiqué à l’école. Partout il y a des écoles de lutte. Les jeunes au niveau scolaire ils ont au moins une fois pratiqué la lutte dans leur vie. Le problème c’est quand ils commencent à grandir, ils préfèrent taper dans le ballon pour gagner des milliards, ils pensent à ça déjà étant jeune, même les parents ils vont influencer les enfants et les orienter vers d’autres disciplines qui peuvent leur rapporter de l’argent plutôt que la lutte et puis ne pas gagner grand-chose. C’est pour ça que c’est souvent les enfants des lutteurs, ceux qui aiment ce sport qui continuent à travailler dans ce milieu. Mais ceux qui ont d’autres objectifs, gagner de l’argent et tout ils ne vont jamais dire à leur enfant de pratiquer la lutte.

Moi j’attaque très bien les jambes. Je suis rapide. Malgré que je fais un régime avec les jeunes j’arrive à les attaquer, ils n’ont pas le temps de réagir et déjà ils sont en l’air, ils me disent : « Comment tu fais, on n’arrive pas à défendre. » Ma lutte c’est la lutte libre. J’ai travaillé longtemps à développer des systèmes d’attaque, je les fais bien et ça marche sur tout le monde. C’est ça le but de la rencontre. Y a un lutteur qui impose sa stratégie à tout le monde, et personne ne trouve comment contrer et il gagne tout le monde et il est champion. Jusqu’au jour où quelqu’un va trouver et va contrer, et l’autre va s’imposer et puis voilà.

On dit : « Regarde t’as fais ça. Recommence, pourquoi ça n’a pas marché, parce que regarde l’erreur que t’as faite, regarde ta position de jambe, ta position de bras, corrige ça, ramène le bras ici, fais ça, ah oui ça marche, et voilà. »

La peur c’est courant, surtout avec les filles, mais il faut savoir gérer ça, ce qu’on appelle la gestion de stress. Lorsqu’on est stressé on peut avoir peur. Surtout quand on sait qu’on a en face de soi dans sa catégorie un adversaire qui est coriace, qui gagne tout le monde et tout. Quand on sait qu’on va rencontrer des gens on a peur. Mais des fois il y a des gens qui disent : « Moi je sais que je n’ai rien à perdre, si je lutte contre lui, ça passe ou ça casse, je veux tout tenter. » Et c’est comme ça des fois que ces grands champions perdent en face d’une personne qui sort de l’ordinaire et qu’on connait pas parce que dans sa tête il se dit, je sais que quoiqu’il en soit, vous imaginez cette personne qui est championne de cette catégorie, si il gagne cette personne on va dire c’est normal, c’est le champion. Mais si c’est l’inverse, c’est un exploit. La personne qui est championne de la catégorie a peur de perdre face à ces gens-là, qu’est-ce que ces gens-là vont dire de moi ? Par contre si je gagne, bon, c’est normal t’as l’habitude de gagner.

Si tu as peur d’avoir mal, de te blesser, va faire autre chose. Va travailler dans les bureaux, fais pas de sport. On peut se blesser à tout moment. Ça peut arriver à n’importe quel moment. C’est des choses auxquelles on pense même pas. Quand je lutte, je pense pas que ça va arriver. C’est quelque chose qui n’existe pas dans ma pensée. Ce que je veux faire pour moi, ça va marcher et je vais jamais me blesser. Et après, quand tu te blesses, c’est là que tu dis ah oui, mais voilà.

C’est différent des autres sports de combat. C’est un peu proche du judo, du MMA et tout ça, mais c’est différent des autres sports de combat. C’est un sport de contact et de préhension. On attrape.

Y a pas de violence. C’est interdit de porter des coups. On prend, on mène une action, on fait une projection, voilà, c’est pas violent. On fait tomber, on fait chuter. Y a pas de violence. Si je donne un coup je suis sanctionné et je peux être disqualifié.

En même temps quand on attrape, on attrape. Déjà on n’accepte pas d’être attrapé par l’autre. Mais on cherche à s’imposer dans le contrôle. Il faut qu’on contrôle l’autre. La finalité c’est d’amener par terre. Si tu ramènes pas par terre tu marques pas le point. En ramenant par terre, tu vas alors utiliser des techniques, des formes de corps qu’on appelle techniques, projection par-dessus l’épaule, projection par-dessous. Si je vais attaquer par-dessus et que la personne a une bonne défense basse, je vais attaquer par-dessous ou je vais dans le mur, et voilà. En fonction des réactions de ton adversaire, tu développes des stratégies de combat pour pouvoir gagner.

Y a des gens des fois, dans le désespoir, ils font des fautes. Mais là l’arbitre est là pour sanctionner. Deux fois et t’es disqualifié.

En boxe c’est pareil, on vient pas dans le but de tuer l’autre. Je le frappe et puis si à un moment il peut plus supporter, et ben voilà je gagne mon match. Mais je viens pas dans le but de le tuer. C’est pour ça qu’à la fin, une fois qu’on t’a levé les bras, on se fait des accolades et on rigole, dès qu’on s’est roué de coups et de bosses et tout et on rigole et voilà, c’est les règles du jeu. Je garde pas la haine contre celui j’ai combattu. On se croise, on parle, voilà. Si on est des amis, on redevient des amis dans la vie. Quand on est sur le ring, que le meilleur gagne, et voilà.

S’il y a des gens qui pensent que ce sont des sports de brute, tu ne peux pas les empêcher de penser comme ça, c’est normal. Tu ne peux pas empêcher les gens de penser ce qu’ils veulent. Ils voient des coups, ils voient du sang donc il faut être abruti pour faire ça…

Est-ce qu’un jour on a posé la question à un boxeur blessé : « Qu’est-ce que tu penses de ton adversaire ? » Est-ce qu’il dit « C’est un taré, il veut me tuer.. ? » Jamais. « J’ai perdu, je m’étais préparé mais l’autre a été meilleur, je vais prendre ma revanche.. voilà.. » Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de haine dans ça. Il faut expliquer aux gens : vous pensez à la place des gens qui sont là-bas, vous leur prêtez des idées alors qu’ils n’ont pas ces idées que vous vous avez à l’extérieur. C’est comme quelqu’un qui regarde un match de foot et qui voit quelqu’un qui rate un but et qui dit qu’il est con qui le traite de tous les mots, si j’étais là j’aurais fait mieux, mais toi déjà il faut déjà savoir taper dans un ballon avant d’être là où il est déjà à ce niveau là. Parce que quand on est à l’extérieur, les critiques elles pleuvent. On voit des défauts partout. Quand on est acteur on n’a plus la même réaction. Il y a des gens qui réfléchissent comme ça, ils montent sur le tapis et après ils changent carrément. Ils changent carrément.

Quelqu’un qui veut agir violemment dans la rue, c’est pas parce qu’il a vu un combat de boxe qu’il va le faire. Même s’il n’a pas vu un combat de boxe il va le faire quand même. Après il va trouver des prétextes. Est-ce que tu deviens mécanicien parce que tu as vu quelqu’un faire de la mécanique ? Non. C’est pas parce qu’il a vu un boxeur boxer qu’il va commencer à taper les gens dans la rue. Et ce boxeur est-ce qu’il a tapé des gens dans la rue ? C’est sur le ring. Et si il veut l’imiter pourquoi est-ce qu’il ne va pas sur le ring plutôt que de taper des gens dans la rue qui sont sans défense. Moi je vois pas le rapport.

Tout dépend de l’interprétation. Il y a des gens qui voient ça et ils vont faire ça. Mais ceux qui pratiquent, ils pratiquent dans un cadre bien défini. Mais quelqu’un qui va faire ça dans la rue, on voit toutes les conséquences que cela peut engendrer. C’est pour ça que c’est mieux d’interdire. Mieux vaut prévenir que guérir. Donc la décision du ministre d’interdire le MMA c’est tout à fait compréhensible. Après, on ne peut pas empêcher aux gens d’être tarés. C’est pas tout le monde qui pense qu’il faut une salle pour s’entraîner…

Je connais mes points faibles en tant que lutteur. Il y a des choses que je supporte pas qu’on me fasse et quand je me retrouve dans la situation et qu’on me fait ça et bien je perds mes matches. Parce que je supporte pas. Donc quand je lutte je fais tout pour que mon adversaire n’arrive pas là. Donc j’anticipe.

La lutte c’est un sport qui a beaucoup évolué. C’est un sport qui évolue tous les jours. Ça change au niveau des réglementations, la pratique n’est plus pareille… Quand tu prends un combat d’il y a vingt ans et que tu mets à côté d’un combat aujourd’hui, il n’y a pas de comparaison. Quand tu vois la vitesse à laquelle ça s’est déroulé… les techniques ça évolue tellement. Il y a des actions qu’on considérait avant comme des fautes, maintenant ce ne sont plus des fautes. Ça évolue tout le temps. Et la pratique n’est plus pareil. Avant les gens s’entraînaient pendant des heures et des heures, maintenant les gens s’entrainent pas beaucoup mais avec l’avancée technologique ils font des performances. C’est plus pareil.

Moi je suis toujours là sur le tapis, en train de courir avec les jeunes. Il y a des gens qui étaient des super champions qui ont tout arrêté du jour au lendemain et qui sont des épaves et qui n’arrivent pas à tenir et tout. Mais il y en a d’autres pendant vingt ans tu arrives et tu les vois encore dans les circuits en train de gratter. Je ne peux pas expliquer comment ça se fait que je suis encore là. Je ne sais pas. C’est peut être mon corps qui s’adapte à ça. D’autres corps ne s’y adaptent pas. Je vois des gens avec qui j’ai lutté il y a des années et qui ont arrêté, aujourd’hui ils ne peuvent même pas faire un combat d’une minute. Quand ils me voient faire des combats pendant des heures ils disent : « Mais comment tu fais ? »

J’ai eu des blessures. Des côtes cassées, des ligaments. Et malgré que je fais un métier pas facile je suis encore là. Il y en a que tu vois les ligaments arrachés, les bras en lambeaux et aujourd’hui tu les vois sur le tapis ils luttent encore, parce que la science a évolué tellement vite, et puis on fait guérir la personne rapidement, alors qu’avant ça prenait plus de temps.

Avant on nous poussait. Aujourd’hui on a du matos sophistiqué pour s’entraîner, alors qu’avant on s’entraînait avec des trucs archaïques, à soulever des trucs bizarres, courir dans la nature… Aujourd’hui les gens sont dans la salle et ils peuvent tout faire sur place, il y a des appareils pour mesurer, pour corriger, alors qu’avant c’était quand tu montais sur le tapis et que tu gagnais qu’on pouvait voir si ça marche, alors que maintenant avant que tu montes sur le tapis pour un combat on peut tester pour corriger.

A un moment on a eu beaucoup de petites filles et elles sont toutes parties. Maintenant on a une équipe de fille qui viennent constamment. On veut les encourager à venir et continuer. Parce que les filles ont une autre mentalité. Il faut les chouchouter, toujours être derrière, leur donner de la crédibilité et beaucoup de confiance. Sinon elles baissent trop vite les bras. Elles ont des modèles, mais pour elles c’est trop dur.

Il y a des lutteurs qui m’ont impressionné, ils n’ont pas été de grands champions mais quand tu les vois lutter, ça donne vraiment envie de faire ce sport. Et d’autres qui ont été des grands champions mais quand tu les vois lutter c’est des bourrins, ça donne même pas envie. Mais je n’ai pas de modèle particulier.

C’est un sport individuel mais il faut se soutenir. Tout le monde travaille avec tout le monde. Tu n’es pas seul isolé dans ton coin. J’ai souvent lutté avec des lutteurs en sachant que la personne ne peut pas me marquer un point, mais quand je laisse la personne me mettre par terre et tout, t’imagines il est content, il parle de ça : « Tu as vu comment je suis fort, et tout.. » Et après on fait un match et il n’arrive pas à marquer et il dit : « Mais la fois passée… » et je lui dis : « Justement il faut que tu travailles pour me mettre encore par terre. ».Des fois on joue sur ça.

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