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Interview de Mihai (lutteur)

Mihai a commencé à lutter en Moldavie, puis aux Diables Rouges quand il est arrivé en France. Il est maintenant entraineur au club.

Pendant mes études j’ai toujours dit Mickaël parce que c’est plus facile, à force d’écorcher le prénom…

J’ai commencé la lutte en Moldavie. J’ai commencé la gym en 98 à huit ans. Mon père voulait que je fasse de la lutte mais l’entraineur n’a pas accepté parce que j’étais trop petit, j’étais vraiment tout petit en taille. Il a dit : « Il faut qu’il fasse de la gym pendant quelques années et ensuite tu nous le ramènes à la lutte. » Du coup j’ai fait cinq ans de gym, la salle de gym a fermé et s’est transformée en salle de lutte. Donc je suis resté dedans, je n’ai pas changé !

Mon père a voulu à tout prix que je fasse de la lutte. Parce que c’est un sport national en Moldavie. Je suis le premier sportif de toute ma famille, que ça soit du côté de mon père ou de ma mère, je suis le premier. En Moldavie j’étais dans un lycée comme les pôles ici, je faisais de la lutte deux fois par jour, deux heures le matin, deux heures l’après-midi, six jours par semaine. Un an et demi là-bas c’est comme cinq ans au club. Ça revient au même.

Au début je détestais ça vraiment, c’était un sport que je détestais. J’aimais bien la gym. Après la gym, je voulais faire soit du foot soit du vélo, c’était les deux sports que je voulais faire. Mon père m’a dit que c’était hors de question. Je pense que si j’étais sorti du lot dès le début, peut-être que ça m’aurait plu, mais vu que je faisais partie des moins bons là-bas, ça ne m’a pas motivé plus qu’autre chose. Et chez nous, que ça soit en Moldavie ou dans les pays de l’Est, il y a toujours deux, trois chouchous dans la salle et les entraineurs ne s’occupent que de ces deux, trois personnes. Les autres sont là en tant que partenaires. Ce n’est pas comme ici où on va voir chacun en particulier, voir si ça se passe bien, et si ça ne se passe pas bien, on adapte. Je me rappelle, il y en avait deux dans la salle, et tout était pour les deux. Nous, on était là comme des mannequins. On passait à la queue leu-leu. On faisait les partenaires, c’est tout.

Dans les pays de l’Est, dès le début c’est soit libre, soit gréco, ça ne se mélange jamais. C’était hors de question de mélanger. Moi j’ai pris libre. Ça, j’ai choisi ! C’est le seul choix que j’ai eu !

Là-bas je n’ai jamais gagné, j’ai fait deux compétitions en Moldavie, je n’ai rien gagné, parce que le niveau est largement au-dessus.

La première compétition j’ai fait deux matches, j’ai perdu les deux matches. Un que j’ai failli gagner et au deuxième j’ai volé carrément, c’était vite et rapide.

La deuxième compétition c’était les championnats de Moldavie, j’ai fait un match gagné et deux matches perdus. Mais là où en France il y a vingt personnes dans une catégorie, là-bas on était quarante, soixante par catégorie. Il y a cinq millions d’habitants en Moldavie. C’est le sport national. Les deux sports les plus pratiqués sont la lutte et la boxe mais il n’y a que les lutteurs qui s’en sortent un peu. En lutte on a un champion du Monde, des champions d’Europe. En boxe pas tant que ça.

J’ai appris il n’y a pas longtemps que là-bas, pour aller au championnat d’Europe, les mecs payent de leur poche. Si le numéro un n’a pas d’argent, il n’y va pas. C’est celui qui a de l’argent qui y va. Il peut être numéro cinq national mais si maman, papa ont de l’argent, c’est lui qui part.

Ce n’est pas la fédération qui paye, ils s’en mettent plein les poches.

Il y en a un qui est venu, je crois qu’il travaille dans le bâtiment en France, c’était le numéro un des cadets. En Moldavie ils lui ont dit : « Tu veux aller au championnat d’Europe, il faut payer. » Il n’avait pas les moyens, du coup il est venu bosser ici. Pourtant il battait facilement toute la catégorie.

Là-bas j’en ai fait un an et demi et je suis arrivé en France fin 2004 à quatorze ans. Au bout de cinq, six mois mes parents m’ont trouvé le club, je suis venu ici pour la première fois un soir, c’était un jeudi si je ne me trompe pas, il y avait Didier dans le couloir je me rappelle. Je ne parlais pas français encore. Il y avait Yuri mais il n’était pas ici, il était en Moldavie à cette époque-là. Yuri, qui fait du MMA. Moi je parle russe. Il y avait Akhmed. Vadim (Vadim Guigolaev, entraineur aux Diables Rouges) on le voyait de temps en temps, il était encore en équipe de France, on ne le voyait pas trop souvent. J’ai parlé avec ceux qui parlaient russe, ils ont traduit à Didier. Didier m’a dit : « Tu montes sur le tapis. » Dès le début il m’a laissé faire un match. Je suis rentré, pas d’échauffement, tout de suite un match. Avec Akhmed (Akhmed Aibuev, champion de France, licencié aux Diables Rouges) si je ne me trompe pas. C’était chaud. Je gagnais une fois, il gagnait une fois. Didier, dès qu’il m’a vu lutter il m’a dit : « C’est bon, demain soir tu ramènes ton short et ton T-Shirt et tu es pris au club. » A cette époque j’ai commencé avec Akhmed qui est en équipe de France, on s’entrainait tous les deux. On faisait le même poids à cette époque-là. Ça a duré un peu moins d’un an, après il a commencé à grossir et il a explosé.

Ça a été assez vite. C’était en 2005. Je suis arrivé début 2005 au club.

Je n’ai pas payé de licence pendant quelques années parce que mes parents ne pouvaient pas, mais vu que derrière pendant six ans j’étais le meilleur en Ile de France et j’ai fait une fois vice-champion de France…

Ici j’ai commencé à gagner, et finalement c’est moi-même qui venait aux entrainements. Arrivé en France, on habitait à Sarcelles. C’était une heure à une heure et demie de trajet. Je le faisais tous les soirs tout seul, mes parents ne m’ont jamais accompagné. Les deux premiers jours ils m’ont ramené ils m’ont dit : « Le métro est ici, la station est là, c’est bon. » Ils m’ont laissé et depuis trois fois par semaine j’étais au club et je n’ai pas manqué un seul entrainement.

Je ne me rappelle pas de ma première victoire en compétition. Il y en a eu beaucoup. Je n’ai jamais perdu. Le pire de ce que j’ai fait c’est que j’ai été cinquième une fois, sinon c’était tout le temps sur le podium et la plupart du temps c’était premier. C’était premier ou troisième, je n’ai jamais fait deuxième à part les France ; c’est la seule fois. Je ne me rappelle pas vraiment parce que les premières fois j’ai gagné et après c’est devenu un truc où je restais une demi-heure, une heure de plus à la fin des entrainements après les autres parce que il fallait que je gagne. Si j’allais en compétition c’était pour gagner, je m’en foutais de la deuxième ou de la troisième place, c’était premier c’est tout, les autres ça comptait pas. Je ne me rappelle même pas de la première compétition ! J’ai chez moi un sac à moitié rempli de médailles, je ne sais pas où il est, il doit être à la cave. Ma mère avait commencé à exposer mes médailles mais il y en avait tellement que ça rentrait pas sur un tableau, du coup on a dit : on laisse tomber. Je pense qu’elles sont à la cave chez mes parents, je pense qu’ils les ont toujours. Les dernières que j’ai gardées, c’est les titres par équipe, en tant qu’entraineur.

Ce qui me plait en lutte, c’est la combativité, le contact, et surtout le fait de se mesurer à quelqu’un, et trouver toujours plus fort. Il y a toujours quelqu’un qui est plus fort. On peut s’entrainer autant qu’on veut, on trouvera toujours un qui sera meilleur. Donc le fait de se surpasser tout le temps, tout le temps, tout le temps. Même en faisant dix heures d’entrainement par semaine il y aura toujours quelqu’un qui sera meilleur. On fait toujours plus. Là au club, ça commence à revenir, mais moi quand je m’entrainais, les entrainements étaient assez poussés. Il y avait beaucoup de partenaires, on était cinq, six, on allait au championnat de France, on y allait en car. Il y avait des compétitions où on partait à quarante lutteurs, avec deux, trois personnes dans la même catégorie. Donc il fallait gagner ici aussi, il fallait montrer qu’on était meilleur que les autres pour pouvoir aller en compétition. La concurrence était au top. La concurrence je trouve ça excellent. Ça donne tout. Ce n’est pas un sport où on gagne de l’argent, donc si on a pas de concurrence, ce n’est pas ça qui nous fait sortir !

La différence entre la gym et la lutte, c’est qu’en gym on cherche la perfection alors qu’en lutte on cherche à être meilleur que quelqu’un. C’est complètement autre chose. En lutte on n’est pas forcément le meilleur mais on peut battre certaines personnes parce que chaque match est différent, chaque match est jouable. Alors qu’en gym faut être parfait, c’est tout. Il n’y a pas d’adversaire, il n’y a rien.

En lutte, le contact, c’est le fait de se mesurer, de s’attraper, de montrer son côté physique, sa force. Moi j’ai beaucoup lutté en force. Je n’étais pas forcément très bon techniquement mais le côté physique m’a permis de passer. J’ai bossé. On va prendre Akhmed qui sentait la lutte, pour lui c’était naturel, moi il fallait que je travaille. Donc c’était toujours plus que les autres, j’allais courir tout seul.

Mes points forts sont le côté physique et la combativité : aller au bout tout le temps, ne rien lâcher. J’ai gagné beaucoup de matches grâce à ça, chaque point c’était un point. Je ne faisais pas des attaques superbes etc, mais : à fond !

Avant les matches, j’étais très très nerveux, très stressé. Je perdais mes moyens avant le match ; mais dès que je montais sur le tapis, que je serrais la main, c’était bon. Tout revenait et à fond. Mais avant ça, pendant les cinq, dix minutes avant, j’étais tout mou, je tremblais, j’avais le stress, c’était horrible. C’est pareil, je n’ai pas envie de retrouver ces sensations, c’est pour ça que je n’ai pas envie de reprendre la compétition. Parce que je sais que ça va revenir. Ça m’a tout le temps fait ça. Même en étant le meilleur en France. Même avec les mecs où je savais que ça allait passer facilement. Mais pour moi un combat c’était un combat. On peut se faire surprendre à tout moment. Je n’ai jamais pris vraiment plaisir. Le plaisir c’était sur le podium. Une fois que c’est fini. Pendant le match, c’était un plaisir quand je gagnais facilement. C’était du plaisir. Mais quand le matche était chaud, ce n’est pas du plaisir. Je pense que personne ne dira que c’est du plaisir quand un match est dur. Par contre quand on gagne facilement, qu’on jette dans tous les sens, oui ! C’est le plaisir.

J’ai fait des compétitions en gréco, ici j’ai fait les deux styles. Au club c’est comme ça, on nous oblige à faire les deux. Mais je préfère largement la libre, c’est incomparable. Par contre, ce que j’aimais bien en compétition avec la gréco, c’est que je m’en foutais. J’allais pour le plaisir. Gagner j’aimais bien mais si je perdais ça ne me dérangeait pas. Alors qu’en libre c’était hors de question que je perde. Si je perdais un match, je sortais, je cassais quelque chose.

Je me rappelle d’une compétition des Iles de France, j’ai eu trois matches et sur trois matches, je n’ai pas fait exprès mais j’ai blessé les trois personnes ! Ça, ça m’est resté. Il y en a un, je lui ai déboité l’épaule, le deuxième je ne lui ai pas cassé le dos mais presque. C’était des débutants mais pour moi ça n’existait pas « débutant » ou « confirmé » c’était tout le monde pareil. Je rentrais et c’était à cent à l’heure pendant les quatre minutes du match, et je sortais. Il y avait des gens qui n’étaient pas prêts pour ces quatre minutes.

J’avais un adversaire, un mec d’Aulnay, que je rencontrais tout le temps. Un hongrois. C’était tout le temps, tout le temps. Il a dû me battre une ou deux fois, sur une quinzaine ou une vingtaine de fois qu’on a combattu. On était amis. Je me rappelle qu’à chaque fois, on se serrait la main au début du match et on se disait : « Allez ! que le meilleur gagne. » Et on se faisait tout et n’importe quoi. Je sortais avec des bleus. Et à la fin : « OK. La prochaine fois ça sera moi ! ». Ça a été une belle concurrence, c’est ça qui me poussait aussi. Quand j’ai fait vice-champion de France, le premier c’était un arménien –à cette époque on pouvait encore en cadet être étranger et faire le championnat de France- après il a intégré l’équipe de France par la suite, le deuxième moi, et le troisième c’était le hongrois. C’était une brochette d’étrangers sur le podium.

Pour moi, le fait de se mesurer, cette concurrence, ça m’a toujours plu.

Cet adversaire, je peux dire que je le connaissais, je le regardais beaucoup, j’essayais d’analyser, je savais tout ce qu’il faisait et lui aussi. Parce qu’on se rencontrait tout le temps.   En Ile de France il y avait pas mal de stages organisés par le comité avec les trois, quatre meilleurs. J’ai fait des stages nationaux, c’était pareil, les cinq meilleurs de chaque catégorie, on tournait entre nous, on s’entrainait, on luttait donc on se connaissait parfaitement tous. En gros, c’était le plus vicieux ou celui qui sentait le mieux la lutte ce jour-là qui gagnait mais on était tous à peu près du même niveau. En général, les mecs ils se connaissent. Par exemple Sami et Florian (deux jeunes lutteurs des Diables Rouges) savent à chaque fois ce qu’il faut faire. Je leur donne des conseils, je dis : « Si celui-là t’attrape le bras, t’as perdu. Si tu donnes pas le bras, t’as gagné ! » Ce n’est même pas le plus intelligent, c’est celui qui est plus malin que l’autre qui gagne.

Partenaire c’est à l’entrainement, adversaire, c’est en compétition. Deux personnes du même club dans la même catégorie restent des partenaires. Mais pour moi, le jour où il monte sur le tapis, ça devient un adversaire.

Un partenaire, on essaie de le ménager, on ne va pas le défoncer.

Un adversaire, c’est tout ou rien, il n’y a pas de pitié. Si je peux casser le bras pour gagner, je le casse, je m’en fous ; un partenaire je ne ferai pas ça.

Pour moi, c’est ça la différence.

J’ai les deux genoux opérés. Les deux ménisques. C’est aussi ça qui m’a fait décrocher de la lutte. Je me suis fait ça à un entrainement, quand il y a eu le grand prix. En 2006 pour le premier. Et en 2008, j’ai complètement explosé le cartilage du ménisque. Il manque la moitié d’un côté, l’autre moitié de l’autre. Le médecin m’a dit : « À cinquante ans, des prothèses. » J’ai demandé une carte de fidélité, il a rigolé, surtout que deux ans après mon père s’est fait aussi opérer des deux genoux. Il n’est pas du tout sportif. Mais le ménisque c’est fragile.

J’ai eu les deux genoux, et après des soucis d’épaule, j’ai un nerf coincé aux cervicales, en fait j’ai deux vertèbres qui commencent à se chevaucher, j’ai fait des radios ce matin. Le médecin m’a dit qu’il faudrait surveiller ça. Tout ça est dû à la lutte. Les genoux, des entorses aux chevilles.

Au jour d’aujourd’hui je me dis que c’est bien que mon père ne m’ait pas laissé faire du foot par exemple, parce que le sport en équipe, j’en fais de temps en temps, je vais jouer, et ça m’énerve. Moi je suis toujours à 100%, même plus. Donc quand je vois quelqu’un qui traîne la patte ou quelque chose, je ne supporte pas. J’ai fait trois ans d’armée et ça a été pareil. J’ai toujours porté les sacs des autres, etc, parce que je n’aime pas que ça aille tout doucement. Les six premiers mois de l’armée, j’ai même demandé à faire plus de sport. Je suis allé voir mes chefs, mes officiers, pour demander plus de sport, ce n’était pas suffisant. J’étais dans les chasseurs alpins.

Mes parents sont venus en France pour des raisons économiques et financières, mais surtout pour nous. Pour un meilleur avenir. Au niveau des études, au niveau du sport. Un cousin de ma mère était en France. Mon père est arrivé en 2001, je suis resté avec ma mère, mon petit frère était chez mes grands-parents. En 2003, ma mère est venue ici. Et nous fin 2004. Pendant presque deux ans, je suis resté chez mes tantes et mon petit frère toujours chez mes grands-parents. Toute la famille était séparée. Mais bon finalement ça va. Il n’y a pas de problème d’éducation ou autre. Mon père travaille dans le bâtiment. Il fait un peu de tout. Ma mère fait toujours du ménage et en plus auxiliaire de vie.

Quand je suis arrivé je ne parlais pas du tout français. J’ai tout appris ici. J’ai commencé par six mois de classe d’accueil pour apprendre le français, après j’ai fait quatre ou cinq mois de quatrième, puis la troisième, en ensuite j’ai choisi…oui et non. En troisième je n’avais pas compris que les études c’était important, donc j’ai fait une filière professionnelle, j’ai choisi comptabilité, j’aimais bien les maths. En BEP la deuxième année, juste avant l’examen j’ai compris que c’était plus important que le sport donc j’ai eu mon BEP largement et le BAC avec félicitations. Après j’ai arrêté les études, je voulais devenir militaire. Depuis que je suis tout petit. Je voulais vraiment faire carrière dans l’armée. Au début en tant que légionnaire. Finalement j’ai eu ma nationalité grâce à quelqu’un qui était au club avant et je me suis engagé dans l’armée française. J’ai fait l’armée de 2011 à 2014. Je me suis engagé sur cinq ans et j’ai arrêté au bout de trois. Pour moi l’armée c’était les OPEX (opérations extérieures). Je suis allé au Mali et ça ne m’a pas plu. Pas de contact, on a rien fait, on surveillait le vide.

Au bout d’un an et demi, deux ans, j’ai compris que ce n’était pas mon truc. Ici, j’entrainais déjà dans deux, trois clubs, donc j’avais déjà des gamins sous ma responsabilité, la liberté de faire ce que je voulais. Je suis arrivé là-bas, je n’avais pas le droit d’aller faire un footing tout seul, on m’expliquait que ce n’était pas bien alors que ça fait quinze ans que je suis dans le sport et que je pensais que j’étais plus apte à faire certaines choses. L’autorité militaire ne me dérangeait pas du tout, mais le fait qu’il y ait des blocages comme ça et le fait de travailler toujours sur place, c’était compliqué. J’ai essayé de rentrer en tant que sous-officier mais ils m’ont refusé à cause des genoux. Donc j’y suis allé en tant que militaire du rang et ça m’a assez dégoûté. Je pense qu’en tant que sous-officier ça m’aurait plus plu. Avoir des gens sous ma responsabilité, gérer un groupe. J’avais passé tous les tests largement. J’étais dans les chasseurs alpins. Mon problème aux genoux m’empêchait de sauter en parachute par exemple. Mais le pire c’est qu’en étant militaire du rang, c’est pareil que sous-officier et officier. J’ai passé tous mes tests avec dix-neuf et demi de moyenne, même les tests psychologiques et ils m’ont dit non à cause des genoux. Je suis bête, je n’aurais pas dû leur dire. Ils n’avaient pas moyen de le vérifier. C’est moi-même qui leur ai dit. J’ai été trop honnête. Je regrette mais j’ai compris la leçon. Je regrette de ne pas avoir fait sous-officier mais je ne regrette pas l’armée. C’était une belle expérience. J’ai fait pas mal de trucs en France, j’ai passé mon permis, j’ai fait un quatorze juillet sur les Champs-Elysées. Ça va. J’étais bien. La dernière année j’ai eu un nouveau chef de section, on s’est compris dès le début. Il me donnait tout ce dont j’avais besoin. Il a eu besoin de moi deux mois et demi. Pendant deux mois et demi, je ne suis pas rentré chez moi. J’étais disponible 24h/24. Je suis allé dans toute la France. Après il m’a donné tout ce que je voulais : permis, trois semaines de repos chez moi. Sur toute la section, quarante personnes, j’étais le seul privilégié à avoir ça. Même mes chefs. C’est parce qu’il a eu besoin de moi pendant deux mois et demi. « Si tu assures les deux mois et demi, tout ce que tu me demandes sera accepté. » C’était un ancien qui avait dix-huit ans de service je crois. Celui qui m’a formé avait quinze ans de service. Parfois à coups de claques, à coups de pieds dans la tête, et en avant ! Mais moi c’est ça que j’aime bien. La vieille école.

Je ne combats plus depuis 2010. Depuis que je suis parti à l’armée.

Au retour j’ai failli recommencer. Je faisais la deuxième division avec le club. Il y avait Antoine Massida (petit-fils de Pino Massida). Je luttais en 66, lui luttait en 60. Il faisait partie de l’équipe de France. Il luttait en première division. Petit à petit il ne voulait plus trop faire de régime. Et Pino l’a mis à ma place. Ils m’ont dégagé tout doucement, gentiment. Ça m’a un peu dégoûté, en plus j’étais allé à l’armée et je me suis dit non. Ça demande un tel investissement et il n’y a rien derrière. Rien au niveau financier. C’est bien de s’entrainer, je veux bien me donner à fond mais si je me blesse, comment je fais ? C’est ça. C’était surtout ça. Et il y a eu un championnat par équipes où on ne m’a pas mis sur la liste, ça m’a encore plus motivé de ne pas faire de compétition et au jour d’aujourd’hui je me dis non. Je me fais plaisir tout simplement aux entrainements et ça s’arrête à ça.

J’ai fait mon premier diplôme en tant qu’animateur en 2006, avec Dane (Dane Candillon, entraineur aux Diables Rouges). J’ai eu le deuxième niveau en 2010. J’avais commencé à entrainer en 2005 avec Eric (Eric Duceux), le frère de Didier (Didier Duceux, président des Diables Rouges), à Neuilly-Plaisance. Il a été mon entraineur pendant toutes mes années de lutte et il m’avait pris avec lui là-bas car il avait besoin de quelqu’un. Ça m’a plu dès le début. Le club a commencé à m’envoyer en formation et suite à ça j’entrainais ici, je donnais des coups de main à tout le monde, le comité m’a appelé plusieurs fois, je faisais des démos, des stages.

Au retour de l’armée, j’ai fait un mois et demi en tant que chauffeur-livreur et le club m’a proposé un contrat. J’ai accepté sans vraiment réfléchir et là je suis en BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport) lutte. En ce moment je ne fais plus que ça. Ça fera un an le premier avril.

Je considère que si on entraine on peut ne peut pas combattre en même temps. On ne peut pas mélanger les deux. On n’a pas le temps. Soit je m’entraine, soit je vais entrainer. Sur le tapis de temps en temps j’aime bien aller lutter avec mes potes, mais je ne peux pas surveiller, je ne peux pas regarder les gamins. Ce n’est pas compatible. C’est soir l’un soit l’autre, c’est pas les deux. Vadim a encore fait un championnat par équipe, c’est autre chose, mais ça veut dire qu’il y a des entrainements où il doit s’entrainer, donc il ne surveille pas. Je ne trouve pas ça normal. Soit on devient entraineur, soit on est combattant.

Ici j’entraîne aussi les filles. J’aime bien. Personne ne veut s’en occuper. Vadim c’est hors de question pour lui. Les autres n’ont pas trop le temps. Karen fait de la gréco. Les quatre, cinq filles viennent depuis un petit moment. J’ai commencé tout doucement et j’ai réussi à faire venir Mariana (Mariana Kolic, lutteuse licenciée aux Diables Rouges, à l’INSEP). Didier dira que c’est lui. Ça ne me dérange pas qu’il tire tout à lui, ça ne me pose pas de problème. Je n’ai pas besoin de me ramener du mérite mais depuis le début de l’année je suis intervenu plusieurs fois en lui disant : « Il faut la faire venir. » Elle est sous contrat comme moi mais en tant que sportive de haut niveau, donc elle n’est pas obligée de bosser, elle fait juste ses entrainements. Mais elle aime ça. Elle adore entrainer. Donc c’est génial. Là, on essaie de bosser tous les deux.

Une fille est aussi combative qu’un garçon, même plus. Elles veulent prouver toujours plus. Après, c’est spécial. Quand elles ont leur règles il faut les laisser tranquilles, quand elles n’ont pas envie, elles n’ont pas envie… Ce n’est pas comme les garçons. Il faut s’adapter. « Ah mon copain… » : Elles racontent leur vie, il faut les écouter. C’est un peu spécial. Moi ça ne me dérange pas. Ça me plaît.

Quand j’entraine, j’aime bien regarder des vidéos pour m’inspirer. J’essaie au maximum. En ce moment je n’ai pas trop le temps, sinon oui. Des vidéos techniques ou des combats. C’est ce qui m’inspire. Je ne l’ai jamais fait en tant que combattant, je ne sais pas pourquoi, je n’étais pas au courant ou j’en sais rien. Au jour d’aujourd’hui je me dis que c’était une belle connerie. Je préfère plus le côté entraineur que le côté lutteur. Je prends énormément plus de plaisir en tant qu’entraineur. J’aime les lutteurs, les mecs qui se donnent à fond. Les victoires ça n’a pas de prix, c’est énorme.

Je préfère une victoire en tant qu’entraineur. Ça sera plus mis en valeur le jour où les petits vont sortir. Pour l’instant je coache les mecs qui ont été formés par les autres. Si un jour quelqu’un que j’ai formé sort du lot… ça n’a pas de prix. Il faut demander à Karen (Karen Galustyan, entraineur aux Diables Rouges), il le voit. Le travail paye.

A l’époque où je suis arrivé, Mélo (Mélonin Noumonvi, champion international) venait s’entrainer avec nous une fois toutes les deux semaines ou une fois par mois. Je me rappelle d’un soir où je m’entrainais avec lui, il me prenait le bras extérieur et il me soulevait comme ça. Il jouait avec moi. J’ai ce souvenir. Depuis un an que je suis là, j’essaie toujours de dire ça à Didier : « Il faut les (les champions licenciés au club) faire venir ». Au moins une fois tous les trois mois, ce n’est rien. Didier me dit qu’ils ne sont pas disponibles. Mais bien sûr que si. Il faut leur imposer. Tout le monde viendra. Il ne veut pas leur imposer, c’est tout. Moi, c’est ça qui m’a fait rêver aussi, des mecs comme ça. Les gamins, ce n’est pas moi qui vais les faire rêver. J’ai fait vice-champion de France c’est rien. Le mec (Mélonin Noumonvi) est international, ça fait quinze ans qu’il est en équipe de France, titulaire. C’est l’image. C’est important d’avoir des modèles.

J’ai toujours regardé les champions mais je n’avais pas vraiment de modèle.

Quand j’étais en Moldavie, on avait un journal à tenir. A chaque compétition, on surveillait qui gagnait, les championnats d’Europe, on écrivait des petits articles, l’entraineur nous obligeait, c’était obligatoire. Je me rappelle que des mecs avaient leur idole. Ils surveillaient un athlète : quelle compétition il a fait, dans quelle catégorie de poids, s’il a fait des régimes, quels sont ses résultats… Moi je regardais un peu tout le monde.

Alxandre Karelin, c’est un monstre. Il faut voir les images déjà. Il habitait en Sibérie. Il est tombé d’un avion dans un lac gelé. Il a nagé pendant je ne sais pas combien de kilomètres, il s’est sorti du lac. Quelques mois après, il fait champion olympique. Ses footings il les faisait dans un mètre de neige. C’est un monstre. Il faut le voir déjà. Il est énorme, il a une tête ! C’est un beau bébé. Il y a lui, il y a Saitiev, c’est un lutteur de lutte libre en 74 kg. Trois fois champion olympique. Trois olympiades de suite, c’est le seul qui a fait ça. Karelin a fait trois olympiades je crois. Karelin aurait pu faire quatre fois, mais le dernier, il a dû vendre son match contre l’américain. On le voit, il ne lutte même pas.

Déjà quand je luttais j’aimais bien aller à la chaise. Quand Eric ne pouvait pas, j’allais à la chaise de tous mes potes. C’était déjà un plaisir que j’avais. J’adore ça, aller à la chaise, mais en lutte libre. Là j’ai fait la compétition en gréco, je n’ai pas vraiment aimé. Ce n’est pas le même style déjà, et ce n’est pas le même coaching à la chaise. En lutte libre, on conseille le lutteur, en gréco, on surveille le score. C’est ça la différence. Et il y a le « mignon » le machin à jeter dès qu’il y a faute. Il faut plus surveiller l’arbitrage que conseiller son lutteur. C’est ça qui est compliqué. J’ai ressenti ça comme ça. Certes on conseille le lutteur quoiqu’il arrive mais c’est beaucoup beaucoup d’analyse du score. Un match gagné peut se gagner sur 4-4, c’est le dernier qui marque qui gagne, donc il faut tout le temps compter, tandis qu’en lutte libre, on compte sans vraiment se focaliser sur les points.

Je me rappelle des demi-finales des France avec Sofiane, là dernièrement. Il aurait pu gagner si j’avais jeté le truc. Je l’ai pas fait parce que déjà je n’ai pas eu le temps. Il y avait 2-2 et ils sont montés jusqu’à 12 points : 12-10. Je ne savais plus vraiment qui avait fait le dernier point, pourquoi, comment. L’arbitre du milieu peut par exemple montrer quatre points et l’arbitre central de la table va montrer deux ou quatre. Moi ce que je surveille c’est l’arbitre du milieu, mais entre l’arbitre du milieu et celui de la chaise ce n’est pas toujours les mêmes points donc dans ma tête des fois je me disais : il y a huit points ; et je lève les yeux et il n’y en a que quatre ou six. Quelle technique il a compté deux, laquelle quatre ? Est-ce que c’est la dernière qu’il a compté deux ou quatre ? Parce que ça fait beaucoup de différence. Ça je n’y arrive pas encore, c’est complexe et c’est de la gréco, ce n’est pas mon truc.

Je n’ai pas encore d’enfant. Je vais me marier au mois de juin, c’est pour ça que le grand prix a été décalé d’une semaine. Si j’ai un enfant, je lui ferais faire de la lutte mais je ne lui imposerai pas ça. C’est trop compliqué, c’est trop complexe, c’est trop de sacrifices. Et puis surtout, derrière il n’y a pas de récompense. Si encore il y avait quelque chose, pas forcément financier, mais un suivi des personnes, quelque chose, mais là une blessure… C’est comme dans tous les sports mais là c’est encore pire parce que une blessure et il y a toujours quelqu’un qui remplace. Au foot, au tennis, au bout d’un an ou deux, le mec il peut revenir, regagner sa place. En lutte, on ne regagne pas vraiment sa place, à part si on est le chouchou. C’est comme ça. Mais je lui ferai faire de la lutte, ça c’est sûr et certain, que ça soit une fille ou un garçon. En étant petit, il a cette combativité. Mais pas de compétition, je ne pense pas. Ou si, de la compétition, mais comme mon frère, je lui ai interdit de faire des régimes. Parce que je n’ai pas grandi à cause de ça. Mon frère est plus costaud que moi, parce qu’il n’a pas fait de régimes. Ça empêche la croissance, c’est sûr. Sûr et certain. Vous voyez Ryan ? Jusqu’à cadet, il a fait des compétitions. Il était à Font-Romeu. Dès qu’il a arrêté, il a pris dix ou quinze kilos d’un coup. Ne pas manger pendant une semaine, ne pas boire, et puis après on mange tout et n’importe quoi. Combien de fois j’ai fait des régimes. Par exemple aux championnats de France, on se pèse le vendredi, on lutte le samedi. Maintenant ils ont changé un peu, ils luttent le vendredi soir un tour ou deux. Donc on se pesait le vendredi, le soir même je m’explosais le ventre au resto, la moitié de la nuit je ne dormais pas, j’étais en train de vomir parce que j’avais trop mangé et que toute la semaine je n’avais pas mangé assez. Donc le corps… je n’ai pas envie de retrouver ça non plus. Ce ne sont pas des souvenirs agréables.

Les compétitions ne me manquent pas du tout. Toutes mes compétitions, je les ai faites avec des régimes. Au jour d’aujourd’hui c’est hors de question que je fasse un régime. L’année dernière j’en ai fait un pour une compétition de beach wrestling, j’ai fait deux kilos. Le premier soir quand on est arrivés là-bas, tout le monde est parti au resto, je n’ai pas pu manger. Moralement, ça m’a rappelé les cinq, six années de compétition, j’ai dit : « Non c’est fini ». J’ai fait ce régime et je n’ai pas fait de résultat donc non. Je ferais bien une compétition pour le plaisir à un petit niveau mais non, pas de championnat de France ou quelque chose comme ça.

Je luttais en 66 kg et je faisais 72. Au championnat de France quand j’ai fait vice-champion, je pesais 69, 70 et j’étais en 63 kg. Là je suis à 73, 74 kilos et ma catégorie c’est 70 kg. Ça fait encore quatre kilos quand même. Ça ne me donne pas envie. C’est surtout le poids qui me démotive dans ce sport. Ce n’était pas dur, je perds facilement du poids, je peux perdre deux, trois kilos par entrainement, ce n’est pas un souci. C’est le fait de se priver de nouveau. C’est ça qui ne me donne pas envie. Je suis gourmand. La bouffe, c’est avant tout.

En ce moment j’ai un poids qui me convient. Pas pour faire de la compétition. Mais pour moi oui. J’aimerais bien encore prendre deux, trois kilos. Mais de muscles.

Perdre du poids pour lutter, c’est par rapport au côté physique. Par exemple, il y a 66, 70, 74 comme catégories. Les mecs qui luttent en 74 ils font quatre, cinq kilos de plus normalement. Tout le monde perd du poids. C’est la lutte, c’est comme ça. En cadet il y avait 63 et 69. Je faisais 70, je pouvais ne perdre qu’un kilo. Mais je n’étais pas assez fort pour lutter en 69 kg. Entre la pesée du vendredi et le poids du samedi quand je luttais il y avait cinq, six kilos de différence. Déjà deux litres d’eau ça fait deux kilos. Steve (Steve Guenot, champion olympique), aux Jeux, il a perdu seize ou dix-huit kilos. C’est à dire que le lendemain il a dû reprendre six ou huit. Ça va vite. Il faut boire déjà. Parce que nous, la perte de poids c’est de l’eau, ce n’est pas de la matière grasse. C’est du muscle et de l’eau. Ce n’est pas du gras. On perd six kilos, et on en reprend huit. Il y a toujours un ou deux kilos de plus qui se rajoute à chaque compétition. Normalement on est censé manger équilibré les semaines d’après mais toute la semaine d’après le régime, on mange tout, surtout du sucre parce que c’est ça qui nous manque. Sofiane ne fait pas de régime cette année. J’ai vu dès le début de l’année qu’il avait du mal. Je lui ai dit de ne pas le faire. Et finalement il prend plus de plaisir qu’avant. Il s’amuse. Il lutte dans sa catégorie ou au-dessus mais il est au top. Manvel c’est pareil, pour les France gréco il a perdu du poids mais pour les libre, on l’a fait monter de catégorie. Il a perdu six kilos je crois. Il est minime. Il a treize ans. Et déjà il est comme ça (tout mince) donc six kilos c’est énorme. Quand il m’a dit six kilos, je lui ai dit que pour les championnats en libre c’était hors de question. Même si tu as envie de le faire, c’est impossible de perdre autant de kilos. En junior ils font ce qu’ils veulent. Mais depuis que je suis revenu (de l’armée) j’essaie de limiter à deux kilos maximum pour les minimes et cadets ; trois s’il est un peu gras. Sofiane peut perdre trois kilos. Mais Manvel ou Gagik ce n’est pas possible, ils sont trop secs. Après chacun fait comme il veut. Certains entraineurs obligent les gamins à perdre du poids. Certains sont contre. Moi, par rapport à mon vécu, je suis contre. Je sais ce que ça fait.

Mon frère Ivan fait de la lutte, grâce à moi ou à cause de moi. Il a commencé ici. Je suis arrivé en France à quatorze ans, lui en avait sept. Il a commencé là, je ne sais même pas à quel âge. Après il a eu un accident de voiture, un taxi l’a percuté, donc quelques opérations au niveau du visage et il a pris du poids. Il était un peu bouboule. Il luttait avec quelques gamins qui sont maintenant partis à l’USMétro. Il a commencé à grandir il y a trois, quatre ans, il a fait un peu de musculation, il mange deux fois plus que moi et deux fois plus que mes parents, donc ça a gonflé d’un coup. Une fois tous les deux, trois mois, il fait une compétition. Mais je lui interdis les régimes. Jamais plus de deux kilos. Il lutte toujours dans la catégorie au-dessus. Il a dix-huit ans. Il est aussi grand que moi mais un peu plus costaud. C’est sûr que vous l’avez vu dans la salle. Il a fait un bac filière professionnelle en informatique, il a eu son bac et là, mes parents lui payent une école privée. A la Défense, toujours en informatique. Pour cinq ans d’études, ils payent trente-cinq mille euros. Il n’a pas intérêt de se rater ! Comme j’ai presque toujours tout réussi, il est obligé de suivre. Nous ne sommes que deux. J’ai raconté aux gamins l’autre jour qu’une fois j’étais allé à un conseil de classe pour mon frère. Le prof était un vieux monsieur, il avait cinquante, presque soixante ans. Il me disait : « Ton frère se moque de moi tout le temps en cours, il me rigole dessus. » J’étais assis à côté de mon frère, je l’ai attrapé comme ça (il fait le signe de lui attraper la tête) et bam ! je l’ai vraiment explosé contre la table. Depuis il n’a eu que des félicitations, que des dix-huit, dix-neuf. Donc parfois il y a peut-être besoin d’un déclencheur, je ne sais pas. Ce n’était peut-être pas la meilleure méthode mais ça a payé. Au jour d’aujourd’hui il fait des études supérieures. Quand je pouvais, c’était moi qui allait au conseil de classe pour mon frère. Ma mère lui gueulait dessus mais ça s’arrêtait à ça, mon père n’allait pas le frapper, il ne pouvait pas. Moi je ne me privais pas. Comme j’ai presque tout réussi de ce que j’ai fait, mon frère a cette pression. Quand il lutte, les autres du club lui disent : « oui, ton frère il faisait comme ça etc. » Mais ça va, il s’en sort bien.

Je sais qu’il vous faut du monde pour le spectacle. Mon frère qui a dix-huit ans, a joué dans un film : La tête haute. Il est assez à l’aise, c’est son truc on dirait. Il était dans un parc et une femme s’est approché et l’a recruté pour passer un casting. Il a été pris et ils sont tourné une semaine. Il passe deux minutes dans le film. Il adore ça, il aime trop. Il est à fond dedans, s’il ne pouvait faire que ça…

Je ne suis pas du tout bagarreur. Pourtant je pourrais. Je ne me suis battu qu’une seule fois. L’autre a porté plainte. J’ai été convoqué au commissariat. Je ne vois pas l’intérêt de taper quelqu’un. Surtout qu’en général, ce sont des moins forts.

Pour moi l’objet emblématique de la lutte, c’est le maillot. Ils parlent de l’enlever, je ne suis pas pour. Le maillot, c’est le truc. En cadet j’ai eu un maillot que Mélo (Mélonin Noumonvi, champion du Monde) m’a signé.

On montre la fresque de Beni-Hassan

Ça m’évoque qu’on a failli sauter des Jeux alors qu’on est le plus vieux sport du monde. Le judo, tous les sports de combat viennent de la lutte. A l’époque ils n’avaient pas de vêtements, ils s’attrapaient, ils se jetaient, c’est tout. C’est de la lutte.

Je reconnais beaucoup de techniques, c’est ce qu’on fait toujours. Trois mille ans et on est toujours au même niveau : c’est beau l’évolution !

Mon père n’est jamais venu me voir lutter. Il est venu une seule fois en compétition, par pur hasard. Je faisais les qualifications pour les championnats de France à Porte d’Ivry. Il est venu avec ses potes, il avait bu un coup, du coup il s’est dit : « Allez, on va le voir ! » C’était le seul moyen je crois. C’est la seule fois qu’il est venu. Je ne l’ai jamais vu en compétition et je me dis que c’est bien. Sur le coup, j’en voulais à mes parents mais au jour d’aujourd’hui je me dis que c’est très bien qu’il ne soit pas venu, car quand je vois ce que ça donne, la pression que ça met aux gamins, je suis contre. Les papas arméniens, je suis contre le fait qu’ils viennent aux compétitions. Mais Didier les ramène quand même à chaque fois.

La seule fois où mon père est venu, c’était à Porte d’Ivry et il y a plusieurs gymnases. Il est rentré dans un gymnase et a demandé à un Tchétchène : « Je cherche Mickael, tu ne sais pas où il est ? » L’autre a baissé la tête : je venais juste de le battre. Il a dit : « Il est là-bas et il vient juste de me gagner. » À chaque fois mon père raconte ça à tout le monde. Il dit : « Je suis allé une fois dans ma vie à une compétition et le mec que j’ai vu c’était celui que mon fils venait de battre. »

Mon père n’avait pas le temps de venir me voir, c’est toujours le cas. Il bosse du lundi au samedi de six heures du matin à dix-huit ou dix-neuf heures le soir.

Quand je faisais de la lutte en Moldavie, mes deux parents étaient déjà en France. C’est grâce au fait qu’ils soient là que j’ai pu faire du sport. Il fallait payer. Donc c’est un mal pour un bien.

Quand je gagnais j’aurais bien aimé qu’il soit là, mais à chaque fois que je rentrais, il me félicitait, il me donnait ce que je voulais. C’était récompensé. Et finalement je me dis que c’est bien qu’il ne soit pas venu car ça m’aurait mis encore plus de pression. Déjà que j’en avais assez.

Mon père est venu une fois voir mon frère, mais ça ne l’intéresse pas. Il aime bien savoir qu’on gagne et ça s’arrête à ça. Je trouve que c’est bien, que c’est mieux. Ça évite une pression de plus. Le gamin peut dire ce qu’il veut. On club on a Grigor. Il a ce problème avec son père. J’ai discuté avec Manvel et Gagik. Ils m’ont dit que quand Grigor lutte en compétition, et c’est pareil à l’entrainement, il jette toujours un coup d’œil à son père. Si il rate sa technique, son père lui gueule dessus. Donc il préfère ne rien faire que de rater quelque chose. Ça le bloque dans sa lutte. Il rate beaucoup de choses à cause de ça. Au dernier championnat de France, son père était quasiment en train de monter sur le tapis pendant le match. Il était au bord du tapis alors qu’il y a deux ou trois mètres de distance à respecter. J’ai l’impression qu’il commence à comprendre tout doucement qu’il met trop de pression, mais il s’emballe à chaque fois.

C’est comme pour mon père. Mon père a toujours voulu faire du sport mais il n’a pas pu parce qu’il était à la campagne. Il avait toujours des choses à faire : aider ses parents etc. Moi, il m’a laissé faire, il m’a laissé beaucoup de liberté, j’ai fait beaucoup de sport. Lui n’a pas pu faire, donc il m’a mis au sport. Finalement il m’a assez poussé mais il n’était pas tout le temps derrière moi. Mais à la maison, ça y allait, il était hors de question que je rate un entrainement ou quoi que ce soit.

Je pense qu’il y a un âge où on doit forcer les jeunes. Parfois. Au jour d’aujourd’hui je ne vois pas l’intérêt. Ce n’est pas ça qui nous fait gagner notre vie. Je vois, il y a Dane qui vit de ça, moi un petit peu. Dane c’est fini et moi c’est fini dans deux ans. Ce n’est pas là que je ferai ma carrière, pourtant j’aimerais bien. J’aimerais bien rester et ne me former que dans la lutte. Mais après le BPjeps, il n’y a pas d’autre diplôme. Il y en a un, mais comme il n’y a pas assez de demandes, ils ne le font pas. Pour passer au niveau de la fédération ou rentrer dans les pôles il faut avoir des contacts, c’est le pote de l’autre, même s’il n’a pas les compétences, il se rajoute à un autre. Tous ceux qui ont été en équipe de France deviennent entraineur alors qu’ils n’ont pas fait d’études. Sinon ils ne font rien dans leur vie. Ils ne sont bons à rien.

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