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Danbé, de Aya Cissoko et Marie Desplechin

DanbéLa couverture du livre résume bien le paradoxe de ce livre, « Danbe » de Aya Cissoko et Marie Desplechin « grand prix de l’héroïne Madame Figaro » sur fond d’une photo prise depuis les hauts de Ménilmontant.

Quel héroïsme les lectrices du Figaro  saluent-elle? L’héroïsme d’une boxeuse portant les couleurs nationales au plus haut niveau ? L’héroïsme d’une intégration sociale réussie ? L’héroïsme de la mère d’Aya Cissoko qui leur a transmis cette vertu, appelée « Danbé » au Mali ?

Danbé est un mot qui signifie en gros « dignité » au Mali, d’où venait Massire, la mère d’Aya Cissoko. Les hauts de Ménilmontant dont une photo illustre la couverture, c’est là qu’Aya Cissoko a passé son enfance, gamine des rues, vêtue d’un improbable collant surmonté d’un bonnet. Elle vivait alors au 140 rue de Ménilmontant, ancienne cité idéale déchue, forteresse de misère, de précarité, d’autodestruction, mais aussi d’auto surveillance d’un lumpenprolétariat exilé là avec l’assentiment et le suffrage des lectrices du Figaro, trop contentes de savoir confinées loin d’eux les classes dangereuses dans leur jeune âge, dans des quartiers où elles auront le lot de violence, d’humiliation, d’injustice nécessaire à forger un caractère de champion.

Le livre parle peu de boxe. Aya Cissoko le dit, elle ne croit guère à l’ascenseur social que constituerait le sport. Sa carrière a été rapidement interrompue par une vertèbre brisée lors de son dernier combat : celui-là même qui lui valu son titre de championne du monde. Elle constata la reconnaissance de la Nation en constatant le peu de cas que fit d’abord la Fédération Française de Boxe, l’abandonnant seule dans un taxi avec une minerve pour tout viatique lors de son retour en France. Cette dernière pièce dans ses rapports douloureux à son pays d’accueil ne l’étonna guère, car si son livre parle peu de la boxe, il livre un témoignage aigu, terrible, révoltant sur le quotidien d’une famille ordinaire d’immigrés maliens en France dans les années 90. Aya Cissoko a un talent pugilistique certain, mais aussi un don d’observation et de conteuse non moins affirmé. Son livre décortique les mécanismes de marginalisation, de précarisation, d’invisibilisation, de destruction des populations immigrées mis en place depuis des années par l’ensemble des gouvernements français. Gouvernements, qui ne furent au reste pas tous élus par les lectrices du Figaro.

On découvre ainsi comment son père, à la suite de l’arrêt de l’immigration économique décidé sous Giscard dans les années 70, se retrouva comme des milliers d’autres maliens coincé en France, astreint à demeurer dans ce pays, de crainte de ne pouvoir s’il quittait de territoire national de ne plus jamais pouvoir y retourner. Et voilà comment une population nomade, vivant d’aller et retour entre la France et le Mali, se retrouva astreinte à demeurer en France, à y faire venir leurs familles qui n’en demandaient pas tant, par une décision politique absurde qui produisit l’effet exactement inverse de ses objectifs.

Mais la société française ne fut pas en reste sur ses gouvernements dans son art de souhaiter la malvenue à la famille d’Aya Cissoko. C’est dans un incendie volontaire de l’immeuble qui les abritait ainsi que d’autres familles africaines que moururent son père et son frère. Aya Cissoko nous rappelle alors qu’entre les années 90 et 2000, c’est quinze immeubles qui furent incendiés dans les mêmes conditions, et pour la seule année 2005, quarante neuf africains qui périrent dans ces pogroms jamais revendiqués, et dont les incendiaires ne furent jamais arrêtés. Le fond de l’indignité est atteint quand on lit dans son livre que la mère d’Aya dut batailler plus de dix ans pour faire reconnaître ses droits à une indemnisation due aux victimes d’attentats.

Aya Cissoko dresse un beau portrait de Massiré, cette mère qui lui transmit donc cette exigence de « danbé », de dignité face à l’adversité. Il faut dire que la société patriarcale malienne ne fut pas en reste dans son acharnement contre Massiré lorsque celle-ci décida de rester de rester en France après la mort tragique de son mari, et sourde aux injonctions familiales refusa de retourner au Mali. Elle voulait que ses enfants connaissent l’éducation qui lui avait été refusée à elle.

Dignité, donc, un mot abstrait mais qu’Aya Cissoko rend concret à chaque page, dans un récit de vie où ses phrases rassemblées par marie Desplechin (dont on peut lire ici un bel entretien sur l'expérience de l'écriture de ce livre) nous font percuter – comme on dit – ce qu’est la réalité de la vie d’une sorte de Gavroche féminin du 140 rue de Ménilmontant.

Dignité, c’est le troisième terme de la devise des révolutions arabes, reprise depuis lors par tous les migrants manifestant dans les rues de Paris ou de Calais : Liberté, Démocratie, Dignité.

La dignité, Massiré et sa fille n’en sont pas dépourvues. Elles l’ont démontré seules, dans leur vie et sur les rings. Pour ce qui est de la Liberté et de la Démocratie, c’est dans rue et avec d’autres qu’elle se conquerra pour tous.

 

(Il semble que Marie Desplechin aime vraiment la Boxe et les boxeurs. On peut l'écouter en ce moment sur France Culture interviewer le champion Jean-Marc Mormeck.)

 

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