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Interview de Manvel et Gagik (lutteurs)

Manvel et Gagik sont deux jeunes lutteurs du club de Bagnolet Lutte 93 (Les Diables Rouges). Ils sont inséparables, font partie de la bande des minimes du club. Ils font de la lutte gréco-romaine. Manvel et Gagik sont champions de France chacun dans leur catégorie cette année 2016.

M.

La première fois que je suis monté sur un tapis de lutte, j’ai trouvé que c’était mou. J’avais onze ans, c’était mon premier entrainement à Bagnolet.

J’étais venu une fois avant pour voir si ça me plaisait ou pas. C’était un mardi. Je m’étais assis sur le banc et j’avais regardé l’entrainement. Au début ça ne m’a pas plu parce que je voyais que c’était beaucoup corps à corps. Je regardais les grands, ils se jetaient, Ils faisaient des souplesses. J’ai trouvé ça très violent. Je n’avais que onze ans, ce n’était pas comme maintenant. Quand on le fait soi-même ce n’est pas la même chose que quand on regarde.

Le mercredi et le jeudi je suis resté chez moi. J’ai réfléchi.

Le vendredi, je suis venu essayer, c’était mon premier entrainement. A cette époque, j’étais un peu gros. J’ai eu du mal, les saltos, les roulades, j’avais du mal. Ça me faisait mal au début. Après ça m’a plu. J’ai direct aimé ce sport, je ne sais pas pourquoi. Dès que je suis rentré sur le tapis, après le premier entrainement.

Je n’avais jamais vu de lutte. J’avais un ami dans le même immeuble que moi. C’est grâce à lui que je suis venu voir l’entrainement. Son père avait conseillé à mon père de m’amener voir un entrainement et lui avait dit que si ça me plaisait je pourrais m’entrainer. Comme son fils était mon ami, j’ai voulu venir.

Je ne connaissais pas la lutte alors que c’est très connu en Arménie. J’en avais entendu parler. J’avais vu des compétitions où j’habitais (à Oshokan en Arménie) mais j’étais petit, j’avais cinq ans, six ans. Je ne comprenais pas. Mon père et le frère de mon père ont fait de la lutte pendant deux ans mais ils n’ont pas continué, ils sont allés à l’armée, après l’armée ils se sont mariés et ils n’ont pas eu le temps pour les entrainements. Mon père ne m’en avait jamais parlé.

G.

Quand j’étais tout petit, j’avais trois ans ou quatre ans, je regardais tout le temps des vidéos de lutte, mon père m’en parlait, mes amis aussi. Je disais tout le temps à mon père que je voulais faire de la lutte, que je voulais m’entrainer. Il y avait un club juste devant chez nous. Un jour mon père m’a dit : « Est-ce que tu veux le visiter pour aller voir l’entrainement ? » J’ai dit oui. Je ne savais pas qu’il y avait des entrainements. Pour moi quand on rentrait sur le tapis, c’était une compétition. C’était ce que j’avais vu sur les vidéos. Après j’ai vu qu’il y avait des entrainements, je me suis dit qu’il allait falloir que je m’entraine. C’était difficile. J’ai commencé à m’entrainer et c’était super bien. C’était en Arménie, dans la capitale, à Erevan, j’avais neuf ans. En fait je m’entrainais avec mon père à la maison. Mais il ne me disait pas qu’il y avait des entrainements tous les jours, qu’il fallait que je m’entraine pour être fort pour aller aux compétitions.

Mon père en a fait pendant six ou sept ans. Je ne l’ai pas vu lutter. J’ai beaucoup de cousins qui faisaient de la lutte. Mon frère S. en fait aussi. Mais en fait il n’aime pas la lutte. Il en fait juste pour ses muscles, pour s’amuser, pour être avec moi. Il a un an et demi de plus que moi. Nous avons commencé ensemble.

M.

Ma première compétition c’était les championnats d’Ile de France. Je m’entrainais depuis un mois et demi. Je ne savais pas ce que c’était. On n’était que trois à y aller : moi, Grigor, et quelqu’un d’autre qui ne fait plus de lutte.

Je suis arrivé, je ne savais pas comment ça se passait. Personne ne m’avait rien dit. Je me suis assis sur le banc et j’attendais que l’entraineur me dise ce qu’il fallait faire. Il me dit qu’il faut aller me faire peser. Je ne savais même pas qu’il y avait des catégories de poids, des catégories d’âge ! J’ai mis le maillot, je suis allé me peser. Il y avait les tableaux. Je stressais, je ne comprenais pas ce qui se passait. Je commençais à trembler, je ne sais pas pourquoi, je ne savais pas ce qui se passait. Je n’avais pas peur mais j’avais le stress. Après il y a eu les combats. Je crois que j’ai fait cinq combats. J’ai gagné mon premier match, c’était contre un débutant qui venait de commencer comme moi. Après j’ai tout perdu. Je m’énervais à chaque combat, dès que je sortais je tapais sur le mur comme un fou. A un moment, Didier (Didier Duceux, président de Bagnolet Lutte 93) est venu me calmer, il m’a dit : « C’est pendant le match que tu dois t’énerver, sur le tapis, ce n’est pas en dehors. »

Depuis, je n’ai plus perdu de compétition.

C’était les combats qui me faisaient peur. J’avais peur de perdre. Parce qu’il y avait mon père et je ne voulais pas perdre devant lui. C’est toujours la même chose actuellement. Je n’aime pas perdre quand il est là. Ce n’est pas pareil quand il est là. Je ne peux pas perdre devant lui. Au pire, si mon adversaire est vraiment plus fort, je donne tout et je peux perdre, je n’ai pas de regret si je perds. Quand je perds devant mon père, il ne dit rien mais je sens qu’il n’aime pas. Dès que je gagne, il me dit : « Viens, je suis fier de toi. » Quand je perds, il ne fait rien mais je sens qu’il n’est pas bien. Il s’inquiète.

Quand je me suis pesé cette première fois, je faisais 40,500. La catégorie en dessous c’était 40 kg et celle du dessus 45 kg. Du coup à cause de cinq cents grammes j’étais avec des mecs qui faisaient quatre kilos de plus que moi. Je ne savais pas ça. C’est après que c’est venu, la perte de poids ; j’ai commencé à perdre du poids, beaucoup de poids même.

G.

Pour ma première compétition, je n’étais pas du tout stressé. Comme je regardais des vidéos tout le temps, je savais qu’il y avait la pesée, qu’il fallait que je m’échauffe, qu’il y avait des catégories. Je m’intéressais vraiment beaucoup à la lutte. À la maison, quand mon père parlait avec ma mère, qu’il disait « aujourd’hui il fait beau » moi je posais directement une question sur la lutte. C’était comme ça tout le temps. A l’école, aux profs, à tout le monde. Je ne parlais que de lutte. J’étais comme ça.

Ma première compétition, c’était en Arménie, j’ai fait deuxième ou troisième. J’ai fait six matches, j’ai gagné trois ou quatre matches, après j’ai perdu, après j’ai gagné les autres matches. J’étais un peu stressé quand même mais pas tant que Ml. Je savais comment ça se passait, je savais tout, je savais qu’il fallait que je gagne. J’étais juste stressé parce que je savais que j’avais des adversaires aussi fort que moi et qu’il fallait que je fasse premier.

Ma première compétition c’était deux mois après avoir commencé la lutte. Mais en fait j’étais bien fort ! Quand j’ai perdu, j’étais un peu triste mais mon père m’a encouragé, il m’a rien dit du tout. Il m’a dit : « C’est ta première compétition, même si tu perds, même si tu gagnes, je suis fier de toi. »

Mon père m’avait accompagné. En fait il m’accompagne tout le temps. Au début ça ne me gênait pas, j’étais petit, je venais de commencer la lutte. Maintenant, si je perds, mon père il va pas me frapper ou il va pas m’insulter, il va me dire quand même qu’il est fier de moi, mais c’est pas comme quand je gagne, il est un peu déçu. Comme tout le monde.

M.

Quand j’étais petit en Arménie, comme je ne savais pas ce c’était que la lutte, je ne savais pas qu’il y avait de la gréco et de la libre. C’est après que j’ai appris.

G.

En Arménie, ce que je voyais c’était de la gréco. Je ne savais pas qu’il y avait de la libre. Il y avait des horaires différents pour la libre et pour la gréco. Je regardais sur la feuille et je voyais qu’il y avait des entrainements pour la libre. Après je me suis dit que je préférais la gréco. Vu que je regardais des vidéos de gréco et que mon père avait fait de la gréco.

Avant de venir à Bagnolet, j’étais à Sainte-Geneviève-des-Bois. Parce que j’habitais vers Evry. Je m’étais renseigné pour savoir s’il y avait un club et j’ai vu qu’il y en avait un à Sainte-Geneviève-des-Bois. J’y suis allé, mais il n’y avait pas de gréco dans ce club, il n’y avait que de la lutte libre. Un jour ils m’ont dit qu’il y avait une compétition, mais de lutte libre. Mon père m’a dit de ne pas y aller car j’avais fait de la gréco et pas de la libre. Plus tard, il y a eu une autre compétition, de lutte libre aussi. Je me suis dit que si je ne faisais pas les compétitions… J’y suis allé et j’ai rencontré M., Gr., j’ai vu tout le monde en fait. (Les lutteurs de Bagnolet). C’était le grand prix de Bagnolet. J’ai vu qu’il y avait des arméniens, des entrainements pour la gréco. Et puis voilà ! Je suis venu ici. Et mon frère S. aussi.

A Sainte-Geneviève-des-Bois, je me suis entrainé pendant six mois. Je m’entrainais en gréco avec S., avec mon frère. Pas avec les autres. Sur un tapis. Il faut juste un tapis.

Là-bas, je ne parlais pas, je ne rigolais pas. Il n’y avait que des Tchétchènes là-bas. Entre eux.

Quand je suis arrivé ici, c’était bien ! C’était bien, je m’entrainais bien, j’ai vu qu’il y avait des progrès.

M.

Avant que G. arrive au club, moi et Gr. on faisait de la libre. C’est après son arrivée qu’on a commencé la gréco. Parce que moi et Gr., la lutte libre, on n’y arrivait pas. Chez les arméniens, il n’y a que la gréco qui marche ! On a ça dans le sang. C’est ce qu’on dit.

On était les deux seuls jeunes à s’entrainer avec les grands. Il y a deux entrainements : un pour les petits et un pour les grands. On ne venait pas à l’entrainement des petits. Des fois, Didier se fâchait : « Pourquoi vous ne venez pas à l’entrainement des petits ? » À l’entrainement des petits il y avait des enfants de notre âge et de notre poids et c’était mieux de s’entrainer avec eux, mais ils n’étaient pas comme nous. Nous on avait déjà beaucoup d’avance. Parce que Vadim (Vadim Guigolaev, entraineur de lutte libre à Bagnolet Lutte 93) nous montrait beaucoup de techniques à l’entrainement des grands. Donc on avait la lutte plus développée qu’eux. Parce que eux ne faisaient que des techniques qu’on fait chez les jeunes. Nous, on faisait déjà des techniques que les grands utilisent.

G.

Quand je suis arrivé en France, je ne me suis pas entrainé pendant six mois. Je ne sais pas pourquoi. J’avais dix ans et demi. Puis je suis allé à Sainte-Geneviève-des-Bois, mais je n’étais pas aussi fort que maintenant. Je ne m’entrainais pas comme ici. Comme S. était lourd, je n’arrivais pas à m’entrainer comme il faut avec lui. Quand je suis arrivé ici, j’ai vu que je commençais à progresser, mon père m’encourageait. Et je me suis dit que j’allais rester à Bagnolet.

Le match qui m’a marqué, c’était à Dijon, aux finales. Le mec était vraiment fort, comme moi ! Il n’était pas comme les autres. Avec les autres, je faisais 10-0 ou 8-0, je gagnais tout le temps. Lui, il était bien fort. J’ai lutté avec lui pendant quatre minutes, jusqu’à la fin du match. J’ai gagné.

La deuxième fois, c’était à Créteil, le mec il était vraiment nul. J’ai gagné le match en neuf secondes. Je m’en rappellerais tout le temps. C’était vraiment facile ce match.

M.

Le match qui m’a marqué, c’était la finale des championnats de France, il y a une semaine.

Mon adversaire n’était pas super fort. Mais c’était moi le problème. J’ai fermé ma lutte. Ce n’était pas ma lutte. Tout le monde me l’a dit après le match. J’avais peur en fait. De perdre.

Je fermais ma lutte, je faisais attention. Pourtant, vous pouvez demander à G., je lutte toujours ouvert aux entrainements. Je fermais tout pour qu’il n’ait pas une chance de gagner. Je gagnais. A la fin du match, il restait une minute et demie, j’ai voulu faire une technique super belle mais très dure, j’ai voulu bien finir le match, mais je l’ai ratée. Je me suis retrouvé en situation de perdre. On était à 2-2, il restait sept secondes. J’arrive, je tente, je n’y arrive pas, il reste quatre secondes. On était au sol. L’arbitre fait relever parce que la lutte s’était arrêtée. Il restait quatre secondes, j’arrive, bras dessous et je le sors. L’arbitre donne deux points. Je vois qu’il reste encore deux secondes, et je gagne ! En fait l’entraineur de l’adversaire a jeté le truc (il demande le challenge vidéo) pour revoir l’action. Ils l’ont annulée et m’ont attribué deux points ! Toute la salle a applaudit, j’étais super content. J’avais gagné le match : il restait deux secondes, il ne pouvait plus rien faire. Au début je m’étais énervé parce que j’avais fait une technique à quatre points et ils avaient demandé le challenge. Les arbitres avaient accepté. Après, on a regardé la vidéo avec les entraineurs et Didier : il y avait point pour moi. Les arbitres ont fait une très grave erreur. À cause de cette erreur, je pouvais perdre. Je n’aurais pas été champion de France.

G.

Moi pareil, je suis champion de France.

M.

Lui, c’est la deuxième fois.

On n’est pas dans la même catégorie. Maintenant oui. Avant non. Je suis en 50 kg. On fait le même poids, mais au début de l’année, quand j’ai fait les qualifications au championnat de France, je faisais 51 kilos. J’ai perdu un kilo et j’ai lutté en 50 au lieu de lutter en 55. C’était plus intéressant de lutter en 50. Il restait quatre mois avant les championnats de France. Pendant ces quatre mois, je suis monté de cinq kilos. Je faisais 56. Je ne pouvais pas lutter en 55 puisque j’avais fait les qualifications en 50. J’ai dû perdre six kilos pour redescendre en 50. Depuis, j’ai repris le double ! Je fais le même poids.

G.

L’année dernière je luttais en 42. Après j’ai fait deux compétitions en 46. Ensuite 50. Et ensuite 55.

M.

En fait, nous deux, on perd beaucoup de poids.

Vous faites des régimes ?

M. et G.

Oh là là …

G.

C’est vraiment difficile.

M.

Pour moi c’était plus difficile de perdre du poids que de gagner les championnats de France.

Le poids c’est…

Au début, on commence doucement, on commence à faire attention, avec des légumes. On arrête le chocolat. On sent que notre corps n’est pas comme avant. Avant le régime, pendant un entrainement de lutte, on peut perdre tranquillement un kilo. Quand on commence à perdre du poids, même si on s’habille, vers la fin, on ne perd même pas cinq cents ou quatre cents grammes. C’est ça qui est difficile.

G.

Ça devient de plus en plus difficile.

M.

On dirait que notre corps sent qu’on a un objectif. A un moment, je faisais 55 et je suis descendu en 46. L’étape de 55 à 50 était facile. C’est après que c’est devenu difficile. Maintenant, quand je dois descendre en 50 et pas en 46, ça devient de plus en plus dur. On dirait que mon corps sait que je dois descendre en 50. Mon corps se défend. C’est un bouclier. Tout le monde me dit que ce n’est pas bien de perdre du poids mais…

G.

…mais à la fin, quand tu perds du poids et que tu gagnes ta compétition, tu es vraiment fier de toi. Tu te dis : « Ce n’était pas pour rien. » M. a perdu six kilos. Imaginons qu’il perde au final, tu ne te sens pas bien.

M.

En compétition, je me dis : « Je n’ai pas perdu tout ce poids, pour venir et perdre. » C’est ma motivation ! Dès que je donne des points, je me dis : « Tu n’as pas perdu six kilos pour rien, vas-y, bouge-toi ! »

Qui s’occupe de votre régime ?

M.

Si c’est ma mère qui s’occupe de mon régime, elle me dit : « Mange, ça ne fait rien. » et je monte de deux kilos direct ! Donc c’est moi qui prépare.

G.

Moi, je ne mange pas du tout. A la cantine, à l’école ou chez moi, je ne mange pas du tout. Je suis comme ça. Si je veux manger, je mange tout ! Si je ne mange pas, je ne mange pas. Je n’arrive pas à faire entre les deux.

M.

Avant, moi aussi je faisais ça, mais notre entraineur Karen (Karen Galustyan, entraineur de lutte gréco-romaine à Bagnolet Lutte 93) a dit que ce n’était pas bien. Là, il m’a fait un programme spécial pour mon régime au championnat de France. Je mangeais, je m’entrainais et je perdais le même poids qu’avant. Alors qu’avant je ne mangeais pas. Je préfère manger et perdre le même poids qu’avant que de ne pas manger. Au dernier entrainement, il me restait trois cents grammes à perdre, je suis rentré sur le tapis, je me sentais faible. Karen me met avec G., on commence à lutter. G. me pousse et je tombe sur le dos ! Je me dis : « OK, c’est la fin. » J’ai fait dix minutes de pousse-pousse avec G. et je suis sorti. J’étais pile poil à 50. Je suis rentré chez moi. Le lendemain matin, je me suis levé, je me suis pesé, j’avais perdu trois cents grammes. Je ne sais pas comment. Je faisais 49,700. On est venu ici. Karen nous a un peu gueulé dessus parce que tout le monde était en dessous de la catégorie. On était cinq cents grammes en dessous.

G.

Il vaut mieux être à 50 plutôt que 49,500 ou 49.

M.

Donc on a mangé un peu. Moi direct, j’ai sauté sur les Twix ! Je savais que j’allais monter direct de cinq cents grammes mais comme on avait beaucoup de route à faire, jusqu’à Lille, je savais que j’allais perdre au moins cent ou deux cents grammes. Sur le lieu de la compétition je me suis mis sur la balance test, j’étais pile sur mon poids. J’avais raison en fait.

G.

Moi, au lieu de 55, je faisais 54,500.

M.

Comme Gr. Karen nous a tous gueulé dessus.

G.

Avant la pesée tu te dis : « Je me pèse ; après je sors et je vais manger comme un débile. » En fait, quand tu sors après la pesée, que tu es au poids, tu n’as pas trop envie de manger.

M.

Moi, je ne comprends pas ce qui se passe, j’ai envie de tout manger ! Sur la table, c’est rempli, j’ai envie de tout manger, mais je prends juste une petite frite et après je n’ai plus fin.

G.

Oui, voilà. Avant la pesée tu te dis que tu vas tout manger, mais après la pesée, quand tu as fini, que tu es libre de tout manger, tu n’as pas envie.

M.

Ton estomac est devenu de plus en plus petit.

G.

Exactement.

M.

Mon estomac, je pense qu’il faisait ça (il joint le pouce et l’index et montre un tout petit cercle). J’ai mangé une seule frite, et j’étais K.O.

G.

Pendant le régime, tu te dis : « Quand on ira au resto, je vais manger comme un cochon ! » En fait après, tu vas au resto, tu prends tout ce qu’il y a, dessert et tout…

M.

…et tu n’arrives pas à finir !

G.

A la fin, tu regardes dans ton assiette et il reste plein de choses.

M.

Je ne me pèse devant personne. Même devant mon père je ne me pèse pas. Moi et G., on ne rigole pas avec ça. Par contre, devant l’entraineur, on est obligés. En fait, chez les lutteurs, quand on dit notre poids, on dit trois kilos en dessous.

G.

On ne dit pas exactement.

M.

Mon père ne surveille pas mon poids, par contre il me stresse beaucoup. Le soir, quand je mange un peu pendant le régime, même un petit peu, directement je monte de cinq cents grammes. Tu montes directement quand tu es en régime. Là, il commence à me gueuler dessus, il me dit : « Je t’avais dit de ne pas manger ça ! » Il commence à m’énerver, je sors de la maison, je marche un peu. Parce que ça devient lourd.

G.

Quand mon père est à la compétition, ça m’encourage. Il me donne des conseils. Il m’encourage. Ça me fait du bien qu’il soit à côté de moi. Je me sens bien.

M.

Moi c’est pareil, mais des fois il m’énerve. Avant chaque compétition il m’énerve. C’est un truc de fou.

G.

C’est comme ça pour tout le monde en fait. Parce que ton père, il veut que tu gagnes.

M.

Oui, mais juste je fais un petit truc, il commence à me gueuler dessus.

G.

C’est parce qu’il a peur.

M.

Par contre, à la compétition, dès que je gagne le match, ça… !

G.

Ça fait vraiment du bien après.

Et vos mères ?

M.

Ma mère, je n’ai pas envie qu’elle vienne.

G.

Moi non plus.

M.

Je ne sais pas pourquoi. Même elle, elle ne veut pas. Elle n’arrive pas à me voir combattre en fait.

G.

Oui, voilà. Même ma mère. En fait elle a peur.

M.

Oui.

G.

De quoi elle a peur ? Quand on fait des souplesses sur le tapis par exemple, c’est un peu dangereux. Elle n’a pas envie de voir.

M.

Quand on filme et qu’on montre les vidéos, elles ont peur. Elles ne veulent pas regarder. Ma mère, direct elle ferme ses yeux.

G.

Oui. Ma mère me dit : « Tu ne t’es pas fait mal… ? » et nian nian…Quand on lutte…

M.

Par contre quand tu te blesses…

G.

Oui, ça… !

M.

Oh là là… ! Je préfère ne pas rentrer chez moi que rentrer…

G.

…avec une blessure !

M.

Elle sort la boîte de médicaments, puifff ! On dirait qu’on est encore des bébés en fait…

G.

Oui

M.

…alors qu’on peut se soigner nous-mêmes. Ce n’est pas des blessures très graves on va dire.

Vous vous êtes déjà blessés ?

M.

Oui

G.

Oui. En Arménie, j’ai eu une blessure au coude et je ne me suis pas entrainé pendant six mois.

M.

Moi, à l’entrainement j’ai lutté contre un mec qui faisait le double de mon poids, je me suis fracturé le pouce, je ne me suis pas entrainé pendant deux mois. Je venais de commencer et deux mois après je me suis blessé. Ça m’a énervé.

M.

Nos mères, elles appellent pendant les compétitions pour savoir.

G.

Elles s’intéressent.

M.

Elles nous appellent pour nous demander comment ça s’est passé, si on va bien, si on a mangé…

G.

Oui. Oh là là, cette question ! Moi j’en ai marre !

M.

Par contre, quand elles appellent, on dit de préparer des trucs.

Je me rappelle, c’était la pause. On avait fait nos demi-finales. Moi et G. on avait gagné. Comme on était les deux finalistes, on s’était écarté un peu du groupe, on s’est mis dans la salle d’échauffement, on a parlé un peu.

G.

Pour se reposer.

M.

Là, ma mère et la mère de G. ont appelé, en même temps. On a commencé à dire : « Maman, tu peux préparer un gâteau ? »

G.

Elles posaient les mêmes questions ! Exactement les mêmes questions !

M.

« Maman, est-ce que tu peux préparer des trucs s’il te plaît ? »

G.

« Est-ce que tu as mangé ? Qu’est-ce que tu as mangé ? Tu ne t’es pas fait mal ? Comment ça s’est passé ? »

M.

Les mêmes questions ! On a comparé et elles posaient tout le temps les mêmes questions.

G.

Mon frère fait aussi de la lutte mais pas vraiment. Il préfère faire l’école. Moi aussi je préfère l’école…

M.

Arrête de mentir !

G.

…mais bon la lutte aussi ! En fait, S. n’aime pas la lutte.

M.

Oui, il n’aime pas la lutte.

G.

Il vient juste pour être avec moi, pour s’entrainer…

M.

…pour avoir un beau corps

G.

Oui, voilà.

M.

On pourrait dire ça. A chaque fois qu’on s’entraine, il s’échappe de l’entrainement. Le pire c’est qu’on ne le voit pas partir. On ne sait pas comment il fait pour partir !

G.

Il dit qu’il n’aime pas la lutte, c’est tout. Il n’est pas intéressé comme moi.

M.

Comme nous.

G.

Chez moi, je regarde tout le temps des vidéos. Lui, il fait ses devoirs.

M.

Moi je suis fils unique.

Quels sont vos rêves en lutte ?

M.

Les Jeux Olympiques

G.

Les Jeux Olympiques, les championnats du Monde… Quand on est ensemble, tout le temps on parle par exemple de Steve Guenot, on parle de lui, on veut être comme lui. Comme ça les gens nous connaissent.

M.

On veut être des grands champions comme nos idoles, on a envie d’être comme eux. Mon idole c’est un arménien : Migran Arutyunyan.(https://www.youtube.com/watch?v=qolpEUclzg0)

G.

Moi je ne sais pas. Steve Guenot (http://www.lequipe.fr/Aussi/AussiFicheAthlete24925.html) et Arthur Alexanian (https://www.youtube.com/watch?v=-HlfiSDh-ME). C’est un arménien.

M.

Sinon, après, on les aime tous !

G.

Moi personnellement j’aime tout le monde comme lutteurs. Vraiment tout le monde. Parce qu’ils sont forts.

M.

Il y a des lutteurs qu’on regarde, et on copie un peu leur style. Quand je regarde des lutteurs en compétition, j’en vois qui luttent avec le style de certains champions. Par exemple, T., le fils de Karen, il lutte un peu comme un champion olympique iranien : Sourian.

G.

Hamid Sourian

(https://www.youtube.com/watch?v=tTfcZZ6TNgs)

M.

Il lutte comme lui. Son père dit qu’il aime trop regarder ses vidéos. La première fois, c’était en championnat de France, on regardait des vidéos avec Karen. Je lui dis : « T., il lutte comme Surian. » Il m’a dit : « Oui, c’est bien tu as remarqué. Oui, T. regarde toutes les vidéos de Surian. Sa garde, sa position, sa façon de lutter. »

M.

Oui je regarde des vidéos. Tous les résultats m’intéressent. Toutes les vidéos. Au club, on parle avec les grands. On dit : « Tu as vu untel ? il a une technique super belle. » Après, on a envie de regarder ce qu’il a fait.

G.

D’apprendre en fait.

M.

Il y a certains matches qui sont « le match du siècle ».

G.

On les regarde tout le temps. Même dix fois par jour.

M.

Peut-être que ce n’est pas intéressant pour les autres, par contre, ce match, pour nous, on attend de le voir depuis des années.

G.

Oui.

M.

Nos partenaires au club c’est tous les arméniens, tous ceux qui font de la gréco.

G.

Gr., S., M., les autres, Th., Ga., tout le monde.

M.

Parfois, les libre, comme il font de la gréco aussi, ils viennent s’entrainer avec nous. Et quand on a des compétitions de libre, nous les gréco, on s’entraine avec les libre. On échange en fait.

Avez-vous peur avant un combat ?

M.

Avant un combat, j’ai de moins en moins peur. Ça disparaît progressivement. Maintenant, avant un combat, je n’ai aucun stress. Même en championnat de France, là je vous jure, je n’ai pas eu un seul pour cent de stress.

G.

Moi non plus, mais là, c’est en France. Dans les autres pays, c’est vraiment difficile et on est obligés d’avoir peur. En France on connaît presque tout le monde.

M.

Oui, on connaît presque tout le monde, on est amis avec nos adversaires. On se parle, réseaux sociaux et tout mais à l’étranger…

G.

On sait qu’à l’étranger, ils sont forts.

M.

Je suis allé une fois à Utrecht aux Pays-Bas pour une compétition, mais ce n’était pas prévu. Didier m’a appelé la veille vers 23 heures, il m’a dit : « On a décidé que tu allais partir. » J’ai perdu deux kilos en un seul jour. J’y suis allé, ma catégorie était celle où il y avait le plus de monde. On était trente-deux. J’ai fait dixième. J’étais content parce que je n’étais pas du tout préparé. J’ai fait des bons matches avec des américains. J’étais fier.

G.

Moi je ne suis pas encore allé à l’étranger.

M.

Cette année, on devait aller à la même compétition aux Pays-Bas mais comme la moitié des arméniens n’avaient pas de papiers, comme il y avait eu les attentats en Belgique, il y avait beaucoup de contrôles.

Vous avez la nationalité française?

M.

Non

G.

Non

M.

Lui, il a la carte de séjour, mais moi je ne l’ai pas encore.

G.

J’ai des papiers, mais je n’ai pas la nationalité encore.

M.

On n’a le droit de lutter pour le championnat de France que en minimes. Minime 1 et minime 2. A partir de cadet, il faut avoir la nationalité. G., c’était sa dernière année de minime. Il ne peut plus les faire. Moi, j’ai encore une année.

Vous pensez que vous allez avoir les papiers ?

G.

On verra bien

M.

Lui, il les a eus. Je crois que la nationalité c’est à dix-huit ans. Même avant, il peut je crois.

G.

Oui je pense.

M.

Moi ça va être compliqué parce que ils ont refusé. Là on a reçu une lettre pour quitter le territoire français.

G.

Moi, la semaine prochaine j’ai un stage de lutte. En Serbie. Ils (la fédération française de lutte) m’ont dit que normalement je devrais y aller. Pendant les vacances. Soit cette semaine, soit la semaine prochaine. C’est un stage pour les minimes et cadets. Pour la France, on est trois ou quatre à y aller. Pour les minimes, c’est moi, et pour les cadets, quelqu’un d’autre. Quand tu as tes stages, tu es content. On se dit qu’on est fort et on veut bien continuer pour faire les championnats d’Europe et les championnats du Monde.

M.

Ça motive.

Si on nous attrape à la frontière, G. il n’est pas renvoyé, mais moi oui. En Arménie. C’est pour ça que Didier a eu peur et ne nous a pas emmenés à Utrecht. Je connais d’autres clubs qui ont pris le risque.

G.

Mais là tu risques vraiment pour ton futur.

M.

Si je vais en Arménie, je ne reviens pas avant cinq ans. Mon père m’a dit : « Tu ne prends pas le risque. »

G.

Tu prends des risques pour ton futur, ton avenir.

M.

Je ne prends pas le risque pour une compétition. J’ai demandé aux français qui y étaient allés et ils m’ont dit que ce n’était pas comme les autres années.

G.

Cette année ce n’était pas du tout comme les autres.

M.

Je connais des gens qui ont fait des médailles alors qu’ils n’avaient pas du tout le niveau.

G.

Il y avait un mec dans ma catégorie qui avait fait septième au championnat de France et là il a fait troisième.

M.

On avait vu que lui avait fait troisième…

G.

…et on s’est dit…

M.

…ça veut dire que ce n’était pas un très bon niveau.

Quel objet serait pour vous emblématique de la lutte ?

M.

Les tenues. Si tu montres les tenues à quelqu’un du dehors…

G.

Moi ! Quand je me rappelle de moi, je me rappelle de la lutte. Parce que je ne pense qu’à ça en fait.

M.

Oh là là… !

G.

Un objet ? Mes médailles peut-être.

Vous sentez que vous êtes différents de vos copains de collège ?

G.

Oui, on fait des régimes, on a des entrainements, on ne se sent pas comme les autres.

M.

Des fois, les amis nous disent de sortir, et on n’a pas beaucoup de temps.

G.

Vu qu’on a des entrainements, il faut y penser tout le temps.

M.

Quand on n’a pas entrainement, mon père me dit d’aller courir, donc je n’ai plus le temps de voir mes amis.

G.

Les autres font des activités presque tous les jours, ils s’amusent. Nous, on n’a pas le temps.

M.

Même aujourd’hui, mes amis m’ont appelé pour aller jouer dans un parc et je n’ai pas pu parce que j’avais entrainement.

G.

Mais moi ça me fait plaisir, plutôt que des activités.

M.

Après quand on gagne les compétitions

G.

On se dit que ce n’est pas pour rien

M.

On voit que on a bien fait de venir à l’entrainement

G.

Oui. Quand tu ne viens pas à l’entrainement, tu perds quelque chose. Tu oublies vraiment. Moi personnellement j’oublie presque tout. Quand je ne viens pas pendant quelques entrainements, je sens que…

M.

…moi je sens qu’il ne lutte pas comme avant.

G.

Mais après je m’entraine à nouveau et ça continue.

M.

Pendant l’été on est obligés de s’arrêter un peu parce que c’est les vacances mais on s’entraine quand même. On se donne rendez-vous, on s’entraine. Parce que on sait que pendant un mois, OK on se repose, mais après il faut bien reprendre. La lutte, si tu t’arrêtes pendant une semaine…

G.

Tu perds vraiment

M.

…quand tu reviens le mardi suivant, tu sens que… Moi par exemple quand je ne vais pas à l’entrainement, je ne me sens pas bien. C’est devenu comme un cycle.

G.

Oui, voilà.

M.

Par exemple quand le mardi arrive, mon corps est habitué à s’entrainer

G.

C’est exactement ça

M.

On vient le mardi, jeudi et vendredi, trois fois par semaine. Le samedi et le dimanche, une fois sur deux je sors courir, je fais du sport.

G.

Moi aussi. Chez moi j’ai une barre de traction, j’ai mis ça pour m’entrainer. Je fais mes devoirs, je révise, et après quand j’ai le temps je m’entraine. En regardant des vidéos de lutte !

Lutte

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