Rédigé par Stéphane le . Publié dans Ecrits Divers.

L'Afrique à poings nus de Philippe Bordas ed. du Seuil

C’est Hubertus Biermann (Violoncelliste, cycliste, comédien) qui m’avait fait découvrir « Les forcenés » de Philippe Bordas. Une ode consacrée aux icones cycliste du 20° siècle. Déjà là Bordas, jeune photojournaliste se signalait par un fécond manque d’à-propos. Il revendique en effet dans ce livre être entré dans la carrière de gazetier sportif voué à l’admiration des coureurs cyclistes, à l’instant même où, de son propre aveux, la grande geste du cyclisme s’achevait avec le cycle des victoires de Bernard Hinault. Après ce dernier héros est venu le temps des machines à pédaler, à l’instar de Lance Armstrong, le cul vissé à son siège, dévorant les cols comme une inexorable machine à gagner. Non pas que le dopage ait pourri le cyclisme, le dopage fait partie de la geste pour Bordas, mais la prévisibilité des performances, le professionnalisme, ont tué à son sens le sentiment qui unissait le peuple à ses champions cyclistes, ces derniers fussent-ils des brigands avérés comme les flamboyants frère De Wlaeminck, gitans et francs-tireurs des pavés.

Ami lecteur, il te faut écouter la voix grave et teutonne de Hubertus et découvrir ces portraits que Bordas a consacré à ces magnifiques forcenés, crucifiés à leur petite reine, rangés des voitures dans leurs pavillons de province, ou mort, usés prématurément par les excès de fatigues et de pot belge.

Fils du peuple, comme ses héros du cycle, Bordas a passé son enfance dans les barres d’immeubles de Sarcelle. Jeune journaliste, il part au Kenya. Mais s’il envoie à ses grands-parents des cartes postales présentant des couchers de soleil sur le Kilimandjaro, des lions allongés, des antilopes et des éléphants, la réalité qu’il vit est beaucoup moins glamour. En fait, il n’a jamais quitté la banlieue, et à peine décollé de Sarcelles, il n’a eut de cesse que de descendre dans la banlieue de Nairobi, dans un bidonville des plus misérable, le slum de Mathare Valley.

Là, il a rejoint de nouveau forcenés, les boxeurs de l’Undugu Boxing Club, qui s’entrainent, hallucinés dans une salle surchauffée à l’oxygène rare.

Il a boxé avec eux, et la fraternité qui l’unit à eux s’est forgée dans le haut fourneau cette salle d’entrainement misérable, où avoir des gants est un luxe, et où la boxe est la seule et très étroite  porte pour sortir du ghetto

La première moitié de l’ Afrique à poings nus est donc consacrée à ces boxeurs kenyans.

L’autre moitié du livre est consacrée à l’autre extrémité de l’Afrique, le Sénégal. Là, loin d’être des réprouvés, les lutteurs sont des mythes vivants, des héros comme les cyclistes que Bordas est arrivé trop tard dans la carrière pour rencontrer, les preux des quartiers, des villes, des provinces qui les ont nourri. On peut se demander, tant la vénération qui les entoure est grande, si la véritable fonction des villages, des quartiers, des boutiques, des champs et des usines n’est pas de produire ces champions. C’est une véritable aristocratie, des familles et des clans de lutteurs qui se combattent sans fin, avec l’aide de leurs dieux et de leurs féticheurs.

L’auteur qui a une plume heureuse, et un rapport au monde si ce n’est heureux au moins attachant a su s’effacer parfois pour laisser la parole à ses protagonistes. Il a aussi retranscrit l’intégralité des instructions lancées par David Olulu, l’entraineur de l’Undungu Boxing club durant une séance d’entrainement.  Il nous transmet aussi le récit de vie que lui a confié Mustapha Gueye, dernier lutteur d’une lignée de combattants fameux de Dakar.  Philippe Bordas est aussi un excellent photographe.

Nous vous rappelons que ce livre comme d’autres que nous chroniquons sont en accès et emprunt libre à la médiathèque de l’Insep.

Boxe, Lutte