Rédigé par Stéphane le . Publié dans Ecrits Divers.

Kateb Yacine Le poète comme un boxeur , Entretiens 1958-1989

Kateb Yacine Le poète comme un boxeur , Entretiens 1958-1989 Ed Le Seuil

Le titre est trompeur. La boxe, Kateb Yacine n’en sait pas grand chose. Ni comme pratiquant, ni comme spectateur. Ce qu’il en sait, c’est à quoi ressemble la figure d’un boxeur dans un quartier populaire, et à laquelle il assimile celle du poète – figure qu’il connaît bien, car pour le coup poète il l’était Kateb Yacine, et des plus grands -.

« J’avais découvert une épicerie stratégique qui me permettait de le voir passer de temps en temps. L’épicier était un homme extraordinaire qui avait fait la Zeitouna à Tunis et qui brulait du désir de savoir. Si bien qu’il était d’une générosité formidable avec tous les jeunes qui allaient à l’école, il nous achetait des cigarettes, je mangeais et je dormais chez lui, et, grâce à lui, mon livre s’est vendu chez les gargotiers, des coiffeurs, des analphabètes même qui me l’ont acheté, par solidarité, comme on aide un boxeur, et finalement, il s’est pas mal vendu. »

Et oui, Kateb Yacine voyait le poète comme un boxeur. Comme le boxeur le poète est issu d’une rue, d’un quartier, d’une ville, d’un groupe et il en devient le porte-parole. Le poète comme le boxeur portent tout le non dit, le non exprimé, l’inoui, la rage, la frustration, les espoirs et les joies du groupe dont il est issu. L’attente qui les précède excède ce qu’ils sont. – le poids symbolique qui repose sur leur épaules est immense, et tout comme il peuvent combler les attentes et bien au-delà, ils peuvent aussi les décevoir, et bien au delà.

« La légende de l’artiste, du poète avec sa petite fleur derrière l’oreille est loin d’être vraie. Souvent, le type qui écrit est quelqu’un qui a des frustrations, des appétits de puissance qu’il ne peut assumer autrement. Parfois, il aurait voulu être flic ou soldat par exemple, mais ne pouvant être ni l’un ni l’autre, il devient écrivain. Il y a donc toute une image mythique de l’artiste. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu‘il ne fallait pas être un écrivain au sens où l’entendent les bourgeois. »

Quoi qu’il en soit, avant le combat, tout le quartier a soin de son champion. On le nourrit. On l’encourage. On le bichonne. On le choit. Longtemps après le combat, le vieux boxeur représente dans la mémoire du quartier la somme résumée de ses espoirs réalisés et de ses échecs.

Ce n’est même pas une métaphore. Kateb Yacine sait bien que le poète n’est pas le boxeur, - Kateb Yacine a trop souvent été exilé loin de l’Algérie « dans la gueule du loup » en France soit durant la guerre d’indépendance, soit à suite de ses démêlées avec le FLN – pour savoir combien il fut par force séparé du peuple algérien. Néanmoins, il savait que quel que soit l’état des choses, le poète devait s’efforcer d’être comme un boxeur pour ceux de son quartier.

Il combattit donc le colonialisme dés son adolescence, puis assez rapidement le pouvoir des nouveaux bourgeois du FLN, et enfin ceux qu’il appelait les arabo-islamistes. Son arme était son verbe : il vola donc le français, langue du maitre pour la retourner contre lui, puis le verbe du peuple, l’arabe dialectal auquel il donna ses lettres de noblesse en écrivant des pièces qu’il jouait dans tous les villages de l’Algérie avant d’être contraint à un nouvel exil.

Kateb Yacine n’a certes jamais été l’ami des gouvernants. « le pouvoir est peuplé de gens essentiellement destructeurs », disait-il : une règle d’or s’appliquant à mon sens à tous les dirigeants militaires et patriarcaux arabes passés, présents et futurs.

Militant, Kateb Yacine ne s’est jamais résolu à cet état de fait. Son œuvre est sans doute une des plus belles anticipations des révolutions du printemps arabe. « En moi, le poète combat le militant et le militant combat le poète ». Cette phrase montre aussi combien Kateb Yacine était loin d’être naïf, et qu’il ne faisait pas partie de ceux qui se réfugient dans le tiède giron du théâtre institutionnel pour y créer une œuvre qui se veut de dénonciation en se drapant dans le slogan bien pratique selon lequel créer ce serait résister.

Et la boxe dans tout cela ? Et bien c’est un rapport au monde, une manière d’écrire qui me semble exemplaire. Oui, j’aimerais bien que pour le spectacle que nous créons sur les sports de combats en Seine Saint Denis être poète comme un boxeur. Est-ce pour m’y encourager que Claire Amchain, attachée de presse de la Commune, et qui connut bien Kateb Ycaine me conseilla ce livre?

Boxe, Bibliographie