Rédigé par Stéphane le . Publié dans Ecrits sur la Boxe.

L'uppercut de Bertlod Brecht

Brecht est décidément plus intéressant que ce que voudraient nous faire croire les brechtiens. Il portait une casquette en cuir - crasseuse, je ne sais pas pourquoi ce couvre-chef est toujours qualifié de crasseux quand il est supposé coiffer le dramaturge de l’ex RDA, peut-être justement par une affectation de prolétarisme - et aimait assister aux combats de boxe.

Il développe à l’égard une pensée radicale, condamnant l’usage des victoires accordées aux points, seul le KO étant à son sens indiscutable et digne de ponctuer la fin d’un combat. L’anti hygiénisme de Brecht est singulier dans son approche du sport et mérite d’être salué comme tel.

Son goût pour le noble art ne débouchera cependant jamais sur une œuvre dramatique consacrée à la carrière d’un boxeur. Ce n’est faute qu’il y ait pensé, et même accumulé des textes autour de la boxes, des ébauches de pièces, une nouvelle et qui donne le titre du recueil de textes publiés sous ce titre de « L’uppercut » par les éditions de l’Arche.

Ci dessous le visiteur de notre site trouvera quatre extraits de ces textes. Certains sont très beaux comme cette PLAQUE COMMEMORATIVE POUR 9 CHAMPIONS DU MONDE et pourront inciter à relire cet auteur finalement respectable dans son goût du combat et son amour des combattants.

Bertold Brecht : L’Uppercut et autres récits sportifs. Editions de l'Arche.


PLAQUE COMMEMORATIVE POUR 9 CHAMPIONS DU MONDE

Voici l’histoire des champions du monde des poids moyens

De leurs combats de leurs carrières

Depuis 1884

Jusqu’à nos jours

Je commence la série par l’année 1884

Où les combats duraient plus de 56 ou 70 rounds

Et n’avaient qu’une issue : le KO

Et par Jack Dempsey

Vainqueur de Georges Fulljames

Le plus grand boxeur de l’époque où on cognait comme des brutes

Vaincu par

Bob Fitzsimmons, père de ka boxe technique

Détenteur du titre mondial des moyens

Et des poids lourds également

Grâce à la victoire qu’il remporta le 17/3/1897 sur Jim Corbet,

34 ans sur le ring, seulement 6 défaites

Tellement redouté que durant toute l’année 1899

Il n’eut aucun adversaire. Ce n’est qu’en 1914,

à 51 ans, qu’il livra

Ses deux derniers combats.

Cet homme n’avait pas d’âge.

En 1905, Bob Fitzsimmons perdit son titre devant

Jack O’Obrian dit Jack de Philadelphie

Jack O’Brian commença sa carrière

A l’âge de 18 ans.

Il disputa plus de 200 combats

Jamais

Jack de Philadelphie ne s’inquiéta du montant de la bourse

Il partait de ce point de vue

Que c’est sur le ring qu’on apprend

Et tant qu’il apprit il gagna.

De sa défaite devant le poids lourds Tommy Burns

Jack O’Brien qui se faisait vieux dit qu’elle était

La rencontre de sa vie.

Tous ses combats depuis

Furent sans importance.

Le successeur de Jack O’Brien fut

Stanley Ketchel

Rendu célèbre par 4 véritables batailles

Qu’il livra contre Billie Papke

Et célèbre aussi comme le plus rude boxeur de tous les temps.

Abattu dans le dos à 23 ans

Par un riant jour d’automne

Assis devant sa ferme

Invaincu.

Je poursuis ma liste par

Billie Papke

Premier génie de l’infighting.
le plus grand combat de Billie

Fut sa célèbre revanche contre Stanley Ketchel

Le match des matches.

C’est alors qu’on entendit pour la première fois

Ce nom : machine à boxer.

Telle une machine le rude Ketchel

Tapa sur Billie à lui faire jaillir le cœur de la poitrine.

Mais ce jour-là, Billie fut grand

Une classe au dessus, imbattable.

Lui-même titubant sur ses jambes

Il battit par KO Ketchel aux poings de fer

Mais cette grande victoire brisa le cœur du grand Billie.

Il réussit encore à éliminer Hugo Kelly

Au premier round.

Comme une tempête s’abat sur les champs

Ainsi Billy déferla sur Kelly.

Mais dans son dernier combat contre Ketchel

Le roi des poids moyens lui écrasa

Ce qui lui restait de son grand cœur de naguère.

Dans un combat contre Franck Klaus

En l’an 1913 à Paris

Il fut battu

Par un plus grand que lui dans l’art de l’infighting.

Klaus sans répit le tint cloué aux cordes

Puis Billie le somma

De se battre comme un homme.

Au quinzième round c’était

Un homme vaincu.

Franck Klaus, son successeur, rencontra

Les plus illustres poids moyens de son époque :

Jim Gardener, Billie Berger

Willie Lewis

Et Jack Dillon.

Comparé à lui Georges Carpentier était faible comme un enfant.

Franck Klaus était un champion du combat rapproché, corps à corps.

Il savait mettre tout son poids dans ses coups.

Le battit

Georges Chip

Qui à part ça n’accomplit jamais d’exploits notables

Et fut battu par

Al Mac Coy

Le plus mauvais de tous les champions des poids moyens

Qui ne savait faire qu’encaisser.

Enfin en 1917

Mike O’Dowd envoya

Au tapis ce crane de fer

Et le dépouilla de son titre.

 


LA CRISE DU SPORT

….

Les photos, dans l’attitude du discobole, d’un auteur dramatique allemand chevronné, nous ont tous emplis d’inquiétude et d’effroi – non pas pour l’avenir de cet homme, qui est assuré, mais pour le sport.

(…)

J’ai lu qu’on préconisait des exercices corporels pour les garçons afin de leur faciliter l’étude du grec – les exercices corporels leur éclaircissant le cerveau, ce qui permettrait, dans ces cerveaux clarifiés, de mettre du grec. Est-ce cela qui doit nous séduire ?

On peut attirer beaucoup de gens en disant que le sport est sain. Mais doit-on leur dire ? S’ils pratiquent le sport dans les limites où il est sain, est-ce du sport qu’ils pratiquent ? Le grand sport commence là où il a cessé depuis longtemps d’être sain.

(…)

je sais parfaitement pourquoi les femmes du monde font du sport : parce que l’intérêt érotique a faibli chez leur mari. Ce n’est pas que je veuille à ces dames un bien excessif, mais plus elles feront du sport, plus ces messieurs faibliront.

(…)

Bref, je suis contre tout ce qui vise à faire du sport un bien culturel ; d’abord, je sais quel usage cette société fait des biens culturels, et c’est un sort que je ne souhaite pas au sport. Je suis pour le sport parce que et dans la mesure où il est dangereux (malsain), primitif (donc socialement honni) et gratuit.


BIENTÔT SON ŒIL, LUI AUSSI

Bientôt son œil, lui aussi, le sournois, quitta le creux de son foyer,

Reluisant comme de l’huile dans sa bouche, habituée à d’autres mets,

Bientôt son genou se fit caoutchouc, le sol se fit accueillant

Et il désira sombrer dans un oubli profond, et ne sentit plus,

S’effondrant déjà, que son oreille dilatée devenue pavillon,

Recueillant en elle, comme un phonographe, le moindre son hostile,

Les applaudissements tellement lointains mais tellement frénétiques

Qui mettaient du baume sur les plaies de l’adversaire, les recueillant tous soigneusement

Pour plus tard, pour les heures d’inutiles gamberges.


SPORT ET PRODUCTIVITÉ DE L’ESPRIT

Réponse à une enquête

Je dois avouer que je trouve plutôt malencontreux qu’on présente la culture physique comme conditionnant la productivité de l’esprit. N’en déplaise au professeurs de gymnastique, un nombre appréciable de produit de l’esprit sont l’œuvre de gens mal portants ou tout au moins fort peu soucieux de leur corps, d’épaves humaines piteuses à voir qui, de leur lutte avec un corps récalcitrant, ont tout justement extrait quantité de santé sous forme de musique, de philosophie, ou de littérature. Je ne nie certes pas que la plus grande partie de la production littéraire des dernières décennies aurait aisément pu nous être épargnée au prix de quelques exercices physiques et de quelques activité de plein air bien choisies. J’ai un grand respect pour le sport, mais lorsqu’un homme « fait du sport » pour remettre d’aplomb sa santé minée le plus souvent par inertie individuelle, cela est tout aussi éloigné du sport véritable, qu’on est loin de l’art quand, pour surmonter un chagrin, un jeune homme écrit des vers sir l’inconstance des filles. Des gens que je soupçonne d’avoir partie liée avec les fabricants de savon ont longtemps assuré que la consommation que faisait une nation de cette denrée était le baromètre de son standing culturel. Pour ma part, je ne doute pas un instant que même sans une consommation tout à fait immodérée de savon n’eût pas empêchée un Michel-Ange d’être un danger pour la civilisation. Je puis vous faire part d’une petite expérience personnelle : il y a quelques temps, je me suis acheté un punching-ball, principalement parce que, pendillant au dessus d’une exaspérante bouteille de whisky, il a très bonne mine, et parce que, en donnant à mes visiteurs l’occasion de s’en prendre à mon goût des objets exotiques, il les empêche de parler de mes pièces. J’ai observé que chaque fois que j’ai (à mon sentiment) bien travaillé (ainsi d’ailleurs qu’après la lecture des critiques), je lui donne quelques bourrades capricieuses, alors qu’en période de paresse et de déliquescence physique, je ne songe pas à améliorer ma condition par un entrainement décent. Faire du sport par hygiène est effroyable. Je sais que le poète Hannes Küpper, dont les travaux sont réellement d’une telle décence qu’ils ne trouvent pas d’imprimeur est pilote de course et que Georges Grosz, dont également personne ne se plaint, fait de la boxe, mais je sais qu’ils font ça par amusement et qu’ils le feraient même au prix de leur santé. Le problème est naturellement différent s’agissant de professions non intellectuelles. Des comédiens par exemple ont besoin d’un entrainement physique par suite de leur conception erronée du théâtre, laquelle les contraint à des efforts physique considérables. Quant à moi, j’espère prolonger ma déliquescence physique d’encore au moins soixante ans.

Boxe, bertold brecht