Interview de Miriame, le 3 octobre 2016 au magasin Gordo Nutrition à Pavillons-sous-Bois
Miriame pratique les arts martiaux depuis l’âge de onze ans. Je l’ai rencontrée au club Esprit Libre à Blanc-Mesnil où elle enseigne différents types de boxes pieds-poings : boxe française, kickboxing, full contact, muay-thaï, et pratique le jiu-jitsu brésilien au CDK à Sevran. Elle est nutritionniste. Je l’ai interviewée sur son lieu de travail au magasin Gordo Nutrition. Cette saison 2017-2018 elle ajoute l’enseignement du grappling à son emploi du temps, toujours à Esprit Libre.
Quand j’étais très jeune, j’avais huit ans, j’ai essayé le judo. Je n’avais pas du tout accroché. Je me souviens que j’étais entrée dans un dojo, il y avait des tatamis, c’était très beau, très grand, très espacé, mais je n’ai vraiment absolument pas accroché, je ne me sentais pas à l’aise dans l’environnement, je ne sais pas si c’est dû au professeur ou aux élèves ; c’était à Paris 20è, dans le cadre de l’école, on avait une activité extra-scolaire qu’on pouvait choisir et j’avais choisi judo à l’époque.
J’ai vraiment entamé les arts martiaux à l’âge de onze ans, quand je suis entrée dans une salle de karaté. C’était à la MJC de Gambetta. On pratiquait le karaté dans une salle de danse. C’était très lumineux, très chaleureux, j’en ai d’excellents souvenirs. Je suis restée trois ans dans cette salle avant de déménager sur Bobigny.
J’ai baigné très tôt dans les arts martiaux. Depuis que je suis toute petite, j’ai un amour pour ça. Je pense que c’est le fait d’avoir vu Jacky Chan, qui est très agile ; ce qu’il fait est très chorégraphié, très beau, très esthétique, ça m’a beaucoup plu. Mon grand-frère et mon père m’ont aussi fortement influencée. Je partageais ces activités avec eux. Mon père a fait de la boxe thaï pendant longtemps. Il a arrêté quand mon petit frère est né, j’avais quatre ans, donc je ne m’en souviens pas. Mon grand frère a toujours été très à fond dedans, surtout à travers les films et les jeux vidéos, qui m’ont beaucoup marquée. Dans les jeux vidéos, vous commencez déjà à pratiquer, quelque part vous êtes impliqué dans l’action du personnage. Ça me paraissait naturel, c’était sûr qu’un jour ou l’autre, je ferai des arts martiaux. Je regardais les films avec mon père et mon frère. Dans la famille, on était très portés sur les films. Mes parents ont fait leur jeunesse dans les années 80 et c’est quelque chose qui a explosé à cette époque-là, avec Bruce Lee, Jacky Chan, et aussi beaucoup dans les années 90. Je suis née en 1991.
Ma mère, ce n’était pas du tout son monde, mais elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour le karaté, parce qu’il y a les katas qui sont des formes chorégraphiées. Ma mère est une ancienne danseuse donc ça lui a parlé énormément.
Quand j’ai commencé à faire de la boxe, elle n’a pas du tout apprécié ! C’était une angoisse pour elle.
Quand j’ai déménagé à Bobigny, j’avais treize ans. J’ai arrêté pendant longtemps, parce que je ne trouvais pas de club proche de chez moi. Je n’ai rien fait jusqu’à l’âge de mes dix-sept ans.
A dix-sept ans, j’ai fait un an de taekwondo, c’était vraiment bien mais je n’avais pas un très bon rapport avec le coach. J’étais la seule fille et j’étais un peu délaissée, donc ça m’a un peu refroidie. C’était le premier sport vraiment dur. Au karaté, je faisais beaucoup de katas mais comme j’étais jeune (onze ans) les professeurs y allaient doucement. Au taekwondo, c’était vraiment dur, physiquement, mentalement (parce qu’il fallait qu’on s’investisse). J’ai énormément apprécié et beaucoup progressé aussi dans mes capacités. Au taekwondo, il y a des katas, mais c’est surtout axé sur les combats. J’ai commencé vraiment à combattre et à sentir les coups. Parce que au karaté, vous n’avez pas le droit de toucher. C’était appréciable parce que ça correspondait beaucoup plus à ce que je cherchais.
J’y suis allée crescendo puisque à dix-huit ans, j’ai fait de la boxe. C’était beaucoup plus dur physiquement. Je n’étais pas très investie parce que j’avais mes études à côté : je venais six mois et l’autre moitié de l’année j’avais les examens.
Après mes études d’économie, j’ai pris une année sabbatique et j’ai commencé à vraiment m’investir dans la boxe. Je me suis investie entièrement, j’ai fait des compétitions. C’était top.
J’ai commencé par le kickboxing, un mélange pieds-poings. Avec mon background de karaté et de taekwondo, j’avais de très bonnes jambes. Le kickboxing est un peu né de ça : on a pris le karaté et on a rajouté de la boxe anglaise.
Ça fait partie de moi, c’est en moi depuis que je suis toute petite, c’est un truc que je n’arrêterai jamais, quoiqu’il advienne, je ne pourrai pas m’arrêter. C’est comme si on m’avait génétiquement programmé pour faire ça. C’est impressionnant. Depuis que je suis toute petite, je me rappelle avoir toujours désiré faire des sports de combat.
J’ai fait un peu de basket, mais j’étais jeune à l’époque et j’avais un peu de mal avec l’esprit collectif. Aujourd’hui je suis beaucoup plus sportive et je suis apte à tout faire. Je ne suis pas limitée aux sports de combat. J’aime tout. Vraiment tout. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, je n’étais que sports de combat. Je n’étais pas sportive à la base, il n’y a que dans le cadre des sports de combat que vous pouviez me faire faire du sport. J’avais de l’embonpoint, vraiment pas sportive du tout ! Aujourd’hui je suis sportive.
Être sportive, ça veut dire prendre du plaisir à faire un effort physique même si on souffre. Un effort physique qui ne correspond pas à des gestes du quotidien. Qui sort des gestes du quotidien. C’est apprécier ou plutôt tolérer la douleur. Parce que c’est douloureux le sport, on ne va pas se mentir.
Ça me donne des sensations : ça me fait carrément pousser des ailes, ça me fait prendre conscience de mon corps, c’est hyper important tout l’aspect schéma corporel, ressentir chaque partie de son corps, sentir qu’il nous appartient, qu’on le mobilise, qu’on sait l’utiliser, qu’on sait bouger dans l’espace, qu’on est capable de faire certaines choses. Quand vous savez par exemple que vous êtes capable de soulever trente kilos, quarante kilos et qu’au fur et à mesure vous progressez, c’est hyper gratifiant. On développe des capacités. Quand je m’améliore, que j’arrive à développer ou à acquérir une technique, j’ai l’impression de développer mon corps. Presque comme si vous sortiez de votre corps.
Si je devais développer une image, c’est comme un papillon. A chaque fois, je suis une chenille, je forme une chrysalide, j’éclos en papillon, puis je recommence. C’est un cycle qui se répète continuellement et je deviens un papillon de plus en plus gros ou qui change de couleur… C’est vraiment comme ça que je le vois.
C’est pour ça que j’aime bien varier les arts martiaux, que je ne me cantonne pas à la boxe ou au JJB (Jiu-Jitsu Brésilien), j’aime tous les arts martiaux, tous.
J’ai plein d’images : ça vibre, ça me rend vivante, ça m’excite. Je me sens totalement différente. Quand je suis dans ma pratique, je suis vraiment isolée, je suis en connexion avec moi-même. C’est comme une suspension dans le temps.
Je fais du JJB et de la boxe. Je rêverais de faire de la capoeira. Le temps me manque mais je vais essayer de m’organiser. Et aussi du parkour. C’est considéré comme un art martial même s’il n’y a pas de combat. C’est l’art de se déplacer dans l’espace. J’aimerais énormément en faire. Pour la sensation de liberté, la sensation de voler, d’être léger, de sortir de son corps en fait, d’être hors de son corps.
C’est toujours l’idée du challenge, de se confronter à un danger et de le surpasser ; dans le parkour, le danger c’est le monde qui nous entoure, c’est périlleux comme pratique. Dans les sports de combat, c’est la même chose : il y a le risque de se prendre un coup, le risque de se prendre une clé. C’est réussir à appréhender un danger et à le maîtriser.
Dans un combat, le danger vient de l’autre, un être humain qui est comme vous, vous savez l’appréhender parce que il peut avoir les mêmes failles ; il y a des choses qui ne trompent pas, des mouvements, des paroles, des gestuelles qui vous informent sur la personne que vous avez en face de vous. Dehors, il y a plein de variables : il faut arriver à jauger la distance entre vous et l’obstacle, le vent peut vous gêner, le froid, la chaleur. C’est vous contre l’environnement. Il faut vraiment pratiquer pour réussir à appréhender. J’ai fait une séance de parkour cet été. C’est comme tout, il faut pratiquer pour réussir, mais là, vous faites un truc, vous tombez, et vous êtes tombé tout seul, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire : personne ne vous a infligé la chose. C’est ce qui est impressionnant. C’est vous contre vous-même. De toutes façons c’est toujours ça.
Que ce soit contre quelqu’un ou tout seul, de toute façon, c’est vous contre vous-même. Vous contre votre ego. Vous contre vos peurs.
La capoeira …J’ai oublié de vous dire, j’ai fait de la danse aussi, j’ai fait trois ans de danse. Dans ma famille, c’est des danseurs aussi. J’ai fait du hip-hop. Mon grand frère était danseur professionnel de hip-hop, ma mère était danseuse, danse orientale et danse classique. Elle n’en a pas fait beaucoup. C’était quand elle était en Algérie. Ma grand-mère était chanteuse dans les mariages, ma tante jouait des instruments et ma mère dansait. Mon grand-frère a été très très longtemps danseur hip-hop. Il a essayé de percer mais il n’a jamais réussi. Le petit frère est dedans aussi. Moi j’ai fait ça pendant trois ans par pur plaisir, parce que j’aime trop ça : danser, sortir de son corps. C’est toujours la même chose en fait, c’est toujours ça.
On a tous ce besoin d’investir son corps, de l’habiter quoi.
Il y a tellement d’autres manières d’habiter son corps, ça peut être la méditation, rien que le fait de manger c’est une manière d’habiter son corps, de prendre un bain, de prendre soin. Il y a une distinction esprit-corps et habiter son corps c’est quand on laisse l’esprit parcourir. C’est un réceptacle, on a des sensations. Il y a plein de manières d’habiter son corps, c’est à nous de les découvrir.
La compétition, c’est quelque chose de plus compliqué. J’ai toujours aimé la compétition quand j’étais jeune, j’en ai toujours fait, je n’ai jamais appréhendé, je faisais de bons résultats.
Quand on est enfant, on ne réalise pas les enjeux. Quand on est jeune, il n’y a pas d’enjeu. Je n’étais pas adulte donc je ne me posais pas de questions. J’ai commencé à me poser des questions existentielles à l’âge de vingt ans. On commence à avoir des doutes quand on rentre dans l’âge adulte. Quand on est enfant, on n’a aucun doute, on est sûr de soi. C’est pour ça que quand on perd, c’est beaucoup plus dur à avaler parce que c’est de la déception. Les enfants sont vraiment déçus quand ils perdent parce qu’ils ne s’y attendent pas. Ils sont persuadés qu’ils vont gagner, ou qu’ils vont juste jouer et finalement ça se passe mal, ils se sentent humiliés. C’est toujours de la surprise quand on est enfant. Quand on est enfant, on réalise après coup, alors que quand on est adulte, on anticipe vachement ces choses-là et du coup on s’inhibe. En tout cas, c’est la manière dont je le vis. Quand j’étais petite, c’était mon âme d’enfant, et mon âme d’enfant était faite pour les arts martiaux. Rien ne comptait plus pour moi à l’époque. Quand je suis entrée dans l’âge adulte, d’autres choses sont rentrées en ligne de compte : la scolarité, la responsabilité. Ça a un peu parasité mon âme d’enfant.
Quand je gagnais un combat, pour moi c’était naturel. C’était normal de gagner. Quand je perdais, j’étais déçue, j’avais un peu la boule à la gorge mais je me disais : la prochaine fois, je gagnerai. Pour moi, il n’y avait pas d’autre issue possible que de gagner, mais je ne me donnais pas les moyens de gagner. C’était un peu prétentieux de ma part.
Depuis mes dix-huit ans, j’ai une appréhension terrible, ça me bloque dans mes capacités. Sauf quand j’ai fait ma compétition en boxe, où tout s’est déroulé comme sur des roulettes. Mais là par exemple, en JJB –mais je pense que c’est parce que je manque de technique- je me sens bloquée.
Je pense aussi que c’est parce que je me mets une pression vis à vis du club, de ceux que je représente. Cette année j’essaie de mettre de la distance vis à vis de cette pression. Aujourd’hui, je suis dans l’état d’esprit de le faire vraiment pour le plaisir, que je fasse de la compétition ou pas. Si je fais de la compétition, c’est pour éprouver mes capacités, pour me challenger. Si je perds : tant pis ; si je gagne : tant mieux. L’année dernière, il y avait vraiment la pression du club (le CDK). Je me débrouillais plutôt pas mal, j’étais la seule fille, du coup, ça mettait une pression. Mais je me la suis mise toute seule ! Eux ils étaient juste là, à m’aider. Je suis très comme ça : je me mets beaucoup la pression toute seule vis à vis des autres. Et la pression, ça me bloque, ça ne m’aide pas du tout. Ce qui va m’aider, ce n’est pas la pression, c’est le plaisir : le fait que ça se déroule bien, que je me sente bien dans ma peau, comme si ce que j’allais faire -rentrer sur le tatami et combattre contre quelqu’un- était quelque chose de naturel. Là, je sais que je peux performer. Mais si je suis stressée, ça m’inhibe, j’ai l’impression que je n’ai plus le contrôle de moi-même, je me trompe complètement sur l’état d’esprit dans lequel je suis. Je l’ai vécu cette année sur les dernières compétitions : le fait d’avoir la pression m’a bloqué dans mes capacités. J’étais beaucoup plus agressive. Plutôt que de faire quelque chose de joli, d’essayer d’être technique, j’étais trop agressive. L’agressivité, ça aide, ça fait la différence, mais quand c’est bien dosé. Pour moi, l’agressivité se rapproche plus de la bagarre que d’un art martial.
Maintenant, quand je gagne, je suis contente parce que c’est la concrétisation du travail. On se dit : « Ce que je fais, ce que j’ai travaillé, ça marche. » Quand on perd, on est toujours dégoûtée, parce que personne n’aime perdre. Mais c’est bien, parce que c’est une nouvelle porte pour progresser. Si on gagnait tout le temps, ça voudrait dire qu’on est au top et qu’on a plus à progresser, et on se repose facilement sur nos lauriers. Quand on perd, on est obligé de retravailler derrière et on travaille tellement plus, on progresse vraiment, de manière super spectaculaire. Mais c’est toujours dur de perdre. Surtout quand vous faites partie d’une équipe. L’esprit d’équipe, je l’ai senti à CDK. C’est impressionnant, c’est horrible presque. Parce qu’ils sont toujours là, à toutes les compètes, ils vous regardent, ils vous soutiennent, et moi ça me met une pression ! Parce que j’ai trop envie de leur plaire, parce qu’ils m’ont tellement bien accueillie, ils m’ont tellement portée. C’est vraiment une famille pour moi. Ça ne fait qu’un an que j’y suis ! Ça m’a choquée ! Parce que dans mon club à Bobigny, l’esprit familial s’est délité. Il y avait cet esprit familial au début mais il s’est délité et ça m’a un peu déçue. En fait, ces trois dernières années, ce n’était plus du tout intéressant de boxer parce qu’il n’y avait plus cette cohésion, ce groupe qui progresse ensemble, les coaches qui font attention à nous. Là, je l’ai retrouvé au CDK et c’est juste génial. Hier encore on y était, les garçons s’occupent super bien de nous. Ils n’y gagnent rien. Ils font ça de manière totalement désintéressée. La seule chose qu’ils veulent, c’est nous voir gagner, pour eux, pour l’équipe. C’est comme des grands frères : on a envie de plaire à ses grands frères, de plaire à ses parents.
Je suis quelqu’un comme ça : j’ai beaucoup plus de mal à faire les choses pour moi-même que pour les autres. Ce n’est pas forcément quelque chose de bien parce qu’on prend les choses trop à cœur quand ça ne fonctionne pas. On est déçu nous-même et on anticipe la déception des autres alors qu’ils ne le sont pas forcément.
L’esprit de famille d’un club c’est important, je suis beaucoup plus motivée pour aller m’entrainer en club. Au CDK, on est encadrés, on sait que si on fait une erreur quelqu’un sera là pour nous corriger, je préfère vraiment m’entrainer en club plutôt que toute seule.
Je m’entraine rarement toute seule, je le fais dans le cadre des compétitions, mais rarement. En JJB il y a des techniques pour s’entrainer seul, mais je n’ai pas la place chez moi pour m’entrainer seule ! Franchement, c’est plus agréable d’aller en club : on voit les gens, on rigole. Je préfère !
Mon rêve, ça a toujours été de pouvoir pratiquer, c’est tout. Je n’ai pas la prétention d’être la meilleure, je ne l’ai plus. Cette année, je ne l’ai vraiment plus. Cette année je veux juste pouvoir pratiquer. Quand j’étais plus jeune, je n’aimais pas trop qu’on puisse être meilleure que moi. Alors qu’aujourd’hui non. Par exemple, Sarah qui arrive au CDK, je l’encadre énormément, et ça ne me pose aucun problème qu’elle progresse, au contraire j’aimerais bien qu’elle puisse progresser plus. Je suis dans un état d’esprit totalement différent de celui dans lequel j’étais quand j’étais jeune.
Mon rêve, c’est vraiment de pouvoir pratiquer. Toute ma vie. Jusqu’à ma mort. Et pouvoir enseigner aussi. Réussir à transmettre. Je donne des cours de boxe. Transmettre, c’est quelque chose d’hyper-gratifiant.
Je veux transmettre un état d’esprit, la confiance en soi. C’est quelque chose que j’ai acquis. Les arts martiaux m’ont un peu stabilisée, même énormément stabilisée. Ça m’a donné de la valeur, j’ai trouvé beaucoup de valeurs en pratiquant les arts martiaux : la confiance en soi, la discipline. La discipline surtout, c’est quelque chose qui se perd tellement de nos jours. Le respect des autres. Le contrôle de l’égo. Ça c’est un truc que les arts martiaux vous apprennent tous les jours.
Je peux pratiquer sans envisager de faire des compétitions. Ça fait vraiment partie de moi. Je suis chez moi et d’un coup je me mets à faire du shadow.
C’est surtout par rapport à la gestion de la pression que j’aime faire de la compétition. Je n’aime pas rester sur quelque chose qui me dérange. Le jour où je réussirai à affronter cette appréhension de la compétition, je passerais peut-être à quelque chose d’autre, mais je ne fais pas des arts martiaux pour faire de la compétition. Je fais des arts martiaux pour les arts martiaux en eux-mêmes. Parce qu’en plus je veux pratiquer tous les arts martiaux et je n’ai pas le temps de faire des compétitions dans tous les arts martiaux !
J’enseigne depuis trois ans. Je débute ma troisième année d’enseignement de boxe. J’ai beaucoup de mal avec les enfants, je l’ai fait pendant un an, je n’y arrive pas. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je n’arrive pas à les gronder. J’espère que plus tard j’y arriverai ! J’aime beaucoup les enfants. J’étais vraiment jeune dans l’enseignement quand je l’ai fait et c’est un public à part, et enseigner un sport de combat c’est dangereux, des coups sont échangés, ils peuvent se blesser. Je n’assumerai pas de dire à un parent : votre fils s’est blessé pendant mon cours. C’est un truc trop difficile pour moi, du coup je préfère enseigner aux adultes. Quels qu’ils soient, hommes ou femmes. C’est juste que ça ne s’est pas présenté à moi d’enseigner à des hommes. J’aime beaucoup enseigner aux compétiteurs. Par exemple, Noémie, j’ai commencé à la suivre l’année dernière et ça m’a fait tout bizarre parce que c’est vraiment quelque chose d’emmener quelqu’un à la compétition. Tout ce par quoi vous êtes passé auparavant, vous l’appliquez à cette personne. Toutes les angoisses que vous avez connues, elle les connaît. Comme vous êtes passé par là, vous arrivez à trouver les mots pour l’aider à surpasser tout ça, et c’est excellent ! Je comprends mieux pourquoi les coaches se donnent autant. Je ne comprenais pas pourquoi les gens étaient si gentils, à s’impliquer autant dans ma préparation, mais maintenant, je comprends totalement.
Emmener quelqu’un en compétition, surtout s’il réussit, c’est encore mieux ! S’il ne réussit pas, ce n’est pas grave. Je sais que la personne sera déçue, mais il y a le fait qu’elle y soit allée, qu’elle se soit préparée. C’est toute la préparation avant qu’elle a réussit à assumer. C’est excellent. Et on est très inspiré. Noémie, elle m’a beaucoup inspirée. Je lui dit toujours : tu m’as énormément inspirée. Dans le sens où je l’ai vue vraiment, je n’ai jamais lâchée l’affaire. Je ne sais pas si mes coaches m’ont vue comme ça mais c’est impressionnant. Vous dites à une personne de faire un truc terriblement dur, elle souffre, pour autant elle va continuer. C’est impressionnant quand vous voyez des gens qui sortent de leur zone de confort et qui essaient de se surpasser. Ça vous inspire, forcément. Ça vous donne envie de faire comme eux. De vous dire : Aujourd’hui je suis à tel stade de ma vie, et bien je vais me défoncer pour en atteindre un autre, continuer à avancer, ne pas me laisser régresser. Parce qu’on est tout le temps en mouvement, on n’est jamais stable, soit on revient à un stade plus bas, soit on augmente, on est tout le temps en mouvement, donc forcément dans un sens ou dans l’autre.
La zone de confort, c’est la zone tolérable, c’est l’effort ou la situation qu’on tolère.
Sortir de la zone de confort c’est rentrer dans une zone qui devient compliquée, on commence à sentir que c’est dur, on commence à souffrir. Que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans le sport. C’est là où il va falloir travailler. Quand vous êtes dans votre zone de confort, vous ne travaillez pas, vous vous contentez d’un acquis, vous restez sur cet acquis. Quand vous sortez de la zone de confort, il va falloir faire un effort supplémentaire, travailler quelque chose de différent. C’est assez déstabilisant de sortir de sa zone de confort. C’est pour ça que c’est très important d’être accompagné.
On peut le faire tout seul, mais c’est dur. C’est dur de sortir de sa zone de confort. Dans tous les domaines de la vie. Mais une fois que vous réussissez à en sortir…
C’est prendre des risques, mais il ne faut pas prendre n’importe quel risque, c’est pour ça que c’est important d’être accompagné. Parce qu’on peut prendre des risques qui vont être très préjudiciables, notamment dans la boxe, pour sortir de sa zone de confort : faire un effort beaucoup trop intense, se blesser. Au risque de ne plus pouvoir pratiquer.
Je vois Noémie demain après-midi, elle s’entraine au Blanc-Mesnil, mais je l’entraine à l’extérieur parce que ce n’est pas suffisant, elle a une compétition dans deux semaines.
Demain, je vais la faire sortir de sa zone de confort !
Pour entrainer j’ai fait la formation BMF1, BMF2, BMF3 (Brevet de Moniteur Fédéral). Et là, on s’est inscrite au BPJEPS (diplôme d’état)avec Farah. Parce que sans le BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education et du Sport),vous ne pouvez pas être rémunéré. On nous paye en défraiements d’essence. Avec le BPJEPS, vous pouvez être rémunéré et vous pouvez travailler à l’étranger. Et on apprend beaucoup plus de choses. C’est pour toutes les activités pugilistiques : on pourra enseigner la boxe thaï, le kickboxing, le full-contact, le pancrace.
La boxe, c’est violent. On prend des coups. On ne peut pas se mentir. Il y a des bleus, il y a des blessures. Même en JJB. Hier je me suis fait mal au genou, là j’ai terriblement mal. C’est violent. C’est une violence qu’on accepte. Je ne saurais pas vous dire pourquoi. C’est quelque chose qu’on ne reconnaît pas comme nuisible. Il y a quelque chose de bon dans cette violence. C’est bizarre. Ce n’est pas masochiste, mais ça l’est un peu quand même. Nous les sportifs, on est masochistes. Il y a quelque chose qui va ressortir de cette violence.
La vraie violence, pour moi, c’est quand une personne cherche à vous nuire ou quand vous cherchez vous-même à vous nuire. Vous pouvez pratiquez un sport juste pour vous manger des gnons parce que vous voulez vous punir de quelque chose. Il y a beaucoup de sportifs qui sont dans ce cas-là. J’ai fait de la psychologie du sport dans ma pratique. On a vu des témoignages de sportifs qui sont presque dans l’automutilation dans leur pratique. Parce qu’ils ont des failles psychologiques qui leur appartiennent.
Pour moi la violence, c’est nuire. D’une manière ou d’une autre. Un désir de nuisance. Se nuire ou nuire à l’autre.
L’autre jour à la compétition, on regardait les combats. Pour moi, ce n’était pas beau. C’était moche ! Il y a deux styles en combat : le « light », où il ne faut pas mettre de force ; si vous portez un coup trop fort vous risquez d’être disqualifié. C’est très beau.
Et le « plein contact », où le but est de mettre KO.
Dans le « plein contact » j’arrive à distinguer les gens qui font ça juste pour la bagarre, juste pour nuire, et qui vont faire mal ; et ceux qui font ça pour le sport, même s’il y a un désir de mettre KO derrière. On sent alors que les deux adversaires ne sont pas là juste pour se mettre KO, c’est vraiment le cadre du sport. C’est comme des gladiateurs. C’est quelque chose d’être capable de mettre KO ou d’éviter que la personne me mette KO en la mettant KO en premier. C’est l’état d’esprit du départ qui est important.
En général, les combats « plein contact » classés, ce sont des petits jeunes qui viennent de rentrer dans la boxe, qui veulent juste se bagarrer et gagner des médailles. Alors que les combats de boxe pros, c’est très propre. Les coups sont portés bien sûr. Les combattants se sont mis en condition pour encaisser les coups. Mais c’est très propre, c’est très technique, très recherché.
Il y a aussi des gens qui ne sont pas capables de faire autre chose. Par exemple, cette année, je ferai du plein contact, pas du léger. Parce que je n’en suis pas capable. Je suis quelqu’un de très dur, je suis agressive. Ce n’est pas une agressivité que je contrôle, mon corps s’exprime comme ça. Au JJB par exemple, je suis très dure, je suis très lourde, je suis très musculaire, je suis très contractée quand je m’entraine. Je ne sais pas pourquoi. C’est mon style : l’impact, l’efficacité. Avant, j’étais plus dans l’esthétisme et dans le déroulé étant donné que je venais du karaté et du taekwondo.
Je ne sais pas pourquoi au fil du temps je suis partie sur un autre style. Peut-être parce que j’ai pris du poids. Quand vous prenez du poids, c’est plus difficile d’être plus souple, plus léger. Je pense que ça a joué. Je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’efficacité que dans le fait de dérouler des coups pour l’esthétisme. Aujourd’hui. Ça peut changer demain. Si je développe une autre technique de boxe.
Au JJB, je suis en train de faire la démarche inverse : je deviens moins agressive pour devenir plus légère, plus souple, plus agile.
En JJB, il y a une jeune qui est très forte : Mackenzie Dern. Elle a vingt ans et a toujours fait du JJB parce que son père est très connu, entraineur.
En MMA (Mixed Martial Art), il y a Cris « Cyborg » (Cristiane Justino). C’est typiquement le genre de personne face à laquelle je ne voudrais jamais me retrouver. Cette dame est un monstre. Elle est très forte physiquement, techniquement. Elle est presque imbattable. Elle est à la fois très agressive et très technique. Elle est très impliquée, elle est dans la dévotion totale vis à vis de sa pratique.
J’admire les gens qui se sont entièrement dédiés à leur pratique et qui arrivent en même temps à rester hyper humains. Qui véhiculent des images d’humilité.
Il y a Lyoto Machida, que j’aime énormément. Il est très connu. Il est moitié brésilien, moitié japonais. Il est très humble, très bon techniquement.
Rester humain, ça se voit dans la manière avec laquelle ils se comportent vis à vis de leurs adversaires.
Hier je voyais encore une vidéo de Lyoto Machida. En MMA il y a le « Ground and Pound » : quand la personne est au sol, vous avez le droit de la frapper. Souvent, quand quelqu’un est mis K.O. au sol mais que l’arbitre n’a pas tappé, l’autre s’acharne sur lui. Dans le combat que j’ai regardé, Lyoto Machida a mis son adversaire au sol K.O. Ensuite, il a hésité, il a levé la main, il attendait que son adversaire se défende pour pouvoir le frapper. Alors que certains vont s’acharner, ce que je ne trouve tellement pas sportif. C’est limite déloyal. Mais après, c’est les règles du jeu.
Je n’aime pas le « Ground and Pound », je n’aime vraiment pas. J’aime bien le fait qu’on aille au sol et qu’on fasse du JJB ou du grappling, mais frapper une personne qui est au sol…
Je suis presque en accord avec le fait que le MMA soit interdit en France.
Je suis d’accord avec le fait de dire que c’est une image dégradante de frapper un homme au sol.
Il n’y a pas que ça qui bloque la légalisation du MMA, mais je suis d’accord avec cet argument-là. Il pourrait y avoir des pratiques de MMA en France mais pas comme au Etats-Unis où on laisse la personne se faire frapper jusqu’à ce qu’il y ait du sang partout. Je n’aime pas ça.
En boxe, oui le K.O. peut arriver mais la personne est debout.
J’ai l’impression que quand on est au sol, on est démuni. C’est une question de représentation, d’image.
Moi ça me choque, mais c’est vraiment une question de représentation.
Une personne qui viendrait me frapper au sol, ça ne me dérangerait pas parce que je me défendrai. Je sais que ça fait partie du jeu. Mais le fait de voir quelqu’un déjà presque K.O. s’en manger plein le visage, ça me choque. C’est de l’empathie.
Pas parce qu’il est au sol, mais parce qu’il est déjà K.O. Son adversaire va continuer pour manger ses millions de dollars, parce qu’il y a aussi l’euphorie du combat, l’agressivité. Il ne va pas forcément se rendre compte. Son boulot, c’est d’être là pour frapper.
Mais quand des personnes, comme Lyoto Machida, arrivent à faire ça (s’arrêter avant de frapper quelqu’un au sol déjà K.O.) je trouve ça génial. Il n’est pas que dans son combat, il sait qu’il y a un autre être humain en face de lui. Une personne qui a des sensations, qui a une santé.
La façon dont les personnes se respectent, ça se sent à la pesée, quand les personnes se regardent droit dans les yeux. Il y en a qui sont déjà hyper agressives, qui commencent déjà à s’insulter, qui veulent déjà se battre alors qu’elles sont à la pesée. Je n’aime pas.
C’est du show. Il y en a qui adorent ça. Moi, ce n’est pas mon truc. Ce que j’aime c’est quand les deux personnes à la pesée sont contentes, sont dans un bon état d’esprit.
Je n’aime pas la violence. La volonté de nuire. Ils ne se rendent pas compte combien vouloir nuire à quelqu’un, ça peut aller très très loin. On peut faire quelque chose de fatal. On peut handicaper une personne de manière définitive. On peut même la tuer.
Les personnes ne se rendent pas compte des risques que vous prenez quand vous êtes dans une cage. Il y en a qui sont morts. Très très peu.
L’ex-mari de Cris Cyborg a pris un coup de genou sauté, il n’était pas du tout au sol, il a plein de micro-fractures dans le crâne. C’est un handicap.
Ça existe dans tous les arts martiaux, même en JJB, vous pouvez déchirer le genou ou le talon de quelqu’un. Bien sûr.
C’est pour ça que c’est important de maitriser sa pratique. C’est pour ça que dans certaines fédérations, certaines prises sont interdites : les clés de talon par exemple.
Parce que c’est trop dangereux si ce n’est pas fait par quelqu’un de très expérimenté.
Je fais une différence entre les sports de combat, les arts martiaux et la bagarre.
Les sports de combat et les arts martiaux se rapprochent : la différence c’est qu’il y a un protocole, un cadre disciplinaire beaucoup plus délimité dans les arts martiaux que dans les sports de combat. Dans les sports de combat, il y a une discipline, mais c’est plutôt une discipline induite, tacite, entre les partenaires. Dans les arts martiaux, il y a le salut, le respect du maître, les grades, le kimono, c’est vraiment codifié. En boxe, il y a une discipline, mais c’est tacite. Ce qui est impressionnant c’est que malgré tout, tout le monde la respecte. C’est vraiment tacite, il n’y a pas de règle écrite, ce sont des règles de respect, de fair-play, d’hygiène, que tout le monde connaît et que tout le monde applique pour que ça se passe bien. Alors que dans les arts martiaux, dans certains dojos, il y a des sanctions. Vous pouvez être sanctionné. Par exemple, si vous n’avez pas bien mis votre kimono vous faites vingt pompes. Au taekwondo, on avait des trucs comme ça, kimono mal repassé : dix pompes. Alors qu’à la boxe, non. Si le short est mal repassé, tant pis pour toi.
Dans les sports de combat et les arts martiaux, c’est un partage, c’est un échange.
La bagarre, il n’y a aucune règle. C’est nuire à la personne ; ou se défendre. Mais dans les deux cas, il y en a un qui veut nuire à l’autre.
Les règles, c’est important. Parce que ça met tout le monde d’accord. Certaines règles peuvent être discutables. En adhérant à une fédération, en envoyant des courriers pour en parler, on peut réussir à faire évoluer les choses. Mais les règles, c’est hyper important. Surtout dans les sports de combat. Parce que ça engage des émotions, des sensations qui peuvent vous faire perdre le contrôle. Si vous n’avez pas les règles derrière, ça peut vite mal tourner.
Tous les jeunes devraient se former à l’arbitrage. Je vais le faire prochainement. Il faut avoir une ceinture bleue pour faire le stage d’arbitrage en JJB. Dès que j’ai ma ceinture bleue, je le fais. C’est hyper-important. Pour sensibiliser aux règles. Et même stratégiquement. Quand vous emmenez ensuite des personnes en compétition et que vous connaissez les règles, c’est mieux !
En boxe aussi. Il devrait même y avoir plus de règles, notamment par rapport à l’état d’esprit. Je trouve qu’il y a parfois des choses qui méritent la disqualification et que les arbitres laissent courir.
En même temps, en instaurant trop de règles on peut rentrer dans du karaté.
Les règles ont été pensées par des personnes qui ont pratiqué. C’est à nous, nouvelle génération, de peut-être apporter d’autres choses.
Quand j’ai fait ma pesée, c’était un calvaire : je ne mangeais plus rien. On m’avait inscrite dans une catégorie de poids qui n’est pas la mienne.
C’est un truc qui se fait très couramment : s’inscrire dans une catégorie inférieure à la vôtre ; c’est complètement stupide. Ça ne sert à rien, parce que tout le monde va faire la même chose. Vous faites en sorte d’être dans la catégorie d’en-dessous pour avoir l’avantage sur votre adversaire mais lui va faire exactement la même chose. Vous appartenez tous les deux à la catégorie d’au-dessus mais vous cherchez à aller dans celle d’au-dessous. Et dans le cas où un seul appartient à la catégorie d’au-dessus et cherche à rentrer dans celle d’en-dessous, ce n’est pas vraiment sportif comme esprit. On décide de se défaire d’un challenge.
C’est toujours possible, mais il faut alors s’y prendre longtemps à l’avance et le faire dans de bonnes conditions. Ce n’est pas deux semaines avant que vous perdez dix kilos.
Dans mon cas, j’ai toujours beaucoup de mal à perdre du poids, donc c’était horrible. Je faisais 63kg et on m’a inscrite en moins de 60kg. Il fallait que je pèse 59kg. En soi, 4 kilos, ce n’est pas méchant. Mais j’ai eu beaucoup de mal. Le dernier kilo a été dur à perdre. J’avais beau ne rien manger, je n’y arrivais pas. Je ne buvais que de l’eau, je mangeais un yaourt, je me suis entrainée les deux derniers jours dans un sauna. Et 48 heures avant la pesée, je n’ai pas bu une seule goutte d’eau. Et du coup : fracture de fatigue. J’ai fait ma compétition, j’ai gagné, mais c’était très douloureux. J’avais les poumons et les narines en feu, une sécheresse au niveau de la bouche. J’ai donc gagné les championnats d’Ile-de-France. Mais quand il a fallu reprendre l’entrainement pour préparer les championnats de France, je n’étais pas du tout prête. Je me sentais incapable de refaire quelque chose d’aussi difficile. D’ailleurs, je n’ai pas tenu, je ne l’ai pas fait. J’ai enchainé les fractures de fatigue, ma cheville se dérobait sur le ring. Je n’arrêtais pas de pleurer parce que je n’arrivais plus à être au poids. J’avais repris 4 kg d’un coup après la compétition. C’était en 2013. J’ai carrément arrêté de boxer, je ne suis plus venue aux entrainements. Je n’étais plus dans un bon état d’esprit. En plus, les coaches ont la fâcheuse tendance à vous faire des remarques sur votre poids. Déjà quand vous êtes un garçon c’est désagréable, alors quand vous êtes une fille. Ils le font toujours encore aujourd’hui. Ils sont toujours en train de dire : « Ah tu as pris » ou « Ah tu as maigri ». Comme si la personne n’existait qu’à travers ça. Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils peuvent développer.
Dans les sports de combat, il y a un grand risque de développer des troubles du comportement alimentaire : anorexie ou boulimie. Ça se retrouve dans tous les sports esthétiques ou à catégorie de poids.
Les coaches ne se rendent pas comptent. Ils ne nous accompagnent même pas. Ils n’ont pas de formation nutritionnelle pour accompagner dans une perte de poids.
C’est pour ça que j’ai fait mes études. Parce que ça m’a vraiment beaucoup marqué. C’est dommage parce que vous n’êtes pas serein dans votre pratique. Tout ça à cause d’une histoire de poids.
Aujourd’hui je peux combattre dans n’importe quelle catégorie. Parce que je sais que je préfère être désavantagée au poids plutôt que de pourrir ma préparation à la compétition. Ça m’a vraiment marqué ! Encore aujourd’hui, si je pouvais retourner dans le passé, je ne le referais pas. Et je ne l’ai fait qu’une seule fois ! Les sportifs ont enchainé ça pendant des années et des années. Il peut y avoir des séquelles physiques.
C’est pour ça qu’au JJB, vous vous pesez cinq minutes avant d’aller combattre. Vous ne pouvez pas regagner de poids (entre la pesée et le combat), contrairement à la boxe où vous avez une demi-journée ou 24 heures entre la pesée et le combat.
À la fédération FFL (Fédération Française de lutte),en JJB, vous vous pesez et vous allez directement combattre. C’est super-intelligent de leur part. De cette façon, vous ne pouvez pas compter sur le fait de reprendre du poids entre la pesée et le combat. Vous devez bien réfléchir à votre catégorie de poids. C’est super comme règle. Ça va finir par dissuader les gens de faire des régimes. Parce que quand dans un combat vous n’avez aucune pêche, c’est intenable. Surtout en JJB où il faut supporter son propre poids et le poids de la personne.
Ça c’est une bonne décision.
En boxe, vous avez toujours une demi-journée ou trois heures pour remanger après la pesée.
Je viens de passer un bachelor en nutrition sportive. Avant, j’avais fait un bac économique et social. Après le bac, je ne savais pas quoi faire, donc j’ai tenté du droit bilingue, c’était très bien mais trop loin de chez moi, du coup j’ai lâché l’affaire. En plus je ne voyais pas d’opportunité professionnelle. Ensuite j’ai fait deux années de prépa économie qui étaient géniales parce que c’était un très bon groupe. Ce n’était pas le même état d’esprit que dans toutes les prépas où chacun doit être meilleur que l’autre. On avançait tous ensemble. On était dix. C’était top. Mais je ne me voyais pas faire une école de commerce. Ce n’était pas mon truc. Donc j’ai pris une année sabbatique, pendant laquelle j’ai fait beaucoup de compétitions. Ensuite, la nutrition m’est apparue comme quelque chose de logique. Ça m’a toujours beaucoup intéressé. Et mon grand-frère qui a eu beaucoup d’influence sur moi, m’a encouragé. Donc j’ai fait de la nutrition, là j’ai terminé, j’attends les résultats. Je fais un bachelor en nutrition sportive. Nutrition adaptée aux sports de combats. J’ai choisi ça pour aider les athlètes à gérer leur pesée.
Dans ce magasin (Gordo Nutrition) on vend des compléments alimentaires surtout destinés aux sportifs. Les sportifs ont des besoins spécifiques liés à leur pratique. On vend principalement des produits de récupération, parce que c’est ce qui est le plus demandé. La première des récupérations est liée à l’hydratation et à l’alimentation. Certaines personnes ne mangent pas suffisamment pour bien récupérer. Ça peut donc être un plus pour elles. Chaque produit est une source concentrée de nutriment spécifique. Ça peut être super pratique. Vous prenez 50g de Weigh, vous rajoutez 200ml d’eau, vous avez presque l’équivalent d’un steak.
Il y a de tout : ceux qui veulent prendre du poids, ceux qui veulent en perdre. Ceux qui veulent juste se sentir mieux : on vend des vitamines, des minéraux.
On a aussi des produits plus alimentaires : du beurre de cacao par exemple. On va faire un rayon bio, des aliments sans gluten etc.
Il y a vraiment de tout, c’est top, c’est trop bien.
Depuis toute petite, j’ai pensé que les sports de combat n’étaient pas réservés aux hommes. Mes parents m’ont élevé dans cet état d’esprit. Pourtant mes parents sont issus de l’immigration. Mais la danse n’est pas forcément pour les filles et la boxe, pas forcément pour les garçons. C’est fait pour toute personne qui a une affinité pour ça. Je trouve que les sports de combat sont d’autant plus fait pour les femmes qu’on est une population vulnérable. Physiquement, on est moins aptes à se défendre qu’un homme. Et on est plus les cibles d’agression. Quand une femme décide de faire un sport de combat, c’est très judicieux de sa part. Elle ne mettra pas forcément quelqu’un K.O. mais au moins elle sera préparée à une éventualité. Un homme est dissuadé quand il voit une femme qui sait se défendre. Si la femme se met en garde par exemple, l’homme se dit qu’elle n’est pas si sans défense que ça et qu’il ne va peut-être pas l’agresser. C’est très important que les femmes fassent des sports de combat. Maintenant, avec les réseaux sociaux, les femmes dans le MMA, il n’y a plus tant de différence. Il y a quand même plus d’hommes qui pratiquent, c’est sûr. Il n’y a pas de sports faits pour les hommes ou faits pour les femmes.
C’est vrai qu’on développe des attributs en pratiquant, en lutte par exemple, la plupart des femmes sont très carrées, les danseuses sont plus fines. Mais en fait, non, ça ne veut rien dire.
Et les canons de beauté ont changé, il y a de tout. Une femme très musclée, ou ronde, peut être très jolie. Comme une femme toute fine. Tout ça, c’est grâce aux réseaux sociaux. On voit de tout, des images du monde entier. Des canons de beauté venant de tel ou tel pays. Ça modifie les esprits. C’est bien, comme ça peut aussi être néfaste. Ça ouvre l’esprit, mais ça peut être la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Il faut bien savoir identifier l’information que vous voyez.
Quand je ne suis pas blessée, je peux aller jusqu’à 10h d’entrainement par semaine. La semaine dernière j’ai fait mardi, mercredi, jeudi et dimanche, chaque fois deux heures. Ça fait 8 heures. J’aurais pu en faire plus. Cette semaine je me suis blessée, je ne pense pas que je vais aller au JJB mais je pense que vais aller à la salle de sport pour soulever un peu, pour travailler le haut du corps, renforcer. J’essaie de ne jamais m’arrêter parce que ce n’est pas bon. Quand j’étais jeune, j’arrêtais tout quand je me blessais. Ce n’est pas bon. Surtout que j’ai une compétition le 30 octobre. J’ai hâte. En plus, c’est en kimono. Je ne sais pas pourquoi j’appréhende beaucoup moins le kimono que le sans-kimono. (le JJB se pratique avec kimono : GI ou sans : NO GI).Je trouve que le kimono est une sécurité. Et j’ai rencontré une judokate qui m’a appris plein de trucs. Du coup, j’ai hâte de les mettre en pratique. En grappling (sans kimono),je trouve qu’on peut se blesser plus facilement, ça glisse tellement, ça va tellement vite. C’est plutôt de la lutte, et ce n’est pas quelque chose que je maitrise. Au début, j’étais plus à l’aise en grappling parce que j’avais des petites notions de lutte. Maintenant je suis plus à l’aise en kimono. Mais je fais les deux. Comme quoi tout change !
Je ne m’arrêterai pas. Même quand j’aurai ma ceinture noire. Je continuerai à découvrir de nouveaux arts martiaux. Quand j’étais petite je voulais tout pratiquer pour inventer mon propre art martial. Finalement, je respecte chaque discipline en elle-même. Je ne fais pas du MMA : je fais de la boxe et du JJB mais je ne mélange pas les deux.
Les prochaines étapes : capoeira et parkour éventuellement. Il faut juste trouver du temps. J’aimerais parfois qu’il y ait 48h dans une journée. Surtout que parfois on délaisse une pratique : en ce moment je ne fais plus de boxe pour préparer la compétition de JJB du 30 octobre. Je veux faire toutes les compétitions en JJB ; en boxe, j’en ferai une ou deux.
La différence entre les deux, c’est vraiment l’environnement. En ce moment je me sens tellement plus à l’aise au CDK qu’à mon club de boxe à Bobigny. Bobigny, je suis chez moi, je suis à l’aise. En JJB, j’ai tout à découvrir, c’est une nouvelle aventure. En boxe, je n’ai pas atteint un point d’excellence mais je me suis lassée.
Quand j’ai arrêté la boxe, ce qui m’a remis dans les arts martiaux, c’est le MMA. J’avais fait un mois de MMA à Paris, chez Fernand Lopez (Crossfight). Il m’a redonné le goût des sports de combat.
J’ai fait aussi un stage de boxe en Hollande, c’était royal. Je n’ai qu’une seule envie, c’est d’y retourner. Ça a révolutionné ma boxe. En arrivant là-bas, je me suis pris un K.O. par une novice, une personne qui était là pour le loisir alors que j’ai pratiqué en compétition ! Ils sont très bons. J’ai hâte d’y retourner. Je n’arrête pas d’essayer de me programmer dix jours pour y retourner. En Hollande, ils ont un état d’esprit très différent, ils sont cools. Dans la rue, les gens vous disent bonjour. Ils sont hyper-ouverts.
Le projet de ma vie, c’est de faire un camp en Thaïlande, un stage d’un mois. On envisage d’y aller avec Sarah. L’année dernière, quand elles sont parties avec Joan, elles ont fait un camp de boxe thaï. On partirait pour joindre l’utile à l’agréable : vacances et camp de boxe. Je ne sais pas si je resterai longtemps. Le truc, c’est que si vous restez moins de trois semaines, vous êtes un touriste. Si vous restez plus de trois semaines et que vous vous entrainez avec eux, ils vous considèrent comme un thaïlandais, vous boxez contre eux. Je verrai si je peux rester. Je ne sais pas. Ça dépendra du calendrier des compétitions, de mon état physique.
Il faut que je fasse attention, je me blesse très souvent en ce moment. Il faut que je prenne rendez-vous avec mon médecin pour comprendre pourquoi.
Mais oui, on a prévu un petit voyage en Thaïlande. On aimerait bien y aller avec toute l’équipe parce que l’année dernière tous les garçons du CDK sont partis en Thaïlande. Ils ont rencontré Sarah et Joan là-bas. Sarah essaie de voir si cette année on ne pourrait pas partir tous ensemble. Ce serait trop bien !
Là-bas, la boxe fait presque partie de leur religion. La plupart des Thaïlandais gagnent leur vie comme ça. Les enfants, filles et garçons, sont mis dedans tous petits. Il y a même des combats mixtes (homme contre femme). J’en ai vu un la dernière fois. Il faut savoir qu’en Thaïlande, il y a beaucoup de modifications chirurgicales : vous êtes une femme, vous pouvez devenir un homme et inversement. C’est pour ça qu’il n’y a pas de distinction homme-femme dans les combats. Les thaïlandais sont très beaux quand ils combattent. Ils sont beaux ! C’est très dur, c’est violent. On sent que si on se prend un coup on risque de se blesser. Mais c’est beau ! C’est très technique, très fluide, très précis. C’est trop beau, j’aime trop la boxe thaï. C’est la version martiale des sports de combat. C’est issu d’un art martial à la base. C’est une des boxes les plus complètes : vous avez tous les coups (pieds, poings, coudes, genous), les saisies et les balayages. Ce qui est interdit c’est d’aller au sol.
Ce que je pratique moi, c’est le kickboxing. Je n’ai pas pratiqué la boxe thaï dans un club de manière assidue. Tout ça c’est une question de temps. Je préfère la boxe thaï au kickboxing, que j’aime déjà beaucoup.
Il faudrait que je trouve un club et le temps pour faire de la boxe thaï.
Il y a aussi le fait que je suis un peu fidèle à Bobigny. Même si je vais beaucoup au CDK, je ne me vois pas pratiquer la boxe ailleurs qu’à Bobigny.
Mais mon grand-frère s’est inscrit dans un club à Pantin, donc je pense que je vais aller voir. C’est à Fort d’Aubervilliers.
Il y a aussi le Phénix-Club. C’est le club de référence. J’y ai été invitée à plusieurs reprises parce que celui qui dirige le club m’a formée pour les diplômes fédéraux. Et je connais une boxeuse qui boxait chez nous et boxe maintenant là-bas. Il y a aussi un boxeur de là-bas qui est venu chez nous. Il faut que j’y aille. C’est vraiment le club. C’est une usine à champions.
En Thaïlande, vous avez votre camp (votre club). Les boxeurs thaïlandais portent un Mongkon (serre-tête). Ce Mongkon appartient au camp. On le met au combattant pour qu’il aille représenter son camp.
En France, il y a des clubs qui naissent un peu partout, il y a beaucoup de disciples d’un tel qui ouvrent un club là ou là.
Comme autre loisir, il y a le shopping. C’est très important pour moi. La cuisine j’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps. Je n’ai vraiment pas le temps. J’aime aussi beaucoup regarder des films, aller au cinéma. Etre avec mes amis, partager des bons moments. Je suis beaucoup dans l’échange.