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Audrey Chenu – Girl Fight

C’est la société qui est violente, pas la boxe

 

.couverture girl fight

Audrey Chenu –Girl Fight Presse de la Cité 2013

Audrey Chenu pratique une boxe élégante et précise.

« C’est la société qui est violente, pas la boxe », telle fut la réponse qu’elle nous donna lorsque nous lui avons demandé, lors d’un interview pour notre spectacle Boxing Paradise, si, à son sens, la boxe était un sport violent.

Avant un entrainement, elle m’avait raconté avoir écrit un livre Girl Fight, et aussi pratiquer le slam. Lorsque j’ai regardé sur internet ses prestations sur scène, j’ai remarqué qu’elle dégageait sur scène un sentiment fragile de timidité et de réserve, allié à une grande force. Elle cultive avec soin ce paradoxe, et cette capacité à tenir cette ligne d’équilibre impose le respect.

https://www.youtube.com/watch?v=WhFlhGbRwlg

Ensuite j’ai lu son livre qui venait d’être réédité.

La lecture de Girl Fightest éloquente sur la violence de la société quand celle-ci s’acharne sur une personne par l’entremise de la justice, via son bras armé l’administration pénitentiaire.

Prison

Adolescente délaissée par ses parent dans un village de Basse-Normandie, fille d’un père qui se révèlera chroniquement dépressif, Audrey est en terminale quand elle monte un florissant commerce de haschich. Sa prospérité et son indépendance sera de courte durée : un an, avant d’être balancée, et de se retrouver en préventive à la maison d’arrêt de Versailles.

Là, sa vie bascule. Elle découvre l’enfermement, l’arbitraire, la méchanceté profonde de ce système face auquel elle ne peut opposer que sa jeunesse et sa pugnacité. Il n’existe pas de prison quatre étoiles en France, et les prisons pour femmes ne font pas exception à la règle, au contraire : si d’aucun nourrit encore des doutes à cet égard, qu’il lise Girl Fight, et sera édifié. Plus souvent qu’à son tour, Audrey se révolte, se retrouve punie, envoyée au mitard. Elle se maintiendra debout d’abord grâce à l’amitié de certaines de ses codétenues, ensuite par sa rencontre avec un universitaire venu donner des cours en milieu pénitentiaires, et enfin grâce à la boxe.

« Mets ton matelas contre le mur. Donne les coups de poings que tu veux donner dedans. » C’est le conseil que lui a donné une compagne de cellule. Audrey découvrit ainsi la boxe qui lui permit –tant que faire se peut – de trouver un exutoire à sa rage contre une administration pénitentiaire qui tentait de la briser aussi bien physiquement que psychologiquement.

On en apprend beaucoup dans ce livre sur l’acharnement de la justice qui même après la peine purgée continue de poursuivre les délinquants à coup de casiers judiciaires et d’amendes des douanes. La récidive est inscrite dans l’organisation de la justice, et Audrey fut renvoyé en prison, alors même qu’elle recommençait sa vie. Entre les sursis qui sautent, les condamnations administratives qui s’additionnent, on peut dire qu’elle est allée au bout de son calvaire judiciaire, et que son année de liberté et d’opulence, elle l’aura payé au prix fort à la société.

Pugnacité

Quand on se bat avec ses poings, c’est qu’on est désarmé, réduit à ses propres forces. Sa survie, on ne la doit qu’à ses propres ressources, celle qu’on extrait de l’intérieur de soi, en puisant son énergie, sa combativité, son refus de la soumission dans une source mystérieuse et qui pour certaines, comme Audrey, semble inépuisable. Pugnacité : la pratique de la bagarre à poings nus élevée au niveau d’un art, mais aussi d’une vertu.

Cette vertu de pugnacité est comme un puits, susceptible de se remplir alors même qu’on le croit épuisé. Cette capacité à se relever dénote aussi un attrait inextinguible pour la vie. Ce plaisir de vivre, de bouger, inspire le respect et procure beaucoup de joie à ceux qui soit le vivent, soit se plaisent à l’observer chez autrui, au travers de la danse ou de la boxe.

Emancipation

Audrey a fini par remporter une victoire finale sur la justice de son pays : elle parvint à la suite d’un long combat judiciaire à faire effacer ses condamnations de son casier judiciaire, et obtint ainsi le droit de devenir institutrice, métier qu’elle exerce aujourd’hui à Bondy.

Elle enseigne aussi la boxe éducative aux enfants de son école.

Je ne sais pas si Girl Fight est le récit d’une rédemption, ou d’une réinsertion sociale. Ce sont des termes qui, à mon sens, donnent un rôle un peu trop flatteur à la société qui par ses institutions ne se donne guère le soucis – autrement que formellement – d’amender et de réinsérer les condamnés. Je vois plutôt dans ce récit de vie, le récit d’une mutation, d’une éclosion, d’une émancipation, et aussi une déclaration d’amour et d’amitiés pour ses semblables rencontrées en prison, et pour tous ceux ou celles – professeurs, entraineurs de boxe, amies – qui l’ont aidé à s’inventer son propre destin.

Girl Fight est une leçon de vie, qui ne se borne donc heureusement pas à prévenir les prédélinquants des dangers de la prison. C’est aussi une histoire d’amour et d’amitié pour ses compagnes de prison, et pour les autres femmes qui croisent la vie d’Audrey. Et enfin, le récit d’une libération, d’une évasion, par les chemins de traverses de la boxe et de la poésie des voies toutes tracées de la délinquance et de la répression.

Tandis que j’écris la fin de cet article, je reconnais sortant de la radio une voix digne de celle d’Audrey, la voix de Chavela Vargas chantant « No velvere ».

https://www.youtube.com/watch?v=qOL6WRtOWPc&index=1&list=RDqOL6WRtOWPc

Une bande son pleine d’à-propos !

Clint Eastwood - Million Dollar Baby

Nous avons projeté le film aux jeunes qui suivent les cours de soutien scolaire au Boxing Beats.

Le deal c’était : « Comme c’est le ramadan et que c’est la canicule, on ne vous assomme pas avec vos devoirs scolaires. On regarde tranquillement un film ensemble. Mais en anglais, pour vous habituer à la langue… »

Voilà une initiative qu’elle était pédagogique !

Je me souvenais de Million Dollar Baby comme d’un grand mélo, et d’avoir pleuré à la fin déplorable de cette boxeuse devenant tétraplégique à la suite d’un combat douteux.

Cependant, je ne me souvenais pas que c’est l’ensemble du film qui trace un portrait mélancolique de la boxe.

« Le film de boxe est un sous-genre du film noir » annonce un article d’Aurélien Ferenczi au dos de la jaquette du DVD. Le noir dans le noir, une plongée dans le malheur, une accumulation de désastres sur une tête innocente, c’est le ressort majeur du mélo. Maggie, l’héroïne du film, tente longtemps de convaincre Frankie (Clint Eastwood) de devenir son coach. Le vieil entraîneur refuse longtemps. Il ne veut pas entraîner de femmes. Maggie a passé la trentaine, il faut quatre ans selon lui pour former un boxeur, sa carrière serait trop courte pour être intéressante. Par ailleurs, Frankie est dévoré par la culpabilité qu’il écluse à coup de confessions fleuves auprès de son prêtre catholique qui n‘en peut mais… Frankie est-il vraiment coupable de l’invalidité du vieux boxeur noir qui sert d’homme de ménage dans son Gym ? L’a-t-il suivi ou poussé jusqu’au match de trop, celui où le boxeur perdit l’usage d’un de ses yeux ? Que s’est-il passé avec la fille de Frankie pour que celle-ci refuse de répondre aux lettres que le vieil homme lui écrit, et qui lui reviennent invariablement sans avoir été ouvertes ?

L’homme est mauvais. La cause est entendue pour Frankie l’entraîneur comme pour Clint Eastwood le réalisateur. Les exemples abondent dans le film pour le prouver. Le jeune boxeur que Frankie a mis des années à former, l’abandonne à la veille de devenir champion du monde. Les boxeurs noirs expérimentés du club n’hésitent pas à massacrer à coup de poings les novices blancs.

La vie de Maggie est marquée par la misère de ses origines sociales. Elle travaille comme serveuse dans un restaurant qui prépare des tartes au citron avec des ingrédients en boîte marquée « home-made lemon pie ». L’argent qu’elle gagne dans ce boui-boui lui permet de payer son équipement et ses cours au gym.

A force de pugnacité, elle parvient à convaincre Frankie de l’entraîner. Quand elle commence à gagner des combats, ses gains lui permettent de réaliser son rêve : offrir une maison à sa mère. Mais celle-ci est une agressive obèse flanquée d’une fille idiote et d’un fils en taule, dont les premiers mots sont de reprocher à Maggie le cadeau de cette maison qui risque de lui faire perdre ses allocations.

Ce qui sauve Maggie, c’est son « fighting spirit ». Sa ténacité. Son abnégation. Son goût du combat. Elle est une combattante née, voilà qui ne souffre aucun doute. Le relief que prend cette vie, son exceptionnalité par rapport à toutes les vies de boxeur, réside dans le « e » de combattante. Maggie est une femme dont le combat ne se mène pas dans les obscures tranchées de la vie salariée ou domestique, mais sous les sunlights des rings.

Si j’abuse des anglicismes dans cette note, c’est que le film est empreint de cette culture irlandaise, noire, américaine de la boxe, et du goût du combat comme vertu cardinale. Tout ce qui reste à Maggie quand il ne lui reste plus rien, c’est le goût de se battre. Sa vie, comme sa carrière, comme ses combats, sera courte. Maggie a la spécialité de descendre des adversaires en moins d’un round. Le dernier combat de Maggie sera contre son entraîneur. Elle forcera Frankie à boire le calice jusqu’à la lie, et l’obligera à débrancher le respirateur qui la maintient en vie, et de lui injecter une dose massive et fatale d’adrénaline dans son cathéter.

Elle renvoie ainsi Frankie à son éternelle contradiction entre son désir d’amener ses boxeurs au plus haut niveau et celui de les protéger.

Comment conserver au combat sur le ring l’épithète paradoxale de « noble » art ? Le coup qui terrasse Maggie et occasionne sa fracture des cervicales, est porté alors qu’elle a baissé sa garde, après le gong, alors qu’elle tourne dos à son adversaire. C’est un coup ignoble. Mais Frankie n’a-t-il pas donné comme conseil à Maggie quelques minutes plus tôt de profiter de ce que son corps fasse écran à l’arbitre pour marteler le nerf sciatique de son adversaire, qui n’est évidemment pas une zone de frappe autorisée ?

« Ah, ça c’est une question sans fin… » Commente Francky, - le nôtre d’entraîneur- au Boxing Beats qui suit le film du coin de l’œil.

Seul le combat est beau, donc. La seule chose qui sauve l’homme c’est son esprit de combat, sa rage de vivre, et c’est aussi ce qui le tue. Il en est ainsi d’Achille comme de Maggie. C’est une immense qualité du cinéma américain, du film de boxe, et des films de Eastwood en général, de faire de gens très ordinaires des héros.

Mamadou, un jeune boxeur, suit la tragédie de Maggie, atterré. Il me murmure : « Elle ne va pas mourir ? Elle va guérir ? ». Évidemment, elle meurt, tuée par Frankie dans un ultime geste d’amour pour sa boxeuse. Car une vie sans combat ne vaut pas la peine d’être vécue.

Je ne sais pas si c’est très pédagogique comme morale, mais…

Danbé, de Aya Cissoko et Marie Desplechin

DanbéLa couverture du livre résume bien le paradoxe de ce livre, « Danbe » de Aya Cissoko et Marie Desplechin « grand prix de l’héroïne Madame Figaro » sur fond d’une photo prise depuis les hauts de Ménilmontant.

Quel héroïsme les lectrices du Figaro  saluent-elle? L’héroïsme d’une boxeuse portant les couleurs nationales au plus haut niveau ? L’héroïsme d’une intégration sociale réussie ? L’héroïsme de la mère d’Aya Cissoko qui leur a transmis cette vertu, appelée « Danbé » au Mali ?

Danbé est un mot qui signifie en gros « dignité » au Mali, d’où venait Massire, la mère d’Aya Cissoko. Les hauts de Ménilmontant dont une photo illustre la couverture, c’est là qu’Aya Cissoko a passé son enfance, gamine des rues, vêtue d’un improbable collant surmonté d’un bonnet. Elle vivait alors au 140 rue de Ménilmontant, ancienne cité idéale déchue, forteresse de misère, de précarité, d’autodestruction, mais aussi d’auto surveillance d’un lumpenprolétariat exilé là avec l’assentiment et le suffrage des lectrices du Figaro, trop contentes de savoir confinées loin d’eux les classes dangereuses dans leur jeune âge, dans des quartiers où elles auront le lot de violence, d’humiliation, d’injustice nécessaire à forger un caractère de champion.

Le livre parle peu de boxe. Aya Cissoko le dit, elle ne croit guère à l’ascenseur social que constituerait le sport. Sa carrière a été rapidement interrompue par une vertèbre brisée lors de son dernier combat : celui-là même qui lui valu son titre de championne du monde. Elle constata la reconnaissance de la Nation en constatant le peu de cas que fit d’abord la Fédération Française de Boxe, l’abandonnant seule dans un taxi avec une minerve pour tout viatique lors de son retour en France. Cette dernière pièce dans ses rapports douloureux à son pays d’accueil ne l’étonna guère, car si son livre parle peu de la boxe, il livre un témoignage aigu, terrible, révoltant sur le quotidien d’une famille ordinaire d’immigrés maliens en France dans les années 90. Aya Cissoko a un talent pugilistique certain, mais aussi un don d’observation et de conteuse non moins affirmé. Son livre décortique les mécanismes de marginalisation, de précarisation, d’invisibilisation, de destruction des populations immigrées mis en place depuis des années par l’ensemble des gouvernements français. Gouvernements, qui ne furent au reste pas tous élus par les lectrices du Figaro.

On découvre ainsi comment son père, à la suite de l’arrêt de l’immigration économique décidé sous Giscard dans les années 70, se retrouva comme des milliers d’autres maliens coincé en France, astreint à demeurer dans ce pays, de crainte de ne pouvoir s’il quittait de territoire national de ne plus jamais pouvoir y retourner. Et voilà comment une population nomade, vivant d’aller et retour entre la France et le Mali, se retrouva astreinte à demeurer en France, à y faire venir leurs familles qui n’en demandaient pas tant, par une décision politique absurde qui produisit l’effet exactement inverse de ses objectifs.

Mais la société française ne fut pas en reste sur ses gouvernements dans son art de souhaiter la malvenue à la famille d’Aya Cissoko. C’est dans un incendie volontaire de l’immeuble qui les abritait ainsi que d’autres familles africaines que moururent son père et son frère. Aya Cissoko nous rappelle alors qu’entre les années 90 et 2000, c’est quinze immeubles qui furent incendiés dans les mêmes conditions, et pour la seule année 2005, quarante neuf africains qui périrent dans ces pogroms jamais revendiqués, et dont les incendiaires ne furent jamais arrêtés. Le fond de l’indignité est atteint quand on lit dans son livre que la mère d’Aya dut batailler plus de dix ans pour faire reconnaître ses droits à une indemnisation due aux victimes d’attentats.

Aya Cissoko dresse un beau portrait de Massiré, cette mère qui lui transmit donc cette exigence de « danbé », de dignité face à l’adversité. Il faut dire que la société patriarcale malienne ne fut pas en reste dans son acharnement contre Massiré lorsque celle-ci décida de rester de rester en France après la mort tragique de son mari, et sourde aux injonctions familiales refusa de retourner au Mali. Elle voulait que ses enfants connaissent l’éducation qui lui avait été refusée à elle.

Dignité, donc, un mot abstrait mais qu’Aya Cissoko rend concret à chaque page, dans un récit de vie où ses phrases rassemblées par marie Desplechin (dont on peut lire ici un bel entretien sur l'expérience de l'écriture de ce livre) nous font percuter – comme on dit – ce qu’est la réalité de la vie d’une sorte de Gavroche féminin du 140 rue de Ménilmontant.

Dignité, c’est le troisième terme de la devise des révolutions arabes, reprise depuis lors par tous les migrants manifestant dans les rues de Paris ou de Calais : Liberté, Démocratie, Dignité.

La dignité, Massiré et sa fille n’en sont pas dépourvues. Elles l’ont démontré seules, dans leur vie et sur les rings. Pour ce qui est de la Liberté et de la Démocratie, c’est dans rue et avec d’autres qu’elle se conquerra pour tous.

 

(Il semble que Marie Desplechin aime vraiment la Boxe et les boxeurs. On peut l'écouter en ce moment sur France Culture interviewer le champion Jean-Marc Mormeck.)

 

Découvrez la captation video de Boxing Paradise

Créé en octobre 2018, à la MC93 de Bobigny, un spectacle au bord du ring et de la vie.

captation video de Boxing Paradise de Stéphane Olry, avec Corine Miret et Hervé Falloux !

Une video de Pierre Linguanotto

Frapper l’autre à la face

Je raconte que je fais de la boxe. Mes amis sont intéressés. Curieux.

-«  Ça fait quoi de recevoir un coup ? »

- « Ça fait mal. »

- « Et ça te fait quoi de donner des coups ? »

Sans attendre ma réponse :

« … moi je pourrais jamais taper sur le visage de quelqu’un. Viser son nez ou son menton ou sa tempe. Là où c’est le plus fragile. Risquer de lui briser le nez, ou une dent. Viser les zones fragiles, vulnérables d’autrui, c’est violent. Moi, je pourrais pas ».

Je leur fais remarquer que sans expérience de la chose, peut-être leur conclusion est-elle prématurée. Peut-être trouveraient-ils au contraire un plaisir inconnu d’eux. Je leur suggère de venir assister à un entraînement. De mettre les gants. Pour voir.

  • « Oh, non, je le sais, jamais je ne pourrais frapper quelqu’un au visage. »

Moi, c’est souvent que j’ai envie de frapper quelqu’un au visage. Je marche dans la rue. Je croise un homme. Souvent un type de mon âge. Avec des lunettes de corne noire, une barbiche bien taillée, l’air content de lui, quinquagénaire, sans doute artiste. J’imagine l’uppercut que je pourrais lui coller au menton. Ou le direct dans le nez. Oui, c’est souvent que j’ai ce genre de pensées dans ma tête.

Suis-je le seul possédé par tant de mauvaises pensées ? Pourquoi les gens se sautent-ils si rarement à la gorge ? Les chiens qui s’aboient dessus sitôt l’approche d’un de leurs congénères me semblent plus francs à cet égard.

Hier, j’ai boxé contre Khan. Il est réfugié, afghan, et ne parle que pachtoun et anglais.   Il ne porte ni casque, ni protège-dent. Il a une garde très basse. Je ne parviens pas bien à évaluer son niveau. Je le touche plusieurs fois avec facilité. Mon poing s’écrase sur son nez, sur ses lèvres. Mais il n’a pas peur d’encaisser. Au contraire, il m’incite à ne pas craindre de poursuivre. N’empêche que je manque d’enthousiasme à le contenter. Je sais que son visage est fragile, que s’il se mord la langue, le dommage ne sera pas facilement réparable. J’évite de le frapper au visage, je préfère viser le front, les tempes, le ventre. Son visage me semble, d’une certaine façon, sacré.

Manel, quand nous l’interviewons nous confesse que c’est ce qui lui fait le plus peur dans la boxe. Elle déteste être frappée au visage. Ça la fait sortir d’elle-même. Elle entre alors dans des rages inextinguibles. Elle se dit bagarreuse. Dans la rue, elle va vite à l’affrontement. Mais dans ces cas-là, dit-elle, elle tape la première, vite et fort, pour ne pas prendre le risque de recevoir de coups au visage.

Il y a quelques années de ça, un dermatologue m’a opéré d’une sorte de grain de beauté pré-cancéreux au visage. Il m’a insensibilisé, et puis j’ai vu le bistouri s’approcher de ma joue. J’étais furieux. Immobile, impuissant, subissant une violence à laquelle en plus j’acquiesçais. J’étais bien obligé d’acquiescer. Il m’a pansé le visage, ensuite j’ai payé l’opération à sa secrétaire. Mais quand j’ai serré la main au dermatologue, j’aurai aussi bien pu le tuer sur place.

Interview de Miriame (boxeuse, pratique le grappling et le jiu-jitsu, entraineure)

Interview de Miriame, le 3 octobre 2016 au magasin Gordo Nutrition à Pavillons-sous-Bois

Miriame pratique les arts martiaux depuis l’âge de onze ans. Je l’ai rencontrée au club Esprit Libre à Blanc-Mesnil où elle enseigne différents types de boxes pieds-poings : boxe française, kickboxing, full contact, muay-thaï, et pratique le jiu-jitsu brésilien au CDK à Sevran. Elle est nutritionniste. Je l’ai interviewée sur son lieu de travail au magasin Gordo Nutrition. Cette saison 2017-2018 elle ajoute l’enseignement du grappling à son emploi du temps, toujours à Esprit Libre.

Quand j’étais très jeune, j’avais huit ans, j’ai essayé le judo. Je n’avais pas du tout accroché. Je me souviens que j’étais entrée dans un dojo, il y avait des tatamis, c’était très beau, très grand, très espacé, mais je n’ai vraiment absolument pas accroché, je ne me sentais pas à l’aise dans l’environnement, je ne sais pas si c’est dû au professeur ou aux élèves ; c’était à Paris 20è, dans le cadre de l’école, on avait une activité extra-scolaire qu’on pouvait choisir et j’avais choisi judo à l’époque.

J’ai vraiment entamé les arts martiaux à l’âge de onze ans, quand je suis entrée dans une salle de karaté. C’était à la MJC de Gambetta. On pratiquait le karaté dans une salle de danse. C’était très lumineux, très chaleureux, j’en ai d’excellents souvenirs. Je suis restée trois ans dans cette salle avant de déménager sur Bobigny.

J’ai baigné très tôt dans les arts martiaux. Depuis que je suis toute petite, j’ai un amour pour ça. Je pense que c’est le fait d’avoir vu Jacky Chan, qui est très agile ; ce qu’il fait est très chorégraphié, très beau, très esthétique, ça m’a beaucoup plu. Mon grand-frère et mon père m’ont aussi fortement influencée. Je partageais ces activités avec eux. Mon père a fait de la boxe thaï pendant longtemps. Il a arrêté quand mon petit frère est né, j’avais quatre ans, donc je ne m’en souviens pas. Mon grand frère a toujours été très à fond dedans, surtout à travers les films et les jeux vidéos, qui m’ont beaucoup marquée. Dans les jeux vidéos, vous commencez déjà à pratiquer, quelque part vous êtes impliqué dans l’action du personnage. Ça me paraissait naturel, c’était sûr qu’un jour ou l’autre, je ferai des arts martiaux. Je regardais les films avec mon père et mon frère. Dans la famille, on était très portés sur les films. Mes parents ont fait leur jeunesse dans les années 80 et c’est quelque chose qui a explosé à cette époque-là, avec Bruce Lee, Jacky Chan, et aussi beaucoup dans les années 90. Je suis née en 1991.

Ma mère, ce n’était pas du tout son monde, mais elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour le karaté, parce qu’il y a les katas qui sont des formes chorégraphiées. Ma mère est une ancienne danseuse donc ça lui a parlé énormément.

Quand j’ai commencé à faire de la boxe, elle n’a pas du tout apprécié ! C’était une angoisse pour elle.

Quand j’ai déménagé à Bobigny, j’avais treize ans. J’ai arrêté pendant longtemps, parce que je ne trouvais pas de club proche de chez moi. Je n’ai rien fait jusqu’à l’âge de mes dix-sept ans.

A dix-sept ans, j’ai fait un an de taekwondo, c’était vraiment bien mais je n’avais pas un très bon rapport avec le coach. J’étais la seule fille et j’étais un peu délaissée, donc ça m’a un peu refroidie. C’était le premier sport vraiment dur. Au karaté, je faisais beaucoup de katas mais comme j’étais jeune (onze ans) les professeurs y allaient doucement. Au taekwondo, c’était vraiment dur, physiquement, mentalement (parce qu’il fallait qu’on s’investisse). J’ai énormément apprécié et beaucoup progressé aussi dans mes capacités. Au taekwondo, il y a des katas, mais c’est surtout axé sur les combats. J’ai commencé vraiment à combattre et à sentir les coups. Parce que au karaté, vous n’avez pas le droit de toucher. C’était appréciable parce que ça correspondait beaucoup plus à ce que je cherchais.

J’y suis allée crescendo puisque à dix-huit ans, j’ai fait de la boxe. C’était beaucoup plus dur physiquement. Je n’étais pas très investie parce que j’avais mes études à côté : je venais six mois et l’autre moitié de l’année j’avais les examens.

Après mes études d’économie, j’ai pris une année sabbatique et j’ai commencé à vraiment m’investir dans la boxe. Je me suis investie entièrement, j’ai fait des compétitions. C’était top.

J’ai commencé par le kickboxing, un mélange pieds-poings. Avec mon background de karaté et de taekwondo, j’avais de très bonnes jambes. Le kickboxing est un peu né de ça : on a pris le karaté et on a rajouté de la boxe anglaise.

Ça fait partie de moi, c’est en moi depuis que je suis toute petite, c’est un truc que je n’arrêterai jamais, quoiqu’il advienne, je ne pourrai pas m’arrêter. C’est comme si on m’avait génétiquement programmé pour faire ça. C’est impressionnant. Depuis que je suis toute petite, je me rappelle avoir toujours désiré faire des sports de combat.

J’ai fait un peu de basket, mais j’étais jeune à l’époque et j’avais un peu de mal avec l’esprit collectif. Aujourd’hui je suis beaucoup plus sportive et je suis apte à tout faire. Je ne suis pas limitée aux sports de combat. J’aime tout. Vraiment tout. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, je n’étais que sports de combat. Je n’étais pas sportive à la base, il n’y a que dans le cadre des sports de combat que vous pouviez me faire faire du sport. J’avais de l’embonpoint, vraiment pas sportive du tout ! Aujourd’hui je suis sportive.

Être sportive, ça veut dire prendre du plaisir à faire un effort physique même si on souffre. Un effort physique qui ne correspond pas à des gestes du quotidien. Qui sort des gestes du quotidien. C’est apprécier ou plutôt tolérer la douleur. Parce que c’est douloureux le sport, on ne va pas se mentir.

Ça me donne des sensations : ça me fait carrément pousser des ailes, ça me fait prendre conscience de mon corps, c’est hyper important tout l’aspect schéma corporel, ressentir chaque partie de son corps, sentir qu’il nous appartient, qu’on le mobilise, qu’on sait l’utiliser, qu’on sait bouger dans l’espace, qu’on est capable de faire certaines choses. Quand vous savez par exemple que vous êtes capable de soulever trente kilos, quarante kilos et qu’au fur et à mesure vous progressez, c’est hyper gratifiant. On développe des capacités. Quand je m’améliore, que j’arrive à développer ou à acquérir une technique, j’ai l’impression de développer mon corps. Presque comme si vous sortiez de votre corps.

Si je devais développer une image, c’est comme un papillon. A chaque fois, je suis une chenille, je forme une chrysalide, j’éclos en papillon, puis je recommence. C’est un cycle qui se répète continuellement et je deviens un papillon de plus en plus gros ou qui change de couleur… C’est vraiment comme ça que je le vois.

C’est pour ça que j’aime bien varier les arts martiaux, que je ne me cantonne pas à la boxe ou au JJB (Jiu-Jitsu Brésilien), j’aime tous les arts martiaux, tous.

J’ai plein d’images : ça vibre, ça me rend vivante, ça m’excite. Je me sens totalement différente. Quand je suis dans ma pratique, je suis vraiment isolée, je suis en connexion avec moi-même. C’est comme une suspension dans le temps.

Je fais du JJB et de la boxe. Je rêverais de faire de la capoeira. Le temps me manque mais je vais essayer de m’organiser. Et aussi du parkour. C’est considéré comme un art martial même s’il n’y a pas de combat. C’est l’art de se déplacer dans l’espace. J’aimerais énormément en faire. Pour la sensation de liberté, la sensation de voler, d’être léger, de sortir de son corps en fait, d’être hors de son corps.

C’est toujours l’idée du challenge, de se confronter à un danger et de le surpasser ; dans le parkour, le danger c’est le monde qui nous entoure, c’est périlleux comme pratique. Dans les sports de combat, c’est la même chose : il y a le risque de se prendre un coup, le risque de se prendre une clé. C’est réussir à appréhender un danger et à le maîtriser.

Dans un combat, le danger vient de l’autre, un être humain qui est comme vous, vous savez l’appréhender parce que il peut avoir les mêmes failles ; il y a des choses qui ne trompent pas, des mouvements, des paroles, des gestuelles qui vous informent sur la personne que vous avez en face de vous. Dehors, il y a plein de variables : il faut arriver à jauger la distance entre vous et l’obstacle, le vent peut vous gêner, le froid, la chaleur. C’est vous contre l’environnement. Il faut vraiment pratiquer pour réussir à appréhender. J’ai fait une séance de parkour cet été. C’est comme tout, il faut pratiquer pour réussir, mais là, vous faites un truc, vous tombez, et vous êtes tombé tout seul, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire : personne ne vous a infligé la chose. C’est ce qui est impressionnant. C’est vous contre vous-même. De toutes façons c’est toujours ça.

Que ce soit contre quelqu’un ou tout seul, de toute façon, c’est vous contre vous-même. Vous contre votre ego. Vous contre vos peurs.

La capoeira …J’ai oublié de vous dire, j’ai fait de la danse aussi, j’ai fait trois ans de danse. Dans ma famille, c’est des danseurs aussi. J’ai fait du hip-hop. Mon grand frère était danseur professionnel de hip-hop, ma mère était danseuse, danse orientale et danse classique. Elle n’en a pas fait beaucoup. C’était quand elle était en Algérie. Ma grand-mère était chanteuse dans les mariages, ma tante jouait des instruments et ma mère dansait. Mon grand-frère a été très très longtemps danseur hip-hop. Il a essayé de percer mais il n’a jamais réussi. Le petit frère est dedans aussi. Moi j’ai fait ça pendant trois ans par pur plaisir, parce que j’aime trop ça : danser, sortir de son corps. C’est toujours la même chose en fait, c’est toujours ça.

On a tous ce besoin d’investir son corps, de l’habiter quoi.

Il y a tellement d’autres manières d’habiter son corps, ça peut être la méditation, rien que le fait de manger c’est une manière d’habiter son corps, de prendre un bain, de prendre soin. Il y a une distinction esprit-corps et habiter son corps c’est quand on laisse l’esprit parcourir. C’est un réceptacle, on a des sensations. Il y a plein de manières d’habiter son corps, c’est à nous de les découvrir.

La compétition, c’est quelque chose de plus compliqué. J’ai toujours aimé la compétition quand j’étais jeune, j’en ai toujours fait, je n’ai jamais appréhendé, je faisais de bons résultats.

Quand on est enfant, on ne réalise pas les enjeux. Quand on est jeune, il n’y a pas d’enjeu. Je n’étais pas adulte donc je ne me posais pas de questions. J’ai commencé à me poser des questions existentielles à l’âge de vingt ans. On commence à avoir des doutes quand on rentre dans l’âge adulte. Quand on est enfant, on n’a aucun doute, on est sûr de soi. C’est pour ça que quand on perd, c’est beaucoup plus dur à avaler parce que c’est de la déception. Les enfants sont vraiment déçus quand ils perdent parce qu’ils ne s’y attendent pas. Ils sont persuadés qu’ils vont gagner, ou qu’ils vont juste jouer et finalement ça se passe mal, ils se sentent humiliés. C’est toujours de la surprise quand on est enfant. Quand on est enfant, on réalise après coup, alors que quand on est adulte, on anticipe vachement ces choses-là et du coup on s’inhibe. En tout cas, c’est la manière dont je le vis. Quand j’étais petite, c’était mon âme d’enfant, et mon âme d’enfant était faite pour les arts martiaux. Rien ne comptait plus pour moi à l’époque. Quand je suis entrée dans l’âge adulte, d’autres choses sont rentrées en ligne de compte : la scolarité, la responsabilité. Ça a un peu parasité mon âme d’enfant.

Quand je gagnais un combat, pour moi c’était naturel. C’était normal de gagner. Quand je perdais, j’étais déçue, j’avais un peu la boule à la gorge mais je me disais : la prochaine fois, je gagnerai. Pour moi, il n’y avait pas d’autre issue possible que de gagner, mais je ne me donnais pas les moyens de gagner. C’était un peu prétentieux de ma part.

Depuis mes dix-huit ans, j’ai une appréhension terrible, ça me bloque dans mes capacités. Sauf quand j’ai fait ma compétition en boxe, où tout s’est déroulé comme sur des roulettes. Mais là par exemple, en JJB –mais je pense que c’est parce que je manque de technique- je me sens bloquée.

Je pense aussi que c’est parce que je me mets une pression vis à vis du club, de ceux que je représente. Cette année j’essaie de mettre de la distance vis à vis de cette pression. Aujourd’hui, je suis dans l’état d’esprit de le faire vraiment pour le plaisir, que je fasse de la compétition ou pas. Si je fais de la compétition, c’est pour éprouver mes capacités, pour me challenger. Si je perds : tant pis ; si je gagne : tant mieux. L’année dernière, il y avait vraiment la pression du club (le CDK). Je me débrouillais plutôt pas mal, j’étais la seule fille, du coup, ça mettait une pression. Mais je me la suis mise toute seule ! Eux ils étaient juste là, à m’aider. Je suis très comme ça : je me mets beaucoup la pression toute seule vis à vis des autres. Et la pression, ça me bloque, ça ne m’aide pas du tout. Ce qui va m’aider, ce n’est pas la pression, c’est le plaisir : le fait que ça se déroule bien, que je me sente bien dans ma peau, comme si ce que j’allais faire  -rentrer sur le tatami et combattre contre quelqu’un- était quelque chose de naturel. Là, je sais que je peux performer. Mais si je suis stressée, ça m’inhibe, j’ai l’impression que je n’ai plus le contrôle de moi-même, je me trompe complètement sur l’état d’esprit dans lequel je suis. Je l’ai vécu cette année sur les dernières compétitions : le fait d’avoir la pression m’a bloqué dans mes capacités. J’étais beaucoup plus agressive. Plutôt que de faire quelque chose de joli, d’essayer d’être technique, j’étais trop agressive. L’agressivité, ça aide, ça fait la différence, mais quand c’est bien dosé. Pour moi, l’agressivité se rapproche plus de la bagarre que d’un art martial.

Maintenant, quand je gagne, je suis contente parce que c’est la concrétisation du travail. On se dit : « Ce que je fais, ce que j’ai travaillé, ça marche. » Quand on perd, on est toujours dégoûtée, parce que personne n’aime perdre. Mais c’est bien, parce que c’est une nouvelle porte pour progresser. Si on gagnait tout le temps, ça voudrait dire qu’on est au top et qu’on a plus à progresser, et on se repose facilement sur nos lauriers. Quand on perd, on est obligé de retravailler derrière et on travaille tellement plus, on progresse vraiment, de manière super spectaculaire. Mais c’est toujours dur de perdre. Surtout quand vous faites partie d’une équipe. L’esprit d’équipe, je l’ai senti à CDK. C’est impressionnant, c’est horrible presque. Parce qu’ils sont toujours là, à toutes les compètes, ils vous regardent, ils vous soutiennent, et moi ça me met une pression ! Parce que j’ai trop envie de leur plaire, parce qu’ils m’ont tellement bien accueillie, ils m’ont tellement portée. C’est vraiment une famille pour moi. Ça ne fait qu’un an que j’y suis ! Ça m’a choquée ! Parce que dans mon club à Bobigny, l’esprit familial s’est délité. Il y avait cet esprit familial au début mais il s’est délité et ça m’a un peu déçue. En fait, ces trois dernières années, ce n’était plus du tout intéressant de boxer parce qu’il n’y avait plus cette cohésion, ce groupe qui progresse ensemble, les coaches qui font attention à nous. Là, je l’ai retrouvé au CDK et c’est juste génial. Hier encore on y était, les garçons s’occupent super bien de nous. Ils n’y gagnent rien. Ils font ça de manière totalement désintéressée. La seule chose qu’ils veulent, c’est nous voir gagner, pour eux, pour l’équipe. C’est comme des grands frères : on a envie de plaire à ses grands frères, de plaire à ses parents.

Je suis quelqu’un comme ça : j’ai beaucoup plus de mal à faire les choses pour moi-même que pour les autres. Ce n’est pas forcément quelque chose de bien parce qu’on prend les choses trop à cœur quand ça ne fonctionne pas. On est déçu nous-même et on anticipe la déception des autres alors qu’ils ne le sont pas forcément.

L’esprit de famille d’un club c’est important, je suis beaucoup plus motivée pour aller m’entrainer en club. Au CDK, on est encadrés, on sait que si on fait une erreur quelqu’un sera là pour nous corriger, je préfère vraiment m’entrainer en club plutôt que toute seule.

Je m’entraine rarement toute seule, je le fais dans le cadre des compétitions, mais rarement. En JJB il y a des techniques pour s’entrainer seul, mais je n’ai pas la place chez moi pour m’entrainer seule ! Franchement, c’est plus agréable d’aller en club : on voit les gens, on rigole. Je préfère !

Mon rêve, ça a toujours été de pouvoir pratiquer, c’est tout. Je n’ai pas la prétention d’être la meilleure, je ne l’ai plus. Cette année, je ne l’ai vraiment plus. Cette année je veux juste pouvoir pratiquer. Quand j’étais plus jeune, je n’aimais pas trop qu’on puisse être meilleure que moi. Alors qu’aujourd’hui non. Par exemple, Sarah qui arrive au CDK, je l’encadre énormément, et ça ne me pose aucun problème qu’elle progresse, au contraire j’aimerais bien qu’elle puisse progresser plus. Je suis dans un état d’esprit totalement différent de celui dans lequel j’étais quand j’étais jeune.

Mon rêve, c’est vraiment de pouvoir pratiquer. Toute ma vie. Jusqu’à ma mort. Et pouvoir enseigner aussi. Réussir à transmettre. Je donne des cours de boxe. Transmettre, c’est quelque chose d’hyper-gratifiant.

Je veux transmettre un état d’esprit, la confiance en soi. C’est quelque chose que j’ai acquis. Les arts martiaux m’ont un peu stabilisée, même énormément stabilisée. Ça m’a donné de la valeur, j’ai trouvé beaucoup de valeurs en pratiquant les arts martiaux : la confiance en soi, la discipline. La discipline surtout, c’est quelque chose qui se perd tellement de nos jours. Le respect des autres. Le contrôle de l’égo. Ça c’est un truc que les arts martiaux vous apprennent tous les jours.

Je peux pratiquer sans envisager de faire des compétitions. Ça fait vraiment partie de moi. Je suis chez moi et d’un coup je me mets à faire du shadow.

C’est surtout par rapport à la gestion de la pression que j’aime faire de la compétition. Je n’aime pas rester sur quelque chose qui me dérange. Le jour où je réussirai à affronter cette appréhension de la compétition, je passerais peut-être à quelque chose d’autre, mais je ne fais pas des arts martiaux pour faire de la compétition. Je fais des arts martiaux pour les arts martiaux en eux-mêmes. Parce qu’en plus je veux pratiquer tous les arts martiaux et je n’ai pas le temps de faire des compétitions dans tous les arts martiaux !

J’enseigne depuis trois ans. Je débute ma troisième année d’enseignement de boxe. J’ai beaucoup de mal avec les enfants, je l’ai fait pendant un an, je n’y arrive pas. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je n’arrive pas à les gronder. J’espère que plus tard j’y arriverai ! J’aime beaucoup les enfants. J’étais vraiment jeune dans l’enseignement quand je l’ai fait et c’est un public à part, et enseigner un sport de combat c’est dangereux, des coups sont échangés, ils peuvent se blesser. Je n’assumerai pas de dire à un parent : votre fils s’est blessé pendant mon cours. C’est un truc trop difficile pour moi, du coup je préfère enseigner aux adultes. Quels qu’ils soient, hommes ou femmes. C’est juste que ça ne s’est pas présenté à moi d’enseigner à des hommes. J’aime beaucoup enseigner aux compétiteurs. Par exemple, Noémie, j’ai commencé à la suivre l’année dernière et ça m’a fait tout bizarre parce que c’est vraiment quelque chose d’emmener quelqu’un à la compétition. Tout ce par quoi vous êtes passé auparavant, vous l’appliquez à cette personne. Toutes les angoisses que vous avez connues, elle les connaît. Comme vous êtes passé par là, vous arrivez à trouver les mots pour l’aider à surpasser tout ça, et c’est excellent ! Je comprends mieux pourquoi les coaches se donnent autant. Je ne comprenais pas pourquoi les gens étaient si gentils, à s’impliquer autant dans ma préparation, mais maintenant, je comprends totalement.

Emmener quelqu’un en compétition, surtout s’il réussit, c’est encore mieux ! S’il ne réussit pas, ce n’est pas grave. Je sais que la personne sera déçue, mais il y a le fait qu’elle y soit allée, qu’elle se soit préparée. C’est toute la préparation avant qu’elle a réussit à assumer. C’est excellent. Et on est très inspiré. Noémie, elle m’a beaucoup inspirée. Je lui dit toujours : tu m’as énormément inspirée. Dans le sens où je l’ai vue vraiment, je n’ai jamais lâchée l’affaire. Je ne sais pas si mes coaches m’ont vue comme ça mais c’est impressionnant. Vous dites à une personne de faire un truc terriblement dur, elle souffre, pour autant elle va continuer. C’est impressionnant quand vous voyez des gens qui sortent de leur zone de confort et qui essaient de se surpasser. Ça vous inspire, forcément. Ça vous donne envie de faire comme eux. De vous dire : Aujourd’hui je suis à tel stade de ma vie, et bien je vais me défoncer pour en atteindre un autre, continuer à avancer, ne pas me laisser régresser. Parce qu’on est tout le temps en mouvement, on n’est jamais stable, soit on revient à un stade plus bas, soit on augmente, on est tout le temps en mouvement, donc forcément dans un sens ou dans l’autre.

La zone de confort, c’est la zone tolérable, c’est l’effort ou la situation qu’on tolère.

Sortir de la zone de confort c’est rentrer dans une zone qui devient compliquée, on commence à sentir que c’est dur, on commence à souffrir. Que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans le sport. C’est là où il va falloir travailler. Quand vous êtes dans votre zone de confort, vous ne travaillez pas, vous vous contentez d’un acquis, vous restez sur cet acquis. Quand vous sortez de la zone de confort, il va falloir faire un effort supplémentaire, travailler quelque chose de différent. C’est assez déstabilisant de sortir de sa zone de confort. C’est pour ça que c’est très important d’être accompagné.

On peut le faire tout seul, mais c’est dur. C’est dur de sortir de sa zone de confort. Dans tous les domaines de la vie. Mais une fois que vous réussissez à en sortir…

C’est prendre des risques, mais il ne faut pas prendre n’importe quel risque, c’est pour ça que c’est important d’être accompagné. Parce qu’on peut prendre des risques qui vont être très préjudiciables, notamment dans la boxe, pour sortir de sa zone de confort : faire un effort beaucoup trop intense, se blesser. Au risque de ne plus pouvoir pratiquer.

Je vois Noémie demain après-midi, elle s’entraine au Blanc-Mesnil, mais je l’entraine à l’extérieur parce que ce n’est pas suffisant, elle a une compétition dans deux semaines.

Demain, je vais la faire sortir de sa zone de confort !

Pour entrainer j’ai fait la formation BMF1, BMF2, BMF3 (Brevet de Moniteur Fédéral). Et là, on s’est inscrite au BPJEPS (diplôme d’état)avec Farah. Parce que sans le BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education et du Sport),vous ne pouvez pas être rémunéré. On nous paye en défraiements d’essence. Avec le BPJEPS, vous pouvez être rémunéré et vous pouvez travailler à l’étranger. Et on apprend beaucoup plus de choses. C’est pour toutes les activités pugilistiques : on pourra enseigner la boxe thaï, le kickboxing, le full-contact, le pancrace.

La boxe, c’est violent. On prend des coups. On ne peut pas se mentir. Il y a des bleus, il y a des blessures. Même en JJB. Hier je me suis fait mal au genou, là j’ai terriblement mal. C’est violent. C’est une violence qu’on accepte. Je ne saurais pas vous dire pourquoi. C’est quelque chose qu’on ne reconnaît pas comme nuisible. Il y a quelque chose de bon dans cette violence. C’est bizarre. Ce n’est pas masochiste, mais ça l’est un peu quand même. Nous les sportifs, on est masochistes. Il y a quelque chose qui va ressortir de cette violence.

La vraie violence, pour moi, c’est quand une personne cherche à vous nuire ou quand vous cherchez vous-même à vous nuire. Vous pouvez pratiquez un sport juste pour vous manger des gnons parce que vous voulez vous punir de quelque chose. Il y a beaucoup de sportifs qui sont dans ce cas-là. J’ai fait de la psychologie du sport dans ma pratique. On a vu des témoignages de sportifs qui sont presque dans l’automutilation dans leur pratique. Parce qu’ils ont des failles psychologiques qui leur appartiennent.

Pour moi la violence, c’est nuire. D’une manière ou d’une autre. Un désir de nuisance. Se nuire ou nuire à l’autre.

L’autre jour à la compétition, on regardait les combats. Pour moi, ce n’était pas beau. C’était moche ! Il y a deux styles en combat : le « light », où il ne faut pas mettre de force ; si vous portez un coup trop fort vous risquez d’être disqualifié. C’est très beau.

Et le « plein contact », où le but est de mettre KO.

Dans le « plein contact » j’arrive à distinguer les gens qui font ça juste pour la bagarre, juste pour nuire, et qui vont faire mal ; et ceux qui font ça pour le sport, même s’il y a un désir de mettre KO derrière. On sent alors que les deux adversaires ne sont pas là juste pour se mettre KO, c’est vraiment le cadre du sport. C’est comme des gladiateurs. C’est quelque chose d’être capable de mettre KO ou d’éviter que la personne me mette KO en la mettant KO en premier. C’est l’état d’esprit du départ qui est important.

En général, les combats « plein contact » classés, ce sont des petits jeunes qui viennent de rentrer dans la boxe, qui veulent juste se bagarrer et gagner des médailles. Alors que les combats de boxe pros, c’est très propre. Les coups sont portés bien sûr. Les combattants se sont mis en condition pour encaisser les coups. Mais c’est très propre, c’est très technique, très recherché.

Il y a aussi des gens qui ne sont pas capables de faire autre chose. Par exemple, cette année, je ferai du plein contact, pas du léger. Parce que je n’en suis pas capable. Je suis quelqu’un de très dur, je suis agressive. Ce n’est pas une agressivité que je contrôle, mon corps s’exprime comme ça. Au JJB par exemple, je suis très dure, je suis très lourde, je suis très musculaire, je suis très contractée quand je m’entraine. Je ne sais pas pourquoi. C’est mon style : l’impact, l’efficacité. Avant, j’étais plus dans l’esthétisme et dans le déroulé étant donné que je venais du karaté et du taekwondo.

Je ne sais pas pourquoi au fil du temps je suis partie sur un autre style. Peut-être parce que j’ai pris du poids. Quand vous prenez du poids, c’est plus difficile d’être plus souple, plus léger. Je pense que ça a joué. Je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’efficacité que dans le fait de dérouler des coups pour l’esthétisme. Aujourd’hui. Ça peut changer demain. Si je développe une autre technique de boxe.

Au JJB, je suis en train de faire la démarche inverse : je deviens moins agressive pour devenir plus légère, plus souple, plus agile.

En JJB, il y a une jeune qui est très forte : Mackenzie Dern. Elle a vingt ans et a toujours fait du JJB parce que son père est très connu, entraineur.

En MMA (Mixed Martial Art), il y a Cris « Cyborg » (Cristiane Justino). C’est typiquement le genre de personne face à laquelle je ne voudrais jamais me retrouver. Cette dame est un monstre. Elle est très forte physiquement, techniquement. Elle est presque imbattable. Elle est à la fois très agressive et très technique. Elle est très impliquée, elle est dans la dévotion totale vis à vis de sa pratique.

J’admire les gens qui se sont entièrement dédiés à leur pratique et qui arrivent en même temps à rester hyper humains. Qui véhiculent des images d’humilité.

Il y a Lyoto Machida, que j’aime énormément. Il est très connu. Il est moitié brésilien, moitié japonais. Il est très humble, très bon techniquement.

Rester humain, ça se voit dans la manière avec laquelle ils se comportent vis à vis de leurs adversaires.

Hier je voyais encore une vidéo de Lyoto Machida. En MMA il y a le « Ground and Pound » : quand la personne est au sol, vous avez le droit de la frapper. Souvent, quand quelqu’un est mis K.O. au sol mais que l’arbitre n’a pas tappé, l’autre s’acharne sur lui. Dans le combat que j’ai regardé, Lyoto Machida a mis son adversaire au sol K.O. Ensuite, il a hésité, il a levé la main, il attendait que son adversaire se défende pour pouvoir le frapper. Alors que certains vont s’acharner, ce que je ne trouve tellement pas sportif. C’est limite déloyal. Mais après, c’est les règles du jeu.

Je n’aime pas le « Ground and Pound », je n’aime vraiment pas. J’aime bien le fait qu’on aille au sol et qu’on fasse du JJB ou du grappling, mais frapper une personne qui est au sol…

Je suis presque en accord avec le fait que le MMA soit interdit en France.

Je suis d’accord avec le fait de dire que c’est une image dégradante de frapper un homme au sol.

Il n’y a pas que ça qui bloque la légalisation du MMA, mais je suis d’accord avec cet argument-là. Il pourrait y avoir des pratiques de MMA en France mais pas comme au Etats-Unis où on laisse la personne se faire frapper jusqu’à ce qu’il y ait du sang partout. Je n’aime pas ça.

En boxe, oui le K.O. peut arriver mais la personne est debout.

J’ai l’impression que quand on est au sol, on est démuni. C’est une question de représentation, d’image.

Moi ça me choque, mais c’est vraiment une question de représentation.

Une personne qui viendrait me frapper au sol, ça ne me dérangerait pas parce que je me défendrai. Je sais que ça fait partie du jeu. Mais le fait de voir quelqu’un déjà presque K.O. s’en manger plein le visage, ça me choque. C’est de l’empathie.

Pas parce qu’il est au sol, mais parce qu’il est déjà K.O. Son adversaire va continuer pour manger ses millions de dollars, parce qu’il y a aussi l’euphorie du combat, l’agressivité. Il ne va pas forcément se rendre compte. Son boulot, c’est d’être là pour frapper.

Mais quand des personnes, comme Lyoto Machida, arrivent à faire ça (s’arrêter avant de frapper quelqu’un au sol déjà K.O.) je trouve ça génial. Il n’est pas que dans son combat, il sait qu’il y a un autre être humain en face de lui. Une personne qui a des sensations, qui a une santé.

La façon dont les personnes se respectent, ça se sent à la pesée, quand les personnes se regardent droit dans les yeux. Il y en a qui sont déjà hyper agressives, qui commencent déjà à s’insulter, qui veulent déjà se battre alors qu’elles sont à la pesée. Je n’aime pas.

C’est du show. Il y en a qui adorent ça. Moi, ce n’est pas mon truc. Ce que j’aime c’est quand les deux personnes à la pesée sont contentes, sont dans un bon état d’esprit.

Je n’aime pas la violence. La volonté de nuire. Ils ne se rendent pas compte combien vouloir nuire à quelqu’un, ça peut aller très très loin. On peut faire quelque chose de fatal. On peut handicaper une personne de manière définitive. On peut même la tuer.

Les personnes ne se rendent pas compte des risques que vous prenez quand vous êtes dans une cage. Il y en a qui sont morts. Très très peu.

L’ex-mari de Cris Cyborg a pris un coup de genou sauté, il n’était pas du tout au sol, il a plein de micro-fractures dans le crâne. C’est un handicap.

Ça existe dans tous les arts martiaux, même en JJB, vous pouvez déchirer le genou ou le talon de quelqu’un. Bien sûr.

C’est pour ça que c’est important de maitriser sa pratique. C’est pour ça que dans certaines fédérations, certaines prises sont interdites : les clés de talon par exemple.

Parce que c’est trop dangereux si ce n’est pas fait par quelqu’un de très expérimenté.

Je fais une différence entre les sports de combat, les arts martiaux et la bagarre.

Les sports de combat et les arts martiaux se rapprochent : la différence c’est qu’il y a un protocole, un cadre disciplinaire beaucoup plus délimité dans les arts martiaux que dans les sports de combat. Dans les sports de combat, il y a une discipline, mais c’est plutôt une discipline induite, tacite, entre les partenaires. Dans les arts martiaux, il y a le salut, le respect du maître, les grades, le kimono, c’est vraiment codifié. En boxe, il y a une discipline, mais c’est tacite. Ce qui est impressionnant c’est que malgré tout, tout le monde la respecte. C’est vraiment tacite, il n’y a pas de règle écrite, ce sont des règles de respect, de fair-play, d’hygiène, que tout le monde connaît et que tout le monde applique pour que ça se passe bien. Alors que dans les arts martiaux, dans certains dojos, il y a des sanctions. Vous pouvez être sanctionné. Par exemple, si vous n’avez pas bien mis votre kimono vous faites vingt pompes. Au taekwondo, on avait des trucs comme ça, kimono mal repassé : dix pompes. Alors qu’à la boxe, non. Si le short est mal repassé, tant pis pour toi.

Dans les sports de combat et les arts martiaux, c’est un partage, c’est un échange.

La bagarre, il n’y a aucune règle. C’est nuire à la personne ; ou se défendre. Mais dans les deux cas, il y en a un qui veut nuire à l’autre.

Les règles, c’est important. Parce que ça met tout le monde d’accord. Certaines règles peuvent être discutables. En adhérant à une fédération, en envoyant des courriers pour en parler, on peut réussir à faire évoluer les choses. Mais les règles, c’est hyper important. Surtout dans les sports de combat. Parce que ça engage des émotions, des sensations qui peuvent vous faire perdre le contrôle. Si vous n’avez pas les règles derrière, ça peut vite mal tourner.

Tous les jeunes devraient se former à l’arbitrage. Je vais le faire prochainement. Il faut avoir une ceinture bleue pour faire le stage d’arbitrage en JJB. Dès que j’ai ma ceinture bleue, je le fais. C’est hyper-important. Pour sensibiliser aux règles. Et même stratégiquement. Quand vous emmenez ensuite des personnes en compétition et que vous connaissez les règles, c’est mieux !

En boxe aussi. Il devrait même y avoir plus de règles, notamment par rapport à l’état d’esprit. Je trouve qu’il y a parfois des choses qui méritent la disqualification et que les arbitres laissent courir.

En même temps, en instaurant trop de règles on peut rentrer dans du karaté.

Les règles ont été pensées par des personnes qui ont pratiqué. C’est à nous, nouvelle génération, de peut-être apporter d’autres choses.

Quand j’ai fait ma pesée, c’était un calvaire : je ne mangeais plus rien. On m’avait inscrite dans une catégorie de poids qui n’est pas la mienne.

C’est un truc qui se fait très couramment : s’inscrire dans une catégorie inférieure à la vôtre ; c’est complètement stupide. Ça ne sert à rien, parce que tout le monde va faire la même chose. Vous faites en sorte d’être dans la catégorie d’en-dessous pour avoir l’avantage sur votre adversaire mais lui va faire exactement la même chose. Vous appartenez tous les deux à la catégorie d’au-dessus mais vous cherchez à aller dans celle d’au-dessous. Et dans le cas où un seul appartient à la catégorie d’au-dessus et cherche à rentrer dans celle d’en-dessous, ce n’est pas vraiment sportif comme esprit. On décide de se défaire d’un challenge.

C’est toujours possible, mais il faut alors s’y prendre longtemps à l’avance et le faire dans de bonnes conditions. Ce n’est pas deux semaines avant que vous perdez dix kilos.

Dans mon cas, j’ai toujours beaucoup de mal à perdre du poids, donc c’était horrible. Je faisais 63kg et on m’a inscrite en moins de 60kg. Il fallait que je pèse 59kg. En soi, 4 kilos, ce n’est pas méchant. Mais j’ai eu beaucoup de mal. Le dernier kilo a été dur à perdre. J’avais beau ne rien manger, je n’y arrivais pas. Je ne buvais que de l’eau, je mangeais un yaourt, je me suis entrainée les deux derniers jours dans un sauna. Et 48 heures avant la pesée, je n’ai pas bu une seule goutte d’eau. Et du coup : fracture de fatigue. J’ai fait ma compétition, j’ai gagné, mais c’était très douloureux. J’avais les poumons et les narines en feu, une sécheresse au niveau de la bouche. J’ai donc gagné les championnats d’Ile-de-France. Mais quand il a fallu reprendre l’entrainement pour préparer les championnats de France, je n’étais pas du tout prête. Je me sentais incapable de refaire quelque chose d’aussi difficile. D’ailleurs, je n’ai pas tenu, je ne l’ai pas fait. J’ai enchainé les fractures de fatigue, ma cheville se dérobait sur le ring. Je n’arrêtais pas de pleurer parce que je n’arrivais plus à être au poids. J’avais repris 4 kg d’un coup après la compétition. C’était en 2013. J’ai carrément arrêté de boxer, je ne suis plus venue aux entrainements. Je n’étais plus dans un bon état d’esprit. En plus, les coaches ont la fâcheuse tendance à vous faire des remarques sur votre poids. Déjà quand vous êtes un garçon c’est désagréable, alors quand vous êtes une fille. Ils le font toujours encore aujourd’hui. Ils sont toujours en train de dire : « Ah tu as pris » ou « Ah tu as maigri ». Comme si la personne n’existait qu’à travers ça. Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils peuvent développer.

Dans les sports de combat, il y a un grand risque de développer des troubles du comportement alimentaire : anorexie ou boulimie. Ça se retrouve dans tous les sports esthétiques ou à catégorie de poids.

Les coaches ne se rendent pas comptent. Ils ne nous accompagnent même pas. Ils n’ont pas de formation nutritionnelle pour accompagner dans une perte de poids.

C’est pour ça que j’ai fait mes études. Parce que ça m’a vraiment beaucoup marqué. C’est dommage parce que vous n’êtes pas serein dans votre pratique. Tout ça à cause d’une histoire de poids.

Aujourd’hui je peux combattre dans n’importe quelle catégorie. Parce que je sais que je préfère être désavantagée au poids plutôt que de pourrir ma préparation à la compétition. Ça m’a vraiment marqué ! Encore aujourd’hui, si je pouvais retourner dans le passé, je ne le referais pas. Et je ne l’ai fait qu’une seule fois ! Les sportifs ont enchainé ça pendant des années et des années. Il peut y avoir des séquelles physiques.

C’est pour ça qu’au JJB, vous vous pesez cinq minutes avant d’aller combattre. Vous ne pouvez pas regagner de poids (entre la pesée et le combat), contrairement à la boxe où vous avez une demi-journée ou 24 heures entre la pesée et le combat.

À la fédération FFL (Fédération Française de lutte),en JJB, vous vous pesez et vous allez directement combattre. C’est super-intelligent de leur part. De cette façon, vous ne pouvez pas compter sur le fait de reprendre du poids entre la pesée et le combat. Vous devez bien réfléchir à votre catégorie de poids. C’est super comme règle. Ça va finir par dissuader les gens de faire des régimes. Parce que quand dans un combat vous n’avez aucune pêche, c’est intenable. Surtout en JJB où il faut supporter son propre poids et le poids de la personne.

Ça c’est une bonne décision.

En boxe, vous avez toujours une demi-journée ou trois heures pour remanger après la pesée.

Je viens de passer un bachelor en nutrition sportive. Avant, j’avais fait un bac économique et social. Après le bac, je ne savais pas quoi faire, donc j’ai tenté du droit bilingue, c’était très bien mais trop loin de chez moi, du coup j’ai lâché l’affaire. En plus je ne voyais pas d’opportunité professionnelle. Ensuite j’ai fait deux années de prépa économie qui étaient géniales parce que c’était un très bon groupe. Ce n’était pas le même état d’esprit que dans toutes les prépas où chacun doit être meilleur que l’autre. On avançait tous ensemble. On était dix. C’était top. Mais je ne me voyais pas faire une école de commerce. Ce n’était pas mon truc. Donc j’ai pris une année sabbatique, pendant laquelle j’ai fait beaucoup de compétitions. Ensuite, la nutrition m’est apparue comme quelque chose de logique. Ça m’a toujours beaucoup intéressé. Et mon grand-frère qui a eu beaucoup d’influence sur moi, m’a encouragé. Donc j’ai fait de la nutrition, là j’ai terminé, j’attends les résultats. Je fais un bachelor en nutrition sportive. Nutrition adaptée aux sports de combats. J’ai choisi ça pour aider les athlètes à gérer leur pesée.

Dans ce magasin (Gordo Nutrition) on vend des compléments alimentaires surtout destinés aux sportifs. Les sportifs ont des besoins spécifiques liés à leur pratique. On vend principalement des produits de récupération, parce que c’est ce qui est le plus demandé. La première des récupérations est liée à l’hydratation et à l’alimentation. Certaines personnes ne mangent pas suffisamment pour bien récupérer. Ça peut donc être un plus pour elles. Chaque produit est une source concentrée de nutriment spécifique. Ça peut être super pratique. Vous prenez 50g de Weigh, vous rajoutez 200ml d’eau, vous avez presque l’équivalent d’un steak.

Il y a de tout : ceux qui veulent prendre du poids, ceux qui veulent en perdre. Ceux qui veulent juste se sentir mieux : on vend des vitamines, des minéraux.

On a aussi des produits plus alimentaires : du beurre de cacao par exemple. On va faire un rayon bio, des aliments sans gluten etc.

Il y a vraiment de tout, c’est top, c’est trop bien.

Depuis toute petite, j’ai pensé que les sports de combat n’étaient pas réservés aux hommes. Mes parents m’ont élevé dans cet état d’esprit. Pourtant mes parents sont issus de l’immigration. Mais la danse n’est pas forcément pour les filles et la boxe, pas forcément pour les garçons. C’est fait pour toute personne qui a une affinité pour ça. Je trouve que les sports de combat sont d’autant plus fait pour les femmes qu’on est une population vulnérable. Physiquement, on est moins aptes à se défendre qu’un homme. Et on est plus les cibles d’agression. Quand une femme décide de faire un sport de combat, c’est très judicieux de sa part. Elle ne mettra pas forcément quelqu’un K.O. mais au moins elle sera préparée à une éventualité. Un homme est dissuadé quand il voit une femme qui sait se défendre. Si la femme se met en garde par exemple, l’homme se dit qu’elle n’est pas si sans défense que ça et qu’il ne va peut-être pas l’agresser. C’est très important que les femmes fassent des sports de combat. Maintenant, avec les réseaux sociaux, les femmes dans le MMA, il n’y a plus tant de différence. Il y a quand même plus d’hommes qui pratiquent, c’est sûr. Il n’y a pas de sports faits pour les hommes ou faits pour les femmes.

C’est vrai qu’on développe des attributs en pratiquant, en lutte par exemple, la plupart des femmes sont très carrées, les danseuses sont plus fines. Mais en fait, non, ça ne veut rien dire.

Et les canons de beauté ont changé, il y a de tout. Une femme très musclée, ou ronde, peut être très jolie. Comme une femme toute fine. Tout ça, c’est grâce aux réseaux sociaux. On voit de tout, des images du monde entier. Des canons de beauté venant de tel ou tel pays. Ça modifie les esprits. C’est bien, comme ça peut aussi être néfaste. Ça ouvre l’esprit, mais ça peut être la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Il faut bien savoir identifier l’information que vous voyez.

Quand je ne suis pas blessée, je peux aller jusqu’à 10h d’entrainement par semaine. La semaine dernière j’ai fait mardi, mercredi, jeudi et dimanche, chaque fois deux heures. Ça fait 8 heures. J’aurais pu en faire plus. Cette semaine je me suis blessée, je ne pense pas que je vais aller au JJB mais je pense que vais aller à la salle de sport pour soulever un peu, pour travailler le haut du corps, renforcer. J’essaie de ne jamais m’arrêter parce que ce n’est pas bon. Quand j’étais jeune, j’arrêtais tout quand je me blessais. Ce n’est pas bon. Surtout que j’ai une compétition le 30 octobre. J’ai hâte. En plus, c’est en kimono. Je ne sais pas pourquoi j’appréhende beaucoup moins le kimono que le sans-kimono. (le JJB se pratique avec kimono : GI ou sans : NO GI).Je trouve que le kimono est une sécurité. Et j’ai rencontré une judokate qui m’a appris plein de trucs. Du coup, j’ai hâte de les mettre en pratique. En grappling (sans kimono),je trouve qu’on peut se blesser plus facilement, ça glisse tellement, ça va tellement vite. C’est plutôt de la lutte, et ce n’est pas quelque chose que je maitrise. Au début, j’étais plus à l’aise en grappling parce que j’avais des petites notions de lutte. Maintenant je suis plus à l’aise en kimono. Mais je fais les deux. Comme quoi tout change !

Je ne m’arrêterai pas. Même quand j’aurai ma ceinture noire. Je continuerai à découvrir de nouveaux arts martiaux. Quand j’étais petite je voulais tout pratiquer pour inventer mon propre art martial. Finalement, je respecte chaque discipline en elle-même. Je ne fais pas du MMA : je fais de la boxe et du JJB mais je ne mélange pas les deux.

Les prochaines étapes : capoeira et parkour éventuellement. Il faut juste trouver du temps. J’aimerais parfois qu’il y ait 48h dans une journée. Surtout que parfois on délaisse une pratique : en ce moment je ne fais plus de boxe pour préparer la compétition de JJB du 30 octobre. Je veux faire toutes les compétitions en JJB ; en boxe, j’en ferai une ou deux.

La différence entre les deux, c’est vraiment l’environnement. En ce moment je me sens tellement plus à l’aise au CDK qu’à mon club de boxe à Bobigny. Bobigny, je suis chez moi, je suis à l’aise. En JJB, j’ai tout à découvrir, c’est une nouvelle aventure. En boxe, je n’ai pas atteint un point d’excellence mais je me suis lassée.

Quand j’ai arrêté la boxe, ce qui m’a remis dans les arts martiaux, c’est le MMA. J’avais fait un mois de MMA à Paris, chez Fernand Lopez (Crossfight). Il m’a redonné le goût des sports de combat.

J’ai fait aussi un stage de boxe en Hollande, c’était royal. Je n’ai qu’une seule envie, c’est d’y retourner. Ça a révolutionné ma boxe. En arrivant là-bas, je me suis pris un K.O. par une novice, une personne qui était là pour le loisir alors que j’ai pratiqué en compétition ! Ils sont très bons. J’ai hâte d’y retourner. Je n’arrête pas d’essayer de me programmer dix jours pour y retourner. En Hollande, ils ont un état d’esprit très différent, ils sont cools. Dans la rue, les gens vous disent bonjour. Ils sont hyper-ouverts.

Le projet de ma vie, c’est de faire un camp en Thaïlande, un stage d’un mois. On envisage d’y aller avec Sarah. L’année dernière, quand elles sont parties avec Joan, elles ont fait un camp de boxe thaï. On partirait pour joindre l’utile à l’agréable : vacances et camp de boxe. Je ne sais pas si je resterai longtemps. Le truc, c’est que si vous restez moins de trois semaines, vous êtes un touriste. Si vous restez plus de trois semaines et que vous vous entrainez avec eux, ils vous considèrent comme un thaïlandais, vous boxez contre eux. Je verrai si je peux rester. Je ne sais pas. Ça dépendra du calendrier des compétitions, de mon état physique.

Il faut que je fasse attention, je me blesse très souvent en ce moment. Il faut que je prenne rendez-vous avec mon médecin pour comprendre pourquoi.

Mais oui, on a prévu un petit voyage en Thaïlande. On aimerait bien y aller avec toute l’équipe parce que l’année dernière tous les garçons du CDK sont partis en Thaïlande. Ils ont rencontré Sarah et Joan là-bas. Sarah essaie de voir si cette année on ne pourrait pas partir tous ensemble. Ce serait trop bien !

Là-bas, la boxe fait presque partie de leur religion. La plupart des Thaïlandais gagnent leur vie comme ça. Les enfants, filles et garçons, sont mis dedans tous petits. Il y a même des combats mixtes (homme contre femme). J’en ai vu un la dernière fois. Il faut savoir qu’en Thaïlande, il y a beaucoup de modifications chirurgicales : vous êtes une femme, vous pouvez devenir un homme et inversement. C’est pour ça qu’il n’y a pas de distinction homme-femme dans les combats. Les thaïlandais sont très beaux quand ils combattent. Ils sont beaux ! C’est très dur, c’est violent. On sent que si on se prend un coup on risque de se blesser. Mais c’est beau ! C’est très technique, très fluide, très précis. C’est trop beau, j’aime trop la boxe thaï. C’est la version martiale des sports de combat. C’est issu d’un art martial à la base. C’est une des boxes les plus complètes : vous avez tous les coups (pieds, poings, coudes, genous), les saisies et les balayages. Ce qui est interdit c’est d’aller au sol.

Ce que je pratique moi, c’est le kickboxing. Je n’ai pas pratiqué la boxe thaï dans un club de manière assidue. Tout ça c’est une question de temps. Je préfère la boxe thaï au kickboxing, que j’aime déjà beaucoup.

Il faudrait que je trouve un club et le temps pour faire de la boxe thaï.

Il y a aussi le fait que je suis un peu fidèle à Bobigny. Même si je vais beaucoup au CDK, je ne me vois pas pratiquer la boxe ailleurs qu’à Bobigny.

Mais mon grand-frère s’est inscrit dans un club à Pantin, donc je pense que je vais aller voir. C’est à Fort d’Aubervilliers.

Il y a aussi le Phénix-Club. C’est le club de référence. J’y ai été invitée à plusieurs reprises parce que celui qui dirige le club m’a formée pour les diplômes fédéraux. Et je connais une boxeuse qui boxait chez nous et boxe maintenant là-bas. Il y a aussi un boxeur de là-bas qui est venu chez nous. Il faut que j’y aille. C’est vraiment le club. C’est une usine à champions.

En Thaïlande, vous avez votre camp (votre club). Les boxeurs thaïlandais portent un Mongkon (serre-tête). Ce Mongkon appartient au camp. On le met au combattant pour qu’il aille représenter son camp.

En France, il y a des clubs qui naissent un peu partout, il y a beaucoup de disciples d’un tel qui ouvrent un club là ou là.

Comme autre loisir, il y a le shopping. C’est très important pour moi. La cuisine j’aimerais bien, mais je n’ai pas le temps. Je n’ai vraiment pas le temps. J’aime aussi beaucoup regarder des films, aller au cinéma. Etre avec mes amis, partager des bons moments. Je suis beaucoup dans l’échange.

Interview de Neïla (entraineure, boxeuse)

Interview de Neïla à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 30 janvier 2017

 

Neïla a commencé la boxe par hasard. Elle dit : Je n’aurais jamais pensé que c’était un sport qui allait me plaire autant. Elle s’est prise au jeu, a ensuite passé ses diplômes d’entraineure et mis en route la section féminine de Esprit Libre au Blanc-Mesnil à la demande de Paly. Cette saison 2017/2018 annonce du changement pour le club et Neila puisque celle-ci a trouvé un travail dans le sud et qu’elle doit donc passer le relais aux autres entraineures de la section : Farah, Miriame, Alice, Laura.

 

La première fois que je suis rentrée dans une salle de sports de combat, c’était avec une amie. C’était elle à la base qui voulait essayer. Je suis rentrée dans une salle de boxe, à Aulnay-sous-Bois. C’est là où j’ai commencé. C’était marrant parce que j’ai fait le cours avec elle, et elle n’a pas suivi du tout après et au final c’est moi qui ait accroché.

Je me souviens de la salle. Il y avait des sacs et deux rings. Il y avait deux entraineurs à l’époque. Ce dont je me souviens c’est que je ne savais pas faire de la corde à sauter ! Je n’en avais jamais fait à l’école, je n’aimais pas ça. Et du coup, c’était marrant, la première fois où j’ai fait de la corde à sauter c’était à la boxe, je ne sais plus quel âge j’avais, je devais avoir 21/22 ans, un peu plus même : 23.

C’était un peu impressionnant, surtout les sacs, parce qu’on avait travaillé directement au sac, à la fin du cours : ça m’avait beaucoup plu, je n’avais pas forcément le geste parce je caressais un petit peu le sac : c’était très doux ! Par la suite j’ai le souvenir des entraineurs qui m’ont amené à aimer cette pratique parce que j’étais plutôt réservée, calme, donc ce n’était pas forcément un sport qui m’attirait de base.

Donc il y avait ça : la technique, les premiers mouvements qu’on montrait : le direct qui n’était pas forcément évident au départ.

Oui, ça m’a plu dès le premier cours.

Ce qui m’a plu, c’est que je me suis dépensée sans forcément le ressentir, en m’amusant. C’était vraiment de l’amusement ce premier cours. C’était intéressant aussi d’apprendre plein de choses sur le mouvement, sur son corps. Se rendre compte, quand on fait des mouvements au sol par exemple, que la jambe pèse très lourd alors qu’on a pas l’impression ! Savoir contrôler son corps, c’est quelque chose qui est difficile. Quand on voit les mouvements, on se dit : « Oui, c’est facile » et quand on le fait on se dit : « Ah, mince ! »

Il y avait les étirements à la fin : c’était un peu compliqué parce que je n’étais pas très souple ! Mais je me rappelle de cette sensation des étirements, du retour au calme. Il y avait vraiment beaucoup de choses sur l’intégralité du cours.

C’était une sensation globale très agréable.

Avant la boxe, j’avais fait des activités sportives au lycée, au collège, à l’école. Quand j’ai arrêté l’école j’ai complètement arrêté le sport. Je m’y étais remise avec l’amie avec qui je suis venue la première fois à ce cours. Je m’étais inscrite dans une salle de sport au CMASA. Le même club a une salle de musculation avec des cours : abdos-fessiers, step, etc. Je m’étais inscrite là-bas et il y avait cette affiche pour le cours de boxe. C’était de la boxe féminine, avec des entraineurs hommes, et c’était le mercredi. Le premier jour où j’y suis allée, je me souviens que c’était un cours féminin. Il y avait d’autres cours dans la semaine qui étaient mixtes.

J’ai décidé de continuer. Dans ce club. Au CMASA. Au début, la première année, je venais régulièrement mais ce n’était pas forcément très assidu. Je venais une ou deux fois par semaine. Il y avait des cours quasiment tous les jours. Au bout d’un an, un an et demi peut-être, j’y ai vraiment pris goût et je me suis beaucoup plus investie. J’allais quasiment à tous les cours. Tous les jours. J’avais un petit peu plus de temps sur mon planning, qui me permettait d’y aller. Comme j’ai évolué assez vite, ça m’a donné envie d’évoluer encore plus. Et plus je faisais des cours, plus je sentais que ça devenait plus facile, et c’est devenu un peu comme une addiction ! Pendant un moment j’y allais vraiment tous les jours et s’y je n’y allais pas, il me manquait quelque chose dans ma journée. Ce qui me manquait, c’est la sensation d’après : on a quand même une sensation de fatigue et en même temps une sensation de bien-être. Et le fait que quand on fait un sport comme ça, on ne pense à rien pendant l’entrainement. On n’a vraiment pas le temps de penser à autre chose et ça enlève tout ce qu’on peut avoir à l’extérieur, que ce soit le travail ou autre, c’est vraiment un moment pour soi.

Je suis restée pendant plus de six ans.

J’ai beaucoup sympathisé avec un des entraineurs, Mamadou Kebe. Ils ne faisaient pas de compétitions à l’époque, et je l’ai un peu poussé à faire des compétitions parce que je voyais qu’il y avait beaucoup de personnes qui étaient motivées. C’était une section adulte. Je l’aidais un peu sur les cours, et comme c’était compliqué pour lui de faire l’administration, au final je m’occupais de tout ce qui était papiers, prise d’inscriptions, contacts avec la fédération. Donc on s’est lancés dans les compétitions, ce qui a mis une bonne dynamique dans le club.

Les compétitions, au départ, j’en ai pas eu forcément envie. Mon entraineur m’en parlait. Il m’a demandé d’aller sur les sites pour voir comment ça se passait. Et ça m’a donné envie de m’y intéresser. Lui, il est très compétiteur dans l’âme. Il a fait beaucoup de compétitions avant, mais il ne savait pas comment gérer cette partie d’organisation qui fait qu’on va aller en compétition. Mais il aime bien entrainer des compétiteurs. Il s’est dit : si quelqu’un peut se charger de prendre les licences, de la partie administrative, on y va. Et de fil en aiguille, il a commencé à entrainer pour les compétitions et à regarder quelles personnes seraient intéressées, auraient les capacités pour en faire.

En allant voir des compétitions, ça m’a donné envie d’en faire. Ma première compétition, ce n’était pas moi qui avait fait l’inscription, je crois qu’il avait vu avec le directeur du club lui-même. Il nous avait dit que ce serait une petite compétition, qu’on allait se lancer en light, moi et celle qui avait ouvert la section au départ. Je me souviens très bien : quand on est arrivés à la compétition, il y avait énormément de monde, on regardait tous les combats. Il y avait un problème d’arbitrage sur un combat, ils n’étaient pas d’accord entre eux. Une du club a dit : « Oh, c’est pas le championnat de France non plus ! » et là, une personne s’est retournée et a dit : « Si, si c’est le championnat de France ! » Au final ça nous a mis une petite pression, alors que notre entraineur ne voulait pas nous mettre de pression justement. Cette compétition s’est bien passée dans l’ensemble, mais j’ai le souvenir que j’étais très stressée au moment de monter sur le tatami. Je n’avais pas l’habitude de m’entrainer avec un casque et le fait d’en mettre un, ça me faisait comme si tout le monde était lointain. Tout le monde parlait en même temps et je ne comprenais rien de ce qu’on me disait. Je ne me rendais pas compte que j’étais essoufflée, je crois que je n’ai pas dû respirer pendant tout le round à cause du stress. Mon adversaire était plutôt fair-play. Elle aussi je crois que c’était sa première compétition donc on était dans la même dynamique toutes les deux. Je me souviens qu’à la fin du premier round quand je suis partie voir mon entraineur, il m’a un peu secouée en me disant : « Mais c’est qui là-dedans ? Tu fais quoi ? » Parce qu’en fait je ne faisais pas grand chose ! Quand j’ai regardé la vidéo après, j’ai vu que j’étais essoufflée et que c’était très lent ; tous les mouvements étaient très lents. Sur le coup je ne m’en rendais pas compte, c’est en regardant la vidéo après. J’avais perdu vraiment mes moyens parce c’était devant tout le monde.

Mais c’est quand même un bon souvenir, parce que ça m’a appris à me mettre dans la peau du compétiteur, et à connaitre toutes les sensations qu’on peut ressentir. C’était un moment de stress, de ne plus savoir tout ce qu’on a appris. On peut tout oublier au final ! C’était déstabilisant mais je ne dirais pas que c’était un mauvais souvenir.

Après, j’ai fait une compétition en plein contact, et là c’est plutôt un mauvais souvenir. Mon entraineur pensait que j’étais prête et que j’avais les capacités pour aller en plein contact. Je n’en étais pas forcément convaincue parce que je n’étais déjà pas très à l’aise en light mais j’avais fait entièrement confiance à mon entraineur. Et je pense que je n’étais vraiment pas prête. Je suis tombée sur quelqu’un qui avait l’expérience des combats, qui était plutôt hargneuse. On n’a même pas fini le premier round ! A cette époque-là, j’avais la hantise de me prendre des coups sur le nez parce que j’ai un problème au niveau des sinus. Je voulais juste ne pas me prendre de coup et ce qui arrive en général c’est tout le contraire ! Je me souviens avoir envoyé les premiers coups : coups de pied, coups de poing ; qu’ensuite elle a remisé et qu’à ce moment là je n’ai pas eu ma garde et : direct sur le nez. Donc on a arrêté parce que je saignais du nez, on a essuyé, et on est reparties. Et quand on est reparties elle s’est déchaînée direct sur mon visage parce qu’elle s’est dit : « Ça y est, je l’ai touchée à cet endroit-là ». Et là mon entraineur a jeté l’éponge parce qu’il voyait que ce n’était pas productif. Ce n’était pas intéressant de me laisser.

Là, je me suis rendue compte de l’impact que ça pouvait avoir psychologiquement, physiquement, surtout en plein contact. Je pense que je n’étais pas prête, ni physiquement, ni psychologiquement.

J’en ai refait une autre deux ans après, en light. Pour moi, pour ne pas rester sur cet échec, pour me dire : le light ça me convient peut-être plus. Mais je ne me trouve pas très à l’aise sur le tatami en compétition, je me sens mieux en tant que coach. Je l’ai refaite pour me surpasser. Et cet échange était beaucoup mieux, j’ai terminé sur une bonne touche. J’aurais peut-être continué en light si j’avais eu le temps de m’entrainer mais au final il fallait choisir à un moment donné.

Au bout de six ans au CMASA, je suis venue ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) pour ouvrir la section féminine.

J’avais rencontré Paly (Paly Dembelé, fondateur de Esprit Libre) au CMASA où il s’entrainait aussi. On s’est trouvés amicalement déjà, et aussi au niveau sportif. Il m’a parlé du club de Blanc-Mesnil. C’est de lui dont vient l’idée de la section féminine. Au départ il y avait une section adulte et une section enfant. Il avait vraiment le désir de mettre une section féminine en place. Beaucoup d’autres clubs avaient une section féminine mais avec un entraineur homme. Ce qui faisait la différence c’est qu’il voulait que ce soit une femme en tant qu’entraineur. Il nous en a parlé, à une de mes amies aussi du club d’Aulnay et à moi.

Et on a ouvert la section féminine au BMSFighting-Club (Blanc-Mesnil Fighting Club, ancien nom du club Esprit Libre)il y a trois ans. C’était en 2014. En début d’année.L’amie qui était avec moi a arrêté, j’ai continué, et Farah est venue me rejoindre comme deuxième entraineure. Je ne la connaissais pas du tout, Paly la connaissait. C’est lui qui a réuni tout le monde.

La première année on avait peut-être 20 personnes au début, en fin d’année on a terminé à 30 adhérents, en section femmes, la deuxième année on en avait 50 et cette année je crois qu’on est à peu près à 80 ! Il n’y a pas eu de publicité particulière, c’est par le bouche à oreille.

Depuis que j’ai commencé la boxe, je n’ai pas arrêté. Ça fait 8 ans 1/2, 9 ans, quelque chose comme ça, oui. J’ai évolué, parce qu’en full-contact on a les ceintures à passer. J’ai passé les grades, j’ai passé la ceinture noire auprès de la fédération et après j’ai passé les diplômes fédéraux d’entraineur.

Entrainer, ça s’est fait au fur et à mesure, naturellement. Au fur et à mesure je prenais note de ce que l’entraineur faisait à l’entrainement. Ce n’est pas que je prenais note mais j’enregistrais facilement les exercices et la façon dont il s’y prenait. Des fois il me disait : « Est-ce que tu peux montrer ? » Parfois il y avait beaucoup de monde, des nouveaux qui arrivaient, il ne pouvait pas se charger de tout le monde, alors il me disait : « Tiens, tu prends les nouveaux. » Je n’étais pas forcément à l’aise au départ. Je lui demandais : « Mais qu’est-ce que je leur fais faire ? Qu’est-ce qui est compliqué ou pas comme mouvement ? » Parce que je ne me souvenais pas par quoi j’avais commencé. Donc je posais des questions. Et il m’a appris beaucoup sur l’ordre des choses. La pédagogie je pense que je l’avais déjà, au début ; après, c’est le fait de s’adapter aux personnes. Mais par mon métier j’ai l’habitude. Je travaille en crèche. Mais c’est vrai que l’ordre des choses, quoi faire à quel moment, c’était difficile pour moi d’être dans l’imprévu. Il fallait qu’il me dise à l’avance : « Tu vas t’occuper d’un cours. » Une fois je suis arrivée, il m’a dit : « C’est toi qui fait le cours. » Ce n’était pas prévu. J’ai dit : « Ah non non non, ce n’est pas possible !  Dis-moi, la prochaine fois, je préparerais. » J’avais besoin, vraiment, de noter, de préparer avant, parce que j’avais peur de me retrouver avec un moment de vide.

Donner des cours, c’est quelque chose que j’aime bien : transmettre ce qu’on m’a moi-même transmis. C’est intéressant de voir évoluer les gens qui arrivent. En général, les personnes qui viennent à la boxe ne parlent pas de compétition, ça ne leur vient même pas à l’esprit au départ. En général elles viennent pour leur bien-être personnel, parfois pour perdre du poids. Toutes ont des raisons différentes. Au final certains vont vers la compétition et les autres non. C’est intéressant d’essayer de s’adapter en fonction des personnes et de ce qu’elles attendent.

En tant qu’entraineure, c’est vrai que je préfère la boxe loisir. J’aime les premiers cours, j’adore donner les premiers cours, les premières bases. C’est là où ça accroche ou pas. J’aime bien cette idée de fidéliser la personne qui arrive. En général quand elles ressortent du premier cours elles se disent : « Waouh ! j’ai appris plein de choses ! » Et à chaque fois elles en apprennent d’autres qui se rajoutent. Je trouve ça marrant. Il y a beaucoup de raisons pour que le public féminin vienne à la boxe, et on n’en sait rien. Mais quelles que soient ces raisons, on emmène toujours quelqu’un à se surpasser. Parce que la boxe c’est quand même un sport assez dur. Même pour celles qui viennent s’entrainer en loisir, il y a souvent l’appréhension de se prendre un coup. Il faut se protéger, c’est difficile. Le fait de surpasser cet aspect-là, je trouve ça bien ! Et oui, c’est un sport dur, fatiguant.

Les coups, c’est quelque chose. Parce que quand on fait des techniques, dans le vide, ça va ! Mais après, quand on se prend vraiment un coup, c’est autre chose ! J’avais cette appréhension des coups au départ. La peur de se blesser, déjà, et la peur de perdre ses moyens, de baisser complètement la garde et de s’en prendre encore plus. La peur d’être jugée aussi. D’être jugée sur la façon dont on va recevoir le coup, comment on va réagir derrière.

Quand j’ai commencé, quand il y avait un coup qui me faisait un peu mal, je me sentais oppressée par l’autre adversaire. Des fois j’avais vraiment du mal à continuer mon combat. Je pouvais pleurer, c’était vraiment quelque chose de difficile au départ. Ça me déstabilisait complètement.

Après, je pense qu’on s’habitue. On s’accommode en fait. On s’accommode et on réagit autrement. Sur le coup ce n’est pas agréable ! Mais on prend du recul et on se dit : « Qu’est-ce qui s’est passé, à quel moment et pourquoi ? Qu’est-ce que j’aurais pu mettre en place ? » Et on réadapte. Mais on sait que ça fait partie du jeu. On apprend à plus se protéger, plus se déplacer, et on sait que dans tous les cas, ça peut arriver, avec n’importe quel adversaire, un débutant comme un confirmé, dans n’importe quel contexte. Il faut apprendre à encaisser, à mettre des coups mais à encaisser aussi.

Mettre un coup, pour moi, ça a été difficile aussi. Lors de ma première compétition, ce qui m’a le plus déstabilisé c’est que je n’avais pas cette âme de compétiteur : « Je veux gagner ! » Je ne voyais pas un adversaire devant moi mais une personne. Et ça, c’était compliqué parce que je ne voulais pas faire mal. Je voyais une personne en face de moi, je me souviens encore du visage de mon adversaire, qui était un peu paniquée aussi, souriante, et j’avais vraiment du mal à voir un adversaire. Je voyais la personne en dessous. Et oui, c’est difficile de mettre des coups, souvent on retient un peu, parce qu’on ne va pas frapper comme sur un sac !

Pour un compétiteur, je pense qu’il faut qu’il se dise qu’à partir du moment où on rentre sur le tatami, il n’y a plus deux personnes mais il y a deux adversaires ; et que le meilleur gagne ! Après, il y a quand même des règles sportives qui font qu’il y a du respect, et qu’on sait quand s’arrêter. Mais il faut vraiment partir dans la compétition en te disant : « Ce n’est pas une personne, c’est un adversaire ; c’est moi ou lui qui gagne. »

C’est difficile de savoir si quelqu’un va être un compétiteur. On peut parfois voir ceux qui ont plus l’esprit de compétition, mais on peut toujours avoir des doutes. Et au moment de la compétition, certaines personnes qui ne se projetaient pas forcément dedans, peuvent être vraiment emballées et se dire : « C’est ce que je veux faire. »

Ils peuvent se révéler. Par exemple je pense à un enfant qui n’était pas forcément assidu, qui faisait un peu n’importe quoi au cours, il n’avait pas de but justement. On a un peu hésité, on l’a mis à une première compétition, et depuis sa première compétition c’est quelqu’un d’autre ! Parce qu’il a vu l’enjeu, pourquoi il s’entrainait, ce que ça pouvait lui apporter, quelle était la réalité de la situation en combat et ça l’a motivé. Depuis, il fait des compétitions et à l’entrainement il est plus sérieux. Mais en le voyant à l’entrainement au départ on ne s’était pas dit qu’il pourrait faire de la compétition parce que justement il n’était pas assez sérieux.

Par contre, en général quand on sent quelqu’un pour la compétition, ça se révèle être quelqu’un qui accroche à ça.

Une partie de soi qui n’est pas forcément apparente ressort dans les compétitions. Déjà le fait de se surpasser soi-même. Il y en a qui n’aiment pas se mettre en compétition avec les gens, même dans la vie de tous les jours. Il y en a pour qui c’est quelque chose d’important. Souvent sur les compétitions, ce qui joue aussi, c’est le fait de ne pas décevoir son entraineur, ça joue énormément. Moi-même je l’ai vécu. Ce n’était pas me décevoir, mais décevoir mon entraineur qui était le plus dur. Parce que l’entraineur prend du temps pour entrainer à une compétition et cet aspect-là joue beaucoup. Avant les compétitions, je dis aux filles que déjà je suis contente qu’elles soient là. Qu’elles gagnent ou qu’elles perdent, je serais contente dans tous les cas. Si elles perdent, il y aura des choses à revoir, à adapter. C’est important qu’elles sachent que la compétition en elle-même c’est déjà un pas, et qu’il ne faut pas se figer sur la finalité. Moi je me fige sur le travail qu’elles ont qu’elles ont fait, les sacrifices qu’elles ont pu faire avant et le jour de la compétition.

Par exemple, à la dernière compétition de Noémie, juste après le combat, on venait juste de finir, elle m’a dit : « Tu es fière de moi ? Tu es fière de moi ? » Je lui ai dit : « Mais oui ! » Je n’avais même pas enlevé son casque qu’elle m’a dit ça, cette phrase-là. Même si on essaie de le dire avant, avoir la reconnaissance de l’entraineur après, trotte vraiment dans la tête du compétiteur.

Les compétiteurs sont tous différents : par exemple Noémie, elle adore qu’on l’encourage alors qu’il y en a d’autres qui vont dire : « Non, ça va plus me déstabiliser qu’autre chose, je ne préfère pas. »

Je pense que ça dépend de chaque caractère mais c’est vrai que quand on a un but, quand on a une compétition, on va être à 200% ! Parce que la compétition, ce n’est pas que l’entrainement. C’est par exemple rester dans sa catégorie de poids, adapter son alimentation, son rythme de vie, prendre du repos. Et à part si on a un super cardio dès le départ, il faut aller courir pour augmenter son cardio, il faut avoir une volonté qui fait que même si l’entraineur n’est pas disponible il faut pouvoir se prendre en charge tout seul. Il y a plus d’enjeu, donc on ne s’entraine pas de la même manière : on ne va pas louper un entrainement parce qu’on est fatigué, on va dire : non, non, il faut y aller !

Pour celles qui viennent en loisir, les motivations sont diverses. Certaines l’expriment verbalement au fur et à mesure de l’année ou même dès le début : J’ai envie de perdre du poids, ou : J’ai envie de faire un sport qui est complet, j’ai envie de gagner en souplesse. Beaucoup de choses différentes. Il y a quand même pas mal de mères de familles, et pour beaucoup c’est un moment d’évasion, c’est prendre un temps pour soi. Après, la motivation première qui fait qu’elles sont rentrées pour la première fois dans une salle de boxe, c’est très personnel et on n’arrive jamais à le savoir au final.

Quand on commence la boxe, au niveau physique déjà, on découvre des muscles qui travaillent, qu’on ne connaissait pas avant ! Et après il y a l’aspect psychologique, c’est déstressant. J’ai l’impression qu’on passe un peu nos nerfs, qu’en tout cas on se décharge de quelque chose en venant à la boxe. Le fait de frapper dans un sac ou dans les cibles c’est quelque chose où on est vraiment nous-mêmes. On n’a plus d’image non plus, parce que au final la boxe ce n’est pas comme la danse où c’est très joli, très gracieux ! On est dans un état … On transpire, on est rouge, mais au final on s’en fiche ! C’est libérateur.

Je pense que trouver quelque chose qui nous passionne, qui nous intéresse, boxe ou autre, ça change quelque chose dans la vie. Par exemple là je n’ai pas forcément beaucoup de temps pour m’entrainer et j’ai l’impression que ça joue sur mon moral ! Je vais être moins patiente, parce que je n’ai pas ce moment à moi qui fait que je vais pouvoir me dépenser.

Ça peut être autre chose que la boxe, mais en ce qui me concerne, la boxe est quelque chose d’essentiel. Après, je pense que le sport en général développe quelque chose comme ça. Il y en a qui aiment aller courir et qui vont aller courir tous les deux jours parce qu’ils en ont besoin.

Les qualités qui vont faciliter la pratique de la boxe c’est d’avoir de l’endurance, de la souplesse. Le mental joue beaucoup aussi, le fait d’aller au bout des choses, même si on n’est pas tout seul et que quelqu’un nous pousse. Si les capacités physique sont là, mais que le mental n’est pas là pour dire : « Allez, tu continues », on peut s’arrêter. Je pense qu’il faut avoir cette aptitude à se pousser jusqu’au bout mais en même temps à être conscient qu’il y a des règles. Il faut pouvoir entendre ces règles et accepter que quelqu’un nous dise : « Là, stop ! Là on s’arrête. » Pour des adultes, pour des enfants aussi, c’est parfois compliqué à accepter.

On n’est pas obligé d’avoir une condition physique préalable. Ça peut aider mais tout le monde est en capacité de le faire. Même moi qui n’avait pas fait de sport pendant longtemps, et qui n’avait pas forcément le profil d’une boxeuse. Pas du tout même. Quelques années après j’ai parlé avec mon entraineur, et il m’a dit : « Le premier jour où tu es venue avec ta copine, je me suis dit : « La copine elle va rester longtemps, c’est sûr » Elle avait déjà le geste, elle avait l’attitude qui faisait qu’elle se donnait à fond. « Je pensais que c’était ta copine qui allait rester, pas toi. » Et ça s’est avéré tout le contraire ! Je n’avais vraiment pas le profil : j’étais très douce. Ce n’était pas un sport au départ qui était pour moi. C’est pour ça que je me dis : tout est possible !

Moi-même ça m’a surprise. Parce que de nature, je n’aimais pas les sports de contact. Il y en a qui les regardent à la télé, moi, ça ne m’a jamais attirée du tout cet aspect violent. Parce qu’il y a quand même cet aspect-là, de bagarre, même si ça reste un sport. On voit des coups, des gens se battre. Je n’étais pas du tout dans cette optique-là, donc oui, je me suis surprise moi-même. Je n’aurais jamais pensé que c’était un sport qui allait me plaire autant.

Et au final, ça créé mon équilibre. Par exemple par rapport à mon métier, qui demande beaucoup de patience, de calme, de douceur. Le fait de faire tout le contraire à la boxe, ça me permet un équilibre. C’était la deuxième partie qui sommeillait en moi !

Parce que c’est dur quand même. C’est un sport dur, il y a des sports beaucoup plus doux ! C’est assez violent parce qu’il faut arriver à recevoir l’attaque d’une autre personne -qui va être sportive- et ne pas le prendre pour soi. C’est sur un fil, parce que selon l’humeur qu’on peut avoir, c’est quelque chose que je trouve très délicat. Parce qu’on se retrouve tout le temps avec des partenaires ou des adversaires différents et chaque personne va réagir différemment. Ça demande une capacité d’adaptation très forte. On va s’adapter à un débutant en se disant : « On va boxer, mais on va le laisser s’exprimer un petit peu parce qu’il ne faut pas qu’il ait cette pression ». On peut aussi se retrouver devant des adversaires qui frappent plus fort, et là, il ne faut ne pas le prendre pour soi. Parfois on peut le prendre pour soi en se disant : « Il a quelque chose contre moi celui-là ? » J’ai déjà vu des mises de gants où des personnes frappaient trop fort. Ça peut finir par dégénérer si l’entraineur ne dit pas : « Stop, on arrête, parce que vous tapez trop fort. Si vous ne savez pas boxer ensemble, vous allez frapper au sac ! »

Il y a des personnes avec qui on boxe mieux qu’avec d’autres, vraiment. Il y a des affinités sur le tatami, comme au travail. Quelque chose se créé avec certaines personnes. On va mieux travailler avec elles parce qu’on va mieux s’entendre, qu’on n’aura pas besoin de parler pour faire les choses. Dans la boxe, c’est pareil. On a l’impression de plus évoluer avec certaines personnes que d’autres. Parce qu’on arrive à se comprendre et à avoir une symbiose. L’échange est plus constructif. Quand les deux arrivent à s’adapter, c’est plus facile. Par exemple, Paly, c’était un partenaire très enrichissant. Il avait cerné les choses qui me faisaient peur et du coup, j’étais en confiance ; parce que je savais que quand il me frappait au visage il me frappait un peu plus haut que sur le sur le nez, qu’il allait mettre ses coups normalement mais qu’il allait s’adapter. Donc ça me permettait d’être moins sur mes défenses et de pouvoir échanger. Parce que quand on a une appréhension on ne va plus rien faire, on va moins tenter de choses parce qu’on a peur de se mettre en danger. C’est difficile parfois de s’adapter aux personnes qui ont beaucoup de force ou qui appuient leurs coups, on ne va pas oser certaines techniques parce qu’on a peur de se mettre en danger. Avec des personnes dont on sait qu’elles ne vont pas appuyer tous leurs coups, on va plus oser faire des techniques, des déplacements.

Chacun boxe avec ce qu’il a. Certains vont être plus méticuleux, vont chercher à quel moment ils vont frapper, chercher l’ouverture, vont être plus réfléchis, plus techniques. D’autres vont miser sur la puissance et la déstabilisation de l’autre.

C’est une question d’adaptation, de savoir s’adapter à l’autre. Observer, et faire en fonction de.

Ça peut être un jeu. Oui. Souvent on se cherche un peu et puis : « Ah tiens, je t’ai touché ! » et un sourire… C’est aussi dans la rigolade. Ou alors il y en a un qui n’arrive pas à toucher l’autre, ça l’énerve un peu, l’autre se déplace, il rigole.

Il faut aussi cette partie-là, le fait que ça reste ludique.

Il faut savoir être sérieux quand il faut être sérieux mais il faut parfois sortir un peu du cadre. C’est un moment de convivialité aussi. Si on est vraiment strict et qu’il n’y a pas du tout d’ouverture, c’est moins un moment de plaisir. Par exemple ici, il y a des filles qui viennent ensemble. Si l’une ne vient pas, l’autre ne vient pas non plus. Elles veulent partager ce moment-là ensemble.

Un sport comme la boxe, c’est plus facile pour la motivation qu’un sport individuel. Quand on est tout seul face à son tapis ou à aller courir, il y a quand même moins de motivation. Là, même si on n’est pas très motivé, si la personne en face est en train de frapper, il faut bien bloquer ! Ou le contraire, il faut bien faire les cibles. Donc déjà c’est un sport collectif par rapport à ça. C’est aussi un sport qui est dur en même temps qui demande à avoir du respect, il y a cet aspect également. Avant un combat, on se salue, il y a du respect. On doit savoir s’arrêter quand il faut s’arrêter, quand l’arbitre estime qu’il faut stopper. Il y a l’aspect sportif : si on prend un coup trop fort on ne doti pas s’énerver, on ne va pas faire de la bagarre de rue, ça reste un sport. C’est savoir s’extérioriser et en même temps se contenir à certains moments. Et le fait d’être ensemble est important. Parce qu’au final, sur une compétition on est seul, mais pour les entrainements on a besoin de quelqu’un. Le fait d’avoir besoin de l’autre pour s’entrainer, c’est important. Il y a de l’entraide aussi. Par exemple, si on travaille des exercices physiques à deux, on peut se motiver l’un l’autre, s’encourager, il y a un moment où on encourage et un moment où on se fait encourager. Parce qu’il y a des moments où on n’en peut plus, on a envie de lâcher mais si les autres disent : « Allez, allez, continue ! » ça donne plus de force.

Pour l’avenir, je pense continuer l’association. Ça me tient à cœur parce que c’est moi qui l’ai repris il y a deux ans. Continuer la pratique féminine. Qui a vraiment évolué depuis le début. Mon but premier, c’est d’amener toutes les femmes qui entrent ici à apprécier ce sport et à évoluer dedans. Par exemple Alice, qui est rentrée dans la section et qui a beaucoup évolué (elle est devenue entraineure).Mon but c’est aussi ça : que certaines puissent se retrouver dedans.

Je n’ai pas nécessairement d’autre projet parce que l’association prend déjà beaucoup de temps. Mais voilà, continuer sur la pratique féminine. Je pense que c’est un public qui est en attente, beaucoup. Et de leur apporter ça, c’est important.

 

Les règles pour les combats changent souvent par rapport aux compétitions. En général, les zones de frappe, ça ne change pas. Pour chaque discipline, c’est quelque chose qui est déjà acté. Mais ça peut changer en terme de compétition, de nombres de points attribués, et ça, ça dépend de la fédération. Par exemple il y a la WAKO (World Association of Kickboxing Organizations), une fédération internationale qui réunit plusieurs pays. Parfois la fédération française se cale par rapport à ça parce qu’elle en fait partie, et ça change un peu les règles. En club, on essaie de parler un peu des règles d’arbitrage, et on invite ceux qui ne sont pas compétiteurs à venir voir des compétitions parce que c’est en venant voir des compétitions qu’on peut se retrouver à avoir envie d’en faire.

Pour faire changer les règles au niveau des fédérations, c’est difficile. On peut en discuter, on peut emmener une idée mais c’est difficile d’aller au bout, il faut frapper à plusieurs portes.

Quand on fait des mises de gants au club, les règles sont souvent les mêmes qu’en compétition. On enseigne plusieurs disciplines : full-contact, kickboxing, donc il y a des règles différentes pour les zones de frappe : on frappe ou pas dans les jambes etc. En général on dit la discipline et les filles connaissent les règles.

Si j’avais le temps, j’essaierais quelque chose qui sort complètement de la boxe, ça serait plus des danses, danses latines. J’aime bien ces musiques. Je m’étais dit que j’aimerais bien prendre des cours et au final je ne l’ai jamais fait parce que je n’ai pas forcément le temps.

L’année dernière et celle d’avant, en fin d’année, on avait invité d’autres clubs et on avait fait un genre de body-combat. C’est les mouvements dans le vide, en musique, assez cardio. C’est un peu chorégraphique. C’était sympa. J’avais aussi fait des cours de renforcement en musique, à la fin du cours.

Aller faire un cours ou des mises de gants dans un autre club c’est toujours intéressant parce qu’on voit d’autres méthodes, il y a un échange. Parce que chaque entraineur a ses méthodes, ses façons de travailler, ses exercices qui peuvent être différents et je pense qu’on apprend toujours. On apprend toujours en tant qu’élève, mais en tant qu’entraineur aussi. On s’inspire aussi des autres.

 

Interview de Sara (boxeuse)

Interview de Sara à la salle de boxe de Blanc-Mesnil le 29 mai 2017

Sara est une jeune boxeuse. Elle a découvert cette passion il y a un an. Cette année elle passe le bac. Elle veut atteindre le haut niveau en boxe. Alice, sa mère, fait partie du même club (Esprit Libre) en tant que boxeuse mais aussi entraineure.

 

Est-ce que tu te rappelles la première fois où tu es rentrée dans une salle de sports de combat ? Est-ce que tu peux me raconter ?

Mon premier sport de combat ça a été le judo. J’étais toute petite. C’était dans un dojo à Bobigny, tout ce qu’il y a de plus banal.

Avant chaque rentrée, on recevait dans notre boîte aux lettres un petit livret avec tous les sports de la ville. Chaque année je le feuilletais avec ma mère pour choisir un sport, vu que je changeais tout le temps de sport ou presque. J’hésitais entre la capoeira et le karaté, le taekwondo et le judo. Je voulais un sport de combat dans tous les cas. Je ne sais plus pourquoi j’ai choisi le judo. Je crois que je trouvais que c’était le sport le plus complet pour mon âge. Je venais de faire de l’équitation et de la natation, donc je me suis dit : autant changer. Ma mère aussi voulait me faire découvrir de nouveaux horizons donc je me suis dit : « Pourquoi pas un sport de combat ? »

Quand j’ai commencé je devais avoir six ans. J’en ai fait un an ou un an et demi, et j’en ai refait un an quand j’avais onze ans.

J’ai aussi fait du multisports, donc j’ai déjà fait du rugby, du baseball, des choses comme ça. Et jouer dehors au foot.

Qu’est-ce qui est différent pour toi entre un sport d’équipe, un sport individuel, et un sport de combat où on est à deux ?

Un sport individuel, tu ne comptes que sur toi, sur tes propres compétences, alors que pour un sport d’équipe, il faut compter sur toute son équipe, il faut s’adapter. Un sport de combat ce n’est vraiment que toi. C’est toi et toi. Après ça se joue avec ton adversaire.

On peut mieux évaluer son niveau, ses compétences, son évolution au cours d’une année. Moi perso je préfère. Pour moi c’est plus difficile de se faire évaluer dans un sport d’équipe, quand on n’a pas forcément l’équipe de rêve. Je ne trouve pas ça juste.

En sport de combat, il faut s’adapter à son adversaire bien sûr. C’est du travail. Tu t’adaptes à ton adversaire pour gagner mais ce n’est pas un handicap, au contraire. Alors que je trouve que dans les sports collectifs la plupart du temps c’est un handicap. Tu dois t’adapter aux autres mais au final tu n’es pas au meilleur de tes capacités.

Quand as-tu commencé la boxe ?

L’année dernière.

L’année d’avant, j’allais le samedi à Bobigny avec ma mère.

Quand je suis rentrée dans la salle de boxe à Bobigny, c’était impressionnant ! C’était vraiment impressionnant parce qu’elle est super grande, on voit le ring, on entend les bruits de sac, franchement c’est motivant.

Ma mère était ici (club Esprit Libre à Blanc-Mesnil) depuis trois ans, mais le samedi ils ne pouvaient pas toujours faire cours ici, donc ils allaient à Bobigny. Vu que j’habite à Bobigny, elle m’emmenait. Je ne faisais pas de sport l’année où elle m’emmenait – enfin si, je faisais de l’équitation- . L’année qui a suivi, c’était l’année dernière, je me suis dit : « Autant faire de la boxe », vu que je ne savais plus trop quoi faire. J’aimais bien, mais ça ne me captivait pas plus que ça. J’y allais pour y aller. Ce n’était pas ma grande passion. J’y suis allée de temps en temps, j’ai dû y aller huit fois dans l’année.

L’été dernier, pendant le ramadan je venais m’entrainer ici et j’ai bien aimé. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. J’ai bien aimé, je trouvais ça pas mal, même de s’entrainer quand on était à jeun, je ne trouvais pas ça fatigant, je trouvais ça intéressant. Sachant que ma mère est dans le milieu et qu’elle ne parle que de ça je me suis dit : « Je vais me mettre à boxe. » Ma mère m’avait dit : « Fais-en si tu veux. » J’avais répondu : « Oui, je vais voir. »Je ne savais plus trop quoi faire comme sport. Je détestais le sport, franchement. Je me suis dit : « Autant faire de la boxe. »

Je détestais vraiment le sport. J’en ai fait plein, mais je n’étais super pas sportive. Quand je faisais de l’équitation par exemple, je n’étais pas sportive. Je le faisais, j’aimais bien, mais c’était plus parce que j’aimais les animaux et l’ambiance. Je n’étais pas sportive, je détestais ça, je ne pouvais pas courir plus de dix minutes. Au sport, j’essayais tout le temps de trouver des excuses pour me faire dispenser, je détestais ! Je ne sais pas pourquoi. Parce que je me trouvais nulle, et je ne faisais pas le travail pour m’améliorer. Je ne travaillais pas ; du coup quand je devais en faire j’étais nulle ; du coup je n’aimais pas ; du coup c’était un cercle vicieux.

Donc après l’été, je me suis dit : « L’année prochaine, je ferai de la boxe. »

Et je m’y suis mise vraiment sérieusement.

Et au final, j’ai plus qu’accroché ; vraiment.

Le plus étonnant c’était que je me découvre des capacités. Franchement. J’ai découvert que je pouvais être souple, endurante un minimum. Ça me donnait une motivation, même par exemple pour perdre du poids. Avant quand j’essayais je n’y arrivais pas et là, je ne perdais pas du poids pour moi, mais pour augmenter mes capacités. Je me disais : « Si je perds du poids, je pourrais encore plus faire ça, je pourrais devenir plus rapide… » Et au final, je mangeais équilibré, je ne mangeais plus autant qu’avant. Sans m’en rendre compte en fait. L’esprit de compétition aussi … Oui, c’est ça qui a changé. L’esprit de compétition, c’est savoir pourquoi on fait du sport. Pourquoi on se dépasse. C’est vouloir se dépasser à chaque fois, et gagner. Je n’ai pas été confrontée vraiment en compétition, mais déjà le fait de se dépasser, presque de vouloir souffrir ! Mais d’aimer ça en fait ! Je trouve, oui, que c’est bizarre venant de moi. Je n’avais jamais senti ça. Pas du tout. Quand j’étais petite je faisais ça pour m’amuser, après j’ai détesté ça, et maintenant je sur-kiffe. Franchement, j’aime trop !

Je trouve que ma vie, elle s’est adaptée à la boxe ! Franchement ! Je ne pensais qu’à ça, je passais mes WE à des compétitions quand il y en avait, je ne regardais que ça, je ne m’intéressais qu’à ça. Ça a changé vraiment tout : mon alimentation, ma façon de penser. Oui, ça a vraiment tout changé. Je ne suis pas comme avant, je ne suis pas aussi faignante qu’avant. Je ne me considère pas comme sportive, mais je sens que je peux le devenir. Ça redonne franchement confiance en soi. Je trouvais que les sportifs avaient trop confiance en eux, mais maintenant je comprends pourquoi ; parce que tu te vois évoluer, tu le sens, et c’est ça qui est bien.

Au début de cette année, tout mon temps était consacré à la boxe. Après on m’a interdit de venir aux entrainements, on m’a dit que c’était du surentrainement. Je venais quatorze heures par semaine, j’enchainais parfois deux entrainements, quatre heures d’affilée, je ne mangeais quasi rien, je n’étais pas dans l’anorexie mais je mangeais moins, je travaillais. Je dormais plus, ça, je dormais plus ! Mais je boxais vraiment beaucoup plus : ils me voyaient tout le temps ! À un moment, Farah et Paly (entraineurs) sont venus me voir, ils m’ont dit : « On t’interdit de venir. Pendant deux-trois jours, on ne veut plus te voir. » Ça prenait tous mes loisirs, je n’allais pas aux anniversaires de mes potes parce que je me disais : « Je risque de manger, de prendre du gâteau ou des boissons. » Je ne sortais pas parce que je savais que j’allais manger ou parce que j’allais m’entrainer. Combien de fois j’ai loupé des sorties au parc d’attraction à Disney pour venir aux entrainements ou aux compétitions ! Oui, ma vie sociale au début de l’année, elle y est bien passée ! Au début c’était trop, vraiment. Après je me suis dit : « Il faut peut-être être plus rationnelle dans ce que je fais. » Je me suis plus raisonnée.

La seule fois où j’avais senti ça avant, c’était quand j’étais à fond derrière la cause animale, que j’étais devenue végétarienne, et que je ne pensais qu’à ça. C’était entre mes 11 et 14 ans. C’est les deux seules fois où ça me l’a fait vraiment : ça et la boxe.

Pour la boxe, j’espère que ça durera infiniment. J’aimerais bien élever mes enfants dedans.

Tu as déjà fait des compétitions ?

Non. Mais je suis allée en voir. J’aime trop, clairement ! Cette année, je devais en faire. Je m’étais inscrite, on m’a disqualifiée à cause de ma tenue. Mais vraiment c’est trop bien, j’aime trop l’ambiance, comment ça rend les gens, franchement. On est pire que solidaires, les personnes qui combattent elles kiffent ça… Je pense que ce qui est le mieux, c’est la préparation. Je suis contente de l’avoir vécue, parce que c’était trop bien ! Tu sais pourquoi tu t’entraines, tu t’entraines corps et âme, tu manges super bien, tu as du soutien, ça le mieux. Clairement, une fois qu’on m’avait disqualifiée, pendant une à deux semaines je venais à l’entrainement, mais je n’avais plus de motivation. J’ai recommencé à manger comme je mangeais avant, j’avais complètement perdu ça. Après, on est revenu me voir, me dire que ça ne servait à rien de baisser les bras. Donc je continue, mais dans le but de combattre plus tard, parce que sincèrement, si je n’ai pas ce but-là, je ne vois pas pourquoi je le ferai. Je ne pourrais pas en faire qu’en loisir.

Tu dis que tu veux que ça dure en boxe. Est-ce que tu t’es donnée des buts, des objectifs ?

Comme tout le monde : m’améliorer. Mais vraiment j’aimerais atteindre un niveau excellent. J’aimerais pouvoir rivaliser avec mes coaches ! Ça serait trop bien. Et après, partir à l’étranger et réussir à faire des combats, des bons combats. Même rentrer en équipe nationale, ça serait trop bien !

J’aimerais que ça reste une partie de ma vie mais je n’ai pas envie que ce soit mon métier et que toute ma vie tourne autour de ça. Ceux qui sont trop dedans, ils n’ont plus aucune vie hormis ça, et je n’ai pas envie que ça soit ça. J’ai envie que ça reste un plaisir, un loisir, mais que j’atteigne un niveau vraiment excellent, oui, ça serait bien.

Pour ça, il faut du mental. Et de l’entrainement. C’est tout. Quand on a le mental on a tout le reste : la motivation pour aller s’entrainer, la motivation pour bien manger, etc. Ça demande du mental, c’est tout. Avoir du mental, c’est arriver à comprendre pourquoi on se fait du mal. Parce que c’est un mal pour un bien. Il y en a plein qui détestent leur entrainement, même Mohamed Ali. Il a dit qu’il a détesté chaque minute de ses entrainements, mais qu’au final il savait très bien pourquoi il le faisait. Je pense que c’est ça, avoir du mental. C’est savoir pourquoi tu te restreins dans la nourriture, pourquoi parfois tu stoppes ta vie sociale, pourquoi tu dois t’entrainer. C’est ça, avoir du mental. Comprendre pourquoi on fait tout ça. Pourquoi on se prive.

Pour aller loin, clairement je suis prête à sacrifier ma vie sociale. Pas totalement, mais ce que j’ai fait au début de l’année, je pourrais le refaire. M’entrainer tout le temps, je pourrais le faire aussi, ce n’est pas quelque chose qui me dérangerait. Tant que j’ai un but, je ne vois pas où est le problème. Ce qui pourrait me freiner, c’est si ça met ma vie future en danger. Si ça perturbe mes études, ou ma santé. Si je vois que je commence à avoir des problèmes, je sais que c’est quelque chose qui pourrait m’en empêcher. Mais les dangers, tant que je ne les aurais pas vécus, je ne pourrais pas me dire : « Oui, je vais faire attention ».

Tu penses que le règlement va changer et que le voile ou une tenue adaptée va être autorisé aux compétitions ?

Ça me tient à cœur, mais je n’ai pas trop d’espoir là-dessus, parce qu’on a déjà eu les mêmes problèmes au foot, au karaté, dans plein de sports qui sont beaucoup plus réputés, donc je ne vois pas pourquoi ça changerait. Je me vois plutôt bouger à l’étranger pour faire mon sport. Clairement, ici, je n’ai pas trop d’espoir là-dessus.

À part Alice, ta mère, qui entraine au club, il y a d’autres personnes de ta famille qui font de la boxe ?

Tout le monde ! On fait tous de la boxe ! Ça vient de ma mère. Elle en fait depuis qu’elle est jeune et du coup mon petit frère a commencé ; à un moment, elle ne voulait pas que j’en fasse. Oui, bizarrement, c’est ce qu’on se disait aujourd’hui quand on arrivait. Quand j’ai eu dix ans, j’avais eu l’idée, je voulais en faire, j’hésitais entre le rugby, le foot et la boxe, c’était mon petit air garçon manqué, et elle ne voulait pas de la boxe. Elle me disait : « Non, tu vas te casser le nez… » . C’est bizarre, venant d’une boxeuse de dire des choses comme ça ! Et au final c’est elle qui m’a motivé à en faire ! Ma mère en a fait, mon petit frère en a fait, cette année mon tout petit frère en a fait, mon père en fait depuis deux ans et moi je suis arrivée en même temps que mon petit frère, un peu avant.

Mon père en fait plus pour travailler le cardio, ce n’est pas vraiment de la technique. L’année prochaine il compte améliorer sa technique ; mes deux frères c’est de la boxe française, ma mère est en full et moi j’ai plutôt fait du kick que du full cette année.

L’année prochaine je reste ici, il y a ma mère donc je viendrais souvent. Mais vu que je suis aussi chez les ados, et que la section s’arrête l’année prochaine, ils veulent nous transférer dans un club de thaï à la Courneuve. Du coup je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Faire ça à côté et venir ici quand il y aura les entrainements spécial compétitrices.

La boxe la plus complète, c’est la boxe thaï. C’est indéniable. Je n’en ai pas fait beaucoup cette année parce que je n’ai pas trop eu l’occasion, mais je pense que c’est la meilleure ; tout le monde le dira. Celle que j’ai le plus pratiquée, que j’ai préférée, c’était le kick. L’année prochaine, je compte bien m’améliorer en boxe thaï. Mais bizarrement, quand je m’imagine boxer en pro, je m’imagine boxer en kick et pas en thaï. Peut-être parce que je n’en ai pas assez fait et que je n’arrive pas à évaluer mon niveau. Je ne sais pas. L’anglaise pour moi c’est à côté. Je pense que si tu arrives à faire du kick ou de la muay en ayant une bonne anglaise, tu pourras faire des combats en anglaise à côté, mais pas que de l’anglaise.

Tu regardes souvent des combats ?

Je ne suis pas trop combat de boxe, je préfère les combats d’UFC (combats de MMA). Les boxeurs, je préfère m’intéresser à leur vie. Je trouve que leur vie est plus passionnante que leurs combats. Je découvre grâce aux films, aux documentaires ou biographies, à leurs livres. Oui, c’est ça que je trouve le plus intéressant. C’est là que tu comprends bien leur mental. En regardant des combats, certes tu vas comprendre leur technique, mais pas comment ils sont arrivés à ça.

Actuellement j’aime bien Tony Yoka, en boxe anglaise. Après, Mohamed Ali vraiment, et en UFC, comme tout le monde, Conor McGregor ! Comme femmes, il y a la copine de Tony Yoka : Estelle Mossely. Et en UFC, je trouve que les meilleurs combats c’est les combats de femmes, clairement. Mais non, je n’ai pas d’idole. Je regarde, c’est tout.

Le MMA (Mixed Martial Art) c’est le sport le plus complet que je connaisse ! Franchement. Je n’aimerais pas forcément en faire, enfin en loisir peut-être, mais pas forcément être dans une cage ! C’est impressionnant, ce sport. Il demande… c’est du surentraînement qu’il faut pour réussir à faire ce qu’ils font. Ça me tenterait d’essayer. Clairement. Je vais déjà améliorer mon niveau de boxe, et si dans quelques années je suis bien, pourquoi pas dévier vers du MMA ? En tous cas, j’aimerais déjà réussir à avoir un très très bon niveau de boxe et pouvoir faire des vrais combats.

Par contre, je n’aime pas le jiu-jitsu, ni le grappling. J’aime les combats MMA en UFC, mais dès que c’est du jiu-jitsu ou du grappling, je trouve ça ennuyant. Même le judo. Le judo j’aime bien en faire, mais à regarder, je trouve que ça n’à rien à voir avec un combat de boxe. J’étais aux championnats du monde, il n’y avait que les meilleurs, la crème de la crème, je regardais, j’étais là : « Oui, OK, c’est bien mais sans plus. » Pour l’instant, je préfère me concentrer sur la boxe, parce que je n’ai pas encore atteint le niveau que je souhaiterais atteindre.

 

le combat de Sabrina

Sabrina  monte sur le ring pour la première fois lors d'un championnat de boxe éducative, sous le regard de son entraineur Saïd Bennajem du Boxing Beats d'Aubervilliers.

Stéphane Olry suit la jeune jeune boxeuse et son entraineur durant leur échauffement, puis le combat.

Souhaitons à Sabrina beaucoup de victoires dans ses prochaines compétitions !

 

 

Images : Stéphane Olry

Montage : Cécile Saint Paul

Photos de Boxing Paradise

Boxing Paradise Corine montre les enfantspoursite

Regarde les enfants. Ce sont les enfants du soutien scolaire. Tous les mercredi ensemble, vous faisiez des maths, de la physique, des SVT, du français.

Boxing Paradise Herve regarde Safiatoupoursite

Assis dans l’escalier de la mezzanine, tu regardes les jeunes sur le ring. Leurs personnalités fleurissent sous tes yeux. La fille avec un visage comme en gribouillis toujours en pyjama qui se mue en cours d’année en puncheuse calculatrice. Le petit joufflu qui vient parce que son père l’amène, mais qui n’aime décidément pas ça. Les deux copines qui restent une heure dans les vestiaires pour discuter.

Boxing Paradise herve montre spectateurspoursite

J’avouerai aux spectateurs mon trouble face aux combats. Regarder deux hommes se frapper au visage, chercher le K.O., je dirai : c’est beau et dégoûtant.

Boxing Paradise luppercutpoursite

Tu envoies des séries de directs au foie. À force d’insister, Camille finit par se pencher. Tu vois l’ouverture, et bing ! Tu remontes avec un uppercut au menton. Tu recules d’un pas et surprends le regard étonné, presque peiné, de Camille, ses grands yeux embués de larmes. Camille ne s’attendait pas à ça de ta part. Tu as exulté pendant une semaine, le jour où tu as placé ton premier uppercut à Camille !

Boxing Paradise Ta part femininepoursite

Les filles, c’est les premières à l’entraînement. Elles savent qu’elles doivent s’entraîner plus dur que les hommes.

Pourquoi ?

Parce que face à elles, elles auront d’autres filles. Et que sur le ring, les filles elles ne lâchent jamais l’affaire. » Moi, ton ange gardien, je dis ça je dis rien : Ta part féminine, tu l’as trouvée dans la boxe.

Boxing Paradise tu cours aux buttes chaumontpoursite

Tu t’entraînes tous les jours. Tu te dis « Un moment de vérité. En montant sur le ring, je vais connaître un moment de vérité ». Tu cours aux Buttes Chaumont. Tu t’es acheté un podomètre. Tu mesures tes temps intermédiaires. Le nombre de foulées. Ton rythme cardiaque. Toi qui te voulais sans Dieu ni maître, tu t’es trouvé un chronomètre et un podomètre pour gouverner ta vie.

tu prepares ton combatpoursite

Tu ne veux pas monter sur le ring comme un petit quinqua avec son petit bedon moulé dans son maillot. Tu as commencé par te peser chaque semaine. Puis dans les vestiaires, à la fin de chaque entraînement. Les autres boxeurs te demandent : il te reste combien à perdre ? Tu te pèses tous les jours. Tu déjeunes, tu te pèses. Tu pisses, tu te pèses. Tu vas à la selle, tu te pèses. Bref, tu prépares ton combat, tu ne fais plus que ça. Pourquoi ?

emmene moi a 4 cheminspoursite

- « Apprenez-moi la boxe ! Moi aussi je veux me promener dans la foule comme un requin parmi les bancs de petits poissons ! Emmenez-moi à Quatre Chemins ! »

- « Viens bébé ! Quittons ce jardin de bobos !

- « Oh yeah ! Allons éclater la gueule aux djihadistes, aux marchands de sommeil, aux trafiquants de drogues et à la racaille ! »

La journaliste se pâme dans tes bras.

Boxing Paradise carsinomepoursite

« Carcinome hépatocellulaire » J’ai senti mes muscles se glacer Autour de ma colonne vertébrale. Ce n’était pas comme un coup de poing. Là, l’onde de choc s’est enfoncée jusqu’à la plante de mes pieds Et au-dessous encore. Cancer du foie.

Boxing Paradise mille etoilespoursite

Je me souviens de toutes les fois où j’ai pleuré. Ce n’était jamais parce qu’un poing m’avait frappé. Ceux qui m’ont fait pleurer ont toujours agi à distance.

Par un courrier m’annonçant un refus d’ouverture de droit-chômage. Par une main invisible : Celle de l’agent EDF coupant le courant dans notre maison, Sans prévenir, depuis la rue,obligeant ensuite ma mère à quémander dans leurs bureaux un rééchelonnement de sa facture. Oui, la vraie violence, elle se fait toujours à distance, Loin de tout risque de riposte, bien au-delà de la longueur de mon bras.

Mon adversaire, je le connais, à présent. Il est en dedans.

Photos : Pierre Grobois Photos : William Vainqueur

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Série de portraits pris à la volée par Stéphane Olry de ses camarades de la Boxe Loisir au Boxing Beats à la fin de la saison 17/18

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presse Boxing Paradise

Boxing Paradise Herve regarde SafiatoupoursitePresse écrite et audiovisuelle publiée à l'occasion de la création à la MC93 en septembre et octobre 2018


Un reportage de Pascale Sorgues pour le Journal télévisé de France Région 3, à 19h le 2 octobre 2018

 


hottellocritiques de théâtre par véronique hotte Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

https://hottellotheatre.wordpress.com/2018/10/07/boxing-paradise-texte-et-mise-en-scene-de-stephane-olry/ - respond

Boxing Paradise, texte et mise en scène de Stéphane Olry

Stéphane Olry et Corine Miret s’initient aux arts martiaux et aux sports de combat depuis dix ans – la boxe anglaise pour le premier et le Kick Boxing pour la seconde. Boxing Paradise, le dernier spectacle des deux tenants radieux de La Revue Eclair procède de deux années d’immersion au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

Dépaysement urbain et social pour ces artistes qui font œuvre singulière à travers la quête d’un théâtre documentaire, d’autofiction et de réalisation vidéo. Les clubs de sport de la Seine-Saint-Denis, entre le club de lutte des Diables Rouges à Bagnolet pour La Tribu des lutteurset le Boxing Beats à Aubervilliers pour Boxing Paradise, n’ont plus de secrets pour eux, hantés par les sportifs, leurs entraîneurs et coaches.

La passion des concepteurs consiste à pénétrer la connaissance de l’autre, à se pencher – un travail approfondi de réflexion et d’appréciation – sur les sports de combat dans le corps à corps d’une relation, un dialogue éloquent mais non verbal.

La scène significative, physique et mentale, serait la séance d’entraînement de boxe, une succession rythmée d’activités collectives, à la fois sonores et visuelles.

Stéphane Olry et Corine Miret ont assisté de jeunes pugilistes – garçons et filles – qui suivent des séances de soutien scolaire, le mercredi, avant l’entraînement : des collégiens, lycéens, mais aussi des jeunes travailleurs dont la boxe est la vraie vie.

Le club de boxe est un théâtre naturel et cinématographique, et les images vidéo donnent à voir les différentes phases et propositions d’un vif entraînement collectif.

Hervé Falloux, comédien et boxeur, est invité par un ange gardien, Corine Miret, la narratrice présente sur la scène, à attendre la décision qui lui échoit, paradis ou enfer. A la plus grande surprise du candidat, le paradis serait pour lui le club de boxe animé où il s’entraîne depuis trois ans, et l’enfer serait ce club encore, mais déserté.

L’occasion est belle de faire retour sur sa propre vie ; le film auquel le public assiste tout en gardant à proximité le comédien sur le plateau, son ange gardien à ses côtés, présente le sportif courant, sautillant, et tapant punching balls et sacs de frappe.

Un double regard pertinent– belle mise en abyme – puisque le personnage observe lui-même ses compagnons et compagnes d’entraînement, ajustant ses points de vue selon les scènes qui défilent sous ses yeux – le training, la préparation du match, le match, les spectateurs partiaux installés plus haut sur une galerie au-dessus du ring.

La violence – l’agressivité – est profondément ancrée dans toute présence corporelle humaine, et les sports de combat permettent de contrôler et sublimer cette pulsion :

« Nul ne peut prétendre être indemne devant le spectacle de la violence, même réglée sur le ring. Mais nul ne peut prétendre être indifférent : fascination et horreur, répulsion et sidération, plaisir et dégoût, enthousiasme et indignation. »

Ces mouvements agitent le corps social des spectateurs et traversent leur intimité.

Hervé Falloux est à l’image sur l’écran du lointain, et vivant sur la scène. Il raconte la perte paternelle quand il était assez  jeune, mort d’une maladie tue. Aujourd’hui, ses filles l’occupent ; l’une d’elles fait de la boxe, il l’a ainsi suivie dans ce choix. La part féminine de la boxe est évoquée à travers jupe de tulle et sautillements légers.

Nous ne dirons mots de la métamorphose éloquente de l’ange gardien, et nous apprécions la métaphore du Boxing Paradiseici-bas, soit la posture choisie et contrôlée d’un combat à préparer, à mener et à emporter – d’abord, contre soi-même face aux imprévus de la vie et face aux autres, ensuite, dans l’échange et le partage.

Les boxeurs sont des taiseux, tout se passe dans le corps à corps, les yeux dans les yeux ; chacun se retire, abandonne le partenaire, prend un chemin autre, fort de soi.

Hervé Falloux apporte une présence authentique, à la fois humble et vigoureuse, tandis que la digne maîtresse des lieux et ange gardienne articule sa démonstration.

Un spectacle captivant dont les enjeux raffinés touchent à la qualité de l’existence.

Véronique Hotte

MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, du 28 septembre au 7 octobre. Théâtre de la Poudrerie Sevran, le monologue Mercredi dernierde Corine Miret, du 12 au 14 octobre 2018, inspiré par les interviews des femmes avec qui elle a pratiqué le Kick Boxing pendant un an au Blanc-Mesnil.


Toute la Culture - Boxing Paradise, le dernier combat de Stéphane Olry & Corine Miret

3 octobre 2018 par Amelie Blaustein Niddam

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Deux metteurs en scène fous d’arts martiaux se prêtent au jeu du symbolique dans la salle Christian Bourgeois de la MC93.

C’est à une forme de théâtre documentaire très singulière que nous invitent, à l’écriture de ce Boxing Paradise, Stéphane Olry & Corine Miret, et, sur le ring,  Hervé Falloux et Corine Miret. La Revue Eclair est une compagnie très particulière qui fait du document une matière théâtrale sans premier degré.

Dans un huis-clos, l’homme attend des résultats. Mais les résultats de quel examen? La réponse arrive vite : son Paradis est un club de boxe. Car elle, et on l’apprend vite également est son ange gardien ! On y croit pas une seconde, elle planque un truc, et on ne vous dira pas quoi ! Son ton de voix, maternel et perché sonne faux. Elle va l’arnaquer, se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. Il le saura bien plus tard, tout à la fin des 1H30 de la pièce, après avoir revécu sa vie de boxeur.

La compagnie explore depuis trois ans les clubs de sports de combat en Seine-Saint-Denis. La lutte et le Kick Boxing et, aujourd’hui la boxe. Sur des écrans de fortune, composés de toiles en plastique vertes sont projetées les impressionnantes images des entraînements au sein du Boxing Beats d’Aubervilliers.

La rage des boxeurs, garçons et filles, tapant sur des sacs comme sur les autres selon des règles précises est en miroir opposé avec le jeu, ultra lent et calme qui pourtant nous parle d’un combat bien plus extrême.

Un exercice de style qui sait prendre de l’ampleur dans la progression de la pièce, au moment où les mondes fusionnent par l’irruption d’un drôle de boxeur, inerte celui-ci.



Un article de Jean-Pierre Thibaudat en page d’accueil de Médiapart :

https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/300918/corine-miret-et-stephane-olry-au-paradis-des-boxeurs

 Corine Miret et Stéphane Olry au paradis des boxeurs

Depuis trois ans, Corine Miret et Stéphane Olry fréquentent les clubs de lutte et de boxe de la Seine-Saint-Denis. Dernier volet de leur trilogie, « Boxing paradise », par le biais d’une fiction, nous entraîne au Boxing beat d’Aubervilliers.

Elle était danseuse, un accident a mis en sommeil sa carrière, elle est devenue comédienne. Il écrivait et jouait des spectacles depuis l’âge de dix-huit ans, dans les années 90 il s’est tourné vers la vidéo. Corine Miret et Stéphane Olry se rencontrent alors, et leur trajectoire prend un autre tour.

Kick boxing et boxe anglaise

Ensemble, ils tournent des cartes postales vidéo en Europe et dans le Moyen Orient, fondent la Revue éclair qui n’est pas une revue mais une compagnie, et bientôt ils mènent à bien, main dans la main, des spectacles qui ne ressemblent à rien de répertorié. Par exemple : Nous avons fait un bon voyage,un spectacle fait à partir de cartes postales trouvées ; La Chambre noire à partir d’archives familiales du grand-père d’Olry (officier de cavalerie) ; Treize semaines de vertu à partir d’un chapitre des mémoires de Benjamin Franklin ; Un voyage d’hiver à partir du séjour de Miret dans un village d’Artois où elle se coupe du reste du monde ; Les Arpenteurs, spectacle à épisodes où Olry et Miret entraînent des amis le long du méridien de Paris entre Dunkerque et Barcelone (lire ici) ; Une mariée à Dijon, spectacle éponyme du livre de MKF Fisher autour de la nourriture et de la cuisine (lire ici) ; Tu publieras aussi Henriette à partir d’un amour de Casanova (lire ici). Ils ont un sujet unique : l’aventure humaine, vaste sujet dont ils ne feront jamais le tour. 

Depuis trois ans, ils fréquentent des clubs sportifs du 93 (une action au long cours soutenue par le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis). Les lutteurs des Diables rouges, un club de Bagnolet, est à l’origine de La Tribu des lutteurs (lire ici) présenté au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Corine Miret a pratiqué le kick boxing durant un an dans un club de femmes du Blanc-Mesnil ; de là est né Mercredi dernier, un monologue inspiré par les interviews avec des femmes pratiquant ce sport. Il a été présenté au Théâtre de la poudrerie de Sevran et dans des appartements de Seine-Saint-Denis. Enfin, ils viennent de créer Boxing paradise à la MC93, suite à deux ans d’immersion et de pratique pugilistique au Boxing beat d’Aubervilliers, club mixte. Stéphane Olry, tout en suivant les entraînements et en pratiquant la boxe, a filmé la vie du club et les compétitions. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du sociologue Loïc Wacquant resté en immersion durant trois ans dans un club de Chicago (cf. son ouvrage Corps et Ame, carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, éditions Agone). C’est au Boxing beat d’Aubervilliers qu’a été formée Sarah Ourahmoune, médaillée d’argent aux JO de Rio en 2016.

A partir de ce matériau et de l’expérience d’entraînement qu’il y a menée à un âge respectable, Stéphane Olry a écrit une fiction. Ce que l’on ne voit pas dans Boxing paradise et qu’il n’a pas filmé, c’est le travail mené tous les mercredis pendant deux ans. En complicité avec l’entraîneur du club, Saïd Bennajem, Olry, Miret et des boxeurs bénévoles du club ont donné des cours de soutien scolaire aux jeunes venant suivre les cours de boxe éducative. A cela s’ajoute une enquête entamée il y a un an auprès de tous les jeunes qu’ils ont rencontrés dans les clubs sportifs de Seine-Sait-Denis « sur la violence, ou plutôt sur ce qu’ils ressentent comme violent ». Comment leur pratique sportive (lutte, boxe) « modifie leur regard sur la violence ordinaire, qu’elle soit verbale, institutionnelle, sociale, sexiste, raciste ».

L’attention pour autrui

Tout cela sous-tend et traverse en loucedé Boxing paradise. La fiction, plutôt classique, fait un peu penser à Huis-clos de Sartre : le héros (interprété par Hervé Falloux, vieux complice de la Revue Eclair) qui a un âge semblable à celui de Stéphane Olry, arrive au Paradis. Il est accueilli par l’ange-gardien (Corine Miret) qui doit s’occuper de lui et connaît tout de sa vie. L’ange lui explique qu’au paradis on vit dans le lieu où l’on a voulu vivre toute sa vie et ce lieu, pour ce qui le concerne, c’est une salle d’entraînement de boxe, le héros regrettant de s’être adonné à ce sport sur le tard. La ficelle est un peu grosse mais elle s’affinera au fil des échanges, particulièrement lorsqu’on apprendra le mal contre lequel le personnage a lutté avant d’être vaincu : le cancer. « Le spectacle se tient au bord du ring et de la vie », écrit Stéphane Olry.

Les deux acteurs sont sur le plateau et derrière eux plusieurs écrans nous montrent la vie du club de boxe. L’entraînement, les rings, un match acharné entre deux jeunes boxeuses amateurs. L’acteur figure sur les images de temps en temps. Tenant le rôle de Stéphane Olry, on le voit essayer maladroitement de sauter à la corde. Petit à petit, des accessoires de boxe viennent occuper le plateau. Mais le vrai entraînement filmé et plus encore le combat lors d’une compétition écrasent de leurs uppercuts le semblant du plateau contrairement à ce qui se passait dans La Tribu des lutteurs où l’entraînement mené sur la scène par les lutteurs était la colonne vertébrale du spectacle.

De ces trois années d’expérience, Stéphane Olry et Corine Miret ont tiré différents postulats où scène et ring font la paire. Par exemple : « Il est peu d’instants où on prend autant en considération autrui que durant un combat. Le mépris pour son adversaire ou son partenaire est immédiatement sanctionné. Cette extrême attention pour autrui qui est le moteur de nos créations théâtrales motive pour l’essentiel notre curiosité pour la pratique des sports de combat. » Ou encore : « Tout combat est décisif. En ce sens, le boxeur montant sur le ring a beaucoup à voir avec le comédien se produisant sur scène. L’un comme l’autre entrent alors dans une zone de vérité. »

Boxing paradise, MC93, mar et jeu 19h30, mer 14h30 et 19h30, ven 20h30, sam 18h30, dim 15h30, jusqu’au 7 octobre.

Mercredi dernier, reprise au théâtre de la Poudrerie de Sevran, du 12 au 14 octobre.


Jacquette de Bussac – Limbes-écrits

http://limbesecrits.over-blog.com/2018/10/de-la-boxe-comme-danse-et-inversement.html

 De la boxe comme danse et inversement

Publié le 7 octobre 2018

Dans nos batailles au quotidien, on se bat pour la survie, on se bat surtout et bien souvent, contre /avec soi-même.

En regardant, écoutant le spectacle « Boxing paradise » proposé par La Revue Éclair, je me dis bien sûr ! La boxe et la danse, se taire, s’épuiser, suivre aveuglément un coach, un maître à danser, s’entraîner sans cesse, au point que le club, le studio devient une deuxième maison, une deuxième famille, se droguer aux endomorphines, être seul(e) face à...soi-même, sa peur, sa faiblesse, son désir d’exister, d’être vu, c’est ça…

Cette écoute quasi maniaque du corps, de ses sensations,de son énergie, se peser avant après matin et soir, maîtriser la force, le poids, la fatigue, la douleur...Beaucoup de ces obsessions me rappellent la pratique de la danse. Les boxeurs sont des taiseux semble t il, ils parlent avec leur silence, leurs gestes, leurs corps, comme souvent les danseurs. Longtemps je me suis tue, la muette, l’autiste, tout bien fermé à l’intérieur, ça vous décuple la force physique.

La violence n’est pas dans les corps, ce spectacle très documenté nous le montre bien ; la vraie violence est sociale, on la subit tous les jours dans notre belle société démocratique, pas besoin de discours sociologique en regardant les vidéos filmées durant les séances d’entraînement du club, en voyant ces jeunes filles et jeunes hommes d’Aubervilliers se plier à la discipline du coach, rentrer la tête et protéger son menton, sautiller, trottiner, feinter, esquiver, suer, souffler, recommencer. Et la légèreté ? Oui il y a cette grâce du boxeur dansant, toujours en mouvement, qui échappe, se dérobe, jamais immobile ou c’est la fin du round !

Un beau moment de théâtre, qui m’a laissée un peu sonnée j’avoue, quand soudain la maladie s’invite sur scène, dernier combat à mener, métaphore ultime du désir de vivre, qui clôt ce moment de vérité sur scène.

Boxing paradise texte et mise en scène Stéphane Olry

avec Corine Miret et Hérvé Falloux

MC93 Bobigny

texte Mercredi Dernier

Corine Miret a écrit cette vraie-fausse Conférence sur la transformation de soi inspirée par les entretiens qu'elle a réalisées avec ses  camarades de kick-Boxing du club non-mixte Esprit Libre du Blanc Mesnil.

télécharger ici le texte de Mercredi dernier

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le spectacle a été créé et joué en 2017-2018 dans trente appartements de Seine Saint Denis avec le Théâtre de la Poudrerie