Rédigé par Corine le . Publié dans Interviews.

Interview de Rahmani (boxeur, lutteur)

Rahmani faisait de la boxe en Afghanistan, avant de s'exiler en France. En France il a rencontré des amis afghans licenciés en lutte à l'USMétro à Pantin. Il les a rejoint.

Je n’ai pas d’expérience de lutte.

Quand j’étais petit je faisais du taekwondo. J’avais treize, quatorze ans. J’en ai fait pendant deux ans. J’habitais à Parman, un petit village à quinze kilomètres de Kaboul. Il y avait un club à Kaboul.

Il y avait beaucoup de monde qui faisait du taekwondo. Les entraineurs étaient afghans.

J’étais à l’école. A côté il y avait un club de taekwondo. Avec mes potes on est allés voir l’entrainement. Ça nous a intéressé et je me suis inscrit là. Il n’y avait pas beaucoup de possibilités (pas de moyens) et j’ai arrêté. Ceux qui s’entrainaient avec moi sont maintenant des champions internationaux.

L’inscription ça coûtait à peu près cinq euros. C’est beaucoup.

Après j’ai pas fait de sport pendant dix ans. J’ai été à l’école.

Puis j’ai eu envie de faire de la boxe. J’ai commencé en cachette parce que ma famille ne voulait pas (Mon père et ma mère). Ils ne voulaient pas que je me blesse. J’avais vingt-cinq, vingt-six ans. Pendant sept, huit mois j’ai fait de la boxe en cachette.

J’ai été à l’école. Après j’ai travaillé pour les américains à la construction de bâtiments pour l’armée. Des hangars qui abritaient des dortoirs.

(Il montre une vidéo où on voit son équipe qui travaille à la construction de bases armées américaines)

Des hangars de vingt-quatre mètres de hauteur. Les américains donnent les plans et les afghans construisent d’après les plans.

Quand j’étais à Kaboul, je faisais les deux : je travaillais et je faisais de la boxe.

Quand j’étais ailleurs sur les bases (à Kandahar, Mazar-e-Sharif…) j’emmenais des gants de boxe et je m’entrainais de temps en temps.

J’ai travaillé sept ans pour les américains.

J’ai fait de la boxe pendant un an et demi. Je partais souvent de Kaboul pour mon travail et c’était compliqué donc j’ai arrêté.

Quand je suis arrivé en France, j’ai parlé avec Khalid qui fait de la lutte. Et je me suis inscris au club de lutte.

En boxe, j’ai fait quelques tournois. Quand je restais à Kaboul, je faisais de la boxe. Mais souvent je travaillais ailleurs dans d’autres villes en Afghanistan.

En octobre 2013, j’ai eu des problèmes et j’ai quitté l’Afghanistan. Je suis passé au Pakistan sans problème à la frontière. (Le Peshawar est une région où il y a beaucoup d’Afghans, c’est comme une partie de l’Afghanistan). Je suis resté six mois au Pakistan.

J’ai quitté le Pakistan pour l’Iran puis la Turquie.

Mon frère était policier en Afghanistan, c’est pour ça que j’ai eu des problèmes, pas parce que je travaillais pour les Américains. À Kaboul, j’avais pas de soucis, mais dans d’autres villes oui. On partait travailler dans les autres villes en avion pour pas avoir de problèmes. Pas en autocar. Si je suis dans un autocar et que les talibans savent que je travaille pour les américains, ils peuvent mettre une bombe. Si ils m’attrapent, ils peuvent m’égorger avec un fil.

J’étais à Karachi, j’ai parlé avec un passeur au Pakistan, je suis passé par Mandoboro (à la frontière entre le Pakistan et l’Iran).

J’ai passé la frontière entre le Pakistan et l’Iran caché dans le coffre d’une voiture. Nous étions quatre personnes dans le coffre de la voiture.

Il y a des gamins de dix ans qui quittent le pays. A dix ans tu peux avoir des problèmes en Afghanistan.

Je suis passé d’Iran en Turquie, puis en Bulgarie, en Serbie, en Hongrie, en Autriche, en Italie et enfin en France.

Le voyage a pris quatre mois depuis que je suis parti du Pakistan où je suis resté six mois.

En Bulgarie, j’ai été prisonnier pendant vingt jours.

A chaque frontière c’est un passeur qui me fait passer les frontières.

Tu négocies ton voyage au départ avec un passeur. Tu lui dis où tu veux aller et lui se met en contact avec son réseau de passeurs. Chaque passeur qui t’a fait passer une frontière contacte le suivant. Il l’appelle et il dit : « J’ai tant de personnes qui viennent de passer. Tu dois les récupérer » et l’autre passeur les fait passer la frontière suivante. Les passeurs se contactent entre eux. Ils te demandent : ton passeur (le précédent) il s’appelle comment ? Tu dis le nom et il te dit : OK c’est bon, tu montes et je te fais passer la prochaine frontière.

J’ai financé sept mille cinq cent euros pour le voyage jusqu’en France.

Tu finances le voyage et ils te prennent en charge.

Tu donnes l’argent du voyage à une personne de confiance de ta famille par exemple. Le passeur est en contact avec elle.

Si tu arrives à destination, tu appelles cette personne de confiance, tu dis que tu es arrivé à destination, et cette personne donne la somme convenue au passeur. Si tu n’es pas arrivé, le passeur n’est pas payé.

Les passeurs sont organisés en réseau. C’est une mafia. Toi tu payes pour l’ensemble du voyage.

Je voulais venir en France. Mon frère est en France depuis 2009. Il est à Pont-St-Maxence, vers Creil. Dans l’Oise. 60700.

En France je veux faire la boxe et la lutte. J’ai un bon niveau en boxe. Si je m’entraine à nouveau, je ferai des compétitions dans deux, trois mois.

Si c’est possible, je fais les deux.

En lutte, ça me prendra du temps, en boxe ça ira plus vite parce que je connais.

La lutte c’est dur physiquement. Si je reste sur Paris, je ferai aussi de la boxe.

La lutte c’est la force et la technique. Il faut les deux.

La boxe, c’est plus facile.

Chez nous les lutteurs font de la piscine pour faire de la cardio.

Quand j’ai fait de la boxe pendant une an et demi en Afghanistan, j’ai jamais rien eu physiquement, depuis que j’ai commencé la lutte, j’ai toujours mal : les genoux, les épaules.

Quand tu n’as pas d’expérience en lutte, tu es toujours au sol. Ils te mettent directement au sol.

Oui je me battais quand j’étais petit, pour avoir des chewing-gums, des cahiers, des stylos… On faisait des groupes qui se battaient l’un contre l’autre, on frappait les autres. Je me suis tordu le doigt en frappant quand j’étais à l’école. Je me battais depuis l’âge de dix ans jusqu’à quinze ans à peu près.

Quand j’ai grandi et que j’ai commencé la boxe, je ne me battais plus. Je suis devenu sage.

J’étais commandant dans une base de l’armée américaine ; j’avais soixante-cinq personnes sous mes ordres. En civil.

Je faisais de la boxe, sans casque. Avec un protège-dent. Le casque, tu le portes si tu veux. Ce n’est pas obligatoire.

La boxe c’est dangereux, si on te frappe sur la tête, ça tourne la tête.

Un jour j’ai été frappé à l’entrainement, l’entraineur m’a mis de l’eau sur le visage, pendant six à sept heures j’ai été KO.

Frapper à la tête c’est dangereux.

En Afghanistan, on peut te taper dans la rue, te battre, te frapper au sol. Personne ne dit rien. Si quelqu’un dit quelque chose, il se bat avec l’autre.

Quand j’ai grandi, je suis devenu sage. Je respectais les gens, les gens me respectaient.

Pendant le voyage jusqu’en France, je me suis bagarré une fois avec des Pakistanais.

C’était en Bulgarie, j’ai eu un problème avec des Pakistanais, j’ai commencé à les frapper, comme de la boxe. J’ai donné un coup, direct. Après des gens sont venus, ils nous ont séparé. Ils nous ont mis en prison. Je ne voulais pas me battre, mais c’est eux qui ont cherché la bagarre.

Maintenant, je veux oublier les bagarres, tout ça, j’ai vu trop de choses en Afghanistan, je veux être tranquille, sage, je veux vivre en France, je veux recommencer ma vie à zéro. Depuis ma naissance, j’ai eu des problèmes dans mon pays, les bagarres, la guerre, j’en ai marre. Je veux être tranquille. Je suis fatigué de la guerre (« djang » en darsi)

Il y a la guerre depuis quarante ans chez nous, contre les russes, guerre civile, les talibans…

Quand j’étais à l’école quand j’étais petit, dans les livres, il y avait des images de bombes, de choses militaires : « ne touchez pas de mines, ça peut exploser » etc. Chez nous il y a beaucoup d’handicapés à cause des mines.

On nous apprend beaucoup de choses sur la guerre quand on est petit chez nous.

C’est à cause du Pakistan. Ils ont fait n’importe quoi chez nous.

Le sport, je le fais pour la santé. Ça n’a rien à voir avec la guerre. Pour la guerre tu n’as pas besoin de faire du sport. Tu peux aussi sportif que tu veux, ça n’empêche pas qu’on te tue directement.

Ici si je fais du sport, c’est pour la santé, c’est un plaisir, tu n’es pas malade quand tu fais du sport.

Et si tu gagnes des compétitions, tu peux être célèbre.

Quand je faisais du sport, je n’étais pas malade, depuis que je ne fais plus de sport, j’ai des boutons sur le visage, je dois avoir des piqûres, j’ai tout le temps quelque chose.