Rédigé par Stéphane le . Publié dans Fil rouge.

Un assaut

J’ai commencé à participer comme bénévole aux cours de soutien scolaire que le Boxing Beats organise pour les jeunes boxeurs dans la salle au dessus des deux rings de la salle d’entrainement.

Je me rends donc à cet effet au club tous les mercredi après-midi.

Othman, j’ai mis du temps à comprendre qu’il ne comprenait pas ce que je lui disais. C’est pas que c’était bien compliqué ce que je lui disais, mais les mots, il ne les avait pas. « Une herse ? Tu vois ce que c’est ? C’est une grille pour fermer un château-fort. On fait tomber la herse devant les types qui veulent envahir le château fort. »

-       « c’est quoi un château fort ? « 

Othman m’a dit qu’il est arrivé de Casa il y a trois mois. Je m’en veux de ne pas avoir compris plus vite qu’il comprenait aussi mal le français.

Sur le ring, il est concentré, sérieux, appliqué. Il cogne avec élégance.

Frankie, à la fin du cours, nous dit :

« Les gars, excusez-moi, aujourd’hui, j’y étais pas. J’ai pas mis le rythme. J’y étais pas. Désolé. »

C’est la première fois de ma vie que je vois un professeur s’excuser.

Faizzi, avec qui je faisais binôme, un homme un peu âgé, râblé, moustachu, était désolé par mon uppercut. Il me disait : « vas-y, montre-moi, fais-moi un uppercut. ». Je lui faisais un uppercut. Il semblait accablé par mon interprétation de l’uppercut. « C’est pas ça. Non c’est pas ça. Tu fais ça. Mais c’est ça. Tu vois ? Ça part de l’intérieur. » Il me montrait « Regarde ». Je regardais. « À toi. » je lui refaisais un uppercut. Il hochait la tête, attristé : « Ah, non. C’est vraiment pas ça. C’est de l’intérieur. Le mouvement, tu vois ? De l’intérieur. » Je refaisais un uppercut et lui regardait le geste avec le regard d’un médecin devant les symptômes évident d’une maladie incurable.

Sébastien aussi, il avait un drôle de regard ce soir. On se tenait avec Hervé à Quatre Chemins, nos vélos à la main après le cours. Sébastien nous a raconté :

-«  Ça a commencé à quatre heures du matin. Des coups. Des détonations dans la rue. Au début, j’ai cru que c’était un type qui marchait dans la rue et qui tirait des rafales sur les façades au hasard. J’avais l’impression qu’il allait, qu’il venait, ça s’approchait, ça s’éloignait. Nos fenêtres, elles donnent sur la cour. On voit qu’un tout petit bout de rue au travers du porche. De ma fenêtre, je voyait que des ombres, des gyrophares. Et puis ça tirait. Un feu roulant de tir. Toute la maison tremblait. On a allumé la radio, on a allumé la télé, on a allumé l’ordinateur. On s’est dit qu’on allait avoir des infos sur ce qui se passait dans notre rue. Mais personne parlait de rien nulle part. J’ai appelé le commissariat de Saint Denis. Au début, personne ne répondait. Et finalement, je suis tombé sur une fliquesse. Elle avait l’air aussi affolée que nous. « Ah, oui oui, je confirme. Dans votre rue c’est bien là que ça tire. Ce qu’il faut que vous fassiez ? Ben rien. Restez chez vous. Fermez votre porte à clef. Laissez personne entrer chez vous. Fermez vos rideaux. Fermez vos fenêtres. Éloignez-vous des fenêtres. Éteignez toutes les lumières. Et attendez qu’on vous dise pour sortir. »

Finalement, c’est à la télé qu’on a compris ce qui se passait. Ils montraient des images de notre rue et disaient les terroristes étaient réfugiés là.

On a pas bougé. On est resté enfermé dans la maison. Ça a duré. Ça a duré quatre heures. Chaque fois que je me pointais dans l’escalier, les flics nous disaient, « Retournez chez vous.  On vous préviendra quand c’est fini. » Personne nous prévenu quand ça a fini, mais comme il n’y avait plus de tir et plus de flics dans la cours, on est sorti. Devant la maison, il y avait un embouteillage de camions régies. Des journalistes partout qui parlaient avec un micro à la main devant l’immeuble à cent mètres en face, dévasté, criblé d’impacts. C’était comme si d’un coup, à Saint Denis, on était devenu le centre du monde. »

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