Rédigé par Stéphane le . Publié dans Fil rouge.

Mon premier cours au Boxing beats

Je n’en menais pas large.

Drôle d’expression.

J’en menais étroit, donc.

J’ai bien vérifié la liste d’équipement.

Johnny m’a donné ses gants de boxe. Ceux qu’il utilisait avant son accident.

Corine m’a conseillé une boutique spécialisée dans la boxe. Sport 7 à Gambetta.

Dans la boutique, une jeune fille était venue avec sa mère prendre son équipement. Un pack à 40€ pour la boxe française.

Moi, j’ai acheté des éléments dépareillés : un protège-dents, des bandes.

L’après-midi, je suis parti avant la fin de notre réunion de travail à la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile-de-France. Je n’avais pas la tête à argumenter. Je suis rentré chez moi. J’ai préparé mon sac. Sébastien m’avait dit : « Faut pas la ramener. Les autres boxeurs, ils t’observent. Ils sont gentils. Mais ils veulent savoir à qui ils ont affaire. Avant de combattre, on ne peut jamais savoir. On a tous des préjugés. Viens bien en avance pour t’inscrire. Le cours, il commence à l’heure tapante.»

J’ai pris un tee-shirt noir, sans inscription. Des chaussures de sport achetées il y a des années pour une compétition de tai-chi. Un pantalon court en lin vert.

Il faisait beau alors que je pédalais le long du canal.

Quand je suis entré dans la salle, elle était vide.

Je suis monté à l’étage. J’ai croisé Sounil qui discutait avec un autre entraineur. Je l’ai salué, mais il ne m’a pas reconnu. La secrétaire du Boxing beats prenait les inscriptions dans le bureau d’à côté. Je me suis assis devant le bureau. J’ai donné mon certificat médical, un chèque de 180€.

-       « vous voulez qu’on attende la fin du mois pour le tirer ? Vous pouvez payer en plusieurs fois aussi, si c’est plus pratique pour vous ? » m’a proposé la secrétaire.

Je préférais payer d’un coup. Pour ne pas être tenté de revenir en arrière. Pour m’investir, à proprement parler. Commencer la boxe à cinquante-deux ans, c’est un peu ridicule. Alors, il faut que j’assume.

Dans la cour séparant le Boxing beats et les Laboratoire d’Aubervilliers, je consultais mes spams sur mon potable quand Sébastien est arrivé.

Nous sommes retourné dans la salle ensemble. La secrétaire avait descendu son bureau à l’entrée de la salle. Sébastien a rempli ses formalités.

Dans le vestiaire, Sébastien m’a montré comment bander mes mains. Ces bandes blanches sur mes mains, ça me rappelait quand je m’étais brûlé les deux mains avec de l’huile bouillante durant mon adolescence. Un homme à la barbe poivre et sel se confectionnait un magnifique bandage enlaçant ses phalanges, son poignet, son pouce. Je me suis dit que j’allais l’imiter la prochaine fois, et aussi que je n’étais pas le seul vieux. Un couple de très jeunes gens me semblaient eux aussi tombés du nid de la boxe. Des comédiens de la brigade du Théâtre de la Commune. Mignons, gauches et très intimidés eux aussi.

L’échauffement, au Boxing beats comme dans les stages de clowns, c’est un moment où on se dit jusqu’ici tout va bien. On peut se fondre dans la masse. On aime bien quand ça dure. C’est toujours ça de fait.

Quand on a répété les enchainements dans le vide, un garçon avec une barbe pointue, longiligne, tout de noir vêtu comme un diable s’est posté face à moi. Il m’a corrigé et encouragé. Bon, ça ne se présentait pas si mal.

Lors des enchaînements à deux : « droite, gauche, droite, droite » « gauche, droite, retrait, droite » Sébastien et moi nous mîmes en tandem. Le protège-dent au début, je me suis dit que je ne le supporterai pas. J’avais des hauts le cœur avec ce truc dans la bouche. On finit par l’oublier m’a dit Sébastien. Je n’ai pas répondu. C’est difficile de dire quoi que ce soit avec un protège-dent.

La première fois que j’ai vu A*** avec un protège-dent j’avais été étonné de voir comment ça modifiait son visage. Elle qui présente un visage d’ordinaire avenant avait soudain avec ce prognathisme une tête butée, renfrognée, concentrée.

Le casque, je n’en n’avais pas. Sébastien portait le sien. C’est très désagréable, m’a-t-il dit. On se sent enfermé. Ça pue. On entend plus rien. Cela dit avec son casque noir qui s’agitait devant moi, il offrait un objectif réaliste à mes coups. Je savais où viser. Enfin, pour autant que mes coups aient une chance de passer la barrière de ses gants.

Les coups de Sébastien en revanche faisaient mouche. Sur le moment, ça étonne. La douleur, on la sent après. Ça étonne encore plus. Je n’ai pas trouvé ça si humiliant que je craignais, mais je voyais que Sébastien faisait attention.

Lorsque nous avons changé de partenaire, j’ai constaté la même prévention chez mon nouveau partenaire. Au moins au début. Mais de fait, tout le monde prend l’autre en considération quelque soit son niveau. On ne peut pas faire autrement. Les anciens se méfient toujours particulièrement des débutants. Comme on tape n’importe comment quand on est débutant, il peut toujours y avoir des mauvaises surprises.

Le casque offre un certain anonymat. Ce que je voyais de mon partenaire, c’étaient ses yeux et ses poings. Du coup (drôle d’expression aussi !), du coup le style de chacun apparaît. Mon partenaire avait des yeux en amande. Des cheveux très noirs. Il était très ramassé. Il portait des crochets qui contournaient ma garde comme des arabesques.

La garde en boxe me semblait frustre. On monte les deux poings et on laisse l’autre taper dans les gants dressés comme un rempart. Les coudes ramassés devant le foie. On n’accompagne pas le mouvement de l’autre comme j’apprends à faire en tai-chi depuis sept ans. On encaisse.

Enlever le protège-dents – boire – remettre le protège-dents, avec les gants ce n’est pas commode du tout. Remettre le gant gauche avec la main droite déjà gantée aussi, ça demeure une sorte d’Annapurna à gravir pour moi.

Sauter à la corde, je ne sais pas. Je n’ai jamais sauté à la corde de ma vie. L’école où j’allais n’était pas mixte, et la corde à sauter c’était pour les filles. Il faut que j’aille m’acheter une corde à sauter pour apprendre. Je me demande bien où je vais m’entrainer. Dans le jardin où je fais du tai-chi, j’ai un certain prestige auprès des jardiniers avec mon sabre et mon épée. Avec ma corde à sauter, il faudra que je vienne très tôt.

Le cours finit par le gainage. Les abdos. C’est sûr, là encore j’ai du travail. Les pompes, ce n’est pas ma pratique… Les bras au tai-chi, ça travaille très peu.

D’ailleurs mes courbatures aujourd’hui, c’est surtout aux bras. Dans les jambes aussi, mais je sens que ça va disparaître vite.

Bon, ce matin, assis à cette terrasse de café, je ne me sens pas ankylosé, moulu, laminé comme je m’étais senti quinze jours durant après la séance d’initiation à la lutte aux Diables Rouges. Là j’avais eu le sentiment d’être passé dans une essoreuse. Le lendemain, c’étaient les ecchymoses qui étaient douloureuses, quelques jours plus tard les muscles de plus en plus profonds qui me faisaient souffrir et pour finir jusqu’aux os j’avais eu mal.

De retour dans la nuit, sur mon vélo, le long du canal, je me sens heureux de cette soirée. C’est souvent sur mon vélo que je me sens heureux.

Boxe