Rédigé par Stéphane le . Publié dans Fil rouge.

Frapper l’autre à la face

Je raconte que je fais de la boxe. Mes amis sont intéressés. Curieux.

-«  Ça fait quoi de recevoir un coup ? »

- « Ça fait mal. »

- « Et ça te fait quoi de donner des coups ? »

Sans attendre ma réponse :

« … moi je pourrais jamais taper sur le visage de quelqu’un. Viser son nez ou son menton ou sa tempe. Là où c’est le plus fragile. Risquer de lui briser le nez, ou une dent. Viser les zones fragiles, vulnérables d’autrui, c’est violent. Moi, je pourrais pas ».

Je leur fais remarquer que sans expérience de la chose, peut-être leur conclusion est-elle prématurée. Peut-être trouveraient-ils au contraire un plaisir inconnu d’eux. Je leur suggère de venir assister à un entraînement. De mettre les gants. Pour voir.

Moi, c’est souvent que j’ai envie de frapper quelqu’un au visage. Je marche dans la rue. Je croise un homme. Souvent un type de mon âge. Avec des lunettes de corne noire, une barbiche bien taillée, l’air content de lui, quinquagénaire, sans doute artiste. J’imagine l’uppercut que je pourrais lui coller au menton. Ou le direct dans le nez. Oui, c’est souvent que j’ai ce genre de pensées dans ma tête.

Suis-je le seul possédé par tant de mauvaises pensées ? Pourquoi les gens se sautent-ils si rarement à la gorge ? Les chiens qui s’aboient dessus sitôt l’approche d’un de leurs congénères me semblent plus francs à cet égard.

Hier, j’ai boxé contre Khan. Il est réfugié, afghan, et ne parle que pachtoun et anglais.   Il ne porte ni casque, ni protège-dent. Il a une garde très basse. Je ne parviens pas bien à évaluer son niveau. Je le touche plusieurs fois avec facilité. Mon poing s’écrase sur son nez, sur ses lèvres. Mais il n’a pas peur d’encaisser. Au contraire, il m’incite à ne pas craindre de poursuivre. N’empêche que je manque d’enthousiasme à le contenter. Je sais que son visage est fragile, que s’il se mord la langue, le dommage ne sera pas facilement réparable. J’évite de le frapper au visage, je préfère viser le front, les tempes, le ventre. Son visage me semble, d’une certaine façon, sacré.

Manel, quand nous l’interviewons nous confesse que c’est ce qui lui fait le plus peur dans la boxe. Elle déteste être frappée au visage. Ça la fait sortir d’elle-même. Elle entre alors dans des rages inextinguibles. Elle se dit bagarreuse. Dans la rue, elle va vite à l’affrontement. Mais dans ces cas-là, dit-elle, elle tape la première, vite et fort, pour ne pas prendre le risque de recevoir de coups au visage.

Il y a quelques années de ça, un dermatologue m’a opéré d’une sorte de grain de beauté pré-cancéreux au visage. Il m’a insensibilisé, et puis j’ai vu le bistouri s’approcher de ma joue. J’étais furieux. Immobile, impuissant, subissant une violence à laquelle en plus j’acquiesçais. J’étais bien obligé d’acquiescer. Il m’a pansé le visage, ensuite j’ai payé l’opération à sa secrétaire. Mais quand j’ai serré la main au dermatologue, j’aurai aussi bien pu le tuer sur place.

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