Rédigé par Stéphane le . Publié dans Fil rouge.

Cour de récréation

« Il y a une fille à l’école, elle me traitait comme sa chienne. Elle me volait mon manteau et le jetait dans les flaques d’eau » nous confie une jeune boxeuse.

Cette confidence ramène à ma mémoire un souvenir enfoui. J’étais au lycée Charlemagne, établissement d’élite, paraît-il, de la république. En cinquième. Dans la cour de récréation. Un garçon – j’ai oublié son nom – avait saisi la poignée du cartable que je portais dans mon dos. Il s’amusait à me faire tourner autour de lui, comme un avion sur un manège. Je trouvais le jeu curieux, mais amusant, voire grisant. Soudain, il lâcha la prise et, emporté par la force centrifuge, je m’écroulai au sol. Le garçon saisit à nouveau en riant la poignée du cartable et recommença le même jeu. Je supposai qu’il m’avait lâché la première fois par inadvertance et me prêtai à nouveau au jeu. Il lâcha à nouveau sa prise, alors que mon orbe passait à proximité d’un arbre, contre lequel je m’écrasai donc. J’étais sonné quand il saisit à nouveau la poignée de mon cartable, et c’est en entendant mes camarades protester « Allez, laisse-le » que je compris que ce n’était pas un jeu.

Ils avaient assisté jusqu’ici à la scène en riant, comme à un bon spectacle où Guignol se fait bâtonner par le gendarme, ou comme les spectateurs d’un combat de boxe, excités mais un peu gênés par l ‘inégalité du combat.

« La violence, c’est quand l’agression est répétée. La violence, ça insiste» m’a dit Saïd, le coach du Boxing Beats, alors que je l’interrogeais sur ce qu’il définissait pour sa part comme violent.

Je me demande si une violence dont on n’est pas conscient est une violence. Ou si les agressions les plus violentes ne sont pas précisément celles dont on n’est pas conscient.

Dans la même cour de récréation où s’ébattaient les futures élites de la France, sans doute au pouvoir de nos jours, un de mes camarades se planta devant moi, un jour, l’air faraud :

A l’évidence notre dialogue n’avançait pas beaucoup. Il cherchait à m’insulter. À m’embarquer probablement dans une bagarre. Mais j’étais à mille lieues de sentir l’aiguillon. D’abord parce que ma sœur n’avait aucune chance de descendre des squats autonomes de Belleville où elle préparait l’insurrection à venir, et d’autre part parce que, dans mon éducation, il avait été glissé que la prostitution n’était pas une activité si honteuse que semblait le croire mon camarade. S’il m’avait dit : « J'ai vu ta sœur, elle sortait des bureaux des RG à la préfecture de police » il aurait eu beaucoup plus de succès dans sa provocation.

En écrivant ces lignes, je réalise que je me suis mieux sorti de cette agression que de la précédente. Peut-être parce que j’étais plus à l’aise dans le domaine du symbolique que du corporel.

Je ne sais pas.

Je me demande aussi ce qui me valait ces agressions de la part de ces garçons on ne peut plus normaux. Je me dis que le fait d’avoir des cheveux longs et un corps plutôt gracile me faisait identifier, dans cette cour de collège uniformément masculine, à une fille. Donc à une victime naturelle. Peut-être aussi le fait de ne pas m’être fait de nouveaux amis en sixième ne m’aidait pas, en me laissant isolé, donc constituant une cible facile.

Les springboks sont des antilopes d’Afrique du sud. Quand un guépard rôde autour d’un troupeau, des springboks sautent en l’air, le plus haut possible. Certains bonds peuvent mesurer jusqu’à quatre mètres.

Le guépard évalue le saut. Il mesure la dépense d’énergie qu’il lui faudra pour en attraper une. Et comme il a observé que neuf courses sur dix sont vaines avec les springboks, il lâche l’affaire, et va chercher plus loin des proies plus faciles.

« Sautillez ! » nous intime régulièrement Franky durant les entraînements de boxe.

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