Rédigé par hervé le . Publié dans Contributions.

TXT la Lutte - Hervé

Quatre  textes de Hervé, contribution à la réunion du Cercle du 1er juillet. (il y avait aussi des dessins)

Thème de la réunion : dans la lutte, qu'est ce qui vous a saisi?

 Herve recadrejardincommunepoursite

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La lutte ou la recherche de la mort.

Voir ces corps se saisir, essayer des prises, se faire tomber, provoquer la « Mort symbolique », recréer l’image de la domination (le vaincu sur le dos, le vainqueur sur lui), puis recommencer encore et encore; Cela me fait penser à l’ambivalence du joueur. Cherche –t – on à gagner ou à perdre ?

Dans l’entrainement à la lutte, l’échec est obligatoire, comme à un jeu des « 1000 € » sans fin ou une inévitable mauvaise réponse éliminera le candidat. En se jetant indéfiniment sur son adversaire, il y aura un moment où la « mort symbolique » sanctionnera un moment de fatigue, d’inattention, de lassitude face au combat, ou la dextérité de l’adversaire sera fatale. La mort est là inévitable et recherchée.

Alors se relever, dire qu’on est vivant, qu’on accepte la mort, qu’on la défie, qu’elle ne fait pas peur.

Se relever et repartir au combat comme Sisyphe roulant sa pierre, comme chacun de nous roulant sa vie.

Que restera –t-il de ces heures d’entrainement ? De la sueur, de l’effort jeté à la face du monde. Le sentiment qu’on a vaincu la mort encore une fois encore un jour. La camaraderie aussi et surtout peut-être.

Si quelques médailles viennent émailler leur vie alors souvenirs, nostalgie, poussière, effacement. Qui se rappelle du dernier champion du monde de lutte ? Personne. Médailles inutiles comme nos vies.

 

2

Compétitions

Je viens de courir les 10 kms du 19ème, l’après-midi je me rends à une compétition organisée par les Diables Rouges de Bagnolet.

Qu’est ce qui me pousse à courir, qu’est ce qui les pousse à combattre ?

Pourquoi avoir mal aux jambes, manquer de souffle ?

Pourquoi subissent ils ces torsions des bras, des cervicales, des jambes ?

Pourquoi souffrir ?

Ma compétition, leur compétition, c’est la recherche de l’exploit dans la douleur donc. Se dépasser. Pousser les limites des corps plus loin toujours plus loin. Faire de ce dimanche anodin, un dimanche d’exception. Un dimanche marqué d’une pierre blanche, un dimanche extraordinaire, actif. Un dimanche où le poulet haricot vert n’est pas de mise. Ce dimanche 24 mai 2015 devient un jour vécu, un jour qui laisse des traces, des bleus, des courbatures. Un jour qui nous fait émerger de la grisaille et de la monotonie du quotidien. Le quotidien m’emmerde. Ce jour devient un moment de mon existence, de leur existence. Un rêve, un émerveillement.

Il y aura du grain à moudre et de la nostalgie, des motifs de satisfaction et de frustration pour alimenter les jours suivants.

-Pourquoi n’ai je pas accéléré au début du 10ème km ?

-Pourquoi n’a-t-il pas vu venir cette prise ?

-Pourquoi n’a-t-il pas résisté à la torsion à la poussée de l’adversaire ?

-Quel sprint final, jamais je ne m’en pensais capable.

-Quelle feinte, quel instinct d’avoir poussé à ce moment précis, d’avoir retourné la force de l’adversaire contre lui.

J’ai toujours pris la représentation théâtrale comme un sport. Concentration extrême, dépense physique, introspection, écoute du public et des partenaires. Le théâtre peut être un sport de combat ou une course, une longue course sans fin.

 

3

Putain de cervicales

Ca se passe là, au niveau de la nuque, les prises, les clefs, les immobilisations. Là sur 10 cms maxi. L’endroit est fragile, vulnérable, entre la tête et les épaules, entre la pensée et le corps. Le cou, c’est la partie qu’on protège à chaque fois qu’on prend un nourrisson dans les bras.

Alors les lutteurs le musclent, le renforcent, l’entrainent aux pressions, aux torsions aux chutes. Des cous de taureaux ça devient, des cous à ne pas laisser une main trainer dessous et je ne parle pas des bras.

En Russie, les Barzoïs rattrapaient les loups à la course et leur brisaient l’échine, ils enserraient la nuque des loups dans leur mâchoire et la brisaient. J’ai toujours eu l’image d’une course dans un petit bois clairsemé comme celui qui jouxtait la maison où j’ai passé mon enfance. Dans ce bois de bouleaux aux troncs noircis par l’hiver, la course avait lieu. Pas de meute : un combat à armes égales entre deux animaux, pour la vie, pour la gloire. Le loup s’enfuyait devant son adversaire, il connaissait le terrain, les chemins où prendre son élan, les dénivelés, les endroits plus touffus pour reprendre haleine. Rien n’y faisait le Barzoï finissait toujours par le rattraper, arrivé à sa hauteur, il lui brisait la nuque sans autre forme de procès. L’animal s’affalait dans la neige, une poudre blanche volait autour des combattants, le Barzoï se relevait noble, élancé, vainqueur. Aucun râle ne sortait de la gueule du loup, juste du sang qui se répandait sur la neige devenue noire.

J’avais 6 ans je crois, j’étais à la période des questions et des « pourquoi » (Pourquoi ci, pourquoi ça et c’est quoi ça….) Passant en voiture avec mon père devant une maison de ville entourée par un grand jardin, je lui demandais après une série déjà longue de  « pourquoi ». Cette maison là-bas c’est quoi ? C’était une maison anglo-normande assez haute et sombre. Un de ses côtés était recouvert de bois. Des pins maritimes la masquaient quelque peu. Mon père répondit : « Ca, c’est la maison du loup. » Je restais pétrifié à l’arrière de la voiture. Je passais durant les années suivantes, 4 fois par jour devant « la maison du loup » pour me rendre à l’école. 4 fois par jour, pendant des années à l’approche de cette maison, je me taisais la peur au ventre. A chaque fois que je repasse devant cette maison maintenant rénovée, je pense à cette histoire.

La lutte me rappelle les règlements de compte à la récré, ou derrière les Tamaris un peu à l’écart du grand toboggan et du bac à sable. Oui, quand j’étais enfant, c’était là le lieu où on réglait les différents, les embrouilles.

Souvenir de corps à corps, de chutes et roulades au sol, d’immobilisations. Dans ce sport, pour se dégager d’une prise on essaie d’enlever les doigts de ces putains de cervicales. Voilà c’est simple comme des bagarres de gamins. Des bagarres de gamins élevées au rang de sport avec ses prises, ses codes, sa science empirique. C’est primitif, instinctif, enfantin.

 

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TXT 4 Lutte

Je n’ai pas envie de relire mes notes sur la réunion qui clôt momentanément le travail sur la Lutte. Simplement faire appel aux souvenirs. Aux phrases qui trottent dans la tête, comme celle-ci : «  Quand il y a de la pauvreté, il y a de la lutte ».

Il y a des sports de riches et des sports de pauvres comme Il y a des villes de riches et des villes de pauvres, ou bien encore des plages pour les riches et d’autres pour les pauvres. Tout est sciemment organisé. Berck page et le Touquet plage sont côte à côte mais ne se fréquentent pas. Dans le 19ème sur le quai de Loire, il y a d’un côté de la rue, les bobos qui jouent à la pétanque et de l’autre, les habitants noirs des HLM qui jouent au foot sur un terrain en herbe synthétique bien aménagé et bien grillagé par la Mairie de Paris. Deux mondes totalement différents : chacun son langage, sa façon de s’habiller, ses codes, ses mondes de vie. Une rue s’épare ces 2 mondes. 5 mètres qui forment une frontière bien visible.

Les Lutteurs : Les damnés de la terre. Encore un souvenir d’enfance : Dans les années 70, la Lutte figurait en bonne place dans les ASU ou les centres aérés et sportifs gérés par le PCF. C’était le sport qui faisait la fierté du prolétariat. Un emblème éponyme de la « lutte » des classes. Il fallait être fort comme les grands frères de l’Union Soviétique. L’Homo Soviéticus se devait d’être taillé dans le granite pour conquérir cœurs, âmes et consciences. Elle est bien loin cette propagande naïve et bon enfant des petites villes communistes des années 70. Bien loin aussi la scène de « Love » le film de Ken Russell, dans laquelle 2 aristocrates anglais luttaient entièrement nus devant un feu de cheminée dans un salon victorien sur des tapis persans. Les civilisations s’écroulent et la lutte reste. Elle traverse les siècles. C’est réconfortant de savoir que quelque chose est immuable dans nos vies en mouvement. La lutte abolie le temps. Les lutteurs du 20ème siècle ont les mêmes gestes, la même musculature que ceux représentés sur les vases grecs de l’antiquité nous a rappelé Sébastien. Hercule lui-même a terrassé le roi Diomède dans un combat de lutteur avant le donner en pâture aux juments carnivores !

La Grèce, les mythes, l’enfance, les damnés de la terre. Ces mots tournent dans ma tête. Pourquoi les expliquer, les ordonner, trouver un sens. Là où il n’y a qu’impulsion vitale, celle des premiers combats à mains nues pour la vie, pour l’amour, pour manger, pour dominer, pour vaincre. Recommencer cette lutte jusqu’à la fin, jusqu’à la mort comme une métaphore de la vie.

Lutte