Rédigé par Stéphane le . Publié dans Ecrits sur la Boxe.

Daniel Rondeau Boxing club

Daniel Rondeau : Bonxing Club, édition Grasset 2016


Daniel Rondeau est un habitant de cette vieille France champenoise que chantait De Gaulle dans sa retraite de Colombey-les-deux- églises. Il a milité dans ses jeunes années à la Gauche Prolétarienne, puis dirigé le service culture de Libération avant d’entrer dans la carrière (la carrière tout court comme on dit en Vieille France pour parler de la carrière diplomatique). Il semble donc un parfait exemple de cette gauche passée du col mao au Rotary Club. Les clubs, il aime bien d’ailleurs Rondeau, trop faraud qu’il était d’être reçu au Sporting Club d’Alexandrie, ou dans les salons de l’aristocratie caduque de cette ville à la dérive, comme il l’évoque dans un de ses nombreux livres consacrés à ses voyages semi-culturels et semi-mondains, salués par un prix, le prix Paul Morand, autre littérateur voyageur et nostalgique éternel de l’ancien régime. Dans son livre consacré à Alexandrie, entre deux soirées dans les salons décatis de l’aristocratie levantine, Rondeau racontait s’être rendu sur le site de la bataille de Bir-Hakeim en taxi, puis, désemparé devant les tombes abandonnées des soldats des forces françaises tombées là, s’être mis au garde à vous pour une minute de silence sous le regard dubitatif de son chauffeur fumant une cigarette à l’ombre.

Cette longue présentation de Daniel Rondeau pour dire que je fus plutôt étonné de voir Saïd, l’entraineur du Boxing Beats, me passer l’autre jour son livre, intitulé « Boxing Club » en me disant avoir rencontré son auteur lors d’une émission de radio à laquelle tous deux étaient invités.

Sur la quatrième de couverture, je découvre que Rondeau a commencé à boxer sur le tard, à cinquante-cinq ans, activité qu’il pratique assidument depuis dix ans. Et je me dis que je partage plus d’un ridicule avec lui, puisque, si je me suis gardé de la GP, de Libé, et de la carrière, j’ai frayé dans les mêmes salons alexandrins, lut la geste gaulliste sur la seconde guerre mondiale, et pratique de façon tout à fait désespérée et tardive le noble art.

J’espérais donc quelques encouragements en direction des quinquas aspirants boxeur.

Rondeau pratique la boxe avec une certaine singularité : il boxe en solitaire. Misanthrope revendiqué – l’observation de nos semblables rassemblés à la Gauche Prolétarienne, à Libération, dans les ambassades n’est pas un grand encouragement au commerce humain, apparemment – Rondeau demande à Jérôme Vilmain, entraineur au Boxing Club de Commercy de lui donner des cours particuliers de boxe, le préservant ainsi de la fatigante promiscuité de ses semblables. Rondeau trimballera par la suite son sac de frappe depuis sa grange champenoise glacée, au jardin de son ambassade à Malte en passant par le pont arrière d’un navire école de la Royale (en Vieille France, on appelle la marine nationale, La Royale).


Il faut que je cesse de pointer les aspects gentillement ridicules de Rondeau à qui un entraineur glissa un jour qu’ils mettaient les gants ensemble dans les jardins de l’ambassade de France à Malte « C’est un peu n’importe quoi, M. l’Ambassadeur », pour dire ce qui me touche dans ce livre et pourquoi il me semble pertinent d’écrire cette note à son sujet.

Ce « pourquoi », c’est simplement le titre, Boxing club, le club de Commercy dont Rondeau trace un tableau émouvant, ainsi que des portraits justes, admiratifs et saisissants de ses boxeurs et au premier cher de leur entraineur, Jérôme Vilmain.

Nous entrons dans un monde de province où les boxeurs travaillent dans les vignes ou les caves, tous employés le jour chez Moët et Chandon et bénévoles le soir. Nous découvrons une société paternaliste, considérant la dureté de la vie ouvrière comme un état des choses intangible, une France éternelle, provinciale et rassie où le seul échappatoire est le club de boxe, la fraternité qui s’y tisse et l’espoir d’un répit par les poings. Nous découvrons aussi une petite ville traversée par les mutations ultra contemporaines, et le déplacement non des villes construites à la campagne, mais des cités dans les vignes.

Tous les portraits de boxeurs dressés par Rondeau sont attachants et porteurs de paradoxes, de fêlures, de complexités prouvant que l’auteur, s’il admire leur art et leur courage, pour misanthrope qu’il prétend être les considère sans condescendance ni héroïsation, à hauteur d’homme avec qui il finit par partager beaucoup d’heures côte à côte.

Je n’évoquerai donc qu’un seul de ces portraits : celui de Mayé Cissé, l’ « Elfe noir » du Boxing Club d’Épernay, papillon dansant comme Ali, insolent comme Panama Al Brown, et incapable de s’empêcher de rire en boxant. Cet espoir de la boxe a vu sa carrière brisée lors d’une rixe à la sortie d’une boite de nuit : s’interposant entre un vigile et un type armé d’un fusil à canon scié, il reçut une décharge dans sa main qui écartait l’arme. Rondeau demande à le revoir. Cissé le reçois dans son appartement, dans la cité. Que fais-tu à présent, lui demande Rondeau ? – des petits boulots, lui répond Cissé. J’envois des CV. Je traine dans la cité. Je lis des livres. – Quels livres ? – Céline (Nord, Bagatelle pour un massacre), Franz Fanon (Les damnés de la Terre), Hitler (Mein kampf), Alexandre Dumas (les trois mousquetaires). Et Rondeau de repartir sonné –quoi qu’il n’en dise rien – par cette bibliographie menée par un jeune homme qui récuse être antisémite, et déclare que Céline a mis « son talent au service du mal », cette vie brisée par un geste d’altruisme, ce boxeur qui n’arrive pas à revenir à l’entrainement, cette errance dans les parking de la cité de rendez-vous ratés en rendez-vous ratés.

A propos de bibliographie, celle qui conclut « Boxing Club » est plutôt bien faite. Si bien faite qu’elle épouse presque exactement celle du présent site. Et son livre est émaillé de citations, que je livre ci-dessous et qui livrent un dessin en creux de ce qui fascine Rondeau comme beaucoup dans la boxe.


« la douce science des coups » Pierce Egan

« À part la boxe, tout est très ennuyeux » Mike Tyson

« Tout comme le danseur, le boxeur est en fait son corps, auquel il est totalement identifié. » Joyce Carol Oates

« J’essaye de frapper mon adversaire sur l’arête du nez parce que j’essaye de lui enfoncer l’os dans le cerveau » Mike Tyson

«  Et une défaite à la boxe, ce n’est pas comme une défaite dans un autre sport. C’est une humiliation, on vit avec pendant un certain temps, ce n’est pas comme si on pouvait se racheter le week-end d’après. » Jean-Marc Moemeck

« Je me suis fait voler une victoire à St Brieux, en 2006. J’ai découvert que le noble art pouvait aussi être le royaume de l’injustice. Alexis Vastine, mon ami et collègue s’est fait voler deux fois une victoire. Je suis rentré à la maison, la défaite en travers de la gorge. Le lundi j’avais posé une journée de congé pour récupérer. La maçonnerie, c’est dur. J’ai repris le boulot le mardi. Je me suis dit : on t’as volé, tu dois remonter sur ton cheval. Et c’est reparti. Les boxeurs ont du mal à sortir du lot. Il faut imaginer ce qu’est ma routine. , les rigueurs de l’entrainement, la peine et la souffrance après une journée de maçonnerie, les parpaings, le marteau-piqueur. Je n’ai jamais arrêté, sauf quand j’ai eu un petit passage à vide, quelques mois avant Livourne. Je n’allais plus à la salle, je bricolais chez moi. Pendant plusieurs semaines, je pensais que je décrochais. » Pour expliquer cette défaillance, Jean-Michel Hamilcaro parle de ses fantômes. « Ils vont et ils viennent. C’est à cause d’eux que j’ai failli tout quitter. Psychologiquement, je me mets à douter, à me poser des questions. À quoi bon ? Tellement d’effort pour quel résultat ? Physiquement, c’est à cause de mes fantômes que je peux me sentir brutalement fatigué. Très fatigué, alors que je suis en pleine forme. S’ils se manifestent pendant un combat, c’est la catastrophe. Ils me tétanisent dans un coin du ring, je voudrais marcher sur mon adversaire, mais je n’y arrive pas. Jérôme les connaît, j’en parle avec lui. Il m’aide à les combattre. La peur, c’est autre chose. J ‘aime avoir peur, et jouer avec mes montées d’adrénaline. » Jean-Michel Hamilcaro

« Durant ces quelques secondes qui filent comme l’éclair, où il se passe bien plus de choses que l’œil peut absorber, pour ne rien dire de ce que la conscience peut verbaliser » Joyce Carol Oates

« Quand j’étais jeune, je rêvais d’être champion. Puis je me suis aperçu que la peur ne me lâchait jamais avant un combat. Un jour j’ai appris que Mike Tyson que j’admire, avait peur aussi. Il pleurait à chaque combat. Son coach qui était plus qu’un coach, Cus d’Amato, lui a demandé : « Pourquoi tu pleures ? » - j’ai peur de perdre. Tu connais la différence entre un lâche et un héros ? Ils ont tous les deux la même peur, mais le héros va faire un pas en avant, vers sapeur, quand le lâche fera un pas en arrière. Qu’est-ce que tu veux être ? un lâche ou un héros ? »

« La boxe est la seule activité humaine dans laquelle la rage peut être transposée, sans équivoque en art. » Joyce Carol Oates

« La douleur, dans le contexte adéquat, est autre chose que la douleur. » Joyce Carol Oates

« Les écureuils sont devenus mes amis, ils couchent dans mes poches et, comme tous les amis, il faut que je les quitte » Arthur Cravan

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