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100 ans de lutte Olympique, de Raïko Petrov, 1997

Edité par la Fila pour le 100e anniversaire des J.O.(livre donné par Didier Duceux)

Histoire détaillée de la Lutte depuis les premiers J.O.dans la Grèce antique. De nombreuses photos et dessins.

livre entier : 

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A Fighter's Heart: One Man's Journey Through the World of Fighting, de Sam Sheridan, Atlantic Monthly Press, 2007

A Fighters Heart cover

Après des études à l’université, et différents petits métiers qui l’ont fait voyagerautour du globe, Sam Sheridan a décidé de laisser libre cours à l’obsession qu’il retenait en lui depuis  longtemps : le combat. Il raconte sa quête personnelle pour apprendre et comprendre le combat et ses rencontres avec des hommes qui ont dédié leur vie à se battre sur des rings ou dans des  cages.  Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’un livre sur le MMA, mais d’un parcours initiatique qui – de l’apprentissage de la Boxe Thaï en Thaïlande à l’intégration d’un club dur de MMA dans l’Iowa en passant par la Boxe Anglaise, le Jujitsu au Brésil, les combats gagnés et les perdus, les blessures, et même les combats de chien ou les combats chorégraphiés des studios de Hollywood –  explore les interrogations relatives à l’envie (et au besoin) de se battre, comme celles relatives à l’amour et l’attrait du spectacle de la violence qui sont au cœur des sports.
C’est un livre très riche, sans cynisme ni ironie, parfois poignant, souvent effrayant. Plus proche de Hubert Selby Jr. que de Hemingway (le style en moins).

On  a traduit quelques extraits  ici :

Un cœur de combattant (extraits Chap. 2)

Un cœur de combattant (extraits Chap. 3)

Un cœur de combattant (extraits Chap. 5)

Un cœur de combattant (extraits Chap. 9)

Amplitude, 2009-12

magazine qu’a édité la Fédération Française de Lutte, 8 numéros de 2009 à 2012.

De nombreux interviews et portraits de lutteurs et des reportages sur les luttes traditionnelles dans le monde.

numéros consultables ici.

Au bord de l’eau (Shui-hu-zhuan), De Shi Nai-an, Ed Folio (2 tomes)

Prendre le tome 2 de la pléiade pour avoir la fin de l’histoire.

« Au bord de l’eau » est un cinq romans classiques chinois. Histoire d’une bande de brigands devenant une puissance dressée contre l’Empereur, ce roman de cape et d’épée a été écrit – suppose-t-on - au XIV ° siècle par Shi Nai'an.

Rythmé par moult récit de combats, à main nu, à l’épée, à cheval, à bateau, Au bord de l’eau devait retenir notre attention d’amateurs de sports de combats.

Le plus fascinant dans ce récit, fondé sur de nombreuses tradition orale, outre sa truculence, sa pétulance, sa capacité à varier les styles (du plus vulgaire au plus poétique), est d’observer, au travers la constitution progressive de la bande de bandit, la gestation, la naissance, la croissance, d’adolescence, la maturité, le déclin et la mort d’un corps politique. Indubitablement le personnage principal du roman n’est pas un individu, mais un groupe, un collectif, un organisme composé de cent huit preux. Comme tout corps, cette bande a des moments de force, des moments de faiblesse, des maladies, des remèdes revigorants, et des poisons fatals.

au bord de leauT1Les lecteurs optimistes liront avec délice la traduction de Jacques Dars dans la version en 71 chapitres éditée en folio poche qui suit la constitution de la bande de voleur, en racontant par le détail les circonstances et les aventures qui ont présidé à l’arrivée de chacun des voleurs dans le groupe. À l’arrivée du cent huitième combattant, le groupe est parfait, glorieux, au faîte de sa puissance et de sa pureté, il se présente comme un adversaire très crédible face au corps gangréné par le népotisme et la corruption de l’empire.

Ceux qui sont enclins à une vision plus désenchantée voudront savoir comment le combat entre l’Empire et les Braves des Marais des Monts Liang se termine. Ils poursuivront leur lecture dans la Pléiade dans la traduction du même Jacques Dars jusqu’au chapitre 108 qui clôt définitivement le cycle par la mort du principal chef des brigands, Song Jiang.

Nous avons sélectionné deux passages présentant deux combats à mains nues.

Le premier de ces combats oppose un futur brigand, vrai pochtron, Wu Song, à un tigre qu’il va tuer de ses poings. Un des aspects les plus attachants de ce livre est que les personnages sont montrés avec toutes leurs limites, leurs défauts, leur idiotie. Ceux que Song Jian rassemble autour de lui ne sont aucunement des merveilles de vertu, certains peuvent même être des tueurs psychopathes, mais ils sont tous des braves, des remarquables combattants et des révoltés contre le pouvoir. Si vertu il y a, elle réside dans leur rassemblement : dans la salle de la justice et de la vertu, précisément. Et Song Jian l’avouera au chapitre suivant sans vergogne, s’il a tué le tigre à main nu, c’est parce que l’alcool dont il était imbibé lui avait ôté toute capacité de raisonnement et de prudence.au bord de leauT2

Le second passage présente un personnage beaucoup plus fin, un des derniers arrivé dans la bande des brigands, Yan Xing et un lutteur célèbre Ren-Yan « le Pilier Céleste ». Yan Xing, malgré son petit gabarit est un grand lutteur, maitre d’art martial, et aussi un artiste. Il voudra quitter les marais pour affronter Ren-Yan, sur une estrade, publiquement, à l’occasion d’un festival d’art martial. C’est donc une compétition sportive à laquelle il nous est proposé d’assister, où comme de toute éternité « les choses mettent du temps à êtres décrites, mais dans la réalité, ça va très vite ! ».

Extraits choisis du tome 1 et du tome 2.

Audrey Chenu – Girl Fight

C’est la société qui est violente, pas la boxe

 

.couverture girl fight

Audrey Chenu –Girl Fight Presse de la Cité 2013

Audrey Chenu pratique une boxe élégante et précise.

« C’est la société qui est violente, pas la boxe », telle fut la réponse qu’elle nous donna lorsque nous lui avons demandé, lors d’un interview pour notre spectacle Boxing Paradise, si, à son sens, la boxe était un sport violent.

Avant un entrainement, elle m’avait raconté avoir écrit un livre Girl Fight, et aussi pratiquer le slam. Lorsque j’ai regardé sur internet ses prestations sur scène, j’ai remarqué qu’elle dégageait sur scène un sentiment fragile de timidité et de réserve, allié à une grande force. Elle cultive avec soin ce paradoxe, et cette capacité à tenir cette ligne d’équilibre impose le respect.

https://www.youtube.com/watch?v=WhFlhGbRwlg

Ensuite j’ai lu son livre qui venait d’être réédité.

La lecture de Girl Fightest éloquente sur la violence de la société quand celle-ci s’acharne sur une personne par l’entremise de la justice, via son bras armé l’administration pénitentiaire.

Prison

Adolescente délaissée par ses parent dans un village de Basse-Normandie, fille d’un père qui se révèlera chroniquement dépressif, Audrey est en terminale quand elle monte un florissant commerce de haschich. Sa prospérité et son indépendance sera de courte durée : un an, avant d’être balancée, et de se retrouver en préventive à la maison d’arrêt de Versailles.

Là, sa vie bascule. Elle découvre l’enfermement, l’arbitraire, la méchanceté profonde de ce système face auquel elle ne peut opposer que sa jeunesse et sa pugnacité. Il n’existe pas de prison quatre étoiles en France, et les prisons pour femmes ne font pas exception à la règle, au contraire : si d’aucun nourrit encore des doutes à cet égard, qu’il lise Girl Fight, et sera édifié. Plus souvent qu’à son tour, Audrey se révolte, se retrouve punie, envoyée au mitard. Elle se maintiendra debout d’abord grâce à l’amitié de certaines de ses codétenues, ensuite par sa rencontre avec un universitaire venu donner des cours en milieu pénitentiaires, et enfin grâce à la boxe.

« Mets ton matelas contre le mur. Donne les coups de poings que tu veux donner dedans. » C’est le conseil que lui a donné une compagne de cellule. Audrey découvrit ainsi la boxe qui lui permit –tant que faire se peut – de trouver un exutoire à sa rage contre une administration pénitentiaire qui tentait de la briser aussi bien physiquement que psychologiquement.

On en apprend beaucoup dans ce livre sur l’acharnement de la justice qui même après la peine purgée continue de poursuivre les délinquants à coup de casiers judiciaires et d’amendes des douanes. La récidive est inscrite dans l’organisation de la justice, et Audrey fut renvoyé en prison, alors même qu’elle recommençait sa vie. Entre les sursis qui sautent, les condamnations administratives qui s’additionnent, on peut dire qu’elle est allée au bout de son calvaire judiciaire, et que son année de liberté et d’opulence, elle l’aura payé au prix fort à la société.

Pugnacité

Quand on se bat avec ses poings, c’est qu’on est désarmé, réduit à ses propres forces. Sa survie, on ne la doit qu’à ses propres ressources, celle qu’on extrait de l’intérieur de soi, en puisant son énergie, sa combativité, son refus de la soumission dans une source mystérieuse et qui pour certaines, comme Audrey, semble inépuisable. Pugnacité : la pratique de la bagarre à poings nus élevée au niveau d’un art, mais aussi d’une vertu.

Cette vertu de pugnacité est comme un puits, susceptible de se remplir alors même qu’on le croit épuisé. Cette capacité à se relever dénote aussi un attrait inextinguible pour la vie. Ce plaisir de vivre, de bouger, inspire le respect et procure beaucoup de joie à ceux qui soit le vivent, soit se plaisent à l’observer chez autrui, au travers de la danse ou de la boxe.

Emancipation

Audrey a fini par remporter une victoire finale sur la justice de son pays : elle parvint à la suite d’un long combat judiciaire à faire effacer ses condamnations de son casier judiciaire, et obtint ainsi le droit de devenir institutrice, métier qu’elle exerce aujourd’hui à Bondy.

Elle enseigne aussi la boxe éducative aux enfants de son école.

Je ne sais pas si Girl Fight est le récit d’une rédemption, ou d’une réinsertion sociale. Ce sont des termes qui, à mon sens, donnent un rôle un peu trop flatteur à la société qui par ses institutions ne se donne guère le soucis – autrement que formellement – d’amender et de réinsérer les condamnés. Je vois plutôt dans ce récit de vie, le récit d’une mutation, d’une éclosion, d’une émancipation, et aussi une déclaration d’amour et d’amitiés pour ses semblables rencontrées en prison, et pour tous ceux ou celles – professeurs, entraineurs de boxe, amies – qui l’ont aidé à s’inventer son propre destin.

Girl Fight est une leçon de vie, qui ne se borne donc heureusement pas à prévenir les prédélinquants des dangers de la prison. C’est aussi une histoire d’amour et d’amitié pour ses compagnes de prison, et pour les autres femmes qui croisent la vie d’Audrey. Et enfin, le récit d’une libération, d’une évasion, par les chemins de traverses de la boxe et de la poésie des voies toutes tracées de la délinquance et de la répression.

Tandis que j’écris la fin de cet article, je reconnais sortant de la radio une voix digne de celle d’Audrey, la voix de Chavela Vargas chantant « No velvere ».

https://www.youtube.com/watch?v=qOL6WRtOWPc&index=1&list=RDqOL6WRtOWPc

Une bande son pleine d’à-propos !

Corps et âme : carnets ethnologiques d’un apprenti boxeur, 2000

de Loïc Wacquant, Ediions Agone.   

corpsetâmeA la fin des années 80, une enquête ethnographique sur les quartiers noirs de Chicago a mené Loïc Wacquant dans la salle de boxe des Woodlawn Boys Club et s’est transformée en épreuve initiatique. L’auteur a payé de sa personne, il a subi les phases successives de l’apprentissage de la Boxe jusqu’au combat final d’un tournoi amateur. Pendant trois ans, seul blanc parmi les noirs, il participe aux entraînements aux cotés des amateurs et des professionnels. Les notes consignées au jour le jour dans son carnet de terrain ont fourni la matière d'un livre savant qui se lit comme un roman  et qui marie analyse sociologique, observation rigoureuse des codes et des rites, et ferveur de l'engagement charnel (il parle d’une expérience de « sociologie charnelle »). Au-delà de l’aventure personnelle, il démontre que l’expérience d’immersion est une condition nécessaire à la compréhension de l’art pugilistique, car il y a des  « mouvements du corps qui ne peuvent s’appréhender qu’en acte ». Dévoré par son sujet d’étude, il envisagera même de renoncer à sa carrière universitaire pour passer professionnel chez les poids plume.
C’est un livre sous l’influence de Bourdieu qui étudie le déterminisme social de classe et d’ethnie des boxeurs de ce club de quartier et décrit la salle de boxe comme un territoire exclusivement masculin, dans lequel se construit une masculinité « virile »  (à l’époque il n’y avait pas encore de femmes dans les salles de boxe, ça a changé depuis)
.

Loïc Wacquant est professeur de sociologie à l’université de Californie à Berkeley et chercheur au Centre de sociologie européenne du Collège de France. Il a publié des essais sur la misère sociale ou la vie carcérale.


 

P 100 : « Tout en me séchant le corps avec la serviette, je laisse tomber : « Tiens Dee Dee, vous savez pas ce que j’ai trouvé l’autre jour ? Un livre intitulé « l’entrainement complet du boxeur » qui montre tous les mouvements et les exercices de base de la boxe. Est-ce que ça vaut la peine de le lire pour apprendre les rudiments ?

Dee Dee fait une moue dégoûtée : « On n’apprend pas à boxer dans les livres. On apprend à boxer en salle. »

P116 : « Pour comprendre ce qu’on doit faire, on regarde les autres boxer, mais on ne voit véritablement ce qu’ils font que si l’on a déjà compris avec les yeux, c’est à dire avec son corps. »

P 249 :« Devenir boxeur, se préparer pour un combat, c’est comme entrer en religion. Sacrifice ! le mot revient sans cesse dans la bouche du vieux coach Dee Dee. »

P252 :« Bouge ta tête, bon sang ! c’est pas un sac que tu as en face de toi, Louie, c’est un homme ! gronde la voix de Dee Dee. « Combien de fois il faut que je te dise qu’il te faut penser. Penser ! C’est avec sa tête qu’on boxe. » et pourtant chacun sait intimement pour en avoir souffert dans sa chair qu’on a guère le temps de prendre du recul sur le ring où tout se joue aux réflexes, en quelques fractions de secondes. C’est la tête est dans le corps, et le corps dans la tête. Boxer, c’est un peu comme jouer aux échecs avec ses tripes. »


P 206 : « Je sais ce que ça demande de monter sur le ring, et chaque fois que je suis passé entre les cordes, j’avais peur, chaque fois que je suis monté sur le ring, j’avais peur. Personne le savait que moi, c’est une chose que tu gardes secrète tout au fond de toi, et c’est comme ça que j’étais ; (…) Après mon footing le matin, je rentre chez moi, je regarde une chaine sur le câble, je sors pas de la pièce. Je me mets à manger de petites portions, parce que moi, je suis nerveux, j’ai l’estomac tout noué, et j’essaye de… généralement, après la pesée, je me sens mieux. ( …) L’après-midi du combat, j’ai jamais dormi, oh non non. Les mecs, avant le combat, ils dorment pas, ils sont allongés au repos, mais ils sont bouffés de trac (full of butterflies) tous ces boxeurs, même Ali, il l’a reconnu, il avait peur quand il combattait et j’aime ça moi : si t’as pas peur, c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Chaque fois que je suis monté sur le ring, j’avais peur. »

P 219 : « Je me sens bien, surtout t’es sur le ring et que les gens crient ton nom et tout, c’est presque comme de se shooter à la came. Et, heu, d’être sur le ring pour moi c’est comme d’être un acteur, comme d’être sur une scène de théâtre : tu donnes un spectacle pour ton public et c’est comme ça que j’ai toujours combattu. Il faut toujours que je montre quelque chose à mon public, tu vois, pour prouver que je suis un bon boxeur, et c’est pour moi une seconde nature : je me sens à l’aise entre les cordes. Je connais beaucoup de gars, c’est pas ça pour eux, mais pour moi, c’est du fun (…)

La réaction de la foule, c’est ça qui te charge à bloc, je veux dire, c’est la seule chose qui fait que ça vaut la peine. T’as plein de gens qui te diront l’argent, mais, tu vois, même quand ces mecs se font des centaines de milliers ; il leur manque les feux de la rampe (the limelight). Regarde Sugar Ray, Leonard, Larry Holmes, et les autres. Tous ces mecs ils sont casés à vie, mais ça leur manque, c’est comme un High, c’est pour ça que t’as tant de boxeurs qui font leur come-back (…)

Après un combat, si t’as gagné, c’est comme un grand soulagement, une grande satisfaction. Si t’as perdu, c’est le plongeon parce que tes copains sont après toi, tu l’entends dans leur voix, tu vois, comme quoi, tu les as déçu. Et toi, moi, je me sens mal vraiment mal quand je perds, je me sens mal toute la semaine. C’est comme je crois que je préfère me faire mettre KO que de perdre un match aux points. Je déteste perdre, je déteste quand tu vas au milieu du ring et l’arbitre lève la main de l’autre mec. Je sais ça de toute ma force.

Avoir du fun c’est excitant : tu sais jamais ce qui va se passer sur le ring et ça, j’adore ça. Je déteste m’ennuyer avec la même chose tout le temps. Et avec la boxe, à chaque fois – je pourrais mettre les gants dix fois et dix fois ce sera un combat différent. Et heu, c’est ça que j’aime dans la boxe : c’est toujours l ‘imprévu qui se passe. C’est comme Buster Douglas et Tyson : personne pensait que Buster Douglas allait battre Tyson. Et il était donné battu à cinquante contre un. Mais il a gagné (…) Surtout chez les poids lourds, tu sais jamais qui va faire mouche avec un coup dévastateur. Le mec pourrait te l’envoyer, tu pourrais lui envoyer toi et tout est fini, en une seconde, et toute cette excitation qui monte, ça donne un rush, c’est comme… Wow c’est ça que je veux : un peu de danger. »

P 264 : « Je suis décidé et rageur. Cus d’Amato, le légendaire entraineur « inventeur » de Mike Tyson ne disait-il pas que « la boxe est un sport de self control. Tu dois comprendre la peur afin de la maitriser. La peur c’est comme le feu. Tu peux la mettre à ton service. » »

 

Danbé, de Aya Cissoko et Marie Desplechin

DanbéLa couverture du livre résume bien le paradoxe de ce livre, « Danbe » de Aya Cissoko et Marie Desplechin « grand prix de l’héroïne Madame Figaro » sur fond d’une photo prise depuis les hauts de Ménilmontant.

Quel héroïsme les lectrices du Figaro  saluent-elle? L’héroïsme d’une boxeuse portant les couleurs nationales au plus haut niveau ? L’héroïsme d’une intégration sociale réussie ? L’héroïsme de la mère d’Aya Cissoko qui leur a transmis cette vertu, appelée « Danbé » au Mali ?

Danbé est un mot qui signifie en gros « dignité » au Mali, d’où venait Massire, la mère d’Aya Cissoko. Les hauts de Ménilmontant dont une photo illustre la couverture, c’est là qu’Aya Cissoko a passé son enfance, gamine des rues, vêtue d’un improbable collant surmonté d’un bonnet. Elle vivait alors au 140 rue de Ménilmontant, ancienne cité idéale déchue, forteresse de misère, de précarité, d’autodestruction, mais aussi d’auto surveillance d’un lumpenprolétariat exilé là avec l’assentiment et le suffrage des lectrices du Figaro, trop contentes de savoir confinées loin d’eux les classes dangereuses dans leur jeune âge, dans des quartiers où elles auront le lot de violence, d’humiliation, d’injustice nécessaire à forger un caractère de champion.

Le livre parle peu de boxe. Aya Cissoko le dit, elle ne croit guère à l’ascenseur social que constituerait le sport. Sa carrière a été rapidement interrompue par une vertèbre brisée lors de son dernier combat : celui-là même qui lui valu son titre de championne du monde. Elle constata la reconnaissance de la Nation en constatant le peu de cas que fit d’abord la Fédération Française de Boxe, l’abandonnant seule dans un taxi avec une minerve pour tout viatique lors de son retour en France. Cette dernière pièce dans ses rapports douloureux à son pays d’accueil ne l’étonna guère, car si son livre parle peu de la boxe, il livre un témoignage aigu, terrible, révoltant sur le quotidien d’une famille ordinaire d’immigrés maliens en France dans les années 90. Aya Cissoko a un talent pugilistique certain, mais aussi un don d’observation et de conteuse non moins affirmé. Son livre décortique les mécanismes de marginalisation, de précarisation, d’invisibilisation, de destruction des populations immigrées mis en place depuis des années par l’ensemble des gouvernements français. Gouvernements, qui ne furent au reste pas tous élus par les lectrices du Figaro.

On découvre ainsi comment son père, à la suite de l’arrêt de l’immigration économique décidé sous Giscard dans les années 70, se retrouva comme des milliers d’autres maliens coincé en France, astreint à demeurer dans ce pays, de crainte de ne pouvoir s’il quittait de territoire national de ne plus jamais pouvoir y retourner. Et voilà comment une population nomade, vivant d’aller et retour entre la France et le Mali, se retrouva astreinte à demeurer en France, à y faire venir leurs familles qui n’en demandaient pas tant, par une décision politique absurde qui produisit l’effet exactement inverse de ses objectifs.

Mais la société française ne fut pas en reste sur ses gouvernements dans son art de souhaiter la malvenue à la famille d’Aya Cissoko. C’est dans un incendie volontaire de l’immeuble qui les abritait ainsi que d’autres familles africaines que moururent son père et son frère. Aya Cissoko nous rappelle alors qu’entre les années 90 et 2000, c’est quinze immeubles qui furent incendiés dans les mêmes conditions, et pour la seule année 2005, quarante neuf africains qui périrent dans ces pogroms jamais revendiqués, et dont les incendiaires ne furent jamais arrêtés. Le fond de l’indignité est atteint quand on lit dans son livre que la mère d’Aya dut batailler plus de dix ans pour faire reconnaître ses droits à une indemnisation due aux victimes d’attentats.

Aya Cissoko dresse un beau portrait de Massiré, cette mère qui lui transmit donc cette exigence de « danbé », de dignité face à l’adversité. Il faut dire que la société patriarcale malienne ne fut pas en reste dans son acharnement contre Massiré lorsque celle-ci décida de rester de rester en France après la mort tragique de son mari, et sourde aux injonctions familiales refusa de retourner au Mali. Elle voulait que ses enfants connaissent l’éducation qui lui avait été refusée à elle.

Dignité, donc, un mot abstrait mais qu’Aya Cissoko rend concret à chaque page, dans un récit de vie où ses phrases rassemblées par marie Desplechin (dont on peut lire ici un bel entretien sur l'expérience de l'écriture de ce livre) nous font percuter – comme on dit – ce qu’est la réalité de la vie d’une sorte de Gavroche féminin du 140 rue de Ménilmontant.

Dignité, c’est le troisième terme de la devise des révolutions arabes, reprise depuis lors par tous les migrants manifestant dans les rues de Paris ou de Calais : Liberté, Démocratie, Dignité.

La dignité, Massiré et sa fille n’en sont pas dépourvues. Elles l’ont démontré seules, dans leur vie et sur les rings. Pour ce qui est de la Liberté et de la Démocratie, c’est dans rue et avec d’autres qu’elle se conquerra pour tous.

 

(Il semble que Marie Desplechin aime vraiment la Boxe et les boxeurs. On peut l'écouter en ce moment sur France Culture interviewer le champion Jean-Marc Mormeck.)

 

De la boxe, de Joyce Carol Oates,1987

Oatestraduit de l'anglais par Anne Wicke, Editions Tristram, 2012.

C’est la 1ère traduction intégrale de l’essai de Joyce Carol Oates paru en 1987 en Amérique. Oates essaie avec rigueur de percer le « mystère » de sa fascination personnelle depuis l’enfance pour ce sport viril et violent. C’est une méditation profonde, nourrie par la vision des combats mais aussi par les paroles saisissantes des athlètes et l’histoire de la discipline (depuis les gladiateurs romains à Mike Tyson). Spectatrice,  Oates révèle une part de sa vie en s’efforçant de traduire une « expérience émotionnelle que les mots ne peuvent transmettre » et interrogeen même temps les passions que suscite le spectacle de la Boxe (cet étrange mélange d’engouement, de déni, et de dégoût). Avec la Boxe, il ne s’agit pas pour Oates d’un sport comme les autres mais de la vie elle-même, dans sa violence, sa cruauté et sa beauté. La Boxe est « primitive comme la naissance, la mort, l’amour physique ».

«  Aucun autre sujet n’est, pour l’écrivain, aussi intensément personnel que la Boxe. Ecrire sur la Boxe, c’est écrire sur soi-même – aussi elliptiquement et aussi involontairement que ce soit. Ecrire sur la Boxe, c’est être forcé de réfléchir non seulement à la Boxe, mais surtout aux limites de la civilisation – à ce qu’être « humain » veut dire, ou devrait vouloir dire. »

Qu’il soit adoré ou décrié, pourquoi un combat de boxe, même visionné à la télévision, ne laisse jamais indifférent ? Quelle pulsion de voyeurisme enfouie vient parfois exciter chez le spectateur, dégoûté ou exalté, le spectacle de la violence ? En ce sens, analyse Oates, la boxe pourrait presque être comparée à la pornographie, qui a suivi un développement tout aussi impressionnant en Amérique.

« Le spectacle d'êtres humains luttant l'un contre l'autre, qu'elle qu'en soit la raison, y compris à certains moments bien médiatisés, pour des sommes d'argents stupéfiantes, est excessivement perturbant, car il viole l'un des tabous de notre civilisation. De nombreux hommes et femmes, même s'ils se sont blindés contre ça, ne peuvent regarder une rencontre de boxe parce qu'ils ne peuvent s'autoriser à voir ce qu'ils sont en train de regarder. Impuissant, on se dit : Ce n’est pas possible que cela se passe ainsi, alors même que, et le plus fréquemment, c’est réellement en train de se passer ainsi. A cet égard, la boxe comme spectacle public est proche de la pornographie : dans les deux cas, il est fait du spectateur un voyeur, distancié, mais surement impliqué intimement dans un événement qui n'est pas censé se dérouler comme il se déroule ».

Deuxième dissertation sur la généalogie de la morale de Nietzsche

NiezscheTrad. de l'allemand parJean Gratien etIsabelle Hildenbrand. Édition deGiorgio Colli etMazzino Montinari, collection Folio Essais, Gallimard

C’est Maurizio Lazzarato, philosophe, qui m’a conseillé la lecture de cette deuxième dissertation sur la généalogie de la morale. Lui, y trouva des éléments pour nourrir sa réflexion sur la dette. http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=6238

Le propos de Nietzsche, en effet, est bien là de faire apparaître la dette comme le ciment le plus archaïque, le plus réel et le plus efficient de la société. Ce qui fonde la morale, les valeurs communes, c’est la confiance que le créditeur a en son débiteur, et surtout dans sa capacité à se rappeler de sa dette. Tout le travail de la société est donc de lutter contre l’oubli, pente naturelle de l’esprit.

« Seul ce qui ne cesse de faire mal est conservé dans la mémoire ». (C’est ainsi que lors de leur adoubement les chevaliers prêtant serment allégeance à leur seigneur se voyaient souffletés par ce dernier, afin de garder dans leur chair le souvenir cuisant de leur serment). Les lutteurs savent bien apparemment que le souvenir des coups reçus est beaucoup plus présent que celui des coups donnés.

Le lien avec les préoccupations contemporaines et politiques de Maurizio est évident. Mais avec les sports de combat ?

Le fait est que ce lien n’a rien de direct. Il passe à mon sens par la cruauté. Nietzsche rappelle dans cette dissertation comment des spectacles qui aujourd’hui nous épouvantent – le supplice des criminels sous l’ancien régime par exemple – constituaient des fêtes pour les spectateurs d’alors. Il en est de même pour les jeux du cirque à Rome qui nous semblent presque participer d’une autre humanité.

Des spectacles d’une telle cruauté nous semblent inconcevables aujourd’hui – notre sensibilité est devenu rétive à de tel excès – mais notre sensibilité ne s’est-elle pas plutôt déplacée ? Un combat de boxe ou de MMA est-il moins cruel que celui quotidien du JT de 20h ? Là c’est moi qui pose cette question – naïve ( ?)-.

Joyce Carol Oates développe longuement cette question dans « De la boxe». Sa réflexion doit beaucoup sans doute à Nietzsche.

Nietzsche ouvre une autre question très pertinente pour nous dans cette dissertation. Il présente l’homme comme étant avant tout un être d’évaluation.

« Établir des prix, mesurer des valeurs, inventer des équivalences, échanger – tout cela a préoccupé à tel point la toute première pensée de l’homme que ce fut en en un sens la pensée tout court (…). »

Le sport en général, et les sports de combat en particulier, sont une forme de réponse à ce goût humain pour l’évaluation. Invention de règles de combat, de catégories de poids, de durée des affrontements, définition du lieu du combat, convocation d’un arbitrage, d’un public : tout est prévu pour répondre au plus juste pour répondre à cette question qui est le plus fort de l’un ou de l’autre ?

Peut-être le lien avec Nietzsche est-il dans cette idée que les combats humains – notamment ceux de l’Iliade – constituent le passe temps favori des dieux. Peut-être tout combat constitue-t-il une ordalie, une décision divine sur qui est finalement le favori des dieux. Je ne sais si c’est cette question que se posent les combattants montant sur le ring, mais c’est sans doute celle que se pose le spectateur de sport de combat, surtout s’il a lui même un favori. Les dieux sont-ils en accord avec mon choix ?

Bon. Je ne sais pas si cette notice éclaire vraiment mon lecteur sur les raisons qui m’ont poussées à intégrer « La deuxième dissertation sur les origines de la morale » dans cette bibliographie.

Mais, finalement, le mieux n’est-il pas pour mon lecteur d’aller y voir lui-même pour mieux débrouiller que je ne le fais le fil qui unit cette dissertation à ce qui nous occupe ?

Je l’invite alors à nous contacter afin de nous faire partager ses conclusions !

Maurizio Lazzarato conseille de lire le texte dans la traduction citée ici (publiée chez Gallimard). Une autre, plus ancienne, est accessible en ligne ici.

Fighting for Acceptance: Mixed Martial Artists and Violence in American Society. Par D. T.Mayeda & D. E. Ching, Lincoln, NE (USA): Iuniverse Inc. 2008

FightingforAcceptance Ce livre est le résultat de la première étude sérieuse (à ma connaissance) menée par David Mayeda et David Ching auprès d’athlètes de MMA. Il questionne les aspects politiques et sociologiques du sport qui a sans doute la croissance la plus rapide et la réputation la plus controversée dans la société américaine. Il aborde notamment la question de la violence, de ses représentations dans l’histoire des sports et de leur influence dans la société américaine.

David Mayeda est un sociologue américain, formé à l’Université d’Hawaï et professeur à l’université d’Auckland. Ses recherches tournent principalement autour de la prévention de la violence des jeunes, la sociologie du sport, les rapports de la justice et des mineurs, les masculinity studies, les gender studies, le racisme et le colonialisme… Il est également fan de MMA et combattant occasionnel.

Quelques passages du livre traduits ici: Combattre pour être accepté (extraits)

A consulter également: quelques articles choisis de Mayeda disponibles sur le net.

Frédéric Roux: Alias Ali collection Folio, 2013

 Alias AliOn se demande si le livre est un roman, une série d’interviews enregistrées partout dans le monde, ou une compilation de témoignages sur la vie de Mohammed Ali.

C’est un puzzle, une histoire vraie, un mythe. Et comme souvent dans les mythes, on mélange la haute littérature avec la langue de la rue, la grande histoire et les détails les plus triviaux. On ferme le livre en disant : ah oui, ça a du se passer comme ça la mort d’Oum-Baba, il était ainsi Gilgamesh. Et ici : ce Ali était un grand blablateur, un type qui masquait sa peur derrière ses provocations, un héros métis du black-power, mais c’est celui qui a résumé en une phrase ce que pensaient tous les noirs américains de sa génération : pourquoi irai-je me battre au Vietnam ? Les vietminh ne m’ont rien fait à moi. Et qui surtout a mis sa parole en acte, en refusant de se lever à l’appel de son nom au centre de recrutement. C’est aussi celui qui a battu Sonny Liston, Georges Foreman, et Joe Frazierdans des combats à proprement titanesques. Le livre est aussi une invitation à voir et revoir ses plus grands matches.

Faire une notice sur Mohammed Ali, ce serait finalement écrire sur toute la boxe, tant ce champion résume en lui l’apogée et la quintessence du noble art.

Il dansait comme le papillon et piquait comme l’abeille disait-il de lui-même.

Le livre, ou plutôt le cut-off de Frédéric Roux charrie force évènements et le lecteur se laissera porter par le cours puissant de ce livre fleuve. Il croisera des personnages pittoresques : Ferdie Pacheco (son soigneur), Angelo Dundee (son entraineur), Bundini Brown (son âme damné), Joe Frazier (son frère ennemi), Elijah Muhammad (son gourou). Et il verra le panorama de l’histoire américaine se déployer, dans un mouvement fort qui soulève alors le pays : le black power.

J’ai trouvé passionnant le portrait de Malcom X, ses relations avec Cassius Clay qui grâce à lui devient Mohammed Ali. Aussi la nature hallucinante de Nation of Islam, la secte qui va gérer la vie et la fortune d’Ali : mélange américain de gangstérisme, d’affairisme, et d’élucubration religieuse (le retour du Prophète aura lieu - d’après Nation of Islam - dans une soucoupe volante attendant dans un vaisseau spatial caché derrière la lune ( !)).

On ferme le livre en ayant une immense sympathie, ou plutôt en comprenant mieux l’immense sympathie que suscitait – que suscite toujours - ce boxeur noir de Louisville (Kentucky). On aime Ali, comme on aime ceux qu’on aime vraiment, avec toutes leurs qualités, leurs défauts donc aussi, et avec toute la palette des sentiments qu’on a pour les gens qu’on sait qu’on ne quittera jamais vraiment.  

En contrepoint, on peut écouter la grande traversée consacrée par France Culturel'été 2018 à Ali.

Histoire de la boxe Alexis Philonenko, Ed Bartillat, 2002

philomenkoC'est surtout pour ses premières pages que cette histoire de la boxe vaut « J’ai, toute ma vie, cru devoir plaindre les hommes qui n’avaient pas pu, soit par faiblesse physique, soit par inaptitude mentale, franchir les cordes et monter sur le ring qu’on nomme parfois  «  le cercle enchanté »" , écrit l'auteur. De fait, un philosophe qui boxe, et écrit sur la boxe, c'est peu commun. On retiendra de son introduction l'idée que le noble art connut son acmée dans les années 70, avec le match du siècle à Kinshasa entre Ali et Foreman. C'était la première fois qu'un duel, combat entre deux hommes, étaient observé - grâce à la télévision-  par la planète entière.

Par la suite, cette situation ne se reproduira plus, la boxe étant rapidement détronée par le tennis qui est aussi un duel, un duel beaucoup plus lisible et compréhensible en tant que spectacle audiovisuel.

Donc, la boxe pour être comprise doit être apprise, ou réfléchie, étudiée. C'est ce à quoi s'astreint ce livre qui, ces postulats posés, va raconter patiemment, siècle aprés siècle, lustre aprés lustre, année aprés année, l'histoire de cet art. Les noms défilent depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, en passant par les combats clandestins dans les prés en Angleterre, où le ring était constitué d'une corde tendue par les spectateurs. Philonenko aime les boxeurs, il voudrait se souvenir de tous, rendre hommage à chacun, sans oublier les plus nombreux, les plus humbles, ceux qui ont été battu par les champions et ont sombré dans l'anonymat, et ceux qui combattaient pour quelques francs sur des planches des villes de province et qui faisaient vivre partout son art d'élection.

 

Kateb Yacine Le poète comme un boxeur , Entretiens 1958-1989

Kateb Yacine Le poète comme un boxeur , Entretiens 1958-1989 Ed Le Seuil

Le titre est trompeur. La boxe, Kateb Yacine n’en sait pas grand chose. Ni comme pratiquant, ni comme spectateur. Ce qu’il en sait, c’est à quoi ressemble la figure d’un boxeur dans un quartier populaire, et à laquelle il assimile celle du poète – figure qu’il connaît bien, car pour le coup poète il l’était Kateb Yacine, et des plus grands -.

« J’avais découvert une épicerie stratégique qui me permettait de le voir passer de temps en temps. L’épicier était un homme extraordinaire qui avait fait la Zeitouna à Tunis et qui brulait du désir de savoir. Si bien qu’il était d’une générosité formidable avec tous les jeunes qui allaient à l’école, il nous achetait des cigarettes, je mangeais et je dormais chez lui, et, grâce à lui, mon livre s’est vendu chez les gargotiers, des coiffeurs, des analphabètes même qui me l’ont acheté, par solidarité, comme on aide un boxeur, et finalement, il s’est pas mal vendu. »

Et oui, Kateb Yacine voyait le poète comme un boxeur. Comme le boxeur le poète est issu d’une rue, d’un quartier, d’une ville, d’un groupe et il en devient le porte-parole. Le poète comme le boxeur portent tout le non dit, le non exprimé, l’inoui, la rage, la frustration, les espoirs et les joies du groupe dont il est issu. L’attente qui les précède excède ce qu’ils sont. – le poids symbolique qui repose sur leur épaules est immense, et tout comme il peuvent combler les attentes et bien au-delà, ils peuvent aussi les décevoir, et bien au delà.

« La légende de l’artiste, du poète avec sa petite fleur derrière l’oreille est loin d’être vraie. Souvent, le type qui écrit est quelqu’un qui a des frustrations, des appétits de puissance qu’il ne peut assumer autrement. Parfois, il aurait voulu être flic ou soldat par exemple, mais ne pouvant être ni l’un ni l’autre, il devient écrivain. Il y a donc toute une image mythique de l’artiste. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu‘il ne fallait pas être un écrivain au sens où l’entendent les bourgeois. »

Quoi qu’il en soit, avant le combat, tout le quartier a soin de son champion. On le nourrit. On l’encourage. On le bichonne. On le choit. Longtemps après le combat, le vieux boxeur représente dans la mémoire du quartier la somme résumée de ses espoirs réalisés et de ses échecs.

Ce n’est même pas une métaphore. Kateb Yacine sait bien que le poète n’est pas le boxeur, - Kateb Yacine a trop souvent été exilé loin de l’Algérie « dans la gueule du loup » en France soit durant la guerre d’indépendance, soit à suite de ses démêlées avec le FLN – pour savoir combien il fut par force séparé du peuple algérien. Néanmoins, il savait que quel que soit l’état des choses, le poète devait s’efforcer d’être comme un boxeur pour ceux de son quartier.

Il combattit donc le colonialisme dés son adolescence, puis assez rapidement le pouvoir des nouveaux bourgeois du FLN, et enfin ceux qu’il appelait les arabo-islamistes. Son arme était son verbe : il vola donc le français, langue du maitre pour la retourner contre lui, puis le verbe du peuple, l’arabe dialectal auquel il donna ses lettres de noblesse en écrivant des pièces qu’il jouait dans tous les villages de l’Algérie avant d’être contraint à un nouvel exil.

Kateb Yacine n’a certes jamais été l’ami des gouvernants. « le pouvoir est peuplé de gens essentiellement destructeurs », disait-il : une règle d’or s’appliquant à mon sens à tous les dirigeants militaires et patriarcaux arabes passés, présents et futurs.

Militant, Kateb Yacine ne s’est jamais résolu à cet état de fait. Son œuvre est sans doute une des plus belles anticipations des révolutions du printemps arabe. « En moi, le poète combat le militant et le militant combat le poète ». Cette phrase montre aussi combien Kateb Yacine était loin d’être naïf, et qu’il ne faisait pas partie de ceux qui se réfugient dans le tiède giron du théâtre institutionnel pour y créer une œuvre qui se veut de dénonciation en se drapant dans le slogan bien pratique selon lequel créer ce serait résister.

Et la boxe dans tout cela ? Et bien c’est un rapport au monde, une manière d’écrire qui me semble exemplaire. Oui, j’aimerais bien que pour le spectacle que nous créons sur les sports de combats en Seine Saint Denis être poète comme un boxeur. Est-ce pour m’y encourager que Claire Amchain, attachée de presse de la Commune, et qui connut bien Kateb Ycaine me conseilla ce livre?

Konrad Lorenz : L’agression -1969 collection Champs - Flammarion

LorenzKonrad Lorenz, c’est une sorte de Mortimer (de Blake et Mortimer, les héros de la BD de Edger G. Jacobs). Un savant avec barbe, pipe, et laboratoire dans sa vaste demeure familiale.

On le connaît pour être l’homme des oies cendrées. Celui qui étudie des années durant le comportement social de ces Anser anser domesticus, qu’il élevait dans sa basse-cour et jusque dans sa chambre.
Konrad Lorenz, c’est le monsieur qui soustrayait ses œufs à la mère l’oie, se faisait passer pour elle à leur éclosion, et marchait suivi jusque dans sa chambre donc par une troupe de jeunes oies persuadées d’avoir une mère corpulente, barbue et fumant la pipe.

Après une introduction aussi désinvolte comment ajouter que L’agressionde Konrad Lorenz est un des livres à l’origine de la constitution du Cercle, et de notre projet d’exploration des sports de combat ?

Lorenz étudie d’abord les comportements d’agression des poissons des mers tropicales. Ce sont des poissons multicolores qui déploient toutes leurs couleurs lors de parades précédant les combats.

Comment se produisent les combats ? Dans quelle situation ? Jusqu’à quelle fin ? Pour défendre un territoire, une portée, conquérir une femelle. Lorenz ne s’intéresse qu’aux agressions intra spécifiques – l’intérieur d’une même espèce – excluant donc de son champs d’étude les pratiques de chasse. Il trace un tableau assez déprimant des rapports de forces si on s’aventure à en s’en donner à soi-même une lecture anthropomorphique.

Il passe dans les chapitres suivants de ses poissons des mers du sud à ses oies cendrées de Poméranie, et dresse la liste des postures d’agressions du jars : de l’avertissement à l’agression.

Sa recherche l’amène à établir une relation entre les rituels, les danses de combat et les danses de séduction. D’après lui, un rituel de séduction est un rituel d’agression qui s’arrête très précisément à l’instant où le premier coup va atteindre son but. L’animal détourne son agression et c’est ce détournement in-extremis qui constitue la base de sa parade nuptiale.

Pour tirer leur coup les oies retiennent leur premier coup – voilà un bien mauvais calembour pour résumer ce très instructif livre.

A l’origine notre projet était d’ailleurs d’étudier en parallèle aux clubs de sports de combat, les clubs de danse de couple afin de voir ce qui était de commun entre ses deux pratiques. Beaucoup de choses au reste, dans ces deux langages mettant en œuvre l’expression silencieuse des corps.

Le lecteur de Konrad Lorenz lira du coup avec intérêt l’interview d’A*** R*** (lutteur) dans le présent site, et notamment le passage où A*** explique qu’à son sens, deux combattants restés seuls enfermés dans une salle cessent leur affrontement sitôt disparu leur public.

Lorsque la Providence en vient à enfermer Robinson dans la même île que Vendredi, on observe le même phénomène. Quelle que soit leur méfiance réciproque, les deux hommes évitent de se combattre. Ils finissent même par collaborer. Quel lien se tisse réellement entre ces deux exilés ? C’est une question qui excède le champ de curiosité de notre Cercle, mais qui mérite d’être posée.