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Interview de Jean Legendre, dit Jean-Jean, (lutteur)

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La salle d'entrainement des Diables Rouges porte son nom : salle Jean Legendre. C'est lui qui a inventé le nom du club les diables (comme les petits diables), et ses couleurs, le rouge (parce c'est une couleur dont on se souvient). Il est là à tous les entrainements. C'est le vieux monsieur qui, la main sur le menton, regarde les lutteurs. Il dit qu'il se sent bien quand il est avec eux. Qu'il se sent toujours bien quand il est avec eux. Aprés l'entrainement, il leur fait des pâtes chez lui. jean jean main mentonpour site

Chez lui, c'est une maison au bout d'une cours dans le vieux Bagnolet. Dans sa rue, il y a des pavillons, des immeubles des années soixante-dix, et des murs crépis de vieilles maisons. Les fenêtres sont murées, les parpaings tagés. Le numéro correspond à une grand portail. Quand on sonne on n'entend pas où résonne la sonnette. On attend devant la porte. C'est Jean-Jean qui vient ouvrir. On passe devant un quai de déchargement pour entrer dans une pièce meublée en formica. Aux murs des photos d'un jeune gaillard athlétique montrant ses biscotos. On boit du Tang. On grignote un biscuit savane. On écoute Jean-Jean.

 jean jean portraitpour site

Jean-Jean :

« Vous êtes de Bagnolet? Non? Ah... Moi, je suis de Bagnolet. J’ai quatre-vingt cinq ans. Je suis né le 27 janvier 1930. Quatre vingt-cinq ans que je vie à Bagnolet. J’ai 67 ans de licence de lutte. Mon fils aussi était lutteur. 

La lutte, j’ai commencé à 17 ans. C’était en 1947. C’était à la salle de lutte du Groupe Travail. C’était une grande école, elle était belle, pour aller dans les classes, on montait un perron. Il y avait dessous un escalier qui descendait. À droite de l’escalier il y avait la porte de la salle de lutte, à gauche la porte de la salle de gym.

J’avais un petit copain, on chahutait ensemble : viens faire de la lutte avec moi, il me dit. Lui il a arrêté, et moi j’ai continué. Je suis entraineur depuis 1951.

Les Diables Rouges c’est moi qui l’a créé. Un petit diable, vous voyez c’est quoi, un petit diable ? C’est un gamin qu’a du tonus. Et ben nous on est les diables rouges de Bagnolet. Parce qu’au début on avait un vieux maillot, il était tout vert, il était triste, personne ne luttait avec un maillot rouge, c’est moi qu’a eu l’idée qu’on ait un maillot rouge. C’est pour ça qu’on est les diables rouges de Bagnolet. C’est une belle couleur le rouge. C’est la couleur du sang. Notre maillot rouge on le remarque de loin. On est les Diables Rouges de Bagnolet. Qu’est-ce qu’on s’en est pris dans la gueule avec ce nom ! Tout le monde croyait qu’on était communiste. Ben oui, Bagnolet, c’était une ville communiste. Pourtant, nous, on était pas spécialement communiste. On a même un entraineur, il s’est présenté aux élections contre les communistes. Mais rien à faire, quand on luttait à Berck, à Tourcoing, tout le monde il croyait qu’on était des communistes.

La première fois que j’ai lutté, j’étais un peu trouillard, un peu émotif. On est corps contre corps. C’est troublant. On peut lutter partout. Contre tout le monde. L’homme il a du commencer par lutter contre les animaux.

Moi, j’ai commencé à lutter à dix-sept ans. J’ai commencé à travailler à 15 ans. J’étais ripeur. Un ripeur c’est un aide-chauffeur. Le chauffeur, il conduit, et le ripeur il charge, et décharge. A 18 ans, je suis monté chauffeur/livreur. J’étais costaud comme gamin. J’ai toujours été costaud. Au basket, il suffisait que je donne un petit coup d’épaule pour leur piquer le ballon.

J’ai vite fait des compétitions. Le championnat des novices. La première série. Et puis la deuxième série.

Mon premier combat, je l’ai six ou sept mois après avoir commencé. C’était un combat amical. Un an après, je faisais le championnat de France. En 1948, j’étais champion de Paris, c’était à Boulogne-Billancourt, chez Renault, au gymnase Marcel Sembat. C’était des combats difficile. Ça se passait en 15 minutes consécutives. C’est long. J’ai été champion de France en 53 à Reims. J’ai arrêté de marquer mes combats à partir de 1956. Quand j’ai arrêté, j’étais à 660 combats. 600 victoire, 60 défaites.

A l’époque, en challenge, on luttait contre des catégories plus lourdes. Des gars qu’avaient 15 à 20 kg de plus que moi.

Jean Jean par Nathalie Rouckoutpoursite

Photo Nathalie Rouckout

Et puis j’ai fondé les Diables Rouges. Je me rappelle plus quand j’ai fondé les Diables Rouges. C’est dans le journal officiel. Si vous cherchez vous trouverez dans le journal officiel. Le nom, c’est moi qui l’a trouvé. Personne peut me le reprendre. On est les Diables Rouges de Bagnolet. On a des russes, des Tchétchènes, ils viennent au club, ils nous demandent pour vous vous appelez les diables ? C’est pas la religion, je leur dis. Un petit diable, c’est un gosse en pleine santé.

Des combats, j’en ai fait. J’ai été sélectionné pour les jeux de Melbourne. J’y suis pas allé. C’est une question pécuniaire. La fédération, elle m’envoie une lettre pour me dire je suis sélectionné. Je vais voir mon entraineur, il me dit, oui, c’est vrai, tu seras logé, nourri à l’INSEP. Tu seras défrayé aussi. Tu auras un petit pécule. J’ai demandé, combien, et ça faisait pas l’équivalent de ma paye. Je dis bon, mais faut aussi que je prévienne mon patron. En fait, mon patron, c’était ma mère. Je vais la voir. Elle me dit, ah, ben, c’est sûr ça m’emmerde cette histoire de jeux olympiques, mais bon, ça te fait plaisir, alors on va s’arranger. Ça se présentait bien. J’ai commencé à m’entraîner à l’Insep. Et puis un jour, je me suis allé voir mon entraineur, je lui ai demandé : et ma femme ? Il m’a dit parce que t’es marié ? Je lui ai dit : on est jeune mariés, elle doit m’accompagner. Il s’est renseigné. Il est revenu, il m’a dit : mon petit Jean, on n’a rien trouvé pour ta femme, on peut pas la loger, elle peut pas venir. Alors, je lui ai répondu , ben mon petit Louis, si c’est comme ça j’y vais pas. J’allais pas laisser ma femme en France, toute seule sans revenu. J’allais pas la laisser crever de faim la pauvre. Je suis resté travailler en France. Je regrette pas. Je regrette pas.

Les Diables Rouges, on est la meilleure équipe de France. Vous savez ça ? On a un champion olympique. Un champion du monde. Steeve Guenot. Ces derniers temps, nos titres on les a perdu à cause du pognon. Le 93 a supprimé de l’argent. Et Bagnolet, la ville, même chose. On peut plus vivre. On a déclaré forfait pour le championnat 2014. Le champion en titre qui déclare forfait, ça la foutait mal à la Fédération.

Quand je combattais, dans l’année, je faisais 50/60 combats. Les adversaires fallait les éliminer. Pour gagner une compétition, il faut battre tout les autres. Je m’entrainais trois fois par semaine. Et c’était pas assez encore. Il faut s’entrainer tous les jours. C’est comme ça qu’on peut gagner. Autrement, on fait de la figuration. Il faut faire que ça. Les américains, ils font soi disant des études jusqu’au 40 ans, c’est l’université qui les paye pour s’entrainer et lutter. Et les russes ils sont tous pompiers.

Je suis devenu entraineur aussi. Quand on est entraineur, on se néglige pour améliorer les autres. J’ai arrêté la compétition à 39 ans. Cette année là, c’est Bagnolet qui organisait le championnat. Je me suis dit. Là, c’est l’occasion. C’était en 69. C’était au gymnase Maurice Vacquet.

Je travaillais pour ma mère. Ma mère, elle travaillait aux halles. On avait un dépôt au coin de la rue Tiquetonne. Les clients, ils faisaient apporter les légumes, les produits qu’ils venaient d’acheter. Et nous on les livrait à leur boutique. Et puis, on a construit Rungis. Les clients, ils se sont achetés leur propre camionnette. Le boulot a diminué, alors j’ai commencé à faire les marchés. Je faisais les marchés à Bagnolet, le samedi et le dimanche. Je chargeais, je déchargeais les légumes. J’ai toujours été costaud, je vous dis.

La première qualité d’un lutteur, c’est la force. De mon temps, les plus forts, c’était les turcs. C’est pour ça qu’on dit « fort comme un turc ».

Il y a de la camaraderie dans le club. On fait des échauffements très dur. Parce que les muscles froids, ça pète. On s’échauffe une demi-heure au moins. Il faut que quand on combat, les muscles ils soient chauds.

J’ai remarqué qu’au bout d’un an à faire l’entraineur, j’ai commencé à me faire battre. Je me faisais battre par des gars je d’habitude, je battais. Alors j’ai dit au président : il faut que je reprenne. J’étais bénévole, comme tout le monde, j’étais bénévole. J’essayais de les amener au plus haut. La veille de leur combat, quand je m’entrainais avec mes élèves, j’en prenais plein la gueule. Je les provoquais pour qu’ils soient au plus haut. Mais après le championnat, ils étaient fatigués, alors c’est moi qui leur en foutait plein la gueule.

On a l’habitude de la voix de son entraineur. Au milieu de tous les cris, c’est la seule qu’on entend. On communie avec son entraineur. Un sportif, il compte beaucoup sur son entraineur.

Moi, j’aimais la compétition. Sur le plan physique, j’étais très fort. J’aimais les challenges. Lutter avec les catégories au dessus. Je luttais avec des types plus lourds, des gros plus forts. Je travaillais ma rapidité, ma souplesse. Au début, on s’étudie : le placement des jambes, le placements des bras. Mais faut faire gaffe, des fois on tombe sur un rapide. Il attaque direct. Au bout de quelques compets en France, on se connaît tous. On a tous une prise favorite. On essaye de la placer. Et puis, les autres, ils finissent par la connaître cette prise là. Alors ils se méfient. Et ça devient plus dur.

Mon fils. Jean-Michel. Il a commencé à cinq ans. Il a été champion de France. Il a fait les championnats d’Europe, mais il s’est fait battre.

Primo Massida. Notez bien ce nom. C’était un des lutteurs des Diables Rouges. Il est devenu entraineur national. Il a fait les JO à Séoul avec l’équipe de France.

Moi, je me suis dit. Le premier de mes élèves qui va me battre, ce sera mon fils. Mais je le laisserai pas me battre avant qu’il ait 18 ans. Il était très fort. Il s’entrainait à INSEP. Il a fait le bataillon de Joinville. Finalement, la première fois qu’il m’a battu, il avait 17 ans. Il a gagné à un point contre moi. On s’en est foutu plein la gueule.

Ma femme et moi, on avait le béguin. Mais quand je l’ai connu, je lui dit : ma vie, c’est la lutte. Elle m’a dit : OK, ta vie c’est la lutte. Alors, elle faisait la troisième mi-temps. On revenait de l’entrainement avec les copains, on mangeait des pâtes, elle était avec nous. Elle a perdu son dernier combat, il y a vingt ans de ça. Elle a perdu contre le cancer. Ça fait 20 ans que je suis veuf. Ça fait 20 ans qu’elle me manque.

Ma femme, elle faisait les marchés avec moi. On était marchand forains tous les deux.

 

Du catch, j’en ai fait, oui, c’était sur l’angle rigolo. On l’a fait par amitié pour des copains qu’avaient des problèmes. Quand un catcheur s’était blessé, alors on y allait. Mais on l’a jamais fait en professionnel. Lui, là sur la photo, vous voyez ? C’était un de nos entraineurs aux Diables Rouges. Il faisait l’arbitre. Le gros, c’était mon copain. Il pesait 127 kg. Il faisait le gentil, et avec mon autre porte, là sur la photo, on faisait les méchants. Le nom du gros, c’était le seul professionnel, c’était Franck Bauman. Quand c’est moi qu’organisait la rencontre, c’est moi qui jouait le gentil. Quand c’est Franck qu’organisait, on faisait les méchants. On avait une belle équipe de catch à Bagnolet. Au catch, il faut aller vite. Il faut qu’il se passe quelque chose. Il faut aider son adversaire.

A la lutte, c’est le contraire. Le catch, c’est un spectacle, la lutte c’est un sport. Au diables rouges 27 titre de champion de France individuel on a . Moi, j’ai toujours été bénévole. Au mieux on m’a donné le sucre pour mettre dans mon café. Aujourd’hui encore, il y a pas un lutteur qui vive de son art. Pino Masido, vous vous rappelez, je vous en ai parlé déjà, c’est le seul d’entre nous qu’en a vécu de la lutte.

Les championnats, c’est important. On fait comme tout le monde. Pour les championnats par équipe, on engage des renforts. On les fait tirer une bourre, vous comprenez ? tirer une bourre, combattre quoi.

Moi, dans la vie normale, jamais je me suis battu. Une fois, si, je me souviens, j’ai foutu deux tartes à des types. Mais j’ai la main un peu lourde. Ils sont tombés tous les deux. Pourtant j’ai pas mis le poing. Mais, c’est vrai je tapais lourd. Avant, les bagarres, c’est à un contre un qu’on se foutait dessus. Avant, aux Diables Rouges, une fois par ans, on faisait un bal . Maintenant, on veut plus prendre la responsabilité. Les types, ils se battent plus, ils tombe à dix sur un.

Aux Diables Rouges, on essaye d’inculquer aux jeunes le respect de l’arbitre et des adversaires. Les arbitres, sur le tapis, c’est les seuls qui sont payés. Ils sont payés par la fédération. Ils peuvent faire des erreurs. Moi, j’ai jamais contesté les décisions des arbitres. Vous savez quoi ? J’ai été décoré par le général de Gaulle. Il m’a donné l’ordre de la courtoisie. C’est Ramoutcho « le roi de la montagne » qui m’a accroché la médaille. Et Roger Couderc, il était là aussi. C’est eux qui m’ont remis la récompense.

Les arbitres, sur le tapis, je leur parle pas. Les arbitres, si je leur parle, c’est dans les vestiaires. C’est vrai, c’est difficile d’arbitrer. Ça dépend de l’angle de vue de l’arbitre. Il y a des prises plus ou moins nettes. De toute façon, on pense ce qu’on veut, mais s’il n’y a pas d’arbitre, il n’y a pas de sport.

Si vous voulez faire un truc qui soit pas vu par l’arbitre, il faut faire tourner votre adversaire de l’autre côté. Comme ça, l’arbitre, il peut pas voir .

J’ai jamais été en colère contre des adversaires qui faisaient des trucs pas correct, mais contre l’arbitre qui laissait faire. Alors, l’arbitre et moi, après, on en parlait dans les vestiaires.

Mais la lutte, c’est un sport amateur. Il y a pas de pognon à gagner la dedans.

Pour gagner leur vie, il y a des lutteurs, ils passent au rugby. J’en connais des anciens des Diables Rouges, ils gagnent 2000 € par mois à Toulon.

Les contrôles antidopage, il y en a plein. Guenot, ils sont venus chez lui trois fois. Et trois il était pas là. Qu’est ce que vous voulez que je vous dise ? Il a 29 ans. Il est beau gosse. Il est champion olympique. Il va pas appeler la fédé chaque fois qu’il va chez une fille. C’est dur leur truc de suivi des champion. C’est dur. Il faut tout le temps leur dire où on est. Bon, les JO, il pourra les faire. Mais est-ce qu’il sera en bonne condition ?

La balance, ah, ça c’est terrible. En 1955, au gymnase Japy, je défendais mon titre de champion de France. J’avais pas le poids. J’ai mis 55 minutes pour perdre les 100 grammes en trop. Pour faire le poids, vous mangez rien pendant une semaine. On se couvre de survêt, de couverture pour suer le plus possible. On courre. On saute à la corde. On se fait malaxer par les copains. Les dernières 24 h, vous buvez plus une goutte. On s’humecte juste les lèvres. Du fait qu’on boit plus, on arrive plus à pisser. Bon maintenant, il y les saunas pour arranger un peu l’histoire. C’est dur, ah, oui, très dur la pesée. Moi, j’ai toujours été un buveur de bière. Après un championnat, mon premier mouvement, c’était d’aller à la buvette. Je regardais le type descendre la pression. Remplir mon bock. Ah, j’aurai pu payer 10 sacs pour cette bière là.

De toute façon, on y peut rien. Qui dit catégorie, dit bascule. Après la pesée, les gars, ils reprennent 3 ou 4 kg en une demi journée avant leur combat. Ils descendent des litres d’eau. C’est très difficile de rester sans boire.

Je me suis jamais blessé. J’ai jamais blessé personne. Mais la balance… Ouais, la balance, c’est dur. »

https://vimeo.com/125122247

Lutte

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