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Interview de Dane (lutteur)

Dane a appris la lutte aux Diables Rouges. Il est maintenant entraineur. Il réfléchit sur son sport, l'enseignement et l'encadrement officiel.

Je ne me rappelle pas de la toute première fois où je suis monté sur un tapis de lutte.

Je me rappelle de la première fois où j’ai vu de la lutte.

J’habitais à cinq minutes de la Briqueterie, au plateau, avant de déménager un peu plus loin. A Bagnolet, tout le monde à peu près a fait de la lutte à l’école. Ma sœur, elle, faisait de la danse classique. Aussi à Bagnolet.

Ma mère me poussait à faire un sport, ma sœur avait une de ses copines qui faisait de la lutte. Elle a dit : « Pourquoi ne pas lui montrer ce que c’est que la lutte ? » Les filles à la danse, les garçons à la bagarre…

Je suis arrivé ici à la Briqueterie, devant la porte de la salle. A l’intérieur, il y avait plein de gamins qui s’entrainaient. A l’époque j’étais très timide. Je ne suis jamais rentré dans la salle, j’ai regardé les cinq mètres de salle que je voyais depuis la porte. J’étais tellement timide, j’avais tellement peur de rentrer dans la salle que quand on m’a demandé : « Est-ce que tu veux faire ça l’année prochaine ? » j’ai dit : « Oui, oui, c’est bon on peut y aller. » Juste pour ne pas rentrer dans la salle. J’ai vu tellement de monde que ça m’a bloqué, je ne pouvais pas rentrer. Au contraire, je voulais me cacher. J’avais six ans. Je n’avais même pas vu cinq minutes de l’échauffement. Je ne savais pas ce qu’était la lutte au final.

L’année d’après j’ai commencé. J’avais sept ans.

Je ne me rappelle pas si ça m’a plu au début, mais ça a dû, parce que j’ai continué ensuite.

Je me souviens de petits passages à l’entrainement où je m’amusais, mais c’est tout.

L’entraineur qui m’a le plus formé, je dirai que c’est Philippe Valeri. Il était gardien du cimetière. C’était drôle. Il avait cinq minutes de marche à faire pour arriver dans la salle de la Briqueterie (le cimetière jouxte le parc des sports de la Briqueterie). L’été, il pouvait arriver pieds nus avec les ongles vernis pour nous faire rire, avec son sac à dos accroché à un bâton à son épaule. C’était un énorme personnage. Il nous faisait rire à chaque fois. Quand il mettait ses chaussettes, il les tirait tellement fort qu’il les craquait. Juste pour nous faire rire. C’était un clown. C’était l’entraineur par excellence. J’étais jeune. On était un groupe avec des personnages pas faciles. Il nous apprenait à ne rien lâcher, la combativité, à toujours continuer, à se relever à chaque fois. Il nous apprenait ça, pas que avec la lutte, mais avec d’autres sports, au début ou à la fin de l’entrainement. A la fin de l’entrainement, on pouvait faire un rugby où il nous mettait discrètement des coups dans la face pour voir comment on allait réagir. Ça poussait toujours à chercher, à aller plus loin.

Je dois être le dernier à avoir continué la lutte de cette période. Tout le monde a arrêté, a plus ou moins fait autre chose. C’est la vie.

Je n’ai jamais arrêté depuis que j’ai commencé à sept ans. Sauf pour blessure ou petit bobo, mais jamais plus de six mois. J’ai voulu quelques fois, surtout quand j’étais petit. Maintenant je ne me pose plus la question, parce que je sais que c’est le sport que j’aime même si je viens parfois ici à reculons. Je peux pratiquer d’autres activités à côté, mais je sais que mon sport principal, c’est la lutte.

Quand on est petit, on veut parfois arrêter, parce qu’on sort d’une compétition, qu’on a perdu, qu’on est démotivé, on est à moitié en train de pleurer. Heureusement qu’il y a Maman derrière qui dit : « Ah oui, tu ne veux plus y retourner ? et bien mardi tu retournes à l’entrainement. Je t’y emmène si il faut. » Et le mardi on ne se pose plus la question, on y retourne parce qu’on s’y amuse tellement.

Je ne me rappelle plus de ma première compétition.

Je n’étais pas tellement attentif quand j’étais petit. Je n’étais pas concentré du tout sur ce que je faisais. On pouvait me dire de ne pas faire quelque chose et la seconde d’après, je le faisais parce que je n’étais pas concentré, que je n’en avais rien à fiche.

De toute mon enfance, je ne me souviens que des faits très marquants.

Des souvenirs de défaites, oui j’en ai.

Celle qui m’a le plus marqué, c’était il n’y a pas si longtemps, il y a six ou sept ans, dans un championnat de France.

Dans les règles normales, j’aurais dû gagner ce combat. L’arbitre, lent de réaction, amorphe, ne voit pas le tombé, ne siffle pas le tombé. Tout le monde l’a vu sauf lui. Alors qu’on était au sol depuis trente secondes, il est resté debout, comme ça, amorphe. C’était en demi-finale, il ne siffle pas le tombé, il nous fait relever, il fait continuer le combat, je perds mes moyens et je perds le combat.

Ce qu’il y a de bien, c’est que les parents du lutteur avec qui je luttais filmaient. Ils sont partis voir les entraineurs avec la vidéo. Ils disaient : « On n’avait pas besoin de la vidéo, on savait qu’il était tombé. Même lui (leur fils) le savait, il a arrêté de lutter. » C’était la demi-finale du championnat de France, c’était l’adversaire le plus dur, c’était la finale avant l’heure. Je l’ai perdue. J’étais découragé pour la finale 3-5 qui s’est passée à peu près de la même manière. Dans ces cas-là, on n’a pas de recours, c’est fini. À l’époque, il n’y avait pas la vidéo, et pas de recours. On ne peut pas remettre en cause le résultat, aller voir la fédération et dire : j’ai gagné. Ça leur ferait perdre la face. On ne peut pas refaire tout le championnat.

On réagit en se posant des questions : Est-ce que ça vaut le coup de continuer pour ça ? Est-ce que ça mérite de continuer ? De faire tant d’efforts pour si peu de résultats ? Alors que c’est un sport amateur. De sacrifier sa vie, ses études, un peu son avenir (parce que ce n’est pas forcément dans la lutte qu’on va trouver un bon travail) ?

Après on essaie de relativiser un peu : la vie c’est comme ça, il y aura d’autres occasions. Je pense qu’on apprend plus en se disant : « C’est comme ça, on ne peut rien y faire, il faut passer à autre chose. » que de se dire : « Je pouvais faire quelque chose, il y avait quelque chose à faire. » Il n’y avait rien à faire… Donc on rebondit, on continue à avancer. On continue de faire ce qu’on aime. Même si on le fait un peu différemment peut-être. Ce n’est pas la fin de la vie, il y a d’autres choses, ce n’est pas le plaisir principal.

Si on s’entraine, du moins à un certain point, c’est pour faire des résultats en compétition. Est-ce qu’on peut dire que déjà, être cinquième ou quatrième des championnats de France, ce n’est pas un résultat en soi ? Sachant tous les autres qui sont derrière. Oui et non. On peut dire : « J’aurais dû aller plus haut, il aurait dû y avoir plus de monde derrière. » Mais les autres derrières, ils font quoi ? Ils continuent à avancer, ils développent leur vie tranquillement. Donc, il n’y a pas de raison qu’on s’arrête à ce moment-là. On apprend à relativiser. Du moins, j’ai appris à relativiser.

Personnellement, je retiens plus les défaites que les victoires. Parce que j’ai l’impression que j’en apprends plus. Ça marque plus. J’ai gagné des compétitions ou des championnats, sans même savoir ce que j’avais fait. Sans analyser, sans revenir sur ce que j’avais fait. Comme la défaite est plus amère, on revient plus dessus, on analyse.

Quand on gagne, on ne se demande pas comment ni pourquoi, ni ce qui a joué. On est bien et on en profite, c’est tout !

Quand on combat contre quelqu’un qui nous a déjà battu, c’est spécial dans la gestion du stress, parce qu’il est amplifié, la concentration est plus importante, mais je ne suis pas trop dans l’esprit de revanche, je suis plus dans l’esprit de me mesurer pour savoir là où j’en suis.

Chaque adversaire peut nous permettre de nous mesurer pour savoir où on en est à un instant T. Parce que chaque combat est différent. On peut arriver un jour malade. Il peut m’avoir battu un jour où j’étais malade ou l’inverse. Ça dépend de l’instant T et de toutes les circonstances qui y vont avec. Donc, revanche, non. Je ne suis pas trop dans cet esprit.

Les adversaires qui m’ont battu les années précédentes me servent de repère pour savoir si j’ai évolué.

Je ne me souviens pas spécifiquement d’adversaires. Je ne me fixe pas sur eux. Je me fixe sur moi, sur mes objectifs, sur ma planification, sur ce que j’ai à faire. C’est ce qui est déterminant, plus que mes adversaires et leur forme. Si je me fixe trop sur eux, comme beaucoup d’athlètes ont l’habitude de le faire, je me mets à les regarder et plus à les combattre. On n’est plus à cent pour cent dans ce qu’on fait mais dans ce qu’on voit.

Sur le moment ce sont des adversaires. Pendant le combat ou la compétition, ce sont des adversaires : Je ne vais pas aller les voir, parler ou passer ma journée avec eux. Mais après ou avant cette journée, c’est différent. Même s’il y a eu des coups de tête, des coups de poing, s’il y a eu des petits gestes un peu déplacés : c’est dans le combat. Point.

S’il y a eu des gestes vraiment déplacés, il faudra une explication, parce qu’il y a des gestes qui n’ont rien à faire dans un combat, même pour gagner. S’il y a eu de tels gestes, on ne peut pas se parler simplement comme ça après le combat.

Il n’y a pas de rivalité. Sauf une bonne rivalité de se mesurer pour savoir qui est le meilleur et pour faire progresser à chaque fois.

Entre la compétition et l’entrainement, je ne pense pas que j’aime plus l’un que l’autre. J’aime plus le sport en général. Que ça soit en compétition ou en entrainement, ça dépend surtout de l’état général et de l’ambiance générale de la séance.

Les entrainements, ça dépend des jours. Il y a des entrainements où on va s’amuser, on va pouvoir en profiter. Il y en a d’autres où on en profite pas du tout parce qu’on est dans le rouge, il faut continuer à avancer, etc, on a la tête qui tourne, ce n’est pas grave, on se fait mal, on se blesse…

C’est pareil en compétition. Il y a des compétitions où tout roule, on ne sait pas pourquoi, tout va bien, on ne se fait pas mal, on éclate tout le monde. Et le lendemain, si on refait la même compétition avec les mêmes acteurs, ce n’est plus du tout la même chose, on peut se blesser au premier tour, on peut perdre les deux qu’on avait battus juste avant, se faire une grosse blessure…

Ce n’est pas soit l’entrainement, soit la compétition. Si on veut faire de la compétition, c’est les deux qu’il faut aimer. C’est se faire plaisir et se faire mal à l’entrainement mais aussi en compétition. Il faut aimer les deux ambiances.

Un athlète qui aime la compétition mais pas l’entrainement, il va pouvoir faire une ou deux bonnes compétitions mais après quand il va tomber sur du haut niveau, ça va être complètement différent, il n’aura pas tous ses repères.

A l’inverse, quelqu’un qui aime l’entrainement mais pas la compétition, il va complètement s’effondrer le jour J. Il y en a pas mal des comme ça. On en a vu passer.

Ça se travaille, c’est surtout mental. Surtout la prise de plaisir, s’amuser en compétition et à l’entrainement, en profiter, plutôt que penser à la peur à chaque fois. La peur c’est bien mais il faut qu’elle soit là en positif seulement.

La peur, certains diront que c’est la peur de gagner, d’autre la peur de perdre. Je dirai que c’est peut-être aussi la peur de mal faire. Il y a différentes sortes de peur. Il peut y avoir aussi la peur de décevoir. Ce n’est pas une peur en particulier qui fait qu’on échoue ou qu’on réussit un entrainement ou une compétition. C’est une peur généralisée avec plusieurs parties, dont certaines qu’on ne soupçonne même pas.

Au début, ma mère venait aux compétitions. Mais ça m’agaçait un peu de la voir, parce qu’elle était stressée, elle devenait toute blanche, elle se refermait, ça se voyait. A chaque fois que je devais combattre. Du coup, quand je tournais la tête et que je la croisais du regard, je voyais ma mère toute pâle. Ça me mettait encore plus la boule au ventre et je n’étais pas bien. Ça ne s’est jamais arrangé. Elle ne s’est jamais calmée, elle n’a jamais réussi à décompresser. Il suffit que je monte dans un manège pour que ça le fasse, alors en combat, je n’en parle même pas ! Elle se décompose complètement. Du coup elle n’arrive plus à venir. Du coup ça m’arrange ! Parfois elle vient quand même, comme à Fanara (gymnase à côté de la Briqueterie) sur les championnats, où tout le monde est invité et quand c’est proche de la maison. A ce moment-là, même si elle aimerait bien que je vienne vers elle un peu plus, quand je la vois comme ça toute…je préfère la mettre de côté et rester focus. C’est bien quand elle reste à la maison ! Ça serait du foot, je ne pense pas qu’elle serait inquiète comme ça, mais là ça ne l’est pas. On fait bien un sport de combat où tous les risques sont pris.

Les risques, pour ma mère, plus je la vois, plus je me dis qu’elle n’est pas loin de faire un malaise, vu comme elle devient toute blanche et vu comme elle ne se sent pas bien.

Pour nous sportifs, dans n’importe quelle discipline, il ne faut pas se voiler la face, un arrêt cardiaque sur un terrain au foot ou ailleurs, c’est la vie. Une tétraplégie, une paraplégie, un faux mouvement et on tombe sur la nuque comme c’est déjà arrivé, un coude en moins… Ce sont les accidents de tous les sports. Un peu plus dans les sports de combat quand même.

Ma mère s’en fiche du résultat, elle a peur pour moi, que je me blesse. Que je perde ou que je gagne, elle me l’a toujours dit, je resterai son enfant. C’est pour ça qu’elle m’a toujours renvoyé au casse-pipe quand je perdais, que je sortais des compétitions et que je disais que je ne voulais pas y retourner. Elle ne voulait pas entendre et voulait absolument me renvoyer à l’entrainement. Malgré ça, elle a peur que je me fasse mal. Elle sait que c’est un sport de combat, elle connaît mon style de combat, elle sait que c’est dangereux. Je ne fais pas forcément dans la dentelle… Il suffit qu’on m’astique un peu le cocotier pour que ça me réveille tout de suite. Du coup, bien que je sois timide, il ne faut pas trop me bouger…

Je pense que la personnalité de chacun est reflétée par sa manière de combattre. Une personne timide va être plus ou moins timide quand elle combat, une personne qui est excentrique va faire exactement la même chose quand elle va lutter.

Quand j’étais en sport-études je n’étais plus du tout timide en lutte parce que c’était ce que je faisais H24 et que j’avais l’habitude de faire. Comme maintenant je suis revenu au club, du coup je suis un peu plus réservé, un peu plus appliqué, concentré dans ce que je fais et je me pose plus de questions. Du coup mon côté timide revient aussi un peu.

En sport-études, mon but était de pouvoir allier sport et études en même temps, de pouvoir m’entrainer plusieurs fois par jour, de pouvoir voir si je pouvais atteindre le haut niveau en lutte, chose que j’aurai pu faire…

Je vois des gamins ici qui pourraient le faire parce qu’ils sont au lycée juste à côté, ils sont ici, ils habitent dans les parages. Mais allier l’emploi du temps du lycée est difficile. Il faudrait une classe sportive avec des trous dans l’emploi du temps pour s’entrainer. C’était le cas en sport-études. C’était le top, s’entrainer deux fois par jour. C’était pas mal. C’est pas mal. Reste à avoir un bon encadrement à côté.

J’étais à Dijon. Pôle France Dijon. Je ne vais pas balancer dessus mais bon…L’encadrement reste important. Je suis resté un mois et demi. C’est les aléas du sport. A l’époque c’était la plus grosse défaite, le plus gros revers que j’avais pris dans la petite vie que j’avais déjà faite. Après il y en a eu d’autres mais c’était la plus grosse en sachant que le soir où les faits sont arrivés, je n’étais pas là. Il fallait plusieurs coupables et donc hop au passage… Je suis passé en commission de discipline à Gallieni, au Campanile, un mois et demi ou deux mois après les faits. Je leur ai dit que je n’étais pas là ce soir-là, que j’avais mes billets de train pour le prouver, que j’étais rentré le dimanche après-midi (ils disaient que ça c’était passé le samedi). Ils ont été obligés de se dire : « Il n’était pas là, en effet, il n’a rien fait. Mais on lui met quand même une sanction. » Je devais passer des diplômes fédéraux, soit d’arbitre, soit d’entraineur. Je n’avais plus le droit de faire de stages nationaux pendant un an. Deux mois après la commission, une fois qu’ils ont bien laissé traîner le dossier, que plus de la moitié de l’année scolaire est passée, j’entends : « Si tu veux, tu peux retourner au Pôle. » Alors que j’avais été récupérer toutes mes affaires, toute ma literie, tout ! J’ai dit non. Ils étaient revenus sur leur décision mais c’était trop tard. Ça faisait quatre mois que la décision avait été prise, j’avais repris les cours dans un autre établissement, je n’allais pas à nouveau changer alors que j’avais déjà changé en cours d’année, j’avais dû rattraper les cours, j’avais dû revenir, me réhabituer. C’était un peu compliqué, surtout que je devais repartir, mais je ne devais pas être cette fois au CREPS puisque le CREPS ne voulait plus de moi parce que pour eux j’étais coupable, je devais être interne à l’école. Je me suis dit : « Je fais peut-être une bêtise, mais je n’y retourne pas. C’est un choix. Je reste. Je termine mon année ici. » Je pense que j’ai bien fait parce que sinon je ne serais jamais passé en S. Avec deux changements dans l’année ça aurait été difficile.

Aujourd’hui encore, c’est toujours difficile de l’accepter. C’est comme quand on est petit et qu’on est face à l’injustice. Là c’est une injustice. Je ne suis plus un enfant mais elle reste toujours bien gravée et en travers de la gorge ; mais il faut avancer, il faut faire avec. J’ai mis du temps à m’en remettre. Quand je venais m’entrainer ici je restais souvent dans mon coin, isolé. Parfois en plein milieu de l’entrainement, je n’avais plus du tout envie : « Ça ne sert à rien ! » A ce moment-là, on va s’asseoir dans son coin, on regarde les autres s’entrainer. Au fur et à mesure le temps fait son effet. On oublie, on passe à autre chose. Du moins on essaie d’oublier et de passer à autre chose. Même si ça reste bien dans la mémoire. On reprend les entrainements, on reprend les compétitions. On essaie de se remotiver.

On a toujours le même but mais ce n’est plus le même environnement. L’environnement adapté n’est plus là, donc c’est beaucoup plus dur. Tu repasses à un entrainement par jour après la journée de huit heures d’école, de cours, de travail mental, le soir quand on n’est pas frais, quand on se blesse le plus. On ne se concentre plus que sur ça. On fait autre chose à côté. On pense plus à ses études, on pense à ce qu’on veut faire à côté. On n’est plus dans une bulle à ne penser qu’au sport. Ce n’est pas forcément plus mal. On réalise que si à ce moment-là les personnes de la commission, de la fédération (fédération française de lutte), étaient un peu sorties de leur bulle « tout pour la lutte », qu’elles s’étaient renseignées plutôt sur ce qui s’était vraiment passé, elles auraient pu prendre leur décision bien avant. Le fait d’être centré sur soi-même et de penser qu’on a toutes les cartes en main fait qu’on passe à côté de pas mal de choses.

Je ne suis pas le seul dans ce cas-là, je ne suis pas le seul à être mis de côté.

Il y en a aussi plein qui font des trucs et qui ne sont jamais mis de côté.

Le sport c’est un ensemble. Un ensemble de rencontres, de circonstances, de leviers qui entrent en jeu ou pas, de personnes qui sont là pour t’aider à tel moment, ou qui croient en toi on ne sait pas pourquoi et qui donnent tout pour toi à ce moment-là. Quand ce n’est pas le cas il faut que tu te débrouilles tout seul et c’est un peu difficile, voire même impossible.

A l’inverse il y en a qui font plein de conneries et parce qu’ils sont je ne sais pas…beaux, ou parce qu’ils rendent bien physiquement, on va les aider un peu plus que les autres, voire on va même effacer les erreurs ou les grosses fautes qu’ils font.

C’est ça le sport de haut niveau. On a beau s’entraîner plus que les autres, on a beau faire mieux, plus que les autres, on n’est pas sûr d’être récompensé un jour. Après, si on ne fait rien, on ne sera jamais récompensé, alors autant faire et dire qu’on l’a fait. Voire même dire qu’on a essayé, c’est déjà pas mal. Bien qu’on sait très bien que ça restera en travers de la gorge. Mais ça nous apprendra quelque chose.

Quand ça s’est passé, j’avais quinze ans. J’en ai vingt-huit maintenant.

J’entraine ici depuis dix ans. Quand je suis revenu, une fois l’amertume passée, je voulais rendre ce que le club m’avait donné et commencer à entrainer un peu. Je suis venu donner un coup de main aux entraineurs sur le groupe d’avant (les ados). C’est une bonne chose en soi parce qu’au final c’est mon emploi et c’était bien. Mais si je n’avais pas fait ça, j’aurais peut-être pu me concentrer un peu plus sur les études et je n’aurais pas dit : « Stop, je m’arrête là avec ça, je vais travailler, c’est ce que j’aime. » J’aurais peut-être poussé un peu plus les études et j’aurais eu plus de temps surtout pour le faire. Parce que quand après la journée de huit heures de cours, on va directement à la salle de lutte trois fois par semaine, qu’on est fatigué, qu’on entraine les petits et qu’on s’entraine ensuite, on rentre chez soi à vingt-deux ou vingt-trois heures, on mange un peu et c’est fini, on n’a plus le temps, on est fatigué. Soit on tient un peu le rythme et on travaille un peu, soit on s’écroule complètement. En général on ne tient pas le rythme sur une année.

Donc, j’ai entrainé tôt mais peut-être beaucoup trop tôt. Je parle par rapport aux études parce qu’on ne commence jamais trop tôt à faire quelque chose qu’on aime.

Je voulais pousser après le bac, mais quand j’ai vu déjà toute l’énergie que ça me demandait pour le bac, qu’il aurait fallu que j’arrête les entrainements… Il n’y avait personne à ce moment-là pour me guider, que ce soit les entraineurs ou qui que ce soit. Ni ma mère qui travaillait beaucoup, qui s’occupait de ma sœur et moi. Elle a fait son maximum mais tout ce qui était plus poussé dans l’avenir ou les études, elle avait déjà jeté l’éponge depuis un moment. (En sachant que quand mon cerveau ne voulait pas apprendre, il n’apprenait pas. Je pouvais passer trois heures sur une feuille et apprendre zéro mots sur la feuille.) Je ne lui en veux pas parce qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait. Il n’y avait personne pour me guider, pour me dire : « Ok, stop, là, tu as dix-huit ans, tu ne vas pas foutre en l’air tes études pour donner trois cours dans la semaine à des gamins qui ont à peine cinq ans de moins que toi. »

Parce que c’est ça en plus, ce qui était difficile c’était de s’imposer alors que j’avais dix-huit ans et qu’ils en avaient douze. Ils me voyaient plus comme un grand pote que comme un entraineur ou un adulte. Ils ne me voyaient pas comme un adulte.

Mais finalement ça s’est bien passé, après le bac j’ai enchainé des diplômes sportifs.

Je pense que la formation ça ne s’arrête réellement jamais. Je suis toujours à la recherche de bouquins ou de formations pour apprendre. J’apprends sur le tas.

J’aime entrainer. J’aime voir les gens, j’aime quand il y a une évolution et surtout une progression. Un lien s’installe, un échange se créé, des affinités. La progression ou pas. Il y a des remises en question. Tout ça fait partie du fait de toujours évoluer, toujours se former, d’être toujours à la recherche. Pour moi c’est un peu ça la vie. Pas forcément toucher à tout parce que c’est impossible dans le monde actuel, mais toujours vouloir évoluer en progressant.

Je vois des jeunes qui ont commencé quand j’avais dix-sept ans et qui sont encore là aujourd’hui, qui s’entrainent encore. Je me dis : « Dommage qu’il n’y ait pas eu à ce moment-là un vrai entraineur qui s’occupe de tout, des déplacements en compétition, etc. Il y aurait eu plus de suivi, plus d’encadrement, on aurait eu plus de jeunes, un plus gros groupe. »

Je n’ai pas de modèles de lutteur. Je regarde des vidéos, je regarde des combats de lutte, les championnats du Monde, les championnats d’Europe, mais je n’ai jamais eu d’idole, que ce soit en lutte ou dans les autres disciplines. Je regarde d’un œil un peu différent : je ne regarde pas le lutteur, mais plutôt la technique qu’il fait, comment il la fait, en analysant et en essayant de la reproduire. Jamais en disant : « Ah il est trop fort, ah c’est un dieu ! ». Non, c’est un homme, avec deux bras, deux jambes, laissez-moi tranquille…

J’ai fait pas mal d’autres sports, j’ai fait du badminton quand j’étais au collège, j’ai fait du foot, du rugby (j’en fait encore en loisir), j’ai fait un peu de grappling, de MMA, de l’escalade…

J’ai touché un peu à tous les sports car j’ai obtenu un diplôme d’éducateur sportif. J’ai dû toucher à un peu tous les sports. Un peu comme en STAPS. (Sciences et Techniques des activités physiques et sportives).

Quel est ton plus grand plaisir dans la lutte ?

C’est un peu mélangé.

Soit on tombe sur un adversaire fort, on arrive à jouer, ce n’est même plus de la lutte, plus du combat, c’est vraiment un jeu, on s’amuse à le déplacer, on est facile avec lui.

Soit c’est dans le combat, ça commence à devenir difficile, on va chercher un peu plus dans ses ressources pour réussir, si on réussit, c’est encore mieux. C’est ça le vrai plaisir.

L’autre plaisir, c’est quand on sort de l’entrainement, on est fatigué, on se sent bien, dès qu’on s’allonge, on se sent s’enfoncer complètement et deux secondes après on est déjà en train de ronfler.

C’est sentir tous ses muscles bouger, se sentir agile, bien dans son corps.

Ça n’arrive pas tout le temps pendant les entrainements, loin de là. Ça arrive même après les entrainements, on se dit ah oui, ça a servi à ça !

On est un sport de combat où on souffre pas mal, mais il y a toujours le plaisir de se voir dans le miroir et de se dire : « Ah oui, pas mal ! J’ai un muscle qui a poussé ! »

C’est un tout.

On est parfois pas loin du narcissisme. Beaucoup le sont dans cette discipline. La lutte pousse à ça. On voit toujours les meilleurs super carrés, les muscles bien remplis de partout ; en compétition comme on est au régime, on est bien secs, donc les muscles sont bien tracés. Ça nous pousse -comme les gens de la musculation qui font soi-disant de la remise en forme alors qu’on sait bien que c’est du body-building, qu’ils cherchent à avoir des bras plus gros que leurs cuisses-. Il y en a qui tombent bien dedans en lutte.

La tenue joue un rôle important bien sûr, on aurait un kimono, tout ça serait caché. Mais le kimono, on l’enlève et quand on prend sa douche on voit bien les effets. Quand on va en vacances, à la piscine, on voit bien ce que les gens regardent. Quand tu regardes la personne dans les yeux et qu’elle louche sur tes abdos ou sur tes pec, tu te dis : « Bon, et bien ça sert à quelque chose finalement. »

Je ne suis pas sûr que ça serve à ça mais ça sert aussi à ça. Il faut le dire. Parce que pour certains c’est un moyen de venir au sport. Beaucoup font du sport juste pour ça. Certains font du sport pour préparer l’été, pour être bien dans leur peau. Certains, étant petits, n’étaient pas du tout comme ça, voire même étaient maltraités dans la cour d’école, et ça s’égalise à la fin.

Pour les filles, certaines, comme pour les hommes, sont morphologiquement déjà assez charpentées au départ. Et pour d’autres, ça affine. Certaines lutteuses sont fines et super fortes. Et ça ne déplaît pas à certaines filles d’avoir de gros bras ! Elles aiment bien prendre leur copain dans leurs bras, comme ça.

Je n’ai jamais été bagarreur. Même le MMA, ça ne me dérange pas en soi, je comprends, j’en ai fait. Mais il y a des limites. Je comprends qu’ils ne sont là que pour la victoire. Après, il y a les sponsors qui en rajoutent des caisses. Il y a eu beaucoup de dérapages. Quand ton adversaire est dans les pommes, même si l’arbitre n’intervient pas, je pense que logiquement tu arrêtes de taper. Mais certains ne s’arrêtent pas, jusqu’au moment où l’arbitre les sépare, jusqu’à ce que l’autre soit vraiment KO. Pour l’instant on ne voit pas les séquelles, mais plus tard on verra, comme les boxeurs. Je pense que les séquelles seront même pires. Les rounds ne sont pas aussi longs qu’en boxe, mais les impacts, une fois que tu es sonné, sont plus importants. Parce qu’il n’y a plus du tout de réaction du corps, parce qu’on ne voit plus le coup arriver. En boxe, une fois qu’on est au sol, on a plus le droit de taper. Les types qui sont au sol, une fois que l’autre n’a plus de réaction, ils tapent encore. Parfois, l’autre titube et ils tapent encore. A ce moment-là, on a plus de réaction d’auto-défense, on ne peut plus se préparer aux coups et le cerveau se prend des jets et des jets, il tape de tous les côtés. Je n’imagine même pas les dégâts !

En lutte, au début je n’étais absolument pas bagarreur, absolument pas accrocheur, absolument pas combatif. J’étais là, je venais sans être là, je m’amusais, j’étais sur le dos j’étais content ! J’en avais rien à fiche, j’étais là juste pour m’amuser.

C’est Philippe Valeri qui m’a fait découvrir ça. Notamment avec d’autres sports. (Je pense qu’au bout d’un moment si on est dans une seule discipline, on va stagner parce qu’on va se reposer sur ce qu’on sait faire et on ne va plus progresser.) Il nous faisait faire d’autres sports de temps en temps, et quand il nous mettait des petites tartes dans la tête, ça nous réveillait bien. Il nous incitait à ne rien lâcher, ce n’était pas le même effort, on apprenait un peu plus. Au fur et à mesure on devient un peu plus combatif, on ne lâche rien. Une fois que tu as vraiment un entraineur derrière toi, il suffit d’une action…

L’action qui m’a fait que j’ai commencé me réveiller, c’était à un inter-club. C’était contre un jeune du club. Il était plus léger que moi et j’étais sur le dos en train de rigoler, en train de vouloir m’en sortir. Philippe Valeri s’est mis à gueuler à côté de moi pour que je m’en sorte. Je me retrouve en pont, je me dis : « Ah oui, ça sert ce truc-là en fait ! » J’essaie de sortir une fois, deux fois, trois fois, l’entraineur était toujours là à insister, insister, et la quatrième fois j’ai réussi un truc que je n’avais jamais réussi à faire, alors qu’il y avait quelqu’un sur moi : c’était de le surpasser. Je n’avais jamais réussi à le faire seul en temps normal, alors avec quelqu’un qui pèse sur toi !

Au final c’est lui qui s’est retrouvé sur le dos : tombé. J’ai gagné.

C’est à force de petits trucs comme ça qu’on apprend à ne rien lâcher, à rester toujours concentré, à combattre toujours. Tant que ce n’est pas fini, et même quand c’est fini, c’est reparti pour un tour. C’est peut-être même grâce à lui (Philippe Valeri) que j’ai appris à ne pas baisser les bras et à ne pas dire stop à la lutte à certains moments où j’aurais pu faire l’erreur de lâcher.

Ça aurait été une erreur parce que même si j’avais pu aller dans d’autres choses, aujourd’hui j’apprends encore. Ça apprend à rester les pieds sur terre, à être humble. Ce n’est pas parce qu’on est le plus fort aujourd’hui qu’on sera le plus fort demain. Tout ça, c’est appris en accéléré. C’est pas mal : le fait d’apprendre en accéléré.

Je me vois continuer encore pour quatre ans. Dans quatre ans il y a les Jeux. Cette année je me suis planté à la seule compétition où je ne devais pas me planter. Je me dis qu’il me reste quatre ans. Après je serai peut-être un peu vieux. Dans quatre ans j’aurais trente-deux ans. Trente-six, ça fait un peu vieux. C’est possible aussi mais il y a peu de chance.

Pendant quatre ans, on donne encore tout ce qu’on a en tant qu’athlète, et après on verra. On continue à se former encore en même temps même si ça ne sera pas forcément la priorité mais il faut continuer. Et le boulot au club. Et on verra. Toujours sur plusieurs fronts en même temps.

Je fais principalement de la libre. Je peux lutter en gréco en entrainement. Ça reste de la lutte. Ce ne sont pas les mêmes repères. Plus on est fort en gréco, plus on sera fort en libre, on aura plus de lutte debout. Il y a une petite jonction, ça reste de la lutte. Je ferais bien de la lutte féminine mais ils ne veulent pas de moi !

Les catégories pour les filles s’arrêtent à 75 kg. Ça limite pour certaines athlètes qui font plus que ce poids. Il y a des filles qui font plus de cent kilos maintenant. Il leur reste le Sumo ! Il y a des filles au Sumo.

On montre la fresque de Beni-Hassan

Bien qu’on change les règlements, qu’on dit dise qu’on invente, quand on voit cette fresque on voit qu’on est plutôt en train de réinventer à chaque fois.

C’est génial de voir des choses qui sont bien avant nous. Des fois on se demande s’ils se font des câlins !

On n’invente rien du tout, malgré ce qu’on se dit.

Je pense qu’on n’invente pas tant de prises que ça, une prise tous les dix ans peut-être, et encore, elles n’ont peut-être qu’été oubliées parce que pas utilisées. On voit des saisies qu’on pratique encore.

Comme autres types de lutte, j’ai fait de la lutte dans le sable. On est allés faire une compétition de beach-wrestling l’année dernière. J’ai eu ensuite le droit de faire les Jeux méditérranéens des sports de plage. (Tous les jeux sur plage et dans l’eau)

J’ai fait de la lutte sénégalaise quand je suis allé au Sénégal avec le club.

Je n’aimerais pas forcément faire de la lutte à l’huile parce que toutes les catégories sont mélangées et que tu tombes sur la terre, mais les sports sur le sable j’aime bien. Ça se développe pas mal. Il y a un tour du monde de beach-volley par exemple.

On retrouve plus l’esprit du sport : on est là, on veut gagner mais on s’amuse, même si on perd on ne va pas pleurer. C’est plus un esprit sportif équitable. Ça donne des belles disciplines.

Bien sûr, comme il y a des arbitres, il y a toujours des contestations. Malheureusement. Dans un sport on veut l’égalité.

Ça ne me dérangerait pas de devenir arbitre. Pas pour le moment. Je veux me consacrer sur les quatre dernières années en tant qu’athlète pur. Ce sont des diplômes longs, il faut faire cinq à dix compétitions dans l’année. Je ne peux pas entrainer en même temps. Ni m’entrainer. On ne peut pas faire athlète ou entraineur et arbitre en même temps. C’est dommage.

Il n’y a pas beaucoup d’arbitres qui ont pratiqué à un haut niveau. Quand on ne comprend pas un arbitrage ils ne veulent pas discuter. Ils disent : « Ne me parle pas ! » Ils ne justifient pas leurs décisions.

Ça m’est arrivé pour le combat d’un des gamins que j’entrainais.

Un de mes gamins contre une prise de son adversaire, il le met sur le dos. L’autre passe derrière ensuite. Ils mettent les points à l’autre. Je dis : « Vous rigolez ! Mon gamin met l’autre sur le dos et vous mettez les points à l’adversaire ! » Pendant le combat, c’est impossible, tu ne peux rien dire. Je me concentre sur mon athlète, je lui dis : « On oublie, tu ne gagnes pas forcément aux points et on continue à lutter. » Mais à la fin, je suis allé voir les arbitres pour m’expliquer. Une m’a dit : « Ah oui, je comprends ce que tu veux dire, je n’avais pas vu ça comme ça. » L’autre n’a même pas voulu me parler : « Ouais, non, pour moi ce n’est pas ça. » et elle est partie directement. Elle a fait trois ans de lutte dans sa vie et n’a pas cherché à comprendre les explications d’un lutteur en activité.

Quelqu’un qui lutte connaît le règlement à priori. Il ne connaît peut-être pas la gestuelle mais il connaît le déroulement du combat. On en demande trop pour devenir arbitre. Trop quand on veut continuer à lutter et à entrainer.

Il y a un décalage entre les deux mondes.

J’adore ma discipline mais son environnement est contestable…

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