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Interview de Andréa (lutteuse)

Andréa est dans la lutte depuis sa naissance. Son père était champion, il dirige un club de lutte à Neuilly-Plaisance,  son oncle dirige le Club de Bagnolet Lutte 93 (Les Diables Rouges). Elle rêve de rentrer à l'INSEP. Elle a dix-sept ans.

On peut dire que je suis née avec les tapis de lutte parce que mon père a été champion. Dans la famille c’est un peu un gène. J’ai commencé la lutte quand je ne marchais même pas, à deux ans j’étais déjà sur les tapis.

J’ai commencé réellement la lutte à quatre ans, à Neuilly-Plaisance, dans le club où entraîne mon père. J’ai toujours été licenciée là-bas. A Neuilly-Plaisance, la salle est plus petite qu’à Bagnolet, les tapis ne sont pas fixes, c’est à nous d’aller trente minutes avant l’entrainement pour les monter. Ça nous fait une sorte d’échauffement. On les plie, on les déplie, on les installe. C’est un club pour les enfants. Ça s’arrête à l’âge de neuf ans. Il n’y a pas de grands. C’est pour ça que je viens m’entrainer ici maintenant. L’année prochaine je vais me licencier à Bagnolet.

A la maison je m’entrainais avec mon père, on se chamaillait, il me montrait des techniques et c’est rentré tout seul. J’ai toujours été dans la lutte. À maison pendant les fêtes d’anniversaire, quand on voulait prendre papa dans les bras il partait en prise de lutte. C’est mon univers.

J’en ai toujours fait. J’ai arrêté il y a deux ans pendant un an parce que je ne me sentais plus très bien dans mon corps. J’avais l’impression de trop grossir. Je régressais. A une période j’ai été très forte, j’ai même fait une affiche pour l’Ile de France. Après, je ne sais pas si c’est à cause de la croissance ou de l’adolescence, j’ai régressé. Je ne me sentais plus bien donc j’ai arrêté pendant un an. Je suis revenue l’année dernière. J’essaie de reprendre les bonnes bases pour bien repartir. Cette année j’ai fait troisième au championnat de France.

Mon entraineur a toujours été mon père, jusqu’à ce que je reprenne cette année. Il était à ma chaise en compétition. Pour moi ça a toujours été un repère. Je suis quelqu’un de très stressée. Quand il n’est pas là, c’est pire, je me décompose. C’est mon repère, j’ai besoin de lui. Une fois, il y a deux ans, il n’était pas avec moi au championnat de France. A l’époque je ne m’entrainais pas du tout, j’étais partie comme ça. J’avais pris une photo de lui et moi quand j’étais petite et je l’avais mis sous mon maillot de lutte. Pour qu’il soit toujours à côté de moi.

Ce qui est important, c’est de ne pas décevoir mon père. De lui montrer que je peux être championne comme lui a pu être champion étant jeune. Je veux rendre fier mon père, même si je sais que ce n’est pas comme ça que je vais le rendre fier mais c’est comme ça. C’est mon père.

J’ai vu mon père lutter quand j’étais très petite mais je n’ai aucun souvenir. J’ai juste des photos que ma grand-mère a gardées. Je devais avoir trois ans quand j’allais le voir lutter. J’allais le voir en compétition avec ma mère. Elle me raconte encore qu’il était fort, qu’il faisait de belles attaques avec les jambes. Mais je n’ai aucun souvenir. Il a arrêté quand j’avais quatre ans.

Je me rappelle de mon père en tant que coach.

Ici ce n’est pas mon père qui m’entraine. D’ailleurs il n’aime plus trop m’entrainer. Il est nerveux, je suis nerveuse. Quand je n’arrive pas à faire une prise ça l’énerve, je m’énerve aussi, ça fait une accroche ; on ne peut pas s’entendre. Donc je préfère que ça soit quelqu’un d’autre. Il vient me voir en compétition. Même s’il n’est pas à ma chaise, au moins il est là, je sais qu’il me voit et qu’il crie, qu’il me dit quoi faire. Quoiqu’il arrive, je l’écoute lui quand même parce que c’est mon père. Mais il ne préfère plus m’entrainer. Moi, ça me manque mais d’un autre côté c’est bien. C’est bien parce que j’apprends des prises de quelqu’un d’autre. Même si tout ce que m’apprennent les autres, mon père me l’a déjà appris quand j’était petite, c’est d’une autre manière et au moins la personne ne s’énerve pas, elle prend son temps, elle essaie de m’expliquer. Alors que pour mon père c’était tellement facile que c’était : « Mais pourquoi tu n’y arrives pas ? »

Les entrainements avec mon père, j’en ai des bons et des mauvais souvenirs. Mais je ne retiens que les bons moments. J’adorais quand on se chamaillait : tout en se chamaillant, il me montrait des prises. Je devais les reproduire avec lui ou avec quelqu’un d’autre. J’étais fière quand je me relevais et qu’il me disait : « C’est bien, tu as bien compris. » Je me disais : « Il voit que c’est en persistant que j’arrive à ce que veux. »

Je me rappelle d’un mauvais souvenir : C’était ici. Il y a trois ans. J’avais fait quelque chose de pas bien. Ça m’avait énervé de ne pas réussir. J’étais assise. Il est venu et il m’a donné un coup de pied qui m’a fait tourner sur moi-même tellement il avait de la puissance. Je me suis dit : « Ce n’est pas possible. » Depuis ce jour-là, il ne m’a plus entrainé. Mais il continue toujours à me donner des conseils. Par exemple pour les championnats de France, je ne m’étais pas entrainée. J’étais partie deux semaines en Thaïlande juste avant. J’y allais à la cool cette année, je ne comptais pas faire de médaille. Il m’a dit : « Tu arrives, tu fais ta lutte. Tu attrapes bras-tête, tu fais ce que tu sais faire, tu n’écoutes pas les autres, tu ne vas pas attaquer si tu ne sais pas attaquer, tu ne vas pas te mettre dans des difficultés. Je connais ta lutte : tu fais ça, tu fais ça, tu fais ça. » Je suis arrivée, j’ai gagné, j’ai été troisième ! Dans ma tête, il n’y avait que les paroles de mon père qui raisonnaient.

Puis j'ai rencontré Mariana (Mariana Kolic, lutteuse en équipe de France, entraine à Bagnolet Lutte 93). Mariana, c’est vraiment une très belle rencontre. Je l’ai rencontrée au championnat de France cette année. J’avais déjà entendu parler d’elle parce que c’est une très grande championne. Maintenant je peux le dire : avant j’étais fan de mon père, maintenant je suis fan de Mariana. J’aimerais bien reproduire son parcours. Quand je la vois, je suis vraiment éblouie. J’aime bien être assise à côté d’elle, regarder, et qu’elle m’explique. Elle a une manière de me calmer. Comme je vous l’ai dit, je suis quelqu’un de très stressée. Dès que je vois un tapis de lutte en compétition, je deviens blanche, j’ai les yeux noirs, je ne sais pas où je suis. C’était d’ailleurs ce qui pouvait énerver mon père. Au championnat de France, Mariana est venue, elle me parlait, elle avait les mots qui m’apaisaient. Je me suis sentie plus forte que les autres. Même si ce n’était pas le cas, dans ma tête je me sentais plus forte parce qu’elle était là, à côté de moi, à me calmer, elle avait les bons mots. C’est la meilleure coach que j’ai eue ; avec mon père. Et je compte bien la garder ! Elle a été à ma place, elle a eu les mêmes stress, les mêmes heures d’entrainement, elle a eue la même envie, la même rage, et je pense que c’est pour ça qu’on se comprend. Pour mes régimes c’est elle que j’appelle. Mon père qui est chez moi, je ne lui demande pas. Si j’ai deux ou trois kilos à perdre, elle me dit que ce n’est pas grave. Mon père me ferait ronchonner, faire la tête, tandis qu’elle sait trouver les bons mots pour me calmer pour me dire que je vais y arriver. Là, je dois perdre deux kilos pour samedi pour la Rosny Cup. Je lutte en cadette 49 kg. L’année prochaine je passe en junior 48 kg. Ça va être compliqué. Pour l’instant j’ai deux kilos à perdre, et je sais que je vais monter. Plus je m’entraine et plus je prends du poids. Ce n’est pas de la graisse que je prends, je sens mes cuisses et mes bras qui se développent. Mais ça y est, j’ai arrêté de grandir. On va essayer 48, on verra !

Les régimes, c’est compliqué parce que tu dois te freiner dans ton alimentation, tu peux manger certaines choses et pas d’autres. Il faut te surveiller tous les jours. Dès le réveil, tu est obligée de te peser : « Là il faut que je fasse attention parce qu’il ne faut pas trop que je monte ou pas trop que je baisse. A l’entrainement il faut que je perde tant de grammes. » Le plus dur c’est quand tu es avec tes amis. Pars exemple, ils vont au grec et toi tu penses à ta compétition, il faut que tu prennes du recul et tu te dis : « Non, je ne peux pas. » C’est ce qui m’est arrivé ce midi. J’étais fière de moi, parce qu’avant je disais : « Ce n’est pas grave, je le perdrai. » Là j’ai su dire non. Parce que j’ai pensé à la parole que m’a dite Mariana vendredi : « Si tu veux être une championne, tu dois savoir dire stop aux gens qui n’ont pas d’objectif. » Avant cette année, je n’avais pas fait de régime, j’étais toujours au poids. C’était juste cinq cents grammes, ce n’est rien, je les perds en un entrainement. Mais là j’ai deux kilos, je stresse, j’ai peur de ne pas être au poids. Et encore pour samedi il y a un kilo de tolérance, je peux être à 50. On verra bien.

Ce que j’aime dans ce sport, ce n’est pas que c’est de la bagarre mais qu’il faut aussi réfléchir. Je ne peux pas dire que ça me canalise, ça serait mentir. Toute la rage que j’ai, de mon passé et du présent, j’essaie de la mettre sur les tapis. Je sais juste que c’est ma passion et que c’est peut-être ma raison de vivre. Aujourd’hui, c’est devenu ma raison de vivre. Rien que de voir le tapis, ça m’apaise. Juste je mets un pied sur le tapis et je suis bien, j’oublie tout mes problèmes, j’oublie tout : l’école, la famille. C’est autre chose.

J’ai fait aussi de la gym, de la danse et ça ne m’a pas plu du tout. Soit je me faisais virer parce que je faisais n’importe quoi parce que ça ne me plaisait pas, soit j’arrêtais pour la même raison. J’ai fait aussi de la natation, c’est autre chose, tu es dans l’eau, c’est un autre monde. Mais c’est vraiment la lutte à laquelle j’ai accroché. Je ne vois que par la lutte.

Ce qui est agréable, c’est de sentir les gouttes de transpiration couler sur moi. J’adore ! C’est peut-être bizarre mais j’adore. Je fais exprès de mettre toujours un maillot de lutte sous mes affaires, de le mettre pour sentir les gouttes couler. Même si je suis fatiguée, que j’ai mal à la tête, qu’il y a une prise que je n’arrive pas à faire… en fait, le problème c’est que j’aime bien souffrir ! J’adore souffrir, mais dans le bon sens ! J’adore !

Par exemple, il y a deux ans j’ai été disqualifiée parce que j’ai eu un gros oignon à l’arcade. J’ai été transportée directement à l’hôpital. La pire des défaites de ma vie. J’ai adoré parce que c’était comme si j’étais Warrior. J’avais quelque chose de gros. D’ailleurs j’ai une grosse cicatrice à cet endroit, comme une tâche de naissance. Quand je lutte, dès que je me prends un choc, elle gonfle. Et j’adore ! Dans le combat j’avais mis la fille au sol et tellement j’avais été méchante, sa tête a tapé contre le tapis, est remontée à moi et ça a fait un choc. Mon père était dans les tribunes. Je me suis relevée, je n’ai même pas eu le temps de le regarder, il avait déjà vu et il a dit : « Stop, on arrête le match. » Il restait trente secondes, j’aurais pu continuer, mais il ne voulait pas. En plus, je gagnais ! Je gagnais 3-1. La chose qui me fait le plus mal aujourd’hui c’est de le dire. Parce que je gagnais. J’ai toujours ce goût amer. La fille a fini troisième. Pour moi, il fallait mettre un bout de strap et c’est bon, ce n’est pas grave. Mais d’après les docteurs, si j’avais pris un autre coup, ça aurait pu être pire. Donc autant arrêter. Je regrette : oui et non. Parce qu’il faut penser à la santé. Mais « abandonner », chez moi, ça n’existe pas. J’en ai beaucoup voulu à mon père. Il l’a vu. En sortant du tapis. Parce que je suis quelqu’un qui n’est pas fair-play. Quand je perds, il ne faut pas me parler. Je m’enferme dans un endroit et je hurle. Ça me permet de tout relâcher, toute la pression, tout. Ce jour-là, je l’ai fait sur le tapis, sur la fille, je lui ai crié dessus alors qu’elle n’avait rien fait. Aujourd’hui je m’en veux parce que je n’ai pas donné une bonne image de moi. J’étais tellement en colère. Pour moi, c’était de sa faute, elle n’avait pas à relever sa tête comme ça ! J’en ai beaucoup voulu à mon père, il n’aurait pas dû me retirer ce match. C’était ma victoire.

Les compétitions c’est à partir de cinq-six ans, en poussin A. Je n’ai aucun souvenir de ma première compétition. Quand je croise les gens, ils me disent que j’étais très forte. Moi je ne m’en rappelle plus. Je n’ai aucune sensation qui revient mais j’ai toujours été dans la lutte. La première compétition dont je me souviens, c’est une compétition pour l’Ile de France. Je ne sais plus en quelle année. J’ai fait première. Je devais avoir neuf ans. Je me rappelle que les compétitions précédentes étaient sur des petits tapis et qu’il fallait mettre sur le dos. On s’amusait et on gagnait.

La victoire dont je me rappelle, c’était cette année. Ma troisième place au championnat de France. La fille, je l’avais déjà affronté une fois. Elle m’avait gagné une fois, et là, c’était ma revanche. Pour moi, c’était obligatoire de gagner. J’ai gagné 8-5. J’ai mené tout le match. Je menais, je menais, je menais, et à la dernière seconde je ne sais pas ce que j’ai fait, j’ai voulu faire une prise et elle s’est retrouvée sur moi. Il restait dix secondes. J’ai senti mon corps se contracter. Mon corps s’est contracté, j’ai tendu tous mes membres, comme si j’étais une étoile de mer. Je ne bougeais plus. J’attendais. J’avais juste peur qu’elle me retourne. Quand je me suis relevée, la première chose que j’ai faite, c’est mettre mes poings en l’air, lâcher un petit cri et aller vite vers Mariana pour la remercier. Je la connaissais à peine. Elle m’avait tellement travaillé le cerveau en me disant que j’étais aussi forte qu’elle, que je pouvais la gagner même si elle m’avait déjà battue. J’étais fière.

La défaite dont je me rappelle, c’est aussi au championnat de France. La fille est en équipe de France, elle a fait plein de tournois, elle est très forte. On m’avait prévenue : « Elle est forte. » Donc pour moi je m’étais mis dans ma bulle : « OK, elle est forte mais ce n’est pas grave, je vais l’affronter. » Quand je monte sur le tapis, d’habitude, c’est moi qui impose ma force. Mais là, c’est elle qui l’a imposée. Mariana m’avait dit de faire fort dès qu’on serre la main de l’adversaire. Je suis arrivée, je lui ai serré la main, et elle l’a fait fort elle aussi. Ça a fait force contre force. C’était la première fois que je sentais ça. Ça m’a choqué. Quand je regarde mes matches, (parce que je les ai toujours sur moi, même en allant à l’école je les regarde, mes potes me prennent pour une folle. Ils se disent : « Elle est tarée celle-là. ») je vois que je suis toujours la deuxième arrivée sur le tapis, je n’arrive jamais en premier sur le tapis, je ne sais pas pourquoi. Je me suis rendu compte de ça en regardant les vidéos. Je me dis : « Andréa, tu es toujours la deuxième à arriver. » L’autre est déjà en garde de lutte, moi j’arrive, comme si je voulais la taper, j’arrive, je suis droite, je lui sers la main, et après, je me mets en garde. Comme si c’était moi qui décidait quand je faisais quoi. C’est toujours moi qui serre fort la main. Et là c’était la première fois qu’une adversaire avait fait comme moi. J’avais l’impression d’être moi-même en face de moi. Ça m’a peut-être fait peur. Là je me suis dit : « Andréa tu est cuite, c’est fini. » J’arrive, elle a posé ses mains sur moi, je me suis relevée, j’ai sautillé, j’ai regardé Mariana. Elle a vu dans mon regard que pour moi ce n’était pas possible. J’ai tenu deux minutes. Je lui ai mis des points. Il y a eu 3-2. Je lui ai tenu tête quand même, je ne voulais pas lâcher. Quand j’ai perdu, pour moi c’était le désastre. C’est la pire défaite. Mon challenge, c’est de la retrouver pour la battre. J’ai vu son frère il y a moins d’un moi. Mariana était avec moi, elle m’a dit : « Regarde, c’est le frère de celle qui t’a battu. » J’ai regardé son frère, je lui ai dit : « Avec ta sœur, il y aura revanche, et la revanche elle est pour moi, c’est sûr. »

Quand je gagne, je suis fière de moi. Quand je gagne, je m’assois ; les gens viennent. Ce n’est pas moi qui demande à ce qu’ils viennent. Je m’assois, je réalise que j’ai gagné, on vient, on me dit : « C’est bien. » Donc j’ai le sourire, je suis bien. Mais quand je perds, il ne faut pas me parler. Tout le club le sait. Je suis dans ma bulle jusqu’au prochain match.

On ne peut jamais savoir si on va gagner ou perdre. Dans ma tête je me dis toujours : « Tu vas gagner. » ¨Parce que si j’y vais en me disant : « Tu vas perdre », c’est comme à l’école quand on se dit : « J’ai révisé mais je suis sûre que je ne vais pas y arriver. » Donc ça ne sert à rien d’y aller. C’est comme si tu abandonnais déjà et « abandonner » ce n’est pas dans mon vocabulaire. Ça n’existe pas. Donc j’y vais et c’est moi qui vais gagner. Si l’adversaire veut gagner, elle doit passer sur mon corps.

Quand je lutte il y a des « Allez, Andréa ! » mais c’est comme s’il y avait une bulle autour de ma tête, que les sons tapaient mais repartaient. Alors que les informations de mon entraineur, de mon père quand il est là, elles rentrent. Mariana peut me dire : « Attention, là, elle va attaquer ! » et là je fais attention. A côté, tous mes amis crient : « Allez Andréa, Allez Andréa » mais je ne les entends pas. C’est en regardant les vidéos que je me rends compte que mes amis criaient : « Allez Andréa ». Je ne les entendais pas. C’est peut-être mon cerveau qui sélectionne. C’est mieux comme ça. Sinon on se concentre sur les « Allez, allez ». Je n’ai pas besoin de ça. Les conseils uniquement, ça me va. Mariana c’est très bien.

Mon rêve ça serait de rentrer à l’INSEP. Ça serait un très très beau rêve pour moi. C’est le challenge que je me donne : rentrer à l’INSEP. Si pouvais, je ferais mon métier dans le domaine de la lutte, mais ce n’est pas vraiment possible. Mon rêve est d’aller au bout de mes limites, le plus loin, jusqu’à ce que mon corps me lâche, je veux pousser jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il me dise : « Andréa, c’est bon, il faut que tu arrêtes, tu ne peux plus. »

Quand je me préparais pour mes premiers championnats de France, j’étais benjamine et j’ai été surclassée en minime. C’était sur le terrain à côté de la salle, je courais, je courais, je courais, mon père ne me lâchait pas. Il voulait que je coure, il me faisait faire des allers/retours à fond. A un moment, j’ai craqué, je me suis allongée par terre et je pleurais. Je ne pouvais plus. Je n’y arrivais plus. Je sentais que mon corps m’abandonnait. Comme si on m’avait pris mon âme. On m’avait laissé mon corps et on m’avait dit : « Ton âme, je te la prends. » J’aime bien cette sensation aussi. Ça montre que je ne travaille pas pour rien. Je n’ai jamais eu de blessures. Je touche du bois pour ne pas que ça arrive. Je pense que je le vivrai très mal. A part pour l’arcade où ça a duré un mois et demi.

Entre l’entrainement et la compétition je préfère la compétition, parce que au moins on a un but précis. Je l’ai toujours dit à mon père : « Je n’aime pas les entrainements. » Mais il m’a toujours dit : « Si tu veux avoir des résultats en compétition, il faut t’entrainer. » Je n’avais jamais réalisé jusqu’à il y a deux ans. J’allais en compétition avec la force. A chaque fois je faisais des bracelets aux poignets des filles tellement je les attrapais fort. Elles avaient des marques. Je préfère la compétition parce qu’on a l’adrénaline, qu’on se dit qu’on ne s’est pas entrainé pour rien. Tout se mélange dans notre tête. Alors qu’à l’entrainement, on a rien, c’est juste pour progresser. Mais pour gagner il faut passer par l’entrainement. Maintenant, j’aime l’entrainement, c’est devenu comme la compétition sauf qu’en compétition il y a quelque chose en plus. Des fois, je stresse même à l’entrainement. Quand on fait des matches, j’ai peur de perdre, même à l’entrainement. C’est quelque chose de grave chez moi, c’est très grave. On me le dit souvent mais c’est comme ça !

Pour rentrer à l’INSEP, il faut déjà que je décroche ma première place l’année prochaine. Il faut que je fasse mes preuves. Je ne veux pas aller dormir là-bas, juste m’entrainer. Didier (Didier Duceux, le président de Bagnolet Lutte 93) me prendra peut-être une carte et j’irai juste m’entrainer là-bas. Déjà l’année prochaine j’ai mon bac, et après, je ferai tout pour y aller, ça c’est sûr. Je ne vais pas laisser l’école parce que c’est important et que ce n’est pas la lutte qui va me donner à manger plus tard, mais mon choix est déjà fait entre l’école et la lutte. Si demain on me demande : c’est la lutte, c’est sûr. Directement. Ce choix me paraît normal.

Un sport que j’aimerais faire, c’est le free-fight, le MMA. Mais on dit que c’est dangereux pour les filles. Qu’on peut se prendre des mauvais coups, que c’est violent. D’après mon père, je peux abimer mon visage. Après, il faut rendre coup pour coup. Il faut s’entrainer, c’est comme tout. A la lutte on n’a pas le droit de faire mal, c’est ça qui va changer. Je me suis déjà battue à l’école, donc j’ai déjà eu l’expérience des coups. Quand j’étais petite je me suis beaucoup battue. Même au collège. Mon père est souvent venu me chercher. Je ne sais pas pourquoi. Je suis gentille mais il ne faut pas me chercher. Il ne faut pas me dire quelque chose qui me déplait. Même si c’est involontaire. Dès que je me braque, c’est fini. Je me braque, tu ne me parles pas : tant mieux. Mais si tu persistes, c’est fini, je te rentre dedans. Mais je ne donnerai jamais le premier coup. Jamais. Je m’approche jusqu’à ce que la personne craque. Dès qu’elle craque : c’est moi qui y vais. Quand je me bagarre, je ne fais pas de lutte. Mon père m’a dit de faire attention de ne pas faire de prise de lutte dans les bagarres parce que si la personne le sait et qu’elle porte plainte contre toi, on peut t’enlever ta licence, et moi je ne veux pas ! En lutte, tu n’as pas le droit de faire des prises si tu n’es pas sur un tapis. Dans les bagarres, je mets des coups. J’oublie la lutte quand je me bats. Je tape. Mais je ne me bats plus, c’était quand j’étais enfant. J’ai grandi. Je suis passée à autre chose. La boxe aussi ça m’intéresserait bien. Mais je ne veux pas arrêter la lutte pour ça. Je ne veux pas avoir un autre sport à côté de la lutte. Je ne veux me consacrer qu’à la lutte. Pour moi, le choix, ça sera toujours la lutte. Quand je dis que j’aimerais faire du MMA c’est plutôt pour taper. Parce qu’à la lutte, on n’a pas ça. J’ai envie de taper et de recevoir les coups, mais en sachant les arrêter. Je ne sais pas pourquoi j’ai cette envie de taper. Il faut que j’essaye. Juste faire un ou deux entrainements, voir ce que ça fait. Voir si c’est une autre sensation. Et là, je verrai vraiment si la lutte a un effet sur moi. J’ai fait du sport, mais je n’ai jamais ressenti la même sensation qu’en rentrant dans une salle de lutte.

Je ne sais pas si vous savez mais je suis entraineuse des petits, et quand je vais entrainer les enfants, j’ai cette sensation en moi qui s’installe quand je rentre dans la salle. Rien que de voir le tapis, pour moi c’est parfait.

Entraineur, si je pouvais, j’en ferai mon métier. J’entraine avec mon père à Neuilly-Plaisance depuis deux ou trois ans. Donc j’ai les bases. J’ai commencé à Bagnolet cette année. Et normalement je continue l’année prochaine en faisant un service civique. Ce qui me plait c’est de transmettre aux petits ce que j’ai appris. Je suis passée par là, donc je connais ce qu’ils attendent de moi. Ils me disent tous : « Je veux apprendre tout de suite à gagner. » Je leur explique que la vie n’est pas comme ça, qu’ils auront des défaites, des victoires mais qu’avant ça, il faut apprendre. On ne peut pas directement être champion, ce n’est pas possible. On aimerait tous, mais on ne peut pas. En fait, j’aime bien leur apprendre ce que mon père m’a appris. Quand il vient me voir les entrainer, ça me fait plaisir. Après, le soir il me dit : « Là, il faut que tu t’améliores en faisant ça etc. » Ça fait de la complicité et comme j’ai déjà dit, nos discussions rejoignent toujours la lutte. Il y a aussi l’école, mais c’est pratiquement toujours la lutte.

A chaque fois que j’ai envie de parler à mon père, j’utilise la lutte. Je ne suis pas très sociable. Je rentre chez moi après les cours, je dis bonjour et je rentre directement dans ma chambre. Je m’enferme avec ma musique, je re-regarde mes matches de lutte, tout le temps. Je vais au salon et la première chose dont je parle, c’est de mon poids, de la nourriture, des prises que j’ai apprises la veille. La lutte est au centre de ma vie. Et de celle de mon père. Mes parents sont séparés, ils ont refait leur vie. Mon père a eu une autre fille et un petit garçon et ma mère deux garçons. La fille et le garçon de mon père sont dans la lutte aussi. On suit tous. Moi aussi, mes enfants, ils seront directement dans la lutte ! Parce que c’est ma passion. Même si ce n’est pas leur sport préféré, au moins qu’ils en fassent. Comme c’est ma passion je parle tout le temps de lutte aussi à ma mère. Ma mère, elle adore. D’ailleurs elle va venir me voir à Rosny. Elle ne connaît pas trop, elle sait juste qu’il faut mettre sur le dos et crier : « Allez, allez ! ». C’est tout. Elle vient me voir quand ce n’est pas trop loin. Quand j’étais petite elle venait pratiquement à toutes mes compétitions. Mon père, comme on est dans le même élément, pour moi c’est normal qu’il soit là aux compétitions, c’est un besoin. Ma mère, c’est pour qu’elle soit fière de moi, qu’elle se dise : « Ma fille, c’est une championne, elle peut être forte, elle gagne. » Je peux dire que je fais la fierté de ma famille du côté de ma mère parce que quand j’y vais, je suis leur championne à eux. Ils sont fiers de se dire : « Ma cousine ou ma nièce, elle fait du sport de haut niveau. » Je suis la seule de ce côté de la famille. J’entraine mon petit frère à Neuilly-Plaisance. Ma petite sœur fait du judo, elle vient parfois, et je m’occupe des deux, mais je m’occupe plus de mon petit frère. La semaine dernière je lui ai appris l’attaque à la cheville. J’étais fière parce qu’il a réussi directement à la faire. Je me suis dit : « Si il la passe en compétition, ça sera grâce à moi ! »

Ce qui représente la lutte pour moi, c’est le maillot. Je pourrais passer mes journées et mes nuits en maillot de lutte. Je suis tellement à l’aise dedans. Même les lutteurs ne me comprennent pas. Ils disent que ça serre, etc ? Moi, je peux tout faire en maillot de lutte. Des fois, je marche chez moi en maillot de lutte après l’entrainement. Mon père me dit : « T’es folle , tu te crois sur un tapis ? Je suis trop bien dedans. J’adore les maillots de lutte. Je suis serrée dedans, je me sens dans mon élément. J’en porte depuis que j’ai quatre ans. Mon père m’en mettait même aux entrainements. Les tout petits. Je ne les ai pas gardés : on les redonne au club. Peut-être qu’un enfant porte un maillot que j’ai porté petite. Je préfère lutter en rouge. Pourtant le bleu est ma couleur préférée, mais pour la lutte c’est le rouge. C’est comme ça que j’ai gagné ma finale 3-5 au championnat de France, j’ai perdu en bleu contre la fille avec laquelle je veux une revanche, je suis montée sur le podium en rouge, et j’ai gagné tous mes matches en rouge. Quand on dit : « Bleu », je me décompose, j’ai peur. Ce n’est pas la couleur qui fait la lutte, mais ça me réconforte quand je lutte en rouge.

J’ai gardé mes médailles. J’ai aussi un gros doudou avec son maillot de lutte. J’ai tous mes trophées, j’ai des photos. Quand j’allume mon ordinateur, la première image qu’on voit, c’est une image de lutte. Que ça soit au premier plan, en arrière-plan, dans mes documents, ce ne sont que des images de lutte. J’ai une armoire où j’ai beaucoup d’affaires, -je suis une fille-, toute une partie, ce ne sont que des vêtements de lutte : les T-Shirts pour l’entrainement, les chaussures etc, tout pour la lutte.

Mes modèles, ce sont Mélo (Mélonin Noumonvi, champion du monde), que je connais bien, Tarik (Tarik Belmadani, médaillé européen) que je connais bien aussi et les frères Guénot (Christophe et Steeve Guénot, médaillés olympiques). Sans oublier Mariana. Je suis fan de Mariana, c’est le cas de le dire, c’est mon idole. Je regarde ses combats sur internet. Je regarde les films où on la voit s’entrainer, où elle parle de sa carrière. Les autres champions ça ne m’intéresse pas. Je suis bien avec ceux-là. Et mon père ! Parce que mon père a été un grand champion. Avant de rencontrer Mariana, mon idole c’était mon père. Ça l’est encore aujourd’hui mais moins parce qu’il me coache moins, il n’est plus à mes entrainements, il sait moins comment je lutte. Par exemple, il est toujours dans l’idée que je lutte bras-tête alors que pour moi c’est fini ; quand je lutte, je prends des contrôles, je fais des nouvelles techniques, je sens que j’évolue, que je retrouve des choses que j’avais perdues l’année où j’ai arrêté.

L’année où j’ai arrêté, ça m’a beaucoup manqué. Je revenais à quelques entrainements. Je venais mais je n’avais pas l’envie. Quand j’étais chez moi, je pensais à la lutte et je me disais : « Andréa, il faut que tu te reprennes, il faut que tu y ailles. C’est ta vie. Il faut que tu y ailles. » Mais je n’avais pas l’envie. Je ne faisais pas d’autre sport. Je venais de temps en temps, rarement. J’étais dans ma chambre. Pas à étudier ! avec ma musique et c’est tout.

Ce qui m’a remotivé, ce sont les championnats de France cette année. J’avais dans l’optique d’arrêter la lutte l’année prochaine. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas fair-play et quand je perds, c’est mort. Cette année j’ai eu une défaite avant les championnats de France et je me suis dit : « Ça ne sert à rien de continuer. Tu ne peux pas être une championne avec déjà une défaite. » J’ai pris du recul par rapport à moi-même et je me suis rendue compte que si je ne venais pas à la lutte, je n’étais pas bien. J’ai essayé de ne pas venir, mais à la dernière minute, je prenais mon sac et j’y allais. Maintenant je viens même le lundi, je cours, je vais à la musculation, je vais à l’entrainement le mardi, le jeudi et le vendredi une fois sur deux, le mercredi j’entraine les petits. J’y suis pratiquement tous les soirs. A part le week-end. Je vis de la lutte. Je mange de lutte, je dors de lutte.

On montre la fresque de Beni-Hassan

Ça me surprend. Déjà mes ancêtres pratiquaient ma passion ! C’est beau, c’est super beau. Ça me donne des frissons. Il y a les attaques au jambe et tout. C’est beau à voir. Comme quoi la lutte ne date pas d’hier. Je suis fière de pratiquer ce sport et bientôt de le représenter, j’espère !

Je connais la lutte sénégalaise, le sambo. Je ne me suis jamais renseignée plus. Pour moi c’est la lutte féminine avant tout. J’aurais bien aimé qu’il y ait de la gréco-romaine pour les filles, parce que je n’aime pas attaquer les jambes. J’ai une bonne défense, mais l’attaque, j’ai du mal. J’avais du mal. Maintenant ça rentre, ça va, je suis fière de moi.

Le fait que je fasse de la lutte, ça ne choque pas trop les autres filles, mais les garçons, je ne sais pas pourquoi, ils sont choqués. Ça me fait rire. Ils me demandent :

« Andréa, tu fais quoi comme sport ? »

« Je fais de la lutte. »

« Ah, tu fais de la lutte. Comment ça tu fais de la lutte ? Tu es une fille. T’aimes bien la bagarre ? »

Bien sûr, moi j’adore l’affrontement ! Quand je mets des photos sur les réseaux sociaux, facebook en particulier, des garçons viennent :

« Oh, tu fais du catch ! »

« Non, ce n’est pas du catch, c’est de la lutte. »

Ils ne comprennent pas.

Je me dis : « Les sports de combat c’est que pour les garçons ? Faut arrêter avec ça ! »

Ça me fait encore plus plaisir de leur montrer qu’une fille peut pratiquer un sport de combat. Je suis fière.

Mes amis ne viennent pas me voir en général. Mais je n’ai pas beaucoup d’amis. Un ou deux sont venus me voir, ils étaient surpris : « Tu es nerveuse ! » « Vous me connaissez, dans la vie en général je suis nerveuse ». Ce n’est pas le même monde : dehors tu vois une personne, sur le tapis tu vois quelqu’un qui n’est pas méchant mais qui veut sa place. Ce n’est pas pareil.

 

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