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Interview de Robert (lutteur)

Robert a lutté presque toute sa vie, il est président d'un club de lutte en région parisienne. Dans les vestiaires du club, il nous raconte son histoire. R. est officier de la légion d'honneur, à titre militaire; et médaillé d'or de la jeunesse et des sports.

La lutte c’est le premier sport qu’on peut considérer comme ayant existé depuis l’antiquité, même depuis les premiers hommes qui sont arrivés sur terre, les hommes préhistoriques puisque dans certaines grottes comme la grotte de Lascaux et compagnie ils ont retrouvé des graphiques peints par les hommes des cavernes qui représentent des hommes en train de lutter. Donc on peut considérer que la lutte remonte dans le temps des âges. Ensuite, elle s’est améliorée, cette discipline est devenue une discipline pratiquée dans le monde entier, par tout le monde. Il y a plusieurs sortes de lutte, par exemple, vous avez en Afrique une lutte primale, en Turquie vous avez des luttes à l’huile, c’est des luttes folkloriques. La lutte olympique, celle qui est pratiquée dans le monde entier et qui est rattachée à la FILA (fédération internationale de lutte amateur), il y a deux styles, enfin trois styles maintenant : la lutte gréco-romaine, qui est une des premières luttes qui est apparue, la lutte libre, où on peut attaquer sur toutes les parties du corps (alors que la gréco on peut attaquer que de la tête aux épaules et sur les bras, et la taille, on a pas le droit de saisir les jambes) et vous avez la lutte féminine qui leur est rattachée. La lutte féminine a débuté dans les années soixante-dix, soixante-quatorze je crois, les premiers championnats. A l’époque, la fédération n’en voulait pas. Ils considéraient que les femmes n’avaient rien à faire dans la lutte, mais elles se sont imposées progressivement, les clubs se sont développés, des licences sont arrivées, ils en voulaient pas, et puis quand ils ont vu qu’il y avait un certain nombre de licences, donc de l’argent, ils ont ouvert la lutte aux femmes. Et maintenant, elle est mondiale, puisqu’il y a les Jeux Olympiques de la lutte féminine. Donc trois styles de lutte. La lutte féminine, c’est la lutte libre, sauf certaines techniques, par exemple tout ce qui part en souplesse arrière, les mises en pont maintenues, pour éviter…de la casse ou de la fragilité mais pourtant croyez-moi quand vous voyez des lutteuses…c’est des bagarreuses !

Donc mon parcours, moi j’ai découvert la lutte bizarrement. J’habitais en Algérie. Je suis arrivé en Algérie après la guerre de 45. Ma mère et mon père ont décidé de repartir vivre là-bas, ma mère était née à Alger. C’est une algéroise, française. A l’époque, elle était française l’Algérie. Donc ils se sont installés là-bas et puis moi, j’avais onze ans, douze ans même et je faisais du vélo. J’étais très bon en vélo, et un jour en entrainement je rencontre un gars avec un vélo, un vélo pourri. Je me dis qu’est-ce que c’est que ce mec-là? et puis je me laisse doubler, il se met à côté de moi, on commence à parler, il me dit : « Tu fais du vélo ? », je dis : « Oui je fais du vélo, je suis amateur dans un club. » et je lui dis : « Et toi, qu’est-ce que tu fais ? » il me dit : « Je fais de la lutte. » « C’est quoi la lutte ? » ; de suite j’ai dit : « C’est quoi la lutte ? », c’était pas connu ! Il me dit : « Écoute, si tu veux, tu viens mercredi – ou lundi je m’en rappelle plus exactement – tu viens à l’entrainement, tu assistes à l’entrainement et comme ça tu verras ce que c’est que la lutte. » Je lui dis : « OK. Je viendrai. » Et j’y ai été. Et depuis ce jour-là, j’ai raccroché le vélo – au grand désespoir de mon père parce que j’étais pas mauvais, je gagnais quelques petites courses et j’étais promis, d’après les entraineurs à une carrière cycliste – mais moi la lutte ça m’a plu de suite parce que c’était moins fatigant ! J’avais plus besoin de me lever à trois-quatre heures du matin pour aller faire mes cinquante kilomètres et après retourner bosser parce que je commençais à bosser à cette époque-là.

Je devais avoir quinze ans quand j’ai commencé vraiment.

A partir de là, mon entraineur, Raymond Régarde -il est toujours vivant, il doit avoir quatre-vingt-dix-sept ou quatre-vingt-dix-huit ans- m’a pris en main, le club m’a pris en main et ils m’ont entrainé, je gagnais des compétitions, j’étais de plus en plus attiré vers la lutte et j’y suis resté et j’ai plus jamais décroché. Voilà. J’ai été deux-trois fois champion d’Algérie, j’ai fait deux finales des championnats de France en France, parce qu’on faisait les championnats régionaux à Alger, et quand on était qualifié on descendait en France.

J’ai fini une fois quatrième aux championnats de France. A Caen. J’étais dans les tribunes, je dormais, – car à cette époque-là on faisait les deux styles dans la même journée, c’est à dire on commençait le matin, tant que c’était pas fini il fallait rester prêt – et moi à deux heures du matin on vient me réveiller, on me dit : « C’est toi Touraine ? » je dis : « Oui » On me dit : « Ça fait trois fois qu’on t’appelle attention tu vas être éliminé. » Je suis descendu, j’ai serré la main, il m’a mis sur le dos, j’ai continué de dormir !

Après quand je suis revenu, suite aux évènements d’Algérie, la guerre d’Algérie, que j’ai faite, en tant que soldat, j’ai été blessé, j’ai été décoré, on m’a donné la légion d’honneur, on m’a donné la croix… enfin, tout ce que je demandais pas parce que je faisais pas ça pour ça, moi j’avais qu’une idée en tête : c’était le pays, qu’il fallait défendre pour la France. Bon. On l’a perdu, pas de problème, c’est la loi, de toutes façons l’Algérie serait devenue algérienne un jour ou l’autre, c’était normal mais pas dans les conditions où ça a été fait. Je m’éloigne un petit peu mais c’est pour vous dire mon parcours en quelque sorte.

Je suis rentré en France, après trois ans de captivité, dans certains endroits que je ne vous citerai pas, en tant que membre de l’OAS.

Je suis rentré en France fin 61, début 62. Juin 62, juste avant l’indépendance, donc c’est en 61 je crois l’indépendance, je me souviens plus exactement.

Donc je suis rentré. Quand je suis sorti, j’ai pris du boulot et puis un jour il y a quelqu’un qui est passé à la maison, qui vendait des bouquins. Il frappe à la porte, je lui dis : « Je te connais toi. » On se connaissait de l’Algérie. Il me dit : « Tiens, j’ai rencontré Untel. » C’était l’un de mes entraineurs, de lutte ! Il me dit : « Il a un club dans l’Oise, à Gonnesse. » Je lui dis : « OK j’y vais ! » J’ai renoué avec la lutte. Je devais avoir vingt-et-un ans, vingt-deux ans, j’avais grandi. Doucement doucement, lui, il a décroché et puis il m’a laissé le club. J’ai continué. A partir de ce moment-là je suis devenu entraineur et je continuais à lutter, j’ai formé des tas de jeunes, j’ai formé des entraineurs, c’était mon but de former des jeunes, j’ai formé des petits champions, des vice-champions de France, des champions de France… peu importe. Et je continue à lutter. Est arrivé un nouveau style qu’on connaissait pas. La lutte bretonne. Elle est arrivée comme ça. On a dit bon, ben. La fédération a dit : 0n va incorporer la lutte bretonne au sein de la fédération, comme ça ils auront un leitmotiv, parce que sinon ils étaient écartés. C’était une lutte folklorique. Et ils sont devenus une lutte nationale. Un jour je me dis : « Tiens, je vais aller voir ce que c’est. » à Paris, à la Bidaossoa, je m’en souviendrai toujours. Il y avait les présidents, tout le monde qui était là, un me dit : « Qu’est-ce que tu viens faire, Robert ? » Je lui dit : « Je viens voir ce que c’est que la lutte bretonne. » Il dit : « Non non non, prêtez-lui une veste, prêtez-lui des chaussures, il monte sur le tapis. » Je lui dis : « Mais je sais pas, je connais pas… » « Tu montes sur le tapis ! » et j’ai fini champion d’Ile de France ! en lutte bretonne. J’ai été qualifié pour les championnats de France, et je finis champion de France ! Quelques années après, les dirigeants de la lutte bretonne se sont séparés de la fédération française de lutte, en 74, et je suis toujours champion de France depuis ! Parce que il y a pas eu d’autres championnats de France. La lutte bretonne est revenue au sein de la fédération. Maintenant ça s’appelle fédération française de lutte et sports associés, dans lequel on regroupe tous ces styles de lutte : libre, gréco, lutte féminine, la lutte bretonne et des luttes…des coups de pied, des coups de poing, comme ça s’appelle, je sais plus, moi c’est un truc qui m’intéresse pas. Voilà un petit peu mon parcours . Ensuite j’ai été dans un autre club pas loin d’ici, au CMASA (Club Municipal Aulnaysien de Sports Athlétiques). De Gonnesse je suis venu au CMASA parce que c’était plus près de chez moi, j’ai commencé en tant que lutteur, j’ai fait les championnats du Monde des vétérans, pour m’amuser, j’ai fini cinquième une fois, huitième une autre fois, c’était surtout pour me faire plaisir. Mon dernier combat que j’ai fait personnellement, je l’ai fait à cinquante-sept ans. A cinquante-sept ans j’ai compris que je pouvais encore lutter, mais bon ça servait plus à rien, j’avais plus rien à prouver de toutes façons et il valait mieux que je me consacre uniquement à mes enfants et au club. Du CMASA, on a créé en 1987 le SCLA, Sporting Club Lutte d’Aulnay, et de là j’ai formé des tas de jeunes, certains sont partis, avec leur diplôme, mais le travail et l’éloignement font que ils sont pas restés au club et je le regrette parce que j’ai fait des champions de France, des vice-champions de France, mais là j’ai Marco, comme je vous ai dit, tout petit, et j’ai Grégory que j’ai connu aussi comme poussin et qui est maintenant senior deuxième année et qui est l’entraineur du lundi soir. Il est revenu au club. Et ça c’est mon plus grand plaisir, c’est ma plus grande joie. Mais maintenant il faudrait que je trouve quelqu’un qui veuille vraiment prendre le club en main, parce que j’ai quatre-vingts ans, ça y est, je les ai faits, et non pas que je sois fatigué, c’est ma joie de vivre, je crois que si demain je laisse ces enfants-là… Je les prends tous les mercredis de seize heures à dix-neuf heures. Mais il faut savoir raccrocher à un moment donné et je sens que c’est le moment où jamais. Mais je laisserai jamais la lutte, je la quitterai jamais des yeux, ni le club. Je l’ai créé en 1987 avec Louisiane Philibert qui était une lutteuse que j’avais dans l’autre club. Ils m’ont tous suivi, suite à un désaccord mais on va pas rentrer dans les détails, ils m’ont suivi, on a créé le club, ils ont été au club, de suite on a formé un noyau, et ce noyau il a fait que grandir, que grandir, grandir, j’ai eu des champions de France, des vice-champions de France, j’ai formé une fille qui est restée d’ailleurs dans l’autre club, qui a été championne du Monde, que vous devez peut-être connaître, Brigitte Rade qui a été championne du Monde en cadette, c’est moi qui l’ai entrainée, et voilà, et puis mon parcours il est toujours là. Pour l’instant. Et je compte continuer encore un petit peu si ma force et puis si ma santé me le permettent. Pour l’instant ça va !

Mon premier combat, j’étais en cadet, je l’ai gagné. Après peut-être cinq, six mois d’entrainement. J’étais très bon au sol, en lutte au sol. A l’époque c’était douze minutes de combat. Douze minutes avec deux fois deux minutes au sol. J’attendais la période d’arriver au sol et là j’étais sûr, plus ou moins, de tirer mon épingle du jeu et j’ai pratiquement toujours gagné mes combats en allant au sol. Et l’autre dessus. Parce qu’il y en a un qui était à quatre pattes, l’autre était au-dessus et au top de l’arbitre, on luttait. Et là il était perdu. J’avais des techniques au sol qui me permettaient de renverser la situation et de gagner mes matches. Je devais avoir…j’étais cadet donc je devais avoir quatorze, quinze ans. C’est mon premier combat, et puis après j’en ai gagnés d’autres et j’en ai perdus beaucoup d’autres !

J’ai toujours dit, même maintenant je le dis à mes enfants, c’est dans la défaite qu’on trouve la victoire. Quand on est battu, c’est qu’on a fait des erreurs, donc il faut la rechercher cette erreur de façon à ne pas la renouveler, et devenir LE vainqueur. C’est toujours comme ça que j’ai pensé. Une défaite, c’est pas déshonorable. Au contraire, faut s’en servir. C’est comme ça que je leur apprends à être motivés, et psychologiquement à rester toujours positifs. Parce que vous avez des enfants, même des grands, qui sortent de là : « J’étais perdu, j’ai perdu. » « Ben oui, et alors ? C’est pas grave. C’est pas grave, t’as perdu aujourd’hui, et demain tu vas gagner. Car tu feras pas la même erreur, tu vas m’écouter maintenant. »

Je ne me rappelle pas de ma première défaite. C’était au championnat d’Algérie, puisque j’étais en Algérie, j’étais en finale avec un garçon qui s’appelait, je m’en rappellerais toujours, un très bon lutteur, que je rencontrais pour la première fois parce qu’il était descendu de catégorie ce -je dis pas le mot- pour me rencontrer. Il s’appelait Dubuc. Je m’en rappellerais toujours. Louis ou Jean Dubuc je ne sais plus, mais Dubuc c’est sûr. Et il m’a pas foutu une trempe mais il m’a battu aux points. Et il m’a enlevé la chance d’aller au championnat de France cette année-là. C’est ma première vraie désillusion parce que j’ai dit : «Je comprends pas, pourquoi il descend ? » Après on m’a dit : « Il voulait te rencontrer pour te battre. » « Ben voilà, il m’a battu, il est content. » Je l’ai rencontré après trois, quatre fois, et c’est moi qui l’ai battu ! Vous voyez, si je reviens à ce que je disais tout à l’heure, dans la défaite, j’ai trouvé le moyen de trouver la victoire. Parce que j’ai écouté mon entraineur, il m’a dit : « T’as fait ça, ça et ça comme erreurs. Si tu veux le battre, tu les fais plus ! » Ça, ça a été ma plus grande joie dans la lutte, d’avoir rebattu celui qui m’avais battu.

A l’époque où j’étais jeune, donc seize, dix-sept ans, dix-huit ans puisque j’ai fait de la lutte jusqu’au moment de partir à l’armée, à vingt ans, même à l’armée j’ai continué, à Soissons il y avait un tapis de lutte, avec d’autres gars du Nord on faisait des démonstrations de catch. Les caporaux, les sergents, les capitaines, ils venaient nous voir. Nous on se marrait parce que le catch c’est bidon, tout le monde le sait, du moins je l’espère. Comme beaucoup de jeunes je préférais la compétition. Mais l’entrainement est nécessaire. Et bien souvent j’étais trop faignant pour y aller ! Bien souvent, je loupais, ou j’arrivais en retard. Et puis déjà à dix-neuf ans on va danser. J’allais danser, j’ai rencontré des copines, comme beaucoup de jeunes et oui ! « Qu’est-ce que tu fais dimanche ? » « J’ai une compétition. » « Ah…moi je vais danser. » Hop ! on oubliait la compétition, on allait danser. Sinon j’étais assez sérieux aux entrainements. On peut pas dire que j’en ai loupé beaucoup. De toutes façons j’avais toujours ce copain qui s’appelait Maurice Lénard, qui est décédé malheureusement d’un cancer il y a peut-être cinq, six ans – c’était mon meilleur ami, celui qui m’avait amené à la lutte- et lui il me disait : « Robert, je viens te chercher, l’entrainement, c’est telle heure, c’est pas telle heure, je passe te prendre. » Il venait me chercher en vélo et on allait à la salle en vélo. C’est le copain que j’avais rencontré au début, en vélo. C’est lui qui m’a détourné du cyclisme où j’étais…d’après les entraineurs et d’après les gens qui me suivaient j’aurais peut-être pu faire une petite carrière mais bon… Quand j’ai vu la lutte j’ai dit : « C’est facile ! » Alors que le vélo il fallait se lever. Mon père il me réveillait à trois-quatre heures du matin pour aller faire cinquante kilomètres avant que j’aille bosser à quatorze ans. A quatorze ans je travaillais déjà. J’étais apprenti bijoutier et il était pas question que… Je gagnais cinq francs par mois, à l’époque. Et oui ! J’ai continué ce métier jusqu’à dix-neuf ans. A dix-neuf ans j’ai eu l’opportunité suite aux évènements qui commençaient, les bombes, c’est pour ça que…

Après la guerre d'Algérie je suis revenu en France.

Mon père et mon frère étaient dans le transport. Ils faisaient le transport pour Gévéor, et il y avait une autre marque de vin qui s’appelait… « Gévéor, le vin de l’estomac et… ?» il y avait l’autre…enfin peu importe. Comme je me battais tout le temps dans le métro, qu’ils étaient toujours en train d’avoir peur pour moi, ils m’ont dit : « Tu vas venir travailler avec nous. » Je servais de ce qu’on appelait à l’époque un ripeur : je chargeais le camion, je déchargeais les caisses, je les amenais au café, tout ça. Un jour j’ai dit : « Attends, pourquoi je le ferais pas moi aussi ? » J’ai pris un crédit au Crédit Foncier de France et j’ai racheté un camion à mon frère. Ils en avaient trois, il y en avait un qui servait plus, je l’ai racheté. C’est à partir de là que je me suis mis à mon compte et j’ai travaillé comme louageur. Un louageur c’est quelqu’un qui loue son camion à une entreprise, qui me paye. Cette entreprise, elle peut me louer à qui elle veut après. C’est une mafia terrible le transport. J’avais mon propre camion, j’étais devenu ce qu’on appelle un louageur indépendant. Là c’était des trois heures du matin, des quatre heures mais bon. Mais j’ai jamais laissé la lutte. Dès que j’ai pu retrouver mon ami qui était à Gonnesse, à partir de là, je m’arrangeais toujours pour être à l’heure aux entrainements, faire les entrainements de lutte et continuer à lutter dans les compétitions.

Je faisais les deux styles de lutte mais mon style préféré c’était la lutte libre. Pour moi la lutte libre, c’est un style de lutte plus complet et plus physique. Parce que la gréco c’est tout en force, c’est de la puissance, c’est deux taureaux. Tandis que la lutte libre il faut aller rechercher, faut descendre aux jambes, il faut de la souplesse, de la rapidité, de l’efficacité et surtout de la technicité. Il faut vraiment y aller en lutte libre, tandis qu’en gréco-romaine, un coup de lutte, boum, vous pouvez gagner. En lutte libre, c’est plus difficile. Mon style préféré ça a toujours été la lutte libre et c’est toujours ce que j’ai pratiqué en fait, très peu de gréco. Les enfants pratiquent la lutte libre parce qu’ils ont pas le droit de faire de la gréco. Pas avant quinze ans.

Le poids, ne m’en parlez pas… ! J’en ai souffert toute ma vie de ça. Parce que je mesurais 1,72 m -maintenant je fais 1,71- mais j’étais toujours au-dessus de ma catégorie c’est à dire ma catégorie de l’époque c’était 62 kg. Maintenant je crois que c’est 63, mais à l’époque c’était 62. Et pour être à 62 j’avais toujours deux kilos à perdre minimum, quand c’était pas trois. Donc j’ai toujours souffert de ça. Parce que quand je luttais, mon entraineur il avait du monde dans toutes les catégories de poids. Au départ, j’étais très bien dans cette catégorie, mais j’ai pris du poids, j’ai pris du poids, des muscles et puis après, il faut assurer ! Dès que je montais dans la catégorie 68 kg, là ça devenait plus difficile pour moi. J’ai beaucoup gagné de combats et de compétitions en 68 kg aussi mais ma catégorie c’était 62 et j’avais beaucoup de problème à descendre. C’est pour ça que quand j’ai des jeunes, aujourd’hui je les fais lutter dans une catégorie mais si je vois qu’ils doivent perdre du poids : niet ! Je suis contre cela. Jeunes comme ils sont. Il faut avoir au moins seize, dix-sept ans pour se permettre de perdre du poids sans s’affaiblir. Sans s’affaiblir et sans perdre de la force et de la rapidité. Je vois des entraineurs des fois, ça me prend à la gorge parce que… « Non, laisse-la grossir, laisse-la prendre du poids, laisse-le prendre du poids, c’est pas grave. Il va prendre une trempe pendant six mois, pendant une saison et puis après il va prendre du mordant et il va retrouver sa catégorie. Il sera dans sa bonne catégorie. » C’est sûr que quand vous êtes à 62 kg et que vous passez à 68, il y a une sacrée différence ! Maintenant c’est 63 et il y a une catégorie 66, ils ont essayé de faire des… Mais si vous perdez vous perdez trois kilos à chaque fois, c’est trop dur. J’ai une petite là, qui est minime, qui m’a fait une place de troisième au championnat de France, la semaine passée, elle avait un kilo à perdre, mais elle était obligée d’être à 46, puisqu’elle avait été qualifiée à 46. Donc il fallait absolument qu’elle soit à 46 kg. Et là je me suis battu pour qu’elle y soit. Et elle y a été au poids. Et elle finit troisième. En perdant un match d’un petit point. D’un seul petit point. Elle gagnait ce match-là, elle était en finale pour la un et deux. C’est pas grave, elle est jeune. Elle doit être là d’ailleurs, je lui ai demandé de venir si vous voulez la voir.

On va fêter les trente ans du club, demain. On a déposé les statuts en 86 et on a été agréé en 87. C’est le 26 mars 2017 qu’on devrait fêter les trente ans mais là je préfère les fêter maintenant.

J’avais formé des jeunes susceptibles de pouvoir me succéder, parce qu’ils étaient sérieux, il y en a un là, c’est Marco, Marco il est comme ça (il lève le pouce), mais il travaille, il a un travail qui lui rapporte. Trouver quelqu’un qui travaille pour un club de lutte et vive de ça, c’est pas possible, surtout un petit club comme le mien. Un club comme le mien, il faudrait que j’ai entre 900 et 950 adhérents voire plus, pour qu’il puisse gérer le club et assurer tous les entrainements. On peut pas. Je ne peux leur donner que des vacations. On peut pas obtenir de l’aide de l’état. L’état veut bien qu’on embauche, mais faut payer, et on peut pas payer s’ils nous donnent pas. C’est un cercle vicieux, ou alors faut être diplômé, avoir des tas de diplômes, maintenant c’est devenu… pas catastrophique parce que c’est normal ; il faut des diplômes sur tout, même balayeur, j’entendais hier ou avant-hier aux infos, ils vont supprimer ce genre de système, un balayeur il a pas besoin d’avoir un diplôme de technicien de sol ! Technicien de sol, ça fait beau c’est vrai, mais est-ce qu’on a besoin de lui faire passer un diplôme pour ça ?

Je suis diplômé d’état, c’est la première chose que j’ai faite. Quand j’étais à Gonnesse, j’étais entraineur comme ça se faisait dans le temps, mon entraineur d’Alger m’a passé le relais et je suis devenu entraineur sans aucun diplôme, sans rien. Uniquement parce qu’il jugeait que j’en avais la capacité, que j’étais sérieux, que je serai là à tous les entrainements, et effectivement j’ai jamais lâché. Même dans des moments difficiles, non, j’y allais. Fallait que j’assume et j’ai toujours assumé. Mais c’est vrai que maintenant on peut pas. Mes jeunes, ils sont tous diplômés, ils sont soit diplômés animateur, ou soit ils ont un diplôme d’état. Il y a des brevets, c’est des brevets d’état, à l’époque, maintenant c’est autre chose, ils ont trouvé des noms encore plus scientifiques que je pourrais pas vous citer, mais c’est un brevet d’état en fait. Moi je suis brevet d’état, Louisiane Philibert avec qui j’ai créé le club, qui était une grande championne de lutte, qui est toujours en forme mais bon elle est âgée maintenant, qui est au club, avec qui je l’ai fondé, elle est toujours là, elle s’occupe de la gymnastique, elle fait pas mal de cours, elle doit être là ce soir, elle fait un cours de step à côté, elle a été sept fois championne de France, internationale de lutte, ça a été ma plus grande joie… oui joie parce que c’est moi qui l’ai entrainée, c’est moi qui l’ai faite quelque part et à chaque fois qu’elle était en haut du podium, j’étais heureux comme un petit diable. Et il y en a d’autres comme ça, j’en ai eu beaucoup d’autres des filles.

J’ai eu la première équipe de lutteuses féminine. Avant que la fédération accepte de les prendre. J’étais à Gonnesse, j’avais ma fille qui était très jeune, une copine, des filles qui venaient pour voir la lutte, et hop ! Et quand j’ai demandé à la fédé la possibilité de les licencier on m’a dit : « Pas de filles à la lutte, oh non alors ! » Puis quelques années après, le Nord, qui a développé la lutte beaucoup, là ils ont compris qu’il y avait des moyens à récupérer. J’avais vingt-deux filles, il y en a vingt et une qui ont été sur le podium, soit championne de France, soit vice-championne de France et Loulou (Louisiane Philibert), sept fois championne de France, internationale, invitée au Japon.

Les japonais un jour viennent à Clermont-Ferrand. Un grand tournoi international. Ils avaient mis les filles pour faire bien. Moi j’amène toutes mes filles. Donc Louisiane et d’autres filles. Louisiane gagne ses matches, pas de problème, elle arrive en finale, elle gagne. Et elle gagne sur une japonaise, une seule. Une seule japonaise et il y avait toute une équipe de télévision autour d’elle, qui filmait les matches des filles uniquement. A la fin de la compétition, l’entraineur, un japonais, il vient et il me fait, – par l’intermédiaire d’un interprète- : « Est-ce qu’il peut venir avec son équipe, dans votre club, pour filmer un entrainement ? » Je dis bien sûr, je donne la date, les jours, l’heure qu’il veut, et puis un jour je les vois débarquer. Et ils ont filmé tout l’entrainement. J’ai dit – il y avait quand même un champion olympique, il y avait un champion du Monde comme entraineurs – j’ai dit : « Non je vous en prie, faites-le vous, faites l’entrainement, pas moi. » Il dit : « Non, toi ! Tu nous oublies. » Comment oublier les quatre caméramans, les éclaireurs, les perchmans ? Bon, ça s’est très bien passé, j’ai pris mon cours en main, j’ai fait comme d’habitude, ils les ont filmées de A à Z, même dans le sauna, ils ont été les filmer ! Puis un jour, on reçoit une invitation pour Louisiane, elle était invitée à aller au Japon, pour les masters du Japon. Ils voulaient lancer et développer la lutte féminine là-bas. J’ai dit OK, ma chérie au contraire il faut y aller ! Donc elle prend des jours de congés, elle y va. Mais moi j’étais invité aussi mais je le savais pas ! La fédération française de lutte qui avait reçu les invitations de la part du responsable de la fédération japonaise avait omis de me dire : votre lutteuse ET l’entraineur. Mais c’est pas grave, c’est une anecdote. Et elle est ressortie de là-bas…On peut dire que c’est grâce à elle que la lutte au Japon s’est développée. Maintenant c’est les meilleures.

J’avais une fille. Je peux dire, sans fanfaronnade et sans aucune arrière-pensée, que j’ai créé le premier club de lutte féminine, chez les enfants, parce que j’avais pas d’adultes, et quand j’ai demandé, comme j’ai dit tout à l’heure, à la fédération de les licencier pour éviter l’accident – parce que je voulais pas qu’il leur arrive un accident et que je sois responsable de l’accident, on sait jamais ce qui peut arriver, des accidents dans tous les sports il peut y en avoir – ils m’ont répondu : « Pas de filles à la lutte. » Donc j’ai arrêté immédiatement, et peut-être deux ans ou trois ans après, la lutte féminine démarrait à fond la caisse. Ma fille en a fait très peu, et pas en compétition donc je peux pas dire que c’était une grande lutteuse de haut niveau.

J’ai été blessé à Elisabeth, c’est à la porte d’Orléans, c’est un gymnase, pour une finale des championnats régionaux qualificatif pour les championnats de France, je devais avoir trente-sept ou trente-huit ans ; je luttais contre un jeune lutteur qui était en passe de devenir international, de la même famille que les Ballery, lui c’était Ballery Michel, il y a Ballery Georges, Ballery Louis et il y en avait un autre, un troisième, c’était tous des champions. Le père était directeur technique national de la lutte en France et pour l’Algérie. C’est comme ça qu’on l’a connu, quand il est venu en Algérie pour faire des stages. Donc je fais ma finale avec lui, il me fait une ceinture de côté – me prend la taille – moi je résiste à mort bien sûr parce que je savais qu’il allait m’embarquer, mais les côtes, elles, elles ont pas tenu ! C’est le seul accident que j’ai eu en lutte. Une côte flottante qui s’est cassée. C’est la seule fois. On m’a bandé de suite et j’ai continué le match, parce que si je finissais pas le match, j’étais pas classé. Super sympa, parce qu’il a vu que j’étais blessé, et comme il gagnait largement aux points, on a fini le match comme ça, sans rien faire de… il restait quoi ? trente secondes, une minute je m’en rappelle plus. Et après, pour m’amuser, le dernier combat que j’ai fait, cinquante-sept ans, pour m’amuser, en tant que vétéran. C’était en Allemagne, le premier c’était en Suisse à Verney je crois et là je finis cinquième, je loupe un match, je l’aurais pas loupé je pouvais être dans les trois premiers mais bon je l’ai loupé, je l’ai loupé ! Mais j’étais content. C’était pour me faire plaisir. Et en Allemagne je finis huitième. Huitième sur douze. Je gagne deux matches, j’en perds deux, éliminé, on en parle plus.

Je sais pas ce qui me plait dans la lutte, je peux pas l’expliquer. Je me suis senti… quand j’ai été pour la première fois dans une salle de lutte, où mon entraineur que je connaissais pas puisque c’était le père de ce garçon Maurice, il me dit : « Ici non non non, on regarde pas, on monte sur le tapis. » Je dis : « Oui mais attend… » « Discute pas, tu feras ce que je te dis, c’est tout. » L’entrainement, déjà pour faire le cardio, bien travailler, la sudation, ensuite pour faire le contact, et ça, ça m’a plu : être au contact d’un autre adversaire et de voir le gars, puisque qu’on est en maillot de lutte, il y a pas de veste, c’est pas comme un judoka, tous ces sports de combat qu’on peut s’accrocher à quelque chose, là il y a que les bras ou que les jambes. Et puis il fallait être au contact sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt, et ça, moi, ça m’a plu de suite ce genre de combat. Ça m’a plu de suite, être au corps à corps d’un adversaire et d’être soit le plus rapide, soit le plus malin, soit le plus fort, techniquement et physiquement. Et tout ça je l’ai appris ensuite progressivement, la lutte au sol c’était mon plaisir comme je vous ai dit tout à l’heure, mon plaisir c’était d’arriver aux deux minutes pour être mis au sol et comme c’était tiré au sort, la plupart du temps, j’étais en-dessous et là… il voyait pas le jour le gars ! C’est pas pour me vanter mais ma spécialité c’est d’aller au sol. Maintenant ça n’existe plus, il y a plus de lutte au sol, la lutte au sol c’est… ils les amènent au sol, ça dure dix secondes, vingt secondes, trente secondes, il y a rien qui passe, allez hop ! L’arbitre siffle, on remet debout. Tout se passe debout pratiquement on va dire. Quand ils sont changé les règles c’est devenu dur pour moi, de toutes façons à un moment donné faut arrêter ! Je crois que j’ai été loin, je sais pas si je suis pas l’un des plus vieux à avoir été aussi loin dans la compétition. Je veux pas me vanter et je veux pas le dire parce que j’en sais rien, mais je sais que beaucoup me disaient, à trente-sept ans déjà on me disait : « Arrête de lutter ! Tu nous emmerdes, regarde les jeunes, il faut les laisser. » Je disais : « Si ils veulent pas que je lutte ils ont qu’à me battre ! Mon plaisir c’est d’être là et de lutter, si ils sont capables de me battre et bien ils me battent, s’ils sont pas capables et bien c’est moi qui les bats !» C’était une façon pour moi de me prouver que j’étais toujours capable de faire quelque chose. Aussi bien dans mon métier, dans mon travail où j’ai toujours fait ce qu’on me demandait de faire, que dans mon sport qui était la lutte.

J’ai toujours été dans le transport du jour où je me suis mis à mon compte, j’ai raccroché le transport à l’âge de soixante ans pile. J’en avais marre.

On montre une image des fresques représentant des scènes de lutte, trouvées dans une tombe égyptienne à Beni-Hassan (1.800 av J.C.)

On voit bien, regardez les attaques se passent sur les jambes, alors qu'on dit que la lutte gréco-romaine a été la première. C’est faux, la lutte gréco-romaine a été la première reconnue par les fédérations comme étant le premier style, mais le premier style dans l’histoire de la lutte, on le voit bien, c’est la lutte libre. Ils attaquaient aux jambes. Dans les premiers jeux olympiques, je me rappellerai pas la date donc je vais pas vous la dire, ça remonte à des années et des années, les premiers jeux olympiques je crois que c’est 1800 et des poussières, c’était de la lutte libre.

Cette lutte (sur les fresques de Beni-Hassan) a été développée ensuite, elle a été modernisée, des règles sont intervenues, heureusement parce que là ils avaient le droit de s’en mettre plein la figure, il y avait beaucoup d’incidents sûrement à cette époque-là, car il y avait aucune règle vraiment précise et déterminante. Par exemple moi, à mes enfants, je leur apprends l’obéissance, la discipline, le respect. Ne pas faire mal et ne pas se faire mal. Alors qu’à cette époque-là, c’était le meilleur qui gagnait et bien souvent le meilleur pour gagner il hésitait pas à faire des techniques ou des prises de lutte qui étaient interdites. La lutte au cours des siècles s’est modernisée et heureusement. Des fois on peut penser qu’elle s’est trop modernisée parce que dans les règles actuelles il y a des choses qui sont un peu bizarres. Les gens en sortent pas indemnes.

Cette lutte là, on voit la même dans les grottes ; ces gens-là, je pense il faisaient de la lutte pour s’amuser, mais aussi pour montrer aux femmes leurs capacités. Ils s’entrainaient pour lutter aussi contre les animaux. Pour la chasse aussi, certainement.

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