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Interview de Khalid (lutteur)

Khalid faisait de la lutte en Afghanistan. Il est arrivé à Paris l'automne 2015. Il est licencié à l’USMétro à Pantin depuis cette année. Un afghan également lutteur à l'USMétro a traduit l'entretien.

La première fois que j’ai fait de la lutte c’était dans la ville de Larman (Afghanistan), j’avais vingt-deux ans. Je n’avais jamais lutté avant.

La lutte, il n’y a que ça en Afghanistan. Là-bas, tu rentres dans un club, tu prends une inscription, tu payes et tu rentres. Quand tu commences la lutte, ils regardent de quel niveau tu es, si tu es bon lutteur, tu montes tout doucement. Tu peux être international, faire les championnats d’Asie.

J’aimais trop la lutte. A côté de chez moi, il y avait un club, j’y suis allé de temps en temps pour voir, après je suis rentré dans le club et j’ai commencé. Personne ne faisait de la lutte dans ma famille. J’avais des amis qui en . Je suis le seul de la famille à en avoir fait.

Au début je me suis entrainé dans un club à Larman, l’entraineur a vu que j’étais bon lutteur. Je suis resté neuf, dix mois dans le club de Larman.  L’entraineur m’a dit de partir à Kaboul parce que j’avais un bon niveau. J’ai fait plusieurs fois des compétitions, je suis parti à Kaboul, dans un centre olympique.

Je ne travaillais pas quand je faisais de la lutte. Mon père est tombé malade, j’ai du rentrer à Larman pour travailler et j’ai laissé tomber la lutte. Je ne pouvais plus m’entrainer. J’ai laissé tomber la lutte et j’ai commencé à travailler comme chauffeur de poids-lourds. En Afghanistan, on apprend à conduire à treize, quatorze ans. Je n’avais pas fait d’études. Chez nous c’est compliqué à cause de la guerre. Je suis allé à l’école mais pas souvent. Mon père était chauffeur de poids-lourds. Après il a été cultivateur.

J’ai fait des compétitions à Kaboul. Je faisais des compétitions et quand c’était fini, je rentrais chez moi à Larman. C’est pas très loin, trois heures de route à peu près. Cent cinquante kilomètres.

Mon père est venu quelque fois me voir lutter. Mais ça l’intéressait pas. Chez nous il y a la guerre. Les gens pensent qu’à la guerre. On peut pas penser au sport. On est pas tranquille comme en France.

J’ai fait à peu près un an et demi de lutte en Afghanistan. J’ai fait une compétition au Pakistan, un tournoi. J’ai gagné. La lutte est autorisée par les talibans. Il n’y a pas beaucoup d’enfants qui font de la lutte. Les parents ne les autorisent pas à y aller, il y a des bombes, des prises d’otages. C’est dangereux.

Un mois avant les compétitions, je faisais un régime pour perdre du poids. Je luttais dans la catégorie 84 kg.

La compétition et l’entrainement : les deux me plaisent. Quand je perds, je suis dégoûté, quand je gagne, je suis content. Mon point fort, c’est la technique. La force ne sert à rien. Il faut avoir de la technique. On a pas de point faible, on est tous balèzes, on est fort. Je faisais de la lutte libre, chez nous il y a pas de gréco. Chez nous il y a une lutte traditionnelle : Kandar. Avec une ceinture, sur la pelouse ou sur le sable. (il montre une photo prise à Mazar pour les fêtes du printemps). C’est une lutte sans catégorie de poids. Ils ont une tenue blanche avec une ceinture rouge. Tout le monde autour crie pour encourager les lutteurs. Chaque nouvel an (au printemps), on fait la fête, on lutte, on s’amuse. Les gens sont contents que l’année change.

A Kaboul, il y a de la lutte, du MMA, du free-fight. Beaucoup de champions de chez nous ont gagné en MMA. (à l’UFC, en Russie). Un champion afghan a gagné hier soir en Russie : Baz Mohammad Mobarez. (https://www.youtube.com/watch?v=-gvq25lcZcU) La semaine dernière un autre a gagné en UFC  : Siyar Bahadurda (http://www.sherdog.com/fighter/Siyar-Bahadurzada-5453)

En afghan, en dari, lutte se dit : « Palwani ». En perse c’est : « Kouchti ». Chez nous il y a quatre ethnies : Pachtoun, Azarat, Tadjik, Ouzbak.

La lutte c’est une culture. Chez nous, si tu es un peu balèze, t’es lutteur. T’es fort. Il n’y a pas de lutteurs maigres. En Afghanistan, si tu vois un homme un peu balèze, comme Khalid, en plus si tu as les oreilles cassées, les gens disent pas : « Khalid », ils disent : « Palwan, palwan ! » (lutteur, lutteur !) Beaucoup de gens disent : « Palwan, palwan ! » quand ils croisent un lutteur dans la rue.

Il y a du judo, de la boxe, du foot aussi.

Il n’y a pas du tout de femmes qui font de la lutte en Afghanistan. En Azerbaidjan, en Georgie, en Iran, Tadjikistan, il n’y a pas de lutteuses. Dans les pays musulmans, il n’y a pas de lutteuses. C’est interdit. Dans les pays du Maghreb les femmes s’entrainent, mais elles ne font pas les compétitions. Il y a des femmes en judo, en boxe, en free-fight. (en Afghanistan) Spécialement les femmes de l’ethnie Hazara, font du vélo, du ski. Ça dépend des familles aussi. Si on a un peu de liberté ou non.

Quand j’ai arrêté le travail, j’ai eu un souci avec les talibans. Ils voyaient que j’avais travaillé pour les américains, et si tu as travaillé pour les américains, ils te tuent. J’avais travaillé comme chauffeur routier pour transporter l’alimentation des soldats américains. J’ai donc eu un problème avec les talibans et j’ai du quitter l’Afghanistan. Si les talibans m’avait attrapé, c’était fini. J’ai quitté le pays pour venir en France.

Les talibans viennent à la mosquée pour demander qui travaille pour qui, pour obtenir des renseignements sur les gens. Ils ont demandé à l’Imam de la mosquée : ce Khalid, il est où ? L’Imam a dit : je sais pas. Après, ils ont demandé plusieurs fois à mon père. Mon père a dit : je sais pas. Il travaille. Un jour, les talibans sont venus chez mon père, ils ont frappé mon père en lui disant : pourquoi ton fils travaille pour les américains ? Il faut que tu trouves ton fils, il faut que tu nous ne le ramènes.

Après ce problème, j’ai quitté. J’ai parlé avec un passeur. J’ai financé mon départ du pays pour venir en Europe. Pour arriver jusqu’en France, je suis d’abord allé en Iran avec un passeur.

Je suis allé à la frontière avec l’Iran, il y avait un mur avec des ferrailles, je suis passé par dessous le mur, des ferrailles m’ont piqué, j’ai sauté par dessus, je suis tombé, après j’avais mal. Après je suis allé à la frontière Iran-Turquie, je suis rentré en Turquie, après je suis parti en Bulgarie. Les policiers m’ont arrêté quatre fois en Bulgarie, ils m’ont pris le portable, l’argent, ils ont bien frappé. Si j’avais quelque chose de neuf, ils l’ont pris et m’ont renvoyé en Turquie. Ils m’ont arrêté et renvoyé en Turquie quatre fois. La cinquième fois que je suis parti en Bulgarie, on est restés quatre jours à la frontière, sans manger sans rien, on a mangé les fruits des arbres, on est partis et finalement on est rentrés. Après on est passés en Macédoine. En Serbie. Toujours à pied, dans la forêt, dans la jungle. Pour aller de la Bulgarie à la Macédoine, on est passés par la jungle. On a vu des animaux sauvages : des loups, des lions. Pas d’ours. Je suis resté deux jours en Macédoine. Avec nous, il y avait des arabes, des pakistanais, des afghans, il y avait beaucoup de monde qui voulait passer. Il y avait beaucoup de migrants. On est venus jusqu’en Slovénie à pied. Des afghans, des pakistanais, des arabes, des irakiens, des syriens qui passaient par là. Je suis resté trois jours en Allemagne et je suis venu en France. J’ai acheté un billet de train deux-cent vingt euros pour venir en France.

Le voyage depuis l’Afghanistan jusqu’en France a pris un mois. Je suis parti tout seul.

Le passeur rassemble des gens qui ne se connaissent pas.

J’ai envie de bien m’entrainer à la lutte, faire des compétitions, apprendre le français d’abord. Je veux rester en France.

Je préfère la lutte avant tout. Pas d’autre sport. C’est la lutte qui m’intéresse.

Je me suis déjà blessé à un genou et à un doigt à la lutte.

Je me suis blessé jeudi dernier au doigt à l’entrainement. Le doigt est toujours gonflé.

Je ne veux pas avoir les oreilles cassées. Chez nous il y a des gens qui frottent exprès leurs oreilles pour montrer qu’ils sont lutteurs. Je ne veux pas.

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