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Interview de Maurice (lutteur)

Maurice a été lutteur à Bagnolet Lutte 93. (Diables Rouges). Il entraine maintenant les petits entre quatre et six ans à la Baby-Lutte.

J’ai commencé la lutte en 52 ou 53. J’avais seize ou dix-sept ans. J’ai arrêté en 67. J’en avais marre.

Comment êtes-vous venu à la lutte ?

J’y suis venu par Jean-Jean qui était un ami, qui était marchand de pommes de terre et par d’autres amis. Le milieu de la lutte c’était connu à Bagnolet à l’époque. Jean-Jean était l’entraineur, après il y a eu M. Loboles (il a arrêté) Je m’entrainais deux fois par semaine, les mardis et vendredis. L’entrainement durait deux heures. Je faisais les compétitions.

Vous rappelez-vous de la première fois?

Ce qui m’a tout de suite plu, c’était l’ambiance, la camaraderie, on jouait. C’était dans une salle en sous-sol, à l’école Travail rue Sadi Carnot. On partageait la salle avec la boxe (on s’entrainait pas en même temps) On avait la moitié de la salle. Un seul tapis de lutte, un petit tapis. Des vestiaires et des douches vétustes (les douches étaient toujours froides).

Que portiez-vous comme tenue ?

On avait les anciens maillots (grandes bretelles et maillot qui arrivait sous les fesses) en coton ou laine. Le pantalon et la veste de survêtement rouge. Des chaussures plus dures que celles de maintenant, à lacets.

Quels étaient vos points forts et vos points faibles ?

Mes points forts étaient la rapidité, la technique. Je luttais en 52 kg, c’est petit poids.

Mes points faibles c’était à terre. J’avais horreur de ça. On était moins souvent au sol autrefois. Il y avait deux reprises de six minutes chacune avec une minute de repos entre les deux. C’était de la lutte libre mais il n’y avait pas beaucoup de mises au sol. Il n’y a pas eu trop de changement des règles pendant les dix ans où j’en ai fait.

Quels étaient vos modèles ?

Mon modèle, c’était Zoete.

(André Zoete http://quentin-lutte-olympique.wifeo.com/andre-zoete.php)

Il a été vingt-sept fois champion de France. C’était mon modèle et ma bête noire. Je l’ai affronté. On a fait dix combats. Le premier c’était à côté de Dijon. Je ne l’ai jamais battu. Il n’a jamais été battu en France. C’était son métier. Il était payé pour lutter. J’avais dix-sept ans, il était beaucoup plus âgé, il avait vingt-trois ou vingt-quatre ans, peut-être même vingt-cinq. Il a arrêté à plus de trente ans.

Moi j’ai arrêté à vingt-sept, vingt-huit ans.

Pourquoi ?

J’en avais marre. Ça demandait trop de privations. Pour le poids. Je faisais des régimes (salades, steaks grillés, je prenais des gélules pour aller aux toilettes).

Pour aller aux compétitions, ce n’est pas comme maintenant, on prenait le métro, le bus, le train. C’était dur, ça n’a rien à voir avec maintenant.

J’ai arrêté d’un coup. Tout. Je ne suis plus jamais allé voir des combats.

Quand je me suis arrêté, je suis monté de 52 kg à 63/64 kg et maintenant j’en suis à 70.

Comment êtes-vous devenu entraineur ?

Un jour Jean-Jean m’a appelé : on a besoin de toi. Il y avait une soirée où il fallait présenter des anciens lutteurs. J’y suis allé, j’ai remis le nez dedans et je suis reparti. J’ai entrainé les petits avec Jean-Jean et Bébert.

J’avais arrêté quinze ans, ça fait quinze ans que j’ai repris. Pendant les quinze ans d’arrêt on s’est perdu de vue avec les autres lutteurs. Bagnolet c’était une très grande équipe de lutte à l’époque.

Ce qui me plait maintenant c’est les enfants. Quand un gamin vous croise dans la rue et vient vous dire bonjour. Je préfère entrainer les petits. Je vais entrainer peut-être encore pendant deux ans.

Quelle place ont les femmes dans la lutte ?

A mon époque il n’y avait pas de femmes. C’est une nouveauté. C’est un sport aussi bien pour les garçons que pour les filles. La lutte c’est pas un sport violent. Il n’y a pas tellement de blessés.

Quelle différence faites-vous entre entrainement et compétition ?

Quand je luttais en compétition, j’étais complètement différent. Je rentrais dans mon adversaire, je ne lui faisais pas de cadeau.

Qu’est-ce que la pratique de la lutte a changé dans votre vie ?

Les liens d’amitié. J’ai rencontré d’autres personnes. Qui sont devenus mes amis. Quand un lutteur est en compétition, tous les autres l’encouragent. On était comme ça. Bagnolet, ça a toujours été l’amitié.

Dans des clubs alsaciens, lorrains, c’était triste !

Une fois on avait emmené des petits à côté de Dijon ; l’entraineur de Dijon voulait le silence dans la salle, et leur demandait de pas bouger. Ils avaient pas l’habitude. On peut pas demander à un gamin de ne pas bouger. On a un autre système à Bagnolet. Notre système il est très bon.

La lutte m’a rendu plus loyal. Ça change le caractère. Je vois des gamins tout timides au début, petit à petit ils osent. Ça désinhibe.

Quelles sont les qualités pour faire un bon lutteur ?

-être persévérant

-avoir la connaissance technique

-écouter (son entraineur à la chaise dans le coin pendant le combat)

-avoir la sensibilité

-ne pas se laisser emporter (ne pas être méchant, ne pas riposter. Ça ne sert à rien. L’arbitre est là pour ça)

Il ya des lutteurs durs (les tchétchènes, les arméniens) et d’autres plus souples, plus techniques.

Vous souvenez-vous d'un victoire? d'une défaite?

Mon meilleur souvenir c’est quand j’ai été champion de Paris des novices. C’est les débutants. C’était au tout début, j’avais six, huit mois de lutte. Ça existe plus maintenant. J’avais seize, dix-sept ans. C’était par catégories. Je me rappelle plus contre qui j’ai lutté. C’était à Coubertin. Il y a de l’eau qui a coulé depuis.

Mon plus mauvais souvenir, c’est quand j’ai perdu mon titre de champion de France à Chétigné. Sur une faute de l’arbitre. C’est mon plus mauvais souvenir. Des bons souvenirs j’en ai plein. C’était contre, il s’appelait Dinar, il était de Calonne-Ricouart dans le Nord. Celui-là je m’en rappelle. Lui, il est pas responsable. Il m’a battu parce que l’arbitre fait le contraire, il donne un point à lui et c’est moi qui porte la prise. Dans le temps, l’arbitrage c’était… Maintenant on a tout. Si on poste réclamation, il y a l’écran. Ça a plus rien à voir dans le temps que je luttais.

Il y a toujours des contestations, bien sûr. Parce que ça va tellement vite, une prise va tellement vite. Il suffit que l’arbitre soit sur le côté. C’est pour ça que nous on demande deux arbitres. Un arbitre de chaque côté et je suis sûr qu’il y aura beaucoup moins de contestation. C’est le sport on n’y peut rien.

Vous souvenez-vous d'un combat précis?

Il y a Zoete que j’ai jamais pu battre. C’était un monsieur. Il a pas eu vingt-sept titres au championnat de France pour rien. Et puis international. Il a été aux Jeux. Moi quand je l’ai rencontré il avait fait trois Jeux Olympiques. J’étais un tout jeune.

Un enfant vient saluer M.

Voilà, c’est pour ça, je vous l’ai dit, que c’est un plaisir d’entraîner les jeunes.

Mon arrière petit fils, il est pas venu aujourd’hui. Il a gagné samedi, il est pas venu.

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