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Interview de Djimil (lutteur)

Djimil vient régulièrement à l'entrainement aux Diables Rouges à Bagnolet. Il accompagne son fils Hocine. Il s'entraine, joue à la pelote avec les anciens, conseille son fils.  Il lutte depuis qu'il est petit.

"Je suis rentré pour la première fois dans une salle de lutte à 7 ans à peu près. J’avais un grand frère qui pratiquait la lutte et qui m’a emmené. À l’époque les enfants avaient le droit de faire de la lutte à partir de 8 ou 10 ans je pense. J’ai pratiqué la lutte à 9 ans. Deux ans avant, j’allais avec mon frère, je l’accompagnais aux entraînements, il m’emmenait dans les compétitions à Ivry. Voilà comment j’ai connu la lutte. On me donnait des médailles ! Comme j’accompagnais les adultes, quand ils gagnaient les championnats, ils me donnaient les médailles. Ça me plaisait, j’ai dit « J’en gagnerai plus tard » et puis voilà.

J’avais un autre frère qui faisait de la boxe. Et le père voulait que je fasse de la boxe, parce que j’étais un peu... je bougeais beaucoup, mais il connaissait pas trop bien la lutte mon père. Alors les frères ils se sont décidés. Et puis ma mère a dit « Comme celui qui fait de la lutte, il a l’air plus posé, plus gentil, on va le mettre à la lutte ». Et c’est comme ça que je suis parti, j’aurais pu aller faire de la boxe aussi.

Je préférais la lutte ! La lutte. La lutte. Et je suis parti faire de la lutte. Première licence, 9 ans. Et voilà, et ça m’a plu. Avec un petit frère de 8 ans. Et on s’est entrainés ensemble pendant 4 ans, jusqu’à 12 ans, mais on n’était que tout les deux. On était les seuls enfants qui étaient inscrits à cette époque à Ivry. Il n’y avait pas d’autres enfants qui pratiquaient la lutte. Ça a dû arriver quand ils ont commencé à faire un peu de pub sur la ville, mais c’était pratiqué que par des adultes là où j’habitais.

Mon frère qui pratiquait était beaucoup plus grand que moi, il était dans l’équipe nationale Algérienne. Il a 62, 63 ans, il doit avoir une dizaine d’années de plus que moi. Et lui il était menuisier, il est sorti de l’apprentissage et il est rentré dans une société de menuiserie et il a connu un type qui faisait de la lutte qu’il aimait bien, qui l’a emmené à la lutte. Il est devenu un bon lutteur et après il a pratiqué à un haut niveau en Algérie. Il luttait pour l’Algérie et puis il revenait. Il s’entrainait en France et quand il y avait des tournois internationaux, comme c’était un bon lutteur ici, il était d’origine algérienne, il allait pratiquer pour l’Algérie.

Je me rappelle de certains entrainements mais pas du premier. Ce qui m’a plu le plus dans la lutte c’était le corps à corps. Je ne sais pas comment vous dire ça ce qui m’a plu. Ça m’a plu la lutte ! Les prises, les amplitudes, les techniques... vouloir gagner, j’étais un enfant qui avait beaucoup la bougeotte.

À l’époque c’était pas du tout un sport connu et populaire. Moi si mon frère ne m’avait pas emmené, à part le football, le ping-pong, le handball, l’athlétisme... Les quatre premières années où j’ai démarré, il n’y avait que moi et mon frère qui pratiquions chez les jeunes dans toute la ville. Et après, quand il y a eu des jeunes, c’est parce qu’on en faisait moi et mon frère, et on avait des copains, ce qui faisait que ça attirait. Comme on habitait dans une zone de cité, ça attirait. Gagner une médaille, ça incitait d’autres jeunes à venir. De bouche à oreille, de parents à parents. Et c’est comme ça que dans ma ville il y a beaucoup de jeunes qui ont fait de la lutte. On était un très bon club, une dizaine d’années après. Il y a eu pas mal de bons lutteurs. Il y en a deux d’Ivry qui sont allés dans l’équipe de France. Moi non, j’ai pas pu, parce que j’étais pas français. Je suis né en France. Mais je suis né dans le mauvais... c’est parce que... je suis né en 62, c’est à dire que moi je tombe mal, mes frères qui sont nés en 63, eux c’était la double nationalité obligatoire. Et moi je suis tombé juste entre la loi, entre l’Algérie et la France, il fallait choisir. Et puis alors nous, c’est pas nous qui choisissions. Plutôt nos parents. A cette époque-là on ne pouvait pas laisser nos parents, on avait peur de... on était tributaire des parents, comme l’armée, voilà quoi. Ca pas été facile. Sinon j’aurais pu aller un peu plus loin au niveau lutte, en France.

Mon premier combat je m’en rappellerai toujours. Mon premier combat, à Ivry en plus. C’était les Jeux du Val de Marne, je m’en rappellerai toujours. On était deux. Et là 28 kg, poussins. J’ai perdu, j’ai pleuré. J’ai fait deuxième sur deux. J’étais le plus malheureux des enfants. J’avais perdu. C’était mon premier combat, j’avais perdu. Et par là suite j’ai plus perdu, en poussins. Et après j’ai fait que de gagner, tout, en poussins j’ai gagné tout après

C’était ma première année de lutte. J’avais 9 ans. On n’avait fait qu’une compétition vers la fin de l’année. On n’avait pas trop de compétitions comme aujourd’hui. On avait peut être trois ou quatre compétitions dans l’année, en poussins, pas plus. Benjamin, six, sept. En plus on n’était pas affilié à la Fédération Française de Lutte, on était FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail)... parce que c’était une ville de communiste, Ivry. J’ai eu ma première licence FFL en cadet, j’ai pu participer à mon premier championnat de France FFL en cadet, et encore il a fallu se battre, faut que je la demande. Enfin, se battre… mais bon, fallait pleurer quoi.

J’ai combattu avec mon frère et en même catégorie et en finale. Et j’étais pas plus fort que lui. J’étais pas plus fort que lui mais il se laissait battre. Parce qu’on se retrouvait en finale parfois mais il s’est toujours laissé battre. Il voulait pas lutter. Par contre en entrainement qu’est ce qu’on se mettait ! Ah ouais ! Et lui il a arrêté. Il était très fort, lui il aurait pu aller loin mais il a arrêté à 14 ou 15 ans. Il a préféré les études, il faisait un peu de football, de hand. Il est devenu maître nageur. Il n’a pas voulu continuer. Il s’y est remis 4 ou 5 ans après, il est allé faire champion de France FSGT en plus, mais bon par plaisir plutôt. Mais c’est un passionné, il aime tous les sports, il court beaucoup, il nage beaucoup.

J’ai transmis ma passion de la lutte à mon fils. Je pratique que la lutte. Je vais courir, je vais jouer un peu au football, je fais un peu de sport, je vais courir… Mais disons que je lui ai transmis ce que j’aimais et puis je l’ai emmené avec moi quand il avait 4 ans je pense, je sais plus, je l’ai emmené tôt. On a chahuté, joué, ça me permettait de l’avoir, de lui faire découvrir la lutte, il a aimé. Je l’emmenais un peu partout avec moi à la lutte, voir des tournois, aux entrainements et puis il a accroché. Il fait du hand. Il a fait deux ans de football aussi. Il accroche bien aussi au hand. Mais je pense qu’il aime la lutte. Ca se (re)transmet de famille. Mais il aime ça, je vois qu’il aime. S’il avait pas trop aimé… il peut faire du hand, il peut faire ce qu’il veut, il choisit son sport. Mais de toute manière aussi il veut tout faire ! Il a été un peu à la natation avec mon frère, il a voulu nager, l’eau… il est revenu voir le foot, il regarde la télé, il est vachement influençable aussi par le foot. il a un cousin qui va rentrer dans l’équipe de France de hand, ça l’impressionne, il a voulu goûter, là il est rentré dans le hand. Il accroche le sport.

La lutte c’est tous des enfants de. Vous allez à la lutte, vous enlevez les étrangers, tous les clubs c’est le fils de. Le père a pratiqué, le frère a pratiqué… Sinon je sais pas si on aurait beaucoup de lutteurs. Je crois pas. Je vois dans beaucoup de club comme à Créteil, Ivry, on se le retransmet tous. C’est de famille. Vous voyez beaucoup de familles, de frères, d’enfants de lutteurs, cousins de lutteurs... Ca se transmet beaucoup de famille en famille.

Je ne me suis jamais arrêté de lutter. Enfin si je me suis arrêté mais bon, j’ai eu un peu des petits soucis, mais sinon je suis licencié depuis l’âge de 9 ans à la fédé. Non, moi j’ai jamais été dégoûté de la lutte. J’en ai pratiqué à un haut niveau mais j’ai pas eu le temps, parce qu’il y arrive un moment, au bout de 10 ans, au niveau des régimes... même les très très hauts niveaux il doit y avoir un moment de... mais j’ai pas connu ça, j’aurai pu le connaître si j’avais pu aller... Mais non j’ai aimé, j’ai aimé. Pourtant j’ai souffert hein, pour devenir un haut niveau ! On n’avait pas les mêmes moyens qu’en France ! Parce que j’ai pratiqué du haut niveau en Algérie. Salle de muscu, ou le matériel, les conditions d’entrainement... c’était très dur. Et puis c’était sous la houlette d’un soviétique. Les années 82/84. C’était pas à l’Insep choyé et tout. Non, j’étais pas dégoûté. Au contraire, je pratiquais ma passion, j’allais faire des compét’, c’était super. Mais bon, ça a duré que deux ans. Après je suis revenu en France. Et puis là, j’ai pas pratiqué le haut niveau ici, à part les compétitions nationales.

Je ne suis pas retourné en Algérie pour la lutte. Il fallait faire une sélection, un résultat en junior. C’est l’année de mon départ pour partir à l’armée, ou en France, ou en Algérie. Comme je suis né en France, ici ils ne savaient pas si j’étais Français ou Algérien. Alors ils m’ont proposé d’intégrer le BJ et puis là j’ai dit « Je peux pas, j’ai pas la nationalité française » et il fallu que je parte, j’étais appelé sous les drapeaux algérien comme j’étais d’origine algérienne. Je suis parti en Algérie et effectivement eux aussi ils ont un centre militaire de sportifs de haut niveau. Je suis intégré, et de là je suis rentré dans l’équipe nationale algérienne. Et c’est là que j’ai pratiqué.

J’aurais pu être Français. J’avais un club, les éducateurs ils ne sont pas trop préoccupés. Il aurait fallu que je grandisse dans un club comme Bagnolet. Le mieux c’était Villejuif. Il y avait des bons éducateurs, des personnes qui avaient pas peur d’aller voir les parents. Parce que moi personne n’allait voir mon père ou ma mère dire…, personne. Nous on n’osait pas, dans l’éducation on n’osait pas, mais il aurait fallu qu’un entraineur imagine, qu’il aille voir mon père, lui dise « Voilà votre fils va être fort, il faudrait peut être l’orienter là.. », personne, personne. C’est pas de leur faute non plus mais bon. Nous on savait pas trop quoi faire, on parlait pas trop avec les parents, ça c’est un peu dans nos coutumes à l’époque, c’est plus comme aujourd’hui. Mon père je sais même pas si il sait ce que c’était la lutte, comme sport, à part le football et la boxe.

Mon père est jamais venu me voir. Jamais. Mon père c’est un émigré. Il est venu dans les années 55, les mines, dans le Nord. Il est descendu sur Paris pour la famille, il est devenu éboueur. Sur la banlieue parisienne. C’est huit enfants à charge, c’est le travail, rentrer, dormir. Ensuite il a eu une chance, il a ouvert un bar. Il a été aidé par un pied noir. Mais bon le sport, mon père... C’est des gens qui étaient illettrés, c’est pas des... Mais on n’a jamais rien manqué avec mon père, il a toujours été… avec ses enfants, huit. Il m’a jamais vu lutter, jamais. Ni ma mère. Préparé mes sandwichs, mes affaires et puis voilà.

Même pas à l’entraînement. Ils avaient plein d’autres choses à faire. Mon père il travaillait, il rentrait il allait se coucher. Il tenait le bar. Une fois je suis rentré avec la coupe, j’avais fait deuxième aux cadets, vice champion de France, FFL. J’ai ramené la coupe. Mon père : « C’est pas ça qui va te ramener à manger va ! » Fallait bien ... à l’école, fallait travailler, quoi. Non mais ils savaient pas trop ce qu’est le sport, ce que ça peut apporter, ils savent pas. C’était un campagnard, un paysan mon père, un berger paysan, il vient du fin fond de la Kabylie, alors le sport…

Ah oui, j’aime beaucoup voir lutter mon fils. Je panique parfois, ça me... Ah ouais ouais beaucoup. Beaucoup beaucoup. Est ce que c’est bien, je sais pas, on verra... Je suis dur avec lui, quand il lutte. Un peu dur. Non mais c’est parce qu’il pleure trop. Ils pleurent trop les gosses là, ils chialent trop. Pour moi ils chialent trop. Ils abandonnent vite. Ils sont pris, et c’est fini, ils lâchent. Ça m’énerve, j’arrive pas à comprendre « ben non tu... » Ça c’est le souci qu’ils ont. Ils ratent un truc, ils râlent, ils sont défaitistes, je sais pas. Enfin je lui explique après, peu importe mais après on arrive toujours à discuter. On discute tout le temps après. Si je lui dis de faire des pompes il fait la gueule ! Mais bon, il faut savoir ce qu’il veut. Je ne lui ai pas demandé d’aller faire de la muscu, par contre je veux pas qu’il fasse de la muscu pour l’instant. Mais les pompes c’est bien, les abdos. C’est un feignant. Il est feignant aussi non, il est bon mais il est feignant. Il est un peu feignant. Bon je râle mais après il voit que je suis passionné.

Ah je me suis beaucoup battu ! C’est vrai, mais des bêtises, je me suis beaucoup battu, ouais beaucoup battu. Mais ça n’a rien à voir avec le sport, avec la lutte. C’est dans le milieu ou j’ai grandit. Et puis pour défendre des gens. Je me suis plus battu pour défendre les gens que pour autre chose, que chercher. Battu ouais, je me suis battu ouais ? des conneries.

Ça m’a calmé la lutte. Je crois que j’aurais été plus gros bagarreur que ça si j’avais pas fait de la lutte. Ça m’a canalisé un peu. Mais c’était dur, j’ai eu une période… c’est sur une période, c’est pas sur le long... mais sur une période oh lala... Je me suis servi plus de mes poings qu’autre chose. Mais par contre dans la bagarre la lutte ça sert, ça peut servir. Maintenant j’ai pas pris quelqu’un en ceinture et je l’ai jeté en l’air… parce s’il a le malheur de retomber sur la tête, il peut être mort. C’est instinctif un lutteur, si il se bagarre il peut avoir des... au niveau du corps à corps... ben vous regardez, dans l’UFC, les meilleurs au monde c’est les lutteurs, ça vient de la lutte. Les sports de combats que vous voyez là dans les cages, judokas, tous les sports… ce qui prime le plus c’est les lutteurs.

J’avais des fétiches moi. Mon slip, mes chaussettes. Ah ouais, le slip. J’avais un slip, celui là je l’ai gardé. J’avais fait 3ème au championnat d’Afrique en Égypte, c’était un slip à rayures, acheté à Alger en plus. J’avais fait une belle compét’, j’avais 21 ans, j’ai dit « je vais le garder ». Et puis je l’ai gardé, je suis venu ici, j’ai lutté avec pendant... enfin, que les compét’, parce qu’il a pas duré longtemps après. J’ai du le garder 4 ans. Je suis fétichiste. Mes chaussures. Mon maillot. Et mon slip. Le maillot non, c’était plutôt mon slip, mes chaussettes aussi. Ça c’est Adidas.

Il y a certains pays où c’est un peu religieux la lutte. Il y a des rituels. Il y a plus de 90 pratiques de lutte dans le monde. Moi à la rigueur... ça c’est pas une bêtise, je disais toujours : quand je meurs on m’enterre avec un maillot de lutte et une paire de chaussures de lutte.

J’ai gardé mon maillot de l’équipe nationale algérienne et un maillot soviétique qu’on m’a offert. Mon entraineur, je l’aimais beaucoup. C’est lui qui m’a fabriqué quand même. Mon entraineur soviétique, champion du monde. Nous en Algérie nos entraineurs, tous les sports, c’était des coopérants. C’était des techniciens des pays de l’est, Bulgare, Hongrois... Nous dans le domaine de la lutte, c’était un Russe. Anisimov il s’appelait. C’était un ancien champion du monde sous le drapeau de l’union soviétique. Il nous a entrainés. Il m’a fabriqué. Techniquement il m’a fait évoluer. Je suis arrivé ici j’étais fort, j’étais très très fort ici quand je suis arrivé. Il m’a entraîné pendant deux ans.

Je suis arrivé en Algérie en septembre 82, il m’a entrainé deux ans. J’ai démarré avec lui quand j’ai fait mon instruction militaire et je suis rentré dans l’équipe nationale trois mois après. Oui j’ai du rester 19 mois. Je pesais 62 kg. J’avais jamais pratiqué la musculation en France, et avec l’équipe nationale algérienne, les types de ma catégorie ils soulevaient 70 kg... un mec de haut niveau de ma catégorie il devait soulever minimum 78 kg... c’est pas énorme quand on regarde haut niveau. Moi j’arrivais même pas à lever 30 ou 40 kg. J’avais jamais pratiqué. En l’espace de deux mois… bon après les techniques, tout ce qui est muscu spécifique pour la lutte, j’avais démarré à 30/40 kg, à la fin développé couché je développais 100 kg. En lever lombaire je soulevais 60/80 kg. Physiquement il m’a fabriqué et techniquement. Et c’était énorme parce que c’est un apport énorme pour le sport de haut niveau.

J’ai pris des fresques à l’acropole d’Athènes. La base elle est là. La garde, la confrontation. C’est des prises réelles. toujours les mêmes, enfin plus techniques. Vous avez corps à corps. Ramassement de jambes. C’est la base. Là presque un bras à la volée, crochets de jambes. C’est ce qu’on fait encore aujourd’hui. Bon, plus poussé, plus technique.

Il y a beaucoup de lutteurs qui ont ça à la maison, même en t-shirt. L’un des derniers maillots de la FFL, il y a un petit logo comme ça. Ça revient toujours."

Lutte

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