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Chronique aux Diables Rouges - Mardi 9 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briquetterie

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Mardi 9 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briqueterie

C'est Sébastien qui tient le présent journal exceptionnellement.

J’arrive à la fin de l’entraînement des tout petits. Ils se poussent et se renversent sur le tapis, encouragés par Delphine et Maurice.

Un des enfants rejoint son père assis sur le banc à côté de moi. Le père, très doux, prend l’enfant tout petit (il a cinq ans, c’est sa première année au club) dans ses bras, lui parle (en russe je crois), le caresse, le pousse. Je devine qu’il lui parle de lutte parce que les gestes, le contact me fait penser à la manière de se toucher qu’ont les lutteurs. Mais avec plus de tendresse et de douceur. L’enfant est très calme, il répond aux questions du père par des hochements de tête. Le père tout en continuant à parler lentement, saisit l’enfant qui se laisse faire aux jambes et le fait doucement chuter puis il roule avec lui, exactement à la manière de deux lutteurs. Je reconnais la technique qui est décomposée et déroulée précisément. Le père explique tout en serrant l’enfant dans ses bras énormes. L’enfant acquiesce. C’est le combat du géant et du nain. Ensuite le père déshabille et rhabille l’enfant, avec toujours la même minutie dans les gestes.

C’était très beau. J’ai un peu l’impression d’avoir assisté à une scène primordiale.

ob 4d263b lutte greco romaine ceramiquepoursiteDepuis qu’on observe des entrainements, on s’est déjà étonné de retrouver dans les postures, les attitudes des lutteurs une très grande proximité avec les statues antiques (j’en ai revu au Louvre récemment, on a l’impression qu’elles ont été faites hier, tellement on reconnaît les gestes). Il faudrait interroger cette survivance des gestes.

Le père, Jean-Jean me dira plus tard qu’il s’agit de Kazbek, 8 fois champion de France de lutte, a fait partie de l’équipe olympique. Il est originaire de la même ville que Vadim en Russie et a la nationalité française depuis 11 ans. Il va peut être arrêter la compétition (je crois qu’il a 41 ans), et continuer pour le plaisir. C’est un poids lourd, le corps massif, noueux. Il se dégage de lui une grande sensation de calme et de douceur. Pendant toute la séance je vais le regarder lutter avec un partenaire de son gabarit, qu’il va vraiment épuiser. Au bout d’un moment j’ai l’impression que ces deux lutteurs sont vraiment à part. ils ont l’air ailleurs. Parfois ils ne font que tourner l’un autour de l’autre sans arriver à poser leurs mains sur le corps de l’autre, cherchant une saisie. J’ai vraiment l’impression qu’ils se « parlent » par le contact. lutte muybridgepoursite

A côté d’eux d’autres lutteurs appliquent, questionnent, la prise ou le contournement que Vadim a montré. Ce sont tous des lutteurs aguerris. A ce stade où la lutte est un jeu d’échec. Le mouvement est analysé, répété, recombiné avec d’autres, on lutte et on discute, on lie le geste et la parole. On réfléchit. Vadim passe et corrige, montre une variante…

Mais Kazbek et son adversaire sont à part et ne s’arrêtent pas pour parler. Ils sont dans un autre temps. J’ai l’impression d’avoir un peu une image de ces combats de lutte sans limite de temps dont j’ai entendu parler, ceux des luttes traditionnelles, ou des premiers Jeux Olympiques. Petit à petit l’autre lutteur demande de faire pause plus souvent. Il est fatigué et souffre de l’épaule. Il demande à Kazbek de le masser et de lui étirer le bras. Lorsqu’ils se parlent alors je comprends qu’ils ne se connaissent pas forcément, qu’ils ne sont pas des amis intimes.

Jean-Jean m’explique que cette manière de se toucher qu’ont les lutteurs, c’est parce qu’on se frotte tellement à l’autre et de manière assez rude, qu’on a besoin aussi d’adoucir le contact, « de se faire du bien ».christianblondallonges nbpoursitePhoto Meggie Schneider

Je pense alors que même si au Boxing Beats ou à la Snake Team, ou dans d’autres salles d’entrainement, saluer chaque personne est un rituel observé par tous et que les notions de respect sont très importantes, jamais je ne l’ai vu appliqué aussi scrupuleusement qu’à la lutte ou en tout cas chez les Diables Rouges. Tout le monde vient nous saluer quand nous sommes assis à observer. On sent bien que la poignée de main et le regard francs sont très importants, même chez les plus petits.

Avant ce cours il y a eu celui des 10/11 ans, qui illustre très bien ce point. Le cours était d’abord donné par Eric (ou Xavier je ne sais plus), un entraîneur que je n’avais jamais vu. Les enfants étaient assez dissipés, comme on l’avait déjà vu. Lassé par l’attitude des enfants, l’entraineur énervé a arrêté l’entrainement et demandé à être remplacé par Dane. Avant de partir il a parlé aux enfants qui, cette fois se sont tus. Il leur a dit assez durement qu’ils perdaient leur temps ici et lui aussi. Qu’il a entraîné les plus grands dans ce club, Lomé compris, qu’il n’avait jamais vu un groupe d’enfants écouter aussi peu et qu’il ne voulait pas perdre son temps à crier. Qu’on ne pouvait pas apprendre la lutte sans respect et sans écouter. Mais que la première chose était l’attitude de respect. Didier est passé pour voir, « s’ils viennent pour du loisir, on ne va pas perdre notre temps ». Dane est alors arrivé et a demandé à ce que personne ne rentre dans la salle. A nouveau il a parlé du respect dû à chacun et du devoir de ne jamais oublier de saluer les aînés. Il parlait aux enfants très bas, sans s’énerver. Il les a fait travailler pendant 20 mn (roulades, sauts, passages entre les jambes), sans jamais élever la voix et ils n’ont pas bronché. C’était assez impressionnant de voir la différence d’attitude des enfants. A la fin du cours il a demandé à tous les enfants de s’allonger sur le dos et de fermer les yeux. Il marchait au milieu d’eux en les frôlant, sans doute pour vérifier s’ils étaient bien concentrés. Ceux qu’il touchait du bout du pied au bout d’un moment avaient le droit de regagner le vestiaire. Ceux qui n’étaient pas arrivé à faire calmement l’exercice, il les a pris à part et a continué à discuter avec eux en leur demandant de réfléchir à pourquoi ils n’arrivaient pas à obéir à une consigne aussi simple.jean jean portraitpour site

Un ancien amène à Jean-Jean une photo, c’est le carton d’une exposition photographique qui a lieu en ce moment à la médiathèque de Bagnolet, intitulée « moi aussi j’ai été jeune, mais vous ne le voyez plus ! ». Sur la photo on voit Jean-Jean qui tient une grande photo de lui en tenue de lutte aux Jeux Olympiques en 1951. De son temps on n’avait pas le droit de commencer à lutter avant 16 ans. Il a été le premier en France à ouvrir des cours pour les enfants. « on me disait que j’étais fou, qu’on allait les blesser ». « le catch nous a fait du mal ». Les gens voyaient des combats violents en apparence, où les lutteurs se blessaient. Ils ne voulaient pas inscrire leur enfant à la lutte. Il faut avoir fait au moins 3 ans de lutte pour faire du catch, mais au catch tu accompagnes le mouvement de l’adversaire pour le rendre spectaculaire, tu fais de la cascade. En lutte tu te laisses pas faire, tu résiste, tu te laisse pas attraper.

Il rentre maintenant préparer le repas pour ses anciens élèves. « Je suis veuf alors quand ils sont là, je mange bien, sinon quand je suis seul je grignote »

Mardi 16 juin 2015. Entrainement aux Diables Rouges (lutte) à Bagnolet. Salle Jean Legendre au complexe sportif de la Briquetterie
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