Rédigé par Stéphane le . Publié dans Fil rouge.

revue de presse la tribu des lutteurs

articles écrits à l'occasion de  la création de La tribu des lutteurs à La commune, CDN d'Aubervilliers


Le Parisien - AFP - 29/12/2012

es "Diables rouges" sont sur scène au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers: une douzaine de membres de ce club de lutte légendaire sont au cœur de "La Tribu des lutteurs", premier épisode d'un vaste projet sur les sports de combat en Seine-Saint-Denis.
Un tapis de lutte recouvre entièrement la scène et les mannequins d'entraînement en cuir achèvent de planter le décor. Assise sur un banc, la comédienne Corine Miret commente l'entraînement des lutteurs, remonte aux sources de la lutte, lit un extrait sur la lutte de "Gilgamesh", épopée née en Mésopotamie au début du deuxième millénaire avant Jésus-Christ.
Sur le tapis, deux microbes de 6 et 8 ans s'empoignent avec détermination, tandis que Tigran, 18 ans, jeune espoir du club en voie d'intégrer l'équipe de France, fait voler son partenaire par dessus l'épaule sur le tapis dans un bruit mat.
"La Tribu des lutteurs" est le premier volet du projet mené par la Revue Eclair, la compagnie de Corine Miret et Stéphane Olry, adeptes d'un théâtre entre documentaire et fiction. Depuis déjà deux ans, le duo explore les clubs de lutte, de boxe et de MMA (mixed martial art, mélange de plusieurs sports de combat) de Seine-Saint-Denis, participe aux entraînements et mène des entretiens.
L'immersion est telle que Stéphane Olry, inscrit comme boxeur débutant aux entraînements des "Boxing Beats" d'Aubervilliers, en est venu à donner des cours de soutien scolaire aux jeunes boxeurs.
Trois pièces doivent voir le jour: "La Tribu des lutteurs" jusqu'au 15 décembre au Théâtre de La Commune, "Combattre", qui sera donnée en appartement à Sevran à partir d'entretiens avec des femmes pratiquant le MMA et "Le Ring" sur la boxe anglaise, en 2018 à la MC 93 de Bobigny.
"On a voulu montrer qu'il y avait là un véritable art, une science, un langage qui passe par les corps, dans ce département de Seine-Saint-Denis où beaucoup de gens sont primo-arrivants", explique Stéphane Olry.
"Ces gens qui ne parlent pas français sont accueillis dans ces clubs, où il peuvent rencontrer d'autres gens, pratiquer un sport qu'ils maîtrisent et retrouver une fierté, une dignité", renchérit Corine Miret.
- Un monde pacifique -
Sur le tapis, les entraîneurs de lutte libre et gréco-romaine sont pour l'un d'origine centrafricaine, pour l'autre arménienne. Les lutteurs viennent du monde entier. "Un entraîneur nous a dit que partout où il y a des pauvres, il y a de la lutte".
Sport ancestral, décliné en autant de formes traditionnelles qu'il y a de régions, la lutte ne nécessite aucun équipement coûteux. "On pousse une porte juste à côté et on est complètement dépaysé: Afghans, Arméniens, Tchétchènes, Russes, Georgiens, Abkhazes, Ossètes, Centrafricains, Sénégalais, ... c'est tout un monde!" raconte Stéphane Olry.
Les "Diables rouges" (officiellement Bagnolet Lutte 93) existent depuis plus de 100 ans, entraînent 200 lutteurs de tout âge et refusent du monde.
Le monde des sports de combat suscite souvent "stupeur et tremblement", sourit Stéphane Olry. "Pousser la porte d'un club de lutte est pour certains plus intimidant que d'entrer dans une galerie d'art", dit-il.
"Les gens imaginent un monde violent, c'est tout le contraire", souligne Corine Miret. "On devrait initier tous les mômes à la lutte, c'est un rapport à l'autre, un sport qui enseigne à gagner et à perdre et ça donne des gens très pacifiques."
Dans tous les sports de combat, il y a de plus en plus de femmes, y compris dans le MMA, le plus spectaculaire. "Les femmes s'emparent petit à petit de tous les domaines sportifs - à part la danse - traditionnellement réservés aux hommes", remarque Corine Miret.
Sur le tapis, l'ambiance est concentrée. De temps à autre, un rire ponctue le "splash" particulièrement sonore d'un corps envoyé au tapis. On s'encourage dans plusieurs langues, afghan, arménien, français.
"C'est une sorte d'univers enchanté, où personne ne demande ce que vous faites dans la vie, d'où vous venez, remarque Stéphane Olry, "un petit paradis ici et maintenant".


L'Humanité - Marie-Jo sée Sirach 12/12/2016

 

Corine Miret et Stéphane Olry présentent le premier volet d’un triptyque consacré aux sports de combat dans le 93. Voici l’histoire des Diables rouges de Bagnolet.

Dans la petite salle du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, l’ambiance est bon enfant. Il y a de la curiosité dans l’air, une certaine fébrilité. Sagement assis aux premiers rangs, parents, grands-mères, frangins ou cousins des lutteurs. Ceux-là commencent déjà à arpenter le plateau. Sur deux écrans, qui disparaîtront très vite, deux chercheurs racontent les règles du jeu.

Corine Miret, danseuse, actrice et meneuse de jeu, donne le top départ. Deux heures durant, nous allons assister à l’entraînement des Diables rouges de Bagnolet, l’un des clubs de lutte les plus anciens, fondé au début du siècle passé. Un club dont l’histoire croise la grande ; un club qui a toujours accueilli des gars venus du bout de monde ; un club rouge comme la banlieue. Un vivier de champions dont les tenues – rouges elles aussi – impressionnaient les adversaires ! Aujourd’hui encore, le club des Diables rouges fournit de nombreux médaillés. Pourtant, un de leurs meilleurs espoirs, d’origine arménienne, a reçu il y a peu une OQTF, une obligation de quitter le territoire…

Les prises et les séquences de combat se défont et se succèdent

Il suffit de disposer au sol des tapis de mousse pour qu’un plateau de théâtre se métamorphose en une salle d’entraînement. Au sol, deux grands cercles dessinés. Les lutteurs ne doivent pas mordre le trait au risque d’être éliminés. Beaucoup de garçons, quelques filles. Des jeunes (minimes, juniors) et des poussins dont un, encore revêtu de sa coquille, sorte de petit Gibus qui se faufile entre les plus grands et ne loupe aucun exercice. Début de l’entraînement. Échauffements, étirements, sauts, pas chassés. Un mouvement d’ensemble harmonieux, qui se répète, inlassablement. Jusqu’à dessiner une chorégraphie envoûtante, hypnotique. Dislocation du groupe. Les voici qui s’élancent deux par deux. Et toujours les mêmes exercices, les mêmes gestes qui dévoilent une endurance, une volonté de repousser toujours plus loin ses propres limites, de se dépasser. Pause. Fin des alignements et autres diagonales dessinées par les corps en mouvement. Des cercles se forment. Les corps s’enlacent, s’emmêlent. Les prises et les séquences de combat se défont et se succèdent. Les mains se tendent lorsqu’on se relève, une marque de respect empreinte de solennité. On ne rate rien de la subtilité des gestes, des bras et des jambes qui cherchent à déséquilibrer l’adversaire, à défier les lois de l’apesanteur. Dans ce corps-à-corps à mains nues, l’intelligence et la tactique traquent la faille de l’autre. C’est à cet endroit que ça se joue.

Corine Miret est allée à leur rencontre. Elle les a observés longuement, depuis le banc de touche. Danseuse, méchamment blessée lors d’un précédent spectacle, elle danse avec eux, par procuration, retrouvant des sensations musculaires au fil de leurs entraînements. Elle parle et restitue un peu de leur histoire, de leur attachement à ce sport. Une sorte de voix off qui raconte des pays – Caucase, Ossétie, Daghestan, Abkhazie, Afghanistan, Arménie… – et dessine une carte où la lutte est un sport populaire. Le récit nous emporte aussi du côté de la Mésopotamie, 2 650 ans avant J.-C. Gilgamesh et Enkidu s’empoignent avec rudesse dans un combat de titans légendaire où « les murs vacillaient ». K.-O. l’un et l’autre, « les yeux remplis de larmes, les bras sans force, toute vigueur anéantie, ils s’enlacèrent et leurs mains se joignirent ». Leur amitié demeura éternelle. La lutte. Le plus archaïque des sports de combat né dans la Grèce antique. Il a traversé les siècles, descendu les montagnes du mont Olympe et s’est répandu dans des terres reculées. Il symbolise la force, la survie en milieu hostile. La lutte, celle des gladiateurs, Spartacus. Celle des Ursari, ces montreurs d’ours des Carpates. Une histoire enfouie dans nos inconscients qui ressurgit là, sur ce plateau où ces jeunes gens réapprennent les gestes de nos lointains ancêtres.

On doit à Corine Miret et Stéphane Olry, metteur en scène, des spectacles insolites, passionnants. Ils pratiquent un théâtre documentaire sur lequel souffle un vent de poésie, un théâtre singulier qui ne cesse de nous surprendre. Qu’ils organisent une conférence sur une vieille collection de cartes postales trouvées (Nous avons fait un beau voyage, mais...), qu’ils imaginent un spectacle bouleversant et tellement drôle à partir de paroles collectées de supporters stéphanois, Mercredi 12 mai 1976 (les Verts affrontaient le Bayern), ou, dans un tout autre genre, Une mariée à Dijon, d’après le livre délicieux de Mary Frances Kennedy Fisher, Olry et Miret ont le don de mettre du fantastique et de la fantaisie dans le réel. Pari réussi avec nos Diables rouges.


Jean-Pierre Thibaudat - Mediapart 10/12/2016

Premier épisode d’un voyage dans les sports de combat des clubs du 93 : Corine Miret et Stéphane Olry, les manitous de La revue Eclair, sont allés à la rencontre des Diables rouges. Au final : « La Tribu des lutteurs », où le théâtre regarde le spectacle d’un entraînement intense.

Le théâtre (ou la danse) et le sport ont en commun d’être composés de deux éléments inaliénables : d’un côté les actifs (acteurs, athlètes), de l’autre les passifs (le public qui regarde). Quand les actifs ne le sont guère, les passifs deviennent actifs : ils peuvent vociférer, siffler, crier « remboursez ! », « c’est nul ! ». Dans le sport, l’issue de la rencontre est incertaine (qui va gagner ?), dans le théâtre, même quand on connaît la fin de la pièce, l’incertitude demeure (est-ce que je vais voir un superbe spectacle ?). Quand le match ou le spectacle est lamentable, quand le sort en est jeté (l’adversaire est trop fort, la pièce et les acteurs exécrables), il arrive que l’on parte avant la fin.

« Créer, c’est collaborer »

Le théâtre et le sport ont aussi ceci en commun qu’ils supposent une préparation physique et mentale des sportifs et des acteurs. On appelle ça l’entraînement, les répétitions. On se prépare pour le jour J, pour la première. Beaucoup d’acteurs, à l’heure des répétitions, commencent par un échauffement. Et c’est ce qu’on voit quand on entre dans la petite salle du Théâtre de la Commune à Aubervilliers : des gens qui s’échauffent.

A l’évidence, ce ne sont pas des acteurs, des actrices. Ces derniers affectionnent la tenue négligée, les vêtements dépareillés, les vieux pulls, les survêt qui boudinent, les t-shirts fétiches, les grosses chaussettes ou les pieds nus. Ici les corps sont vêtus de noir mais aussi de rouge, ils sont en short et maillot qui serrent le corps. Des sportifs, à l’évidence. Le public a pris place sur un gradin devant un grand tapis bleu où s’échauffent les sportifs pour un entraînement qui durera le temps habituel : environ deux heures. En face de nous, de l’autre côté du tapis, assise sur un banc, je reconnais l’actrice Corine Miret. L’une des deux têtes de La revue Eclair, l’autre c’est Stéphane Olry. Dans le métro qui me conduisait au théâtre j’ai lu l’opuscule d’Olry titré Créer, c’est collaborer où il raconte des pans de sa vie, vantant au passage les charmes et le combat de celui dont les jours sont régis par un régime, celui des intermittents du spectacle.

Avec un ravissement constant, je me suis plus d’une fois assis sur un gradin ou sur une chaise pour suivre diverses aventures de La revue Eclair généralement basées sur la rencontre avec des individus et l’approche, l’exploration d’un territoire. Ainsi, Nous avons fait un bon voyage maisVoyage d’hiver ou, plus récemment, une histoire de méridiens (lire ici). Je n’ai pas vu, hélas, Le mercredi 12 mai 1976 qui explorait la mémoire du match de football Saint-Etienne-Bayern de Munich à Glasgow en finale de la coupe des clubs champions.

Après une collection de cartes postales avec leurs textes et leurs images, un village de l’Artois, des polyhandicapés d’un hôpital de la Roche-Guyon, les mémoires des footeux stéphanois, voici les Diables Rouges, les lutteurs de Bagnolet lutte 93.

On voit ce que l’on avait jamais vu

Nous assistons en temps réel à l’un de leurs entraînements comme ils en ont trois soirs par semaine, seul le lieu a changé. Et la présence de Corine Miret. C’est une présence amicale, attentive, bienveillante et complice. Les quarante (environ) lutteurs font tacitement mine de ne pas la voir, de poursuivre leur entraînement comme si de rien n’était. Chacun son boulot. Après les premiers échauffements, le groupe se divise en deux pour l’apprentissage des prises inlassablement répétées (comme les acteurs répètent inlassablement un bout de scène coriace, pensai-je). On voit ce que l’on n’avait jamais vu (lorsqu’on a pu entrevoir ce sport, une fois tous les quatre ans à la télé lors des Jeux Olympiques) : combien ce sport est précis, millimétré et d’une rapidité inouïe au moment de la prise, bien plus violente et brutale que le judo, par exemple. C’est un corps-à-corps animal, tête contre tête, sueur contre sueur, jusqu’à faire toucher au sol les épaules de l’adversaire. Pas de coups, pas de KO. La noblesse d’un art.

Les voici maintenant qui commencent des combats d’entraînement, personne n’est tenu à l’écart, quel que soit l’âge ou le sexe (la lutte féminine est une des trois formes de lutte) ; une seule femme ce soir-là, parmi tous ces corps d’hommes parfois frêles, souvent massifs. Face à eux, Corine Miret semble une plume posée sur le sol. Avec sa voix douce, elle raconte l’histoire de ce sport, le plus vieux du monde et qui reste très populaire aujourd’hui dans les pays du Caucase comme la Tchétchénie ou l’Arménie, en Moldavie, en Iran...  Beaucoup de lutteurs (comme leurs entraîneurs) de Bagnolet lutte 93 viennent de ces pays (des exilés parfois sans papiers) ou en sont les enfants.

Quand Corine Miret égrène leurs noms

Assise et bientôt debout, Corine Miret raconte comment elle se sent proche de ces lutteurs, elle qui fut danseuse avant qu’un médecin, suite à un accident, ne sonne le glas. Parfois elle prend un livre et lit un extrait où l’on parle de la lutte entre Gilgamesh et Endiku. Des phrases par-ci par-là, comme un accompagnement musical et amical.

Depuis deux ans, Stéphane Olry et Corine Miret vont régulièrement à l’entraînement des Diables rouges. Ils ont parlé avec chacun d’entre eux, aux entraîneurs. Quand ils ont réfléchi à ce qu’ils pouvaient faire ensemble sur la scène d’Aubervilliers, il leur a paru évident que l’entraînement cordial, collectif et intense de ces lutteurs du club de Bagnolet lutte 93 se suffisait à lui-même pour tout ce qu’il montre et révèle à un public qui n’y connaît rien. Les Diables rouges ont acquiescé. C’est pourquoi, autant la présence et les propos de Corine Miret (écrits par Stéphane Olry à partir de tout le long travail préparatoire) sonnent justes, autant on peut regretter que La revue Eclair ait demandé à un acteur de venir faire le pitre en figurant trois éléments de la vie du lutteur. C’est contradictoire avec ce qui fait la ligne de force de La Tribu des lutteurs : l’absence d’interférence directe entre le sport (les lutteurs) et le théâtre (l’actrice), le respect mutuel, la distance juste.

C’est là le premier épisode du projet « le Cercle » mené par la Revue Eclair : « une exploration des clubs de sports de combat en Seine-Saint-Denis » (en collaboration avec Sébastien Derrey). Suivront la boxe anglaise avec le Boxing Beats à Aubervilliers, le MMA (Mixed Martial Art) avec le CLS de Sevran. Le but est le même : ne pas faire venir au théâtre des lutteurs, des boxeurs mais « initier des spectateurs de théâtre aux arcanes subtils de ces sports ». Pour ceux qui le veulent, Corine Miret et Stéphane Olry proposent d’aller plus loin en entrant dans le Cercle (ici).

A la fin de La Tribu des lutteurs, magnifique moment, celui où, tous en ligne, la tribu salue. Corine Miret égrène, un à un, leurs noms souvent étrangers, même si à prononcer leurs noms sont difficiles comme disait l’Aragon de L’Affiche rouge. Ces noms, les voici : Achot Melkonian, Andréa Ducaux, Antoine Massida, Armane Harutyunyan, Bettina Blanc-Penther, Caesar Bequie, Cirena Randani, David Fukwabo, Djimil Akli, Florian Pagat, Gagik Snjoyan, Gauthier Bachschmidt, Giorgi Guigolaev, Grigor Melkonian, Grigor Soghomonyan, Harutyn Hovhannisyan, Hocine Akli-Berc, Issa Touré, Ivan Bitca, Jean-Baptiste Declercq, Jonas Antenat, Mamadassa Sylla (Naba), Murchoud Mammadov, Malbaz Zarkoi, Manvel Poghosyan, Missikov Kazbek, Mody Diawara, Nika Aydalyan, Rachia Malkhasian, Raoul Hatos, Rayan Vaz, Rémi Vaz, Rémi Bachaschmidt, Said Ehsan Mir Mosen, Samah Kheniche, Samy Alyafi, Sasha Snjoyan, Théo Brillon, Yhéo Huth, Tigran Galustyan, Tristan Zerbib, Xavier Brillon….

Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, dans le cadre des "pièces d'actualité" (c'est la N°7), les mar, mer, jeu et ven à 20h30, sam à 18h, jusqu’au 15 décembre.

Stéphane Olry, Créer, c’est collaborer, les éditions de L’Œil, « bibliothèque fantôme », 32 p., 7,50€.


Théâtre du blog - Véronique Hotte 10/12/2016

Les représentations de la lutte abondent dans l’Antiquité, en Égypte – à Beni Hassan en 2000 avant l’ère chrétienne -, en Grèce sur de nombreux vases, souvent en référence aux poèmes homériques, avec par exemple Ulysse et Ajax qui combattent en se ceinturant, arbitrés par Achille.

Parmi les « sports de combat » fondés sur l’affrontement de deux adversaires, le plus dépouillé – le plus ancien et le plus universel – s’exerce entre deux corps sans armes – un exercice ludique. Dans la Grèce olympique, la lutte revient à la compétition, au duel, à l’opposition de deux êtres – force et adresse du corps, des gestes et des prises, en excluant les coups, une lutte réglée sur celle de l’adversaire.

L’exercice se pratique dans un contrôle extrême, excluant toute violence réciproque à finalité belliqueuse, une école de courage et d’endurance.     Trois formes de lutte sont pratiquées au Jeux Olympiques : la lutte « de la tête à la ceinture » baptisée lutte gréco-romaine – la « gréco » ; la lutte « libre » sur tout le corps dite lutte « olympique » et la lutte féminine.

« Ne pas faire mal. Ne pas se faire mal. C’est la première règle qu’apprennent les poussins », raconte Corine Miret dans la Pièce d’actualité N°7 de La Commune – centre dramatique national d’Aubervilliers -, Sport de combat dans le 93 : la lutte, un spectacle de la Revue Éclair sur un texte de Stéphane Olry.

Assise sagement sur un banc, la comédienne et danseuse – sobriété, humilité et grâce – assiste, comme pour une scène en bi-frontalité, face au spectacle et au public, à l’entraînement des lutteurs du club de Bagnolet, « Les Diables Rouges ».

Les athlètes sont originaires du Caucase – mer Noire, pays éloignés et oubliés sur la carte du Monde – : « Ossétie, Daghestan, Mingrélie, Abkhazie, Tchétchénie. Des populations improbables : tcherkesses, avars, lezguines. Des brigands de montagnes… Vallées de proscrits et de crève-la-faim. » Là où règne la pauvreté, s’installe la lutte.

Entraîneurs, athlètes, pères et fils, pères et filles – jeunes enfants, adolescents et jeunes gens -, ils vivent en banlieue parisienne et s’entraînent trois fois par semaine avant les compétitions du week-end. L’entraînement se donne comme tel, un temps et une expérience à part, que ponctue la narratrice Corine Miret dont le monologue fait retour sur son accident – un genou déboîté lors d’un spectacle – et finie la danse.

La narratrice a observé en amont le quotidien du club, les entraînements à horaires fixes au gymnase, la loge d’entrée de Hocine, les couloirs, les surfaces de jeu, les mannequins. Un monde – espace et temps – que partagent les élus de la lutte.

La danseuse fait quelques saluts de cour – une esthétique baroque qu’elle avoue avoir toujours privilégié dans l’élégance des canons de la beauté académique.

Une forme en apparence opposée aux figures de la lutte à la brutalité rustre, soulèvements des corps, renversements, immobilité au sol de l’adversaire.

En réalité, un duel corporel dont le spectateur admire la violence sans armes – assagie – qui fait que l’agression se transforme en exercice et démonstration de qualités – force, courage, endurance, habileté tactique et prouesse généreuse.

Frédéric Baron apporte sa note comique au spectacle, en rupture avec les lutteurs, jouant un des mannequins de lutte, la balance de poids – obsession des lutteurs – et même l’allégorie de la médaille de compétition suspendue et aux paillettes dorées.

Un spectacle inouï – contemplation des corps en exercice, générosité des lutteurs – esprit collectif de partage – jusqu’à épuisement en temps réel des forces engagées.


France Culture - Les nouvelles vagues - Marie Richeu

Corine Miret, Stéphane Olry, et aussi votre troisième interprète, Frédéric Baron, votre spectacle est très beau et j’invite chacun à aller le voir avant d’aller passer la porte des clubs de sports de combat ! Et aller chez les Diables Rouges…

(Écouter l’émission complète avec le président des Diables Rouges, Didier Duceux et le champion de boxe Yazid Amghar.)

Lutte